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DUCHESSE DE DINO
(PUIS DUCHESSE DE TALLEYRAND ET DE SAGAN)
CHRONIQUE
DE
1831 A 1862
Publiée avec des annotations et un Index biographique
PAR
LA PRINCESSE RADZIWILL
NÉE CASTELLANE
II
1836-1840
Troisième édition
PARIS
LIBRAIRIE PLON
PLON-NOURRIT et Cie, IMPRIMEURS-ÉDITEURS
8, RUE GARANCIÈRE—6e
1909
Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous pays.
Published 21 April 1909.
Privilege of copyright in the United States reserved under the Act approved March 3d 1905 by Plon-Nourrit et Cie.
DUCHESSE DE DINO
CHRONIQUE
Paris, le 2 janvier 1836.—M. de Talleyrand prône beaucoup M. Molé, pour le faire recevoir de l'Académie française; il est également appuyé par M. Royer-Collard et par les ministres; c'est ce qui faisait dire, hier au soir, à M. Villemain, que toutes les influences les plus diverses et les plus inverses se réunissaient pour porter ou exporter M. Molé à l'Académie, que lui, Villemain, l'y importait de toutes ses forces, puisque, d'ailleurs, le fauteuil académique n'empêchait pas d'autres sièges. Les jeux de mots et les pointes ne manquaient pas dans cette phrase, ni la malignité non plus!
On parlait beaucoup des différents discours tenus au Roi, à l'occasion de la nouvelle année, entre autres de celui de M. Pasquier, remarquable par le mot de sujet qu'il a eu la témérité de reproduire, et que M. Villemain appelait un mot progressif.
Le Roi est charmé du discours du comte Apponyi, et le 2 Corps diplomatique, de la réponse du Roi. Du reste, Fieschi et Mascara [1] ont été de vraies bonnes fortunes pour tous les faiseurs de discours: on a remarqué des émotions et des attendrissements infinis, et quant à M. Dupin, c'étaient des sanglots!
A propos de M. Pasquier, on s'est amusé à mettre dans un mauvais journal qu'il est tombé malade dernièrement pour avoir reconnu dans Fieschi un fils naturel! La vieille comtesse de la Briche, qui commence à radoter, a été, très sérieusement, et avec des «hélas!» incomparables, raconter cette bêtise dans le salon archi-carliste de Mme de Chastellux. Comprend-on quelque chose d'aussi stupide! Les rires ont été extrêmes!
Paris, 4 janvier 1836.—La seconde fille de Mme de Flahaut est au plus mal. Son état m'a fourni, hier, l'occasion d'appliquer la parabole si parfaitement vraie de la poutre et du brin de paille, en entendant Mme de Lieven parler de la mère et me dire: «Comprenez-vous Mme de Flahaut qui, dans un pareil moment, me parle politique et demande ses chevaux pour aller chez Madame Adélaïde; qui quitte la chambre de sa fille pour causer des affaires publiques avec les personnes qui sont dans son salon, et qui m'invite à dîner pour demain, afin, dit-elle, de se distraire et de ne pas rester seule avec son inquiétude?» Il est donc vrai que personne de nous ne se voit passer! Cela fait faire des retours effrayants sur soi-même.
3 Le fameux message du Président Jackson [2], si impatiemment attendu, est arrivé par la voie d'Angleterre au duc de Broglie. Celui-ci, cinq heures après, est allé chez le Roi lui dire qu'il l'avait reçu; le Roi a demandé à le voir, M. de Broglie lui a dit qu'il était très insignifiant et qu'il l'avait déjà envoyé aux journaux!... Il a dit la même chose à son collègue, M. Thiers, qui, sur la foi de ce propos, a répété pendant toute la soirée, à ceux qu'il rencontrait, que le message était de toute nullité. Le lendemain, le Roi et M. Thiers lisent ce message dans le journal et le trouvent très habilement fait, très rude pour M. de Broglie personnellement, mais satisfaisant pour le pays, et précisément ce qu'il fallait pour terminer le différend. Là-dessus, conseils sur conseils, discussions vives, enfin triomphe de la volonté royale, soutenue par M. Thiers, et par l'effet de laquelle on se tiendra pour suffisamment satisfait du message. On déclinera la médiation de l'Angleterre, en déclarant que la France est prête à payer les termes échus de la somme de 25 millions. M. de Broglie a fini par céder, mais avec toute la peine que son amour-propre personnel lui causait. Il s'était d'abord refusé à montrer la note par laquelle il remerciait l'Angleterre de ses offres de médiation, mais enfin elle a 4 été soumise hier au Roi. On dit qu'elle est trop longue, diffuse, métaphysique. Les paroles ont été vives dans le Conseil des ministres, cependant tout a fini, parce que le Roi a tendu la main au duc de Broglie en lui disant une parole gracieuse. Cela n'empêche pas qu'au fond, l'humeur ne soit grande, d'un côté et de l'autre. Au reste, cette guerre avec les États-Unis déplaisait beaucoup au commerce français; ainsi ce résultat définitif fera, probablement, bon effet dans le public.
Paris, 11 janvier 1836.—J'ai eu, hier matin, la visite de M. Royer-Collard: il venait de voir M. Berryer, fort dégoûté et ennuyé, qui lui avait parlé de Prague. Il lui a raconté qu'on y pensait et y disait beaucoup de bien de lui, M. Royer; que Charles X avait répété plusieurs fois qu'il craignait de n'avoir pas fait assez attention à différentes choses qu'il lui avait dites dans un long entretien qu'ils eurent ensemble à l'époque de la fameuse adresse [3] de 1830. Mais, ce qui est curieux, c'est que le vieux Roi, ayant voulu chercher à retrouver ces choses importantes dont il avait un vague souvenir, ne put y parvenir. N'est-ce pas là tout l'homme? Bon cœur et insuffisance!
Paris, 16 janvier 1836.—On a cru, hier, qu'après l'algarade de M. Humann, le ministre des Finances, à la Chambre des Députés, où il a abordé si imprudemment la 5 question de la réduction des rentes, sans en avoir prévenu ses collègues, il y aurait dissolution du Ministère, mais cela s'est arrangé, et, pour le moment, tout reste au même point.
Le Roi a lui-même vu et calmé le comte de Pahlen, et on espère que le discours du duc de Broglie, à la Chambre des Députés, n'amènera pas d'orage [4].
Paris, 24 janvier 1836.—La Chambre des Députés est restée émue et hargneuse, et cette session, si anodine dans son début, donne assez de tracas à ceux qui sont chargés de la gouverner. Son humeur est surtout contre le duc de Broglie, dont le ton lui déplaît. Le «Est-ce clair?» qu'il lui a dit l'autre jour, a bien de la peine à se faire pardonner [5].
Paris, 28 janvier 1836.—Nous dînions hier chez le maréchal Maison; dîner curieux sous mille rapports, mais particulièrement sous celui des histoires que contait la Maréchale; en voici une qui m'a fait rire longtemps après que j'étais sortie. On parlait des bals nombreux et de la difficulté de savoir exactement le nombre des personnes 6 qui s'y rendaient effectivement; à cela, la Maréchale se mit à dire, à haute et aigre voix: «J'ai un moyen parfait, que j'ai toujours employé avec succès dans tous les bals que j'ai donnés: je place ma femme de chambre derrière la porte, avec un sac de haricots près d'elle, et je lui dis: «Mariette, à chaque personne qui entrera, vous prendrez un haricot du grand sac, et vous le jetterez dans votre ridicule». Alors, le compte est exact, et c'est la bonne manière.» Le fou rire m'a si bien prise, que j'ai pensé étouffer. Il en est arrivé autant de Mmes de Lieven, de Werther, de Lœwenhielm, qui étaient là.
Paris, 1er février 1836.—Si j'étais dans mon cher Rochecotte, comme l'année dernière, je croirais, le 1er février, entrer dans le printemps, au lieu qu'ici il n'en est rien! Depuis quelque temps, je reprends mes déplaisances pour Paris, non pas que l'on y soit mal pour moi, au contraire, mais parce que la vie y est trop fatigante, l'air trop aigre, les intérêts trop divers et trop multipliés, sans être assez puissants; aucun loisir, des sollicitudes infinies, avec un vide sensible.
A Londres, j'étais dans un monde grand et simple; j'y avais du succès et du repos tout à la fois. M. de Talleyrand y jouissait d'une bonne santé, il y faisait de grandes affaires. Les agitations que j'y ai éprouvées valaient au moins leur enjeu; j'avais le temps de m'occuper, de lire, de travailler, d'écrire, de réfléchir; je n'étais pas bousculée par tous les désœuvrés. L'impôt des visites ne se prélève à Londres que sur une voiture vide et sur des 7 cartes; enfin, je prenais plaisir à vivre... Voilà pourquoi il me prend de profonds et mélancoliques regrets, après ces années qui ne reviendront plus; ou bien pour ce doux et tranquille Rochecotte, cet horizon si vaste, ce ciel si pur, cette maison si propre, ces voisins simples et bienveillants, mes ouvriers, mes fleurs, mon gros chien, ma petite vache, la chevrette, le bon Abbé, le modeste Vestier, le petit bois où nous allions ramasser des pommes de pin; pour ce lieu où je vaux mieux qu'ailleurs, parce que j'ai le temps d'y faire d'utiles retours sur moi-même, d'y éclaircir ma pensée, d'y pratiquer le bien, d'éviter le mal, de me mêler, par la simplicité du cœur et de l'esprit, à cette belle, forte et gracieuse nature qui m'abrite, me rafraîchit et me repose... Mais trêve de gémissements sur moi-même, inutiles et maussades!
J'ai vu le docteur Ferrus, hier, à son retour de Ham. Voici ce qui s'y est passé. Les instructions des médecins étaient extrêmement bienveillantes, et leurs dispositions aussi; mais il aurait fallu trouver des motifs à faire valoir, et les deux ex-ministres vraiment souffrants, MM. de Chantelauze et de Peyronnet, ont refusé insolemment la visite des médecins, et les autres, MM. de Polignac et Guernon de Ranville, fort doux, soumis et désireux de profiter de la bonne disposition du gouvernement, n'ont, malheureusement, aucune infirmité à faire valoir. Il faut donc ajourner des adoucissements qu'on désirait leur accorder [6].
8 Paris, 6 février 1836.—J'avais été, hier matin, avec la comtesse Bretzenheim qui m'en avait priée, à la séance de la Chambre des Députés, où j'ai entendu, pour la première fois, M. Thiers; il a admirablement parlé contre la fameuse réduction des rentes, si imprudemment mise en avant par M. Humann. J'avais cru remarquer, pendant que M. Thiers parlait, qu'il avait plusieurs fois craché le sang; je lui avais écrit pour lui demander comment il se portait; voici un passage extrait de la réponse que j'ai reçue de lui: «Je suis exténué; je n'ai pas craché le sang, mais j'ai dépensé, en quelques moments, bien des jours de ma vie; je n'ai jamais trouvé tant de résistance dans les esprits, et il faut une volonté de fer pour surmonter un entraînement aussi visible que celui de la Chambre. Je suis désolé que vous m'ayez entendu, ces chiffres doivent vous avoir ennuyée et vous avoir donné une triste idée de la tribune. Il ne faut nous entendre et nous juger que dans nos jours d'élan et non quand nous réglons nos comptes. Au surplus, je doute du résultat, et, sauf le Roi, je fais plutôt des vœux pour la retraite du Ministère. Lutter contre tant d'imprudence et de sottise est insupportable.»
Ce billet m'a bien un peu préparée aux événements du soir; cependant, M. Royer-Collard, qui est venu chez moi dans la matinée, croyait au triomphe du Ministère par l'embarras dans lequel serait la Chambre d'user du sien, si elle l'obtenait. Il était dans l'admiration du discours de 9 M. Thiers, et le lui avait dit à la Chambre; ils se sont reparlés, à cette occasion, ce qui n'avait pas eu lieu depuis la discussion des lois de Septembre.
Mon fils, M. de Valençay, est venu dîner chez nous, en sortant de la séance de la Chambre des Députés. Il nous a raconté l'effarement de la Chambre aux singulières conclusions de M. Humann, et celui des ministres, au sujet de l'ajournement de la réduction des rentes, rejet qui n'a eu lieu qu'à une majorité de deux voix.
Le Journal de Paris nous a appris, plus tard, les démissions ministérielles; et le général Alava, qui venait de voir le duc de Broglie, nous a dit, à onze heures du soir, que le Roi avait accepté les démissions et fait chercher MM. Humann et Molé.
Je reçois, à l'instant, le billet que voici de M. Thiers: «Nous sommes sortis très franchement, très sérieusement. Le Roi savait d'avance, et d'accord avec tous, d'accord, en particulier, avec moi, que ce résultat découlait forcément de notre résolution de combattre la réduction. Nous serions déshonorés si nous ne persistions pas pour faire composer un nouveau Ministère: il sera chétif et misérable, peu importe; il faut que le tiers-parti fasse ses preuves. Le Roi ne peut faire autrement, ni nous non plus; le contraire serait une illusion à la Charles X.»
Paris, 7 février 1836.—Il n'y a rien de fait, pour le Ministère, si ce n'est la sortie des anciens Ministres, qui est positive. On croit que M. de Broglie ne rentrera jamais 10 dans aucun Cabinet; c'est surtout contre lui qu'est l'humeur de la Chambre.
M. Thiers n'a fait aucune opposition à se retirer, plutôt par le désir de sortir honorablement et de se débarrasser décemment de collègues qu'il n'aimait pas, que par engouement pour la question, qu'il a cependant défendue avec un grand talent.
Le Roi a fait appeler M. Humann qui a refusé, M. Molé qui a décliné, M. Dupin qui a battu la campagne: les nuances méritent d'être observées. Enfin, il n'y a rien du tout de fait, ni, vraiment, rien de probable. Des amis de M. Molé disent qu'il ne veut plus se laisser ballotter, prier, refuser, trimballer, comme au mois de novembre, et qu'on se rangerait sous sa loi ou bien qu'il ne se mêlerait de rien.
Paris, 8 février 1836.—J'ai eu, hier, la visite de M. Royer-Collard. Voici comment il explique la conduite de la Chambre envers le dernier Ministère. Il dit que le Ministère, qui durait depuis trois ans, y était usé, surtout dans ses membres doctrinaires; que ce Cabinet avait fatigué la Chambre en lui mettant trop souvent le marché à la main, en faisant trop souvent de questions personnelles des questions de Cabinet; que la Chambre avait fait au delà de ses forces pour l'ordre du jour motivé lors des lois d'intimidation [7]; qu'on ne lui en avait pas su bien 11 bon gré dans les provinces; qu'enfin, la fatuité dédaigneuse de M. de Broglie avait comblé la mesure, et que, du reste, le pays étant prospère au dedans, tranquille au dehors, la Chambre avait cru le moment opportun pour établir son droit et prouver au Ministère qu'il n'était pas indispensable, et que, profitant d'une question populaire dans les provinces, elle avait saisi l'occasion de prouver sa puissance, aidée, du reste, par son ignorance politique qui ne lui permet pas de calculer la durée de la crise. M. Royer-Collard a ajouté que les deux seuls Ministres qui eussent conservé du crédit dans la Chambre étaient MM. Thiers et Duchâtel, mais qu'encore, une petite quarantaine leur serait-elle nécessaire.
Nous avons dîné hier chez M. Thiers, d'après une ancienne invitation. Il ne touchait pas terre, battait des ailes, comme quelqu'un qui est sûr de rentrer en cage quand cela lui plaira. Il se propose de voyager; il veut aller à Vienne, à Berlin, à Rome, à Naples, et partira au mois d'avril. M. de Broglie, qui était aussi à ce dîner, avait l'air morne et abattu, et cela avec une absence de dissimulation qui m'a étonnée: il portait non pas le diable, mais la doctrine en terre!
J'ai été, le soir, chez Mme de Lieven, chez laquelle j'ai fait la connaissance de M. Berryer; le matin, M. Royer-Collard, qui le voit souvent, m'avait dit qu'il était fort désireux de faire la mienne: nous avons été fort polis, l'un 12 et l'autre, et l'un pour l'autre. Il est simple et doux dans la conversation.
Paris, 9 février 1836.—Nous avons dîné, hier, chez l'ambassadeur de Sardaigne [8]. Rien n'était encore décidé pour le Ministère, disait-on; M. Molé, qui était près de moi à table, me l'a confirmé. Il n'a pas voulu entrer avec le tiers-parti, quoique tout le monde le demande, les uns comme les autres. Je crois qu'en désespoir de cause, ceci tournera momentanément au profit de M. Dupin; mais comme le petit groupe à la tête duquel il se trouve est très faible, il lui faudra, pour se soutenir, prendre son point d'appui sur la gauche, qui le lui vendra cher. Ce sera une position semblable à celle du Ministère whig anglais vis-à-vis d'O'Connell. Je veux espérer que cela sera court, mais il faut fort peu de temps pour faire faire bien des pas rétrogrades. On est triste au Château, inquiet dans le monde diplomatique, agité dans le public.
La jeune et belle Reine de Naples est morte le 31 janvier, peu de jours après ses couches. La nouvelle en est arrivée hier [9].
Paris, 10 février 1836.—Les juges et les auditeurs du procès Fieschi prennent un intérêt singulier pour cet homme. C'est un caractère qui n'a jamais eu son semblable; il a beaucoup d'esprit, et dans l'art stratégique, 13 du génie, une mémoire, un sang-froid, une précision que son horrible situation n'obscurcit jamais; ses passions, surtout celle pour les femmes, sont vives. Celle qu'il conserve pour cette Nina Lassave est remarquable: il lui écrit sans cesse, et ayant su qu'elle ne lui avait pas été fidèle, il lui a reproché de ne pas avoir attendu quelques jours pour lui épargner cette dernière douleur, quand son exécution allait la rendre libre, et tout cela a été écrit de la façon la plus touchante. Ce qui l'est beaucoup, aussi, c'est que M. Ladvocat, envoyant assez d'argent à Fieschi pour qu'il puisse se donner quelques douceurs dans la prison, il n'en dépense rien et le fait remettre à cette Nina. Celle-ci lui a écrit, pour le remercier, à peu près en ces termes: «Je te remercie de te priver de tout pour moi; avec ce que tu m'as envoyé, je me suis acheté des effets un peu propres pour te faire honneur devant Messieurs tes juges; mais comme bientôt tu ne pourras plus rien m'envoyer, je vais économiser, et me voilà à la tête de quarante francs.»
Cette phrase sur l'économie est abominable. Du reste, elle a écrit à Fieschi pour l'assurer qu'elle lui est restée fidèle, ce qui n'est pas vrai. Tout le monde semble être beaucoup plus occupé de ces incidents amoureux que du crime même de Fieschi. Quel singulier temps! La correspondance de Fieschi passant par les mains de M. Decazes, il en amuse la Chambre des Pairs; mais ce qui est vraiment étonnant, c'est la vogue que toute cette histoire a donnée à Mlle Nina, habitante naguère de la Salpêtrière. On assure qu'il lui a été fait des propositions d'argent par 14 de beaux messieurs; ce qui est certain, c'est qu'on entend détailler ses beautés et ses imperfections d'une manière souvent étrange; mais ce qui est positif, c'est qu'elle est borgne.
Si Fieschi est amoureux, il se montre aussi religieux: l'aumônier de la Chambre des Pairs ayant demandé aux pensionnaires s'ils ne désiraient pas entendre la messe, Fieschi a dit, seul, que oui, qu'il le désirait beaucoup, qu'il n'était ni païen, ni athée; qu'à la vérité, il n'était pas fort en théologie, mais qu'il avait lu Plutarque et Cicéron, et qu'il croyait fermement à l'immortalité de l'âme; que l'âme, n'étant pas divisible, ne pouvait être matérielle; qu'enfin, il était tout spiritualiste: il a prié l'aumônier de venir le revoir et de ne pas le quitter quand une fois sa sentence serait prononcée. Et, après de tels contrastes, est-il encore permis de porter un jugement absolu sur les hommes!
Voici le bulletin de la crise ministérielle, je le crois fort exact: hier matin, le Roi a fait chercher Dupin, Sauzet et Passy et les a chargés du Ministère, à deux seules conditions: 1o de ne s'adjoindre personne ayant voté contre les lois de répression; 2o de ne prendre pour ministre des Affaires étrangères qu'un homme qui rassurerait l'Europe et lui conviendrait à lui-même. Ces trois messieurs ont répondu qu'ils comprenaient les désirs du Roi, mais qu'ils ne pouvaient prendre aucun engagement avant d'avoir consulté leurs amis, et, là-dessus, ils se sont retirés. A la Chambre, ils ont fait circuler une liste à peu près comme ceci: Dupin à la Justice avec la Présidence, Sauzet à l'Instruction 15 publique, Passy aux Finances, Flahaut aux Affaires étrangères, Molitor à la Guerre, Montalivet à l'Intérieur. J'ai su, depuis, que Montalivet refusait malgré les désirs du Roi, et que le Roi se refusait, lui, à Flahaut. Le Roi désirait mettre, soit Rumigny, soit Baudrand, aux Affaires étrangères, et serait même fixé sur ce dernier, si on ne désirait le conserver pour suivre le Prince Royal dans ses voyages. Celui-ci est fort content de la chute du dernier Ministère; je crois qu'il a tort; les Flahaut sont ravis. Tous les amis des Ministres comptent porter M. Guizot à la Présidence de la Chambre des Députés; le parti opposé portera M. Martin du Nord.
J'ai été, avec M. de Talleyrand, dîner, le soir, chez M. de Montalivet: MM. de Pahlen et Apponyi étaient pâles de terreur d'avoir vu le nom de M. de Flahaut sur une liste ministérielle. Le maréchal Maison regrettait son ambassade de Pétersbourg avec des cris de rage qui n'avaient pas bien bonne grâce.
Nous avons été ensuite à la dernière réception ministérielle du duc de Broglie. M. de Broglie se croit l'expression exacte des besoins de l'époque; il ne se doute pas de ce qui est cependant l'exacte vérité, c'est-à-dire que tout le grabuge actuel, c'est lui qui en est cause, que c'est contre lui que tout s'est fait, que c'est lui que la Chambre repousse, et que s'il voulait dire à ses collègues: «Je vois que je suis seul la pierre d'achoppement: je me retire, mais je vous prie de rester,» M. Molé entrerait à sa place et tout serait arrangé à la satisfaction générale.
16 Paris, 11 février 1836.—Mme de Rumford est morte hier matin, après son déjeuner, ayant eu du monde à dîner la veille. Elle était fort changée depuis quelque temps, mais s'était toujours refusée à se constituer malade; elle est restée rude contre la mort, comme elle l'avait été pour les vivants. Son salon manquera; c'était un point de réunion, et il y en a si peu, au moins comme habitude. Chacun y retrouvait un souvenir qui lui était particulier, de telle ou telle époque de sa vie. Cette disparition m'a attristée. Il ne faut pas avoir quatre-vingts ans cette année! Mais que dis-je? M. de Rigny en avait cinquante, Clémentine de Flahaut seize, Yolande de Valençay deux! C'est la vie à toutes les marches de l'échelle qui est menacée, maintenant comme toujours! Il faut se tenir prêt!
Ce vieux chat de Sémonville, dont les griffes ne s'usent pas, est arrivé hier au Luxembourg, annonçant qu'enfin le Ministère était constitué. On l'entoure, on le questionne, et voici sa liste: «Président du Conseil, Madame Adélaïde; Justice et Cultes, duchesse de Broglie; Affaires étrangères, duchesse de Dino [10]; Intérieur, comtesse de Boigne; Guerre, comtesse de Flahaut; Marine, duchesse de Massa; Finances, duchesse de Montmorency; Commerce, marquise de Caraman...» Mme de Lieven, à qui j'ai mandé cette plaisanterie, en réponse à un billet de questions, m'a répliqué qu'au moins la condition du Roi était remplie, et que le Ministre des Affaires étrangères n'inquiéterait pas l'Europe.
17 Ce sont bien là des pauvretés, mais la pauvreté véritable, c'est l'impossibilité de former un Ministère, sérieux ou autre.
J'ai été, hier, aux Tuileries; les Ministres sortants y étaient tous réunis autour du Roi, mais, je crois, sans objet: c'est déplorable!
Paris, 12 février 1836.—Rien de nouveau, ministériellement. Voici tout ce que je sais d'hier: Dupin, Passy et Sauzet ont été à trois heures chez le Roi, lui dire qu'ils ne pouvaient se charger de la composition d'un Ministère que des intrigues diverses leur avaient rendu impossible; que, du reste, ils étaient prêts à entrer, individuellement, dans l'administration, si leurs services étaient agréables au Roi. Ils se sont retirés là-dessus, et le Roi, dans la soirée, a fait chercher M. Molé. J'ignore ce qui s'est passé dans cette entrevue.
Paris, 13 février 1836.—Voici ce que je sais d'hier sur la crise ministérielle. M. Molé déclare qu'il n'entrera pas sans M. Thiers, celui-ci sans M. Guizot, qui, à son tour, n'entrera pas sans M. de Broglie, à moins que M. de Broglie ne reconnaisse qu'étant le seul obstacle véritable, il exige de ses collègues de rentrer sans lui, et qu'il ne leur écrive, à cet effet, une lettre datée de Broglie. M. de Salvandy a cherché à l'éclairer là-dessus, mais il a été très mal reçu. On parle d'une scène vive entre MM. de Broglie et Guizot; ce qui est certain, c'est que M. de Broglie est dans une agitation tellement visible et de si mauvaise 18 grâce, qu'il fait pitié à ses amis et hausser les épaules aux autres. Il y a des gens qui croient que le Roi fera venir Broglie et lui demandera, avec plus d'autorité que Salvandy, de faire cesser un si déplorable état de choses, que lui seul prolonge.
Dupin est entièrement démoli. Dans les deux jours où on croyait que Dupin serait ministre, Thiers et Guizot se sont, tous deux, mis sur les rangs pour la Présidence; cela leur a fourni l'occasion de compter les voix en leur faveur: M. Guizot en avait huit, M. Martin du Nord en avait quinze; tout le reste du parti ministériel aurait porté M. Thiers et le lui aurait fait offrir.
Paris, 16 février 1836.—Voilà Fieschi condamné ainsi que ses complices; M. de Mareuil est venu hier, à onze heures du soir, nous dire l'arrêt [11].
Il paraît qu'il y a beaucoup de Pairs qui ont longuement motivé leurs votes. Une fraction peu nombreuse de la Chambre trouvait les preuves matérielles contre Pépin et Morey insuffisantes pour la peine capitale et penchait pour les travaux forcés à perpétuité. C'est M. Barthe qui a demandé qu'à la peine de mort unanimement votée contre Fieschi, on joignît les détails du supplice qui s'appliquent aux parricides.
Les journaux annoncent la mort de Mme Bonaparte mère; sa double petite-fille, c'est-à-dire la fille de Joseph qui a épousé le fils de Lucien, était seule de sa nombreuse 19 progéniture près d'elle. Le cardinal Fesch l'a très bien soignée; elle lui laisse ses tableaux; on croit, du reste, que sa succession va causer de nouvelles divisions parmi ses enfants, qui ne sont déjà pas trop unis, car il paraît qu'elle a, de son vivant, donné à Lucien, à Jérôme, à Mme Murat, des sommes considérables, que ceux-ci ne veulent pas rapporter.
Paris, 17 février 1836.—Hier, le Roi a réuni ses anciens Ministres et leur a déclaré: 1o qu'il ne recevrait leur démission que quand un autre Cabinet serait formé; 2o que la majorité de la Chambre n'ayant été qu'accidentellement contre eux, et que leur système étant celui de la Chambre, quand bien même tous les individus qui composent le Cabinet ne plairaient pas à la Chambre, il serait, lui, charmé qu'ils restassent tous, mais que, s'ils croyaient qu'il y avait parmi eux quelques membres qui continueraient à tenir la Chambre en irritation, il les priait de se consulter et de lui dire ensuite sur quoi il pouvait compter. M. de Broglie a dit qu'il fallait que le Roi essayât du tiers-parti; à cela, le Roi a répondu: «Il peut vous amuser, Monsieur, de constater une fois de plus l'impuissance de ce tiers-parti, mais il ne m'amuse pas, moi, d'en faire le pitoyable essai; j'en ai assez des Ministères de trois jours: ce n'est ni dans le tiers-parti, ni dans la gauche qu'est la majorité, c'est avec vous, Messieurs; si ce n'est avec tous, du moins avec quelques-uns. Vos arrangements et engagements réciproques les uns avec les autres doivent se rompre devant l'importance et la gravité des circonstances, 20 je l'attends de votre honnêteté, de votre désir du bien général; quant à moi, Messieurs, je reste les bras croisés et je vais me promener à Saint-Cloud.» MM. de Broglie et Guizot ont répliqué qu'aucun des membres du Cabinet n'avait précisément des engagements, mais que chacun avait des convenances personnelles auxquelles il était juste de tenir. Cette réponse était fort déplacée dans un semblable moment, surtout de la part du premier qui, par un mot, déliait le nœud gordien et simplifiait la position! Personne ne sait comment cela finira, à moins que ce ne soit comme M. Royer-Collard l'a prédit à M. Thiers, vendredi dernier: «Vous n'êtes pas possible aujourd'hui; mais dans huit jours, vous serez nécessaire, indispensable, absolu!»
M. de Talleyrand et moi avons été hier chez la Reine. Le deuil de la Reine de Naples, le procès Fieschi, la crise ministérielle avaient éloigné du Château tout plaisir du carnaval; on y était fort sérieux. Le Roi, absorbé par la perspective du supplice des condamnés de la veille, n'avait pas osé sortir, parce qu'il se savait guetté par Mme Pépin et ses enfants. Le Château était vraiment lugubre et faisait un pénible contraste avec la joie bruyante des rues. M. Pasquier est venu dire au Roi que Pépin avait demandé à le voir ce matin, ce qui ferait remettre l'exécution à demain.
Avant de rentrer, j'ai été passer une demi-heure chez Mme de Lieven, où il n'y avait que lady Charlotte Granville et M. Berryer, qui disait que, lorsqu'on ne savait rien, on était le maître de dire tout ce qu'on voulait, et 21 qu'il ne craignait pas d'affirmer que Thiers était la seule combinaison possible et qui trouverait faveur dans la Chambre.
Paris, 19 février 1836.—J'ai eu, hier matin, la visite de M. Thiers, qui avait décidément accepté la mission de former un Ministère et de le présider. Il comptait employer le reste de la journée à compléter le Cabinet. Il a trop d'esprit pour ne pas sentir les difficultés de sa nouvelle position, et trop de courage, ou d'aveuglement, pour en être effrayé. M. Molé a manqué son élection académique; c'est une mauvaise semaine pour lui.
Paris, 20 février 1836.—Voici les paroles textuelles écrites par le Roi au-dessus de la signature qu'il a été obligé d'apposer à l'arrêt de mort de Fieschi, Pépin, Morey, etc.: «Ce n'est que le sentiment d'un grand devoir qui me détermine à donner une approbation qui est un des actes les plus pénibles de ma vie; cependant, j'entends qu'en considération de la franchise des aveux de Fieschi, et de sa conduite pendant le procès, il lui soit fait remise de la partie accessoire de la peine, et je regrette profondément que plus ne me soit pas permis par ma conscience.»
Paris, 21 février 1836.—M. Thiers éprouve des difficultés dans la combinaison du Ministère dont il est chargé; chacun veut bien aller avec lui et sous lui, mais ils ne veulent pas aller ensemble les uns avec les autres. 22 Il faut cependant tenir à ce que la composition de ce Cabinet soit un peu forte et ait bonne façon! Tout est difficile, même pour les gens supérieurs.
Paris, 22 février 1836.—M. de Talleyrand est de très mauvaise humeur: tous les journaux, tout le public le chargent de la responsabilité du nouveau Ministère, qui est enfin dans le Moniteur de ce matin [12]. Il n'y a cependant pris aucune part; et comme l'éclatante élévation de M. Thiers ne plaît pas à tout le monde, et que les Anglais surtout jettent feu et flammes, il en résulte que M. de Talleyrand est en grande humeur de tout ce qui lui revient à ce sujet, qu'il a une reprise de colère contre Paris, contre son âge, sa position, et des regrets plus vifs d'avoir quitté Londres.
Paris, 23 février 1836.—En rentrant, hier, chez moi, à la fin de la matinée, j'ai trouvé à ma porte M. Berryer qui venait de la Chambre des Députés où M. Thiers avait parlé. Berryer fait beaucoup de cas du talent, de l'esprit et de la capacité de Thiers; il a, lui, Berryer, l'esprit le plus libre, le plus impartial, le plus simple possible; il n'a aucune recherche, aucune affectation, aucune violence; il n'est pas à croire qu'il soit homme de parti; 23 aussi, dans mon opinion, l'est-il on ne saurait moins et ne demanderait-il peut-être pas mieux de ne plus l'être du tout. La facilité, la rapidité, la douceur, la simplicité de sa conversation ont un mérite d'autant plus grand qu'elles contrastent avec sa profession et sa position. L'équité de ses jugements et la bienveillance qui les caractérise le plus souvent, sont ce qui donne de la confiance dans ses opinions et ses récits.
La Chambre a reçu, avec une froideur marquée, le discours de Thiers, et je considère cela comme heureux pour lui, car il serait à craindre qu'il ne se perdît par de l'enivrement, et ce qui l'en garera ne saurait que lui être bon et utile.
Paris, 24 février 1836.—M. Molé a dîné hier ici; il y a un peu de froideur et de désappointement sur sa figure. Il n'a pas voulu marcher ministériellement avec M. Dupin, c'est ce qui a fait que celui-ci, qui dispose de quelques voix à l'Académie française, les lui a retirées et a, ainsi, fait manquer son élection, disant à cette occasion: «M. Molé n'ayant pas voulu être mon collègue, il ne me plaît pas d'être son confrère.»
Paris va devenir de plus en plus difficile à habiter, car, outre les deux grandes divisions dynastiques qui séparent la société, nous aurons maintenant toutes les fractions que les ambitions déçues ont produites: fraction Molé, fraction Broglie, fraction Guizot, fraction Dupin, et, enfin, fraction Thiers. Et tout cela aussi aigre et aussi hostile les uns contre les autres que le sont les légitimistes contre 24 le juste milieu au moins. Toutes ces fractions ne se confondent nullement dans un centre commun, comme pourrait et devrait être le Château; au contraire, les uns s'en prennent au Roi, les autres à notre maison. On se déteste, on se déchire, personne ne fait de retour sur soi-même et ne s'aperçoit que chacun a fait des fautes, et que ce n'est pas hors de soi qu'il faut chercher des coupables. Quel étrange aveuglement et quelle mauvaise foi ont les hommes, surtout ceux qui sont mêlés aux affaires et aux intérêts du monde!
Paris, 4 mars 1836.—M. Mignet racontait, hier, chez M. de Talleyrand, que Marchand, l'ancien valet de chambre de l'Empereur, allait publier des commentaires sur les Commentaires de César, que Napoléon lui a dictés dans les dernières semaines de sa vie à Sainte-Hélène. Marchand a beaucoup parlé à M. Mignet des derniers moments de Napoléon, de son isolement, du vide de sa vie, et il en donnait pour preuve qu'un soir, l'Empereur, déjà fort souffrant, étant couché, lui dit en lui montrant le pied de son lit: «Marchand, assieds-toi là et conte-moi quelque chose.» Marchand lui dit: «Eh! mon Dieu, Sire, que puis-je vous dire, à vous qui avez tant fait et tant vu?—Raconte-moi ta jeunesse, ce sera simple, ce sera vrai, et cela m'intéressera», reprit l'Empereur... Ce petit dialogue paraît bien pathétique! Et Bossuet, qui, dans son Oraison funèbre de la Palatine, n'a pas dédaigné l'anecdote un peu triviale de la poule, quel enseignement n'aurait-il pas trouvé dans ce peu de paroles? Le 25 plus grand hommage rendu à Bossuet n'est-il pas ce retour que chaque grande infortune, chaque gloire triomphante ou déchue nous fait faire vers l'aigle de Meaux, seul digne de les célébrer, de les pleurer et de les perpétuer!
Paris, 5 mars 1836.—Hier matin, MM. Berryer et Thiers se sont rencontrés chez moi; je ne crois pas qu'on puisse avoir assisté à une conversation plus animée, plus piquante, plus spirituelle, plus inattendue, plus obligeante, plus sincère, plus libre, plus vraie, plus dégagée de tout esprit de parti que celle qui s'est établie tout de suite entre ces deux hommes, si bien et si différemment doués; mais aussi j'ai cru qu'elle ne finirait plus! Ils ne sont partis qu'après six heures.
Paris, 7 mars 1836.—M. Royer-Collard m'a fait faire, hier, la connaissance de M. de Tocqueville, l'auteur de la Démocratie en Amérique; il m'a paru être un petit homme doux, simple, modeste, à la mine spirituelle. Nous avons beaucoup causé de l'Angleterre, sur les destinées de laquelle nous sommes parfaitement d'accord.
Paris, 9 mars 1836.—J'avais, à plusieurs reprises, jeté les yeux sur l'Imitation de Jésus-Christ, mais, soit que je ne connusse encore que superficiellement les autres et moi-même, soit que mon esprit fût mal préparé et ma pensée trop distraite, je ne faisais pas grande différence entre ce bel ouvrage et la Journée du Chrétien ou le 26 Petit Paroissien; je m'étais souvent étonnée de la grande réputation de ce livre et je n'avais trouvé aucun goût à sa lecture. Le hasard me l'a fait ouvrir l'autre jour chez Pauline, les premières lignes m'ont frappée, et, depuis, je le lis avec une admiration toujours croissante. Que d'esprit sous la forme la plus simple! Quelle profonde connaissance du cœur humain dans ses plus profonds replis! Que c'est beau et lumineux! Et c'est l'ouvrage d'un moine inconnu! Rien ne m'humilie davantage que de l'avoir méconnu, et ne me prouve mieux à quel point j'étais dans les ténèbres.
