*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 68297 *** PAUL ELUARD CAPITALE DE LA DOULEUR RÉPÉTITIONS--MOURIR DE NE PAS MOURIR LES PETITS JUSTES--NOUVEAUX POÈMES Quatrième édition _nrf_ PARIS Librairie Gallimard ÉDITIONS DE LA NOUVELLE REVUE FRANÇAISE 3, Rue De Grenelle (VIme) TABLE DE MATIÈRES RÉPÉTITIONS MAX ERNST SUITE L'INVENTION PLUS PRÈS DE NOUS PORTE OUVERTE SUITE LA PAROLE LA RIVIÈRE L'OMBRE AUX SOUPIRS NUL POÈMES LIMITE LES MOUTONS L'UNIQUE LA VIE NUL INTÉRIEUR À CÔTÉ À CÔTÉ L'IMPATIENT SANS MUSIQUE LUIRE LA GRANDE MAISON INHABITABLE LA MORT DANS LA CONVERSATION RAISON DE PLUS LESQUELS? RUBANS L'AMI VOLONTAIREMENT À LA MINUTE PARFAIT RONDE CE N'EST PAS LA POÉSIE QUI ŒIL DE SOURD MOURIR DE NE PAS MOURIR L'ÉGALITÉ DES SEXES AU CŒUR DE MON AMOUR POUR SE PRENDRE AU PIÈGE L'AMOUREUSE LE SOURD ET L'AVEUGLE L'HABITUDE DANS LA DANSE LE JEU DE CONSTRUCTION ENTRE AUTRES GIORGIO DE CHIRICO BOUCHE USÉE DANS LE CYLINDRE DES TRIBULATIONS DENISE DISAIT AUX MERVEILLES LA BÉNÉDICTION LA MALÉDICTION SILENCE DE L'ÉVANGILE SANS RANCUNE CELLE QUI N'A PAS LA PAROLE NUDITÉ DE LA VÉRITÉ PERSPECTIVE TA FOI MASCHA RIAIT AUX ANGES LES PETITS JUSTES SUR LA MAISON DU RIRE POURQUOI SUIS-JE SI BELLE? AVEC TES YEUX UNE COULEUR MADAME À FAIRE RIRE LA CERTAINE LE MONSTRE DE LA FUITE LA NATURE S'EST PRISE ELLE SE REFUSE TOUJOURS SUR CE CIEL DÉLABRÉ INCONNUE LES HOMMES QUI CHANGENT NOUVEAUX POÈMES NE PLUS PARTAGER ABSENCES I ABSENCES II FIN DES CIRCONSTANCES BAIGNEUSE DU CLAIR AU SOMBRE PABLO PICASSO PREMIÈRE DU MONDE SOUS LA MENACE ROUGE CACHÉE L'AS DE TRÈFLE À LA FLAMME DES FOUETS À LA FLAMME DES FOUETS BOIRE ANDRÉ MASSON PAUL KLEE LES GERTRUDE HOFFMANN GIRLS PARIS PENDANT LA GUERRE L'ICÔNE AÉRÉE LE DIAMANT L'HIVER SUR LA PRAIRIE GRANDES CONSPIRATRICES LEURS YEUX TOUJOURS PURS MAX ERNST UNE LE PLUS JEUNE AU HASARD L'ABSOLUE NÉCESSITÉ ENTRE PEU D'AUTRES REVENIR DANS UNE VILLE GEORGES BRAQUE DANS LA BRUME LES NOMS LA NUIT ARP JOAN MIRO JOUR DE TOUT L'IMAGE D'HOMME LE MIROIR D'UN MOMENT TA CHEVELURE D'ORANGES LES LUMIÈRES DICTÉES TA BOUCHE AUX LÈVRES D'OR ELLE EST LE GRAND JOUR LA COURBE DE TES YEUX CELLE DE TOUJOURS, TOUTE RÉPÉTITIONS MAX ERNST Dans un coin l'inceste agile Tourne autour de la virginité d'une petite robe Dans un coin le ciel délivré Aux épines de l'orage laisse des boules blanches. Dans un coin plus clair de tous les yeux On attend les poissons d'angoisse. Dans un coin la voiture de verdure de l'été Immobile glorieuse et pour toujours. À la lueur de la jeunesse Des lampes allumées très tard La première montre ses seins qui tuent des insectes rouges. SUITE Pour l'éclat du jour des bonheurs en l'air Pour vivre aisément des goûts des couleurs Pour se régaler des amours pour rire Pour ouvrir les yeux au dernier instant Elle a toutes les complaisances. MANIE Après des années de sagesse Pendant lesquelles le monde était aussi transparent qu'une aiguille Roucouler s'agit-il d'autre chose? Après avoir rivalisé rendu grâces et dilapidé le trésor Plus d'une lèvre rouge avec un point rouge Et plus d'une jambe blanche avec un pied blanc Où nous croyons-nous donc? L'INVENTION La droite laisse couler du sable. Toutes les transformations sont possibles. Loin, le soleil aiguise sur les pierres sa hâte d'en finir. La description du paysage importe peu, Tout juste l'agréable durée des moissons. Clair avec mes deux yeux, Comme l'eau et le feu. * * * Quel est le rôle de la racine? Le désespoir a rompu tous ses liens Et porte les mains à sa tête. Un sept, un quatre, un deux, un un. Cent femmes dans la rue Que je ne verrai plus. * * * L'art d'aimer, l'art libéral, l'art de bien mourir, l'art de penser, l'art incohérent, l'art de fumer, l'art de jouir, l'art du moyen-âge, l'art décoratif, l'art de raisonner, l'art de bien raisonner, l'art poétique, l'art mécanique, l'art érotique, l'art d'être grand-père, l'art de la danse, l'art de voir, l'art d'agrément, l'art de caresser, l'art japonais, l'art de jouer, l'art de manger, l'art de torturer. * * * Je n'ai pourtant jamais trouvé ce que j'écris dans ce que j'aime. PLUS PRÈS DE NOUS Courir et courir délivrance Et tout trouver tout ramasser Délivrance et richesse Courir si vite que le fil casse Au bruit que fait un grand oiseau Un drapeau toujours dépassé. PORTE OUVERTE La vie est bien aimable Venez à moi, si je vais à vous c'est un jeu, Les anges des bouquets dont les fleurs changent de couleur. SUITE Dormir, la lune dans un œil et le soleil dans l'autre, Un amour dans la bouche, un bel oiseau dans les cheveux, Parée comme les champs, les bois, les routes et la mer, Belle et parée comme le tour du monde. Fuis à travers le paysage, Parmi les branches de fumée et tous les fruits du vent, Jambes de pierre aux bas de sable, Prise à la taille, à tous les muscles de rivière, Et le dernier souci sur un visage transformé. LA PAROLE J'ai la beauté facile et c'est heureux. Je glisse sur le toit des vents Je glisse sur le toit des mers Je suis devenue sentimentale Je ne connais plus le conducteur Je ne bouge plus soie sur les glaces Je suis malade fleurs et cailloux J'aime le plus chinois aux nues J'aime la plus nue aux écarts d'oiseau Je suis vieille mais ici je suis belle Et l'ombre qui descend des fenêtres profondes Épargne chaque soir le cœur noir de mes yeux. LA RIVIÈRE La rivière que j'ai sous la langue, L'eau qu'on n'imagine pas, mon petit bateau, Et, les rideaux baissés, parlons. L'OMBRE AUX SOUPIRS Sommeil léger, petite hélice, Petite, tiède, cœur à l'air. L'amour de prestidigitateur, Ciel lourd des mains, éclairs des veines, Courant dans la rue sans couleurs, Pris dans sa traîne de pavés, Il lâche le dernier oiseau De son auréole d'hier-- Dans chaque puits, un seul serpent. Autant rêver d'ouvrir les portes de la mer. NUL Ce qui se dit: J'ai traversé la rue pour ne plus être au soleil. Il fait trop chaud, même à l'ombre. Il y a la rue, quatre étages et ma fenêtre au soleil. Une casquette sur la tête, une casquette à la main, il vient me serrer la main. Voulez-vous ne pas crier comme ça, c'est de la folie! * * * Des aveugles invisibles préparent les linges du sommeil. La nuit, la lune et leur cœur se poursuivent. * * * À son tour un cri: «l'empreinte, l'empreinte, je ne vois plus l'empreinte. À la fin, je ne puis plus compter sur vous!» POÈMES Le cœur sur l'arbre vous n'aviez qu'à le cueillir, Sourire et rire, rire et douceur d'outre-sens. Vaincu, vainqueur et lumineux, pur comme un ange, Haut vers le ciel, avec les arbres. Au loin, geint une belle qui voudrait lutter Et qui ne peut, couchée au pied de la colline. Et que le ciel soit misérable ou transparent On ne peut la voir sans l'aimer. Les jours comme des doigts repliant leurs phalanges. Les fleurs sont desséchées, les graines sont perdues, La canicule attend les grandes gelées blanches. À l'œil du pauvre mort. Peindre des porcelaines. Une musique, bras blancs tout nus. Les vents et les oiseaux s'unissent--le ciel change. LIMITE Songe aux souffrances taillées sous des voiles fautifs Aux petits amateurs de rivières tournantes Où promenade pour noyade Nous irons sans plaisir Nous irons ramer Dans le cou des eaux Nous aurons un bateau. LES MOUTONS Ferme les yeux visage noir Ferme les jardins de la rue L'intelligence et la hardiesse L'ennui et la tranquillité Ces tristes