The Project Gutenberg EBook of Les Precieuses Ridicules, by Moliere [Jean-Baptiste Poquelin] #7 in our series by Moliere [Jean-Baptiste Poquelin] Copyright laws are changing all over the world. Be sure to check the copyright laws for your country before downloading or redistributing this or any other Project Gutenberg eBook. This header should be the first thing seen when viewing this Project Gutenberg file. Please do not remove it. Do not change or edit the header without written permission. Please read the "legal small print," and other information about the eBook and Project Gutenberg at the bottom of this file. Included is important information about your specific rights and restrictions in how the file may be used. You can also find out about how to make a donation to Project Gutenberg, and how to get involved. **Welcome To The World of Free Plain Vanilla Electronic Texts** **eBooks Readable By Both Humans and By Computers, Since 1971** *****These eBooks Were Prepared By Thousands of Volunteers!***** Title: Les Precieuses Ridicules Author: Moliere [Jean-Baptiste Poquelin] Release Date: July, 2004 [EBook #5318] [Yes, we are more than one year ahead of schedule] [This file was first posted on June 30, 2002] Edition: 10 Language: French Character set encoding: ASCII *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, LES PRECIEUSES RIDICULES *** This eBook was produced by Laurent Le Guillou . Title: Les Precieuses Ridicules Language: French Encoding: ASCII Source: Jean-Baptiste Poquelin (1620-1673), alias Moliere, "Oeuvres de Moliere, avec des notes de tous les commentateurs", Tome Premier, Paris, Librarie de Firmin-Didot et Cie, Imprimeurs de l'Institut, rue Jacob, 56, 1890. Pages 151-181. [Spelling of the 1890 edition. Footnotes have been retained because they provide the meanings of old French words or expressions. Footnote are indicated by numbers in brackets, and are grouped at the end of the Etext. Text encoding is iso-8859-1.] ------------------------------------------------------------------------- PREFACE DES PRECIEUSES RIDICULES C'est une chose etrange qu'on imprime les gens malgre eux ! Je ne vois rien de si injuste, et je pardonnerais toute autre violence plutot que celle-la. Ce n'est pas que je veuille faire ici l'auteur modeste, et mepriser par honneur ma comedie. J'offenserais mal a propos tout Paris, si je l'accusais d'avoir pu applaudir a une sottise ; comme le public est le juge absolu de ces sortes d'ouvrages, il y aurait de l'impertinence a moi de le dementir ; et quand j'aurais eu la plus mauvaise opinion du monde de mes "Precieuses ridicules" avant leur representation, je dois croire maintenant qu'elles valent quelque chose, puisque tant de gens ensemble en ont dit du bien. Mais comme une grande partie des graces qu'on y a trouvees dependent de l'action et du ton de la voix, il m'importait qu'on ne les depouillat pas de ces ornements, et je trouvais que le succes qu'elles avaient eu dans la representation etait assez beau pour en demeurer la. J'avais resolu, dis-je, de les faire voir qu'a la chandelle, pour ne point donner lieu a quelqu'un de dire le proverbe (1), et je ne voulais pas qu'elles sautassent du theatre de Bourbon dans la galerie du Palais. Cependant je n'ai pu l'eviter, et je suis dans la disgrace de voir une copie derobee de ma piece entre les mains des libraires, accompagnee d'un privilege obtenu par surprise. j'ai eu beau crier : O temps ! o moeurs ! on m'a fait voir une necessite pour moi d'etre imprime, ou d'avoir un proces ; et le dernier mal est encore pire que le premier. Il faut donc se laisser aller a la destinee, et consentir a une chose qu'on ne laisserait pas de faire sans moi. Mon Dieu ! l'etrange embarras qu'un livre a mettre au jour ; et qu'un auteur est neuf la premiere fois qu'on l'imprime ! Encore si l'on m'avait donne du temps, j'aurais pu mieux songer a moi, et j'aurais pris toutes les precautions que messieurs les auteurs, a present mes confreres, ont coutume de prendre en semblables occasions. Outre quelque grand seigneur que j'aurais ete prendre malgre lui pour protecteur de mon ouvrage, et dont j'aurais tente la liberalite par une epitre dedicatoire bien fleurie, j'aurais tache de faire une belle et docte preface ; et je ne manque point de livres qui m'auraient fourni tout ce qu'on peut dire de savant sur la tragedie et la comedie, l'etymologie de toutes deux, leur origine, leur definition, et le reste. J'aurais aussi parle a mes amis, qui, pour la recommandation de ma piece, ne m'auraient pas refuse ou des vers francais, ou des vers latins. j'en ai meme qui m'auraient loue en grec ; et l'on n'ignore pas qu'une louange en grec est d'une merveilleuse efficace a la tete d'un livre. Mais on me met au jour sans me donner le loisir de me reconnaitre ; et je ne puis meme obtenir la liberte de dire deux mots pour justifier mes intentions sur le sujet de cette comedie. j'aurais voulu faire voir qu'elle se tient partout dans les bornes de la satire honnete et permise ; que les plus excellentes choses sont sujettes a etre copiees par de mauvais singes qui meritent d'etre bernes ; que ces vicieuses imitations de ce qu'il y a de plus parfait ont ete de tout temps la matiere de la comedie, et que, par la meme raison que les veritables savants et les vrais braves ne se sont point encore avises de s'offenser du Docteur de la comedie, et du Capitan, non plus que les juges, les princes et les rois de voir Trivelin (2), ou quelque autre, sur le theatre, faire ridiculement le juge, le prince, ou le roi ; aussi les veritables precieuses auraient tort de se piquer lorsqu'on joue les ridicules qui les imitent mal. Mais enfin, comme j'ai dit, on ne me laisse pas le temps de respirer, et M. de Luynes (3) veut m'aller faire relier de ce pas : a la bonne heure, puisque Dieu l'a voulu. ----------- (1) Moliere fait allusion a ce proverbe : "Elle est belle a la chandelle, mais le grand jour gate tout." ----------- (2) Le "Docteur", le "Capitan" et "Trivelin", etaient trois personnages ou caracteres appartenant a la farce italienne. ----------- (3) Ce de Luynes etait un libraire qui avait sa boutique dans la galerie du Palais. ----------- ------------------------------------------------------------------------- LES PRECIEUSES RIDICULES Comedie (1659). PERSONNAGES ACTEURS La Grange, La Grange. Du Croisy, amants rebutes. Du Croisy. Gorgibus, bon bourgeois. L'Espy. Madelon, fille de Gorgibus, Mlle De Brie. Cathos, niece de Gorgibus, precieuses ridicules. Mlle Du Parc. Marotte, servante des precieuses ridicules. Madel. Bejart. Almanzor, laquais des precieuses ridicules. De Brie. Le Marquis de Mascarille, valet de la Grange. Moliere. Le Vicomte de Jodelet, valet de du Croisy. Brecourt. Deux porteurs de chaise. Voisines. Violons. La scene a Paris, dans la maison de Gorgibus. SCENE PREMIERE. - La Grange, Du Croisy. - Du Croisy - Seigneur la Grange... - La Grange - Quoi ? - Du Croisy - Regardez-moi un peu sans rire. - La Grange - Eh bien ? - Du Croisy - Que dites-vous de notre visite ? En etes-vous fort satisfait ? - La Grange - A votre avis, avons-nous sujet de l'etre tous deux ? - Du Croisy - Pas tout a fait, a dire vrai. - La Grange - Pour moi, je vous avoue que j'en suis tout scandalise. A-t-on jamais vu, dites-moi, deux pecques (1) provinciales faire plus les rencheries que celles-la, et deux hommes traites avec plus de mepris que nous ? A peine ont-elles pu se resoudre a nous faire donner des sieges. Je n'ai jamais vu tant parler a l'oreille qu'elles ont fait entre elles, tant bailler, tant se frotter les yeux, et demander tant de fois : Quelle heure est-il ? Ont-elles repondu que Oui et Non a tout ce que nous avons pu leur dire ? Et ne m'avouerez-vous pas enfin que, quand nous aurions ete les dernieres personnes