Paris, 10 mars 1836.—J'ai été, hier, avec la duchesse de Montmorency, au bal de Mme Salomon de Rothschild, la mère. C'est la maison la plus magnifique que l'on puisse imaginer, aussi l'appelle-t-on le temple de Salomon! C'est infiniment supérieur à la maison de sa belle-fille, parce que les proportions sont plus élevées et plus grandes; le luxe y est inouï, mais de bon goût, la Renaissance pure, sans mélange d'autres styles; la galerie surtout est digne de Chenonceaux, et on aurait pu se croire à une fête des Valois. Dans le salon principal, les fauteuils, au lieu d'être en bois doré, sont en bronze doré, et coûtent mille francs pièce! La salle à manger est comme une nef de cathédrale. Le tout bien ordonné, admirablement éclairé, point de cohue et beaucoup de politesse.
Paris, 11 mars 1836.—J'ai été, hier, entendre, à 27 Saint-Thomas-d'Aquin, l'abbé de Ravignan, jadis procureur du Roi, ami de Berryer qui le vante beaucoup, beau-frère du général Exelmans, et que j'ai connu dans les Pyrénées, où il m'avait frappée par la belle expression de sa figure. Il prêche bien, son débit est excellent, son style pur et élégant; il a plus de logique et d'argumentation que d'onction et de chaleur. Aussi s'attache-t-il plus au dogme qu'à la morale évangélique; il m'a paru être plutôt un homme de talent qu'un grand prédicateur.
Paris, 18 mars 1836.—Vous faites ma part trop belle [13] à l'occasion de mes réflexions sur Bossuet. Parce que j'ai le goût du vrai, parce que le monde et les hideuses misères qu'il couvre me frappent en dégoût; parce que j'en suis arrivée à en craindre la contagion, que j'ai trop longtemps subie; parce que je me recherche avec quelque sérieux, et que je suis effrayée de me sentir plongée dans toutes les mauvaises et tristes conditions qui sont le partage des gens du monde, et au milieu desquelles l'esprit de paix, de charité et de pureté périt; parce que je fais quelques efforts pour rompre tant d'entraves et pour m'élever vers une région plus épurée, il n'en est pas moins vrai que, le plus souvent, mes efforts sont impuissants, mes essais inutiles, mes tentatives vaines, et que je ne sais, habituellement, si l'excès de fatigue morale qui m'accable tient au triste spectacle des déplorables agitations qui m'entourent ou à celles, non 28 moins déplorables, que j'éprouve moi-même. Quand, après de longues années passées dans tous les embarras du siècle, on veut changer de route, quelque détourné que soit le sentier qui conduit de l'une à l'autre, on se trouve un lourd bagage: on ne sait ni avancer avec son poids, ni s'en alléger tout d'un coup; on trébuche, on revient sur ses pas; enfin, on est très mauvais marcheur, et le but s'éloigne, à mesure qu'on a un désir plus sincère de l'atteindre. Voilà où j'en suis...
J'ai eu, hier, à la fin de la matinée, la visite de M. de Tocqueville, qui me plaît assez; celle du duc de Noailles, qui, sans déplaire jamais, ne plaît jamais trop; et, enfin, celle de Berryer, qui pourrait plaire beaucoup, s'il ne portait, à travers son esprit et son agrément, une certaine empreinte de mauvaise vie dont je suis frappée; du reste, la conversation a très bien marché, entre l'un qui a si bien vu, le second qui est sain dans son jugement, et le troisième qui a, dans l'esprit, le mouvement rapide avec lequel on devine tout. Cette conversation d'hommes distingués a porté uniquement sur les choses, point sur les hommes; pas un nom propre, aucun commérage, ni violences, ni aigreurs; elle a été telle que la conversation devrait toujours être conduite, surtout chez une femme.
Paris, 20 mars 1836.—Quelle profonde tristesse inspire un premier beau jour de printemps quand il fait contraste avec la disposition dans laquelle on se trouve!... Depuis quarante-huit heures, le beau temps doux, léger et parfumé s'est emparé de l'atmosphère, tout est clair et 29 riant, tout respire la joie, tout renaît, tout se réchauffe et s'égaye; eh bien! je me sens asphyxiée dans cette ville!... Des promenades publiques ne sont pas la campagne et rien ne peut me rendre ce doux printemps fleuri de l'année dernière, ce vaste horizon, cet air léger, cette respiration facile! Qui le pourrait deviendrait l'objet de mon culte... Au lieu de cela, aller, en voiture fermée, au bois de Boulogne avec Mme de Lieven, quelle chute! C'est ce que j'ai fait hier, pendant que M. de Talleyrand était à l'Académie des sciences morales et politiques, donnant sa voix à M. de Tocqueville, qui a manqué son élection.
Paris, 24 mars 1836.—La princesse Belgiojoso a une figure extraordinaire plutôt que belle; sa pâleur est extrême, ses yeux trop écartés, sa tête trop carrée, sa bouche grande, et ses dents ternes; mais elle a un beau nez, et une taille qui serait jolie si elle était plus pleine, des cheveux très noirs, des costumes à effet, de l'esprit, une mauvaise tête, des fantaisies artistes, du décousu, et un assez habile mélange de naturel, qui trompe sur la prétention, et de prétention qui corrige ce que le fond de la nature me paraît avoir de vulgaire, et ce que les flatteurs appellent sauvage. Voilà ce que me semble être cette personne, que je n'ai fait que rencontrer.
M. Royer-Collard m'ayant trouvé l'autre jour lisant l'Imitation, m'en a apporté hier un joli petit exemplaire, qu'il possède depuis sa jeunesse, et qu'il a presque toujours porté sur lui. Je ne puis dire combien ce don m'a 30 touchée, combien il m'est précieux: je ne trouve qu'un seul tort à ce petit livre, c'est d'être en latin; je n'ai jamais bien su cette langue, et je me trouve l'avoir oubliée... Je crois que je vais la rapprendre.
M. Royer m'a demandé en échange un livre que j'eusse beaucoup lu. Je lui ai donné cet exemplaire des Oraisons funèbres de Bossuet, qui porte fort mes marques, dont le signet est arraché et qui s'est trouvé, marqué par une épingle à cheveux, à un des passages les plus applicables pour moi de la princesse Palatine. M. Royer a reçu ce petit bouquin de bien bonne grâce.
J'ai été, le soir, au Théâtre italien, où Berryer est venu me faire une visite dans ma loge; il était fort occupé de la séance du matin à la Chambre des Députés et du discours formidable de M. Guizot. M. Thiers se prépare à y répondre ce matin, et cela est indispensable, à moins de laisser passer la Chambre sous le pouvoir de M. Guizot; enfin, nous allons voir la lutte corps à corps engagée entre les vrais adversaires. C'est un événement, et regardé comme tel. Berryer racontait et décrivait tout cela à merveille, sans une parole âcre pour personne, sans un mot de plus qu'il ne fallait pour l'intelligence des positions. En dix minutes, il m'avait tout appris.
Paris, 27 mars 1836.—Hier matin, j'ai eu l'honneur de voir le Roi chez Madame Adélaïde; il a eu une conversation charmante. Il a eu la bonté de me raconter son mariage, la Cour de Palerme, et la fameuse Reine Caroline. J'ai su, aussi, que le prince Charles de Naples et miss 31 Pénélope arrivaient ici dans deux jours, pauvres comme des gueux. Cette arrivée est un embarras, et une sorte de honte, surtout pour la Reine [14].
J'ai raison de croire que si Thiers n'a pas répondu immédiatement l'autre jour au grand discours de Guizot, cela a été par mesure de prudence, et par docilité à des ordres supérieurs; mais il ne perdra rien pour attendre, et, à la prochaine occasion, nous verrons éclater une grosse bombe. Il me paraît qu'on n'a pas voulu placer la question comme un duel entre deux individus, et qu'on a préféré laisser éventer un peu l'effet de l'un avant de le combattre. D'ailleurs, une énorme majorité a répondu à l'effort du moment; il est seulement fâcheux qu'il y ait autant de concessions dans le discours de M. Sauzet et j'ai vu des mécontentements prononcés et élevés à ce sujet.
M. de Tocqueville, que M. Cousin avait, à son insu, présenté à l'Académie des sciences morales et politiques, m'a dit avoir déclaré ne pas vouloir qu'il fût question de lui sur de nouveaux frais. Il ne se soucie pas, lui, petit-fils de M. de Malesherbes, de siéger à côté de conventionnels, car cette Académie est, en général, fort mal composée.
Paris, 29 mars 1836.—Il est certain que toute idée d'intervention en Espagne est abandonnée par tous les divers degrés de la hiérarchie gouvernementale; les uns ne l'ont jamais eue, les autres ne l'ont plus. Je ne crois 32 pas qu'il y ait la plus petite imprudence à craindre de ce côté!
Il n'est bruit que d'une conversation entre le Roi et Guizot, dans laquelle le Roi aurait, d'une manière très animée, montré son mécontentement des dates auxquelles on s'efforce de rattacher le système du bon ordre. Le Roi a dit que ce système n'était pas celui de tel ou tel, mais le sien, et qu'il ne reconnaissait qu'une seule date, la sienne, celle du 9 août. Il a ajouté que c'était mal agir que d'attaquer le seul Cabinet qui, pour le moment, pouvait avoir la majorité. A quoi Guizot a répliqué que si le Roi voulait en essayer, il verrait que la majorité était ailleurs. «Non pas», a repris le Roi, «c'est vous, Monsieur, qui êtes dans l'illusion, et qui ne sentez pas que la marche que vous suivez vous éloigne des affaires plus qu'elle ne vous en rapproche; vous arriverez peut-être, en la continuant, à me pousser à ce qui me répugne, mais à ce qui, assurément, vous déplairait encore plus, c'est à une dissolution de la Chambre, pensez-y bien.» Je crois que cette conversation est textuelle et qu'elle fera un peu plus regarder à ce qu'on dira ou fera, d'autant plus que les doctrinaires, sachant très bien qu'ils n'ont pas de chances pour être réélus, trembleront devant la dissolution.
M. de Chateaubriand a vendu ses œuvres, inédites et futures, 150 000 francs comptant, plus une rente viagère de 12 000 francs, réversible à sa veuve. On dit qu'il est tout dérouté depuis qu'il a payé ses dettes; son avenir, arrêté et limité d'avance, lui paraît un poids. Tout ce qu'il 33 écrira, même en dehors de ses Mémoires, appartiendra à ses éditeurs, moyennant un prix réglé dès aujourd'hui. Tous les cahiers de ses Mémoires ont été solennellement renfermés, en sa présence, dans une caisse de fer déposée chez un notaire. Il dit que ses pensées ont été mises en prison pour dettes, à sa place.
Paris, 30 mars 1836.—Il est bien vrai que j'ai plus entendu de musique cette année que par le passé. Privée de toutes les jouissances qui me sont chères, je me suis livrée, avec vivacité et sans scrupules, à celles de la musique, recherchant les occasions de l'entendre et y prenant plaisir. A mesure que le nombre des années ou les circonstances diminuent le nombre des goûts, ceux qui restent s'accroissent de ceux qui partent; les affections héritent de la coquetterie, la musique de la danse; la lecture, la méditation, des conversations oiseuses, malignes ou indiscrètes; la promenade des visites, et le repos de l'agitation.
Paris, 10 avril 1836.—J'ai mené Pauline, hier au soir, à une loterie de charité chez la duchesse de Montmorency, où il y avait foule; tout le haut faubourg Saint-Germain, et jusqu'à la duchesse de Gontaut, l'ancienne gouvernante du duc de Bordeaux, qui, du reste, s'est exécutée et m'a saluée très poliment. Pauline s'est amusée comme on s'amuse à quinze ans, c'est-à-dire de tout. Elle était fort en beauté, coiffée bien simplement, mais enfin coiffée par le grand Édouard, une robe bleu de ciel, 34 fraîche comme une rose, avec un joli maintien, tranquille, naturelle, sa petite mine bienveillante; enfin, elle a eu succès et approbation. Cela m'a mise de très bonne humeur pour tout le monde; toutes les petites blessures que tel ou tel m'a faites jadis s'effacent par un mot agréable ou un regard bienveillant adressé à Pauline. Il vaut assurément mieux ne s'être pas mis en hostilité avec le monde, mais quand on a eu ce tort ou ce malheur, se réconcilier par sa fille est parfaitement doux.
J'ai des lettres d'Angleterre qui me disent que la duchesse de Gloucester est devenue la plus heureuse personne du monde: elle a lady Georgiana Bathurst comme dame d'honneur, elle reçoit tous les soirs, c'est le rendez-vous des High-Tories: il s'y dit toutes les nouvelles, il s'y fait maints commérages dont la Duchesse régale le Roi chaque matin. Le Roi d'Angleterre ne voit ses Ministres que pour affaires; il n'a, avec eux, aucune communication sociale. Lord Melbourne n'y regarde pas, ne se plaint pas, va son train sans fatiguer le Roi de ses plaintes: c'est un assez bon plan, ce me semble.
J'ai été, hier matin, grâce à un billet privilégié que j'ai fait demander à M. l'Archevêque, entendre la clôture des conférences de l'abbé Lacordaire à Notre-Dame. Il part, aujourd'hui, pour Rome, et restera deux ans absent. Il y avait, certainement, cinq mille personnes dans l'église, presque tous jeunes gens des écoles. Parmi les hommes qui sont arrivés avec l'Archevêque, et qui par faveur ont été placés dans le banc de l'Œuvre, j'ai reconnu le marquis de Vérac, le duc de Noailles, M. de Tocqueville. 35 J'étais précisément derrière ce banc, avec une cinquantaine de dames dont je ne connaissais pas une; j'étais en face de la chaire et je n'ai rien perdu. Beaucoup d'imagination, de verve, et une tout autre langue que celle des séminaires, distinguent l'abbé Lacordaire, qui est jeune et qui a un bon débit; mais j'ai trouvé du pêle-mêle, un peu trop de hardiesse dans les images, et une doctrine dans laquelle la belle et humble théorie de la grâce n'avait nulle part sa place. Il me semble que saint Augustin, ce grand apôtre de la grâce, y aurait trouvé à redire. A tout prendre, j'ai été intéressée et frappée de l'aspect attentif de l'auditoire. L'Archevêque a clos la conférence par des remerciements et des adieux convenables au jeune prédicateur, et par une bénédiction motivée, simple et douce, pour tout l'auditoire, reçue avec un respect étonnant de la part de tous ces jeunes gens. Il est vrai de dire que, quand l'Archevêque ne se lance pas dans les lieux communs du séminaire, ni dans la politique, il peut, avec sa noble figure, ses gestes et son ton affectueux, dans cette belle cathédrale, sur ce siège exhaussé d'où il découvrait toute cette jeunesse, produire, comme il l'a fait hier, un effet imposant et touchant. M. de Tocqueville, qui est venu chez moi à la fin de la matinée, en était encore tout ému.
Paris, 13 avril 1836.—Il y a un grand départ pour Prague de MM. Hyde de Neuville, de Jumilhac, de Cossé, Jacques de Fitz-James, de Montbreton, allant demander M. le duc de Bordeaux à Charles X, et, sur son refus, décidés à l'enlever; se flattant du concours du jeune 36 Prince, voulant l'établir en Suisse, l'y faire élever et le rapprocher ainsi, de toutes manières, de la France; ce projet, fort peu sensé en lui-même, est rendu plus absurde encore par les vanteries qui l'ont précédé et le bruit qu'on en a fait. Un autre projet, dont la police est informée, c'est celui d'enlever un des jeunes Princes de la famille royale ici et de le garder pour otage. Le Ministre de l'Intérieur en est assez en émoi.
Paris, 21 avril 1836.—Un courrier, arrivé hier de Vienne, a apporté une réponse conçue dans les termes les plus gracieux aux insinuations faites sur le voyage que M. le due d'Orléans désire faire en Autriche. Ce qui avait été évité sous M. de Broglie a été accueilli sous M. Thiers pour lequel, personnellement, la réponse est fort aimable. On attend, ces jours-ci, quelque chose d'analogue de Berlin. Le départ du Prince, et de son frère M. le duc de Nemours, est fixé au 4 mai, mais cela ne sera publié que dans cinq jours, c'est-à-dire au retour de Chantilly. On doit revenir par Turin. La Cour de Sardaigne, qui sent bien qu'il lui faut un appui, paraît disposée, après de longues hésitations, à le chercher en France. Mon fils Valençay accompagnera les Princes: il sera le seul, non attaché à leur maison, qui sera du voyage; on voulait lui donner un titre, des fonctions, je n'en ai pas voulu, mon fils n'en ayant pas besoin pour être bien traité partout.
Hier à dîner, chez M. de Talleyrand, il s'est établi une certaine lutte entre M. Thiers et M. Bertin de Veaux, qui 37 a juste, ce me semble, tourné en sens inverse de ce qu'on souhaitait; au lieu d'une explication douce, c'est devenu un duel. J'étais sur le gril, et enfin j'ai rompu, presque brutalement, le combat, ce dont je crois que tout le monde m'a su gré; je l'aurais fait plus tôt, si je n'avais pas trouvé que c'était à M. de Talleyrand de le faire, mais il n'a pas même cherché à détourner la conversation. Bertin de Veaux donnait des coups de boutoir; Thiers a été longtemps doux comme un mouton, mais enfin, excité aussi, il a monté le ton. On en est venu à se donner des défis politiques.
Paris, 23 avril 1836.—Mrs Norton a écrit une lettre à M. Ellice qui est une espèce de factum, qu'elle lui envoie avec mission de le communiquer à ses compatriotes du Continent. Je l'ai lue; elle ressort, de cette vilaine histoire, pure comme Desdemona, s'il faut l'en croire [15]; je le veux bien, cela m'est égal. Le tout me paraît bien vulgaire et de bien mauvais genre.
La duchesse de Coigny, qui a toujours été accoucher en Angleterre pour n'y mettre au monde que des filles, devait partir aujourd'hui pour faire de nouvelles couches à Londres; mais, s'étant trompée dans ses calculs, elle est accouchée hier d'un gros garçon... C'est un rude désappointement.
38 Paris, 26 avril 1836.—Les revenants de Chantilly ne tarissaient pas, hier, sur la beauté du lieu, la quantité de monde, le mouvement des courses, le brillant de la chasse, et, pour ceux qui étaient au Château, sur la grâce du Prince Royal. Les Anglais disent que, si ce n'est sous le rapport des courses en elles-mêmes, qui cependant sont fort bien, sous tous les autres rapports, ces trois jours de Chantilly l'emportent de beaucoup sur Ascot, Epsom et toutes les autres parties de ce genre en Angleterre.
La chasse s'est faite avec l'équipage du prince de Wagram, elle a été suivie par quatre cents jeunes gens, dont trente seulement sont arrivés à la mort du cerf.
Le Prince Royal part le 3 ou le 4, et ira d'un trait à Metz pour visiter l'École d'artillerie; il ne veut s'arrêter à aucune petite Cour, il les évitera toutes avec soin, en prenant toutes sortes de routes peu usitées, sous le prétexte qu'elles sont plus directes.
J'ai dîné, hier, chez Mme de la Redorte, avec quelques personnes, parmi lesquelles se trouvait le général Alava, qui racontait le duel entre Mendizabal et Isturitz, où ni l'un ni l'autre n'avait été touché.
Il avait l'air de croire à une crise ministérielle, à Madrid, qui pourrait bien atteindre sa position diplomatique.
Alava est tellement extravagant, qu'étant chez M. Dupin à une des réceptions de Députés, le maître de la maison lui demanda, en frappant sur l'épaule de M. Berryer s'il connaissait ce Député, et Alava de s'écrier: «Oui, certainement, je connais M. Berryer, et je partage toutes ses opinions.»
39 Paris, 27 avril 1836.—Le Prince Royal passe par Verdun, Metz, Trêves, Dusseldorf, Hildesheim, Magdebourg, Potsdam et Berlin. Tous les ministres de Saxe, de Hanovre, de Bavière sont venus lui faire des invitations pressantes de la part de leurs souverains pour qu'il voulût bien s'arrêter chez eux. Cela a été décliné sous le prétexte du manque de temps, mais, au fait, par un peu de rancune contre les longues impertinences et injures de Munich; et, refusant l'un, il n'y avait pas moyen, sans hostilité évidente, d'accepter les autres. On regrette cependant de brûler Dresde, dont on a toujours eu à se louer. De Berlin, on ira par Breslau et Brünn à Vienne.
J'ai eu entre les mains, il y a quelques jours, quelques volumes des Essais de morale de Nicole dont Mme de Sévigné nous donne la curiosité. C'est, sans doute, excellent, mais je crois qu'il faut être encore un peu plus avancé que je ne suis pour l'admirer vivement. J'y trouve une certaine sécheresse austère, qui me repousse un peu. Au lieu de tant de traités, j'aime mieux cette touchante parole de saint Augustin: «Si vous avez peur de Dieu, jetez-vous dans les bras de Dieu.» J'arriverai cependant peut-être à goûter Nicole, les goûts de l'esprit changent avec les modifications d'âge et de position.
Paris, 28 avril 1836.—Pozzo a reçu l'Ordre de Saint-André, en diamants, mais en même temps, un congé illimité pour voyager en Italie! Je pense qu'il passera bientôt par ici.
Le voyage du Prince Royal est avancé d'un jour, il part 40 le 2. On sera dix jours pour arriver à Berlin, parce qu'on couchera chaque nuit, qu'on ne fera pas de trop grandes journées, qu'on veut arriver frais et dispos et d'humeur à affronter toutes les fatigues militaires, les manœuvres, les fêtes et autres devoirs. Je trouve cela fort sage. Le Prince Royal a été formellement invité aux manœuvres de Berlin. Sa réception ne peut donc être que bonne. Cette invitation a bien été provoquée, mais enfin c'est une invitation; dès lors on ne peut accuser ni d'importunité, ni de témérité. M. le duc et Mme la duchesse d'Angoulême auront quitté Vienne tout naturellement quand les deux Princes y arriveront.
J'ai été hier soir chez Mme la comtesse de Castellane à une lecture faite par M. de Rémusat de scènes historiques dans le genre des Barricades: la Saint-Barthélemy en est le sujet. Il y a de l'esprit, de la verve, et, à ce que l'auteur assure, beaucoup de recherches historiques, mais c'est tellement long qu'il a fallu remettre à mardi pour entendre la seconde partie. C'est chose fatigante que d'assister à une lecture...
Paris, 1er mai 1836.—C'était hier le bal de Pauline, il était joli et a supérieurement réussi: point de foule, beaucoup de lumières, de jeunes et jolies personnes bien gaies, de jeunes messieurs polis et en train de faire danser les demoiselles; très bon air, très bon ton, et un choix exquis de beau monde; pas précisément d'exclusion, mais le faubourg Saint-Germain dominait. Ma cousine de Chastellux, par exemple, s'est exécutée; enfin, j'ai été très 41 satisfaite de notre petit succès et de la joie de Pauline.
Paris, 2 mai 1836.—Il est arrivé hier des nouvelles de Berlin, qui parlent de tous les préparatifs de réception qu'on fait pour les jeunes Princes. Le Roi a dit qu'ils seraient reçus comme l'est l'Empereur son gendre. Ils demeureront au Vieux Palais. Une heure après leur arrivée, tous les Princes viendront leur faire la première visite; enfin, tout cela se passera le mieux du monde. Les carlistes en sont écrasés, les violents en sont malades, les modérés en jettent de tendres regards sur le château des Tuileries, et hier, M. de Chabrol, l'ancien ministre de la Marine, et M. Mounier ont été au Château. M. de Noailles en ferait bien autant, sans sa femme, qu'il considère beaucoup, avec raison, car c'est une personne d'un grand mérite, mais qui est très violente dans ses opinions politiques.
Paris, 4 mai 1836.—J'ai été hier entendre la fin de la Saint-Barthélemy par M. de Rémusat [16]. Il y a beaucoup d'esprit et de talent, mais je le répète, le genre est faux et un beau récit historique m'intéresserait davantage.
J'ai vu M. Royer-Collard, et ensuite M. Thiers. Le premier disait que dans la querelle Dupin les doctrinaires sont décidément battus, la Chambre s'étant prononcée contre eux. Le second est fort content, notamment de ses rapports avec l'ambassadeur de Russie et la Cour de Saint-Pétersbourg qui commence à s'amadouer. Je crois 42 qu'il est en train d'une autre réconciliation qu'il croit plus importante, celle avec Bertin de Veaux; ceci est encore le secret des secrets.
Paris, 6 mai 1836.—La mort du bon abbé Girolet m'affecte beaucoup. Il a suivi le beau précepte de Bossuet, et la seule précaution qu'il ait prise contre les atteintes de la mort a été l'innocence de sa vie; car tous ses intérêts ont été tellement négligés qu'il me laisse des affaires embrouillées, embarrassées, et qui exigent ma prompte arrivée à Rochecotte. Je pars après-demain. On m'attend pour lever les scellés. Le testament par lequel il me laisse tout a été trouvé, mais ce tout, où est-il? Quel est-il? C'est ce qu'on ignore, et on craint qu'il n'y ait plus de dettes que d'avoir, ce qui m'empêcherait d'établir les fondations que je lui ai promis de faire, après sa mort. Je vais trouver un vide bien sensible à Rochecotte; je n'y serai plus saluée par ce doux regard qui se fixait si affectueusement sur moi. Puis quels tristes détails!
Rochecotte, 10 mai 1836.—Il ne faut rien me demander de bien intéressant de ce petit coin retiré du globe, où je ne puis me vanter que de repos, de silence et de solitude, trois bonnes conditions, auxquelles je suis d'autant plus sensible que je sors, comme dit l'Imitation, «de ce commerce tumultueux des hommes, qui engage la vanité même, avec des intentions simples, et qui finit par asservir l'âme».
J'ai passé ma soirée à faire, avec M. Vestier, mon bon 43 architecte, des plans et devis pour le tombeau de l'Abbé et pour le mien. Cela se fera tout simplement dans le cimetière de la paroisse, en haut de la côte, dans cette belle vue, dans ce bon air, regardant le soleil levant. Des tombes bien simples, entourées d'arbustes, garanties par une grille en fer; les noms et les dates, voilà tout. Sa dernière demeure sera simple, comme était son âme, et comme le deviendra la mienne, je l'espère. Il est si rare que les volontés des hommes soient exécutées après leur mort, qu'il faut, de son vivant, prendre l'initiative le plus qu'on peut. J'ai eu beaucoup de peine à décider Vestier à ce petit travail; il dit que c'est horrible d'exiger qu'il creuse ma tombe, et le pauvre garçon s'est mis à pleurer. Il a fini par céder, car il m'est docile [17].
Rochecotte, 13 mai 1836.—J'ai reçu, hier, une lettre fort longue de mon fils Valençay, écrite de Coblence: les honneurs rendus aux Princes étaient grands; M. le duc d'Orléans invitait, partout, à dîner, les autorités chargées de lui faire accueil; il leur parle l'allemand avec une facilité qui a beaucoup de succès. Dans chaque ville, la musique des régiments joue constamment sous les fenêtres des Princes; enfin toutes les attentions convenables.
Valençay, 18 mai 1836.—Je suis ici depuis avant-hier. J'y attends M. de Talleyrand et Pauline demain.
Je lis une relation des principales religieuses de Port-Royal 44 sur leur réforme, conduite par la mère Marie-Angélique de Sainte-Madeleine Arnauld et sur leur persécution du temps de leur célèbre Abbesse, la mère Angélique de Saint-Jean Arnauld, nièce de la première et fille de M. d'Andilly. C'étaient de grandes âmes et des esprits bien fermes; et que de détails singuliers! Quelle race que ces Arnauld, et M. Nicole, et l'abbé de Saint-Cyran! On retrouve tous ces noms dans Mme de Sévigné. Son ami M. de Pomponne était Arnauld, fils de M. d'Andilly. Cette famille était tout à part, même dans son propre temps, puisqu'on disait que Pascal était tout petit devant Antoine Arnauld! Cela ne donne-t-il pas l'idée de géants? Géants à leur époque, que paraissent-ils être maintenant?
Valençay, 22 mai 1836.—J'ai eu, hier, une lettre de mon fils Valençay, de Berlin. Il est enchanté, et il a raison de l'être, car outre la satisfaction générale du voyage, il est traité avec une bonté particulière qui le touche et me pénètre, parce que c'est à mon intention. Le Prince Royal lui a dit qu'il m'avait toujours regardée comme sa sœur, qu'il le traiterait en neveu, que ma lettre était charmante, mais qu'il lui reprochait de ne pas assez sentir die Kinderstube [18]. La duchesse de Cumberland et ma marraine, la princesse Louise [19], ont été maternelles, la Reine des Pays-Bas bien douce aussi; M. Ancillon, M. de Humboldt, 45 la comtesse de Redern, excellents. M. de Valençay m'assure que le Prince Royal de Prusse n'a été ni froid ni répulsif dans son accueil à M. le duc d'Orléans, mais très obligeant et cordial au contraire; la Princesse Royale charmante, ainsi que la princesse Guillaume la jeune; toutes les autres très convenables; les populations, tout le long des routes très bien, mais nos Princes d'une prudence parfaite. On a eu quelque peine à faire quitter aux jeunes Français militaires la décoration belge; Mgr le duc d'Orléans voulait qu'ils ne la portassent pas du tout à Berlin, mais ils ont fait les farouches, et, enfin, on s'est borné à obtenir qu'ils l'ôteraient devant la Reine des Pays-Bas [20]. Il est arrivé à Berlin un courrier avec une lettre pressante du Roi de Saxe pour inviter les Princes à passer par Dresde. Je ne sais si cela changera l'itinéraire. Les deux Princes voyageurs ont été le dimanche à l'église catholique de Berlin, ce qui est très bien et d'un bon effet.
Valençay, 23 mai 1836.—Voici comment s'est passée la journée d'hier, qui était la Pentecôte. Elle donnera une idée de notre vie habituelle ici. D'abord, la grand'messe à la paroisse; l'office a duré deux grandes heures, grâce à un sermon de M. le Curé, d'autant plus soigné qu'il m'a vue dans le banc du château. La chaleur était extrême, l'odeur désagréable, l'encombrement presque comme à Saint-Roch. J'y ai pris un grand mal de tête, qui s'est un peu dissipé pendant une longue promenade en calèche, 46 que j'ai faite avec M. de Talleyrand aux étangs de la forêt de Gâtines.
Plusieurs personnes de la ville ont dîné chez nous. J'ai un peu marché après dîner, pendant que Pauline faisait la promenade en calèche avec son oncle, puis j'ai écrit jusqu'à neuf heures que part la poste et que M. de Talleyrand est rentré. La lecture des journaux, le thé et le piquet ont fini la journée.
Je les trouve bonnes quand je n'ai pas eu d'alerte pour la santé de M. de Talleyrand, et, en me couchant, j'en rends grâces à Dieu. Le plus ou moins d'amusement, d'intérêt, d'agrément, je n'en suis plus à y regarder; tout cela reviendra peut-être un jour; maintenant que M. de Talleyrand et mes enfants se portent bien, et que j'ai l'esprit assez libre et l'humeur assez aimable pour rendre la vie douce et facile à ce qui m'entoure, je n'en demande pas davantage. Le jour où on est arrivé à faire très sincèrement abnégation totale de soi, on trouve tout léger, et au lieu de ce vol bas et pesant de l'égoïsme, on s'élève d'un vol rapide, à ailes étendues, et on y trouve du plaisir. Ce n'est que quand je vois la maladie s'abattre et menacer les miens, que je perds le courage et l'équilibre, car je ne suis qu'à ce début de la résignation où on se porte en sacrifice soi-même, en tribut au ciel. Je doute que j'y parvienne jamais! Mais quittons ce sujet, on me croirait dévote comme une dame du faubourg Saint-Germain! Je suis bien loin de là; ce n'est jamais ce que je serai précisément; j'ai une indépendance d'esprit qui ne me permettra guère de suivre la route frayée, et de m'astreindre 47 à de certaines pratiques, allures et observances; mais il serait difficile aussi qu'avec mon goût naturel pour les bons livres, avec la disposition sérieuse de mon esprit, mon expérience de tant de choses, et la sincérité de mes jugements sur moi-même, je ne finisse pas par puiser à la seule source intarissable!
L'hôtel Carnavalet est à vendre; la mise à prix est de cent quarante mille francs; si j'osais, je l'achèterais; réellement, j'en suis extrêmement tentée.
Valençay, 26 mai 1836.—La correspondance entre M. de Talleyrand et Madame Adélaïde est toujours animée et très affectueuse, ce qui ne laisse pas de me donner un peu de besogne.
Voici ce que les lettres d'hier, de Paris, ont fourni:
Alava est accablé, c'est Miraflorès qui s'annonce comme son successeur; Alava dit que les affaires de son pays le mettent au désespoir. En effet, les journaux mentionnent des choses singulières dans l'Assemblée des Procuradores, et quelle confusion que toute cette affaire du changement des Ministres! Il y a des personnes qui se disent bien informées, et qui assurent qu'Isturitz, pour se tirer d'embarras, ne serait pas éloigné de s'entendre avec don Carlos et de faire le mariage de la Reine Isabelle avec son cousin.
Lady Jersey a donné ordre qu'on lui envoyât copie de sa correspondance avec lady Pembroke. Il paraît que c'est au delà de tout ce qu'on peut imaginer, en style de servante. Elle veut aussi que M. de Talleyrand lise tous ces factums.
48 J'ai une lettre de la princesse Louise de Prusse, ma marraine, extrêmement favorable pour les jeunes Princes français. La princesse Louise est une femme d'esprit, et d'un jugement naturellement ironique et sévère, ce qui donne encore plus de prix à son appréciation. M. de Valençay m'écrit qu'il a été frappé de la beauté des Princesses, de leurs pierreries et de l'élégance de leur toilette. M. de Humboldt avait conduit les Princes et leur suite voir les musées et les ateliers d'artistes. Le Prince Royal de Prusse, qui a le goût des arts, a donné, à cet égard, un grand élan à Berlin. M. le duc d'Orléans a fait une chose qui a plu beaucoup, c'est de commander une statue à Rauch, le premier sculpteur de la Prusse et le protégé du Roi.
La timidité de la Reine des Pays-Bas est encore plus grande que celle du duc de Nemours. Cette disposition semblable les a rapprochés, car on assure que la Reine a pris le jeune Prince en amitié et qu'il y a, entre eux, de longues conversations.
Valençay, 29 mai 1836.—J'ai lu, hier, la nouvelle pièce de M. Casimir Delavigne, Une famille au temps de Luther. Il y a de beaux vers, mais rien n'est moins fait pour la scène, et plus froid que ces discussions théologiques, même lorsqu'elles finissent par un crime; et puis, on est un peu fatigué de ces formes de fanatisme, qui ne sont plus de notre temps. Enfin, on est las même de l'horrible boucherie de la Saint-Barthélemy, et la meilleure preuve qu'elle a perdu son horreur, aussi bien que les 49 atrocités des Atrides, c'est qu'on les chante et qu'on les danse!
Madame Adélaïde mande à M. de Talleyrand que la princesse Royale de Prusse a écrit à sa mère, la Reine douairière de Bavière, qu'elle était forcée de convenir de la distinction des Princes français et que c'était un bien bon ami du Roi Louis-Philippe qui leur avait donné le conseil de se montrer.
Voilà le Roi de Naples parti de chez lui, les uns disent pour aller épouser une princesse de Modène, d'autres, pour faire sa cour à la fille de l'archiduc Charles, et d'autres enfin pour venir regarder les jeunes Princesses à Paris.
Le Roi fait faire pour Valençay un portrait en pied de François Ier, qui a bâti le château, et un autre de la Grande Mademoiselle, qui y est venue, et qui l'a loué dans ses Mémoires. Le Roi envoie aussi à M. de Talleyrand le fauteuil qui servait à rouler Louis XVIII et il nous a fait dire par Madame que, s'il allait à Bordeaux, ce qui serait possible, il passerait ici.
Valençay, 31 mai 1836.—Il paraît que ni l'esprit ni l'âge ne mettent à l'abri des folies: celle de M. Ancillon en épousant Mlle de Verquignieulle en est une grande, d'après ce que l'on écrit de Berlin. M. de Valençay me mande aussi que la fête donnée par M. Bresson [21] et à laquelle le Roi de Prusse a assisté, a été fort brillante: 50 tous les valets étaient en grande livrée, bleu, rouge et or, et Bresson lui a dit: «Ce sont mes couleurs.» Cela n'est-il pas amusant et digne du temps actuel? «A la bonne heure!» comme dit M. de Talleyrand.
Valençay, 1er juin 1836.—Les jeunes Messieurs français qui étaient allés à Prague sont revenus; ils y sont restés fort peu. Ce qui les a frappés le plus, c'est l'atmosphère d'ennui au milieu de laquelle on doit y vivre. Ils ont trouvé un très bon visage au duc de Bordeaux, mais la taille peu agréable, l'esprit peu développé, comme celui d'un enfant élevé au milieu de vieillards.
A un dîner, donné le 22 mai aux deux Princes français chez le Prince Royal de Prusse, la princesse Albert [22], à la grande rage de Bresson, au grand mécontentement du Roi et au grand effroi de tous les assistants, avait paru avec une énorme guirlande de lys dans ses cheveux; jusque-là, cependant, elle avait été convenable.
Les cadeaux faits par M. le duc d'Orléans à Berlin ont été énormes; tant en argent qu'en diamants, cela a été de plus de cent mille francs!... plutôt trop que pas assez. Le prince Wittgenstein a reçu une boîte, non seulement avec le portrait du Prince Royal, mais encore avec ceux du Roi et de la Reine. Ceci est une attention très marquée. M. Ancillon, bardé de la grande croix de la Légion d'honneur, se boursouflait et se pavanait. Il avait l'air de vouloir marcher sur le corps de tout le monde. Bourgeois et calviniste; cela s'explique.