soirs à tout moment Le verre et la porte vitrée Confortable et sensible Légère et l'arbre à fruits L'arbre à fleurs l'arbre à fruits Fuient. L'UNIQUE Elle avait dans la tranquillité de son corps Une petite boule de neige couleur d'œil Elle avait sur les épaules Une tache de silence une tache de rose Couvercle de son auréole Ses mains et des arcs souples et chanteurs Brisaient la lumière Elle chantait les minutes sans s'endormir. LA VIE Sourire aux visiteurs Qui sortent de leur cachette Quand elle sort elle dort. Chaque jour plus matinale Chaque saison plus nue Plus fraîche Pour suivre ses regards Elle se balance. NUL Il pose un oiseau sur la table et ferme les volets. Il se coiffe, ses cheveux dans ses mains sont plus doux qu'un oiseau. * * * Elle dit l'avenir. Et je suis chargé de le vérifier. * * * Le cœur meurtri, l'âme endolorie, les mains brisées, les cheveux blancs, les prisonniers, l'eau tout entière est sur moi comme une plaie à nu. INTÉRIEUR Dans quelques secondes Le peintre et son modèle Prendront la fuite. Plus de vertus Ou moins de malheurs J'aperçois une statue Une sorte d'amande Une médaille vernie Pour le plus grand ennui. À CÔTÉ La nuit plus longue et la route plus blanche. Lampes je suis plus près de vous que la lumière. Un papillon l'oiseau d'habitude Roue brisée de ma fatigue De bonne humeur place Signal vide et signal À l'éventail d'horloge. À CÔTÉ Soleil tremblant Signal vide et signal à l'éventail d'horloge Aux caresses unies d'une main sur le ciel Aux oiseaux entr'ouvrant le livre des aveugles Et d'une aile après l'autre entre cette heure et l'autre Dessinant l'horizon faisant tourner les ombres Qui limitent le monde quand j'ai les yeux baissés. L'IMPATIENT Si triste de ses faux calculs Qu'il inscrit ses nombres à l'envers Et s'endort. Une femme plus belle Et n'a jamais trouvé, Cherché les idées roses des quinze ans à peine, Ri sans le savoir, sans un compliment Aux jeunesses du temps. À la rencontre De ce qui passait à côté L'autre jour, De la femme qui s'ennuyait, Les mains à terre, Sous un nuage. La lampe s'allumait aux méfaits de l'orage Aux beaux jours d'Août sans défaillances, La caressante embrassait Pair, les joues de sa compagne, Fermait les yeux Et comme les feuilles le soir Se perdait à l'horizon. SANS MUSIQUE Les muets sont des menteurs, parle. Je suis vraiment en colère de parler seul Et ma parole Éveille des erreurs, Mon petit cœur. LUIRE Terre irréprochablement cultivée, Miel d'aube, soleil en fleurs, Coureur tenant encore par un fil au dormeur (Nœud par intelligences) Et le jetant sur son épaule: «Il n'a jamais été plus neuf, Il n'a jamais été si lourd.» Usure, il sera plus léger, Utile. Clair soleil d'été avec: Sa chaleur, sa douceur, sa tranquillité Et, vite, Les porteurs de fleurs en l'air touchent de la terre. LA GRANDE MAISON INHABITABLE Au milieu d'une île étonnante Que ses membres traversent Elle vit d'un monde ébloui. La chair que l'on montre aux curieux Attend là comme les récoltes La chute sur les rives. En attendant pour voir plus loin Les yeux plus grands ouverts sous le vent de ses mains Elle imagine que l'horizon a pour elle dénoué sa ceinture. LA MORT DANS LA CONVERSATION Qui a votre visage? La bonne et la mauvaise La belle imaginable Gymnastique à l'infini Dépassant en mouvements Les couleurs et les baisers Les grands gestes la nuit. RAISON DE PLUS Les lumières en l'air, L'air sur un tour moitié passé, moitié brillant, Faites entrer les enfants, Tous les saluts, tous les baisers, tous les remerciements. Autour de la bouche Son rire est toujours différent, C'est un plaisir, c'est un désir, c'est un tourment, C'est une folle, c'est la fleur, une créole qui passe. La nudité, jamais la même. Je suis bien laid. Au temps des soins, des neiges, herbes en soins, Neiges en foule, Au temps en heures fixes, Des souples satins des statues. Le temple est devenu fontaine Et la main remplace le cœur. Il faut m'avoir connu à cette époque pour m'aimer, sûr du lendemain. LESQUELS? Pendant qu'il est facile Et pendant qu'elle est gaie Allons nous habiller et nous déshabiller. RUBANS L'alarme matérielle où, sans excuse, apparaît la douleur future. C'est bien: presque insensible. C'est un signe de plus de dignité. Aucun étonnement, une femme ou un gracieux enfant de toile fine et de paille, idées de grandeur, Leurs yeux se sont levés plus tôt que le soleil. * * * Les sacrifiés font un geste qui ne dit rien parmi la dentelle de tous les autres gestes, imaginaires, à cinq ou six, vers le lieu de repos où il n'y a personne. Constaté qu'ils se sont réfugiés dans les branches nues d'une politesse désespérée, d'une couronne taillée à coups de vent. Prendre, cordes de la vie. Pouviez-vous prendre plus de libertés? * * * De petits instruments, Et les mains qui pétrissent un ballon pour le faire éclater, pour que le sang de l'homme lui jaillisse au visage. Et les ailes qui sont attachées comme la terre et la mer. L'AMI La photographie: un groupe. Si le soleil passait, Si tu bouges. Fards. À l'intérieur, blanche et vernie, Dans le tunnel. «Au temps des étincelles On débouchait la lumière.» Postérité, mentalité des gens. La bien belle peinture. L'épreuve, s'entendre. L'espoir des cantharides Est un bien bel espoir. VOLONTAIREMENT Aveugle maladroit, ignorant et léger, Aujourd'hui pour oublier, Le mois prochain pour dessiner, Les coins de rue, les allées à perte de vue. Je les imite pour m'étendre Dans une nuit profonde et large de mon âge. À LA MINUTE L'instrument Comme tu le vois. Espérons Et Espérons Adieu Ne t'avise pas Que les yeux Comme tu le vois Le jour et la nuit ont bien réussi. Je le regarde je le vois. PARFAIT Un miracle de sable fin Transperce les feuilles les fleurs Éclôt dans les fruits Et comble les ombres. Tout est enfin divisé Tout se déforme et se perd Tout se brise et disparaît La mort sans conséquences. Enfin La lumière n'a plus la nature Ventilateur gourmand étoile de chaleur Elle abandonne les couleurs Elle abandonne son visage Aveugle silencieuse Elle est partout semblable et vide. RONDE Sous un soleil ressort du paysage Une femme s'emballe Frise son ombre avec ses jambes Et d'elle seule espère les espoirs les plus mystérieux. Je la trouve sans soupçons sans aucun doute amoureuse Au lieu des chemins assemblés De la lumière en un point diminuée Et des mouvements impossibles La grande porte de la face Aux plans discutés adoptés Aux émotions de pensée Le voyage déguisé et l'arrivée de réconciliation La grande porte de la face La vue des pierres précieuses Le jeu du plus faible en plus fort. CE N'EST PAS LA POÉSIE QUI Avec des yeux pareils Que tout est semblable École de nu. Tranquillement Dans un visage délié Nous avons pris des garanties Un coup de main aux cheveux rapides La bouche de voluptueux inférieur joue et tombe Et nous lançons le menton qui tourne comme une toupie. ŒIL DE SOURD Faites mon portrait. Il se modifiera pour remplir tous les vides. Faites mon portrait sans bruit, seul le silence À moins que--s'il--sauf--excepté-- Je ne vous entends pas. Il s'agit, il ne s'agit plus. Je voudrais ressembler-- Fâcheuse coïncidence, entre autres grandes affaires. Sans fatigue, têtes nouées Aux mains de mon activité. MOURIR DE NE PAS MOURIR _à André Breton_ L'ÉGALITÉ DES SEXES Tes yeux sont revenus d'un