du monde, on ne pouvait nous faire pis qu'elles ont fait ? - Du Croisy - Il me semble que vous prenez la chose fort a coeur. - La Grange - Sans doute, je l'y prends, et de telle facon, que je me veux venger de cette impertinence. Je connais ce qui nous a fait mepriser. L'air precieux n'a pas seulement infecte Paris, il s'est aussi repandu dans les provinces, et nos donzelles ridicules en ont hume leur bonne part. En un mot, c'est un ambigu (2) de precieuse et de coquette que leur personne. Je vois ce qu'il faut etre pour en etre bien recu ; et, si vous m'en croyez, nous leur jouerons tous deux une piece qui leur fera voir leur sottise, et pourra leur apprendre a connaitre un peu mieux leur monde. - Du Croisy - Et comment, encore ? - La Grange - J'ai un certain valet, nomme Mascarille, qui passe au sentiment de beaucoup de gens, pour une maniere de bel esprit, car il n't a rien de meilleur marche que le bel esprit maintenant. C'est un extravagant qui s'est mis en tete de vouloir faire l'homme de condition. Il se pique ordinairement de galanterie et de vers, et dedaigne les autres valets, jusqu'a les appeler brutaux. - Du Croisy - Eh bien ! qu'en pretendez-vous faire ? - La Grange - Ce que j'en pretends faire ? Il faut... Mais sortons d'ici auparavant. ----------- SCENE II. - Gorgibus (3), Du Croisy, La Grange. - Gorgibus - Eh bien ! vous avez vu ma niece et ma fille ? Les affaires iront-elles bien ? Quel est le resultat de cette visite ? - La Grange - C'est une chose que vous pourrez mieux apprendre d'elles que de nous. Tout ce que nous pouvons vous dire, c'est que nous vous rendons grace de la faveur que vous nous avez faite, et demeurons vos tres humbles serviteurs. - Du Croisy - Vos tres humbles serviteurs. - Gorgibus - (seul.) Ouais ! il semble qu'ils sortent mal satisfaits d'ici. D'ou pourrait venir leur mecontentement ? Il faut savoir un peu ce que c'est. Hola ! ----------- SCENE III. - Gorgibus, Marotte. - Marotte - Que desirez-vous, Monsieur ? - Gorgibus - Ou sont vos maitresses ? - Marotte - Dans leur cabinet. - Gorgibus - Que font-elles ? - Marotte - De la pommade pour les levres. - Gorgibus - C'est trop pommade. Dites-leur qu'elles descendent. ----------- SCENE IV. - Gorgibus. - Gorgibus - Ces pendardes-la, avec leur pommade, ont, je pense, envie de me ruiner. Je ne vois partout que blancs d'oeufs, lait virginal, et mille autres brimborions que je ne connais point. Elles ont use, depuis que nous sommes ici, le lard d'une douzaine de cochons, pour le moins ; et quatre valets vivraient tous les jours des pieds de mouton qu'elles emploient. ----------- SCENE V. - Madelon, Cathos, Gorgibus. - Gorgibus - Il est bien necessaire, vraiment, de faire tant de depense pour vous graisser le museau ! Dites-moi un peu ce que vous avez fait a ces messieurs, que je les vois sortir avec tant de froideur ? Vous avais-je pas commande de les recevoir comme des personnes que je voulais vous donner pour maris ? - Madelon - Et quelle estime, mon pere, voulez-vous que nous fassions du procede irregulier de ces gens-la ? - Cathos - Le moyen, mon oncle, qu'une fille un peu raisonnable se put accommoder de leur personne ? - Gorgibus - Et qu'y trouvez-vous a redire ? - Madelon - La belle galanterie que la leur ! Quoi ! debuter d'abord par le mariage ? - Gorgibus - Et par ou veux-tu donc qu'ils debutent ? par le concubinage ? N'est-ce pas un procede dont vous avez sujet de vous louer toutes deux, aussi bien que moi ? Est-il rien de plus obligeant que cela ? Et ce lien sacre ou ils aspirent n'est-il pas un temoignage de l'honnetete de leurs intentions ? - Madelon - Ah ! mon pere, ce que vous dites la est du dernier bourgeois. Cela me fait honte de vous ouir parler de la sorte, et vous devriez un peu vous faire apprendre le bel air des choses. - Gorgibus - Je n'ai que faire ni d'air ni de chanson. Je te dis que le mariage est une chose sainte et sacree, et que c'est faire en honnetes gens que de debuter par la. - Madelon - Mon Dieu ! que si tout le monde vous ressemblait, un roman serait bientot fini ! La belle chose que ce serait, si d'abord Cyrus epousait Mandane, et qu'Aronce de plain-pied fut marie a Clelie (4) ! - Gorgibus - Que me vient conter celle-ci ? - Madelon - Mon pere, voila ma cousine qui vous dira aussi bien que moi que le mariage ne doit jamais arriver qu'apres les autres aventures. Il faut qu'un amant, pour etre agreable, sache debiter les beaux sentiments, pousser le doux, le tendre et le passionne (5), et que sa recherche soit dans les formes. Premierement, il doit voir au temple, ou a la promenade, ou dans quelque ceremonie publique, la personne dont il devient amoureux ; ou bien etre conduit fatalement chez elle par un parent ou un ami, et sortir de la tout reveur et melancolique. Il cache un temps sa passion a l'objet aime, et cependant lui rend plusieurs visites, ou l'on ne manque jamais de mettre sur le tapis une question galante qui exerce les esprits de l'assemblee. Le jour de la declaration arrive, qui se doit faire ordinairement dans une allee de quelque jardin, tandis que la compagnie s'est un peu eloignee : et cette declaration est suivie d'un prompt courroux, qui parait a notre rougeur, et qui, pour un temps, bannit l'amant de notre presence. Ensuite il trouve moyen de nous apaiser, de nous accoutumer insensiblement au discours de sa passion, et de tirer de nous cet aveu qui fait tant de peine. Apres cela viennent les aventures, les rivaux qui se jettent a la traverse d'une inclination etablie, les persecutions des peres, les jalousies concues sur de fausses apparences, les plaintes, les desespoirs, les enlevements, et ce qui s'ensuit. Voila comme les choses se traitent dans les belles manieres, et ce sont des regles dont, en bonne galanterie, on ne saurait se dispenser. Mais en venir de but en blanc a l'union conjugale, ne faire l'amour qu'en faisant le contrat du mariage, et prendre justement le roman par la queue ; encore un coup, mon pere, il ne se peut rien de plus marchand que ce procede ; et j'ai mal au coeur de la seule vision que cela me fait. - Gorgibus - Quel diable de jargon entends-je ici ? Voici bien du haut style. - Cathos - En effet, mon oncle, ma cousine donne dans le vrai de la chose. Le moyen de bien recevoir des gens qui sont tout a fait incongrus en galanterie ! Je m'en vais gager qu'ils n'ont jamais vu la carte de Tendre, et que Billets-Doux, Petits-Soins, Billets-Galants et Jolis-Vers sont des terres inconnues pour eux (6). Ne voyez-vous pas que toute leur personne marque cela, et qu'ils n'ont point cet air qui donne d'abord bonne opinion des gens ? Venir en visite amoureuse avec une jambe toute unie, un chapeau desarme de plumes, une tete irreguliere en cheveux, et un habit qui souffre une indigence de rubans ; mon Dieu, quels amants sont-ce la ! Quelle frugalite d'ajustements, et quelle secheresse de conversation ! On n'y dure point, on n'y tient pas. J'ai remarque encore que leurs rabats (7) ne sont pas de la bonne faiseuse, et qu'il s'en faut plus d'un grand demi-pied que leurs hauts-de-chausses ne soient assez larges. - Gorgibus - Je pense qu'elles sont folles toutes deux, et je ne puis rien comprendre a ce baragouin. Cathos, et vous, Madelon... - Madelon - Eh ! de grace, mon pere, defaites-vous de ces noms etranges et nous appelez autrement. - Gorgibus - Comment, ces noms etranges ? Ne sont-ce pas vos noms de bapteme ? - Madelon - Mon Dieu, que vous etes vulgaire ! Pour moi, un de mes etonnements, c'est que vous ayez pu faire une fille si spirituelle que moi. A-t-on jamais parle, dans le beau style, de Cathos ni de Madelon, et ne m'avouerez-vous pas que ce serait assez d'un de ces noms pour decrier le plus beau roman du monde ? - Cathos - Il est vrai, mon oncle, qu'une oreille un peu delicate patit