51 On se quitte s'adorant, les uns aimant les Princes comme leurs fils, les autres comme des frères, enfin, jamais succès n'a été plus complet; toutes les femmes sont frappées de la beauté de M. le duc d'Orléans. Mes autorités ne sont pas suspectes, car ce n'est pas seulement M. de Valençay que je cite, mais encore d'autres lettres arrivées ici hier, et de Berlinois même. L'accident, qui a failli arriver au duc d'Orléans à la manœuvre, tenait à des politesses qu'il faisait aux Princesses, près desquelles il caracolait, c'est dans ce moment-là qu'il a failli être renversé, mais l'adresse avec laquelle il s'en est tiré lui a valu force compliments, et, à ce sujet-là, voici ce que m'écrit la duchesse de Cumberland: «Jugez ce que nous serions devenus, s'il lui était arrivé du mal; je voudrais laisser mon corps malade dans mon lit, et me transformer en ange gardien, pour planer sur eux pendant leur séjour à Berlin, et répondre ainsi à la confiance de votre Reine, qui, dans une lettre charmante, m'a priée de traiter ses fils comme les miens.»
Le jour où nos Princes ont reçu le Corps diplomatique, M. de Ribeaupierre, le ministre de Russie, s'est fait excuser, sous prétexte d'une joue enflée. Contre l'ancienne étiquette de Berlin, tout le Corps diplomatique a été invité à un bal chez le prince Guillaume, frère du Roi. Voici aussi ce qu'on m'écrit: «La fête donnée à la mission de France, par ordre du Roi Louis-Philippe, a très bien réussi; les Princes français ont eu le tact parfait d'en faire eux-mêmes les honneurs, et ont reçu le Roi et les Princesses au bas de l'escalier.»
52 Valençay, 2 juin 1836.—La princesse de Lieven est arrivée hier ici, assez languissante. Elle est établie et soignée du mieux que nous pouvons, mais j'ai déjà, vers le soir, cru sentir qu'elle avait le pressentiment de s'ennuyer, et que si ce voyage était à refaire, elle hésiterait. Je le conçois. Elle n'aura ici ni nouvelles, ni lanterne magique humaine, deux choses de première nécessité dans sa vie. La nouveauté des objets matériels, les souvenirs, les traditions historiques, les beautés du site, la vie intérieure domestique, la lecture, la réflexion, l'ouvrage, rien de tout cela n'est à son usage, et Valençay n'a jamais été plus réduit, sous d'autres rapports, qu'en ce moment.
Les vers que M. de Peyronnet m'a adressés ne sont pas bien bons, mais ce point est insignifiant dans la question et la circonstance actuelles. Pendant l'hiver, j'ai fait beaucoup de démarches pour ces pauvres gens, et j'ai obtenu, pour le plus malade, M. de Peyronnet, des adoucissements matériels qui lui ont été très agréables; j'espère mieux encore, tout de suite après la session. C'est cette œuvre de charité qui m'a valu les vers en question [23].
Ma sœur m'écrit de Vienne pour me dire qu'on y fait les plus grands préparatifs pour recevoir les Princes français, Paul Esterhazy surtout: ils auront une fête chez lui à Eisenstadt. Malheureusement, il y a déjà beaucoup de monde à la campagne, et beaucoup de deuils.
Valençay, 4 juin 1836.—Le temps, qui était mauvais 53 depuis deux jours, s'est un peu remis, hier, avant midi, ce qui nous a heureusement permis de promener Mme de Lieven dans la forêt, la garenne, les carrières, etc. Mais le soir, M. de Talleyrand a eu une palpitation, légère à la vérité, mais enfin l'ennemi se montre toujours. Mme de Lieven bâillait, et quels bâillements!... La pauvre femme s'ennuie! Je le comprends très bien et je le lui passe. Le fait est qu'il faudrait une toute autre disposition d'esprit que la sienne, des habitudes toutes différentes, pour se tirer de notre solitude actuelle et du grave et du terne que l'état moral et physique de M. de Talleyrand donne à cette maison-ci. Du reste, la Princesse n'est pas un hôte facile pour l'établissement matériel: elle a déjà changé deux fois de chambre et veut maintenant revenir à la première qu'elle a occupée et dans laquelle se trouve le lit de Mme de Staël. Lady Holland ne nous aurait pas donné plus de peine; aussi Pauline dit-elle que la Princesse is rather whimsical! [24].
Il a paru à Londres une caricature sur lord Melbourne et Mrs Norton, et cela le jour même de l'éclipse; elle représente le soleil et Mrs Norton, la lune qui passe sur lui, et au-dessous est écrit: éclipse. Cela s'applique au procès scandaleux que M. Norton a intenté à sa femme, et dans lequel lord Melbourne se trouve si désagréablement compromis.
Valençay, 5 juin 1836.—La pauvre princesse de 54 Lieven s'ennuie et est singulièrement naïve à ce sujet, car elle m'a demandé hier, comme une personne qui se parle à elle-même, pourquoi nous l'avions invitée dans un moment où nous n'avions personne. Je me suis mise à rire, et lui ai répondu fort doucement: «Mais, chère Princesse, c'est vous-même qui avez eu la bonté de désirer venir; nous avons invité la terre entière, mais la session n'étant pas finie, les Diplomates, les Pairs, les Députés, ne peuvent quitter Paris.—C'est vrai,» a-t-elle répondu; puis, plus tard, ayant vu que M. de Sercey venait d'arriver à Paris, elle a eu un grand élan de regret de ne pas s'y être trouvée pour le questionner; elle a dit aussi que son salon eût été bien intéressant, le soir, pendant la discussion du budget des Affaires étrangères. J'aime les personnes naïves, parce qu'avec elles, du moins, on sait exactement où l'on en est.
Valençay, 10 juin 1836.—La princesse de Lieven a reçu hier des lettres de son mari qui lui disent qu'on lui a rendu, à elle, de très mauvais offices auprès de l'Empereur Nicolas. On a transmis à Saint-Pétersbourg des conversations et des discours entiers, soi-disant tenus par la Princesse, qui sûrement sont faux; car elle est bien zélée pour le service du maître; mais quand on parle beaucoup et qu'on voit toute espèce de monde, on finit toujours par être compromis. Cela agite beaucoup la Princesse.
Il est parfaitement certain que le Prince d'Orange donne des symptômes de folie, et cela par une avarice tellement 55 sordide que sa femme et ses enfants manquent de nourriture à table; il a lui-même la clef du garde-manger, et la Princesse se fait acheter en secret, par sa femme de chambre, quelques côtelettes. On dit le fils ainé un vilain petit sujet: à Londres, où il est maintenant, avec son frère cadet, on les appelle unripe oranges [25]. Les Hollandais sont, dit-on, très effrayés de leur avenir, et font des vœux pour la prolongation de la vie du Roi actuel.
Valençay, 13 juin 1836.—J'ai eu, hier, une longue lettre du Prince Royal de Prusse, dans laquelle il y a une phrase fort bonne sur les Princes français et sur le Roi leur père, avec un correctif anti-révolutionnaire qui donne le cachet de ses véritables opinions. Cette lettre est curieuse. J'en ai une aussi de M. Ancillon, sans correctif, et la plus laudative, sur les voyageurs, sur l'union, sur la paix, sur M. de Talleyrand. Elle est curieuse aussi. Enfin, j'en ai deux, très longues, de M. de Valençay, écrites de Vienne; il s'était arrêté à Günthersdorff, dont il me parle en détail [26]. A Vienne, il avait vu, chez sa tante de Sagan, le comte de Clam, par lequel il avait su qu'on avait été fort content de la première entrevue; que nos Princes avaient dit tout ce qu'il convenait de dire. L'archiduchesse Sophie s'est souvenue fort gracieusement de moi, et a très bien traité mon fils. Il trouve que les Princesses autrichiennes n'ont pas la grâce et la distinction qui sont si remarquables chez les Princesses de la famille royale de 56 Prusse. La princesse de Metternich était à la première soirée de M. et Mme de Sainte-Aulaire: elle y a été fort convenable et y est restée fort tard; M. le duc d'Orléans ne lui a parlé que pendant cinq minutes, et de... l'homéopathie! Elle méritait une petite leçon [27].
Il paraît que la grande réception diplomatique de la noblesse et de la garnison a été superbe. Ce qui a surtout charmé M. de Valençay, c'est la course à Bade, chez l'archiduc Charles, qui lui a parlé en très bons termes de M. de Talleyrand. L'Archiduc a fait, à tous les Français, l'accueil le plus cordial; on a dîné avec l'archiduchesse Thérèse, qui, d'après M. de Valençay, a l'air agréable, de jolies manières, un visage piquant; mais elle est très brune et fort petite. M. le duc d'Orléans était près d'elle, à table, et la conversation n'a pas langui. M. de Metternich était du dîner. Il est réconcilié, du moins en apparence, avec l'Archiduc [28]. Celui-ci est retiré dans ce joli Bade où il cultive des fleurs: il a dit à M. de Valençay que, comme tous les vieux soldats, il aimait son jardin. M. le duc d'Orléans devait y retourner dîner tout seul le surlendemain. L'Archiduc adore sa fille et la laissera libre dans le choix de son époux: elle a refusé le Prince Royal de Bavière; elle va voir défiler encore devant elle le Roi de Naples et celui de Grèce. Son père ne redoute que l'alliance russe.
57 M. de Valençay a été aussi enchanté de la fête de Laxembourg et des courses sur l'eau avec de la musique à tous les coins: cela lui a rappelé Virginia Water [29]; toute la société de Vienne y était, en bayeuse, et animait le coup d'œil.
Il est assez simple que tout cela blesse à Prague. Madame la Dauphine a dit, à quelqu'un qui, la veille de son départ de Vienne, lui demandait quand on aurait l'honneur de l'y revoir, que, lorsqu'on voudrait dorénavant la voir, il faudrait venir la chercher. Une dame viennoise, fort ennemie politique de la France, a dit, devant M. de Valençay, en parlant de notre Prince Royal, qu'il était si aimable et si gracieux qu'il fallait espérer qu'il n'était pas autre chose!
Les voyageurs devaient partir le 11, et se rendre à Milan par Vérone, mettant dix jours pour ce trajet.
Le prince de Capoue et miss Pénélope sont à Paris; le premier a vu la Reine. Il va à Rome, et, de là, négociera sa réconciliation avec Naples.
Tous les Cobourg, et les Majestés belges, viennent à Neuilly.
Valençay, 17 juin 1836.—Il faut que chaque jour soit marqué par une tribulation: hier au soir, nous avons eu une horrible frayeur dont les conséquences auraient pu être des plus graves; elles paraissent devoir être légères, 58 cependant le docteur dit qu'il faut neuf jours pour être certain qu'il n'y aura pas de choc intérieur. La rage de M. de Talleyrand de rester tard dehors l'a fait rentrer hier dans sa petite voiture à la nuit close; de plus, comme un enfant, il s'amuse à se faire pousser à la course et à se diriger en zigzag, de sorte qu'il a mis la roue de devant en travers; elle a, par conséquent, fait obstacle, l'obscurité l'a empêché de s'en apercevoir, il a crié de pousser plus fort par derrière, ce qu'a fait le domestique; il en est résulté un cahot qui a été assez violent pour le faire sauter hors de la voiture et pour le jeter, la tête la première et le visage par terre, sur le gravier de la cour de l'orangerie, à l'entrée du donjon. Il a le visage extrêmement meurtri, et a, heureusement, beaucoup saigné du nez; il n'a pas perdu connaissance, et a voulu rester au salon et jouer au piquet. A minuit, il a mis ses jambes dans de l'eau et de la moutarde, et maintenant il dort encore; mais quelle secousse, quel ébranlement nerveux, à son âge, avec son poids, et souffrant d'un mal pour lequel chaque émotion, chaque trouble est si mauvais!
Valençay, 18 juin 1836.—La figure de M. de Talleyrand est fort endommagée, mais, du reste, il paraît devoir se tirer miraculeusement de cette singulière chute!
Valençay, 21 juin 1836 [30].—Vous souvenez-vous 59 que c'est vous qui décliniez toutes les conversations sur la religion? Ce n'est qu'une fois, à Rochecotte, que vous m'avez un peu développé vos idées à cet égard; vous étiez plus avancé que moi, alors, dans de certaines croyances; les épreuves par lesquelles j'ai passé depuis m'ont fait aller assez vite dans cette route, mais mon point de départ a été le souvenir de cette conversation, dans laquelle j'ai vu que vous admettiez quelques principes fondamentaux sur lesquels je n'étais pas fixée. Du reste, je n'ai, spéculativement, pas été au delà: ce n'est que dans l'application que j'ai cherché à me diriger d'après cette boussole; je ne me suis en aucune façon occupée du dogme, ni des mystères, et si j'ai une préférence pour la religion catholique, c'est que je la crois plus utile à la société en général, aux États, car pour les individus, c'est différent, et je crois que toute religion qui a l'Évangile pour base est également bonne et divine. Depuis que je vois tous les appuis manquer autour de moi, j'ai senti ma propre faiblesse et le besoin d'un soutien et d'un guide: j'ai cherché et j'ai trouvé; j'ai frappé et il m'a été ouvert, j'ai demandé et il m'a été accordé; tout cela cependant encore fort incomplètement, parce qu'en marchant ainsi seule, et quand on y est si peu préparée, il n'est pas possible de ne pas prendre souvent de faux sentiers, de ne pas glisser dans les ornières et de ne pas trébucher à chaque pas. Il n'aurait pas été sage, même, de m'exciter à trop de zèle et de ferveur, c'eût été me préparer des rechutes et celles-ci peuvent être mortelles; j'avance donc à tout petits pas, et quand 60 je me demande compte de mes progrès, je m'humilie en voyant à combien peu ils s'élèvent: un peu plus de douceur, de patience, d'équilibre et d'empire sur moi-même, voilà tout ce que j'ai acquis. J'ai encore même ardeur pour les choses qui me plaisent, même répugnance pour celles qui m'importunent; mes malveillances ne sont point éteintes; mes rancunes restent assez vivaces, mes inquiétudes d'esprit aussi fatigantes, mon activité aussi peu réglée, ma parole souvent trop prompte et mes expressions pas assez mesurées; j'ai encore mille complaisances pour moi-même, je me blesse du blâme, je me sens trop flattée de l'approbation, je la recherche quelquefois, au besoin, même, je la provoquerais; enfin, il n'y a rien d'aussi difficile, d'aussi long, qui demande plus d'exercice et de persévérance que de mettre ordre à sa conscience.
Outre le besoin pratique que j'ai senti de me servir d'un fil qui me tirât du labyrinthe, j'y ai encore été portée par un grand sentiment de reconnaissance. Il y a un jour, en Angleterre, où j'ai été tout à coup frappée des grâces innombrables qui m'avaient été accordées, à moi qui avais fait un si mauvais usage de mes facultés et de mes avantages. J'ai admiré la patience de Dieu, la longanimité de la Providence à mon égard; avoir trouvé ce que j'ai trouvé alors m'a semblé un bien si réel, si peu mérité, qu'il m'a rempli le cœur de gratitude. Ce sentiment de reconnaissance a toujours été en augmentant; c'est lui qui me soutient en partie dans l'accomplissement des sacrifices que j'ai à faire. Les grands enseignements 61 que me donne la vieillesse de M. de Talleyrand chaque jour, la mort de Marie Suchet [31], la douleur de sa mère, la disparition successive de tant de personnes de ma connaissance, d'âges, de sexes et de positions diverses, celle de cette petite-fille à qui j'ai fermé les yeux [32] et qui m'a fait voir la mort de si près, la lecture attentive de bons livres, les conversations élevées de M. Royer-Collard qui voudrait bien se dépouiller du doute philosophique et qui y arrive petit à petit, voilà ce qui m'a fait faire attention à mille choses, inaperçues avant, ce qui me fait tendre vers un but élevé et assuré. Voilà l'histoire de ce côté de ma vie. Du reste, mes allures ne sont pas celles d'une dévote et je puis dire que je suis bien plus avancée dans le fond que dans la forme; je doute même que je change jamais grand'chose à celle-ci.
Quelle longue réponse je fais là à une seule petite page de votre lettre! Si elle vous paraît trop longue, dites-le, nous réserverons toutes ces révélations pour les soirées de Rochecotte...
M. le duc d'Orléans a écrit des merveilles sur une conversation qu'il a eue avec M. de Metternich et dont il a été ravi.
La princesse de Lieven vient de partir: c'est un soulagement général! Je crois que la Princesse et sa superbe nièce [33] ont fini par sentir qu'elles avaient été un peu 62 ridicules ici, car elles ont fait bien des frais le dernier jour, des remerciements sans nombre, des excuses des embarras donnés, etc...
Valençay, 24 juin 1836.—Rien n'est plus bête que d'être mauvais! Mme de Lieven a assez vilainement écrit à Paris pour gémir et se plaindre du profond ennui qu'elle éprouvait ici; ses correspondants s'en sont, ou moqués, ou servi contre nous; cela s'est donc beaucoup dit et su. Nos amis en sont en grande colère en nous le mandant. Cette petite ingratitude de Mme de Lieven qui, de plus, en cette occasion, devient du manque de savoir-vivre, est une vraie bêtise. Du reste, je n'en suis pas surprise. J'aurais parié qu'il en était ainsi: l'ennui était trop profond pour être dissimulé, et j'ai vu, évidemment, que le besoin de s'en venger se développait dans la correspondance. Le seul tort que je lui reproche, ce n'est pas de s'être ennuyée, ni de l'avoir montré, ni même de l'avoir écrit, c'est d'avoir prolongé son séjour ici, sous le prétexte d'une maladie feinte. Elle avait peur de voyager seule, elle redoutait l'isolement à Bade, elle n'osait pas se prolonger à Paris; elle est donc restée ici à se mourir d'ennui et à nous faire enrager. Ce qui ne l'a pas empêchée de pleurer comme une Madeleine en partant: ses larmes 63 étaient sincères, car elle les versait, non sur nous, mais sur elle-même, sur sa vie errante, déracinée. Je ne m'y suis pas trompée.
J'ai eu hier une lettre de M. de Valençay, de Leoben. On était fort satisfait de Vienne, et en tous points. Cependant, la famille Royale de Prusse avait plu davantage que la famille Impériale. On avait trouvé les Princesses de Prusse plus brillantes de jeunesse, de beauté et d'élégance, et, malgré la guirlande de lys, qui paraît avoir été le résultat d'une petite conversation moitié taquine, moitié coquette, notre Prince Royal et la princesse Albert avaient été dans une flirtation marquée. L'Impératrice d'Autriche et la duchesse de Lucques sa sœur sont très belles, mais ce sont des beautés froides, austères et imposantes. Nos Princes ont fait les mêmes cadeaux à Vienne qu'à Berlin, seulement au lieu de la grande croix de la Légion d'honneur, donnée à Ancillon, on a offert, au prince de Metternich, qui a depuis longtemps tous les ordres français, un magnifique service en porcelaine de Sèvres.
Valençay, 25 juin 1836.—M. de Barante [34] m'écrit, de Saint-Pétersbourg, qu'on y est furieux, contre Mme de Lieven, de son séjour prolongé en France. On y a beaucoup d'humeur aussi contre les succès du voyage de nos Princes, mais on n'en témoigne rien à notre Ambassadeur, pour lequel, personnellement, on est fort poli.
On dit que ce qui a déplu davantage à Mrs Norton 64 dans cet étrange procès dont le Galignani rend un compte, hélas, trop détaillé, c'est que les témoins domestiques ont déposé qu'elle mettait du rouge et se teignait les sourcils!
Valençay, 27 juin 1836.—Encore un nouvel attentat contre la vie du Roi [35]! Quelle rage atroce! Sera-t-elle toujours impuissante? Voilà la triste question qu'on est obligé de se faire... Nous ne savons rien encore que ce que le télégraphe a transmis aux chefs-lieux des départements voisins, d'où les Préfets nous ont envoyé des courriers pour nous en faire part.
Valençay, 28 juin 1836.—On a écrit à nos Princes de ne pas hâter leur retour à cause de l'attentat. Ils doivent être aujourd'hui à Turin, on les attend le 8 à Paris.
Il paraît que lord Ponsonby [36] est devenu fou. Il veut la destitution du Reis-Effendi [37] et du chef de la garde. Il a écrit deux notes à la Porte ottomane, dans lesquelles il va jusqu'à la menacer du démembrement de l'Empire ottoman si on lui refuse satisfaction. L'amiral Roussin lui-même écrit que lord Ponsonby est fou. Tous les Ministres, celui de Russie compris, s'entremettent pour empêcher une rupture; la Cour de Vienne expose les faits au gouvernement 65 anglais à Londres, et on espère que lord Ponsonby sera rappelé.
Valençay, 29 juin 1836.—J'ai reçu hier une lettre de nos voyageurs, de Roveredo, où ils étaient retenus par une indisposition assez grave de M. le duc de Nemours qu'on a fort atténuée dans les lettres à ses parents, mais qui a beaucoup effrayé M. le duc d'Orléans. Il a été très contrarié aussi du départ précipité du général Baudrand. Il paraît que c'est moins le besoin de se rendre promptement aux eaux qui a provoqué ce départ subit, qu'un peu d'humeur de ce que le Prince Royal ne lui montrait pas assez de confiance.
Les Princes ont été sur le point d'aller à Florence, le grand-duc de Toscane ayant mis une insistance particulière à le demander; la maladie du duc de Nemours l'a empêché. Ils ont rencontré l'archiduchesse Marie-Louise [38], cousine germaine de notre Prince Royal. Elle a demandé de nos nouvelles à M. de Valençay dont elle est la marraine; il ne l'a pas trouvée aussi vieillie qu'on la lui avait dépeinte. Ils ont aussi vu la princesse de Salerne, puis le Roi de Naples. On dit que celui-ci a une assez belle tête, mais une grosse vilaine tournure; il est au désespoir de la mort de sa femme, avec laquelle il a très mal vécu, jusqu'au jour où elle est devenue grosse de l'enfant, en couches duquel elle est morte. On le dit très fantasque.
L'Archevêque de Paris a été le jour de l'attentat, à onze 66 heures du soir, à Neuilly. Il est fâcheux qu'il ne paraisse jamais chez le Roi qu'à la suite d'une tentative d'assassinat, aussi je ne pense pas qu'on lui sache très bon gré de ses visites; elles sont à une condition qui fait qu'on l'en dispenserait volontiers. Il a refusé la présentation à l'église du corps de Sieyès qui a été droit au cimetière [39].
Ma plus vive peine, dans l'attentat du 25, c'est que ce coup de pistolet a tué, je le crains, notre Princesse Royale!
On dit beaucoup qu'Alibaud est un nouveau Louvel, fanatique isolé, vrai produit des excès de la presse et des mauvaises doctrines. Le Roi veut faire grâce à l'assassin, mais on pense que le Cabinet ne le permettra pas.
Le général Fagel [40] a été à Neuilly, malgré la présence des Majestés belges; le Roi lui en a su fort bon gré.
Valençay, 5 juillet 1836.—Une maladie grave de ma femme de chambre m'oblige à me servir moi-même; j'y suis un peu empruntée, mais cela se formera. Cela n'est pas toujours agréable, mais c'est très utile et je ne m'en plains pas; ce n'est pas que je n'aie mes moments de découragement, mais alors je me malmène et cela ne dure pas. Il en résulte bien, quelquefois, une grande fatigue nerveuse, faute d'y être assez exercée; tout cela disparaîtra, car, enfin, nous ne sommes pas ici-bas pour nous amuser, nous reposer, nous bien porter et être heureux et satisfaits. C'est là où est l'illusion. On se trompe 67 sur le but, et c'est alors qu'on se révolte de ne pas l'atteindre; en se disant bien que le but est le travail, la lutte et le sacrifice, on évite les mécomptes, et on échappe ainsi à ce qui est le plus pénible.
Les interrogatoires d'Alibaud ne seront pas imprimés; tant mieux, car tout cela est une mauvaise pâture pour le public. J'ai eu hier une lettre du duc de Noailles, qui est un des juges, et qui me dit qu'il est évident que c'est la misère qui a poussé au crime. Cet homme, n'ayant pas un sou, a voulu se tuer, mais il a trouvé qu'il fallait rendre sa mort intéressante et utile. Voilà où commence l'influence des mauvaises doctrines du temps et des sociétés républicaines dans lesquelles il a vécu... Ce n'est ni un sombre fanatique comme Louvel, ni un Erostrate moderne, comme Fieschi, c'est un mendiant d'assez de sang-froid, nourri de mauvais principes, voilà tout.
Tous les journaux, carlistes, radicaux et juste milieu, enfin tutti quanti, sont très mécontents du mandement de l'Archevêque de Paris. Paraître à Neuilly, est trop pour les uns; ne pas oser dire: le Roi, dans ce mandement, est une platitude inutile auprès des autres, irritante pour beaucoup; la phrase jésuitique et équivoquante de la fin, bien pitoyable. Enfin, le tolle est général, et mérité. J'en suis fâchée, car au fond, ce n'est pas un homme sans qualités, mais d'une gaucherie déplorable.
J'ai eu une lettre de M. de Valençay, de Milan; les courses de chevaux, dans les arènes où vingt-cinq mille personnes étaient réunies, et l'illumination du théâtre de la Scala ont été admirables.
68 Le maire de Valençay est venu consulter M. de Talleyrand pour une adresse au Roi sur le dernier attentat, et a prié M. de Talleyrand de la lui faire. Celui-ci m'en a chargée. La voici telle qu'elle a été votée, et telle qu'elle est partie hier, pour Paris. C'est une grande preuve de déchéance que de tomber de la langue diplomatique dans la langue municipale. Enfin, voilà ce que le petit Fontanes du Berry a produit: c'est, assurément, de toutes celles qui ont été faites pour la circonstance, la plus monarchique, dans le fond et dans la forme:
«SIRE,
«C'est avec la confiance des enfants, le respect des sujets et la reconnaissance des amis de la vraie liberté, que les habitants de Valençay viennent déposer, au pied du Trône, l'expression de leur joie, pour la miraculeuse conservation de la personne sacrée du Roi, et leurs vœux pour le bonheur durable de la famille Royale. Quelque modeste et retiré que soit le point de votre Royaume d'où les cœurs s'élancent avec amour vers Votre Majesté, sa bonté nous est garante de l'indulgence avec laquelle nos hommages seront reçus. Notre ville, d'ailleurs, n'est pas sans quelque titre à l'intérêt du Roi; celui de tous qu'il nous est le plus doux d'invoquer c'est l'honneur que nous avons eu d'y recevoir Son Altesse Royale Monseigneur le duc d'Orléans, et le souvenir des bienfaits qu'il a répandus parmi nous, etc., etc.»
Suivent les signatures du Conseil municipal, parmi lesquelles figure celle de M. de Talleyrand.
69 Valençay, 10 juillet 1836.—Mon fils Valençay nous est arrivé hier; il ne nous a rien appris de nouveau sur ses voyages que la confirmation de ses lettres. Nous avons aussi le prince de Laval, qui fatigue M. de Talleyrand à la mort, et il y a de quoi! A Paris, passe encore; il est même parfois amusant; mais à la campagne, ce manque de jugement, cette sottise nobiliaire, qui lui fait dire, par exemple, que l'oranger (taillé, rogné, encaissé) est l'aristocratie de la nature; cette façon de questionner toujours, de bégayer sous le nez, de crachoter au visage, et de toujours prendre le petit côté des choses, sont excédants!... Et il ne parle pas de s'en aller!
M. le duc d'Orléans m'écrit que ce n'est que par raison qu'il regretterait de ne pas épouser la fille de l'archiduc Charles, car elle ne lui plaît que moralement; physiquement, il la trouve, non pas laide, mais chétive; enfin, il n'est pas séduit. Du reste, le père et la fille disent oui de grand cœur au mariage; l'Empereur d'Autriche ne dit rien, mais son frère, l'archiduc François-Charles, et sa belle-sœur, l'archiduchesse Sophie, disent non.
Valençay, 13 juillet 1836.—Nous avons eu hier soir la visite du duc Decazes [41] et du comte de la Villegontier, qui, en se rendant à leurs forges de l'Aveyron, se sont arrêtés ici pour y prendre le thé. M. Decazes était triste et soucieux des dangers du Roi, des plaies qui gangrènent la société et que révèle le procès d'Alibaud. Il se plaint 70 aussi, avec raison, de la manière dont la police est faite, ou, plutôt, n'est pas faite. Il dit que le Roi, seul, a conservé du calme et de la présence d'esprit, mais qu'autour de lui tout est triste, inquiet, agité, que la Reine et Madame sont bien malheureuses. Le maréchal Lobau a persuadé que la Garde nationale trouverait mauvais que le Roi ne passât pas de revue le 28 de ce mois-ci. Il la passera donc, sous l'Arc de triomphe de l'Étoile, la Garde nationale défilant devant lui; mais c'est encore trop! Les fêtes de Juillet se borneront à l'inauguration de l'Arc de triomphe et à celle de l'Obélisque de Luxor. Il ne faudrait, ce me semble, plus du tout de commémoration.
Alibaud a cédé aux exhortations de l'abbé Grivel. Il s'est confessé, et, par conséquent, il s'est repenti. Sur l'échafaud, il a baisé, devant le peuple, le crucifix, mais un des valets lui ayant arraché le voile noir, cela l'a mis en colère; il s'est tourné, subitement, vers la multitude, le rouge lui est monté au visage, et il a crié: «Je meurs pour la Patrie et la Liberté», puis il a tendu la tête.
M. Decazes nous a dit aussi que chaque jour amenait des lettres anonymes, des dénonciations, des révélations et qu'il était impossible d'avoir un instant de repos. Il m'a laissée sous une profonde impression de tristesse.
Valençay, 16 juillet 1836.—Le prince de Laval, qui est encore ici, où il admire tout et paraît se plaire fort, malgré nos divergences politiques, a un certain esprit qui consiste à dire parfois des mots piquants et drôles, mais cet esprit manque de justesse et de mesure. Sa vanité 71 nobiliaire rappelle celle de M. Saint-Simon, ses préjugés de caste vont jusqu'au ridicule, sa curiosité et son commérage sont sans exemple et son occupation de lui-même, de son importance, de son agrément est inimaginable; il a toutes les prétentions, aussi est-il insupportable quand on le prend au sérieux! Dans le cas contraire, il y a un certain parti à en tirer, d'autant plus que, tout en étant taquin, il n'est pas méchant, et que ses prétentions mêmes l'obligent à une certaine élévation.
Quant au duc de Noailles, que nous attendons aujourd'hui même ici, c'est tout autre chose: raisonnable, posé, mesuré, froid, doux, poli, contenu, il n'est ni questionneur, ni bavard, ni fatigant, mais ses prétentions, pour être rentrées, n'en sont pas moins réelles; celles de grand seigneur avant tout, et d'homme politique ensuite, l'absorbent. Il fait grâce de celle d'homme élégant et à bonnes fortunes dont Adrien de Laval se pare dans le passé, à défaut du présent. Je dirais volontiers que si M. de Laval est un ci-devant jeune homme, le duc de Noailles est un vieillard prématuré. Il n'a que trente-quatre à trente-cinq ans, et par sa figure, ses façons, et l'ensemble de sa vie, il en paraît cinquante.
Paris, 21 juillet 1836.—Je fais cas, de plus en plus, du duc de Noailles; il a du jugement, de la sûreté, du goût, de la droiture et d'excellentes manières; c'est un homme grave, honorable et sensé, dont la bienveillance a du prix, et dont la haute position peut être utile dans le monde où il compte; mais le cas que je fais de ses qualités 72 et le prix que j'attache à mes très bonnes et amicales relations avec lui ne m'empêchent pas de lui trouver des prétentions. L'ambition politique est au premier rang, et elle n'est peut-être pas suffisamment soutenue par un certain dégagé de caractère, absolument nécessaire dans le temps actuel. Toute cette famille est restée ce qu'elle était il y a deux cents ans. Les Noailles sont plus illustres qu'anciens, plus courtisans que serviteurs, plus serviteurs que favoris, plus intrigants qu'ambitieux, plus gens du monde que grands seigneurs, plus nobiliaires qu'aristocrates, et avant tout, et plus que tout, Noailles! Je connais tous ceux actuels; le plus capable et le meilleur est sans aucun doute le Duc, que je juge peut-être un peu sévèrement, mais pour lequel j'ai toutefois une véritable estime.
J'ai quitté Valençay avant-hier, à six heures du matin, y laissant Paulinette fort triste de son abandon; j'ai couché à Jeurs, chez les Mollien, où je suis arrivée à huit heures du soir; j'étais ici, hier, d'assez bonne heure.
J'y ai trouvé M. de Talleyrand en assez bonne santé, mais fort préoccupé de l'état des choses. Le Roi n'assistera pas à la revue de demain, et ce qui y a fait renoncer, c'est la découverte du serment fait par cinquante-six jeunes gens de tuer le Roi. Comme on n'a pu se rendre maître de ces cinquante-six jeunes gens, on a, avec raison, jugé plus prudent de renoncer à la revue... Dans quel temps vivons-nous?
La mort de Carrel [42] jette aussi du lugubre: il avait de 73 grandes erreurs dans l'esprit, mais cet esprit était distingué, et son talent remarquable. Conçoit-on, pourtant, M. de Chateaubriand, l'auteur du Génie du Christianisme, fondant en larmes au convoi d'un homme qui a refusé de voir un prêtre, et qui a défendu qu'on le présente à l'église? Le besoin de faire de l'effet est ce qui fait le plus souvent et le plus essentiellement manquer de goût et de convenances.
Les affaires d'Espagne vont très mal. Les amis de l'intervention s'agitent fort, et il y en a de bien influents, et des premiers, mais la volonté suprême y est toujours également opposée.
J'ai eu bien bonne compagnie, hier, pendant ma route: celle du cardinal de Retz dont j'ai repris les Mémoires; il y avait bien des années que je ne les avais lus, et c'était à un âge où on cherche les faits et les anecdotes, mais où on fait peu attention au style et aux réflexions. L'un est vif, original, ferme et gracieux tout à la fois; les autres fines, judicieuses, élevées, piquantes, abondantes. Quelle ravissante lecture! que d'esprit, et du meilleur, si ce n'est dans l'action, du moins dans le jugement! C'est La Bruyère dans la politique.
Paris, 28 juillet 1836.—M. le duc d'Orléans est venu me voir hier. Il était très souffrant, assez sombre; il est 74 obligé, lui aussi, à une infinité de précautions qui rendent sa vie triste. Le Roi était bien résolu à aller à la revue, mais, en même temps, si convaincu qu'il y serait tué, qu'il avait fait son testament, et donné tous ses ordres, toutes ses directions à son fils, pour l'avènement de celui-ci au trône.
J'ai eu aussi, à la fin de la matinée, la visite de M. Thiers, fort satisfait des nouvelles d'Afrique qu'il venait de recevoir, de la situation politique au dedans et au dehors, de tout enfin, excepté des dangers continuels et immenses qui menacent la vie du Roi. Il devait y avoir plusieurs attaques contre le Roi le jour de la revue, attaques isolées et inconnues les unes des autres: l'une consistait dans un groupe d'hommes déguisés en gardes nationaux, lequel aurait, en passant devant le Roi, tiré sur lui simultanément; sur vingt coups, infailliblement, il s'en serait rencontré un de fatal. Deux des jeunes gens arrêtés (il y en a plus de cent), ont déjà fait des aveux importants. Hier matin, on a arrêté un homme chez lequel on a trouvé une machine semblable à celle de Fieschi, mais perfectionnée et réduite comme volume, avec plus de justesse et d'infaillibilité dans le tir.
Paris, 29 juillet 1836.—J'ai été hier soir chez la Reine; elle était, en apparence, dans son état naturel, quoiqu'elle ait dit avec une grande amertume: «Nous pouvons nous donner le témoignage d'être de bonnes gens, et on nous force à vivre dans les terreurs, et dans les précautions des tyrans.» Madame Adélaïde prend sur 75 elle, afin de ne pas assombrir le Roi. Celui-ci était avec ses Ministres et n'est venu que plus tard. Il était, dans ses façons, comme de coutume, mais ses traits portaient l'empreinte de sombres pensées: il a éprouvé la plus vive contrariété qu'il ait eue dans sa vie, en n'allant pas à la revue. Du reste, il croit que ses jours sont comptés, car, en embrassant avant-hier la Reine des Belges, qui repartait pour Bruxelles, il lui a dit qu'il ne la reverrait plus. La jeune Reine s'est trouvée mal et rien n'a été plus déchirant que leurs adieux. Les pauvres gens!
Un fait remarquable, consigné par tous les chefs des légions de la Garde nationale, c'est que, depuis quinze jours, une quantité de gens inconnus, ou trop connus, tels que Bastide et autres, se sont fait inscrire sur les rôles de la Garde nationale, et montent la garde: tout cela, pour se trouver dans les rangs défilant devant le Roi, le jour de la revue.
Rien de si triste que les Tuileries; j'y suis restée deux heures avec un serrement de cœur inexprimable, une oppression et une envie de pleurer que j'ai pu à peine contenir, surtout quand j'ai vu le Roi.
Je partirai demain matin de bonne heure pour Valençay.
Chartres, 31 juillet 1836.—J'ai quitté Paris hier, mais beaucoup plus tard que je ne croyais, M. le duc d'Orléans m'ayant fait savoir qu'il désirait encore me parler. Je ne puis assez dire combien j'ai été touchée de sa bonne grâce parfaite pour moi. Il est venu tous les 76 jours me voir et m'a témoigné me compter comme sa meilleure amie; certes, il ne se trompe pas. Il a, sous tous les rapports, fait des progrès remarquables; si le ciel nous le conserve, je suis sûre que son règne sera brillant. J'espère qu'un bon mariage pour lui égaiera notre horizon politique qui est bien sombre.
Quel sera ce mariage? C'est la question qui se décidera la semaine prochaine, car je crois que mariage il y aura: les circonstances le rendent tellement nécessaire pour consolider et fonder ce que le crime menace et attaque chaque jour, que la lignée devient bien plus importante que la grandeur de l'alliance. Celle-ci aurait son prix cependant; on y cherche, mais si on ne réussit pas, on ne penserait plus qu'à trouver une femme qui promît de beaux enfants, sans, pour cela, tomber dans le morganatique, dont, avec beaucoup de sens, on ne veut pas, pas plus que d'une alliance dans laquelle se trouverait mêlé le sang de Bonaparte. La religion est indifférente. Il est absolument nécessaire de tirer Paris du lugubre dans lequel il est jeté. Je connais les Français: si on leur produit une jeune personne avec des façons engageantes, ils seront ravis; et quant au dehors, il comptera peut-être davantage avec nous, quand il n'aura plus un leurre matrimonial à nous offrir.