pays arbitraire Où nul n'a jamais su ce que c'est qu'un regard Ni connu la beauté des yeux, beauté des pierres, Celle des gouttes d'eau, des perles en placards, Des pierres nues et sans squelette, ô ma statue, Le soleil aveuglant te tient lieu de miroir Et s'il semble obéir aux puissances du soir C'est que ta tête est close, ô statue abattue Par mon amour et par mes ruses de sauvage. Mon désir immobile est ton dernier soutien Et je t'emporte sans bataille, ô mon image, Rompue à ma faiblesse et prise dans mes liens. AU CŒUR DE MON AMOUR Un bel oiseau me montre la lumière Elle est dans ses yeux, bien en vue. Il chante sur une boule de gui Au milieu du soleil. * * * Les yeux des animaux chanteurs Et leurs chants de colère ou d'ennui M'ont interdit de sortir de ce lit. J'y passerai ma vie. L'aube dans des pays sans grâce Prend l'apparence de l'oubli. Et qu'une femme émue s'endorme, à l'aube, La tête la première, sa chute l'illumine. Constellations, Vous connaissez la forme de sa tête. Ici, tout s'obscurcit: Le paysage se complète, sang aux joues, Les masses diminuent et coulent dans mon cœur Avec le sommeil. Et qui donc veut me prendre le cœur? * * * Je n'ai jamais rêvé d'une si belle nuit. Les femmes du jardin cherchent à m'embrasser-- Soutiens du ciel, les arbres immobiles Embrassent bien l'ombre qui les soutient. Une femme au cœur pâle Met la nuit dans ses habits. L'amour a découvert la nuit Sur ses seins impalpables. Comment prendre plaisir à tout? Plutôt tout effacer. L'homme de tous les mouvements, De tous les sacrifices et de toutes les conquêtes Dort. Il dort, il dort, il dort. Il raye de ses soupirs la nuit minuscule, invisible. Il n'a ni froid, ni chaud. Son prisonnier s'est évadé--pour dormir. Il n'est pas mort, il dort. Quand il s'est endormi Tout l'étonnait, Il jouait avec ardeur, Il regardait, Il entendait. Sa dernière parole:«Si c'était à recommencer, je te rencontrerais sans te chercher.» Il dort, il dort, il dort. L'aube a eu beau lever la tête, Il dort. POUR SE PRENDRE AU PIÈGE C'est un restaurant comme les autres. Faut-il croire que je ne ressemble à personne? Une grande femme, à côté de moi, bat des œufs avec ses doigts. Un voyageur pose ses vêtements sur une table et me tient tête. Il a tort, je ne connais aucun mystère, je ne sais même pas la signification du mot: mystère, je n'ai jamais rien cherché, rien trouvé, il a tort d'insister. L'orage qui, par instants, sort de la brume me tourne les yeux et les épaules. L'espace a alors des portes et des fenêtres. Le voyageur me déclare que je ne suis plus le même. Plus le même! Je ramasse les débris de toutes mes merveilles. C'est la grande femme qui m'a dit que ce sont des débris de merveilles, ces débris. Je les jette aux ruisseaux vivaces et pleins d'oiseaux. La mer, la calme mer est entre eux comme le ciel dans la lumière. Les couleurs aussi, si l'on me parle des couleurs, je ne regarde plus. Parlez-moi des formes, j'ai grand besoin d'inquiétude. Grande femme, parle-moi des formes, ou bien je m'endors et je mène la grande vie, les mains prises dans la tête et la tête dans la bouche, dans la bouche bien close, langage intérieur. L'AMOUREUSE Elle est debout sur mes paupières Et ses cheveux sont dans les miens, Elle a la forme de mes mains, Elle a la couleur de mes yeux, Elle s'engloutit dans mon ombre Comme une pierre sur le ciel. Elle a toujours les yeux ouverts Et ne me laisse pas dormir. Ses rêves en pleine lumière Font s'évaporer les soleils, Me font rire, pleurer et rire, Parler sans avoir rien à dire. LE SOURD ET L'AVEUGLE Gagnerons-nous la mer avec des cloches Dans nos poches, avec le bruit de la mer Dans la mer, ou bien serons-nous les porteurs D'une eau plus pure et silencieuse? L'eau se frottant les mains aiguise des couteaux Les guerriers ont trouvé leurs armes dans les flots Et le bruit de leurs coups est semblable à celui Des rochers défonçant dans la nuit les bateaux. C'est la tempête et le tonnerre. Pourquoi pas le silence Du déluge, car nous avons en nous tout l'espace rêvé Pour le plus grand silence et nous respirerons Comme le vent des mers terribles, comme le vent Qui rampe lentement sur tous les horizons. L'HABITUDE Toutes mes petites amies sont bossues: Elles aiment leur mère. Tous mes animaux sont obligatoires, Ils ont des pieds de meuble Et des mains de fenêtre. Le vent se déforme, Il lui faut un habit sur mesure, Démesuré. Voilà pourquoi Je dis la vérité sans la dire. DANS LA DANSE Petite table enfantine, il y a des femmes dont les yeux sont comme des morceaux de sucre, il y a des femmes graves comme les mouvements de l'amour qu'on ne surprend pas il y a des femmes au visage pâle d'autres comme le ciel à la veille du vent. Petite table dorée des jours de fête, il y a des femmes de bois vert et sombre: celles qui pleurent, de bois sombre et vert: celles qui rient. Petite table trop basse ou trop haute, il y a des femmes grasses avec des ombres légères, il y a des robes creuses, des robes sèches, des robes que l'on porte chez soi et que l'amour ne fait jamais sortir. Petite table, je n'aime pas les tables sur lesquelles je danse, je ne m'en doutais pas. LE JEU DE CONSTRUCTION _À Raymond Roussel._ L'homme s'enfuit, le cheval tombe, La porte ne peut pas s'ouvrir, L'oiseau se tait, creusez sa tombe, Le silence le fait mourir. Un papillon sur une branche Attend patiemment l'hiver, Son cœur est lourd, la branche penche, La branche se plie comme un ver. Pourquoi pleurer la fleur séchée Et pourquoi pleurer les lilas? Pourquoi pleurer la rose d'ambre? Pourquoi pleurer la pensée tendre? Pourquoi chercher la fleur cachée Si l'on n'a pas de récompense? --Mais pour ça, ça et ça. ENTRE AUTRES À l'ombre des arbres Comme au temps des miracles, Au milieu des hommes Comme la plus belle femme Sans regrets, sans honte, J'ai quitté le monde. --Qu'avez-vous vu? --Une femme jeune, grande et belle En robe noire très décolletée. GIORGIO DE CHIRICO Un mur dénonce un autre mur Et l'ombre me défend de mon ombre peureuse. Ô tour de mon amour autour de mon amour, Tous les murs filaient blanc autour de mon silence. Toi, que défendais-tu? Ciel insensible et pur Tremblant tu m'abritais. La lumière en relief Sur le ciel qui n'est plus le miroir du soleil, Les étoiles de jour parmi les feuilles vertes, Le souvenir de ceux qui parlaient sans savoir, Maîtres de ma faiblesse et je suis à leur place Avec des yeux d'amour et des mains trop fidèles Pour dépeupler un monde dont je suis absent. BOUCHE USÉE Le rire tenait sa bouteille À la bouche riait la mort Dans tous les lits où l'on dort Le ciel sous tous les corps sommeille Un clair ruban vert à l'oreille Trois boules une bague en or Elle porte sans effort Une ombre aux lumières pareille Petite étoile des vapeurs Au soir des mers sans voyageurs Des mers que le ciel cruel fouille Délices portées à la main Plus douce poussière à la fin Les branches perdues sous la rouille. DANS LE CYLINDRE DES TRIBULATIONS Que le monde m'entraîne et j'aurai des souvenirs. Trente filles au corps opaque, trente filles divinisées par l'imagination, s'approchent de l'homme qui repose dans la petite vallée de la folie. L'homme en question joue avec ferveur. Il joue contre lui-même et gagne. Les trente filles en ont vite assez. Les caresses du jeu ne sont pas celles de