furieusement a entendre prononcer ces mots-la ; et le nom de Polyxene que ma cousine a choisi, et celui d'Aminte que je me suis donne, ont une grace dont il faut que vous demeuriez d'accord. - Gorgibus - Ecoutez, il n'y a qu'un mot qui serve. Je n'entends point que vous ayez d'autres noms que ceux qui vous ont ete donnes par vos parrains et marraines ; et pour ces messieurs dont il est question, je connais leurs familles et leurs biens, et je veux resolument que vous vous disposiez a les recevoir pour maris. Je me lasse de vous avoir sur les bras, et la garde de deux filles est une charge un peu trop pesante pour un homme de mon age. - Cathos - Pour moi, mon oncle, tout ce que je vous puis dire, c'est que je trouve le mariage une chose tout a fait choquante. Comment est-ce qu'on peut souffrir la pensee de coucher contre un homme vraiment nu ? - Madelon - Souffrez que nous prenions un peu haleine parmi le beau monde de Paris, ou nous ne faisons que d'arriver. Laissez-nous faire a loisir le tissu de notre roman, et n'en pressez point tant la conclusion. - Gorgibus - (a part.) Il n'en faut point douter, elles sont achevees. (Haut.) Encore un coup, je n'entends rien a toutes ces balivernes : je veux etre maitre absolu : et pour trancher toutes sortes de discours, ou vous serez mariees toutes deux avant qu'il soit peu, ou, ma foi, vous serez religieuses ; j'en fais un bon serment. ----------- SCENE VI. - Cathos, Madelon. - Cathos - Mon Dieu, ma chere, que ton pere a la forme enfoncee dans la matiere ! que son intelligence est epaisse, et qu'il fait sombre dans son ame ! - Madelon - Que veux-tu, ma chere ? J'en suis en confusion pour lui. J'ai peine a me persuader que je puisse etre veritablement sa fille, et je crois que quelque aventure un jour me viendra developper une naissance plus illustre. - Cathos - Je le croirais bien ; oui, il y a toutes les apparences du monde ; et, pour moi, quand je me regarde aussi... ----------- SCENE VII. - Cathos, Madelon, Marotte. - Marotte - Voila un laquais qui demande si vous etes au logis, et dit que son maitre vous veut venir voir. - Madelon - Apprenez, sotte, a vous enoncer moins vulgairement. Dites : Voila un necessaire qui demande si vous etes en commodite d'etre visibles. - Marotte - Dame ! je n'entends point le latin : et je n'ai pas appris comme vous, la filophie dans le grand Cyre. - Madelon - L'impertinente ! Le moyen de souffrir cela ! Et qui est-il le maitre de ce laquais ? - Marotte - Il me l'a nomme le marquis de Mascarille. - Madelon - Ah ! ma chere, un marquis ! un marquis ! Oui, allez dire qu'on nous peut voir. C'est sans doute un bel esprit qui aura oui parler de nous. - Cathos - Assurement, ma chere. - Madelon - Il faut le recevoir dans cette salle basse, plutot qu'en notre chambre. Ajustons un peu nos cheveux au moins, et soutenons notre reputation. Vite, venez nous tendre ici dedans le conseiller des graces. - Marotte - Par ma foi ! je ne sais point quelle bete c'est la ; il faut parler chretien (8), si vous voulez que je vous entende. - Cathos - Apportez-nous le miroir, ignorante que vous etes, et gardez-vous bien d'en salir la glace par la communication de votre image. (Elles sortent.) ----------- SCENE VIII. - Mascarille, deux porteurs. - Mascarille - Hola ! porteurs, hola ! La, la, la, la, la, la. Je pense que ces marauds-la ont dessein de me briser, a force de heurter contre les murailles et les paves. - Premier porteur - Dame ! c'est que la porte est etroite. Vous avez voulu aussi que nous soyons entres jusqu'ici. - Mascarille - Je le crois bien. Voudriez-vous, faquins, que j'exposasse l'embonpoint de mes plumes aux inclemences de la saison pluvieuse, et que j'allasse imprimer mes souliers en boue ? Allez, otez votre chaise d'ici. - Deuxieme porteur - Payez-nous donc, s'il vous plait, Monsieur. - Mascarille - Hein ! - Deuxieme porteur - Je dis, Monsieur, que vous nous donniez de l'argent, s'il vous plait. - Mascarille - (lui donnant un soufflet.) Comment, coquin ! demander de l'argent a une personne de ma qualite ! - Deuxieme porteur - Est-ce ainsi qu'on paye les pauvres gens ? et votre qualite nous donne-t-elle a diner ? - Mascarille - Ah ! ah ! je vous apprendrai a vous connaitre ! Ces canailles-la s'osent jouer a moi. - Premier porteur - (Prenant un des batons de sa chaise.) Ca, payez-nous vitement. - Mascarille - Quoi ? - Premier porteur - Je dis que je veux avoir de l'argent tout a l'heure. - Mascarille - Il est raisonnable, celui-la. - Premier porteur - Vite donc ! - Mascarille - Oui-da ! Tu parles comme il faut, toi ; mais l'autre est un coquin qui ne sait ce qu'il dit. Tiens, es-tu content ? - Premier porteur - Non, je ne suis pas content : vous avez donne un soufflet a mon camarade, et... (Levant son baton.) - Mascarille - Doucement ! Tiens, voila pour le soufflet. On obtient tout de moi quand on s'y prend de la bonne facon. Allez, venez me reprendre tantot pour aller au Louvre, au petit coucher. ----------- SCENE IX. - Marotte, Mascarille. - Marotte - Monsieur, voila mes maitresses qui vont venir tout a l'heure. - Mascarille - Qu'elles ne se pressent point : je suis ici poste commodement pour attendre. - Marotte - Les voici. ----------- SCENE X. - Madelon, Cathos, Mascarille, Almanzor. - Mascarille - (apres avoir salue.) Mesdames, vous serez surprises sans doute de l'audace de ma visite ; mais votre reputation vous attire cette mechante affaire, et le merite a pour moi des charmes si puissants, que je cours partout apres lui. - Madelon - Si vous poursuivez le merite, ce n'est pas sur nos terres que vous devez chasser. - Cathos - Pour voir chez nous le merite, il a fallu que vous l'y ayez amene. - Mascarille - Ah ! je m'inscris en faux contre vos paroles. La renommee accuse juste en contant ce que vous valez ; et vous allez faire pic, repic et capot tout ce qu'il y a de galant dans Paris. - Madelon - Votre complaisance pousse un peu trop avant la liberalite de ses louanges ; et nous n'avons garde, ma cousine et moi, de donner de notre serieux dans le doux de votre flatterie. - Cathos - Ma chere, il faudrait faire donner des sieges. - Madelon - Hola ! Almanzor. - Almanzor - Madame ? - Madelon - Vite, voiturez-nous ici les commodites de la conversation. - Mascarille - Mais, au moins, y a-t-il surete ici pour moi ? (Almanzor sort.) - Cathos - Que craignez-vous ? - Mascarille - Quelque vol de mon coeur, quelque assassinat de ma franchise. Je vois ici des yeux qui ont la mine d'etre de fort mauvais garcons, de faire insulte aux libertes, et de traiter une ame de Turc a More (9). Comment, diable ! d'abord qu'on les approche, ils se mettent sur leur garde meurtriere. Ah ! par ma foi, je m'en defie ! et je m'en vais gagner au pied, ou je veux caution bourgeoise (10) qu'ils ne me feront point de mal. - Madelon - Ma chere, c'est le caractere enjoue. - Cathos - Je vois bien que c'est un Amilcar (11). - Madelon - Ne craignez rien : nos yeux n'ont point de mauvais desseins, et votre coeur peut dormir en assurance sur leur prud'homie. - Cathos - Mais de grace, Monsieur, ne soyez pas inexorable a ce fauteuil qui vous tend les bras il y a un quart d'heure ; contentez un peu l'envie qu'il a de vous embrasser. - Mascarille - (apres s'etre peigne et avoir ajuste ses canons.) Eh bien, Mesdames, que dites-vous de Paris ? - Madelon - Helas ! qu'en pourrions-nous dire ? Il faudrait etre l'antipode de la raison, pour ne pas confesser que Paris est le grand bureau des merveilles, le centre du bon gout, du bel esprit, et de la galanterie. - Mascarille - Pour moi, je tiens que hors de Paris il n'y a point de salut pour les honnetes gens. - Cathos - C'est une verite incontestable. - Mascarille - Il y fait un peu crotte ; mais nous avons la chaise. - Madelon - Il est vrai que la chaise est un retranchement