Hier, je ne me suis arrêtée que quelques minutes chez Mme de Balbi à Versailles, et autant à Maintenon, chez la duchesse de Noailles. Je pars à l'instant pour Châteaudun, et de là pour Montigny où j'ai promis de faire une visite au prince de Laval.
77 Montigny, 1er août 1836.—J'ai quitté Chartres après y avoir entendu la messe dans la cathédrale, qui, à l'œil, ne paraît pas avoir souffert de l'incendie [43]; la charpente et les plombs manquent, mais la voûte intérieure, en pierre, n'ayant pas souffert, on ne s'aperçoit de rien, à l'intérieur du dôme de l'église. On travaille aux réparations.
Je me suis arrêtée à Châteaudun, pour y visiter, en détail, tout le vieux château, jusqu'aux cuisines et aux cachots; à travers une dégradation presque complète, on trouve encore de belles parties, et la vue en est jolie. Le prince de Laval est venu à ma rencontre et m'a amenée ici dans sa calèche; il fait de ceci un lieu charmant, arrangé avec goût, recherche et magnificence. Le site est beau, et la partie gothique du château, bien conservée et habilement restaurée. Ce château, pour qui ne connaîtrait pas le propriétaire, le représenterait fort en beau. Je m'étonne, je l'avoue, que ce lieu, tel qu'il est, soit arrangé par Adrien de Laval; à la vérité, il a un excellent architecte, puis, c'est le baron de Montmorency qui a arrangé la cour, et il y a eu quelques conseils de ma façon dans la réunion des salons, car ce n'est pas la première fois que je viens ici; bref, c'est charmant, et quoiqu'il y ait des choses beaucoup mieux à Rochecotte, il y en a de 78 fort supérieures ici. Ce sont deux endroits qui, par leurs dimensions et leurs proportions, peuvent se comparer.
Valençay, 2 août 1836.—Me voici rentrée au gîte, et charmée d'être loin du brouhaha de Paris, mais il me faudrait le temps de bien me reposer, au lieu que voici M. de Talleyrand également arrivé, et du monde qui doit nous envahir, dès aujourd'hui! Si je devais prendre des armes parlantes, je choisirais un cerf aux abois avec un hallali autour!
Il est impossible d'être plus hospitalier que ne l'a été M. de Laval, et je me fais scrupule de la petite ingratitude que je vais commettre, en racontant une des plus grandes ridiculités que je connaisse. Adrien a l'ordre du Saint-Esprit et on ne le porte plus; il en avait plusieurs plaques: qu'a-t-il imaginé d'en faire? Il les a fait coudre au beau milieu des courtepointes en velours qui couvrent les principaux lits de son château! Je n'ai jamais été plus surprise qu'en voyant à mon réveil un large Saint-Esprit en travers sur ma personne!
Valençay, 6 août 1836.—J'ai une lettre de M. de Sainte-Aulaire, du 22 juillet, de Vienne, qui débute ainsi: «Je vous écris de provision, pour un courrier qui partira dans deux jours, et qui dira au Ministère, je ne sais quoi en vérité. L'attentat d'Alibaud a provoqué ici des manifestations non suspectes d'intérêt pour le Roi, et des vœux également sincères, pour l'accomplissement du grand œuvre que lui a confié la Providence; mais il ne faudrait 79 pas s'étonner aussi qu'il eût rendu beaucoup plus vives les terreurs qu'on éprouve ou qu'on cherche à inspirer sur l'état de Paris. «Tout vient à point à qui sait attendre.» A cette condition, j'aurais bien répondu du succès, mais il est des cas où l'on ne veut pas attendre, et l'on peut avoir raison.» La lettre de M. de Sainte-Aulaire ayant dû partir par le courrier porteur de l'importante réponse sur la proposition de mariage entre M. le duc d'Orléans et l'archiduchesse Thérèse, cette réponse doit être arrivée à Paris, et je crois d'autant plus qu'elle y est parvenue, que Madame Adélaïde mande à M. de Talleyrand que son neveu doit, lui-même, nous écrire ce qui le touche. Ce n'est pas par curiosité, mais par le plus vif désir de voir le sort du jeune Prince heureusement fixé, que j'attends ses lettres avec impatience. Je voudrais bien aussi que le Roi de Naples fît, d'une de nos Princesses, une Reine de Naples.
Valençay, 7 août 1836.—Comme suite à la citation que je faisais hier d'une lettre de M. de Sainte-Aulaire, je dirai que les réponses sont arrivées, et qu'elles sont défavorables. J'en suis fâchée, pour nous, mais je crois que si c'est un inconvénient pour notre Prince Royal, c'est peut-être une faute politique de la part de ceux qui ont dit non. On pourrait bien ne pas tarder à s'en repentir, car cela peut changer la face du monde et remettre en présence les deux principes qui étaient prêts à se confondre.
Valençay, 9 août 1836.—Nous avons vu arriver hier, 80 à l'heure du déjeuner, nos cousins, le prince de Chalais et son frère [44]. Le premier a, à mon gré, la plus charmante figure d'homme que je connaisse, une belle taille, de nobles manières; j'ai beaucoup causé avec lui, car il n'est reparti qu'après le dîner. Il a un bon jugement, l'âme simple, le cœur droit, la curiosité des choses utiles, un intérêt sensé et raisonnable pour tout ce qui peut affermir la bonne position de grand propriétaire.
On m'écrit que l'ordonnance qui disperse les prisonniers de Ham est signée; cela me fait un vrai plaisir, car j'y ai beaucoup contribué. Ce n'est pas encore la liberté entière qu'on leur accorde, mais c'est un changement de domicile avec adoucissement qui prépare à une plus grande latitude et qui déjà permettra aux santés délabrées de se rétablir plus aisément et sous de meilleures conditions.
On est fort content du Roi de Naples à Neuilly. On y tourmente beaucoup notre Roi, pour l'entraîner, malgré lui, vers une intervention au delà des Pyrénées, mais il y résiste puissamment, jusqu'à présent: cette tourmente intérieure, jointe aux précautions auxquelles on veut l'assujettir, pour sa sûreté, empoisonne sa vie.
Valençay, 11 août 1836.—On mande à M. de Talleyrand que les questions d'Espagne, qui s'enveniment de plus en plus, jettent, à Paris, une grande aigreur là où il ne faudrait pas qu'il y en eût, c'est-à-dire entre le Roi et son Ministre des Affaires étrangères [45], qui est soutenu 81 par le Prince Royal, ceux-ci voulant l'intervention. On se demande qui sortira vainqueur de cette lutte intestine!
Valençay, 22 août 1836.—Je comprends très bien les réflexions qu'on fait sur la grande-duchesse Stéphanie de Bade: son manque de tact tient à sa première éducation. Élevée dans une pension prétentieuse [46], elle a pu acquérir beaucoup, excepté ce sentiment exquis des convenances, qui se transmet, qui s'inocule dans l'enfance, mais qui ne s'enseigne pas. Aussi invite-t-elle M. Berryer à un bal chez elle, sans qu'il lui ait été présenté, ni qu'il ait même demandé à l'être! Puis, elle parle trop, en général, et cherche à faire de l'effet, par une conversation brillante qui n'est pas toujours suffisamment mesurée et adaptée à sa situation. Les Princesses ne sont pas tenues à être aimables; ce qu'on exige d'elles, c'est d'être obligeantes et dignes, mais pour comprendre la mesure et ne pas la dépasser, il faut avoir pris de certaines habitudes, dès l'enfance, qui ont manqué à la grande-duchesse Stéphanie, et que Mme Campan ne pouvait pas lui donner. Je la crois, au fond, bonne personne; il y a, dans sa vie, du dévouement, du courage, des malheurs qu'elle a traversés très honorablement. Je crois que Mme de Lieven, qui la critique si sévèrement, ne se serait pas tirée aussi purement qu'elle des crises que lui créait sa situation délicate avec son mari. La Grande-Duchesse avait de la gentillesse de 82 manières, et une jolie mine, éveillée et gracieuse; elle avait besoin de la jeunesse; en la perdant, ce qui lui manque devient plus évident. Hélas! c'est le cas de chacun; voilà pourquoi il est si faux de dire qu'on est trop vieux pour se corriger; c'est, au contraire, quand les agréments passent, qu'il est si essentiel de les remplacer par des qualités: les charmes de la jeunesse disposent à une indulgence, font admettre des excuses, qui disparaissent avec ces charmes et ces grâces, et font place à une sévérité qu'il est nécessaire de devancer, par plus de maintien, plus d'abnégation et plus de respect de soi-même.
Voilà des nouvelles officielles: le refus de Vienne est poliment exprimé, sans être motivé. On ne songe point du tout, comme on l'a dit, à la princesse Sophie de Würtemberg. Notre Prince Royal est parti pour le camp, maigri, changé, mais franchement convalescent.
De Madrid, on sait qu'Isturitz a donné sa démission. C'est M. Calatrava qui le remplace comme Président du Conseil. Tout cela va au plus mal.
Le Roi de Naples part le 24 pour Toulon. Il part, comme il était venu, sans mariage.
Les ex-ministres prisonniers sont encore à Ham, par suite d'une difficulté qui s'est élevée entre les Ministres actuels: celui de l'intérieur veut conserver les prisonniers sous sa surveillance; le Président du Conseil veut qu'ils restent dans des forteresses, avec le régime le plus doux, mais enfin dans des places de guerre; dès lors, le ministre de la Guerre réclame la surveillance! Il est bien temps 83 que ce traitement finisse, car les malheureux sont malades.
Mme Murat a obtenu la permission de passer un mois à Paris; elle y arrive dans huit jours; on dit qu'elle est hors des intrigues de ses frères.
J'ai eu, hier, une lettre de Mme de Lieven, qui m'annonce son retour à Paris comme positif. J'ai peur qu'elle ne fasse une grande faute. J'ai lu hier une lettre de Pétersbourg, dans laquelle il est dit qu'elle est fort mal en cour. En revanche, M. de Lœve-Weimar y est très bien traité et y fait l'aristocrate. Horace Vernet aussi y est gâté et choyé d'une façon inimaginable. Comprend-on, après cela, pourquoi on tracasse ainsi Mme de Lieven? Serait-ce parce qu'on la soupçonne d'être un petit brin intrigante? Mon Dieu, que les Anglais ont raison de mettre, au nombre des meilleures qualités, celle to be quiet! [47]
Valençay, 24 août 1836.—Ce qu'on m'écrit est comique et inattendu: M. Berryer jouant le vaudeville à Bade, avec Mme de Rossi! Du reste, quoique ce soit un peu étrange, de la part d'un homme politique, cela lui vaut mieux que de se mal associer en Suisse.
Les journaux nous ont appris, hier, la mort de M. de Rayneval [48] à Madrid. Ceci va augmenter les embarras d'une question dans laquelle tout est embarras.
Valençay, 27 août 1836.—Nous ne savons pas les 84 détails de ce qui se passe à Paris, mais il y a évidemment quelque crise qui se prépare dans le Cabinet. En résumé, M. Thiers paraît avoir voulu engager le Roi, malgré lui, dans les affaires d'Espagne, et avoir agi dans ce sens sans consulter ses collègues. Tout cela a fort animé les uns et les autres contre lui. Il en est résulté un choc difficile à apaiser, et qui, d'ici à peu de jours, doit amener, ou une soumission de Thiers au Roi, ou un nouveau Ministère qui contiendrait cependant quelques éléments du Cabinet actuel, et notamment, je crois, M. de Montalivet. Tout ceci est encore spéculatif, car nous ne savons rien de particulier.
Valençay, 28 août 1836.—Voici ce qu'une lettre de Madame Adélaïde, reçue hier par M. de Talleyrand, nous apprend: «Le Ministère s'est dissous; j'en suis désolée. Je regrette beaucoup Thiers, mais sa tête s'était montée sur cette question d'intervention en Espagne qui a tout gâté. Le Roi voulait rompre, à l'instant, le nouveau corps qui se formait à Bayonne, et exigeait un engagement formel de renoncer, pour l'avenir, à l'intervention; Thiers s'y est refusé et a donné sa démission. Une nouvelle crise ministérielle, en ce moment, est bien fâcheuse; puis il ne nous reste qu'un si petit cercle dans lequel choisir! Le Roi a fait appeler M. Molé, mais il était à la campagne. Il faut le temps qu'il arrive; sans doute, il demandera Guizot. Tout est bien triste; nous savons d'ailleurs, par expérience, à quel point un nouveau Cabinet est long et difficile à former! Plaignez-nous, plaignez-moi, car je suis 85 navrée!» Voilà donc où on en était avant-hier, dans le lieu où la crise se passait. Je la regrette beaucoup; d'abord parce que j'ai un grand fond d'intérêt pour Thiers, et que je regrette que ses instincts révolutionnaires l'aient emporté sur son dévouement, sa reconnaissance, et sur la docilité qu'il devait à la haute sagesse, à la prudence et à la grande expérience du Roi; puis, les changements fréquents de ministère sont de mauvais accidents de gouvernement, et donnent des secousses trop répétées à l'esprit public. D'ailleurs, le talent souple, vif, prompt de Thiers, ses connaissances et son esprit étaient utiles à l'État. Quel usage en fera-t-il, quand il aura complètement son libre arbitre? Madame Adélaïde, comme le prouve l'extrait de sa lettre, a peu de goût pour les Doctrinaires, mais il n'y a pas à croire qu'on doive rappeler M. de Broglie, envers lequel M. Guizot croit s'être acquitté à tout jamais. A travers tous ces mauvais côtés, il me semble, pourtant, qu'il y a un avantage incontestable pour le Roi à la nouvelle preuve qu'il vient de donner, que, dans les occasions vraiment importantes, il ne se laisse pas ébranler, et ne permet pas qu'on lui mette le marché à la main. C'est ainsi qu'au mois de février il a résisté à l'arrogance des Doctrinaires, et que maintenant il a brisé l'infatuation de Thiers. Ce sont là, je crois, de bons avertissements pour les ministres futurs, à quelque couleur qu'ils appartiennent, et une excellente garantie donnée à la partie sage de l'Europe.
Valençay, 29 août 1836.—M. de Talleyrand devrait 86 trouver, dans tous les accidents qui lui arrivent sans fâcheux résultats, la garantie que son existence est solidement assurée; il me semble cependant que ces avertissements me feraient, à sa place, songer à ce qu'ils annoncent, et à rendre grâce à Dieu des délais qu'il accorde pour alléger le bagage. Il fait bien, quelquefois, des réflexions sur la mort, mais c'est de loin en loin. Hier au soir, il y a eu un gros orage qui menaçait le Château. Après un coup de tonnerre très violent, il m'a demandé quelle était la pensée qui m'avait saisie dans le moment; je lui ai répondu immédiatement: «S'il y avait eu un prêtre dans la chambre, je me serais confessée; j'ai peur des morts subites. Mourir sans préparation, emporter mon lourd bagage de péchés m'effraye; et quelque soin que l'on mette à bien vivre, on ne saurait se passer de réconciliation et de pardon.» M. Cogny, notre médecin, qui était là, et qui a une peur affreuse des orages, a ajouté, un peu niaisement, qu'à chaque éclair il faisait un acte de contrition; M. de Talleyrand n'a rien dit du tout, et nous avons continué le piquet. A chaque occasion, j'établis, quand je le peux, mes croyances, et je cherche par là à réveiller les siennes; mais je ne le fais jamais sans provocation. Il faut avoir, dans ce genre de choses, la main si légère!
J'ai eu hier une longue et intéressante lettre de M. le duc d'Orléans; je la trouve d'autant plus sage, qu'il est revenu à des opinions plus raisonnables sur la question d'Espagne. Il juge la crise ministérielle actuelle exactement dans le même sens que je le fais. J'ai reçu aussi une lettre de M. Guizot, écrite de Broglie le 24 août. Il ne 87 savait encore rien alors de la retraite de Thiers qui n'est que du 25. Il m'écrit qu'il vient d'acheter une petite propriété auprès de Lisieux [49] et qu'il va se faire fermier. Depuis, je suppose qu'il aura quitté la charrue pour reprendre la plume et la parole.
Valençay, 1er septembre 1836.—Je suis fort disposée à partager entièrement cette opinion sur l'Empereur Nicolas, qu'on ne peut guère lui accorder qu'une seule qualité de souverain, c'est le courage personnel. Ce qui me paraît lui manquer le plus absolument, c'est l'esprit; je ne veux pas dire l'esprit de conversation et de rédaction seulement, mais l'intelligence.
M. de Montessuy, qui a accompagné M. de Barante à une fête à Péterhof, et qui y a couché, écrit qu'ayant, dans les jardins, vu de loin l'Impératrice, il s'était, par respect, retiré, et que le soir elle lui en avait fait des reproches, lui disant qu'elle était descendue pour lui parler, que c'était mal à lui de l'avoir évitée. Toute cette histoire me paraît bien invraisemblable!
Madame Adélaïde écrit à M. de Talleyrand, le 30 août, que rien n'était encore fait pour le Ministère. M. Molé s'était mis en relation avec MM. Guizot et Duchâtel, tous deux arrivés à Paris, mais les amours-propres de chacun rendaient l'entente difficile. Le Roi et Madame semblaient regretter beaucoup d'avoir été forcés de se séparer du 88 Ministère qui s'en va, et d'être obligés d'appeler d'autres hommes.
Valençay, 3 septembre 1836.—J'ai appris hier une nouvelle qui me cause une peine très vive et qui va me jeter dans de grands embarras: c'est celle de la mort de mon homme d'affaires en Allemagne, M. Hennenberg, qui a expiré le 23 août, à Berlin. Il s'agit pour moi de remplacer un fort honnête homme, capable, considéré et imposant, qui connaissait, depuis vingt-cinq ans, non seulement toutes mes affaires, mais mes relations passées et présentes; qui s'était identifié à toutes les conditions de mon existence, m'avait rendu des services immenses, et à travers toutes les secousses pécuniaires que j'ai éprouvées, avait rétabli ma fortune et l'avait fait prospérer à vue d'œil, souvent même à mon propre étonnement; enfin, quelqu'un entre les mains de qui j'avais complètement abdiqué le gouvernement de mes affaires, comme il est du reste nécessaire de le faire, à la distance infinie où je suis du centre de mes intérêts. Remplacer un tel homme ne peut pas se faire de loin, ni par lettres, ni à l'aveugle; rester dans l'incertitude et le désordre pendant un temps illimité ne se peut pas davantage sans apporter un préjudice incalculable. Un voyage en Allemagne serait donc de toute nécessité pour moi; mais d'un autre côté, comment laisser M. de Talleyrand seul, dans son état actuel de santé? Je ne puis y songer! Je fais des vœux pour que la Providence me tire de ce dédale inextricable!...
Les lettres de Paris disent que les combinaisons ministérielles 89 manquent, les unes après les autres; que le Roi s'en ennuie, et que Thiers commence à dire que l'Espagne est passée remède! Cela conduira peut-être à un replâtrage, mais chacun aura reçu par là un choc, qui affaiblira l'ensemble, sans compter le principe neutralisant de défiance et de rancune qui subsistera. Tout cela est triste.
Valençay, 4 septembre 1836.—On nous écrit, de Paris, chaque jour, mais sans annoncer encore de solution. Hier, je croyais à un replâtrage; j'y crois moins aujourd'hui. Il se pourrait même que le voyage de Fontainebleau eût lieu avant la recomposition du Cabinet. M. Thiers voudrait partir pour l'Italie; le Roi dit, à cela, qu'il n'aura accepté sa démission que lorsqu'il lui aura nommé un successeur. Les chances Molé et Guizot paraissaient épuisées, sans avoir abouti!
Valençay, 7 septembre 1836.—On nous mande que le Moniteur d'aujourd'hui contiendra un ministère Guizot-Molé, le reste uniquement recruté parmi les Doctrinaires, sous l'influence et par l'exigence de M. Guizot. J'ai reçu hier une lettre de M. Thiers. Je suis peinée d'y voir une certaine humeur contre tous ceux qui n'ont pas partagé ses idées sur cette vilaine Espagne. Il trouve, surtout, que les signataires de la Quadruple Alliance devaient être dans ses idées. Ceci s'adresse à M. de Talleyrand, qui veut répliquer que, si on relit le traité, on verra que, du côté de la France, il a été rédigé de façon que celle-ci ne soit 90 obligée à rien. M. Guizot ayant persisté à ne pas vouloir que M. de Montalivet conservât le ministère de l'Intérieur, et celui-ci ne trouvant pas de sa dignité de quitter ce Ministère pour en accepter un autre, comme le proposait M. Guizot, il se retire, au grand regret du Roi. Il va venir en Berry où il a des terres. Sauzet et d'Argout, vont, dit-on, en Italie, jadis lieu de retraite des souverains détrônés, maintenant promenade obligée des ex-ministres.
Voici un fait certain: le 4 de ce mois, il y a eu des avis que la Société des familles, la plus nombreuse et la mieux organisée, maintenant, des sociétés secrètes, voulait faire quelque tentative pour troubler l'ordre. Leur intention n'était même pas douteuse; mais la crainte, sans doute, d'être découverts les a empêchés d'aller jusqu'à un commencement d'exécution. On devait se porter à la prison des détenus politiques, les mettre en liberté, s'emparer ensuite de la Préfecture de police, et, de là, se porter sur Neuilly. Les Ministres assurent que c'était très sérieux.
Valençay, 9 septembre 1836.—Les journaux déclarent déjà, au nouveau Ministère [50], une guerre terrible qui se jugera devant les Chambres. Les journaux de l'opposition prédisent une rupture du Cabinet, qui, en effet, n'est pas 91 hors de vraisemblance. On verrait peut-être alors M. Thiers revenir aux affaires, mais avec des antécédents d'opposition, après une certaine guerre faite au système qu'il avait longtemps soutenu, avec des engagements pris envers des hommes touchant à la gauche, et, alors, n'entraînerait-il pas le gouvernement dans des voies dangereuses? Je ne sais, mais, en tout, les choses me semblent se noircir. Du reste, il est juste de reconnaître que la nouvelle combinaison ministérielle offre, au pays et au dehors, des noms honorables, des talents distingués et des capacités reconnues; espérons donc dans la durée de leur amalgame! Huit ou dix jours avant la dernière crise, M. Molé a, après un assez long silence, écrit à M. Royer-Collard une lettre très coquette pour lui et pour moi.
Valençay, 10 septembre 1836.—M. de Talleyrand a reçu, hier, un petit mot fort aimable et déférent de M. Molé, à son avènement au Ministère. Le trait de la lettre est celui-ci: que le nouveau Cabinet s'étant formé sur une question et dans une pensée que M. de Talleyrand s'était comme appropriée par ses sages prévisions, les nouveaux Ministres devaient se flatter de son approbation; qu'en son particulier, il souhaitait vivement qu'il en fût ainsi, et qu'il comptait sur ses conseils et ses avis. M. de Talleyrand a répondu sur-le-champ. Il ne m'appartient pas de louer la réponse, mais je crois qu'elle doit plaire à M. Molé, qui, cependant, n'y trouvera rien de désagréable pour celui qu'il remplace. M. de Talleyrand 92 peut regretter l'aveuglement de M. Thiers dans cette question d'Espagne, mais ce n'est pas à lui, qui, depuis longtemps, s'est établi comme bienveillant pour M. Thiers et qui l'est, en effet, à le blâmer hautement.
Valençay, 11 septembre 1836.—Je ne citerai pas Mme de Lieven comme appuyant de sa conviction l'exactitude du récit de M. de Montessuy [51], mais j'avoue que je n'en reviens pas d'un fait aussi étrange. Si une de nos Princesses ou notre souveraine s'en rendait coupable, cela serait tout de suite interprété révolutionnairement à Saint-Pétersbourg, et si l'Empereur Nicolas admet Horace Vernet et surtout M. de Lœve-Weimar dans ses grâces, son intimité et sa confiance, je ne sais plus de quel droit on reprocherait au Roi de dîner aux Tuileries avec des gardes nationaux. A la vérité, Louis-Philippe n'a ni le knout, ni la Sibérie à sa disposition, deux rudes correctifs contre la familiarité, mais dont il est heureux pour chacun de nous que le Roi ne puisse pas faire usage; en Russie, ni l'âge, ni le sexe, ni le rang, ni le mérite ne mettent en sûreté.
J'ai reçu une lettre de M. Guizot, qui me fait part de son entrée au Conseil. Elle est des plus coquettes. L'amitié du Roi pour M. de Talleyrand, et la confiance dont il l'honore, font que pas un de ses Ministres ne se soucie d'être dans de mauvais termes avec lui; nous ne nous en soucions pas non plus, ainsi tout ira suffisamment bien entre nous et ces Messieurs.
93 J'ai reçu une longue lettre de M. le comte Alexis de Saint-Priest, de Lisbonne. Il m'écrit de temps en temps, je ne lui réponds que des petits mots assez courts et secs, mais il paraît déterminé à les prendre pour des preuves d'amitié. C'est un calcul comme un autre! Il sait que M. le duc d'Orléans veut bien avoir quelque bonté pour moi, il se croit appelé à jouer un rôle lorsque ce Prince régnera, et il part de là pour vouloir bon gré mal gré être de mes amis; on dirait, d'après le début de sa lettre, que je lui suis beaucoup, et qu'il m'est beaucoup... Cela m'impatiente un peu.
Valençay, 13 septembre 1836.—Comment se rencontre-t-il si souvent des gens pour rapporter aux personnes intéressées le mal qu'on dit d'elles? C'est une singulière et trop générale disposition de l'esprit. Elle m'est tellement odieuse, qu'outre que je m'en crois incapable, je reçois toujours très mal ceux qui viennent me faire des confidences de cette nature. Il me semble que la première condition pour vivre en paix, c'est de ne dire de mal que des choses, quand elles sont mauvaises, et le moins possible des personnes; et que la seconde condition, c'est d'ignorer le mal qu'on dit de vous, à moins qu'il ne s'agisse de vous faire éviter un piège ou un danger véritable; mais c'est bien rarement à cette bonne et salutaire intention qu'on doit de certains avertissements. Toute cette morale vient à l'occasion du mal que lord de Rosse aurait dit de Mme de Lieven, et de la connaissance qu'on a donnée à celle-ci de ces méchants propos. Du reste, je 94 vois que l'usage du monde, le savoir-vivre, le besoin d'avoir des causeurs, enfin les mille et une considérations qui font, de la dissimulation, une vertu, ou au moins une disposition sociale, permettent à ces deux personnes de se voir avec empressement. A la bonne heure! Dans ce cas-ci, mon système m'importe peu, ou pas du tout!
Valençay, 16 septembre 1836.—Voici l'extrait d'une lettre que M. de Talleyrand a reçue hier; elle n'est pas de Madame Adélaïde, mais la personne qui lui écrit est généralement très bien informée: «M. Molé est malade. Il n'a pu encore faire aucune visite, ni recevoir celle d'aucun ambassadeur; on n'a pu, même, tenir encore aucun conseil chez le Roi. On pense que sa santé ne lui permettra pas de rester longtemps au Ministère, où, d'ailleurs, il ne prendra jamais de très profondes racines. On dit que s'il se retirait, ce ne serait pas une cause de la dislocation entière du Ministère, et que ce pourrait bien être Montalivet qui le remplacerait. On dit aussi que le Ministère aborde les Chambres sans crainte, qu'il croit y trouver la majorité; qu'il est décidé à se contenter d'une majorité faible, dans l'espoir de la voir s'accroître, et qu'il ne compte pas faire, perpétuellement, de toutes les questions des questions de Cabinet. Le maréchal Soult ne sera point ministre de la Guerre. Il tenait à avoir la présidence du Conseil et on n'a pas voulu la lui donner; ce sera, probablement, Molitor, Sébastiani ou Bernard. Le Ministère est tout entier soumis à la politique du Roi dans la question espagnole. On dissoudra le corps qui se rassemblait 95 sur la frontière des Pyrénées, on laissera la Légion étrangère ce qu'elle est. Elle est, d'ailleurs, au service de l'Espagne et on n'a pas le droit d'en disposer. On se tiendra dans les limites les plus étroites possibles du traité de la Quadruple Alliance. Cependant, on nommera un ambassadeur à Madrid, ce dont on aurait pu se dispenser dans la circonstance de la mort de Rayneval; c'est par égard pour l'Angleterre qu'on le fait. Le bruit a percé, mais c'est un grand secret, et ce n'est pas fait encore, que cet ambassadeur sera le duc de Coigny. Le Roi est un peu préoccupé de l'attitude que prendra Thiers, et il le redoute assez. Du reste, il est fort mécontent de lui, et l'a exprimé plusieurs fois. Il y a eu un instant où Thiers a fait quelques démarches pour rentrer dans le Ministère, et où il en a été question. Il se soumettait alors entièrement à l'opinion et à la volonté du Roi sur la question espagnole; mais la manière dont celui-ci s'est expliqué a prouvé qu'il était fort éloigné de lui rendre sa confiance, et que, s'il le reprenait jamais, ce ne serait que forcément et dans une position fâcheuse et dominée. La vraie cause de la retraite de Thiers est moins dans une divergence d'opinions entre le Roi et lui, que dans les tromperies dans lesquelles il a voulu engager le Roi malgré lui, dans l'intervention. Depuis son départ, on a découvert plusieurs choses dont on ne se doutait pas. Thiers est parti, en annonçant qu'il ne reviendrait, pour la session prochaine, que dans le cas où il verrait que sa politique serait attaquée. On dit qu'au fond il est abattu de sa chute. Il a d'autant plus de motifs de l'être qu'il en est seul l'auteur. 96 La manière dont il a quitté a fort affaibli le premier éclat qu'il avait jeté et l'opinion publique ne lui est pas favorable.»
Valençay, 21 septembre 1836.—Nous avons appris hier que la Constitution de 1820 avait été proclamée à Lisbonne. On assure que c'est à Londres que cet événement s'est préparé. Le fait est que l'amiral Gage, qui se trouvait dans le port avec trois vaisseaux de ligne, est resté spectateur immobile. Les Reines du Midi ne sont pas destinées à dormir tranquilles, car, à Lisbonne comme à Madrid, c'est à deux heures du matin qu'on a fait signer à la Reine la nouvelle Constitution. L'armée s'est rangée du côté du peuple et de la garde nationale. Ce pauvre petit prince de Cobourg a fait là un bien triste mariage. S'il reste dans la vie privée, avec un aussi lourd bagage que Doña Maria, il y succombera. Il n'est pas possible de ne pas être effrayé de ces réactions militaires, et de ne pas être doublement pressé de voir notre Cabinet se compléter par un vrai Ministre de la Guerre. Les dernières chances étaient pour le général Bernard; ce serait ce qu'il y a de mieux, le maréchal Soult persévérant dans son refus.
Valençay, 23 septembre 1836.—Notre Saint-Maurice [52] d'hier a été très brillante. Les voisins ont abondé; nos cousins sont venus de Saint-Aignan. Le bouquet des gardes-chasses avec leurs fanfares le matin, un beau temps, 97 une longue promenade, le banquet du Château et le dîner des petites filles de l'école, l'illumination des trois cours, et enfin le spectacle qui a été très gai, très joli et parfaitement joué, rien n'a manqué à la fête!
Valençay, 25 septembre 1836.—Un fait est certain, c'est que Charles X, pour complaire à M. le duc de Bordeaux, a fait demander à Don Carlos de recevoir son petit-fils dans son armée, ce que Don Carlos a, très sagement, refusé. En effet, c'eût été la seule chose qui eût pu déterminer la France à intervenir.
Tous les détails que me donne une lettre de Strasbourg sur l'abbé Bautain, sur MM. Ratisbonne et de Bonnechose m'intéressent fort, car c'est entre ces Messieurs qu'a eu lieu la correspondance de philosophie religieuse que j'ai lue l'hiver dernier. Ce livre est précédé de leurs biographies et de l'histoire de leur conversion, ce qui fait que je suis fort au courant d'eux. M. Royer-Collard, auquel j'ai parlé plusieurs fois de l'abbé Bautain, m'a dit que lorsqu'il était grand-maître de l'Université, il avait connu cet Abbé, très jeune homme alors, qu'il avait un esprit distingué et beaucoup d'imagination, mais que sa mère était à Charenton, et qu'il avait en lui de quoi l'y suivre, ce qui ne l'empêchait pas d'en faire grand cas, sous beaucoup de rapports. J'espère que la mort de Mlle Humann ne relâchera pas le lien précieux qui existe entre tous ces jeunes gens si bons et si convaincus. Le genre de mort de Mlle Humann est analogue à celui de la Reine Anne d'Autriche, dont je viens de lire la description dans les Mémoires 98 de Mme de Motteville; cette Reine est morte aussi d'un cancer. Je connais peu de choses aussi touchantes, aussi édifiantes, aussi curieuses et aussi bien décrites que la mort de cette Princesse. J'ai fini ces Mémoires: ce livre, comme couleur politique, est la contre-partie de celui du cardinal de Retz. Je lis maintenant, pour me replacer dans le juste milieu, les Mémoires de la Grande Mademoiselle; je les ai lus avant mon mariage, à une époque où je ne connaissais pas la France, ni, à plus forte raison, la contrée que j'habite en ce moment, et que cette Princesse a beaucoup habitée aussi; son livre a, par conséquent, un mérite tout nouveau pour moi et m'amuse fort.
Valençay, 28 septembre 1836.—Il y a quelques jours qu'un courrier espagnol est arrivé de Madrid à Paris. Il avait été arrêté par les carlistes qui lui ont pris toutes ses dépêches, excepté celles qui étaient directement adressées au Roi Louis-Philippe. Par ces dépêches, la Reine Christine annonce que son projet était de quitter Madrid en y laissant les deux Princesses. Le lendemain est arrivée une dépêche télégraphique qui annonce que la Reine doit quitter Madrid avec tout le Ministère pour se retirer à Badajoz; cette ville est choisie comme étant la plus proche du Portugal, et attendu que la Reine ne pourrait passer, ni du côté de Cadix, ni du côté des Pyrénées, ni vers aucun port de mer. Malheureuse créature!
Valençay, 2 octobre 1836.—M. de Valençay, qui est 99 au camp de Compiègne avec M. le duc d'Orléans, m'écrit que tout s'y passe très bien et que la visite du Roi y fait très bon effet. Les Ministres, qui ont tous accompagné le Roi à Compiègne, l'ont suivi à cheval à la grande revue, mais au bout de quelques instants, M. Molé s'y est trouvé mal à l'aise, et il est monté dans la voiture de la Reine. On dit que le camp est très beau; l'accueil que le Roi y a reçu est excellent, et les jeunes Princes sont fort à leur avantage. Cela me fait d'autant plus de plaisir, que c'est la première sortie de prison du Roi depuis l'affaire Alibaud; il fallait que sa présence à ce camp ait été jugée bien nécessaire pour que M. le duc d'Orléans ait répondu sur sa tête de la sûreté du Roi, en suppliant qu'il vînt se montrer aux troupes; c'est là-dessus que le Conseil, qui s'était d'abord opposé, a consenti au voyage du Roi.
Valençay, 5 octobre 1836.—Il faut que je copie le passage suivant, sur le château de Valençay, que je trouve dans les Mémoires de la Grande Mademoiselle, page 411, tome II, année 1653: «Je continuai mon chemin sur Valençay; j'y arrivai aux flambeaux: je crus entrer dans une maison enchantée; il y a un corps de logis, le plus beau et le plus magnifique du monde. Le degré y est très beau, et on y arrive par une galerie à arcades qui a du magnifique. Cela était parfaitement éclairé; il y avait beaucoup de monde, avec Mme de Valençay et quelques dames du pays, parmi lesquelles étaient de belles filles; cela faisait le plus bel effet du monde. L'appartement correspondait bien à la beauté du degré par les embellissements 100 et meubles. Il plut tout le jour que j'y séjournai, et il semble que le temps était fait exprès, parce que les promenoirs n'étaient que commencés.—J'allai de là à Selles; c'est une belle maison.»
J'ai reçu une lettre d'Alexandre de Humboldt à l'occasion de la mort de mon homme d'affaires, M. Hennenberg: il m'offre ses bons offices dans la lettre la plus obligeante, la plus soignée, la plus flatteuse, la plus spirituelle, la plus curieuse du monde, et que je garderai parmi mes autographes précieux. Cette mort de M. Hennenberg a réveillé l'intérêt de tous mes amis. Sans l'inquiétude d'esprit qui me suivrait si je devais quitter M. de Talleyrand et ma fille, un voyage en Prusse serait parfaitement satisfaisant pour mon cœur.
Valençay, 18 octobre 1836.—J'ai reçu, hier, une lettre du prince de Laval, écrite de Maintenon, où il se trouvait, avec M. de Chateaubriand et Mme Récamier. Il me dit qu'il venait d'y arriver un courrier de la princesse de Polignac, pour supplier le duc de Noailles de se rendre à Paris, afin de chercher à lever la difficulté nouvelle qui retardait l'exécution des promesses faites en faveur des prisonniers. Le prince de Laval ajoute que le duc de Noailles allait partir, et que lui retournait à Montigny d'où il viendrait nous faire une petite visite, pour nous raconter tous les nouveaux embarras relatifs aux pauvres prisonniers de Ham.