l'amour et le spectacle n'en est pas aussi charmant, séduisant et agréable. Je parle de trente filles au corps opaque et d'un joueur heureux. Il y a aussi, dans une ville de laine et de plumes, un oiseau sur le dos d'un mouton. Le mouton, dans les fables, mène l'oiseau en paradis. Il y a aussi les siècles personnifiés, la grandeur des siècles présents, le vertige des années défendues et des fruits perdus. Que les souvenirs m'entraînent et j'aurai des yeux ronds comme le monde. DENISE DISAIT AUX MERVEILLES: Le soir traînait des hirondelles. Les hiboux Partageaient le soleil et pesaient sur la terre Comme les pas jamais lassés d'un solitaire Plus pâle que nature et dormant tout debout. Le soir traînait des armes blanches sur nos têtes. Le courage brûlait les femmes parmi nous, Elles pleuraient, elles criaient comme des bêtes, Les hommes inquiets s'étaient mis à genoux. Le soir, un rien, une hirondelle qui dépasse, Un peu de vent, les feuilles qui ne tombent plus, Un beau détail, un sortilège sans vertus Pour un regard qui n'a jamais compris l'espace. LA BÉNÉDICTION À l'aventure, en barque, au nord. Dans la trompette des oiseaux Les poissons dans leur élément. L'homme qui creuse sa couronne Allume un brasier dans la cloche, Un beau brasier-nid-de-fourmis. Et le guerrier bardé de fer Que l'on fait rôtir à la broche Apprend l'amour et la musique. LA MALÉDICTION Un aigle, sur un rocher, contemple l'horizon béat. Un aigle défend le mouvement des sphères. Couleurs douces de la charité, tristesse, lueurs sur les arbres décharnés, lyre en étoile d'araignée, les hommes qui sous tous les cieux se ressemblent sont aussi bêtes sur la terre qu'au ciel. Et celui qui traîne un couteau dans les herbes hautes, dans les herbes de mes yeux, de mes cheveux et de mes rêves, celui qui porte dans ses bras tous les signes de l'ombre, est tombé, tacheté d'azur, sur les fleurs à quatre couleurs. SILENCE DE L'ÉVANGILE Nous dormons avec des anges rouges qui nous montrent le désert sans minuscules et sans les doux réveils désolés. Nous dormons. Une aile nous brise, évasion, nous avons des roues plus vieilles que les plumes envolées, perdues, pour explorer les cimetières de la lenteur, la seule luxure. * * * La bouteille que nous entourons des linges de nos blessures ne résiste à aucune envie. Prenons les cœurs, les cerveaux, les muscles de la rage, prenons les fleurs invisibles des blêmes jeunes filles et des enfants noués, prenons la main de la mémoire, fermons les yeux du souvenir, une théorie d'arbres délivrés par les voleurs nous frappe et nous divise, tous les morceaux sont bons. Qui les rassemblera: la terreur, la souffrance ou le dégoût? * * * Dormons, mes frères. Le chapitre inexplicable est devenu incompréhensible. Des géants passent en exhalant des plaintes terribles, des plaintes de géant, des plaintes comme l'aube veut en pousser, l'aube qui ne peut ne plus se plaindre, depuis le temps, mes frères, depuis le temps. SANS RANCUNE Larmes des yeux, les malheurs des malheureux. Malheurs sans intérêt et larmes sans couleurs. Il ne demande rien, il n'est pas insensible, Il est triste en prison et triste s'il est libre. Il fait un triste temps, il fait une nuit noire À ne pas mettre un aveugle dehors. Les forts Sont assis, les faibles tiennent le pouvoir Et le roi est debout près de la reine assise. Sourires et soupirs, des injures pourrissent Dans la bouche des muets et dans les yeux des lâches. Ne prenez rien: ceci brûle, cela flambe! Vos mains sont faites pour vos poches et vos fronts. * * * Une ombre... Toute l'infortune du monde Et mon amour dessus Comme une bête nue. CELLE QUI N'A PAS LA PAROLE Les feuilles de couleur dans les arbres nocturnes Et la liane verte et bleue qui joint le ciel aux arbres, Le vent à la grande figure Les épargne. Avalanche, à travers sa tête transparente La lumière, nuée d'insectes, vibre et meurt. Miracle dévêtu, émiettement, rupture Pour un seul être. La plus belle inconnue Agonise éternellement. Étoiles de son cœur aux yeux de tout le monde. NUDITÉ DE LA VÉRITÉ «_Je le sais bien_» Le désespoir n'a pas d'ailes, L'amour non plus, Pas de visage, Ne parlent pas, Je ne bouge pas, Je ne les regarde pas, Je ne leur parle pas Mais Je suis bien aussi vivant que mon amour et que mon désespoir. PERSPECTIVE Un millier de sauvages S'apprêtent à combattre. Ils ont des armes, Ils ont leur cœur, grand cœur, Et s'alignent avec lenteur Devant un millier d'arbres verts Qui, sans en avoir l'air, Tiennent encore à leur feuillage. TA FOI Suis-je autre chose que ta force? Ta force dans tes bras, Ta tête dans tes bras, Ta force dans le ciel décomposé, Ta tête lamentable, Ta tête que je porte. Tu ne joueras plus avec moi, Héroïne perdue, Ma force bouge dans tes bras. MASCHA RIAIT AUX ANGES L'heure qui tremble au front du temps tout embrouillé Un bel oiseau léger plus vif qu'une poussière Traîne sur un miroir un cadavre sans tête Des boules de soleil adoucissent ses ailes Et le vent de son vol affole la lumière Le meilleur a été découvert loin d'ici. LES PETITS JUSTES SUR LA MAISON DU RIRE Sur la maison du rire Un oiseau rit dans ses ailes. Le monde est si léger Qu'il n'est plus à sa place Et si gai Qu'il ne lui manque rien. POURQUOI SUIS-JE SI BELLE? Pourquoi suis-je si belle? Parce que mon maître me lave. AVEC TES YEUX Avec tes yeux je change comme avec les lunes Et je suis tour à tour et de plomb et de plume, Une eau mystérieuse et noire qui t'enserre Ou bien dans tes cheveux ta légère victoire. UNE COULEUR MADAME Une couleur madame, une couleur monsieur, Une aux seins, une aux cheveux, La bouche des passions Et si vous voyez rouge La plus belle est à vos genoux. À FAIRE RIRE LA CERTAINE À faire rire la certaine, Était-elle en pierre? Elle s'effondra. LE MONSTRE DE LA FUITE Le monstre de la fuite hume même les plumes De cet oiseau roussi par le feu du fusil. Sa plainte vibre tout le long d'un mur de larmes Et les ciseaux des yeux coupent la mélodie Qui bourgeonnait déjà dans le cœur du chasseur. LA NATURE S'EST PRISE La nature s'est prise aux filets de ta vie. L'arbre, ton ombre, montre sa chair nue: le ciel. Il a la voix du sable et les gestes du vent Et tout ce que tu dis bouge derrière toi. ELLE SE REFUSE TOUJOURS Elle se refuse toujours à comprendre, à entendre, Elle rit pour cacher sa terreur d'elle-même. Elle a toujours marché sous les arches des nuits Et partout où elle a passé Elle a laissé L'empreinte des choses brisées. SUR CE CIEL DÉLABRÉ Sur ce ciel délabré, sur ces vitres d'eau douce, Quel visage viendra, coquillage sonore, Annoncer que la nuit de l'amour touche au jour, Bouche ouverte liée à la bouche fermée. INCONNUE Inconnue, elle était ma forme préférée, Celle qui m'enlevait le souci d'être un homme, Et je la vois et je la perds et je subis Ma douleur, comme un peu de soleil dans l'eau froide. LES HOMMES QUI CHANGENT Les hommes qui changent et se ressemblent Ont, au cours de leurs jours, toujours fermé les yeux Pour dissiper la brume de dérision Etc... NOUVEAUX POÈMES _à G._ NE PLUS PARTAGER Au soir de la folie, nu et clair, L'espace entre les choses a la forme de mes paroles La forme des paroles d'un inconnu, D'un vagabond qui dénoue la ceinture de sa gorge Et qui prend les échos au lasso. Entre des arbres et des barrières, Entre des murs et