merveilleux contre les insultes de la boue et du mauvais temps. - Mascarille - Vous recevez beaucoup de visites ? Quel bel esprit est des votres ? - Madelon - Helas ! nous ne sommes pas encore connues ; mais nous sommes en passe de l'etre ; et nous avons une amie particuliere qui nous a promis d'amener ici tous ces messieurs du Recueil des pieces choisies. - Cathos - Et certains autres qu'on nous a nommes aussi pour etre les arbitres souverains des belles choses. - Mascarille - C'est moi qui ferai votre affaire mieux que personne ; ils me rendent tous visite ; et je puis dire que je ne me leve jamais sans une demi-douzaine de beaux esprits. - Madelon - Eh ! mon Dieu ! nous vous serons obligees de la derniere obligation, si vous nous faites cette amitie ; car enfin il faut avoir la connaissance de tous ces messieurs-la, si l'on veut etre du beau monde. Ce sont ceux qui donnent le branle a la reputation dans Paris ; et vous savez qu'il y en a tel dont il ne faut que la seule frequentation pour vous donner bruit de connaisseuse, quand il n'y aurait rien autre chose que cela. Mais, pour moi, ce que je considere particulierement, c'est que, par le moyen de ces visites spirituelles, on est instruite de cent choses qu'il faut savoir de necessite, et qui sont de l'essence d'un bel esprit. On apprend par la chaque jour les petites nouvelles galantes, les jolies commerces de prose et de vers. On sait a point nomme : Un tel a compose la plus jolie piece du monde sur un tel sujet ; une telle a fait des paroles sur un tel air ; celui-ci a fait un madrigal sur une jouissance ; celui-la a compose des stances sur une infidelite ; monsieur un tel ecrivit hier au soir un sixain a Mademoiselle une telle, dont elle lui a envoye la reponse ce matin sur les huit heures ; un tel auteur a fait un tel dessein ; celui-la en est a la troisieme partie de son roman ; cet autre met ses ouvrages sous la presse. C'est la ce qui vous fait valoir dans les compagnies, et si l'on ignore ces choses, je ne donnerais pas un clou de tout l'esprit qu'on peut avoir. - Cathos - En effet, je trouve que c'est rencherir sur le ridicule, qu'une personne se pique d'esprit, et ne sache pas jusqu'au moindre petit quatrain qui se fait chaque jour ; et pour moi, j'aurais toutes les hontes du monde, s'il fallait qu'on vint a me demander si j'aurais vu quelque chose de nouveau que je n'aurais pas vu. - Mascarille - Il est vrai qu'il est honteux de n'avoir pas des premiers tout ce qui se fait ; mais ne vous mettez pas en peine : je veux etablir chez vous une academie de beaux esprits, et je vous promets qu'il ne se fera pas un bout de vers dans Paris, que vous ne sachiez par coeur avant tous les autres. Pour moi, tel que vous me voyez, je m'en escrime un peu quand je veux ; et vous verrez courir de ma facon dans les belles ruelles (12) de Paris, deux cents chansons, autant de sonnets, quatre cents epigrammes et plus de mille madrigaux, sans compter les enigmes et les portraits. - Madelon - Je vous avoue que je suis furieusement pour les portraits : je ne vois rien de si galant que cela. - Mascarille - Les portraits sont difficiles, et demandent un esprit profond : vous en verrez de ma maniere qui ne vous deplairont pas. - Cathos - Pour moi, j'aime terriblement les enigmes. - Mascarille - Cela exerce l'esprit, et j'en ai fait quatre encore ce matin, que je vous donnerai a deviner. - Madelon - Les madrigaux sont agreables, quand ils sont bien tournes. - Mascarille - C'est mon talent particulier ; et je travaille a mettre en madrigaux toute l'histoire romaine. - Madelon - Ah ! certes, cela sera du dernier beau : j'en retiens un exemplaire au moins, si vous le faites imprimer. - Mascarille - Je vous en promets a chacune un, et des mieux relies. Cela est au-dessous de ma condition ; mais je le fais seulement pour donner a gagner aux libraires, qui me persecutent. - Madelon - Je m'imagine que le plaisir est grand de se voir imprime. - Mascarille - Sans doute. Mais, a propos, il faut que je vous die un impromptu que je fis hier chez une duchesse de mes amies que je fus visiter ; car je suis diablement fort sur les impromptus. - Cathos - L'impromptu est justement la pierre de touche de l'esprit. - Mascarille - Ecoutez donc. - Madelon - Nous y sommes de toutes nos oreilles. - Mascarille - Oh ! oh ! je n'y prenais pas garde : tandis que, sans songer a mal, je vous regarde, votre oeil en tapinois me derobe mon coeur ; Au voleur ! au voleur ! au voleur ! au voleur ! - Cathos - Ah ! mon Dieu, voila qui est pousse dans le dernier galant. - Mascarille - Tout ce que je fais a l'air cavalier ; cela ne sent point le pedant. - Madelon - Il en est eloigne de plus de deux mille lieues. - Mascarille - Avez-vous remarque ce commencement : "Oh ! oh !" voila qui est extraordinaire : "oh ! oh !" Comme un homme qui s'avise tout d'un coup, "oh ! oh !" La surprise, "oh ! oh !" - Madelon - Oui, je trouve ce "oh ! oh !" admirable. - Mascarille - Il semble que cela ne soit rien. - Cathos - Ah ! mon Dieu, que dites-vous ? Ce sont la de ces sortes de choses qui ne se peuvent payer. - Madelon - Sans doute ; et j'aimerais mieux avoir fait ce "oh ! oh !" qu'un poeme epique. - Mascarille - Tudieu ! vous avez le gout bon. - Madelon - He ! je ne l'ai pas tout a fait mauvais. - Mascarille - Mais n'admirez-vous pas aussi "je n'y prenais pas garde " ? "Je n'y prenais pas garde", je ne m'apercevais pas de cela : facon de parler naturelle : "je n'y prenais pas garde". "Tandis que, sans songer a mal", tandis qu'innocemment, sans malice, comme un pauvre mouton ; "je vous regarde", c'est-a-dire, je m'amuse a vous considerer, je vous observe, je vous contemple ; "votre oeil en tapinois..." Que vous semble de ce mot "tapinois" ? n'est-il pas bien choisi ? - Cathos - Tout a fait bien. - Mascarille - "Tapinois", en cachette ; il semble que ce soit un chat qui vienne de prendre une souris : "tapinois". - Madelon - Il ne se peut rien de mieux. - Mascarille - "Me derobe mon coeur", me l'emporte, me le ravit. "Au voleur ! au voleur ! au voleur ! au voleur !" Ne diriez-vous pas que c'est un homme qui crie et court apres un voleur pour le faire arreter ? "Au voleur ! au voleur ! au voleur ! au voleur !" - Madelon - Il faut avouer que cela a un tour spirituel et galant. - Mascarille - Je veux vous dire l'air que j'ai fait dessus. - Cathos - Vous avez appris la musique ? - Mascarille - Moi ? Point du tout. - Cathos - Et comment donc cela se peut-il ? - Mascarille - Les gens de qualite savent tout sans avoir jamais rien appris. - Madelon - Assurement, ma chere. - Mascarille - Ecoutez si vous trouverez l'air a votre gout. "Hem, hem, la, la, la, la, la". La brutalite de la saison a furieusement outrage la delicatesse de ma voix ; mais il n'importe, c'est a la cavaliere. (Il chante.) Oh ! oh ! je n'y prenais pas garde, etc. - Cathos - Ah ! que voila un air qui est passionne ! Est-ce qu'on n'en meurt point ? - Madelon - Il y a de la chromatique la dedans. - Mascarille - Ne trouvez-vous pas la pensee bien exprimee dans le chant ? "Au voleur ! au voleur !" Et puis, comme si l'on criait bien fort : "au, au, au, au, au, voleur !" Et tout d'un coup, comme une personne essoufflee : "au voleur !" - Madelon - C'est la savoir le fin des choses, le grand fin, le fin du fin. Tout est merveilleux, je vous assure ; je suis enthousiasmee de l'air et des paroles. - Cathos - Je n'ai encore rien vu de cette force-la. - Mascarille - Tout ce que je fais me vient naturellement, c'est sans etude. - Madelon - La nature vous a traite en vraie mere passionnee, et vous en etes l'enfant gate. - Mascarille - A quoi donc passez-vous le temps, Mesdames ? - Cathos - A rien du tout. - Madelon - Nous avons ete jusqu'ici dans un jeune effroyable de divertissements. - Mascarille - Je m'offre