Valençay, 20 octobre 1830.—Nous avons eu, hier, 101 une bonne visite de M. Royer-Collard, venu de Châteauvieux, malgré le déplorable état des routes. Il était fort indigné qu'on marchandât avec les prisonniers de Ham pour leur liberté. Il m'a laissé une lettre, qu'il avait reçue de M. de Tocqueville, arrivant d'un voyage en Suisse; j'y trouve le passage suivant: «J'ai vu de près la Suisse, pendant deux mois. Il est très possible que les rigueurs actuelles de la France, contre elle, fassent plier ce peuple désuni; mais, en tout cas, ce qui est certain, c'est que nous nous sommes créé là des ennemis implacables. Nous avons fait un prodige: nous avons réuni dans un sentiment commun contre nous des partis jusque-là irréconciliables. Pour opérer ce miracle, il a suffi des mesures violentes de M. Thiers, et, plus encore peut-être, des manières vives et hautaines de notre ambassadeur, M. de Montebello, et de la manie qui le possède de se mêler, à tout propos, des affaires intérieures du pays.»
Je pense beaucoup, ces derniers jours, à ce que l'on fait ou ne fait pas pour les prisonniers de Ham. Tous les journaux sont unanimes, les Débats exceptés, pour blâmer les dernières mesures, ces grâces marchandées, ces conditions avilissantes, imposées à des prisonniers d'un genre tout à part, et dont l'histoire même n'a pas offert d'exemple. Ces malheureux ne demandaient d'ailleurs pas la liberté, et ne sollicitaient qu'un adoucissement favorable à leurs santés. Il paraît que nos Ministres actuels ne partagent pas l'opinion du cardinal de Retz, qui dit: «Tout ce qui paraît hasardeux et qui ne l'est pas est presque toujours sage.» Il dit encore, quelque autre 102 part, une chose qui me semble bien applicable à ce qui vient de se passer: «Il n'y a rien de plus beau que de faire des grâces à ceux qui nous manquent; il n'y a rien, à mon sens, de plus faible que d'en recevoir! Le christianisme, qui nous commande le premier, n'aurait pas manqué de nous enjoindre le second, s'il était bon.» Voilà de l'esprit, à la façon du beau temps dans lequel tout le monde, même les moins parfaits, avait du grand. Je ne sais si, maintenant, on a des vices moindres, mais, assurément, du grand, je n'en vois nulle part.
Valençay, 23 octobre 1836.—Je me suis décidée à écrire une petite notice sur le château de Valençay, sa fondation, son histoire, etc., et je la dédierai à mon petit-fils Boson, avec la dédicace suivante [53]:
A mon petit-fils!
«Tout le monde convient qu'il est honteux d'ignorer l'histoire de son pays et qu'on court risque de se placer trop haut ou trop bas, lorsqu'on reste étranger à l'histoire de sa famille; mais peu de personnes savent combien le plaisir d'habiter un beau lieu est agrémenté par la connaissance des traditions de ce lieu. De ces trois sortes d'ignorance, la dernière est, sans doute, la moins importante, 103 mais elle est aussi la plus commune; car si les professeurs corrigent la première, et les parents la seconde, ce n'est qu'un goût particulier qui porte à la recherche des dates et des faits qui se rapportent à des lieux sans célébrité généralement reconnue. Cette recherche peut sembler puérile, lorsqu'aucun souvenir intéressant ne la justifie, mais là où, comme à Valençay, plusieurs illustrations ont consacré l'habitation, il est d'autant moins permis d'ignorer ou de confondre, qu'on est particulièrement appelé, si ce n'est à perpétuer ces illustrations, du moins à les respecter.
J'ai pris plaisir, mon enfant, à vous faciliter cette petite étude; puisse-t-elle vous encourager à rester aussi noble de cœur et de pensée que l'est, par sa date, ses splendeurs et sa tradition, le lieu dont je vais vous parler.»
Valençay, 24 octobre 1836.—J'ai eu, hier, une lettre fort aimable de M. le duc d'Orléans; il m'annonce le départ de son frère, M. le duc de Nemours, pour Constantine; il lui envie cette entreprise hasardeuse.
M. le prince de Joinville était à Jérusalem.
Valençay, 28 octobre 1836.—Toutes les lettres de Paris disent que rien n'a été plus imposant que le placement de l'obélisque de Luxor [54]. La famille royale a été reçue avec transport: c'était la première fois qu'elle 104 paraissait à Paris en public, depuis Fieschi, et la population lui en a su gré. Le Cabinet hésitait, comme pour Compiègne, mais la volonté royale l'a emporté, et avec succès.
Valençay, 30 octobre 1836.—Je pars demain d'ici à huit heures du matin, je déjeunerai à Beauregard [55], dînerai à Tours, et coucherai le soir chez moi, à Rochecotte, où M. de Talleyrand et ma fille viendront me rejoindre le 2 novembre.
Rochecotte, 2 novembre 1836.—Je n'ai pas eu un instant de repos, depuis mon arrivée ici, où j'avais à faire mettre tout en ordre pour les hôtes que j'attends, et à visiter les changements faits en mon absence à l'occasion du puits artésien; ces changements ont fort embelli l'entourage immédiat du Château, pour lequel il me reste encore beaucoup à faire.
Je suis disposée à croire que M. Thiers a tenu des propos fort déplacés sur nous tous. L'humeur et les mécomptes, chez les personnes qui manquent de première éducation, s'expriment en général sans mesure. C'est la question d'Espagne qui a fait sortir M. Thiers du Ministère, c'est sur celle-là qu'il était en divergence complète avec M. de Talleyrand: de là tout le reste. Je ne lui en veux pas; il devait en être ainsi. D'ailleurs, il y a très peu de personnes que j'aime assez pour leur en vouloir beaucoup.
105 Rochecotte, 4 novembre 1836.—Qu'est-ce que c'est que toute cette ébouriffade de Strasbourg [56]? Ce qui me semble donner un caractère assez sérieux à cette folle entreprise bonapartiste, c'est que le même jour, il y en a eu une du même genre à Vendôme, ici près. Six sergents ont commencé le mouvement, qui a été aussitôt étouffé; cependant, il y a eu un homme tué. Je ne sais si les journaux parlent de cela, mais c'est sûr, les deux Préfets de Tours et de Blois l'ayant dit à M. de Talleyrand, qui me l'a raconté en arrivant. La grande-duchesse Stéphanie sera mal à l'aise de l'expédition de son cousin Louis Bonaparte [57]. Je plains la duchesse de Saint-Leu, quoique je ne la croie pas étrangère à ce fait, et qu'elle soit aussi intrigante que comédienne; mais elle est mère, elle a déjà perdu un fils aîné, et elle doit éprouver une terrible angoisse, juste mais amère punition de ses pauvres intrigues.
Rochecotte, 7 novembre 1836.—J'ai eu hier une lettre de Mme de Lieven, qui me parle d'une indisposition de l'empereur Nicolas. Il me semble que pour qu'une Russe avoue que l'Empereur est indisposé, il faut qu'il soit bien malade! Cette mort-là serait un tout autre événement que l'échauffourée de Strasbourg. Je ne crois pas que les Français auraient beaucoup à la déplorer!
106 Rochecotte, 10 novembre 1836.—Madame Adélaïde mande à M. de Talleyrand que le Roi est décidé à ne pas laisser juger le jeune Bonaparte; il exigera seulement son prompt départ pour l'Amérique, et l'engagement formel de ne jamais plus revenir en France. Mme de Saint-Leu a écrit au Roi pour lui demander la vie de son fils. On sait qu'elle est cachée à Paris où on ne veut pas qu'elle reste; on ne la laissera pas non plus habiter la Suisse; il paraît qu'elle ira aux États-Unis avec son fils. Quelle absurdité que celle qui fait aboutir à un tel résultat!
Rochecotte, 11 novembre 1836.—Mme de Lieven disait, dernièrement, devant Pozzo, qu'elle irait peut-être passer l'hiver prochain à Rome: «Eh! qu'iriez-vous faire en Italie?» s'écria Pozzo, «vous n'auriez que l'Apollon du Belvédère à qui demander des nouvelles, et sur son refus, vous lui diriez: «Vilain magot, va te promener!» Cette saillie de Pozzo a fait rire tous les assistants, et même la Princesse; au fait, elle est fort gaie.
Rochecotte, 20 novembre 1836.—Les lettres d'hier chantent la palinodie sur les affaires de Portugal. Il paraît que la contre-révolution a échoué au moment où on la croyait assurée, et que c'est la mésintelligence entre le petit Van de Weyer et lord Howard de Walden qui en est cause; le gâchis est complet.
Madame Adélaïde mande à M. de Talleyrand que, décidément, la Cour ne prendra pas le deuil à l'occasion de 107 la mort de Charles X [58], faute de notification. Elle cite plusieurs exemples de deuils non portés pour ce motif, quoiqu'il s'agît de très proches parents, entre autres, celui de la feue Reine de Naples, tante et belle-mère de l'Empereur d'Autriche, morte dans son château impérial auprès de Vienne, et dont la Cour d'Autriche n'a pas pris le deuil, parce que le Roi de Naples, alors en Sicile, n'a pas notifié la mort de sa femme. Il n'y a rien à opposer à de pareils exemples.
Rochecotte, 21 novembre 1836.—La mort de Charles X divise, à Paris, sur tous les points. Chacun y porte le deuil à sa façon, depuis la couleur jusqu'à la laine noire, avec des gradations infinies, et des aigreurs nouvelles à chaque aune de crêpe de moins. Puis, les uns disent le comte de Marnes et Henri V, les autres Louis XIX. Enfin, c'est la tour de Babel; on n'est pas même d'accord sur la maladie dont Charles X est mort! Nos lettres d'hier ne parlent pas d'autre chose, à part cependant des affaires du Portugal. On assure que ce qui vient d'y être gauchement tenté pourrait bien faire chavirer lord Palmerston [59].
Rochecotte, 22 novembre 1836.—Le prince de Laval 108 m'écrit que M. de Ranville est chez lui à Montigny, et M. de Polignac sur la route de Munich et de Goritz. Je ne sais pas du tout comment son affaire s'est arrangée [60]. Je ne sais pas non plus ce que c'est que cette réunion des curés de Paris, convoqués chez M. Guizot, ministre des Cultes. On dit que Mgr. l'Archevêque prépare un mandement à cet égard, mais je n'ai pas encore le mot de l'énigme.
Il faudrait l'abbé de Vertot pour raconter toutes les révolutions du Portugal. Lord Palmerston n'en serait pas le héros, ni même lord Howard de Walden! Que peut-on penser de toute la bassesse de cette diplomatie?
Rochecotte, 28 novembre 1836.—Il y a eu division, sur la question du deuil de Charles X, jusque dans la famille royale actuelle: la Reine, qui l'avait pris spontanément le premier jour, a été très peinée que le Ministère le lui ait fait quitter. Le Cabinet a craint la controverse des journaux et n'y a rien gagné, car toutes les gazettes rivalisent, selon leur couleur, à qui mieux mieux. Je suis très embarrassée de savoir à quelle nuance, du blanc, du gris ou du noir je me vouerai en arrivant à Paris; en général, les dames du juste milieu, qui tiennent aussi à la société, vont en noir dans le monde et en blanc à la Cour. La position de nos diplomates, au dehors, sera très embarrassante!
M. de Balzac, qui est un Tourangeau, est venu dans la 109 contrée pour y acheter une petite propriété. Il s'est fait amener ici par un de mes voisins. Malheureusement, il faisait un temps horrible, ce qui m'a obligée à le retenir à dîner.
J'ai été polie, mais très réservée. Je crains horriblement tous les publicistes, gens de lettres, faiseurs d'articles; j'ai tourné ma langue sept fois dans ma bouche avant de proférer un mot, et j'ai été ravie quand il a été parti. D'ailleurs, il ne m'a pas plu. Il est vulgaire de figure, de ton, et, je crois, de sentiments; sans doute, il a de l'esprit, mais il est sans verve ni facilité dans la conversation. Il y est même très lourd; il nous a tous examinés et observés de la manière la plus minutieuse, M. de Talleyrand surtout.
Je me serais bien passée de cette visite, et, si j'avais pu l'éviter, je l'aurais fait. Il vise à l'extraordinaire, et raconte de lui-même mille choses auxquelles je ne crois nullement!
Le prince de Laval me mande que M. de Polignac n'a pas pu encore profiter de la liberté qui lui a été accordée, s'étant trouvé trop souffrant au moment du départ [61]. Il demande à être transporté à la plus proche frontière, Mons ou Calais, pour éviter le plus possible de route qu'il ne pourrait pas supporter.
Rochecotte, 2 décembre 1836.—La lettre de Mgr. l'Archevêque sur la fameuse convocation des curés est mauvaise, 110 parce qu'elle est captieuse, ce qui ne convient jamais à un pasteur dont le plus bel attribut est la simplicité évangélique; mais convenons aussi que la démarche directe auprès des curés a dû le choquer, et que cette interdiction des prières instituées par l'Église sent un peu trop la Révolution, dont je voudrais qu'on sortît plus nettement qu'on ne le fait. C'est par peur qu'on reste dans cette voie, et cette peur, trop marquée, isole du dehors, et encourage les ennemis du dedans.
M. le duc d'Angoulême s'appellera décidément Louis XIX et sa femme, la Reine: c'est elle qui l'a voulu ainsi. Mais ils ont cependant, aussitôt après la mort de Charles X, envoyé dans la chambre du duc de Bordeaux tous les insignes de la Royauté, déclarant que même si les événements devenaient favorables, ils ne voulaient jamais régner en France. Du reste, les notifications ont été faites sous le titre incognito du comte de Marnes. Le jeune Prince est appelé à Goritz Monseigneur; il reste, avec sa sœur, chez son oncle et sa tante.
C'est sur une lettre de M. de Polignac à M. Molé, écrite après la mort de Charles X, et qui dit positivement qu'il sera reconnaissant au Roi des Français de le faire sortir de Ham, qu'il a obtenu d'en sortir. M. de Peyronnet a écrit, au charbon, sur le mur de sa prison: «Je ne demande merci qu'à Dieu», ce qu'il n'avait plus, ce me semble, le droit de dire, puis il est sorti, fort guilleret, de sa prison. Il n'a pas voulu revoir M. de Polignac, même au dernier moment.
111 Rochecotte, 15 décembre 1836.—Je pars décidément demain soir d'ici, et serai après-demain à Paris.
Les deux correspondants dont les lettres ont alimenté cette Chronique s'étant trouvés réunis à Paris, pendant quelques mois, la Chronique a été interrompue, pour recommencer en 1837.
Paris, 17 avril 1837.—Le nouveau Ministère, qui s'est constitué avant-hier, et qui est destiné à illustrer la date du 15 avril, puisque c'est par des dates qu'on désigne les différentes administrations, le nouveau Ministère, dis-je, aura une rude guerre à soutenir; je désire, pour son chef, M. Molé, qu'il s'en tire honorablement. Le Journal de Paris fait de la franche opposition doctrinaire; le Journal des Débats, après l'oraison funèbre des sortants, promet paix et secours aux entrants; tout cela n'est ni sérieux, ni sincère, ni fidèle, ni stable, et je ne sais plus ni à qui, ni à quoi il est raisonnable de se fier dans les relations politiques. M. Royer-Collard est venu me voir ce matin avant d'aller à la Chambre des Députés; il n'avait pas l'air de croire que le nouveau Ministère pût traverser la session [62].
Nous avons eu parmi nos convives, à dîner, M. Thiers 113 qui a beaucoup causé, comme de coutume. Il venait de la Chambre où on avait vainement attendu la communication officielle du nouveau Ministère qui avait été annoncée. Le Roi devait mener l'Électrice [63], qui est à Paris en ce moment sous le nom de Comtesse d'Arco, visiter Versailles; mais au lieu de cela, le Conseil ayant duré de dix heures du matin à cinq heures de l'après-midi, le Roi n'a pu sortir, ni les Ministres se rendre à la Chambre. Cela y a fait un très mauvais effet; on la dit irritée et méprisante.
Paris, 19 avril 1837.—Mme de Castellane, qui est venue chez moi ce matin, et qui était encore dans un état d'émotion très pénible de la séance de la veille à la Chambre, m'a appris que l'extrême longueur du Conseil d'hier avait tenu à une vive discussion sur le retrait absolu de la loi d'apanage, et sur la convenance de laisser en blanc le chiffre de l'apanage de Mgr le duc d'Orléans dans la loi qu'on va présenter à la Chambre à l'occasion de son mariage avec la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin; M. le duc d'Orléans, qui assistait au Conseil, voulait qu'on laissât le chiffre en blanc et il a fini par l'emporter.
A peine Mme de Castellane était-elle sortie de chez moi, que Mme de Lieven est entrée; elle venait me demander 114 à dîner pour aujourd'hui. Elle m'a conté un mot qui court sur le nouveau Ministère, et qui est pris d'une nouvelle invention: on l'appelle le Ministère inodore.
J'ai eu, à la fin de la matinée, la visite de M. de Tocqueville, qui venait de la Chambre, où il avait assisté à l'entrée solennelle du Ministère. Il dit que cette entrée s'est faite au milieu du silence le plus absolu: pas une parole, pas un geste, comme si les banquettes avaient été vides et comme si on eût été au milieu des glaces du lac Ladoga, ainsi que le disait plus tard Mme de Lieven. Le même silence a régné pendant le discours de M. Molé, mais, au moment où le Ministère s'est retiré en masse pour aller à la Chambre des Pairs, il y a eu un mauvais murmure qui a fait rebrousser chemin à MM. de Salvandy et de Rosamel, qui sont venus se rasseoir sur le banc ministériel. Dans la discussion qui a suivi, le maréchal Clauzel paraît avoir été pitoyable, mais M. Jaubert très incisif; à son mot sur l'état provisoire des choses, les rires les plus désobligeants pour le Cabinet ont éclaté de toutes parts. En somme, l'impression était fort décourageante pour le nouveau Ministère.
Après notre dîner, le duc de Noailles est venu à son tour nous raconter l'entrée ministérielle à la Chambre des Pairs. M. Molé a dit quelques mots courts et troublés; M. de Brézé a dit qu'il les trouvait trop vagues, et a demandé quelques explications sur les causes qui avaient amené la rupture du dernier Cabinet. M. Molé a voulu y répondre sans trop y parvenir, au point qu'en se trompant, sans doute, il a fini par se servir du mot catégorique pour 115 désigner la netteté de ses paroles. A ce mot de catégorique, M. Villemain a dit, méchamment, que le discours du Président du Conseil était tout, excepté catégorique, et qu'il désirait savoir ce que l'on ferait de la loi de non-révélation; M. de Montalivet a parlé alors, et très bien, dit-on; il aurait laissé la Chambre sur une très bonne impression, si M. Siméon, rapporteur de la loi de non-révélation, n'était pas venu annoncer que son discours était prêt, ce qui sera une grande gêne pour le Ministère, qui aurait voulu laisser tomber ce projet de loi en oubli.
Paris, 22 avril 1837.—J'ai eu, aujourd'hui, la visite de M. le duc d'Orléans: il venait d'apprendre le vote de la Chambre sur sa dotation, et le fond et la forme lui convenaient. Il m'a paru disposé à employer la moitié du million de frais d'établissement en œuvres de bienfaisance, aux ouvriers de Lyon, en livrets achetés pour des malheureux aux différentes caisses d'épargne du pays, à vêtir un grand nombre d'enfants dans les salles d'asile, enfin, en fort bonnes actions. Il est fort heureux de son mariage et de belle humeur. La princesse Hélène désire être escortée depuis Weimar par un envoyé de France; on cherche quelqu'un pour cette mission. Je voudrais qu'on en chargeât le baron de Montmorency. La Princesse verra le Roi de Prusse à Potsdam. Son portrait n'est pas encore arrivé. On espère toujours que le mariage se fera avant le 15 juin. La Princesse, n'étant pas mariée par procuration, et n'étant pas encore, par conséquent, Duchesse d'Orléans, sa maison n'ira pas la chercher à la frontière. 116 Elle y trouvera seulement quelqu'un de la maison du Roi, et, peut-être, une des Dames de la Reine; elle vient, du reste, avec sa belle-mère, Mme la grande-duchesse douairière de Mecklembourg.
Meunier [64] aura probablement sa grâce à l'occasion du mariage. Ce procès Meunier n'a aucun intérêt par le caractère des individus, ni leur langage rien de dramatique; c'est fort au-dessous de Fieschi, et même d'Alibaud; du dégoût, voilà tout ce que cela produit. Cela vaut, du reste, beaucoup mieux comme effet sur le public.
Le ridicule compliment de M. Dupin au Prince Royal est fort bien relevé, ce matin, dans le Journal de Paris. Le Roi n'a pas voulu que son fils reçût, ailleurs qu'auprès de lui, les félicitations des Chambres, ce qui faisait dire à M. de Sémonville qu'il aurait cru abdiquer en faisant autrement.
J'ai dîné chez M. et Mme Mollien avec M. et Mme Bertin de Veaux, M. Guizot, M. de Vandœuvre. On y a beaucoup parlé du discours embarrassé de M. Barthe, à la fin duquel il est resté court; de l'extrême pâleur du Ministère et de la presque infaillibilité d'un duel entre MM. Thiers et Guizot dans le cours d'une session qui 117 doit amener encore tant de questions palpitantes, comme on dit maintenant; les deux champions se battront sur le dos du Ministère, qui pourrait bien succomber sous leurs coups. Ce dire est assez général et ne m'appartient pas en propre. Hier, on n'a fait qu'escarmoucher.
Paris, 26 avril 1837.—On me parle de discussions en Angleterre sur la question espagnole. M. Thiers assurait, l'autre jour, que le Ministère anglais était près d'abandonner l'Espagne à ses propres destinées; il en tirait avec effroi, pour la dynastie française actuelle, la conclusion du triomphe de Don Carlos. Il est vrai que cette question rentre dans celle de l'intervention à laquelle il tenait tant.
La duchesse d'Albuféra a été fort troublée par ce duel de son gendre, M. de La Redorte, qui s'est battu avec le gérant du Corsaire pour un article injurieux, paru il y a deux jours dans cette vilaine feuille, et dans lequel la personne aussi bien que les opinions de M. de La Redorte étaient violemment attaquées. On s'est battu au pistolet, le gérant a été blessé à la main; on croit qu'il perdra le doigt. L'état social est détruit par les excès de la presse!
Paris, 27 avril 1837.—J'ai vu, ce matin, Madame Adélaïde, qui m'a dit que le Roi venait de signer la commutation de peine de Meunier. J'ai appris aussi, chez elle, que la princesse de Mecklembourg et sa belle-mère seront le 25 mai à la frontière de France; le 28, jour de 118 Saint-Ferdinand, fête de M. le duc d'Orléans, à Fontainebleau; et que le mariage aurait lieu le 31.
Nous avons eu à dîner la princesse de Lieven, le duc de Noailles, Labouchère, M. Thiers et Matusiewicz, qui revient très vieilli, de Naples, dont il parle très mal, comme climat et comme ressources sociales. La composition de ce dîner était assez disparate, ce qui a tenu aux distractions de M. de Talleyrand, mais enfin, cela s'est bien passé, et la conversation a été vive, surtout entre M. Thiers et Mme de Lieven. Elle est dans des coquetteries positives à son égard, et je me sers du mot coquetterie parce qu'il est le seul qui dise bien le vrai. M. Thiers a raconté la Chambre, en répétant sans cesse, d'un accent particulier qui fait rire malgré soi: ce pauvre Ministère! Il le protège cependant, mais ne consentirait jamais, je pense, à être protégé à ce prix! Il lui est commode de le faire vivre jusqu'à la session prochaine, mais on doute qu'il y réussisse, car, comme il dit lui-même, on peut faire vivre un malade, mais non pas un mort. Dans la séance d'hier, le Ministère a tergiversé, comme de coutume; il a fini par se décider contre le maréchal Soult, ce qui a donné beaucoup d'humeur à la gauche, parce que les Doctrinaires criaient de toutes parts: «Prononcez-vous; allons, prononcez-vous donc!» On dit que cela a été fort scandaleux. Mme de Lieven partie, ces Messieurs sont restés encore assez longtemps, et on a parlé des changements que le schisme, dans le juste milieu lui-même, avait apportés dans la société; de l'influence des salons, et de celle des femmes qui les gouvernent. Voici 119 comment M. Thiers les a classés: le salon de Mme de Lieven, c'est l'observatoire de l'Europe; celui de Mme de Ségur, c'est la Doctrine pure, sans conciliation; la chambre de Mme de La Redorte est à M. Thiers sans partage; chez Mme de Flahaut, on veut ce qui est commode à M. le duc d'Orléans; chez M. de Talleyrand, ce qui est commode au Roi; la maison de Mme de Broglie est au 11 octobre, à la conciliation, mais à la plus aigre des conciliations; le cabinet de Mme de Dino est seul gouverné par la plus parfaite indépendance de l'esprit et du jugement: ma part n'est pas la plus mauvaise; à la vérité, elle est faite en ma présence!
Les journaux allemands annoncent la mort de M. Ancillon. Malade depuis longtemps, le médecin lui ordonne une potion intérieure et un liniment; il explique cela à Mme Ancillon, qui part pour un concert; en rentrant, elle s'aperçoit qu'on s'est trompé et peu d'heures après, le malade meurt! Le pauvre homme n'a pas eu le mariage heureux! Il avait d'abord épousé une femme qui aurait pu être sa mère, puis une autre qui pouvait être sa fille, et enfin cette beauté belge qui était, je crois, la pire des trois.
Paris, 29 avril 1837.—J'ai vu, ce matin, M. Royer-Collard, qui m'a parlé de la séance de la veille à la Chambre des Députés, où on a voté le million de la Reine des Belges. Le résultat, pour lequel lui aussi a voté, a sans doute été bon, mais il paraît que la discussion a été triste pour le gouvernement, et que M. de Cormenin, bien loin 120 de recevoir les étrivières, a eu le dessus. Cette même impression m'a été rendue par deux autres personnes qui assistaient à la séance.
Paris, 20 avril 1837.—M. Thiers est venu me voir, ce matin, avant la séance de la Chambre: il m'a confirmé le dire général sur la séance du million de la Reine des Belges; mais le but de sa visite était de se plaindre de la princesse de Lieven. Il a très bien avisé ce que j'avais prévu depuis longtemps, c'est qu'elle ne le prenait pas au sérieux, qu'elle le produisait, le promettait et le mettait en scène comme acteur; il a trop d'esprit pour n'en pas sentir le ridicule et même pour ne pas le ressentir! Il m'a demandé si je m'en étais aperçue, et si d'autres s'en étaient aperçus. Je lui ai répondu que personne ne m'en avait fait la réflexion, mais que je croyais qu'un peu de réserve dans son langage, dans un salon que lui-même appelait l'observatoire de l'Europe, ne pourrait avoir que de l'avantage. Je l'ai engagé, cependant, à rester en bons termes avec la Princesse à laquelle il plaît au fond beaucoup, et dont l'esprit et la conversation facile et rapide lui plaisent aussi. Je crois qu'il a déjà trouvé, l'autre jour, l'occasion de lui glisser quelques mots qui l'ont fort effarouchée. Il n'y a pas de mal, c'est une personne avec laquelle il faut rester bien, mais qu'il faut contenir.
Paris, 1er mai 1837.—Le duc de Broglie va au-devant de la princesse de Mecklembourg, à Fulda, en deçà de Weimar, non pas pour épouser, mais pour complimenter 121 et escorter. C'est la maréchale Lobau qui sera Dame d'honneur de la Princesse.
J'ai eu, hier, une lettre de l'Archevêque de Paris, qui m'envoie la copie de la réponse de Rome, qu'il venait de recevoir, relativement à ses dernières difficultés à l'occasion du terrain de l'Archevêché. Rome approuve entièrement sa conduite, le laissant libre cependant de faire telle transaction qui pourrait concilier tous les intérêts; cette dernière phrase est très vague. J'irai, probablement après-demain, remercier l'Archevêque et savoir quelques détails de plus; il ajoute, dans sa lettre, qu'il est certain que le gouvernement a reçu une réponse semblable à celle qu'il me communique.
Paris, 2 mai 1837.—On assure que c'est le baron de Werther, le Ministre de Prusse ici, qui remplacera M. Ancillon à Berlin; il fait seulement quelques difficultés d'accepter, mais on croit qu'il finira par là.
On a surnommé le marquis de Mornay, le Sosthène de la révolution de Juillet: c'est très drôle et assez vrai.
J'ai vu M. Royer-Collard, qui croyait que la loi sur les fonds secrets passerait, mais en blessant mortellement le Cabinet.
J'ai été, hier soir, à la réception de la Cour pour le 1er mai [65]. Il y avait un monde énorme, du beau et du laid, du joli et du malpropre, de tout enfin. M. le duc d'Orléans n'a pas paru, à cause d'un grand mal de gorge 122 auquel se joint une fluxion sur l'œil. Il fait bien de se soigner, car il n'a plus que trois semaines pour cela.
On m'a dit au Château que, dans la séance de la Chambre ce matin, M. Jaubert avait écorché vif le Ministère et que la journée d'aujourd'hui pourrait bien en amener le renversement; je ne le crois pas, parce que personne n'est pressé de son héritage immédiat.
Le bruit circulait aussi d'une victoire importante qui aurait été remportée par don Carlos.
Il me semble que je n'ai pas mandé ce que Matusiewicz m'a raconté de la nouvelle Reine de Naples, sur laquelle je l'ai fort questionné; c'est l'archiduchesse Thérèse dont il était tant question l'année dernière. Il dit, donc, qu'elle est agréable, spirituelle, gracieuse, surtout gentille; point de grand air, ni de belles manières; point du tout Princesse. On dit que le Roi en est fort amoureux.
Paris, 4 mai 1837.—J'ai été hier au Sacré-Cœur, voir Mgr l'Archevêque; je l'ai trouvé enchanté des réponses de Rome, ne voulant pas en faire publiquement parade, et désireux, pour peu que de l'autre côté on y mette des formes, d'user de la latitude que lui laisse Rome pour traiter tout à l'amiable; enfin, plus calme, plus doux que je ne l'avais vu depuis longtemps.
Paris, 5 mai 1837.—M. Molé, qui a dîné hier chez nous, disait que son collègue, M. Martin du Nord, ferait, aujourd'hui même, une espèce d'amende honorable à la 123 Chambre pour son équipée d'avant-hier. M. Thiers a harangué ses soldats et les a calmés.
Les ratifications du contrat de mariage de M. le duc d'Orléans sont arrivées du Mecklembourg; la maladie de M. de Plessen, le ministre mecklembourgeois, l'ayant empêché de se rendre à l'endroit où l'échange des ratifications devait se faire, on a craint des retards qui auraient été d'autant plus prolongés que M. de Plessen est mort depuis. M. Bresson lui a, en conséquence, envoyé quelqu'un qui lui a porté l'acte; il était presque agonisant quand il a signé; trois heures après, il est mort.
M. de Lutteroth mande que le portrait du Prince Royal, qu'il était chargé de porter à la princesse Hélène, a eu le plus grand succès. Deux accès de grippe, dont la Princesse a été atteinte, ont empêché d'achever le sien; à sa place, je n'en enverrais pas du tout! M. de Lutteroth ne tarit pas sur les agréments de la Princesse, bien qu'il convienne qu'elle ait un nez peu distingué et d'assez mauvaises dents. Le reste est très bien, surtout la taille, qui est charmante. Le jour où il a dîné avec elle, elle avait des gants trop larges et des souliers noirs qui, évidemment, n'avaient point été faits à Paris. Ce qui est fâcheux, c'est que M. le duc d'Orléans ait un échauffement de poitrine qui se prolonge. Il tousse beaucoup et a une forte extinction de voix; il se soigne, et il fait bien.
Les Princesses de Mecklembourg n'ont pas de dot, seulement, quand elles se marient, les États votent deux ou trois cent mille francs de don volontaire. M. le duc d'Orléans les a refusés, ce qui, dit-on, a fait grand plaisir 124 aux Mecklembourgeois. Le duc de Broglie sera accompagné, dans sa mission, de M. le comte Foy, fils du général célèbre, du comte d'Haussonville, de M. Léon de Laborde, de Philippe de Chabot, et de M. Doudan, celui-ci avec le titre de premier secrétaire d'ambassade [66].
Paris, 6 mai 1837.—Après une visite de M. Royer-Collard, et comme contraste, je suis allée hier matin faire une assez longue station chez Mme Baudrand, la célèbre marchande de modes. Je voulais choisir des chiffons, pour les fêtes de Fontainebleau; je m'y suis amusée. D'abord, les plus jolies choses du monde; puis une foule, qui attendait un tour de faveur; des messages du Château qui appelaient en hâte ce grand personnage. En vérité, on aurait pu se croire chez le chef de la Doctrine ou du Tiers-parti!
J'ai eu, hier soir, un billet de Mme de Castellane; écrit après la séance de la Chambre, et qui en fait le récit suivant: M. Martin du Nord a donné quelques mots d'explication raisonnables; M. Augustin Giraud a vivement attaqué M. Molé, qui lui a extrêmement bien répondu; M. Vatry a appelé les grands athlètes dans l'arène, en proposant un amendement; M. de Lamartine, dans un ennuyeux discours parfaitement étranger à la question, a provoqué M. Odilon Barrot, qui, alors, a fait un de ses plus beaux discours; M. Guizot, à son tour, lui a répondu admirablement.
On m'a éveillée tout à l'heure pour un billet de M. Molé 125 qui me dit que M. Thiers, ébranlé, retourné même par la séance d'hier, veut renverser le Ministère pour forcer M. Guizot à se présenter, avec ses amis, et le renverser à son tour; il ajoute que M. Dupin a rappelé à M. Thiers ses engagements, en lui disant qu'en agissant comme il voulait le faire, il ferait une mauvaise action. M. Thiers a paru de nouveau ébranlé et a annoncé qu'il réunirait de nouveau ses amis. M. Molé me mande ces nouvelles en me priant d'en causer avec M. Thiers dans le même sens que Dupin. C'est se fort mal adresser, car chat échaudé craint l'eau froide, et je me souviens trop bien des scènes de l'année dernière pour me jeter dans un pareil guêpier; je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas! Mais, enfin, la journée d'aujourd'hui sera décisive pour le Ministère.
Paris, 7 mai 1837.—Je ne suis pas sortie hier matin, et j'ai laissé ma porte ouverte; cela m'a valu des visites: M. Jules d'Entraigues, le duc de Noailles, la petite princesse Schœnbourg. Chacun arrivait encore tout ému de la séance de la veille et du magnifique discours de M. Guizot. Il est, en effet, admirable, et a occasionné la plus forte émotion parlementaire au sein de la Chambre.
Vers cinq heures, M. de Tocqueville est arrivé. Il sortait de la séance et venait d'entendre Thiers, qui avait répondu à Guizot. Il paraît que jamais on n'a eu plus d'esprit: c'est lui qui a sauvé le Ministère et fait passer la loi [67].
126 Il a ajouté que Thiers avait parlé bas, froidement, avec l'affectation de montrer qu'il ne cherchait aucun effet de tribune, et ne voulait rivaliser en rien sous le rapport dramatique, mais porter coup, et on dit que c'est fait!
A dîner, nous avons eu la duchesse d'Albuféra, M. et Mme de La Redorte, MM. Thiers et Mignet. M. Thiers était fort satisfait de sa journée, rendant une éclatante justice à M. Guizot et établissant bien qu'il n'aurait jamais fait la bêtise de chercher à l'éclipser, attendu que cela ne se pouvait pas; mais qu'il avait cherché à le rendre impossible et qu'il croyait y être parvenu. Il nous a dit alors son discours: il m'a paru d'une clarté, d'un bon sens et d'une application frappants. Il m'a conté que M. Royer-Collard l'avait presque embrassé en lui disant: «Vous les avez tués!»
J'ai été, le soir, chez Mme Molé, pour y payer le dîner que j'avais fait dernièrement avec l'Électrice: il n'y était question que de la séance de la Chambre. Le Ministère en jouissait comme d'un succès; assurément, il n'y avait pas, pour lui, moyen d'en triompher. Je suis revenu par chez Mme de Lieven: elle avait été entendre M. Guizot la veille, mais non pas Thiers le matin; elle était donc restée toute Guizot, ce qui avait d'autant plus d'à-propos, qu'il est arrivé lui-même, fort enchanté du concert d'éloges qui l'a accueilli; mais, au fond, il était atteint. Cela m'a paru sensible, à moi qui le connais bien!
Je suis tout étourdie, en écrivant, par le bruit du tambour qui bat sans discontinuer, pour la grande revue 127 de la Garde nationale que le Roi doit passer aujourd'hui. Dieu veuille qu'elle se passe bien! J'en suis dans une grande anxiété.
Je sais que MM. de Werther et Apponyi se montrent médiocrement satisfaits des doctrines politiques exprimées par M. Guizot, dans son discours d'avant-hier; ils s'attendaient à un système moins rétréci, moins bourgeois! En cela, ils avaient tort, car le système social de M. Guizot est le seul approprié au temps et au pays, tel qu'il est fait maintenant!
Paris, 8 mai 1837.—Je serais charmée si la nouvelle que j'ai apprise se réalisait, et que la grande-duchesse Stéphanie mariât sa fille au duc de Leuchtenberg; il n'y aurait plus de chances, alors, pour la marier à un de nos Princes, et j'en serais également contente, parce que je ne me soucie pas d'en voir un neveu du Préfet de Blois [68].
Avant-hier soir, chez Mme de Lieven, j'ai rencontré le marquis de Conyngham; il a raconté que la duchesse de Kent, qui ne manque jamais de faire des gaucheries, a invité dernièrement à dîner lord Grey, en même temps que lady Jersey. Leur rang réciproque indiquait que lord Grey devait conduire lady Jersey à table; sir John Conroy est venu le dire à lord Grey, qui s'y est positivement refusé, de façon que lady Jersey a été conduite par un inférieur en rang. Cela a déplu vivement aux uns et aux autres.
128 Il paraît certain que la duchesse de Saint-Leu se meurt. C'est le chirurgien Lisfranc, revenu d'Arenenberg, qui l'a dit; la pauvre femme a beau avoir mal gouverné sa vie et sa situation, l'expiation est trop cruelle. Survivre à son fils aîné, mourir loin du second, dans un isolement complet de tous les siens, c'est affreux! Et cela désarme tout jugement sévère qu'on pourrait être tenté de porter sur elle.