des mâchoires, Entre ce grand oiseau tremblant Et la colline qui l'accable, L'espace a la forme de mes regards. Mes yeux sont inutiles, Le règne de la poussière est fini, La chevelure de la route a mis son manteau rigide, Elle ne fuit plus, je ne bouge plus, Tous les ponts sont coupés, le ciel n'y passera plus Je peux bien n'y plus voir. Le monde se détache de mon univers Et, tout au sommet des batailles, Quand la saison du sang se fane dans mon cerveau, Je distingue le jour de cette clarté d'homme Qui est la mienne, Je distingue le vertige de la liberté, La mort de l'ivresse, Le sommeil du rêve, Ô reflets sur moi-même! ô mes reflets sanglants! ABSENCES I La plate volupté et le pauvre mystère Que de n'être pas vu. Je vous connais, couleur des arbres et des villes, Entre nous est la transparence de coutume Entre les regards éclatants. Elle roule sur pierres Comme l'eau se dandine. D'un côté de mon cœur des vierges s'obscurcissent, De l'autre la main douce est au flanc des collines. La courbe de peu d'eau provoque cette chute, Ce mélange de miroirs. Lumières de précision, je ne cligne pas des yeux, Je ne bouge pas, Je parle Et quand je dors Ma gorge est une bague à l'enseigne de tulle. ABSENCES II Je sors au bras des ombres, Je suis au bas des ombres, Seul. La pitié est plus haut et peut bien y rester, La vertu se fait l'aumône de ses seins Et la grâce s'est prise dans les filets de ses paupières. Elle est plus belle que les figures des gradins, Elle est plus dure, Elle est en bas avec les pierres et les ombres. Je l'ai rejointe. C'est ici que la clarté livre sa dernière bataille. Si je m'endors, c'est pour ne plus rêver. Quelles seront alors les armes de mon triomphe? Dans mes yeux grands ouverts le soleil fait les joints, Ô jardin de mes yeux! Tous les fruits sont ici pour figurer des fleurs, Des fleurs dans la nuit, Une fenêtre de feuillage S'ouvre soudain dans son visage. Où poserai-je mes lèvres, nature sans rivage? Une femme est plus belle que le monde où je vis Et je ferme les yeux. Je sors au bras des ombres, Je suis au bas des ombres. Et des ombres m'attendent. FIN DES CIRCONSTANCES Un bouquet tout défait brûle les coqs des vagues Et le plumage entier de la perdition Rayonne dans la nuit et dans la mer du ciel. Plus d'horizon, plus de ceinture, Les naufragés, pour la première fois, font des gestes qui ne les soutiennent pas. Tout se diffuse, rien ne s'imagine plus. BAIGNEUSE DU CLAIR AU SOMBRE L'après-midi du même jour. Légère, tu bouges et, légers, le sable et la mer bougent. Nous admirons l'ordre des choses, l'ordre des pierres, l'ordre des clartés, l'ordre des heures. Mais cette ombre qui disparaît et cet élément douloureux, qui disparaît. Le soir, la noblesse est partie de ce ciel. Ici, tout se blottit dans un feu qui s'éteint. Le soir. La mer n'a plus de lumière et, comme aux temps anciens, tu pourrais dormir dans la mer. PABLO PICASSO Les armes du sommeil ont creusé dans la nuit Les sillons merveilleux qui séparent nos têtes. À travers le diamant, toute médaille est fausse, Sous le ciel éclatant, la terre est invisible. Le visage du cœur a perdu ses couleurs Et le soleil nous cherche et la neige est aveugle. Si nous l'abandonnons, l'horizon a des ailes Et nos regards au loin dissipent les erreurs. PREMIÈRE DU MONDE _À Pablo Picasso._ Captive de la plaine, agonisante folle, La lumière sur toi se cache, vois le ciel: Il a fermé les yeux pour s'en prendre à ton rêve, Il a fermé ta robe pour briser tes chaînes. Devant les roues toutes nouées Un éventail rit aux éclats. Dans les traîtres filets de l'herbe Les routes perdent leur reflet. Ne peux-tu donc prendre les vagues Dont les barques sont les amandes Dans ta paume chaude et câline Ou dans les boucles de ta tête? Ne peux-tu prendre les étoiles? Écartelée, tu leur ressembles, Dans leur nid de feu tu demeures Et ton éclat s'en multiplie. De l'aube baillonnée un seul cri veut jaillir, Un soleil tournoyant ruisselle sous l'écorce. Il ira se fixer sur tes paupières closes. Ô douce, quand tu dors, la nuit se mêle au jour. SOUS LA MENACE ROUGE Sous la menace rouge d'une épée, défaisant sa chevelure qui guide des baisers, qui montre à quel endroit le baiser se repose, elle rit. L'ennui, sur son épaule, s'est endormi. L'ennui ne s'ennuie qu'avec elle qui rit, la téméraire, et d'un rire insensé, d'un rire de fin du jour semant sous tous les ponts des soleils rouges, des lunes bleues, fleurs fanées d'un bouquet désenchanté. Elle est comme une grande voiture de blé et ses mains germent et nous tirent la langue. Les routes qu'elle traîne derrière elle sont ses animaux domestiques et ses pas majestueux leur ferment les yeux. CACHÉE Le jardinage est la passion, belle bête de jardinier. Sous les branches, sa tête semblait couverte de pattes légères d'oiseaux. À un fils qui voit dans les arbres. L'AS DE TRÈFLE Elle joue comme nul ne joue et je suis seul à la regarder. Ce sont ses yeux qui la ramènent dans mes songes. Presque immobile, à l'aventure. Et cet autre qu'elle prend par les ailes de ses oreilles a gardé la forme de ses auréoles. Dans l'accolade de ses mains, une hirondelle aux cheveux plats se débat sans espoir. Elle est aveugle. À LA FLAMME DES FOUETS Ces beaux murs blancs d'apothéose Me sont d'une grande utilité. Tout au sérieux, celui qui ne paie pas les dégâts Jongle avec ton trousseau, reine des lavandes. Est-il libre? Sa gorge montre d'un doigt impérieux Des corridors où glissent les sifflets de ses chevilles. Son teint, de l'aube au soir, démode ses tatouages Et l'asile de ses yeux a des portes sans nuages. Ô régicide! ton corset appartient aux mignons Et aux mignonnes de toutes sortes. Ta chair simple s'y développe, Tu t'y pourlèches dans la pourpre, ô nouveau médiateur! Par les fentes de ton sourire s'envole un animal hurleur Qui ne jouit que dans les hauteurs. À LA FLAMME DES FOUETS Métal qui nuit, métal de jour, étoile au nid, Pointe à frayeur, fruit en guenilles, amour rapace, Porte-couteau, souillure vaine, lampe inondée, Souhaits d'amour, fruits de dégoût, glaces prostituées. Bien sûr, bonjour à mon visage! La lumière y sonne plus clair un grand désir qu'un paysage. Bien sûr, bonjour à vos harpons, À vos cris, à vos bonds, à votre ventre qui se cache! J'ai perdu, j'ai gagné, voyez sur quoi je suis monté. BOIRE Les bouches ont suivi le chemin sinueux Du verre ardent, du verre d'astre Et dans le puits d'une étincelle Ont mangé le cœur du silence. Plus un mélange n'est absurde-- C'est ici que l'on voit le créateur de mots, Celui qui se détruit dans les fils qu'il engendre Et qui nomme l'oubli de tous les noms du monde. Quand le fond du verre est désert, Quand le fond du verre est fané Les bouches frappent sur le verre Comme sur un mort. ANDRÉ MASSON La cruauté se noue et la douceur agile se dénoue. L'amant des ailes prend des visages bien clos, les flammes de la terre s'évadent par les seins et le jasmin des mains s'ouvre sur une étoile. Le ciel tout engourdi, le ciel qui se dévoue n'est plus sur nous. L'oubli, mieux que le soir, l'efface. Privée de sang et de reflets, la cadence des tempes et des colonnes subsiste. Les lignes de la main, autant de branches dans le vent tourbillonnant. Rampe des mois d'hiver, jour pâle d'insomnie, mais aussi, dans les chambres les plus secrètes