a vous mener l'un de ces jours a la comedie, si vous voulez ; aussi bien, on en doit jouer une nouvelle que je serai bien aise que nous voyions ensemble. - Madelon - Cela n'est pas de refus. - Mascarille - Mais je vous demande d'applaudir comme il faut, quand nous serons la ; car je me suis engage de faire valoir la piece, et l'auteur m'en est venu prier encore ce matin. C'est la coutume ici qu'a nous autres gens de condition les auteurs viennent lire leurs pieces nouvelles, pour nous engager a les trouver belles, et leur donner de la reputation ; et je vous laisse a penser si, quand nous disons quelque chose, le parterre ose nous contredire ! Pour moi, j'y suis fort exact ; et quand j'ai promis a quelque poete, je crie toujours : Voila qui est beau ! devant que les chandelles soient allumees. - Madelon - Ne m'en parlez point : c'est un admirable lieu que Paris ; il s'y passe cent choses tous les jours, qu'on ignore dans les provinces, quelque spirituelle qu'on puisse etre. - Cathos - C'est assez : puisque nous sommes instruites, nous ferons notre devoir de nous ecrier comme il faut sur tout ce qu'on dira. - Mascarille - Je ne sais si je me trompe, mais vous avez toute la mine d'avoir fait quelque comedie. - Madelon - He ! il pourrait etre quelque chose de ce que vous dites. - Mascarille - Ah ! ma foi ! il faudra que nous la voyions. Entre nous, j'en ai compose une que je veux faire representer. - Cathos - Et a quels comediens la donnerez-vous ? - Mascarille - Belle demande ! Aux grands comediens ; il n'y a qu'eux qui soient capables de faire valoir les choses ; les autres sont des ignorants qui recitent comme l'on parle ; il ne savent pas faire ronfler les vers, et s'arreter au bel endroit : eh ! le moyen de connaitre ou est le beau vers, si le comedien ne s'y arrete, et ne vous avertit par la qu'il faut faire le brouhaha ? - Cathos - En effet, il y a maniere de faire sentir aux auditeurs les beautes d'un ouvrage ; et les choses ne valent que ce qu'on les fait valoir. - Mascarille - Que vous semble de ma petite oie (13) ? La trouvez-vous congruente a l'habit ? - Cathos - Tout a fait. - Mascarille - Le ruban en est-il bien choisi ? - Madelon - Furieusement bien. C'est Perdrigeon tout pur (14). - Mascarille - Que dites-vous de mes canons (15) ? - Madelon - Ils ont tout a fait bon air. - Mascarille - Je puis me vanter au moins qu'ils ont un grand quartier de plus que ceux qu'on fait. - Madelon - Il faut avouer que je n'ai jamais vu porter si haut l'elegance de l'ajustement. - Mascarille - Attachez un peu sur ces gants la reflexion de votre odorat. - Madelon - Ils sentent terriblement bon. - Cathos - Je n'ai jamais respire une odeur mieux conditionnee. - Mascarille - Et celle-la ? (Il donne a sentir les cheveux poudres de sa perruque.) - Madelon - Elle est tout a fait de qualite ; le sublime en est touche delicieusement. - Mascarille - Vous ne me dites rien de mes plumes ! Comment les trouvez-vous ? - Cathos - Effroyablement belles. - Mascarille - Savez-vous que le brin me coute un louis d'or ? Pour moi, j'ai cette manie de vouloir donner generalement sur tout ce qu'il y a de plus beau. - Madelon - Je vous assure que nous sympathisons vous et moi. J'ai une delicatesse furieuse pour tout ce que je porte ; et, jusqu'a mes chaussettes, je ne puis rien souffrir qui ne soit de la bonne faiseuse. - Mascarille - (s'ecriant brusquement.) Ahi ! ahi ! ahi ! doucement. Dieu me damne, Mesdames, c'est fort mal en user ; j'ai a me plaindre de votre procede ; cela n'est pas honnete. - Cathos - Qu'est-ce donc ? qu'avez-vous ? - Mascarille - Quoi ! toutes deux contre mon coeur en meme temps ! M'attaquer a droite et a gauche ! Ah ! c'est contre le droit des gens ; la partie n'est pas egale, et je m'en vais crier au meurtre. - Cathos - Il faut avouer qu'il dit les choses d'une maniere particuliere. - Madelon - Il a un tour admirable dans l'esprit. - Cathos - Vous avez plus de peur que de mal, et votre coeur crie avant qu'on l'ecorche. - Mascarille - Comment, diable ! il est ecorche depuis la tete jusqu'aux pieds. ----------- SCENE XI. - Cathos, Madelon, Mascarille, Marotte. - Marotte - Madame, on demande a vous voir. - Madelon - Qui ? - Marotte - Le vicomte de Jodelet. - Mascarille - Le vicomte de Jodelet ? - Marotte - Oui, Monsieur. - Cathos - Le connaissez-vous ? - Mascarille - C'est mon meilleur ami. - Madelon - Faites entrer vitement. - Mascarille - Il y a quelque temps que nous ne nous sommes vus, et je suis ravi de cette aventure. - Cathos - Le voici. ----------- SCENE XII. - Cathos, Madelon, Jodelet, Mascarille, Marotte, Almanzor. - Mascarille - Ah ! vicomte ! - Jodelet - (Ils s'embrassent l'un l'autre.) Ah ! marquis ! - Mascarille - Que je suis aise de te rencontrer ! - Jodelet - Que j'ai de joie de te voir ici ! - Mascarille - Baise-moi donc encore un peu, je te prie. - Madelon - (a Cathos.) Ma toute bonne, nous commencons d'etre connues ; voila le beau monde qui prend le chemin de nous venir voir. - Mascarille - Mesdames, agreez que je vous presente ce gentilhomme-ci : sur ma parole, il est digne d'etre connu de vous. - Jodelet - Il est juste de venir vous rendre ce qu'on vous doit ; et vos attraits exigent leurs droits seigneuriaux sur toutes sortes de personnes. - Madelon - C'est pousser vos civilites jusqu'aux derniers confins de la flatterie. - Cathos - Cette journee doit etre marquee dans notre almanach comme une journee bien heureuse. - Madelon - (a Almanzor.) Allons, petit garcon, faut-il toujours vous repeter les choses ? Voyez-vous pas qu'il faut le surcroit d'un fauteuil ? - Mascarille - Ne vous etonnez pas de voir le vicomte de la sorte ; il ne fait que sortir d'une maladie qui lui a rendu le visage pale comme vous le voyez. - Jodelet - Ce sont fruits des veilles de la cour, et des fatigues de la guerre. - Mascarille - Savez-vous, Mesdames, que vous voyez dans le vicomte un des vaillants hommes du siecle ? C'est un brave a trois poils (16). - Jodelet - Vous ne m'en devez rien, marquis ; et nous savons ce que vous savez faire aussi. - Mascarille - Il est vrai que nous nous sommes vus tous deux dans l'occasion. - Jodelet - Et dans des lieux ou il faisait fort chaud. - Mascarille - (regardant Cathos et Madelon.) Oui, mais non pas si chaud qu'ici. Hai, hai, hai. - Jodelet - Notre connaissance s'est faite a l'armee ; et la premiere fois que nous nous vimes, il commandait un regiment de cavalerie sur les galeres de Malte. - Mascarille - Il est vrai ; mais vous etiez pourtant dans l'emploi avant que j'y fusse ; et je me souviens que je n'etais que petit officier encore, que vous commandiez deux mille chevaux. - Jodelet - La guerre est une belle chose ; mais, ma foi, la cour recompense bien mal aujourd'hui les gens de service comme nous. - Mascarille - C'est ce qui fait que je veux pendre l'epee au croc. - Cathos - Pour moi, j'ai un furieux tendre pour les hommes d'epee. - Madelon - Je les aime aussi ; mais je veux que l'esprit assaisonne la bravoure. - Mascarille - Te souvient-il, vicomte, de cette demi-lune que nous emportames sur les ennemis au siege d'Arras ? - Jodelet - Que veux-tu dire, avec ta demi-lune ? C'etait bien une lune toute entiere. - Mascarille - Je pense que tu as raison. - Jodelet - Il m'en doit bien souvenir, ma foi ! j'y fus blesse a la jambe d'un coup de grenade, dont je porte encore les marques. Tatez un peu, de grace ; vous sentirez quelque coup c'etait la. - Cathos - (apres avoir touche l'endroit.) Il est vrai que la cicatrice est grande. - Mascarille - Donnez-moi un peu votre main, et tatez celui-ci ; la, justement au derriere de la tete. Y etes-vous ? - Madelon - Oui, je sens quelque chose. - Mascarille - C'est un coup de mousquet que je recus, la derniere campagne que j'ai faite. - Jodelet - (decouvrant sa poitrine.) Voici