Hier, à l'occasion de la grande revue, toutes mes chambres n'ont pas désempli depuis onze heures du matin. On voyait parfaitement, de nos fenêtres, la défilade, qui suivait toute la rue de Rivoli, et passait ensuite devant l'Obélisque, où se trouvaient le Roi, la Reine, les Princes et un très nombreux entourage. Les soixante mille gardes nationaux, et vingt mille hommes de troupes de ligne ont défilé. Avant cela, le Roi avait passé dans tous leurs rangs tant dans l'intérieur de la cour du Carrousel que sur l'Esplanade des Invalides. La Garde nationale a fort bien crié: «Vive le Roi!» et la troupe de ligne encore mieux. Le vent était aigre et froid, mais le soleil brillant. Le Roi est rentré au Château par le milieu du jardin des Tuileries. Voilà donc enfin le Roi débloqué! C'est excellent. il faut espérer que, d'une part, on ne se croira plus obligé de renouveler souvent ce genre de solennité, et que, de l'autre, on pourra, peu à peu, se relâcher de cet excès de précautions qui nuisent au bon effet, et qui, hier, étaient telles, que je n'ai rien vu au monde de plus triste et de plus pénible: les quais, la rue de Rivoli, la place, les Tuileries, ont été interdits à tout le monde, excepté les uniformes; hommes, femmes, enfants, petits chiens, 129 enfin tout être vivant, repoussé, refoulé; un vide complet; chacun bloqué dans sa maison; mon fils Valençay, pour venir de chez lui, rue de l'Université, ici, obligé de passer par le pont d'Auteuil! Il en a été ainsi jusqu'au moment où le Roi est rentré dans ses appartements. Toute la police sur pied et les gardes nationaux doublés, de chaque côté, d'un rang de sergents de ville et de gardes municipaux, dans toute la longueur du groupe royal; on aurait dit une ville déserte, pestiférée, et dans laquelle passait une armée conquérante, sans trouver ni arrêt, ni habitants!
Après notre dîner, j'ai été savoir des nouvelles de la Reine et faire mes adieux à Madame Adélaïde, qui part ce matin pour Bruxelles. Il y avait eu un grand dîner militaire de deux cent soixante personnes, dans la salle des Maréchaux: on était fort paré, fort content, fort animé.
J'ai fini ma soirée chez Mme de Castellane, où j'ai trouvé M. Molé, très fier de l'issue de la revue.
J'ai recueilli, dans mes différentes courses, que le dernier discours de M. Thiers pénétrait de plus en plus avant dans les esprits. On trouve que, sans se perdre dans les théories générales, il ouvrait une route pratique qui satisfait tous les esprits positifs; on lui sait gré de s'être, dans ce discours, par deux fois isolé de la gauche, sans la blesser; enfin, il a diminué, par ses habiles paroles, une partie des craintes qu'il inspirait, et levé quelques-uns des obstacles qui se plaçaient entre lui et le pouvoir. J'ai recueilli cette impression de bien des côtés différents, et excepté la doctrine pure, et la pointe gauche, tout le monde y arrive.
130 Paris, 9 mai 1837.—J'ai eu, hier, une longue visite de M. Royer-Collard, dont l'admiration pour le discours de M. Thiers est à son comble: il en loue l'à-propos, la convenance et avant tout la vérité! Et non seulement la vérité personnelle, c'est-à-dire la sincérité individuelle, mais la vérité sur la situation réelle des esprits, que lui seul a justement appréciée! Il dit que c'est un de ces discours qu'on ne saurait assez méditer, qui pénètre de plus en plus, et dont l'effet ira croissant. Il convient que la séance de MM. Odilon Barrot et Guizot avait offert le spectacle le plus intéressant; que les deux acteurs avaient supérieurement joué, mais qu'ils avaient joué; qu'ils avaient été de bons orateurs, mais non pas des hommes d'État; que l'un et l'autre s'étaient placés dans la vétusté de leurs opinions extrêmes; que M. Guizot surtout n'était plus de son temps, que c'était un émigré, et que c'était là ce que Thiers avait admirablement relevé. M. Royer trouve le discours de Guizot imprudent et irritant, en quoi il dit qu'il a obéi à son tempérament arrogant. Enfin, il dit bien des choses; il les dit dans mon cabinet, mais il les répète à la Chambre, à l'Académie, à chacun, à tous; il s'en fait une affaire! Cela est très utile à M. Thiers, dans le discours duquel il y a quelque chose de trop fin, de trop subtil, pour être saisi sans commentaires.
Je ne suis pas sortie après la visite de M. Royer et je suis restée à lire la Vie de Raphaël, par M. Quatremère: cela manque de chaleur et de vivacité, mais c'est bien écrit, et il y a un grand repos, par le temps qui court, à se replacer dans l'art et dans l'art exquis d'une époque où 131 les hommes de génie étaient complets, parce qu'ils possédaient toutes les nuances, pour ainsi dire, du génie. Ce genre de lecture me donne des rages d'Italie inexprimables!
Le soir, j'ai été un moment à l'Ambassade d'Autriche, où Mme de Lieven m'a raconté une quantité de commérages de Londres. En voici un; au dernier Lever, le Roi, par le moyen d'un interprète, et à haute voix, a remercié l'ambassadeur de Turquie d'avoir, à l'occasion de la mort de lady de l'Isle, sa fille naturelle, remis un dîner qu'il comptait donner, et de lui avoir ainsi témoigné des égards qui lui avaient été refusés dans sa propre famille; ceci s'appliquait à la duchesse de Kent. Au dernier «drawing-room» auquel la Reine, malade, n'a pas pu assister, mais qui a été tenu par la princesse Auguste, la duchesse de Kent est arrivée avec sa fille: le Roi a fort embrassé celle-ci, sans regarder la mère, et voyant sir John Conroy dans la salle du Trône, il a ordonné à son grand chambellan de l'en faire sortir. Enfin, le prince de Linange étant arrivé chez sa mère, la duchesse de Kent, avec sa femme (qui n'est pas ebenbürtig) [69], le Roi a envoyé lord Conyngham chez la Duchesse, lui dire qu'il recevrait sa belle-fille, mais qu'il ne pouvait lui accorder les entrées intérieures; la Duchesse n'a pas voulu recevoir lord Conyngham, et lui a fait dire que s'il venait en particulier lui rendre visite, elle le verrait avec plaisir, mais qu'elle ne le recevrait pas comme envoyé du Roi, et qu'il n'avait 132 qu'à mettre par écrit ce qu'il avait à lui dire; à la lettre que lord Conyngham lui a, alors, adressée, elle a répliqué par une épître de douze pages, dans laquelle elle a énuméré tous les griefs qu'elle croit avoir contre le Roi, et elle finit en disant que si sa belle-fille n'est pas reçue en Princesse, elle ne mettra plus jamais le pied chez le Roi. Elle a fait faire plusieurs copies de cette lettre, et les a adressées à tous les membres du Cabinet. Lord Conyngham, qui a raconté tout cela à Mme de Lieven, tout whig qu'il est, a encore dit que la position du Ministère anglais était mauvaise, désagréable auprès du Roi et dépopularisée dans le pays; que les embarras de la Banque et la tournure des affaires en Espagne étaient des incidents extrêmement fâcheux pour le Cabinet.
C'est décidément le duc de Coigny qui sera le Chevalier d'honneur de la duchesse d'Orléans. Il est bien peu poli dans sa nature, sauvage dans ses habitudes, et puis manchot, ce qui ne lui permettra pas d'offrir la main à la Princesse. Un choix également arrêté, c'est celui de la comtesse Anatole de Montesquiou, comme première Dame pour accompagner la Princesse, et pour remplacer la Dame d'honneur [70], que sa santé délicate empêchera souvent de faire son service. Ce choix est excellent: Mme de Montesquiou a quarante-six ans, une réputation parfaite, elle a été jolie, elle a encore un extérieur agréable, des manières convenables et simples, reflet exact de sa vie et de son caractère; on ne pouvait choisir 133 personne de mieux et de plus approprié à cette situation.
J'ai vu, dans les journaux, qu'on colportait, à la Chambre des Députés, une souscription pour la réimpression du discours de M. Guizot à cinquante mille exemplaires. M. Martin du Nord, un des membres du Cabinet actuel, a souscrit, ce qui a confirmé l'opinion, déjà accréditée, qu'il était un doctrinaire caché, et un traître dans le Cabinet. Là-dessus, M. Molé est allé chez le Roi, demander le maintien de M. Martin du Nord, ou offrir sa démission. J'ignore encore la conclusion de cette complication nouvelle.
Paris, 10 mai 1837.—Lorsque j'écrivais, hier, je n'avais pas encore lu le Moniteur, qui annonçait l'amnistie [71]. Je savais que depuis longtemps M. Molé avait le désir de faire adopter cette mesure, mais je crois que c'est le discours de Thiers qui en a encouragé et hâté l'exécution. Toute la journée, je n'ai pas entendu parler d'autre chose; cela occupe tous les esprits et empêche de faire attention à la Pairie donnée à M. Bresson, et qui, d'ailleurs, s'explique par le mariage. Quelle fortune que la sienne! Sans doute, il est capable, mais les circonstances l'ont servi avec une rapidité et une constance qui se rencontrent rarement dans la destinée humaine. Pour en revenir au grand événement de l'amnistie, je dirai que le beau monde l'approuve fort, et d'autant plus 134 qu'elle est arrivée quand on ne s'y attendait pas, qu'elle n'est donc pas arrachée par l'importunité des partis, qu'elle est vraiment un acte de clémence et non pas de faiblesse. Les habiles y voient bien plus un acte d'hostilité contre les Doctrinaires, que de magnanimité pour les détenus politiques; en effet, c'est dire: la mesure n'a pu s'effectuer tant que les Doctrinaires étaient dans les affaires, mais séparés d'eux, nous nous hâtons de l'accorder. C'est, de plus en plus, les isoler dans le pays. Je le répète, il y a des gens qui voient, dans cette mesure, la suite du discours de M. Thiers et jusqu'à son influence ad hoc! Les Doctrinaires en sont dans la plus violente fureur, et les Pairs de leurs amis annoncent que tous les contumaces vont se présenter pour se faire juger, et qu'alors eux, Pairs, au lieu de siéger, ils iront à la campagne se reposer. Voici ce qui se racontait beaucoup, hier. M. Jaubert, parlant de l'amnistie à M. Dupin, lui disait: «Il est un peu dur qu'après nous avoir laissé tout l'odieux des mesures de rigueur, que nous avons courageusement défendues pendant les crises et les dangers, on nous ôte les mesures de clémence.» M. Dupin lui a répondu: «En effet, c'est bien triste; mais vous avez une consolation, c'est que c'est Persil qui fera frapper la médaille.» (M. Persil est Doctrinaire et Directeur de la Monnaie.) Le mot est piquant. Les approbateurs de l'amnistie disent encore, et non sans fondement, qu'elle efface le mauvais effet qu'avait produit l'excès des précautions, le jour de la revue.
J'ai été hier à l'École des beaux-arts, où Sigalon, qui 135 arrive de Rome, venait de placer la superbe copie du Jugement dernier de Michel-Ange, ce chef-d'œuvre qui s'efface, comme toutes les fresques du Vatican. La copie est dans les mêmes proportions que l'original et fait le fond d'une salle à laquelle on a donné la forme et les dimensions de la Chapelle Sixtine. C'est la plus belle et la plus surprenante chose qui se puisse imaginer. J'en ai été tout étourdie; variété, richesse, hardiesse de composition, tout s'y trouve réuni; on reste pétrifié devant la puissance d'un tel génie. On a déposé, dans la même salle, des plâtres des différentes statues de Michel-Ange, qui arrivent aussi d'Italie, et qui complètent l'admiration pour ce grand homme. La statue de Laurent de Médicis, celle du Jour et de la Nuit, sont d'admirables figures. Nous avons vu ensuite le charmant portail du château d'Anet et la ravissante porte de celui de Gaillon, deux chefs-d'œuvre de la Renaissance; puis, la cour intérieure, ornée de bassins, de fragments d'antiquité, et qui est très élégante. L'édifice, en lui-même, est d'un fort bon style. Il contient, et contiendra de plus en plus, les beaux modèles de tous les genres et de toutes les époques; c'est un ensemble aussi curieux qu'intéressant, et une nouvelle richesse pour Paris.
De là, nous avons été à la nouvelle église de Notre-Dame de Lorette. Elle m'a paru extrêmement lourde, bariolée d'ornements, et, sans quelques très beaux tableaux que j'y ai vus, je n'y aurais eu aucun plaisir. On dit qu'elle est dans le goût des églises d'Italie; je ne connaissais pas ce genre, et, d'après cet échantillon, je sens que 136 j'aimerai toujours mieux prier Dieu sous les voûtes élevées, hardies, austères, des pierres découpées et gothiques de Notre-Dame et de Saint-Étienne-du-Mont, qu'au milieu du clinquant de cette imitation méridionale. Nous avons terminé en visitant l'église de la Madeleine. L'intérieur répond, jusqu'à présent, parfaitement au dehors, et il semble que Calchas va y immoler Iphigénie, tant la mythologie paraît seule en possession de ce beau monument. On commence déjà à dorer les voûtes et les chapiteaux des colonnes, sous prétexte que la pierre blanche, fort enrichie, d'ailleurs, de marbres divers, est trop froide à l'œil. On prépare ainsi un contraste désagréable entre le dehors et le dedans. Je n'y comprends pas bien, non plus, le culte chrétien.
Le soir, j'ai vu, chez Mme de Lieven, Berryer, qui, en fait d'admiration pour le discours de M. Thiers, ne le cède pas à M. Royer. J'ai appris que M. Martin du Nord avait reculé sur la souscription au discours Guizot, comme sur le reste. Pour quelqu'un qui se dit dans la résistance, il me semble qu'il ne résiste guère!
Paris, 11 mai 1837.—J'ai eu, hier, la visite de l'excellent abbé Dupanloup. Nous avions, réciproquement, le désir de nous voir, dans l'intérêt de Pauline, avant l'éparpillement général pour la campagne. Comme de coutume, j'ai été touchée et satisfaite de sa douce et spirituelle raison. Nous avons parlé de notre espoir, que l'amnistie donnera, au gouvernement, le courage de rouvrir l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois, dont la clôture est le plus 137 grand scandale de la révolution de Juillet; et quand la clémence s'étend depuis Ham jusqu'à la République et la Vendée, bouder contre l'Église, et laisser la croix brisée, me paraîtrait un vrai contre sens. On doit rouvrir l'église, sans regarder aux difficultés que peut élever l'Archevêque, le forcer ainsi à nommer un curé sage, et à aller ensuite remercier aux Tuileries; mais il faut s'y prendre tout de suite, pendant que l'effet de l'amnistie est encore tout-puissant; dans un semblable moment, il n'y a pas d'émeute à craindre dans le quartier, et c'est donner, d'ailleurs, la plus ferme réponse aux Doctrinaires, dont la tactique est de représenter l'amnistie comme le prix du pacte fait avec la gauche. Rouvrir Saint-Germain-l'Auxerrois, c'est retrouver l'équilibre. Je crois que ce serait autant un coup politique qu'une réparation religieuse. Si on tarde trop, les journaux religieux et les dévots vont crier, et avec raison, à l'injustice, et ce que l'on fera plus tard aura l'air d'avoir été concédé à leurs plaintes, ce dont les ennemis s'empareront pour irriter contre la mesure. Il faut donc que tout soit spontané, la réparation religieuse comme l'a été la clémence royale. Je pense qu'on va s'en occuper. Il me semble que cela devrait déjà être fait.
Paris, 14 mai 1837.—Le Moniteur d'hier contenait, Dieu en soit loué! l'ordonnance en vertu de laquelle l'église de Saint-Germain-l'Auxerrois sera rendue au culte. J'en suis ravie. Le baron de Montmorency, qui est venu chez moi ce matin, avait dîné hier au Château, où la Reine en pleurait de joie.
138 J'ai été le soir faire mes adieux à l'hôtel de Broglie, où on est fort monté contre l'amnistie, Mme de Broglie fort occupée de maintenir la princesse Hélène dans le protestantisme.
J'ai été, de là, chez la duchesse de Montmorency, où l'on m'a donné de fort mauvaises nouvelles du prince de Laval. Il a pris une petite grippe, il ne s'est pas soigné, il a été aux courses de Chantilly par un temps très aigre. Son mal a empiré, et donne maintenant de graves inquiétudes. Je serais désolée qu'il lui arrivât mal, car avec toutes ses manies et ses ridicules, il a un excellent cœur et c'est un très bon ami.
J'ai fini ma soirée chez Mme de Castellane où est venu M. Molé, qui nous a dit que Mgr. l'Archevêque, accompagné de deux de ses grands vicaires, était venu ce soir-là même chez lui et chez le Garde des Sceaux, après avoir été chez le Roi. Il paraît que cette apparition dans les salons ministériels y a fait grande sensation. Avant sa visite, l'Archevêque avait fait bénir l'église à petit bruit. On y dit la messe ce matin; la semaine se passera en restaurations convenables, et dimanche prochain on y installera le nouveau curé. M. Dupanloup ayant refusé cette cure, le choix est tombé sur M. Demerson, curé de Saint-Séverin, incontestablement l'ecclésiastique le plus distingué du diocèse; il est le confesseur de Mme Andral, et l'ami de son père, M. Royer-Collard, qui m'en a beaucoup parlé et en fait grand cas.
Paris, 15 mai 1837.—J'ai été, hier au soir, aux Tuileries; 139 j'ai trouvé le Roi radieux d'une visite qu'il avait faite le matin au Jardin des Plantes, pour y voir les nouvelles serres qui y sont établies. Il avait été extrêmement applaudi sur son passage; enfin, il avait l'air de renaître. On est fort satisfait auprès de lui. Il y avait été sans escorte et s'est promené pendant deux grandes heures avec les Ministres de l'Intérieur et de l'Instruction publique, le Préfet de police, et un seul aide de camp. La foule a été toujours grossissant, et ces Messieurs, qui voyaient toutes les abominables figures de la rue Mouffetard et de ce quartier se presser autour du Roi, mouraient de peur; mais il n'y a pas eu moyen de faire rentrer le Roi, qui était ravi. Il a été applaudi, on ne saurait davantage, par tout ce peuple. Je crois, cependant, qu'il vaudrait mieux ne pas trop souvent recommencer de pareilles épreuves.
Paris, 16 mai 1837.—Le prince de Laval ne va pas bien. On a été obligé de le saigner une seconde fois; les médecins disent que son état est grave.
Il se pourrait que M. Dupanloup fût ambitieux; je ne le connais pas assez pour dire oui ou non. Douceur, sagesse, mesure, connaissance du monde, bon langage, discrétion infinie, conversation fine, il réunit tout ce qui est convenable pour diriger parfaitement une personne du monde. Toutes ses pénitentes, toutes les mères de ses pénitentes en font le plus grand cas. Cela n'exclut pas l'ambition! Je sais qu'il se tient fort à l'écart de la politique, mais que, vis-à-vis de l'Archevêque, il a le petit 140 tort de le pousser à aller aux Tuileries, et d'y aller lui-même, à la suite du curé de Saint-Roch dont il est le vicaire et l'ami. Mais la robe de l'ambition est comme celle du caméléon, et on la voit selon le reflet sous lequel on est placé. Je ne garantis donc rien, si ce n'est qu'il a refusé deux cures considérables de Paris. Je sais que l'Archevêque le destine in petto à la cure de la Madeleine quand elle deviendra vacante, et, en effet, c'est une paroisse de beau monde qui lui va le mieux.
Paris, 18 mai 1837.—J'ai été, hier, dans la matinée, chez Madame Adélaïde, où j'ai vu le Roi. On est uniquement occupé, au Château, des préparatifs du mariage, et du voyage de Fontainebleau qu'on veut rendre splendide. J'en suis charmée. Je le serais encore plus, si je n'avais appris qu'on comptait, non seulement sur les mères, mais aussi sur les filles; j'ai fait tout au monde pour que la mienne fût dispensée, parce que j'y vois des inconvénients infinis, mais M. de Talleyrand est arrivé chez Madame, à travers tout cela, et, au lieu de me soutenir, il s'est mis contre moi. Cela me paraît fâcheux.
Paris, 19 mai 1837.—La mort de ce pauvre jeune comte Putbus est un bien triste événement pour sa famille et pour la malheureuse comtesse Buol. Elle me fait grande pitié, et son mari me semble manquer de cœur et de délicatesse. Dans une position telle que la sienne avec sa femme, on peut se séparer avec autant d'éclat qu'on veut, mais quand, par des considérations d'argent, on ne le fait 141 pas, il faut alors rester doux, ou du moins humain. Du reste, je persiste à dire, pour ce qui la concerne, qu'il vaut mieux pleurer son amant mort qu'infidèle, et que, toute malheureuse qu'elle est, elle le serait bien davantage encore si M. de Putbus l'avait abandonnée. Le danger, pour une femme, de trouver son amant infidèle, c'est d'être portée à la vengeance, et de perdre les illusions qui abritent, non contre une faute, mais contre la sécheresse du cœur et la galanterie proprement dite. La mort laisse toutes les illusions du cœur; elle les encourage même...
Paris, 21 mai 1837.—Nous sommes invités, M. de Talleyrand, M. et Mme de Valençay, Pauline et moi, pour toute la durée du séjour de Fontainebleau, c'est-à-dire pour y arriver le 29 mai et y rester jusqu'au 3 juin inclusivement. C'est une faveur, car presque tout le monde est échelonné par vingt-quatre heures.
Une de mes amies d'Allemagne, chanoinesse, personne d'esprit et de discernement [72], m'écrit ce qui suit, sur la princesse Hélène de Mecklembourg: «La plus aimable, la plus instruite, la plus douce des Princesses allemandes va orner le trône de France. Je suis sûre qu'elle vous plaira beaucoup; elle est gaie comme une enfant de quinze ans, et solide comme une personne de trente. Elle réunit le charme de tous les âges.»
Le marquis de Praslin et le duc de Trévise sont les deux 142 chevaliers d'honneur nommés comme adjoints au sauvage duc de Coigny qui sera leur chef.
Paris, 22 mai 1837.—M. le duc d'Orléans ira d'abord à Verdun, voir sans être vu, et ensuite à Melun pour être vu. Henri IV, déguisé, fut à la frontière voir souper Marie de Médicis, et Louis XIV en fit autant à Fontarabie!
Parmi les personnes invitées à Fontainebleau, il y en a une qu'on a eu bien raison, ce me semble, de ne pas oublier, c'est la grande Mademoiselle Palmyre, la fameuse couturière! A la vérité, elle a travaillé sur un modèle envoyé de Mecklembourg, mais il ne me paraît pas certain que ce modèle soit bien bon, ni bien fait. Les quatre-vingts robes de la corbeille pourraient donc fort mal aller, et on fait bien d'avoir là quelqu'un tout prêt à rajuster ce qui pourrait en avoir besoin. Du reste, les marchands, les ouvriers, les diligences, les postes, tout cela ne sait où donner de la tête. C'est inouï tout ce qui se dépense, se commande et s'emploie. On ne peut rien se procurer, et, certes, le commerce n'a pas le droit de crier, car le mouvement est énorme. Il arrive aussi une foule d'étrangers à Paris, surtout des Anglais.
Les Werther partent décidément aussitôt après le mariage du Prince Royal, sans même attendre les fêtes, car M. de Werther a accepté de remplacer Ancillon. Ce sont de très braves gens, qu'on regrettera à Paris, et qui, de leur côté, partent avec de sincères regrets.
143 Paris, 25 mai 1837.—Pour le 29 et le 30, qui sont les jours d'arrivée et de mariage, on a invité à Fontainebleau les Maréchaux, les bureaux des deux Chambres, les Ministres du 11 octobre, du 22 février, du 6 septembre et tout le Cabinet actuel. J'ai toujours dit que Fontainebleau était un Château chronologique! On n'a pas voulu remonter plus haut que le 11 octobre pour éviter M. Laffitte. On a invité aussi tous les premiers Présidents des Cours. En Corps diplomatique, M. et Mme de Werther [73], M. et Mme Lehon [74]; le reste pour les autres jours, deux par deux.
Il faut que je raconte un trait de Mme Molé, qui végète plus qu'elle ne vit. L'autre soir, chez la duchesse de Montmorency, on parle de la tristesse des Werther; elle demande pourquoi ils sont tristes: «Mais de quitter Paris!» Elle reprend: «Mais aller à Fontainebleau n'est ni bien triste, ni bien fatigant.—Mais, Madame, M. de Werther va à Berlin remplacer M. Ancillon!—Ah! c'est donc M. Ancillon qui vient ici?» Je ne pense pas qu'après un pareil trait on accuse M. Molé de livrer les secrets de la diplomatie à sa femme!
La Reine d'Angleterre a écrit une lettre charmante à la Reine des Français sur le mariage du Prince Royal, et, se prévalant de sa très proche parenté avec la princesse Hélène, elle envoie à celle-ci un magnifique châle des Indes, l'un des plus beaux qui soient jamais sortis des 144 magasins si riches de la Compagnie! On dit que c'est une merveille. Je le verrai à Fontainebleau, où on exposera la corbeille.
Paris, 26 mai 1837.—Le Roi d'Angleterre a tenu, assis, le dernier «drawing-room». Depuis, il s'est senti encore plus mal; on en est inquiet. Il aura voulu vivre juste assez pour jouer le mauvais tour à la duchesse de Kent de ne pas lui laisser un seul jour de Régence, puisque la princesse Victoria a atteint depuis deux jours sa majorité.
On dit que l'anarchie est à son comble à Madrid, mais qu'aussi Don Carlos est à bout de voies.
Le duc de Broglie et les Messieurs de sa suite écrivent des lettres transportées sur la princesse Hélène. Tous disent qu'elle est très agréable d'extérieur; tous en ont l'air amoureux; puis ils ne tarissent pas sur sa bonne grâce et disent qu'elle est très bien mise. Le trousseau, commandé par ses ordres ici, est, dit-on, très magnifique.
Fontainebleau, 30 mai 1837.—C'est un tour de force que d'écrire ici! Le temps a été trop beau hier, de sorte qu'un gros orage s'en est suivi; il a éclaté le matin et s'est dissipé dix minutes avant l'arrivée de la Princesse, qui a été reçue par le plus beau soleil et par des cœurs bien émus. L'arrivée a été fort belle; une scène de famille très intime au milieu de la pompe la plus royale. La Princesse a eu beaucoup d'émotion, aucun embarras, de la bonne grâce, de la noblesse, de l'à-propos. Je ne 145 sais pas si elle est jolie. On n'y regarde pas, tant elle a d'obligeance. Elle rappelle un peu Mme de Marescalchi, mais avec un type beaucoup plus allemand et un bas de visage un peu fuyant. Elle a de beaux cheveux, de la couleur la plus correcte, enfin elle est fort bien, et le Prince Royal très satisfait.
Pauline n'a pas quitté mon côté, pas même à dîner, où j'ai été conduite par M. de Werther. Il était entre Mme la grande-duchesse de Mecklembourg et moi. M. de Talleyrand était à bout hier, mais faisait bonne contenance à force de volonté. J'en ai été tout le temps dans une grande inquiétude.
Nous sommes, jusqu'à demain, deux cent quatre-vingts personnes à table. Ma journée d'hier a commencé à cinq heures et demie du matin à Paris, et a fini ici à une heure de la nuit. Il faut être tout habillée à dix heures, à la messe de la Reine.
Fontainebleau, 31 mai 1837.—Les deux journées les plus fatigantes sont passées, et j'en bénis le ciel, car j'ai tremblé tout le temps pour M. de Talleyrand, qui a traversé, avec une témérité incroyable, de si rudes épreuves. Enfin, il a été témoin de tout, et, à un peu de fatigue près, il s'en est tiré.
Les personnes correctes suivent ici la Reine à sa messe matinale et particulière. Pauline vient de m'y conduire dans une petite chapelle charmante, souvenir de Louis VII le Jeune.
On n'a pas vu hier les deux Princesses allemandes 146 pendant toute la matinée. Des promenades, pour ceux qui en ont été tentés (je n'étais pas du nombre), l'inspection de la corbeille pour les autres (et j'étais de ceux-ci) ont rempli l'avant-dîner. Les cadeaux, les chiffons, tout est magnifique et élégant, surtout le meuble de Boule qui renfermait les châles, et qui est une des plus belles choses que j'aie vues. Le tout exposé dans l'appartement des Reines mères. Les diamants sont beaux, les bijoux de fantaisie nombreux, mais pas une perle. M. le duc d'Orléans ne les aime pas; la Princesse pourra, d'ailleurs, porter celles de la Couronne.
La famille Royale a dîné en particulier. C'est Mme de Dolomieu et le général Athalin qui tenaient la table de deux cent quatre-vingts couverts, dans la galerie de Diane. Pauline a été encore près de moi à dîner, et M. Thiers de l'autre coté.
A huit heures et demie, le mariage civil a eu lieu, dans la salle de Henri II. C'était superbe; c'est le plus beau local imaginable, et il était éclairé magnifiquement. Le Chancelier, nouvellement nommé à ce poste, M. Pasquier, en simarre, était devant une immense table rouge et or autour de laquelle étaient tous les assistants, et en face les mariés. On s'y était rendu en cortège. De là, on s'est transporté à la grande chapelle ornée des écussons de France et de Navarre. Le discours de l'Évêque de Meaux [75] a été aussi court que mesuré. Malheureusement, il y a obligation aux mariages mixtes de laisser de côté beaucoup 147 de cérémonies, qui auraient ajouté à l'éclat de la chose. Le curé de Fontainebleau, qui est le fameux abbé Lieutard, et, jusqu'à présent, un des grands opposants au gouvernement actuel, assistait l'Évêque, et avait même réclamé cela comme un droit. La salle arrangée en temple protestant nous contenait avec peine, on y suffoquait; le discours du Pasteur, M. Cuvier, a été très long, très lourd, remontant à l'origine de la création, et revenant sans cesse sur la progéniture. C'était le puritain parfait! Avant la bénédiction, il a demandé à la mariée la permission de s'acquitter de la mission dont il était chargé par la Société Biblique, en lui offrant une Bible dans laquelle il l'a engagée à lire souvent. J'ai trouvé cela bien déplacé dans un pareil moment, et d'un grand manque de respect pour la Reine, qui, sous le rapport religieux, fait un grand sacrifice.
La Princesse a été tout le temps d'un calme parfait. Je n'ai aperçu aucun trouble et moins d'émotion qu'à son arrivée. Elle était parfaitement bien arrangée; malheureusement elle n'a pas de couleur, ce qui lui donne quelque chose de terne, mais, malgré sa maigreur, elle a bien bonne grâce, et, de plus, une simplicité charmante. Son pied est très long, mais bien fait, sa main blanche et fine; en tout, beaucoup de choses agréables.
On s'est séparé après toutes ces cérémonies. J'ai encore été veiller chez M. de Talleyrand dont j'étais inquiète, et que j'ai trouvé bien. M. Molé y est venu. Il a de l'humeur. En effet, c'est singulier que dans tout ceci il n'ait obtenu aucune grâce d'aucun genre. 148
Fontainebleau, 1er juin 1837.—Il n'y a rien à savoir, ici, de la politique. Les Princes sont absorbés en eux-mêmes; M. de Salvandy, le seul Ministre resté de garde auprès du Roi, en fait autant. La curiosité est ailleurs, et il y a beaucoup ici pour l'exciter et la satisfaire.
Voici le récit de la journée d'hier:
Après le déjeuner, une très longue promenade dans la forêt; vingt-six voitures, attelées chacune de quatre chevaux, le grand char de la famille Royale de huit chevaux, puis quatre-vingts chevaux de selle, le tout conduit par la riche livrée d'Orléans, offraient, dans la grande cour du Cheval blanc, des ressources de promenade pour tout le monde. Chacun s'est empressé de suivre le Roi et de parcourir les plus beaux points de la forêt. Beaucoup de curieux, qu'on voyait galoper fort imprudemment dans les rochers, joints à tout le cortège royal, animaient le bois et lui donnaient un aspect charmant.
J'oubliais de dire que le déjeuner avait été précédé d'une messe dite par l'Évêque de Meaux dans la grande chapelle. Tout le monde y a assisté, ainsi que la famille Royale, y compris Mme la duchesse d'Orléans. J'aurais voulu qu'au moins hier, où il n'était plus question de mariage mixte, et où c'était tout simplement la messe du Roi, le culte fût splendide, et qu'il y eût de la musique religieuse. Au lieu de cela, il n'y a rien eu du tout; pas de clergé, pas un son, on avait oublié jusqu'à la sonnette pour l'élévation. Les méthodistes ont bien plus de charlatanisme dans leur simplicité prétentieuse et leur parole affectée et solennelle, mais aux messes où la parole ne 149 s'entend pas, il faut de la pompe extérieure, de l'encens, de la musique, des fleurs, de l'or, des cloches, tout ce qui émeut en élevant l'âme à Dieu, sans qu'on ait besoin d'entendre articuler des mots.
Il est parti beaucoup de monde, il en est venu d'autre; parmi les nouveaux arrivés, l'Ambassadeur de Turquie [76], qui était, à table, à côté de Pauline. La salle de spectacle n'est point encore restaurée; elle a un air terne; l'orchestre, qui ne venait pas de Paris, était abominable; Mlle Mars, vieillie, et ne détaillant plus ses rôles; les autres acteurs fort médiocres, le choix des pièces peu heureux. C'étaient les Fausses confidences et la Gageure imprévue. La Princesse Royale était en grande loge, au fond de la salle, entre le Roi et la Reine. Elle écoutait avec attention, mais sa physionomie exprime peu ce qu'elle éprouve et n'est pas variée: toujours douce et calme; elle l'est jusqu'à l'immobilité, dans sa personne; elle ne fait pas de gestes, ce qui est distingué; le grand repos donne beaucoup de dignité, et quand elle marche ou qu'elle salue, elle a une grâce parfaite.
M. Humann, en partant d'ici, hier, a été emporté, par les chevaux de poste, à la descente de Chailly: il a voulu se jeter hors de la voiture, il a eu le visage tout meurtri et l'épaule démise.
Fontainebleau, 2 juin 1837.—La journée d'hier a été moins remplie que les précédentes, puisque après la 150 messe, le déjeuner et le cercle qui l'a suivi, on s'est séparé avec quelques heures de liberté. Je les ai passées, soit chez M. de Talleyrand, soit à une visite dans la ville. M. de Talleyrand est allé voir Madame Adélaïde, à laquelle il voulait donner une nouvelle, qui nous venait des Bauffremont, qu'elle intéresse, et qui, à juste titre, a été amère ici: c'est celle du mariage du comte de Syracuse, frère du Roi de Naples, avec Philiberte de Carignan; cette jeune personne est la petite-fille du comte de Villefranche, Prince de la maison de Carignan, qui, par un coup de tête, avait épousé, en 1789, la fille d'un armateur de Saint-Malo, Mlle Magon-Laballue; la Cour de Sardaigne n'avait consenti à reconnaître ce mariage qu'à la condition que les enfants qui en naîtraient entreraient dans les ordres, mais la Révolution ayant délié tous les engagements, le fils est entré au service et a épousé Mlle de La Vauguyon, sœur de la duchesse douairière actuelle de Bauffremont, et qui est morte brûlée en 1820. Ce n'est qu'après sa mort, et à l'avènement du Roi de Sardaigne actuel, que ses deux derniers enfants ont été reconnus Princes du sang et traités comme tels. La fille aînée, mariée avant cette reconnaissance, a épousé un particulier de grande maison, mais enfin un particulier, le prince d'Arsoli, d'une famille de Rome. Philiberte, fille et petite-fille de mariages contestés ou très ternes, devient ainsi Princesse de Naples: le mariage par procuration a dû se faire avant-hier; on y met beaucoup de hâte et de précipitation. On comprend l'espèce de déplaisir que cela cause ici. C'est le Roi de Naples qui fait ce mariage.
151 Hier, après le dîner, on est allé entendre Duprez dans une partie de l'opéra de Guillaume Tell, et les Essler ont dansé dans un joli divertissement. J'ai été étonnée que le calme de la Princesse Royale ne l'abandonnât pas, même dans les moments les plus entraînants de Duprez: je n'ai surpris ni un mouvement de tête, ni un geste, ni une expression plus animée. Il en a été de même au ballet, ce que je comprends davantage.
Fontainebleau, 3 juin 1837.—M. de Talleyrand est parti ce matin avec Pauline; on veut me garder ici jusqu'à demain. Il est impossible d'avoir été plus environné d'égards et d'attentions que ne l'a été M. de Talleyrand: il en est parti tout ému. Le Roi et Madame Adélaïde ont exigé son retour à Paris pour l'hiver prochain; je doute cependant qu'il renonce à son projet de Nice.
Le séjour que Pauline a fait ici ne lui a pas nui. Elle y a été à merveille, d'un maintien toujours parfait; j'étais contente d'elle; elle était charmée d'habiter la même chambre que moi, ses toilettes étaient de fort bon goût; elle est partie, ravie d'être venue, mais bien aise de partir et nullement dissipée de cœur ni d'esprit.
Presque tout le monde est parti; il ne reste plus que le service strict et les intimes. Je pars demain, en même temps que la Reine et avec la duchesse d'Albuféra, qui est arrivée ici hier. La promenade dans le camp a été fort jolie, très animée et très populaire. On a été ensuite dans la plus belle partie de la forêt, appelée le Calvaire, d'où la vue est admirable; du fond des ravins 152 sur lesquels on était suspendu, des chanteurs allemands, qu'on y avait placés, ont fait entendre leurs chants; c'était charmant, et le temps, merveilleux donnait tant de mérite à la promenade, qu'on a songé à l'allonger; on est enfin rentré en longeant la grande treille et le canal.
Après dîner, on nous a donné un ennuyeux opéra-comique, l'Éclair, suivi du Calife de Bagdad, que le Roi a demandé comme ancien souvenir. Le tout a fini fort tard, et ma veillée, ensuite, chez M. de Talleyrand, a fort abrégé mon sommeil, d'autant plus que son départ matinal m'a forcée à être prête de très bonne heure. Le Roi et Madame sont venus lui dire adieu dans sa chambre. Après le déjeuner, le Roi s'est amusé à montrer le Château à trois ou quatre convives: j'ai été ravie du Château et du cicerone.