de l'ombre, la guirlande d'un corps autour de sa splendeur. PAUL KLEE Sur la pente fatale, le voyageur profite De la faveur du jour, verglas et sans cailloux, Et les yeux bleus d'amour, découvre sa saison Qui porte à tous les doigts de grands astres en bague. Sur la plage la mer a laissé ses oreilles Et le sable creusé la place d'un beau crime. Le supplice est plus dur aux bourreaux qu'aux victimes Les couteaux sont des signes et les balles des larmes. LES GERTRUDE HOFFMANN GIRLS Gertrude, Dorothy, Mary, Claire, Alberta, Charlotte, Dorothy, Ruth, Catherine, Emma, Louise, Margaret, Ferrai, Harriet, Sara, Florence toute nue, Margaret, Toots, Thelma, Belles-de-nuit, belles-de-feu, belles-de-pluie, Le cœur tremblant, les mains cachées, les yeux au vent Vous me montrez les mouvements de la lumière, Vous échangez un regard clair pour un printemps, Le tour de votre taille pour un tour de fleur, L'audace et le danger pour votre chair sans ombre, Vous échangez l'amour pour des frissons d'épées Et le rire inconscient pour des promesses d'aube. Vos danses sont le gouffre effrayant de mes songes Et je tombe et ma chute éternise ma vie, L'espace sous vos pieds est de plus en plus vaste, Merveilles, vous dansez sur les sources du ciel. PARIS PENDANT LA GUERRE «_Amoureux d'une statue._» Les bêtes qui descendent des faubourgs en feu, Les oiseaux qui secouent leurs plumes meurtrières, Les terribles ciels jaunes, les nuages tout nus Ont, en toute saison, fêté cette statue. Elle est belle, statue vivante de l'amour. Ô neige de midi, soleil sur tous les ventres, Ô flammes du sommeil sur un visage d'ange Et sur toutes les nuits et sur tous les visages. Silence. Le silence éclatant de ses rêves Caresse l'horizon. Ses rêves sont les nôtres Et les mains de désir qu'elle impose à son glaive Enivrent d'ouragans le monde délivré. L'ICÔNE AÉRÉE L'icône aérée qui se conjugue isolément peut faire une place décisive à la plus fausse des couronnes ovales, crâne de Dieu, polluée par la terreur. L'os gâté par l'eau, ironie à flots irrités qui domine de ses yeux froids comme l'aiguille sur la machine des bonnes mères la tranche du globe que nous n'avons pas choisie. Doux constructeurs las des églises, doux constructeurs aux tempes de briques roses, aux yeux grillés d'espoir, la tâche que vous deviez faire est pour toujours inachevée. Maisons plus fragiles que les paupières d'un mourant, allaient-ils s'y employer à qui perd gagne? Boîtes de perles avec, aux vitres, des visages multicolores qui ne se doutent jamais de la pluie ou du beau temps, du soleil d'ivoire ou de la lune tour à tour de soufre et d'acajou, grands animaux immobiles dans les veines du temps, l'aube de midi, l'aube de minuit, l'aube qui n'a jamais rien commencé ni rien fini, cette cloche qui partout et sans cesse sonne le milieu, le cœur de toute chose, ne vous gênera pas. Grandes couvertures de plomb sur des chevelures lisses et odorantes, grand amour transparent sur des corps printaniers, délicats esclaves des prisonniers, vos gestes sont les échelles de votre force, vos larmes ont terni l'insouciance de vos maîtres impuissants, et désormais vous pouvez rire effrontément, rire, bouquet d'épées, rire, vent de poussière, rire comme arcs-en-ciel tombés de leur balance, comme un poisson géant qui tourne sur lui-même. La liberté a quitté votre corps. LE DIAMANT Le diamant qu'il ne t'a pas donné, c'est parce qu'il l'a eu à la fin de sa vie, il n'en connaissait plus la musique, il ne pouvait plus le lancer en l'air, il avait perdu l'illusion du soleil, il ne voyait plus la pierre de ta nudité, chaton de cette bague tournée vers toi. De l'arabesque qui fermait les lieux d'ivresse, la ronce douce, squelette de ton pouce et tous ces signes précurseurs de l'incendie animal qui dévorera en un clin de retour de flamme ta grâce de la Sainte-Claire. Dans les lieux d'ivresse, la bourrasque de palmes et de vin noir fait rage. Les figures dentelées du jugement d'hier conservent aux journées leurs heures entr'ouvertes. Es-tu sûre, héroïne aux sens de phare, d'avoir vaincu la miséricorde et l'ombre, ces deux sœurs lavandières, prenons-les à la gorge, elles ne sont pas jolies et pour ce que nous voulons en faire, le monde se détachera bien assez vite de leur crinière peignant l'encens sur le bord des fontaines. L'HIVER SUR LA PRAIRIE L'hiver sur la prairie apporte des souris. J'ai rencontré la jeunesse. Toute nue aux plis de satin bleu, Elle riait du présent, mon bel esclave. Les regards dans les rênes du coursier, Délivrant le bercement des palmes de mon sang, Je découvre soudain le raisin des façades couchées sur le soleil, Fourrure du drapeau des détroits insensibles. La consolation graine perdue, Le remords pluie fondue, La douleur bouche en cœur Et mes larges mains luttent. La tête antique du modèle Rougit devant ma modestie. Je l'ignore, je la bouscule. Ô! lettre aux timbres incendiaires Qu'un bel espion n'envoya pas. Il glissa une hache de pierre Dans la chemise de ses filles, De ses filles tristes et paresseuses. À terre, à terre tout ce qui nage! À terre, à terre tout ce qui vole! J'ai besoin des poissons pour porter ma couronne Autour de mon front, J'ai besoin des oiseaux pour parler à la foule. GRANDES CONSPIRATRICES Grandes conspiratrices, routes sans destinée, croisant l'x de mes pas hésitants, nattes gonflées de pierres ou de neige, puits légers dans l'espace, rayons de la roue des voyages, routes de brises et d'orages, routes viriles dans les champs humides, routes féminines dans les villes, ficelles d'une toupie folle, l'homme, à vous fréquenter, perd son chemin et cette vertu qui le condamne aux buts. Il dénoue sa présence, il abdique son image et rêve que les étoiles vont se guider sur lui. LEURS YEUX TOUJOURS PURS Jours de lenteur, jours de pluie, Jours de miroirs brisés et d'aiguilles perdues, Jours de paupières closes à l'horizon des mers, D'heures toutes semblables, jours de captivité, Mon esprit qui brillait encore sur les feuilles Et les fleurs, mon esprit est nu comme l'amour, L'aurore qu'il oublie lui fait baisser la tête Et contempler son corps obéissant et vain. Pourtant, j'ai vu les plus beaux yeux du monde, Dieux d'argent qui tenaient des saphirs dans leurs mains, De véritables dieux, des oiseaux dans la terre Et dans l'eau, je les ai vus. Leurs ailes sont les miennes, rien n'existe Que leur vol qui secoue ma misère, Leur vol d'étoile et de lumière Leur vol de terre, leur vol de pierre Sur les flots de leurs ailes, Ma pensée soutenue par la vie et la mort. MAX ERNST Dévoré par les plumes et soumis à la mer, Il a laissé passer son ombre dans le vol Des oiseaux de la liberté. Il a laissé La rampe à ceux qui tombent sous la pluie, Il a laissé leur toit à tous ceux qui se vérifient. Son corps était en ordre, Le corps des autres est venu disperser Cette ordonnance qu'il tenait De la première empreinte de son sang sur terre. Ses yeux sont dans un mur Et son visage est leur lourde parure. Un mensonge de plus du jour, Une nuit de plus, il n'y a plus d'aveugles. UNE Je suis tombé de ma fureur, la fatigue me défigure, mais je vous aperçois encore, femmes bruyantes, étoiles muettes, je vous apercevrai toujours, folie. Et toi, le sang des astres coule en toi, leur lumière te soutient. Sur les fleurs, tu te dresses