un autre coup qui me perca de part en part a l'attaque de Gravelines (17). - Mascarille - (Mettant la main sur le bouton de son haut-de-chausses.) Je vais vous montrer une furieuse plaie. - Madelon - Il n'est pas necessaire : nous le croyons sans y regarder. - Mascarille - Ce sont des marques honorables qui font voir ce qu'on est. - Cathos - Nous ne doutons point de ce que vous etes. - Mascarille - Vicomte, as-tu la ton carrosse ? - Jodelet - Pourquoi ? - Mascarille - Nous menerions promener ces dames hors des portes, et leur donnerions un cadeau (18). - Madelon - Nous ne saurions sortir aujourd'hui. - Mascarille - Ayons donc les violons pour danser. - Jodelet - Ma foi, c'est bien avise. - Madelon - Pour cela, nous y consentons : mais il faut donc quelque surcroit de compagnie. - Mascarille - Hola ! Champagne, Picard, Bourguignon, Cascaret, Basque, la Verdure, Lorrain, Provencal, la Violette ! Au diable soient tous les laquais ! Je ne pense pas qu'il y ait gentilhomme en France plus mal servi que moi. Ces canailles me laissent toujours seul. - Madelon - Almanzor, dites aux gens de monsieur le marquis qu'ils aillent querir des violons, et nous faites venir ces messieurs et ces dames d'ici pres, peupler la solitude de notre bal. (Almanzor sort.) - Mascarille - Vicomte, que dis-tu de ces yeux ? - Jodelet - Mais toi-meme, marquis, que t'en semble ? - Mascarille - Moi, je dis que nos libertes auront peine a sortir d'ici les braies (19) nettes. Au moins, pour moi, je recois d'etranges secousses, et mon coeur ne tient plus qu'a un filet. - Madelon - Que tout ce qu'il dit est naturel ! Il tourne les choses le plus agreablement du monde. - Cathos - Il est vrai qu'il fait une furieuse depense en esprit. - Mascarille - Pour vous montrer que je suis veritable, je veux faire un impromptu la-dessus. (Il medite.) - Cathos - He ! je vous en conjure de toute la devotion de mon coeur, que nous oyons quelque chose qu'on ait fait pour nous. - Jodelet - J'aurais envie d'en faire autant ; mais je me trouve un peu incommode de la veine poetique, pour la quantite des saignees que j'y ai faites ces jours passes. - Mascarille - Que diable est-ce la ? Je fais toujours bien le premier vers, mais j'ai peine a faire les autres. Ma foi, ceci est un peu trop presse : je vous ferai un impromptu a loisir, que vous trouverez le plus beau du monde. - Jodelet - Il a de l'esprit comme un demon. - Madelon - Et du galant, et du bien tourne. - Mascarille - Vicomte, dis-moi un peu, y a-t-il longtemps que tu n'as vu la comtesse ? - Jodelet - Il y a plus de trois semaines que je ne lui ai rendu visite. - Mascarille - Sais-tu bien que le duc m'est venu voir ce matin, et m'a voulu mener a la campagne courir un cerf avec lui ? - Madelon - Voici nos amies qui viennent. ----------- SCENE XIII. - Lucile, Celimene, Cathos, Madelon, Mascarille, Jodelet, Marotte, Almanzor, violons. - Madelon - Mon Dieu, mes cheres (20), nous vous demandons pardon. Ces messieurs ont eu fantaisie de nous donner les ames des pieds, et nous vous avons envoye querir pour remplir les vides de notre assemblee. - Lucile - Vous nous avez obligees, sans doute. - Mascarille - Ce n'est ici qu'un bal a la hate ; mais l'un de ces jours, nous vous en donnerons un dans les formes. Les violons sont-ils venus ? - Almanzor - Oui, Monsieur ; ils sont ici. - Cathos - Allons donc, mes cheres, prenez place. - Mascarille - (dansant lui seul comme par prelude.) La, la, la, la, la, la, la, la. - Madelon - Il a tout a fait la taille elegante. - Cathos - Et a la mine de danser proprement (21). - Mascarille - (ayant pris Madelon.) Ma franchise va danser la courante aussi bien que mes pieds. En cadence, violons, en cadence ! Oh ! quels ignorants ! Il n'y a pas moyen de danser avec eux. Le diable vous emporte ! ne sauriez-vous jouer en mesure ? La, la, la, la, la, la, la, la. Ferme ! O violons de village ! - Jodelet - (dansant ensuite.) Hola ! ne pressez pas si fort la cadence : je ne fais que sortir de maladie. ----------- SCENE XIV. - Du Croisy, La Grange, Cathos, Madelon, Lucile, Celimene, Jodelet, Mascarille, Marotte, violons. - La Grange - (un baton a la main.) Ah ! ah ! coquins, que faites-vous ici ? Il y a trois heures que nous vous cherchons. - Mascarille - (se sentant battre.) Ahi ! ahi ! ahi ! vous ne m'aviez pas dit que les coups en seraient aussi. - Jodelet - Ahi ! ahi ! ahi ! - La Grange - C'est bien a vous, infame que vous etes, a vouloir faire l'homme d'importance ! - Du Croisy - Voila qui vous apprendra a vous connaitre. ----------- SCENE XV. - Cathos, Madelon, Lucile, Celimene, Jodelet, Mascarille, Marotte, violons. - Madelon - Que veut donc dire ceci ? - Jodelet - C'est une gageure. - Cathos - Quoi ! vous laisser battre de la sorte ! - Mascarille - Mon Dieu ! je n'ai pas voulu faire semblant de rien ; car je suis violent, et je me serais emporte. - Madelon - Endurer un affront comme celui-la en notre presence ! - Mascarille - Ce n'est rien : ne laissons pas d'achever. Nous nous connaissons il y a longtemps ; et, entre amis, on ne va pas se piquer pour si peu de chose. ----------- SCENE XVI. - Du Croisy, La Grange, Madelon, Cathos, Celimene, Lucile, Mascarille, Jodelet, Marotte, violons. - La Grange - Ma foi, marauds, vous ne vous rirez pas de nous, je vous promets. Entrez, vous autres. (Trois ou quatre spadassins entrent.) - Madelon - Quelle est donc cette audace, de venir nous troubler de la sorte dans notre maison ! - Du Croisy - Comment, Mesdames, nous endurerons que nos laquais soient mieux recus que nous ; qu'ils viennent vous faire l'amour a nos depens, et vous donnent le bal ! - Madelon - Vos laquais ! - La Grange - Oui, nos laquais : et cela n'est ni beau ni honnete de nous les debaucher comme vous faites. - Madelon - O ciel ! quelle insolence ! - La Grange - Mais ils n'auront pas l'avantage de se servir de nos habits pour vous donner dans la vue ; et si vous les voulez aimer, ce sera, ma foi, pour leurs beaux yeux. Vite, qu'on les depouille sur-le-champ. - Jodelet - Adieu notre braverie. - Mascarille - Voila le marquisat et la vicomte a bas. - Du Croisy - Ah ! ah ! coquins, vous avez l'audace d'aller sur nos brisees ! Vous irez chercher autre part de quoi vous rendre agreables aux yeux de vos belles, je vous en assure. - La Grange - C'est trop que de nous supplanter, et de nous supplanter avec nos propres habits. - Mascarille - O fortune ! quelle est ton inconstance ! - Du Croisy - Vite, qu'on leur ote jusqu'a la moindre chose. - La Grange - Qu'on emporte toutes ces hardes, depechez. Maintenant, Mesdames, en l'etat qu'ils sont, vous pouvez continuer vos amours avec eux tant qu'il vous plaira ; nous vous laissons toute sorte de liberte pour cela, et nous vous protestons, Monsieur et moi, que nous n'en serons aucunement jaloux. ----------- SCENE XVII. - Madelon, Cathos, Jodelet, Mascarille, violons. - Cathos - Ah ! quelle confusion ! - Madelon - Je creve de depit. - Un des Violons - (a Mascarille.) Qu'est-ce donc que ceci ? Qui nous payera nous autres ? - Mascarille - Demandez a monsieur le vicomte. - Un des Violons - (a Jodelet.) Qui est-ce qui nous donnera de l'argent ? - Jodelet - Demandez a monsieur le marquis. ----------- SCENE XVIII. - Gorgibus, Madelon, Cathos, Jodelet, Mascarille, violons. - Gorgibus - Ah ! coquines que vous etes, vous nous mettez dans de beaux draps blancs, a ce que je vois ; et je viens d'apprendre de belles affaires, vraiment, de ces messieurs qui sortent. - Madelon - Ah ! mon pere, c'est une piece sanglante qu'ils nous ont faite. - Gorgibus - Oui, c'est une piece sanglante, mais qui est un effet de votre impertinence, infames ! Ils se sont ressentis du traitement que vous leur avez fait, et cependant, malheureux que je suis, il faut que je boive l'affront. - Madelon - Ah ! je jure que