Paris, 5 juin 1837.—Je suis revenue hier de Fontainebleau. Nous avions eu la messe à six heures du matin, puis le départ. Je me suis trouvée comprise dans le cortège royal, aussi suis-je arrivée avec une rapidité admirable, et je ne me suis séparée du cortège que lorsqu'il s'est détourné pour prendre vers Saint-Cloud. La dernière journée de Fontainebleau, celle d'avant-hier, a été remplie, fort à mon gré, par une promenade historique; le soir, nous avons eu une représentation par les acteurs du Gymnase. Le séjour entier de Fontainebleau a été fort agréable pour moi, par les attentions et les bontés dont j'ai été l'objet.
153 Aussitôt arrivée, hier, j'ai été aux Champs-Élysées, chez Mme de Flahaut, qui m'y avait engagée de la manière la plus pressante, pour voir l'entrée royale, qui a été servie par un temps superbe. Il y avait un monde innombrable, le cortège était très brillant, la Princesse saluait avec une grâce parfaite. Le coup d'œil, de la place Louis XV et des Champs-Élysées, était magnifique. Tout était bien, mais pas assez de cris; beaucoup plus de curiosité que d'enthousiasme; on ouvrait les yeux, mais fort peu la bouche. Enfin, l'essentiel, c'est qu'il n'y a pas eu de coup de pistolet, que le Roi a pu se montrer aux flots de la population, sans aucune précaution apparente.
Paris, 6 juin 1837.—J'ai vu, hier, M. Royer-Collard, qui était en aigreur sur le mariage du Prince Royal, comme pourrait l'être un homme du faubourg Saint-Germain. Cela m'a impatientée, et nous nous sommes un peu querellés. Il a l'esprit partial et la conversation intolérante à un point inimaginable.
Avant-hier, dans le jardin des Tuileries, où il y a eu plus de soixante mille personnes, depuis onze heures du matin jusqu'à onze heures du soir, il y a eu un enthousiasme réel, au point d'obliger le Roi à quitter son grand dîner dans la salle des Maréchaux pour venir, avec sa famille, sur le balcon, du haut duquel il a adressé quelques mots de remerciements, qui ont été reçus avec des transports infinis. Depuis le moment de l'entrée dans le jardin jusqu'à la défilade des troupes, la famille Royale s'est tenue au Pavillon de l'Horloge, d'où le coup d'œil était 154 magnifique. Le soleil couchant dorait la cime de l'Obélisque et le sommet de l'Arc de triomphe, et se reflétait sur les cuirasses et les armes des troupes; les baïonnettes de la garde nationale étaient ornées de bouquets. C'était, à ce que l'on m'a assuré, une vraie magie.
Il me semble qu'on penche beaucoup vers une dissolution de la Chambre, du moins M. Molé; M. Royer-Collard l'y pousse vivement.
L'Ambassadeur turc ici dit quelques mots de français. C'est à moi que cette découverte est due, car tout le monde avait si bien pris son ignorance à la lettre, que personne ne lui adressait la parole; cela m'a fait de la peine, il avait l'air si triste; je me suis risquée: il a un peu répondu, et cela m'a valu de voir le portrait du Sultan Mahmoud, qui paraît avoir un très beau visage.
Paris, 7 juin 1837.—J'ai été, hier, chez la Reine, faire mes remerciements pour Fontainebleau. Mme la duchesse d'Orléans était chez sa belle-mère, gracieuse, embellie, aimable. C'est une vraie trouvaille que cette Princesse, son succès est général. Elle a ravi le Conseil d'État, les Pairs, les Députés, ajoutant une phrase aimable aux réponses faites par son mari aux différentes harangues; elle a parlé à chaque Pair individuellement, jamais de banalités; ils en sont tous enchantés.
Mon réveil ce matin est bien triste. On est entré chez moi avec la nouvelle de la mort d'Adrien de Laval. C'était un ami sincère: ils sont rares. Je le regrette vivement, pour lui-même, et aussi pour sa tante, la bonne vicomtesse 155 de Laval, qui n'est guère en état de supporter un coup pareil, et si elle aussi s'en va, quel coup pour M. de Talleyrand!
Paris, 8 juin 1837.—Les succès de la Princesse Royale vont toujours croissant. Elle a parlé au général Neigre de l'artillerie d'Anvers! M. le duc d'Orléans est d'une fierté et d'un bonheur extrêmes de tant de distinction. Il est certain que sa femme lui donne, par sa valeur personnelle, une importance excessive, et je vois déjà le Pavillon Marsan s'élevant au-dessus du Pavillon de Flore [77]. Je ne suis pas sûre que cela n'ait pas déjà jeté quelques semences de jalousie.
Voici une histoire que l'on raconte comme certaine: on prétend que Mme la duchesse d'Orléans, ayant vu son mari lorgner longtemps du côté de Mme Lehon, aurait été à lui, et, moitié jouant, moitié sérieusement, lui aurait ôté le lorgnon, en disant: «Ce que vous faites là n'est pas aimable pour moi, ni poli pour la personne que vous lorgnez.» Il se serait laissé faire, tout doucement... Ceci mérite attention, si cela est vrai.
M. de Flahaut est furieux de n'avoir pas eu le grand cordon de la Légion d'honneur; il voulait donner sa démission de premier écuyer, mais il s'est ravisé. On dit que le duc de Coigny ne lui laisse d'autorité que sur l'écurie.
156 Paris, 11 juin 1837.—Je ne puis donner beaucoup de détails sur la fête de Versailles, hier. Je suis partie à une heure après midi, en grande toilette, avec la duchesse d'Albuféra, et nous sommes revenues ensemble à quatre heures du matin. Le temps était charmant, le lieu admirable, les jardins pompeux, l'intérieur splendide, le spectacle magnifique: il a duré cinq heures. J'ai les yeux brûlés de l'éclat des lumières. Quinze cents personnes invitées, et cependant des mécontents! J'avoue que j'aurais fait les listes autrement.
J'ai eu l'honneur de dîner à la table du Roi, dont c'était le plus beau jour. A la dernière décoration, on a prodigieusement crié: «Vive le Roi!» et on le devait bien.
Le comte de Rantzau, qui accompagne la grande-duchesse douairière de Mecklembourg, a été fort touché de voir là, en honneur, le portrait du maréchal de Rantzau, qui a servi sous Louis XIV et dont il est le descendant. Il dînait à côté de moi, et je l'ai beaucoup fait causer sur ses Princesses, dont j'ai chaque jour meilleure opinion.
Paris, 12 juin 1837.—Je pars demain pour rejoindre M. de Talleyrand à Valençay.
Le Roi d'Angleterre est au plus mal. On ne le soutient plus qu'avec du curaçao et de la viande crue. Il sait qu'il meurt et appelle autour de lui tous ses enfants, les Fitzclarence, même lord Munster. On assure que M. Caradoc supplante sir John Conroy près de la duchesse de Kent, pour laquelle il fait venir des cadeaux que paye la princesse 157 Bagration. On dit que si le Roi meurt, la duchesse de Kent appellera lord Moira à la tête du Ministère: c'est un grand radical. D'autres disent que le Roi Léopold conseille à sa nièce de prendre lord Palmerston, mais que la petite Princesse penche pour lord Grey.
Valençay, 14 juin 1837.—Je viens d'arriver ici, ayant fait ma route assez péniblement, par une chaleur affreuse et deux gros orages.
M. de Talleyrand se porte à merveille, ainsi que Pauline.
Valençay, 17 juin 1837.—Madame Adélaïde a mandé à M. de Talleyrand les détails des accidents arrivés le jour du feu d'artifice: vingt-trois personnes étouffées dans la foule, et trente-neuf blessés! Cela donne naturellement beaucoup de tristesse. Mme la duchesse d'Orléans désirait ne pas aller à la fête de l'Hôtel de Ville, et faire cesser les bals, mais on a représenté que ce serait désappointer beaucoup de monde, et faire perdre beaucoup de frais; on s'est donc borné à remettre les fêtes après l'enterrement des victimes.
Il paraît que le feu d'artifice, les illuminations et surtout la petite guerre ont été quelque chose de remarquablement beau. Il n'y a guère de fêtes populaires sans accidents, c'est ce qui me les fait toujours redouter. Les victimes appartenaient toutes à la classe ouvrière, ce qui les rendait plus intéressantes encore, puisque quelques-unes laissent leurs familles dans la misère.
158 Valençay, 18 juin 1837.—Pauline a fait la conquête de l'Archevêque de Bourges, Mgr de Villèle, qui s'est arrêté ici avant mon arrivée. On dit qu'elle lui a fait merveilleusement bien les honneurs du Château, avec une aisance, une grâce et une convenance remarquables. Je ne suis pas fâchée qu'elle ait été obligée de s'essayer.
On fait des restaurations considérables dans notre grand château; on a nettoyé la partie nord des fossés, on a détruit tous les mauvais petits jardins qui les encombraient; la promenade règne maintenant tout autour. Le clocher, sur l'église de la ville, fait un très joli effet. Tout me paraît avoir gagné.
Les mauvais journaux s'efforcent de comparer les malheurs du feu d'artifice aux tristes scènes du mariage de Louis XVI et à la catastrophe du bal Schwarzenberg, lors du mariage de l'Empereur Napoléon. Ils tirent de fâcheux augures de ces rapprochements. Mais quels plus désastreux rapprochements pour la branche aînée des Bourbons, que l'assassinat de M. le duc de Berry et la révolution de 1830? Et cependant, aucun malheur n'était arrivé au mariage de ce Prince. Ce n'est pas par des accidents particuliers que les Rois perdent leur trône.
Le Conseil municipal de Paris a voté cent cinquante mille francs pour les nouveaux frais de la fête. Tout est sur une si grande échelle, qu'il y a pour quatre mille francs de location de verres et de carafes; pour vingt mille francs de glaces et de rafraîchissements qui ont été distribués, le jour où la fête a été remise, aux ouvriers et aux hôpitaux. Les malades auront fait bombance: les bons 159 mots ne manquent pas sur les prétendues indigestions qu'on leur a données.
Valençay, 19 juin 1837.—L'histoire d'un journal allemand sur la vision qu'aurait eue Mme la duchesse d'Orléans et sur sa pensée de jouer le rôle d'une seconde Jeanne d'Arc est, sans doute, stupide; cependant, il est vrai qu'il y a eu quelque chose de mystique dans sa volonté de venir en France, car M. Bresson lui-même, le prosaïque M. Bresson, m'a répété plusieurs fois ceci: «Elle se croit une vocation, et a vu un appel particulier de la Providence, dans le mariage qui lui a été proposé; sa belle-mère, qui appartient un peu à la secte des piétistes, a été dirigée par la même pensée.»
Voici encore ce qui m'a été dit par M. de Rantzau. Le jour où il lui a appris l'attentat de Meunier sur la vie du Roi, les négociations de mariage étaient déjà entamées; il n'a pas pu cacher à la Princesse son effroi du sort vers lequel elle penchait; elle lui répondit: «Arrêtez-vous, Monsieur; l'événement que vous m'apprenez, bien loin de m'ébranler, me confirme plutôt dans ma volonté: la Providence m'a, peut-être, destinée à recevoir le coup dirigé contre le Roi, et à lui sauver ainsi la vie. Je ne reculerai pas devant ma mission.»
Il y a, en elle, beaucoup d'exaltation, ce qui ne nuit pas à l'extrême simplicité de ses manières, ni au calme remarquable de son maintien; c'est une combinaison si rare, que j'en ai été beaucoup plus frappée encore que de tous ses autres avantages.
160 Valençay, 22 juin 1837.—Madame Adélaïde a écrit une longue lettre détaillée à M. de Talleyrand, sur la fête de l'Hôtel de Ville, qui paraît avoir été la plus belle chose du monde, incomparablement plus magnifique que tout ce qui avait été fait, jusqu'à présent, dans ce genre. L'accueil fait partout au Roi, sur son passage et à l'Hôtel de Ville, a été admirable. Il y avait cinq mille personnes à cette fête. La princesse Hélène a trouvé le diorama de Ludwiglust [78] d'une ressemblance parfaite.
Valençay, 25 juin 1837.—Voilà donc le vieux Roi d'Angleterre mort. J'ai lu, avec intérêt, la manière dont le règne de la jeune Reine a été proclamé à Londres, en sa présence, du haut du balcon de Saint-James. Cette scène, belle et touchante, a un caractère reculé qui me plaît.
Valençay, 28 juin 1837.—On dit beaucoup, à Paris, que M. Caradoc veut faire casser son mariage avec la princesse Bagration, chose très aisée; qu'il serait fait Pair, et qu'il deviendrait le mari de la jeune Reine. Il se prétend descendant des Rois d'Irlande! Tout cela est absurde, je crois, mais, en attendant, la petite Reine est si charmée de lui qu'elle ne fait et ne dit rien sans le consulter.
Voici un autre conte: Charles X avait donné au duc de Maillé un tableau pour l'église de Lormois. La famille vient de le vendre pour cinquante-trois mille francs à un 161 marchand. Cela fait un procès avec la Liste civile, qui dit que Charles X n'avait pas le droit de donner le tableau. Il y a des mémoires imprimés pour et contre. Si le marchand est obligé de rendre le tableau, il exigera de la famille de Maillé la restitution des cinquante-trois mille francs qu'il a donnés; et la famille n'a recueilli, excepté ce tableau, que des dettes dans la succession du duc de Maillé! Il est certain que si le tableau provenait d'un des Musées ou d'un des Châteaux royaux, Charles X n'avait pas le droit de le donner!... Mais tout cela est désagréable.
Valençay, 29 juin 1837.—M. de Sémonville ayant été présenté le soir, à la table ronde, par la Reine elle-même, à Mme la duchesse d'Orléans, il a dit à la Princesse qu'il fallait toute la bonté de la Reine pour qu'il osât lui présenter une aussi vieille figure: «Vous voulez dire une aussi vieille réputation,» a repris la Princesse. Le vieux chat a rentré ses griffes, et a été content.
Valençay, 1er juillet 1837.—On m'a écrit de Paris que la situation publique est considérée comme bonne en ce moment, quoique les élections municipales aient été généralement assez mauvaises. A Strasbourg, Grenoble et Montpellier, elles ont été positivement républicaines. Beaucoup de gens prétendent que le Ministère devrait dissoudre la Chambre, qui est usée. Ils ajoutent que le mariage du Prince Royal et l'amnistie rendent le moment favorable; que, plus tard, les circonstances ne seront peut-être plus aussi avantageuses, mais que le Roi s'y 162 refuse. M. Royer-Collard m'écrit sur le même sujet: «Je crois que M. Molé penche pour la dissolution, et le Roi lui-même, qui ne l'accepte pas encore, y sera conduit par la force des choses; cette Chambre est éreintée et ne peut plus marcher.» Et en post-scriptum, il ajoute: «J'ai vu longuement M. Molé, et je dois le revoir: il est décidé à proposer, et, par conséquent, à faire prévaloir la dissolution. Je ne le presse point, mais je suis de son avis. Cette Chambre ne peut plus marcher, et il suffit que la dissolution soit désirée et attendue pour qu'elle soit nécessaire.»
Enfin, voici ce que Mme de Lieven m'écrit au moment de partir pour l'Angleterre: «M. de Flahaut voulait la mission de compliment à Londres. Il a fallu reculer devant le général Baudrand, ce qui ajoute à la mauvaise humeur du mari et de la femme. Sébastiani est si malade qu'il n'est plus bon à rien à Londres. Je ne sais, vraiment, qui tient votre Cour informée. Mme de Flahaut travaille tant qu'elle peut à chasser Granville de Paris et à y faire nommer lord Durham, par le double motif de débarrasser Palmerston d'un compétiteur et d'avoir à Paris un ambassadeur bien intrigant. Granville avait le mérite de ne pas l'être. Dans mon opinion, il faudra contenter Durham, qui ne veut plus rester à Pétersbourg, et qui veut mieux. On dit que vos Députés s'en vont inquiets, mécontents; M. Molé dit qu'il veut la dissolution, mais que le Roi ne la veut pas.
«La dernière soirée a été nombreuse chez M. Molé. A celle de M. Guizot, il est venu cent cinquante Députés. 163
«Thiers a écrit, de Lucques, que la mer avait fait grand mal à sa femme.»
Valençay, 6 juillet 1837.—Voici un extrait d'une lettre de Mme de Lieven, datée de Boulogne: «J'ai vu M. Molé et M. Guizot au dernier moment. Le premier avait reçu une lettre de Barante: l'humeur de mon souverain ne s'adoucissait pas; c'était même pire que jamais, et c'est a hopeless case [79]; il y a de la folie. M. Molé est décidément jaloux de Guizot: il y aurait des choses bien risibles à vous conter sur ce sujet-là, et tout cela est nouveau depuis votre départ. Il y a de drôles de caractères dans ce monde; et comme je suis rieuse, je ris.»
J'aimerais assez à savoir les détails de cette rivalité, qui, je l'avoue, à cause de l'objet, me paraît si invraisemblable, que je crois la Princesse un peu égarée par de la vanité féminine. Elle confond la jalousie avec ce qui n'est que la susceptibilité inhérente au caractère.
J'ai eu une lettre du baron de Montmorency, exécuteur testamentaire du prince de Laval, qui m'annonce que celui-ci, par une note écrite au crayon, la veille de sa mort, m'a laissé un souvenir qu'il m'envoie. Je suis extrêmement touchée.
Rochecotte, 11 juillet 1837.—Je suis arrivée hier ici, où je viens faire une course pour mes affaires: la vallée de la Loire est superbe. Les retards éprouvés, cette année, 164 par la végétation, ont laissé une fraîcheur inaccoutumée dans cette saison. Toutes mes plantations ont fort bien poussé: les fleurs sont en abondance, les plantes grimpantes très vivaces; j'ai tout trouvé à merveille.
Rochecotte, 12 juillet 1837.—J'ai fait, hier, tout le tour de ma maison. Les petits perfectionnements arrivent peu à peu.
Je suis très frappée de l'effet que produit, dans le salon, la Vierge Sixtine, qui a remplacé la Corinne. Celle-ci a passé dans le salon de la maison de l'Abbé. Ce changement est comme symbolique et montre la différence entre ce qui a présidé à mon passé et ce qui domine maintenant, ou, pour mieux dire, ce qui commence petit à petit à gagner du terrain: les progrès sont bien peu rapides!
Rochecotte, 13 juillet 1837.—Il n'a plu, hier, que pendant la moitié de la journée; j'ai pu faire le tour de mon petit empire que j'ai trouvé en très bon état. Je vais avoir du chagrin à m'en arracher tout à l'heure. Je vais dîner et coucher à Tours, et serai demain soir de retour à Valençay.
J'ai pu, enfin, visiter, hier, mes béliers hydrauliques [80]; rien ne tient moins de place, ne fait moins de 165 bruit et n'opère un meilleur résultat. Beaucoup d'ouvriers viennent les visiter, plusieurs propriétaires veulent les imiter; c'est vraiment une admirable invention. J'ai maintenant de l'eau à la cuisine, aux écuries, partout, et, l'année prochaine, je me donnerai une pompe à incendie.
Valençay, 15 juillet 1837.—J'ai quitté Tours hier matin; j'ai eu, avant de partir, le triste spectacle d'un homme foudroyé par le tonnerre; son compagnon n'avait que les jambes fracassées: on le portait à l'hôpital pour les lui faire couper toutes deux.
J'ai déjeuné à Loches, où j'ai tout visité en détail; le tombeau d'Agnès Sorel, l'oratoire d'Anne de Bretagne, une église curieuse, la prison de Ludovico Sforza; j'ai admiré le panorama, qui, du haut des tours, se déploie avec magnificence. Nous nous sommes arrêtés ensuite à Montrésor, pour inspecter une des plus jolies églises de la Renaissance que j'aie vues: elle est bâtie à côté d'un vieux castel, qui doit son origine au fameux Foulques Nera, le plus grand bâtisseur avant Louis-Philippe.
Aux forges de Luçay [81], j'ai trouvé les chevaux de la maison, qui m'ont amenée grand train ici.
Valençay, 18 juillet 1837.—A propos du procès du général de Rigny, je peux dire que le général, fort blessé, 166 avec raison, que le gouvernement voulût le punir, après son éclatant acquittement devant le Conseil de guerre, a déclaré au Ministre de la Guerre que, si on choisissait le moment actuel pour le priver du commandement de Lille, il attaquerait le maréchal Clausel en calomnie devant les tribunaux civils, et sans aucun des ménagements qu'il avait cru devoir garder à Marseille. Le Ministre de la Guerre lui a dit que son avis avait été qu'on lui rendît le commandement, mais que le Roi s'y opposait. M. Molé et tout le Conseil tenant le même langage, le baron Louis, oncle du général de Rigny, s'est trouvé fondé à aller à Neuilly et à demander une explication au Roi. Celui-ci a dit qu'il restait prouvé que le général s'était rendu coupable d'insubordination, à quoi le pauvre vieux oncle a répliqué: «Mais Votre Majesté ne veut donc pas reconnaître la chose jugée; car le Conseil de guerre a reconnu que les propos attribués à mon neveu étaient calomnieux; il ne nous reste donc qu'à poursuivre le Maréchal à outrance.» Le Roi, alors, a dit: «Ah! je ne savais pas cela; je vais me faire soumettre les détails de la procédure, puis nous verrons [82].»
167 Le fait est qu'on a toujours été mal, au Château, pour tout ce qui s'appelle Rigny, par la raison inverse de celle qui a fait la fortune de M. Bresson. Il ne suffit pas d'être serviteur dévoué du gouvernement; il faut, avant tout, être et avoir été toujours orléaniste.
J'ai reçu la première lettre de Mme de Lieven de Londres: elle me paraît enchantée de la magnificence de ses hôtes, le duc et la duchesse de Sutherland, et aussi de l'empressement de ses amis. Elle dit que la jeune Reine est une merveille de dignité et d'application; qu'elle n'est point menée, pas même par sa mère. Elle règle toute sa Cour elle-même, et la Princesse voit, chez la duchesse de Sutherland, qui est mistress of the robes, des notes que la Reine lui écrit à l'occasion de ses fonctions, et qui sont pleines d'ordre et de convenance. La duchesse de Sutherland est chargée de tous les arrangements, placée au-dessus même du grand chambellan; il ne tiendra qu'à elle, à ce qu'il paraît, d'être une seconde duchesse de Marlborough. Quand la Reine reçoit des adresses, sur son trône, la duchesse de Sutherland est debout à sa droite, et la duchesse de Kent, mère de la Reine, est assise au bas du degré. La Reine veut passer les troupes en revue, et cela à cheval; et ce qu'elle veut, elle le fait. Lord Melbourne est tout-puissant, et les whigs triomphent. Les élections seront vivement disputées; c'est la dernière chance des tories. Lord Durham a repris sa domination sur les radicaux, qui l'encensent: la Reine n'a pas le goût de sa mère pour lui.
La couronne d'Angleterre n'a pas de diamants; ceux, 168 très beaux, de la Reine douairière, lui appartenaient en propre, et lui viennent de sa belle-mère, la vieille Reine Charlotte, qui les a légués à la couronne de Hanovre. Celle-ci se trouvant, maintenant, séparée de la couronne d'Angleterre, le duc de Cumberland réclame les diamants, comme Roi de Hanovre. La Reine Victoria se trouve donc n'en point avoir, et quoiqu'elle ne se presse pas de renvoyer ces bijoux, elle ne veut pas, néanmoins, les porter.
C'est le comte Orloff qui est envoyé à Londres pour complimenter la Reine. Mme de Lieven compte savoir, par lui, jusqu'à quel point elle peut braver l'Empereur, son maître.
M. Thiers lui écrivait, de Florence, qu'il était mécontent du traité qu'on avait fait avec Abd-el-Kader.
Valençay, 20 juillet 1837.—D'après les lettres que nous avons reçues hier, il paraît qu'on est revenu sur la résolution de dissoudre la Chambre, ou, du moins, qu'on est rentré, à cet égard, dans l'hésitation. La téméraire déclaration du Roi de Hanovre, les succès de Don Carlos, et la crainte de voir les élections anglaises tourner au radicalisme, voilà, dit-on, ce qui fait craindre ici des mandats impératifs et des tendances républicaines, dans de nouvelles élections générales.
La Cour est à la ville d'Eu et ira de là à Saint-Cloud. La grande-duchesse douairière de Mecklembourg est de tous ces voyages. On l'aime et on la respecte; et elle-même, qui sent que sa position ne sera pas agréable en Allemagne, 169 n'est pas pressée d'y retourner, et redoute un peu la solitude qui l'y attend.
J'ai eu, hier, de Paris, une lettre de M. Royer-Collard dont voici un extrait: «La dissolution retentit dans toutes les correspondances, même dans celles qui viennent du Ministère de l'Intérieur. On y fait cependant des réserves: si don Carlos n'arrive point à Madrid, si le Roi de Hanovre n'est point culbuté, si les élections anglaises n'effrayent pas. Ces réserves sont dans le caractère et la politique du Roi, qui n'aime point les hasards, et qui a eu, pour les doctrinaires, le ménagement de leur laisser l'espérance. La décision est à M. Molé, qui ne veut rien leur laisser; il ne s'agit, de part ni d'autre, de la mesure en elle-même, comme bonne ou mauvaise: «Cela passe par-dessus les têtes»; pour moi, s'il m'est permis d'avoir un avis, c'est précisément dans les cas qu'on regarde comme des cas d'ajournement, que je n'ajournerais pas. Je ne sais ce que sera la Chambre renouvelée, et je n'attends pas d'elle des miracles, mais je tiens la vieille Chambre comme insuffisante, et hautement incapable, s'il y a quelque résolution importante à prendre.»
J'ai aussi une lettre de Florence, de M. Thiers, qui paraît inquiet et triste de l'état de sa femme; il en parle avec une vive et tendre sollicitude; il dit que c'est son seul chagrin et qu'il défie la politique de lui en donner désormais. Il ajoute: «Je suis redevenu homme de lettres et philosophe dans l'âme. Je me donne, comme dit le classique Bossuet, je me donne le spectacle des choses humaines par les monuments et les livres, c'est-à-dire par 170 tout ce qui reste des hommes d'autrefois. J'ai la prétention de savoir deviner ce qu'on ne me dit qu'à demi, et comme c'est là la manière de l'histoire, je crois savoir et comprendre le passé très bien. Grâce à cette vanité, qui ne fait de mal à personne, ni à M. Guizot, ni au Roi Louis-Philippe, ni au prince de Metternich, je vivrais très content, très occupé, et vraiment très heureux, si mes chagrins de famille ne venaient me troubler. Je ferai donc tout ce que je pourrai pour rester ce que je suis; je veux devenir mieux que je ne suis; je veux agrandir mon esprit, élever mon âme; on fait tout cela dans la retraite beaucoup mieux que partout ailleurs, parce qu'on y réfléchit, on y étudie et on y est désintéressé. Si, quand je vaudrai ce que je puis valoir, un beau rôle se présente un jour, à la bonne heure; mais passer sa vie entre le Roi qui demande l'apanage et la Chambre qui le refuse, être tiraillé sans cesse entre les Tuileries et le Palais-Bourbon, entre gens qui ne vous savent gré de rien et qui vous imputent leurs torts réciproques, sans le seul dédommagement des peines du pouvoir, celui de faire du bien, cela n'en vaut pas la peine. Je dis ceci du fond de mon âme, et comme j'ai le bonheur de voir ces sentiments partagés par ceux qui m'entourent, je persiste; ainsi donc, vous me verrez bien libre cet hiver.»
Valençay, 1er août 1837.—M. de Vandœuvre nous est arrivé hier. Il racontait fort drôlement que Mme de Boigne, ayant été invitée à dîner chez M. et Mme de Salvandy, y arrive, ne trouve que la femme, qui lui fait des 171 excuses sur ce que son mari, malade, ne peut se mettre à table; on y va sans lui; mais, en rentrant dans le salon, on y trouve le jeune ministre, ainsi qu'il s'intitule, étendu nonchalamment sur une chaise longue, en pantoufles turques, en belle robe de chambre à ramages, et, sur l'oreille, un bonnet grec, brodé par des mains féminines. On dit que la figure prude et pincée de Mme de Boigne, à ce moment-là, était impayable!
La fille de la duchesse de Plaisance est morte à Beyrouth, en Syrie, d'une fièvre typhoïde: son père me l'annonce. Le sort de la malheureuse mère, dont j'ignore la destinée actuelle, m'afflige et m'inquiète. Elle m'a été une très bonne amie, dans un temps où je n'en avais guère: c'est ce que je ne saurais oublier.
Valençay, 4 août 1837.—J'ai lu, dans la Revue des Deux Mondes, l'article sur Mme de Krüdener. Elle était Courlandaise, et je l'ai vue chez ma mère, avec laquelle elle eut un commencement d'amitié. Ma mère se croyait d'ailleurs, avec raison, obligée de protéger tous ses compatriotes. Mme de Krüdener avait une vraie nature d'aventurière, et si elle n'avait pas été de si bonne naissance, elle n'aurait pas attendu d'être arrivée à ses dernières extravagances pour être reconnue comme telle. Depuis 1814 jusqu'à sa mort, elle a vécu entourée d'un tas de vagabonds qu'elle traînait à sa suite dans toute l'Europe, et qui donnaient, partout, un fort vilain spectacle, rien moins qu'évangélique. C'étaient de singuliers apôtres.
Les gens prompts à s'exalter, à s'animer, à changer, 172 également prêts à tout, séduits par les choses les plus opposées, passent souvent pour hypocrites, uniquement parce qu'ils sont mobiles: on est toujours tenté de douter de leur sincérité. C'est le cas de M. Thiers. Je suis sûre qu'il est très heureux, comme il l'écrit, à la villa Careggi [83], au milieu des souvenirs des Médicis, et qu'il est aussi fort dégoûté de Paris. Le malheur des natures ardentes, impétueuses, et également propres à toutes choses, c'est d'être généralement mal interprétées par les natures qui conservent un plus heureux équilibre; j'en sais quelque chose par ma propre expérience! Sûrement, nous reverrons M. Thiers dans la politique et l'ambition, mais, aujourd'hui, c'est très sincèrement qu'il croit en être séparé pour toujours. L'avantage des natures comme la sienne (comme la mienne peut-être), c'est de n'être presque jamais mortellement accablées, et d'être, au contraire, si élastiques et si souples, qu'elles tirent parti de toutes les différentes conditions humaines; mais leurs inconvénients sont graves, cela est vrai: elles arrivent, trop vite, au bout des choses et des personnes; les découvertes sont trop rapides, la part de chacun et de chaque chose trop promptement, trop complètement faite. A force de gravir rocher sur rocher, on est toujours prêt à 173 perdre l'équilibre, on le perd même quelquefois; on tombe alors dans un abîme dans lequel les personnes qui ont su se maintenir à une hauteur fixe vous trouvent parfaitement à votre place, ne sont pas même fâchées de vous voir, et se montrent toutes disposées à vous laisser. Que j'ai vu et éprouvé de cela! Et le pis, ce n'est pas d'être accusé de folie, mais d'hypocrisie. Il y a, d'ailleurs, pour ces natures, une ressource infaillible quand on a la force d'y avoir recours: c'est de se forcer à retrouver de l'équilibre et à s'imposer de la mesure; c'est un long travail, qui dure, nécessairement, autant que soi; c'est là précisément son mérite, puisqu'on n'en peut jamais voir le bout.
Le duc de Noailles m'écrit que son oncle est mort en quelques heures avec tous les symptômes du choléra. Je ne sais si je me trompe, mais tout est, pour moi, sous un voile noir et très noir, et j'ai comme une appréhension instinctive d'une catastrophe. Pourvu qu'elle ne frappe ni M. de Talleyrand, ni mes enfants! Quant à moi, à la volonté de Dieu; je me prépare du mieux que je puis! Mais que d'arriérés à solder, et que j'en serais effrayée sans ma confiance parfaite dans la miséricorde divine!
Valençay, 5 août 1837.—M. de Montrond mande, de Paris, à M. de Talleyrand, que chez les Flahaut, on racontait ceci de la jeune Reine Victoria: la duchesse de Sutherland s'étant fait attendre, la Reine fut à elle lorsqu'elle arriva et lui dit: «Ma chère Duchesse, je vous en prie, que ceci ne se renouvelle pas, car nous ne devons, 174 ni vous, ni moi, faire attendre personne.» Cela n'est-il pas très bien dit?
Valençay, 8 août 1837.—J'ai reçu, hier, une lettre de Mme de Lieven, commencée en Angleterre, finie en France, en route vers Paris. Elle a vu Orloff à Londres, et elle croit, par lui, avoir assez bien arrangé ses affaires, pour pouvoir risquer de revenir à Paris. Elle m'écrit des choses curieuses sur la jeune Reine: «Tout le monde a été sa dupe; elle s'est préparée en secret, depuis longtemps, au rôle qui lui était destiné. Aujourd'hui, elle déverse son cœur tout entier dans celui de lord Melbourne. Sa mère voulait lui faire prendre des engagements politiques vis-à-vis des radicaux, et personnels à l'égard de Conroy; il paraît que, dominant la mère, Conroy avait de très brutales façons vis-à-vis de sa fille, jusqu'à la menacer, trois jours avant son avènement, de l'enfermer si elle ne lui promettait pas la Pairie et la place de sir Herbert Taylor. Elle lui a donné trois mille louis de pension et lui a défendu le Palais! La mère n'entre chez sa fille que lorsqu'elle est demandée. La duchesse de Kent se plaint beaucoup, et on voit que le chagrin la dévore: Caradoc, qui s'était, par faux calcul, attaché à cette fortune-là, a partagé la disgrâce et quitté l'Angleterre. La jeune Reine a beaucoup d'affection et d'égards pour son oncle, le Roi Léopold, qui n'aimait pas Conroy, et protégeait la jeune fille contre sa mère. Melbourne est tout-puissant. Il adore sa jeune souveraine. Elle a un aplomb incroyable. On en a une peur extrême; elle tient tout le 175 monde in order, et je vous assure que cela a une tout autre tournure que sous le feu Roi. La Reine porte toute la journée l'Ordre de la Jarretière en plaque sur l'épaule et le motto au bras. Elle est restée très petite, ce qui fait qu'elle a adopté, même le matin, les robes à queue. Elle a l'air distingué, sa physionomie est charmante, et ses épaules superbes. Elle ordonne en Reine; sa volonté doit être obéie sur-le-champ et sans contradiction. Tous les courtisans ont l'air ahuri!»
Valençay, 15 août 1837.—Je connaissais le goût de Mme de Lieven pour s'incruster à Paris, mais je ne croyais pas qu'il allât jusqu'à vouloir confisquer l'ambassade de Russie à son profit. C'est, de toutes façons, un mauvais calcul, car autant elle trouve de bienveillance dans sa situation actuelle, qu'on regarde comme neutre et sans conséquence, autant une position officielle lui attirerait d'embarras inextricables.
Valençay, 17 août 1837.—Voici un extrait d'une lettre de Mme de Lieven, reçue hier: «Pour le moment, le conservatisme est très à la mode en Angleterre: la nouvelle Chambre des Communes sera de bien meilleure compagnie que les dernières. Tout cela amènera, je l'espère et je le crois, un rapprochement avec les tories modérés. Ceux-ci y sont préparés; je peux parler de sir Robert Peel et du duc de Wellington: ils s'engagent à appuyer, à soutenir, et cela gratis, pour le moment. En acceptant, lord Melbourne perd l'appui du parti radical, 176 et se verra, dans peu de temps, forcé de faire entrer des tories dans le Cabinet; mais c'est cependant le meilleur marché à conclure, et lord Melbourne y est disposé plus que ses collègues. Nous verrons s'il aura du courage; je l'ai laissé dans la disposition d'en avoir. La Reine ne se mariera pas, et n'y songera pas, d'au moins un an ou deux. Vous pouvez compter sur ce que je vous dis là. La duchesse de Kent est complètement nulle, et même un peu trop mise de côté par sa fille; Conroy n'ose pas paraître devant la Reine. La Reine! La Reine! Elle est étonnante, trop étonnante! A dix-huit ans, avec tant de volonté. Qu'est-ce que ce sera à quarante?
«Les Clanricarde sont brouillés avec le Ministère: elle est heureuse de pouvoir être tory bien à son aise.
«La diplomatie est pitoyable à Londres, depuis que nous n'y sommes plus, vous et moi. Ah! mon Dieu, qu'ils ont l'air «shabby» [84]! Ils n'ont l'air de rien: ils n'ont ni considération, ni position, ne savent pas une nouvelle, les demandent à tout le monde, viennent vous raconter à l'oreille une affaire de Cour, quinze jours après qu'elle est oubliée. J'en ai rougi pour feu mon métier.
Esterhazy a pris par Bruxelles. Cela fait effet à Londres; c'est un premier hommage à la Royauté belge, mais, aussi, la politique de la Reine Victoria vient de là.»
Valençay, 20 août 1837.—On mande, de Paris, que M. le duc d'Orléans a du rhume, qu'il maigrit; on craint 177 pour sa poitrine, et on prétend qu'il fait trop d'exercice. On craint la fatigue du camp de Compiègne. Sa femme est, à la lettre, adorée par la famille Royale et par tout ce qui rapproche.
J'ai une charmante lettre de la duchesse de Gloucester; il paraît que, pour ces vieilles Princesses, la mort du dernier Roi est fort triste.
Valençay, 25 août 1837.—Le Roi et la Reine des Belges seront à Londres le 26 de ce mois, c'est-à-dire demain. On croit que lui régnera auprès de sa nièce, mais qu'il ne rétablira pas les relations de la duchesse de Kent avec la Reine, et qu'il ne l'épargnera même pas, trouvant assez sa convenance de cette désunion.