avec les fleurs, sur les pierres avec les pierres. Blanche éteinte des souvenirs, étalée, étoilée, rayonnante de tes larmes qui fuient. Je suis perdu. LE PLUS JEUNE Au plafond de la libellule Un enfant fou s'est pendu, Fixement regarde l'herbe, Confiant lève les yeux: Le brouillard léger se lèche comme un chat Qui se dépouille de ses rêves. L'enfant sait que le monde commence à peine Tout est transparent, C'est la lune qui est au centre de la terre, C'est la verdure qui couvre le ciel Et c'est dans les yeux de l'enfant, Dans ses yeux sombres et profonds Comme les nuits blanches Que naît la lumière. AU HASARD Au hasard une épopée, mais bien finie maintenant, Tous les actes sont prisonniers D'esclaves à barbe d'ancêtre Et les paroles coutumières Ne valent que dans leur mémoire. Au hasard tout ce qui brûle, tout ce qui ronge, Tout ce qui use, tout ce qui mord, tout ce qui tue, Mais ce qui brille tous les jours C'est l'accord de l'homme et de l'or, C'est un regard lié à la terre. Au hasard une délivrance, Au hasard l'étoile filante Et l'éternel ciel de ma tête S'ouvre plus large à son soleil, À l'éternité du hasard. L'ABSOLUE NÉCESSITÉ L'absolue nécessité, l'absolu désir, découdre tous ces habits, le plomb de la verdure qui dort sous la feuillée avec un tapis rouge dans les cheveux d'ordre et de brûlures semant la pâleur, l'azurine de teinte de la poudre d'or du chercheur de noir au fond du rideau dur et renâclant l'humide désertion, poussant le verre ardent, hachure dépendant de l'éternité délirante du pauvre, la machine se disperse et retrouve la ronde armature des rousses au désir de sucre rouge. Le fleuve se détend, passe avec adresse dans le soleil, regarde la nuit, la trouve belle et à son goût, passe son bras sous le sien et redouble de brutalité, la douceur étant la conjonction d'un œil fermé avec un œil ouvert ou du dédain avec l'enthousiasme, du refus avec la confiance et de la haine avec l'amour, voyez quand même la barrière de cristal que l'homme a fermé devant l'homme, il restera pris par les rubans de sa crinière de troupeaux, de foules, de processions, d'incendies, de semailles, de voyages, de réflexions, d'épopées, de chaînes, de vêtements jetés, de virginités arrachées, de batailles, de triomphes passés ou futurs, de liquides, de satisfactions, de rancunes, d'enfants abandonnés, de souvenirs, d'espoirs, de familles, de races, d'armées, de miroirs, d'enfants de chœur, de chemins de croix, de chemins de fer, de traces, d'appels, de cadavres, de larcins, de pétrifications, de parfums, de promesses, de pitié, de vengeances, de délivrances--dis-je--de délivrances comme au son des clairons ordonnant au cerveau de ne plus se laisser distraire par les masques successifs et féminins d'un hasard d'occasion, aux prunelles des haies, la cavalcade sanglante et plus douce au cœur de l'homme averti de la paix que la couronne des rêves, insouciante des ruines du sommeil. ENTRE PEU D'AUTRES _À Philippe Soupault_ Ses yeux ont tout un ciel de larmes. Ni ses paupières, ni ses mains Ne sont une nuit suffisante Pour que sa douleur s'y cache. Il ira demander Au Conseil des Visages S'il est encore capable De chasser sa jeunesse Et d'être dans la plaine Le pilote du vent. C'est une affaire d'expérience: Il prend sa vie par le milieu. Seuls, les plateaux de la balance... REVENIR DANS UNE VILLE Revenir dans une ville de velours et de porcelaine, les fenêtres seront des vases où les fleurs, qui auront quitté la terre, montreront la lumière telle qu'elle est. Voir le silence, lui donner un baiser sur les lèvres et les toits de la ville seront de beaux oiseaux mélancoliques, aux ailes décharnées. Ne plus aimer que la douceur et l'immobilité à l'œil de plâtre, au front de nacre, à l'œil absent, au front vivant, aux mains qui, sans se fermer, gardent tout sur leurs balances, les plus justes du monde, invariables, toujours exactes. Le cœur de l'homme ne rougira plus, il ne se perdra plus, je reviens de moi-même, de toute éternité. GEORGES BRAQUE Un oiseau s'envole, Il rejette les nues comme un voile inutile, Il n'a jamais craint la lumière, Enfermé dans son vol, Il n'a jamais eu d'ombre. Coquilles des moissons brisées par le soleil. Toutes les feuilles dans les bois disent oui, Elles ne savent dire que oui, Toute question, toute réponse Et la rosée coule au fond de ce oui. Un homme aux yeux légers décrit le ciel d'amour. Il en rassemble les merveilles Comme des feuilles dans un bois, Comme des oiseaux dans leurs ailes Et des hommes dans le sommeil. DANS LA BRUME Dans la brume où des verres d'eau s'entrechoquent, où les serpents cherchent du lait, un monument de laine et de soie disparaît. C'est là que, la nuit dernière, apportant leur faiblesse, toutes les femmes entrèrent. Le monde n'était pas fait pour leurs promenades incessantes, pour leur démarche languissante, pour leur recherche de l'amour. Grand pays de bronze de la belle époque, par tes chemins en pente douce, l'inquiétude a déserté. Il faudra se passer des gestes plus doux que l'odeur, des yeux plus clairs que la puissance, il y aura des cris, des pleurs, des jurons et des grincements de dents. Les hommes qui se coucheront ne seront plus désormais que les pères de l'oubli. À leurs pieds le désespoir aura la belle allure des victoires sans lendemain, des auréoles sous le beau ciel bleu dont nous étions parés. Un jour, ils en seront las, un jour ils seront en colère, aiguilles de feu, masques de poix et de moutarde, et la femme se lèvera, avec des mains dangereuses, avec des yeux de perdition, avec un corps dévasté, rayonnant à toute heure. Et le soleil refleurira, comme le mimosa. LES NOMS: CHÉRI-BIBI, GASTON LEROUX. Il a dû bien souffrir avec ces oiseaux! Il a pris le goût des animaux, faudra-t-il le manger? Mais il gagne son temps et roule vers le paradis. C'est BOUCHE-DE-CŒUR qui tient la roue et non CHÉRI-BIBI. On le nomme aussi MAMAN, par erreur. LA NUIT Caresse l'horizon de la nuit, cherche le cœur de jais que l'aube recouvre de chair. Il mettrait dans tes yeux des pensées innocentes, des flammes, des ailes et des verdures que le soleil n'inventa pas. Ce n'est pas la nuit qui te manque, mais sa puissance. ARP Tourne sans reflets aux courbes sans sourires des ombres à moustaches, enregistre les murmures de la vitesse, la terreur minuscule, cherche sous des cendres froides les plus petits oiseaux, ceux qui ne ferment jamais leurs ailes, résiste au vent. JOAN MIRO Soleil de proie prisonnier de ma tête, Enlève la colline, enlève la forêt. Le ciel est plus beau que jamais. Les libellules des raisins Lui donnent des formes précises Que je dissipe d'un geste. Nuages du premier jour, Nuages insensibles et que rien n'autorise, Leurs graines brûlent Dans les feux de paille de mes regards. À la fin, pour se couvrir d'une aube Il faudra que le ciel soit aussi pur que la nuit. JOUR DE TOUT Empanaché plat, compagnie et compagnie à la parole facile, tout à dire. Peur plus tiède que le soleil. Il est pâle et sans défauts. Compagnie et compagnie s'est habitué à la lumière. Est-ce avoir l'air musicien que d'avoir l'air des villes? Il parle, roses des mots ignorés de la plume. Et je me dresse devant lui comme le mât d'une tente, et je suis au sommet du mât, colombe. L'IMAGE D'HOMME L'image d'homme, au dehors du