nous en serons venges, ou que je mourrai en la peine. Et vous, marauds, osez-vous vous tenir ici apres votre insolence ? - Mascarille - Traiter comme cela un marquis ! Voila ce que c'est que du monde : la moindre disgrace nous fait mepriser de ceux qui nous cherissaient. Allons, camarade, allons chercher fortune autre part ; je vois bien qu'on n'aime ici que la vaine apparence, et qu'on n'y considere point la vertu toute nue. ----------- SCENE XIX. - Gorgibus, Madelon, Cathos, violons. - Un des Violons - Monsieur, nous entendons que vous nous contentiez, a leur defaut, pour ce que nous avons joue ici. - Gorgibus - (les battant.) Oui, oui, je vous vais contenter ; et voici la monnaie dont je vous veux payer. Et vous, pendardes, je ne sais qui me tient que je ne vous en fasse autant ; nous allons servir de fable et de risee a tout le monde, et voila ce que vous vous etes attire par vos extravagances. Allez vous cacher, vilaines, allez vous cacher pour jamais. (Seul.) Et vous, qui etes cause de leur folie, sottes billevesees (22), pernicieux amusements des esprits oisifs, romans, vers, chansons, sonnets et sonnettes, puissiez-vous etre a tous les diables ! FIN DES PRECIEUSES RIDICULES. ------------------------------------------------------------------------- Notes [from 1890 edition] ----------- (1) Le Duchat donne a ce mot la meme signification qu'au mot "pecore". Ne viendrait-il pas du mot italien "pecca", vice, defaut, ou du mot latin "pecus", dont on a fait pecore ? (B.) ----------- (2) On voit par la preface de Moliere qu'on distinguait deux ordres de "precieuses", et que cette appellation ne fut pas toujours prise en mauvaise part. Le "Grand Dictionnaire historique des Precieuses", imprime chez Ribou en 1661, osa nommer ce que la France avait de plus grand, de plus poli, de plus aimable. Les Longueville, la Fayette, Sevigne, Deshoulieres, le grand Corneille, Ninon de Lenclos, sont a la tete de cette list nombreuse, ou figurent le roi, la reine et toute la cour. (B.) ----------- (3) Palaprat, contemporain et ami de Moliere, nous apprend que "Gorgibus" etait le nom d'un emploi de l'ancienne comedie, comme les Pasquins, les Turlupins, les Jodelets, etc. En effet, on trouve souvent le nom de Gorgibus dans les canevas italiens. ----------- (4) Cyrus et Mandane, Clelie et Aronce, sont les principaux personnages d'"Artamene" et de "Clelie", romans alors tres a la mode. ----------- (5) "Pousser le doux, le tendre et le passionne", expressions du temps, dont les auteurs contemporains offrent plusieurs exemples. ----------- (6) La carte de "Tendre" est une fiction allegorique du roman de "Clelie". On voit sur cette carte un fleuve d'"Inclination", une mer d'"Inimitie", un lac d'"Indifference", et une multitude d'autres inventions de ce genre. Pour parvenir a la ville de "Tendre", il fallait assieger le village de "Billets-Galants", forcer le hameau de "Billets-Doux", et s'emparer ensuite du chateau de "Petits-Soins". (Voy. "Clelie", tome I.) ----------- (7) Anciennement le "rabat" n'etait autre chose que le col de la chemise "rabattu" en dehors sur le vetement, et c'est de la qu'il a pris son nom. ----------- (8) "Parler chretien", c'est parler en langage intelligible. Cette expression est venue des Venitiens, qui disent que, comme il n'y a de vraie religion que celle des "chretiens", il n'y a aussi que leur langage qui doive etre entendu. (Le Duchat.) ----------- (9) Ce proverbe, "traiter de Turc a More", qui signifie "traiter avec la derniere rigueur", est sans doute fonde sur ce que les Turcs et les Mores, dans leurs anciennes guerres, ne se faisaient point de quartier. (A.) ----------- (10) "Caution bourgeoise", signifie "caution solvable", "caution valable". Moliere a employe une seconde fois cette expression dans la "Critique de l'Ecole des Femmes" : "La caution n'est pas bourgeoise." (A.) ----------- (11) Personnage du roman de "Clelie", a qui l'auteur a voulu donner un caractere enjoue et plaisant. (B.) -- Dans le langage des precieuses, on disait : "Etre un Amilcar", pour "etre enjoue". (Voyez le "Grand Dictionnaire des Precieuses, ou la Clef de la langue des ruelles", Paris, 1669, page 21.) ----------- (12) On donnait le nom de "ruelles" aux assemblees de ce temps-la. L'alcove servait de salon, et la societe s'y reunissait autour du lit de la precieuse, qui se couchait pour recevoir ses visites. La "ruelle" etait paree avec beaucoup d'elegance et de gout, et les hommes qui en faisaient les honneurs prenaient le nom d'"alcovistes". (P.) ----------- (13) La "petite oie" se disait alors des rubans, des plumes et des differentes garnitures qui ornaient l'habit, le chapeau, le noeud de l'epee, les gants, les bas et les souliers. (B.) ----------- (14) "C'est Perdrigeon tout pur." -- "Perdrigeon" etait le marchand en vogue qui fournissait les gens du bel air. Il ne faut pas confondre ce mot avec le nom de la belle couleur violette qui est emprunte d'une prune nomme "perdrigon". ----------- (15) Les canons etaient un cercle d'etoffe large, et souvent orne de dentelles, qu'on attachait au-dessus du genou, et qui couvrait la moitie de la jambe. Les "importants" se rendaient ridicules par l'ampleur demesuree de leurs canons. Voila pourquoi ceux de Mascarille "ont un grand quartier" de plus que ceux qu'on fait. (B.) ----------- (16) Locution proverbiale qui rappelle l'ancien usage ou etaient les militaires de terminer chaque cote de la moustache par quelques poils tres effiles, et de tailler en pointe le bouquet de barbe qu'on laissait croitre au milieu du menton. Cette mode venait d'Espagne. On la retrouve dans quelques portraits du regne de Louis XIII. ----------- (17) L'"attaque de Gravelines" etait un evenement recent a l'epoque ou fut jouee la piece, c'est a dire en 1659. L'annee precedente, le marechal de la Ferte avait pris cette ville sur les Espagnols. Le "siege d'Arras", dont Mascarille parle plus haut, remontait a 1654. Turenne avait fait lever ce siege au prince de Conde qui servait alors dans l'armee espagnole. (A.) ----------- (18) On disait alors "se promener hors des portes", parce que Paris, encore entoure de remparts et de fosses, avait des portes auxquelles aboutissaient les principales rues qui vont du centre a la circonference. C'est sur l'emplacement de ces remparts et de ces fosses que Louis XIV fit ensuite planter la promenade que nous nommons "boulevards". -- "Donner un cadeau", signifiait autrefois donner une "fete", un "repas". ----------- (19) Le mot "braie" a vieilli, et ne se trouve plus dans nos dictionnaires que comme terme d'imprimerie et de marine. Du temps de Moliere, il signifiait le linge de corps. (B.) ----------- (20) On disait alors une "chere" comme on aurait dit une "precieuse". Ces deux mots avaient le meme sens, et etaient egalement a la mode ; mais "chere" exprimait surtout l'intimite. Ce mot est reste. ----------- (21) "Danser proprement", pour "bien danser". Expression recherchee, qui est restee dans notre langue, ou meme elle est devenue d'un usage vulgaire. C'est ainsi que dans cette multitude de locutions bizarres ou ridicules dont Moliere s'est moque avec tant de gaiete, il en est un assez grand nombre que nous employons tous les jours sans nous douter qu'elles sont un present des "precieuses". Qui croirait, par exemple, que nous leur devons les phrases suivantes : "Tenir bureau d'esprit" ; "Avoir les cheveux d'un blond hardi" ; "Craindre de s'encanailler" ; "Avoir l'humeur communicative" ; "Etre penetre des sentiments d'une personne" ; "Avoir la comprehension dure" ; "Revetir ses pensees d'expressions vigoureuses" ; "Avoir le front charge d'un sombre nuage" ; "N'avoir que le masque de la generosite" ; etc. ? Toutes ces expressions, qui n'ont rien d'extraordinaire aujourd'hui, sont citees par Saumaise