souterrain, resplendit. Des plaines de plomb semblent lui offrir l'assurance qu'elle ne sera plus renversée, mais ce n'est que pour la replonger dans cette grande tristesse qui la dessine. La force d'autrefois, oui la force d'autrefois se suffisait à elle-même. Tout secours est inutile, elle périra par extinction, mort douce et calme. Elle entre dans les bois épais, dont la silencieuse solitude jette l'âme dans une mer où les vagues sont des lustres et des miroirs. La belle étoile de feuilles blanches qui, sur un plan plus éloigné, semble la reine des couleurs, contraste avec la substance des regards, appuyés sur les troncs de l'incalculable impéritie des végétaux bien accordés. Au-dehors du souterrain, l'image d'homme manie cinq sabres ravageurs. Elle a déjà creusé la masure où s'abrite le règne noir des amateurs de mendicité, de bassesse et de prostitution. Sur le plus grand vaisseau qui déplace la mer, l'image d'homme s'embarque et conte aux matelots revenant des naufrages une histoire de brigands: «À cinq ans, sa mère lui confia un trésor. Qu'en faire? Sinon de l'amadouer. Elle rompit de ses bras d'enfer la caisse de verre où dorment les pauvres merveilles des hommes. Les merveilles la suivirent. L'œillet de poète sacrifia les cieux pour une chevelure blonde. Le caméléon s'attarda dans une clairière pour y construire un minuscule palais de fraises et d'araignées, les pyramides d'Égypte faisaient rire les passants, car elles ne savaient pas que la pluie désaltère la terre. Enfin, le papillon d'orange secoua ses pépins sur les paupières des enfants qui crurent sentir passer le marchand de sable.» L'image d'homme rêve, mais plus rien n'est accroché à ses rêves que la nuit sans rivale. Alors, pour rappeler les matelots à l'apparence de quelque raison, quelqu'un qu'on avait cru ivre prononce lentement cette phrase: «Le bien et le mal doivent leur origine à l'abus de quelques erreurs.» LE MIROIR D'UN MOMENT Il dissipe le jour, Il montre aux hommes les images déliées de l'apparence, Il enlève aux hommes la possibilité de se distraire. Il est dur comme la pierre, La pierre informe, La pierre du mouvement et de la vue, Et son éclat est tel que toutes les armures, tous les masques en sont faussés. Ce que la main a pris dédaigne même de prendre la forme de la main, Ce qui a été compris n'existe plus, L'oiseau s'est confondu avec le vent, Le ciel avec sa vérité, L'homme avec sa réalité. TA CHEVELURE D'ORANGES Ta chevelure d'oranges dans le vide du monde Dans le vide des vitres lourdes de silence Et d'ombre où mes mains nues cherchent tous tes reflets. La forme de ton cœur est chimérique Et ton amour ressemble à mon désir perdu. Ô soupirs d'ambre, rêves, regards. Mais tu n'as pas toujours été avec moi. Ma mémoire Est encore obscurcie de t'avoir vu venir Et partir. Le temps se sert de mots comme l'amour. LES LUMIÈRES DICTÉES Les lumières dictées à la lumière constante et pauvre passent avec moi toutes les écluses de la vie. Je reconnais les femmes à fleur de leurs cheveux, de leur poitrine et de leurs mains. Elles ont oublié le printemps, elles pâlissent à perte d'haleine. Et toi, tu te dissimulais comme une épée dans la déroute, tu t'immobilisais, orgueil, sur le large visage de quelque déesse méprisante et masquée. Toute brillante d'amour, tu fascinais l'univers ignorant. Je t'ai saisie et depuis, ivre de larmes, je baise partout pour toi l'espace abandonné. TA BOUCHE AUX LÈVRES D'OR Ta bouche aux lèvres d'or n'est pas en moi pour rire Et tes mots d'auréole ont un sens si parfait Que dans mes nuits d'années, de jeunesse et de mort J'entends vibrer ta voix dans tous les bruits du monde. Dans cette aube de soie où végète le froid La luxure en péril regrette le sommeil, Dans les mains du soleil tous les corps qui s'éveillent Grelottent à l'idée de retrouver leur cœur. Souvenirs de bois vert, brouillard où je m'enfonce J'ai refermé les yeux sur moi, je suis à toi, Toute ma vie t'écoute et je ne peux détruire Les terribles loisirs que ton amour me crée. ELLE EST Elle est--mais elle n'est qu'à minuit quand tous les oiseaux blancs ont refermé leurs ailes sur l'ignorance des ténèbres, quand la sœur des myriades de perles a caché ses deux mains dans sa chevelure morte, quand le triomphateur se plaît à sangloter, las de ses dévotions à la curiosité, mâle et brillante armure de luxure. Elle est si douce qu'elle a transformé mon cœur. J'avais peur des grandes ombres qui tissent les tapis du jeu et les toilettes, j'avais peur des contorsions du soleil le soir, des incassables branches qui purifient les fenêtres de tous les confessionnaux où des femmes endormies nous attendent. Ô buste de mémoire, erreur de forme, lignes absentes, flamme éteinte dans mes yeux clos, je suis devant ta grâce comme un enfant dans l'eau, comme un bouquet dans un grand bois. Nocturne, l'univers se meut dans ta chaleur et les villes d'hier ont des gestes de rue plus délicats que l'aubépine, plus saisissants que l'heure. La terre au loin se brise en sourires immobiles, le ciel enveloppe la vie: un nouvel astre de l'amour se lève de partout--fini, il n'y a plus de preuves de la nuit. LE GRAND JOUR Viens, monte. Bientôt les plumes les plus légères, scaphandrier de l'air, te tiendront par le cou. La terre ne porte que le nécessaire et tes oiseaux de belle espèce, sourire. Aux lieux de ta tristesse, comme une ombre derrière l'amour, le paysage couvre tout. Viens vite, cours. Et ton corps va plus vite que tes pensées, mais rien, entends-tu? rien, ne peut te dépasser. LA COURBE DE TES YEUX La courbe de tes yeux fait le tour de mon cœur, Un rond de danse et de douceur, Auréole du temps, berceau nocturne et sûr, Et si je ne sais plus tout ce que j'ai vécu C'est que tes yeux ne m'ont pas toujours vu. Feuilles de jour et mousse de rosée, Roseaux du vent, sourires parfumés, Ailes couvrant le monde de lumière, Bateaux chargés du ciel et de la mer, Chasseurs des bruits et sources des couleurs Parfums éclos d'une couvée d'aurores Qui gît toujours sur la paille des astres, Comme le jour dépend de l'innocence Le monde entier dépend de tes yeux purs Et tout mon sang coule dans leurs regards. CELLE DE TOUJOURS, TOUTE Si je vous dis: «j'ai tout abandonné» C'est qu'elle n'est pas celle de mon corps, Je ne m'en suis jamais vanté, Ce n'est pas vrai Et la brume de fond où je me meus Ne sait jamais si j'ai passé. L'éventail de sa bouche, le reflet de ses yeux, Je suis le seul à en parler, Je suis le seul qui soit cerné Par ce miroir si nul où l'air circule à travers moi Et l'air a un visage, un visage aimé, Un visage aimant, ton visage, À toi qui n'as pas de nom et que les autres ignorent, La mer te dit: sur moi, le ciel te dit: sur moi, Les astres te devinent, les nuages t'imaginent Et le sang répandu aux meilleurs moments, Le sang de la générosité Te porte avec délices. Je chante la grande joie de te chanter, La grande joie de t'avoir ou de ne pas t'avoir, La candeur de t'attendre, l'innocence de te connaître, Ô toi qui supprimes l'oubli, l'espoir et l'ignorance, Qui supprimes l'absence et qui me mets au monde, Je chante pour chanter, je t'aime pour chanter Le mystère où l'amour me crée et se délivre. Tu es pure, tu es encore plus pure que moi-même. *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK 68297 ***