comme faisant partie du nouveau dictionnaire des "Precieuses" ; et l'on peut en conclure que cette affection de langage, dont Moliere a fait justice, n'a cependant pas ete tout a fait inutile a la langue. ----------- (22) "Billevesees", ou plutot "billevezees", ainsi que l'ecrit Rabelais. Balle remplie de vent, et, par allusion, discours vains, trompeurs. Mot compose de "bille", balle, et de "vezer", souffler, ou de "veze", musette. De la "billevezee", comme l'explique fort bien Furetiere, pour "balle soufflee", pleine de vent. C'est precisement le "nugae canorae" des Latins. ----------- *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK, LES PRECIEUSES RIDICULES *** This file should be named 7prec10.txt or 7prec10.zip Corrected EDITIONS of our eBooks get a new NUMBER, 7prec11.txt VERSIONS based on separate sources get new LETTER, 7prec10a.txt Project Gutenberg eBooks are often created from several printed editions, all of which are confirmed as Public Domain in the US unless a copyright notice is included. Thus, we usually do not keep eBooks in compliance with any particular paper edition. We are now trying to release all our eBooks one year in advance of the official release dates, leaving time for better editing. Please be encouraged to tell us about any error or corrections, even years after the official publication date. Please note neither this listing nor its contents are final til midnight of the last day of the month of any such announcement. 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This is also a good way to get them instantly upon announcement, as the indexes our cataloguers produce obviously take a while after an announcement goes out in the Project Gutenberg Newsletter. http://www.ibiblio.org/gutenberg/etext03 or ftp://ftp.ibiblio.org/pub/docs/books/gutenberg/etext03 Or /etext02, 01, 00, 99, 98, 97, 96, 95, 94, 93, 92, 92, 91 or 90 Just search by the first five letters of the filename you want, as it appears in our Newsletters. Information about Project Gutenberg (one page) We produce about two million dollars for each hour we work. The time it takes us, a rather conservative estimate, is fifty hours to get any eBook selected, entered, proofread, edited, copyright searched and analyzed, the copyright letters written, etc. Our projected audience is one hundred million readers. If the value per text is nominally estimated at one dollar then we produce $2 million dollars per hour in 2002 as we release over 100 new text files per month: 1240 more eBooks in 2001 for a total of 4000+ We are already on our way to trying for 2000 more eBooks in 2002 If they reach just 1-2% of the world's population then the total will reach over half a trillion eBooks given away by year's end. The Goal of Project Gutenberg is to Give Away 1 Trillion eBooks! This is ten thousand titles each to one hundred million readers, which is only about 4% of the present number of computer users. Here is the briefest record of our progress (* means estimated): eBooks Year Month 1 1971 July 10 1991 January 100 1994 January 1000 1997 August 1500 1998 October 2000 1999 December 2500 2000 December 3000 2001 November 4000 2001 October/November 6000 2002 December* 9000 2003 November* 10000 2004 January* The Project Gutenberg Literary Archive Foundation has been created to secure a future for Project Gutenberg into the next millennium. We need your donations more than ever! As of February, 2002, contributions are being solicited from people and organizations in: Alabama, Alaska, Arkansas, Connecticut, Delaware, District of Columbia, Florida, Georgia, Hawaii, Illinois, Indiana, Iowa, Kansas, Kentucky, Louisiana, Maine, Massachusetts, Michigan, Mississippi, Missouri, Montana, Nebraska, Nevada, New Hampshire, New Jersey, New Mexico, New York, North Carolina, Ohio, Oklahoma, Oregon, Pennsylvania, Rhode Island, South Carolina, South Dakota, Tennessee, Texas, Utah, Vermont, Virginia, Washington, West Virginia, Wisconsin, and Wyoming. We have filed in all 50 states now, but these are the only ones that have responded. As the requirements for other states are met, additions to this list will be made and fund raising will begin in the additional states. Please feel free to ask to check the status of your state. In answer to various questions we have received on this: We are constantly working on finishing the paperwork to legally request donations in all 50 states. If your state is not listed and you would like to know if we have added it since the list you have, just ask. While we cannot solicit donations from people in states where we are not yet registered, we know of no prohibition against accepting donations from donors in these states who approach us with an offer to donate. International donations are accepted, but we don't know ANYTHING about how to make them tax-deductible, or even if they CAN be made deductible, and don't have the staff to handle it even if there are ways. Donations by check or money order may be sent to: Project Gutenberg Literary Archive Foundation PMB 113 1739 University Ave. Oxford, MS 38655-4109 Contact us if you want to arrange for a wire transfer or payment method other than by check or money order. The Project Gutenberg Literary Archive Foundation has been approved by the US Internal Revenue Service as a 501(c)(3) organization with EIN [Employee Identification Number] 64-622154. Donations are tax-deductible to the maximum extent permitted by law. As fund-raising requirements for other states are met, additions to this list will be made and fund-raising will begin in the additional states. We need your donations more than ever! You can get up to date donation information online at: http://www.gutenberg.net/donation.html *** If you can't reach Project Gutenberg, you can always email directly to: Michael S. Hart Prof. Hart will answer or forward your message. We would prefer to send you information by email. **The Legal Small Print** (Three Pages) ***START**THE SMALL PRINT!**FOR PUBLIC DOMAIN EBOOKS**START*** Why is this "Small Print!" statement here? You know: lawyers. They tell us you might sue us if there is something wrong with your copy of this eBook, even if you got it for free from someone other than us, and even if what's wrong is not our fault. So, among other things, this "Small Print!" statement disclaims most of our liability to you. It also tells you how you may distribute copies of this eBook if you want to. *BEFORE!* YOU USE OR READ THIS EBOOK By using or reading any part of this PROJECT GUTENBERG-tm eBook, you indicate that you understand, agree to and accept this "Small Print!" statement. If you do not, you can receive a refund of the money (if any) you paid for this eBook by sending a request within 30 days of receiving it to the person you got it from. If you received this eBook on a physical medium (such as a disk), you must return it with your request. ABOUT PROJECT GUTENBERG-TM EBOOKS This PROJECT GUTENBERG-tm eBook, like most PROJECT GUTENBERG-tm eBooks, is a "public domain" work distributed by Professor Michael S. Hart through the Project Gutenberg Association (the "Project"). Among other things, this means that no one owns a United States copyright on or for this work, so the Project (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth below, apply if you wish to copy and distribute this eBook under the "PROJECT GUTENBERG" trademark. Please do not use the "PROJECT GUTENBERG" trademark to market any commercial products without permission. To create these eBooks, the Project expends considerable efforts to identify, transcribe and proofread public domain works. Despite these efforts, the Project's eBooks and any medium they may be on may contain "Defects". 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