La princesse de Lieven est fort en colère contre son mari, qui ne veut pas accepter le rendez-vous qu'elle lui avait donné au Havre. Elle fait des pieds et des mains à Pétersbourg pour qu'on remette l'esprit de son mari, auquel, d'après ses propres expressions, «il en reste fort peu». Elle répète qu'elle ne peut quitter Paris sans risquer sa vie. Je lui crois une très médiocre envie de revoir le pauvre Prince. Elle me dit que M. Guizot est à Paris, qu'il la vient voir chaque jour, et qu'il fait déserter M. Molé dès qu'il entre. M. Molé est prié au camp de Compiègne du 1er au 4 septembre, M. Guizot du 5 au 8. Toute la France y sera conviée à tour de rôle.
Valençay, 29 août 1837.—J'ai eu hier une journée pénible: Mme de Sainte-Aldegonde nous est arrivée, amenant 178 ses filles et M. Cuvillier-Fleury, précepteur de M. le duc d'Aumale et écrivain au Journal des Débats. Il a fallu faire des frais, tout montrer; aussi j'ai été ravie quand, à neuf heures du soir, ils sont repartis pour Beauregard. M. Fleury a quitté momentanément son élève, pour venir faire un voyage de six semaines. Il envoie au Journal des Débats des articles sur les châteaux qu'il visite. Je ne connais rien de si désagréable que ce genre-là. Il lui a été fort indiqué, ici, qu'on n'aimerait pas à se voir imprimé.
Mme de Sainte-Aldegonde dit Mme la duchesse d'Orléans positivement grosse; elle dit aussi que la princesse Marie doit épouser le duc Alexandre de Würtemberg au mois d'octobre prochain, et aura son établissement en France.
M. Mignet, qui est ici depuis deux jours, ne dit aucune nouvelle. Il se borne à de longues dissertations historiques, quelquefois intéressantes, le plus souvent assez pédantes.
Mme de Jaucourt mande que le baron Louis, frappé d'apoplexie, se meurt. Le chagrin de l'affaire de son neveu de Rigny est pour beaucoup dans cette mort [85].
Valençay, 2 septembre 1837.—J'ai reçu une lettre du duc de Noailles, qui me donne quelques petites nouvelles. Je n'ai jamais vu quelqu'un de grave savoir moins tenir chez lui. A Paris, il fait des visites quotidiennes, matin et soir, qui prennent tout son temps; jamais il ne refuse une invitation à dîner. L'été, il court les châteaux, 179 les eaux, et profite sans cesse du voisinage de son château et de Paris, pour faire des courses en ville. Les natures stériles, quand d'ailleurs elles sont intelligentes, ont un bien plus grand besoin de changer de lieux que les autres. Du reste, cela fait, ainsi, qu'il sait toujours des nouvelles. A Paris, il les garde pour lui, et questionne plus qu'il ne dit; mais en écrivant, il dit tout ce qu'il sait, ce qui fait que ses lettres sont toujours agréables.
J'ai eu aussi une lettre de M. Thiers, de Cauterets; il y court la chasse aux isards avec les Basques, dont il raffole, quoique les Pyrénées lui paraissent mesquines en venant du lac de Côme. Il est plus satisfait de la santé de sa femme et s'annonce ici pour la fin du mois, mais avec armes et bagages, ne pouvant quitter ces dames, qu'il escorte. Cela me plaît médiocrement, mais comment refuser?
Il paraît que vraiment l'expédition de Constantine va avoir lieu, et que le Prince Royal la dirigera. Cette campagne, pour le Prince Royal, me semble bien étourdie.
Je viens de lire de prétendus Mémoires du chevalier d'Éon qui sont ennuyeux, invraisemblables, absurdes. La supposition, surtout, qu'il aurait été en galanterie avec la vieille reine d'Angleterre, la femme la plus laide, la plus prude et la plus sévère de son temps, est de trop grossière invention!
Valençay, 6 septembre 1837.—Les journaux disent maintenant que c'est M. le duc de Nemours, et non pas le Prince Royal, qui commandera l'expédition de Constantine. 180 Je trouve que c'est un bien meilleur arrangement.
La princesse de Lieven m'écrit ceci: «Il est question d'un double mariage: la princesse Marie avec le duc Alexandre de Würtemberg, et la princesse Clémentine avec le fils aîné du duc régnant de Saxe-Cobourg-Gotha. Mais ici se présente l'embarras. Les enfants à venir doivent être luthériens, ce que ne veut pas la Reine, et au premier mariage, il y aurait peut-être l'embarras que le Roi de Würtemberg ne consentirait pas. On dit que les négociations ne sont ni avancées, ni rompues.—J'ai eu une lettre de mon frère, qui me prouve qu'Orloff a tenu parole. Il dit qu'il n'y a que Paris qui me convienne, et personne ne proteste contre. Maintenant, donc, je n'ai plus à faire qu'à mon mari, et comment puis-je penser qu'il ait des objections, la Cour n'en ayant pas? Tout cela doit se débrouiller, mais pas avant un mois ou six semaines, car il faut à mon mari des avis de l'Empereur, et toute cette tracasserie fait le tour de l'Europe. De Paris à Odessa, et d'Odessa à Ischel, et d'Ischel à Paris. Imaginez!» Voilà ce que dit ce grand et vieux enfant gâté.
Valençay, 8 septembre 1837.—Les nouvelles que Mme de Sainte-Aldegonde nous avait données étaient prématurées. Madame Adélaïde écrit à M. de Talleyrand que Mme la duchesse d'Orléans n'est pas grosse; que le Roi ne viendra pas à Amboise cette année et que le mariage de la princesse Marie avec le duc Alexandre de Würtemberg est à espérer, mais non pas absolument arrêté, quoiqu'en bon train.
181 Valençay, 9 septembre 1837.—J'arrive d'une course que j'ai faite à Châteauvieux et à Saint-Aignan, et qui a employé toute la journée d'hier et celle d'aujourd'hui. J'étais merveilleusement bien et in spirits chez M. Royer-Collard, aujourd'hui je suis brisée, morte, abîmée. Tout cela n'a pas le sens commun! Je ne sais plus ce qui me fait du bien, ni ce qui me fait du mal; je souffre de ce que je crois salutaire, je triomphe de ce qui devrait m'abattre; je suis un petit animal fort étrange, le médecin me répète chaque jour que c'est un état nerveux, fantasque, capricieux; ce qui est sûr, c'est que j'ai des entrains, des gaietés, des tristesses par accès; que je me gouverne fort mal, ou plutôt que mes nerfs me gouvernent, que je suis prodigieusement ennuyée de moi-même, et pas mal des autres.
Valençay, 11 septembre 1837.—Que dire du mandement de l'Archevêque de Paris, et de l'article qui le suit dans le Journal des Débats! La profanation de Sainte-Geneviève est évidente, et le scandale du fronton affligeant pour tous les honnêtes gens [86]. Il était difficile, il aurait été, à mon sens, blâmable, que devant une telle énormité, la voix plaintive du premier pasteur ne fît pas entendre un cri de douleur, mais ce cri est poussé avec violence, amertume, et sans aucun de ces ménagements évangéliques 182 qu'il est toujours bon et habile d'observer. On retrouvera, en toute occasion, dans M. de Quélen un excellent prêtre, courageux et dévoué à ses convictions, mais la gaucherie ne le quittera jamais, et gâtera éternellement son rôle, sa parole et son action. J'en ai du chagrin, pour lui auquel je m'intéresse, et pour la religion, qui est encore plus offensée par ces tristesses et par ces scandales gouvernementaux! La légèreté avec laquelle on a laissé faire ce fronton, l'hésitation évidente du Ministère pour savoir si ce fronton serait découvert ou non, la faiblesse qui l'expose aux yeux du public, et le petit ton dégagé dont les journaux en parlent, sont autant de démentis donnés à ce système d'ordre et de résistance qu'on a la prétention de faire sien. Après le pillage de l'Archevêché, la destruction des croix et le reniement des fleurs de lys, rien ne me paraît plus bourbeusement révolutionnaire que ce hideux fronton. Cela fait fuir les honnêtes gens bien plus que l'usurpation.
Valençay, 12 septembre 1837.—On a grand tort, dans le parti carliste, d'accuser le duc de Noailles de vouloir se rallier au gouvernement actuel. Il en est très éloigné. Je lui en ai vu la tentation pendant trois ou quatre mois, pendant le voyage des deux Princes en Allemagne, et lorsqu'on pouvait croire à un mariage avec l'archiduchesse Thérèse. Depuis le coup de pistolet d'Alibaud et le refus de l'Autriche, il n'y a plus songé, et je le crois plus déterminé que jamais dans sa ligne actuelle, quoique la justesse de son esprit et la mesure de son langage l'empêchent 183 toujours d'être parmi les aboyeurs de son parti.
Voici un extrait d'une lettre de Mme de Lieven: «Mon mari m'écrit, me propose la rive droite du Rhin, et affirme qu'il ne lui est pas possible de le passer. Nous verrons cela! J'espère, et je crois, qu'il changera de résolution. M. Molé et M. Guizot se rencontrent chez moi. Ils commencent à se parler! Le consentement du roi de Würtemberg au mariage de son cousin est arrivé. M. Guizot est revenu de Compiègne, enchanté de l'esprit et de l'instruction de la duchesse d'Orléans. Mme de Flahaut est tenue très éloignée de la Princesse. Elle en a de l'humeur. Elle a eu ses quatre jours de Château comme les autres invités, puis elle est retournée à son appartement, dans la ville de Compiègne. Lady Jersey écrit qu'elle viendra passer l'hiver à Paris pour y voir le prince de Talleyrand. Mon mari a vu les Majestés Hanovriennes à Carlsbad. Il a trouvé un redoublement de grand air.»
Valençay, 18 septembre 1837.—J'ai reçu, hier, une lettre fort gracieuse de M. Molé. Il me dit qu'il est obligé d'ajourner le mouvement diplomatique. Il veut faire des Pairs, mais il est assez gêné par les stupides catégories. Il parle avec aigreur des soins extrêmes de M. Guizot pour Mme de Lieven, acceptés avec empressement par celle-ci.
Alava, qui est ici depuis hier, nous a dit que la fille, bossue, du duc de Frias, épousait le prince d'Anglona. Mlle Auguste de Rigny est décidément l'unique héritière du baron Louis, qui laisse soixante-dix mille livres de rente. Elle a, à elle, dix-huit mille livres de rente. Le testament 184 est si simple et si péremptoire qu'il est inattaquable [87].
Valençay, 19 septembre 1837.—M. de Salvandy, que M. de Talleyrand avait invité à venir ici, nous est apparu hier, à l'heure du dîner. Il repart ce soir, ayant placé cette course, élégamment, entre deux Conseils. Je me suis épuisée en gracieusetés, et en conversation, qui n'est pas très aisée, avec quelqu'un de spirituel, sans aucun doute, mais dont l'emphase est extrême et le besoin de faire de l'effet continuel. Il est, du reste, d'une obligeance très grande pour moi. Il m'a dit que le duc Alexandre de Würtemberg n'avait que cinquante mille livres de rente. Le roi de Würtemberg a mis beaucoup de politesse et d'empressement dans toute cette affaire, qui est bien médiocre pour notre jeune Princesse; ce n'est absolument qu'un mari. Il n'est pas vrai qu'elle restera en France. Elle habitera, l'été, un château de son mari, à quinze lieues de Cobourg, et, l'hiver, un petit palais à Gotha; quand ils viendront à Paris, en visite, on les logera à l'Élysée. Ils vont en Allemagne aussitôt après le mariage, qui se fera dans la première quinzaine d'octobre.
Les élections en France auront lieu le 15 novembre, et la Chambre se réunira le 5 décembre.
M. de Salvandy m'a beaucoup parlé, aussi, de la duchesse d'Orléans, qu'il croit, et je pense avec raison, être éminemment une personne habile, et qui, pour gouverner 185 un jour trente-deux millions d'âmes, s'applique, chaque jour, à les gagner une à une.
Valençay, 20 septembre 1837.—M. de Salvandy nous a quittés hier, après dîner. Dans la matinée, il m'a cité, tout en causant, une preuve du crédit naissant de Mme la duchesse d'Orléans sur son mari. Celui-ci, avant son mariage, faisait si peu de cas de la messe, qu'au mois de mai dernier, c'est-à-dire quelques semaines avant de se marier, étant aux courses de Chantilly le jour de la Pentecôte, il n'avait pas même songé à y aller. Dernièrement, à Saint-Quentin, il y a été in fiocchi, faisant dire à la Garde nationale qu'on était libre de l'y suivre ou non. Elle s'y est rendue en totalité. Saint-Quentin, cependant, comme toutes les villes manufacturières, est très peu dévote.
Le Pape est très vivement blessé de l'affaire du fronton de Sainte-Geneviève. Il a fait faire des représentations sévères par Mgr Garibaldi. Le Roi, qui avait beaucoup de répugnance à ce scandale, a été très embarrassé, vis-à-vis de Rome, d'avoir cédé à M. de Montalivet, qui, malheureusement, a pour entourage le vilain monde des mauvais journaux, avec lequel il compte trop. M. Molé, qui était contre le fronton, a cédé aussi! M. de Salvandy fulmine, lui aussi, mais je m'imagine que, quand il a fait une phrase redondante, il croit s'être acquitté.
Valençay, 22 septembre 1837.—M. de Salvandy a écrit du Conseil même, en arrivant à Paris, à M. de Talleyrand, 186 qu'il avait trouvé tout le monde ému des nouvelles d'Espagne. On s'attend à apprendre l'entrée de don Carlos à Madrid. Je ne sais si cela ne troublera pas un peu la dissolution de la Chambre et les élections.
Valençay, 28 septembre 1837.—Madame Adélaïde mande que le mariage de sa nièce avec le duc Alexandre de Würtemberg aura lieu à Trianon, le 12 octobre. Mme de Castellane m'écrit que rien n'égale les coquetteries Lieven-Guizot; il lui fait lire Dante, le Tasse, et ne bouge de chez elle. Depuis qu'il est à la campagne, il lui écrit des lettres de dix pages. En son absence, la Princesse est allée chez lui, s'est fait ouvrir les portes, a examiné avec soin tout son appartement, sur lequel elle fait des morceaux sensibles et assez étranges. Il a paru, sur tout cela, un article dans le journal le Temps, dont elle a été furieuse, et à propos duquel elle a fait une scène très vive à M. Molé, parce qu'on dit que le Temps est assez sous l'influence ministérielle. Il en est résulté un peu de froid entre le premier Ministre et elle. Tout cela est fort ridicule, et je suis charmée de ne pas être à Paris, au milieu de tout ce commérage.
Je suis d'ailleurs ravie de vivre retirée; on se gaspille trop dans la vie du monde. Au lieu d'amasser de bonnes provisions pour le grand voyage, on les éparpille, et quand il faut se mettre en route, on se trouve au dépourvu. Terrible dépourvu! Honteuse nudité! J'entre quelquefois dans de grandes terreurs de mon misérable état.
J'ai appris, hier, une mort qui m'a fait de la peine, 187 celle de cette jeune princesse d'Arsoli, fille de feu Mme de Carignan, que le choléra a enlevée, à Rome, dans la même semaine que sa belle-mère, la princesse Massimo. Je l'avais vue naître!...
Valençay, 29 septembre 1837.—Le baron de Montmorency, qui est arrivé hier ici, croit qu'il y a quelque anicroche au mariage würtembergeois. Il paraît que le Roi de Würtemberg a, tout à coup, refusé de consentir, si on ne stipulait pas que tous les enfants seraient protestants, tandis que notre Reine veut qu'ils soient tous catholiques. Si le duc Alexandre cède à la Reine, ce sera encore un mariage pour lequel il faudra se passer du chef de la famille, ce qui a toujours très mauvaise grâce; si la France cède au Roi de Würtemberg, il faudra que la Princesse aille se marier sur la frontière, comme Mlle de Broglie, car le clergé catholique français ne permet les mariages mixtes qu'à la condition que tous les enfants seront catholiques. Il est vraiment inconcevable qu'une question aussi importante n'ait pas été décidée avant la publication du mariage; cela va encore prêter à mille fâcheuses interprétations, et prouver à quel point tout est difficile à notre Cour.
On dit que M. de Hügel, le chargé d'affaires d'Autriche à Paris, devient fou.
Valençay, 1er octobre 1837.—Nous avons eu, hier, notre représentation dramatique, pour laquelle on répétait depuis quinze jours; j'ai joué tout à travers la migraine. 188 On a bien voulu trouver que je dissimulais complètement mon mal sur la scène, mais une fois hors des planches, j'ai été obligée de me coucher tout de suite. Notre spectacle a parfaitement réussi, et quant à Pauline, elle a joué si admirablement dans deux rôles tout différents, que je me demande si je dois lui laisser continuer cet amusement. Notre scène des Femmes savantes était très bien, et M. de la Besnardière, qui est un ancien habitué de la Comédie-Française, prétend que jamais il ne l'a vue si bien jouée; je crois, en effet, qu'elle a été dite avec un nerf, un ensemble et une justesse remarquables. M. de Talleyrand était ravi. On a soupé et dansé après le spectacle, mais je n'y étais plus.
Valençay, 2 octobre 1837.—Tout le voisinage que nous avions ici s'est envolé hier après la messe, mais dans la journée nous est arrivé un certain M. Hamilton, Américain, fils du colonel Hamilton, célèbre dans la guerre de l'Indépendance des États-Unis, dont M. de Talleyrand parle souvent, et avec lequel il avait été très lié en Amérique. Le fils n'a pas voulu quitter le vieux monde, où il vient de faire un voyage d'agrément, sans avoir vu l'ami de son père. Il avait amené son propre fils, jeune homme de vingt et un ans; ni l'un ni l'autre ne parlait français, je me suis épuisée en conversation anglaise; ils repartent ce matin. Ce M. Hamilton appartient, dans son pays, au parti de la résistance; il est homme de bon sens, mais avec ce fond américain qui, chez les meilleurs, est encore assez déplaisant.
189 Valençay, 7 octobre 1837.—On mande de Paris que, décidément, les difficultés sont aplanies avec le Würtemberg. Le mariage se fait le 14, et tout se passe à la satisfaction générale. Notre Princesse est invitée à Stuttgart. On dit que M. le duc d'Orléans est le seul de la famille peu satisfait de cette union, et qu'il a traité son futur beau-frère plus que légèrement à Compiègne.
Valençay, 9 octobre 1837.—Le duc Decazes nous est arrivé inopinément, hier, à dîner. Il venait de Libourne, tout plein de son charivari bordelais, qu'il me paraît résolu à revaloir au Préfet, M. de Pressac. Il est reparti, après le dîner, pour Paris, où l'appelle le mariage de la princesse Marie. Il avait laissé M. Thiers et tout son monde à Tours; nous les attendons aujourd'hui.
Valençay, 10 octobre 1837.—M. et Mme Thiers, Mme Dosne et sa jeune fille, nous sont arrivés, hier, une heure avant le dîner; ayant pris par la traverse de Montrichard, ils étaient tous brisés et moulus. Mme Thiers ne porte pas sur son visage le moindre signe de souffrance; elle est, peut-être, un peu maigre, mais voilà tout; je crois qu'il y a bien des nerfs dans son état, et que, si elle était de bonne humeur, le mal disparaîtrait vite. Du reste, pour elle, telle qu'elle est, je la trouve assez gracieuse, mais elle a, ainsi que sa mère, un son de voix vulgaire, et des expressions triviales auxquelles je ne puis m'accoutumer. La soirée a été lourde et pesante, malgré tous les enthousiasmes de M. Thiers sur l'Italie. Il m'a paru très 190 frappé de la beauté de Valençay, et je les crois tous fort aises d'y être. Heureusement, le temps est beau; je n'ai jamais tant invoqué le soleil!
Valençay, 11 octobre 1837.—Mme Thiers s'étant trouvée très fatiguée, hier, est remontée après le déjeuner, et n'a reparu que pour le dîner. Elle n'a pas voulu se promener; sa mère lui a tenu compagnie. Nous avons promené le mari; il est de très belle humeur, point aigre, point hostile, voulant aller d'ici à Lille sans passer par Paris, où il ne veut arriver que juste pour les Chambres; mais aussi, il est très moqueur sur les propositions itératives qui lui ont été faites des plus grandes ambassades.
Valençay, 12 octobre 1837.—M. de Talleyrand a mené, hier, M. Thiers chez M. Royer-Collard; ils sont revenus tous deux fort satisfaits de leur course, ce qui me fait penser qu'ils ont laissé leur hôte également content. Je n'ai pas grande peine avec les dames; la jeune femme paraît aux repas, reste étendue dans un fauteuil au salon pendant une demi-heure après le déjeuner, pendant une heure après le dîner, puis elle remonte chez elle, ne veut pas se promener, et désire qu'on la laisse seule. La mère est beaucoup avec elle, le mari est des plus empressés; c'est la jeune femme qui les gouverne tous, mais elle gouverne en enfant gâté et à coups de caprices, et je crois que le pauvre mari trouve le mariage assez épineux.
Valençay, 13 octobre 1837.—Voilà donc la duchesse 191 de Saint-Leu morte! Que va devenir son fils? Le laissera-t-on sur nos frontières?
Mme Murat est toujours à Paris; on s'étonne que la mort du général Macdonald [88], à Florence, qu'on croyait son mari, et qui, dans tous les cas, lui était extrêmement dévoué, l'ait assez peu émue pour lui permettre d'aller au spectacle, et ne pas montrer les regrets qu'on doit lui supposer.
Ici, il n'est question que des élections qui approchent: elles paraissent être encore très incertaines, et défier tous les calculs. J'ai toujours vu qu'il en était ainsi à toutes les dissolutions de la Chambre. Les instructions ministérielles sont fort capricieuses: en général, proscription des doctrinaires et des gens du mouvement, mais avec tant et tant d'exceptions pour les uns et pour les autres, que nous avons d'étranges rapprochements. M. Thiers est fort calme, de belle et douce humeur politique; il parle beaucoup de ses quarante ans, et des glaces de l'âge; cependant, je ne m'y fierais pas, et si on le provoquait, il pourrait bien croiser le fer très vertement. Il est tout à fait revenu, non pas pour le passé, mais pour le présent, de ses idées d'intervention en Espagne. Je ne l'ai jamais vu si sage et si modéré, ce qui n'arrive qu'à ceux qui ont des goûts assez vifs, et assez de satisfaction d'amour-propre pour ne pas être pressés du pouvoir. Sa femme se déride un peu; elle a valsé hier soir de fort bonne humeur.
192 Valençay, 15 octobre 1837.—Toute la famille Thiers est partie hier. Quoique la mère ait été fort en frais, la jeune femme gracieuse à sa façon, et le mari, comme toujours, animé, spirituel et bon enfant, je ne suis pas fâchée de ce départ.
Valençay, 22 octobre 1837.—Nous allons avoir une seconde représentation dramatique; j'ai répété mon rôle, hier, avec M. de Valençay, pendant que tout le reste de la société était à la promenade.
J'ai reçu une lettre très soignée de Mme Dosne. En voici un passage intéressant: «Depuis notre arrivée, la maison a été prise d'assaut par des amis, des curieux, des gens intéressés à connaître les dispositions de M. Thiers. Il a vu M. Molé et M. de Montalivet, qui se disputent son amitié, puis il a été reçu, avec effusion, par la famille Royale; vous savez mieux que personne, Madame, à qui il le doit. Enfin, son passage à Paris a été très favorable et très politique. Il veut rester le défenseur du Ministère, tant que celui-ci vivra, et l'aider de son mieux, mais on lui doit réciprocité pour les élections. Demain, nous partons pour Lille où nous resterons autant que ma fille le voudra.»
Valençay, 26 octobre 1837.—Mme de Lieven m'écrit que son mari lui a envoyé son fils Alexandre pour l'emmener, morte ou vive, qu'elle s'y est refusée, que son fils est reparti, muni, du reste, de tous les certificats possibles, des médecins et de l'ambassade, pour constater 193 son impossibilité de mouvoir. Elle se loue fort du comte Pahlen et de mon cousin Paul Medem. Il paraît que l'Autocrate a dit à M. de Lieven qu'il broierait la Princesse si elle s'obstinait à rester en France. Je lui crois quelque argent à elle, hors d'atteinte, qui l'aide à la résistance, mais quelle situation! Cela va devenir tout à l'heure un vrai drame.
J'ai reçu une longue lettre de M. le duc d'Orléans, dans laquelle il me dit que sa sœur, la duchesse de Würtemberg, n'a pas été tout droit à Stuttgart, en quittant Paris, qu'elle commence par Cobourg et ne doit aller en Würtemberg que plus tard. M. le duc d'Orléans me parle à merveille de sa femme, et il me paraît qu'il la considère comme une amie parfaite, ce qui est, ce me semble, le meilleur titre pour une femme, auprès de son mari, et celui qui lui assure l'avenir le plus désirable.
Valençay, 2 novembre 1837.—Je partirai tout à l'heure, pour aller dîner et coucher à Beauregard; je traverserai Tours demain, et serai chez moi, à Rochecotte, pour l'heure du dîner.
J'ai reçu une lettre aimable de M. Guizot, qui me dit que la Chambre nouvelle ressemblera à la précédente, et que, s'il y a différence, elle sera au profit de sa couleur, à lui.
M. Thiers me mande, de Lille, que le cri général des élections est: «A bas les doctrinaires!» et qu'on le sollicite, de cinq départements différents, d'accepter la députation, mais qu'il veut rester fidèle à Aix. Enfin, M. Royer-Collard 194 m'écrit, de Paris, que M. Molé a été joué dans les élections; qu'il ne s'ensuit pas, cependant, que les élections appartiendront aux doctrinaires, mais que ce ne sera pas l'appui ministériel qui manquera à ceux-ci. De ces trois versions, quelle est la plus croyable? Je tiens, moi, pour l'exactitude de la dernière.
Rochecotte, 4 novembre 1837.—Me voici, depuis hier, dans mes propres foyers. J'ai trouvé, le matin, en traversant Tours, le pauvre Préfet aux prises avec la fièvre électorale.
Rien n'est comparable à la confusion des instructions, sans cesse modifiées ou contredites par les intrigues de Paris, selon qu'elles y subissent l'influence Guizot ou Thiers. Aussi le résultat sera-t-il loin de répondre, je crois, au but qu'on s'était proposé en dissolvant la Chambre. Heureusement que le pays est fort calme, que la mesure de la dissolution n'a pas été prise en raison des nécessités du pays, mais uniquement dans des calculs d'intérêts personnels, et que là le mécompte est indifférent. Il est fâcheux, cependant, de remuer inutilement les mille et une petites passions locales, qui, sans s'élever aux dangers et à la violence des passions politiques, nuisent à l'esprit public, en fractionnant de plus en plus le pays.
Rochecotte, 5 novembre 1837.—Les comédies jouées à Valençay ont apporté du mouvement dans ce grand château, qui en a prodigieusement manqué pendant les mois de juin, juillet et août. J'avoue, à ma honte, que, 195 pour la première fois de ma vie, dès que j'ai été reposée des fatigues de Fontainebleau et de Versailles, je me suis fort ennuyée! Les maladies qui nous ont tous visités, les uns après les autres, ont fait succéder la tristesse à l'ennui, aussi n'étais-je pas fâchée de quelques petites secousses et diversions.
Rochecotte, 11 novembre 1837.—Il est arrivé, hier, une lettre de Madame Adélaïde, qui se montre assez contente des élections, et qui le serait encore plus sans l'infâme alliance des légitimistes et des républicains, qui, dans plusieurs lieux, a fait triompher ces derniers: je me sers de ses propres termes. Elle dit aussi que la Princesse Marie est ravie de son mari, de son voyage, de l'Allemagne et de l'accueil qu'elle y reçoit jusqu'à présent.
Rochecotte, 24 novembre 1837.—Je plains la grande-duchesse Stéphanie des torts ou des malheurs de sa fille, la princesse Wasa [89]. Je n'ai jamais eu de goût pour celle-ci, et j'ai été frappée de son mauvais maintien, quand je l'ai vue à Paris, avec sa mère, en 1827; du reste, son mari, que je connais aussi, est fort médiocre, et nullement fait pour diriger une jeune femme.
La duchesse de Massa célèbre, dans ses lettres, les bonnes réceptions et le bel air de la Cour de Cobourg, et 196 le bonheur de la princesse Marie. On me dit aussi que M. le duc d'Orléans parle beaucoup de son bonheur intérieur dans lequel il vit entièrement. Il doit donner une fête, pour le retour de son frère, le duc de Nemours, le vainqueur de Constantine.
Je suis de plus en plus ravie de la Vie de Bossuet, par le cardinal de Bausset. Quelle bonne fortune que d'avoir conservé cette lecture pour un temps ou le goût de lire m'avait passé et où il se ranime par cet excellent ouvrage. Je fais venir la belle gravure de Bossuet: je veux l'avoir. Je trouve ridicule qu'il n'ait pas sa place ici avec mes autres amis du grand siècle, Mme de Sévigné, Mme de Maintenon, le cardinal de Retz et Arnauld d'Andilly. Quoique j'admire tous et chacun de cette grande époque, j'ai mes préférences. Il me faudrait un portrait de la Palatine pour compléter ma collection.
Rochecotte, 30 novembre 1837.—Ma sœur, la duchesse de Sagan, annonce sa très prochaine arrivée ici. Je ne sais si, cette fois, elle réalisera ce projet. Ce n'est pas qu'au fond j'eusse beaucoup de regrets à le voir manquer, car je ne suis pas tout à fait à mon aise avec elle; j'ai été habituée à la craindre dans mon enfance, et il m'en reste encore quelque intimidation. Mais, enfin, les choses annoncées, arrangées, c'est vraiment mieux qu'elle vienne.
Rochecotte, 2 décembre 1837.—J'ai lu, hier, dans le Journal des Débats, le grand factum du gouvernement 197 prussien contre l'Archevêque de Cologne [90]. Il faudrait, maintenant, connaître la défense de celui-ci, pour se permettre un jugement. Ce qui reste certain, c'est qu'une mesure aussi rigoureuse que celle d'enlever un Archevêque de son siège et de l'enfermer, est bien fâcheuse de la part d'un souverain protestant, vis-à-vis d'un prélat catholique, dans un pays catholique: cela sent trop la persécution, même si, au fond, ce n'est que justice. Je suis très curieuse de connaître la fin de cette affaire, dont la portée me semble devoir être grave.
M. de Montrond mande à M. de Talleyrand que toute la maison Thiers professe, depuis son séjour à Valençay, un tel redoublement d'attachement pour nous, qu'on nous tiendra pour responsables et solidaires des faits et gestes de M. Thiers pendant la prochaine session. J'ai bien fait valoir cet argument auprès de M. de Talleyrand, afin de rester ici le plus longtemps possible; avec quel succès? Je l'ignore!
On trouve matin et soir M. Guizot chez Mme de Lieven, et on s'en amuse!
Les lettres de Madame Adélaïde deviennent pressantes pour notre rentrée en ville, précisément par le motif qui me fait désirer n'y pas rentrer.
198 Rochecotte, 4 décembre 1837.—M. de Sainte-Aulaire m'a mandé que la grande-duchesse Stéphanie avait rajusté l'intérieur de sa fille Wasa: je crains que ce ne soit que partie remise.
Rochecotte, 6 décembre 1837.—J'ai accompli, hier, une entreprise que je voulais exécuter depuis longtemps. J'ai été, avec mon fils Valençay, voir le comte d'Héliaud et Mme de Champchevrier. Nous sommes partis par une belle gelée, nous avons déjeuné chez M. d'Héliaud, et, en revenant, nous avons passé une heure à Champchevrier, chez les meilleures gens du monde, dans un grand vieux château à larges fossés et à grandes avenues, dans un pays de bois et de chasse. De vieilles tapisseries, des bois de cerfs et des cors de chasse suspendus aux murailles composent le principal ornement de ce noble, mais peu élégant manoir. Il est habité par une famille simple, honorable, estimée, qui y vit avec abondance, mais sans aucune recherche, chassant et défrichant toute l'année. A de certaines époques, quarante ou cinquante familles du pays s'y réunissent et s'y amusent. Tout cet établissement mériterait le pinceau de Walter Scott, surtout une vieille grand'mère de quatre-vingt-deux ans, droite, vive, grande, imposante, polie, et dans un costume suranné qui y fait merveille. Nous y avons été très bien reçus. Au retour, j'étais gelée, mais fort aise d'avoir payé mes dettes et rempli ce devoir de bon voisinage.
Le duc de Noailles m'écrit qu'il a rencontré M. Thiers un matin chez Mme de Lieven et qu'il y a parlé 199 comme un petit saint et comme un grand philosophe.
Rochecotte, 10 décembre 1837.—Ma sœur et mon fils Alexandre sont enfin arrivés, hier, d'un voyage long et pénible. Ma sœur est fort engraissée, son visage a vieilli; elle n'en reste pas moins étonnamment conservée pour cinquante-sept ans. Elle parle beaucoup et haut: la Viennoise domine!
Rochecotte, 11 décembre 1837.—J'ai beaucoup promené ma sœur hier; elle trouve ce lieu-ci joli, et ainsi que d'autres personnes me l'avaient déjà dit, elle assure que rien ne lui rappelle autant la bella Italia. A peine étions-nous rentrées de notre grande course, que je l'ai recommencée pour M. de Salvandy, qui nous est tombé ici, fort à l'improviste. Il y a dîné, et après un bout de soirée il a continué sa route vers Nogent-le-Rotrou, où il se rendait à un banquet électoral. Il nous a appris l'arrivée de M. le duc de Nemours au Havre, mais avec le bras cassé, ce qui lui est arrivé à bord d'un mauvais bateau à vapeur. Il a voulu passer par Gibraltar pour éviter un grand bal que la ville de Marseille lui destinait et pour lequel elle s'était mise en grands frais. Le Roi est très mécontent de cette équipée.
Rochecotte, 19 décembre 1837.—Quand, au printemps dernier, j'ai consulté Lisfranc et Cruveilhier, ils m'ont dit, tous deux, que j'étais menacée d'un état inflammatoire. Tout mon régime, depuis ce temps-là, a été 200 calculé pour l'éviter, et j'y étais parvenue; mais, depuis l'arrivée de ma sœur ici, je me suis senti une grande agitation nerveuse qui a toujours été en augmentant, si bien qu'hier l'inflammation s'est prononcée, avec une fièvre très violente. Je suis très abattue, et je crois bien que me voilà pour plusieurs jours dans mon lit ou sur mon canapé.
Rochecotte, 20 décembre 1837.—Le docteur dit que je suis mieux aujourd'hui. Je ne me souviens pas d'avoir jamais été dans un état aussi pénible qu'avant-hier. Je ne quitte toujours pas ma chambre. Je me sens very poorly [91]; mais le docteur répète qu'il n'y a plus aucun danger, et qu'avec quelques jours de soins, ce sera une affaire finie.
Rochecotte, 25 décembre 1837.—La douleur au côté droit s'adoucit et ma faiblesse est moindre. Quand je serai plus en force, je dirai ce qui s'est passé en moi durant les jours si graves que je viens de traverser. La vie intérieure s'éclaircit d'autant plus que l'œil extérieur se voile et se trouble [92].
Rochecotte, 26 décembre 1837.—Je suis mieux. J'en suis fort reconnaissante envers la Providence, qui m'a tirée 201 d'un très mauvais pas, mais je resterai longtemps sous le coup de ce choc. J'ai été très touchée d'apprendre qu'hier, au prône, on m'avait recommandée aux prières des fidèles; tous mes voisins et tout le pays ont été parfaits pour moi; mes domestiques m'ont veillée et servie avec un zèle infini; les deux médecins, MM. Cogny et Orie, ont été très attentifs.
Rochecotte, 28 décembre 1837.—Le temps est magnifique, et à midi on me roulera un moment sur la terrasse.
On ne me mande rien de nouveau de Paris, et je suis dans une grande ignorance des choses d'ici-bas. Il m'a semblé, pendant les deux jours que j'étais le plus malade, que j'entrevoyais quelque chose de celles d'en haut, et qu'il n'était pas si difficile qu'on le croyait de remonter vers son Créateur; que, même, il y avait une certaine douceur à penser qu'on allait enfin se reposer de toutes les agitations de la vie. La Providence sait adoucir toutes les épreuves qu'elle nous envoie, en nous donnant la force de les supporter, et on ne saurait trop pénétrer son âme pour toutes ses grâces.
Rochecotte, 31 décembre 1837.—Ce dernier jour d'une année qui, à tout prendre, ne m'a pas été bien agréable, fait jeter sur la vie un long regard rétrospectif, qui n'apporte rien de bien doux avec lui. Cependant, il serait mal de me plaindre; si les mauvaises conditions ne manquent pas pour moi, il y en a de bonnes, aussi, qu'il 202 y aurait ingratitude à ne pas reconnaître, et on peut se trouver abattue et sérieuse, sans avoir le droit, pour cela, de se sentir ou de se dire malheureuse. Que Dieu conserve, à ceux que j'aime et à moi-même, l'honneur, la santé, et cette paix de l'âme qui la maintient en équilibre, et je n'aurai que des grâces à rendre!
Rochecotte, 1er janvier 1838.—Malgré ma faiblesse, je suis restée jusqu'à minuit au salon pour embrasser M. de Talleyrand, mes enfants et ma sœur, au passage d'une année sur l'autre.
Je dois sortir en voiture aujourd'hui, puis dîner à table, enfin rentrer peu à peu dans la vie.
Rochecotte, 2 janvier 1838.—Toute la contrée a passé ici hier; j'avais encore du monde le soir; je ne suis pas plus mal ce matin, au contraire, et si ce temps merveilleux veut bien durer encore quelques jours, j'espère redevenir bientôt quite myself [93]. M. de Talleyrand, malheureusement, parle déjà de retourner à Paris.
Rochecotte, 5 janvier 1838.—Je n'ai pas trop bonne opinion politique de l'année dans laquelle nous sommes entrés. En tout, j'ai l'esprit noirci, l'âme triste, les nerfs malades, le cœur gros, et, pour parler comme les femmes de chambre, je me donnerais bien pour deux sols. Nous sommes plongés dans les brouillards depuis deux jours. 204 J'ai cependant été faire mes adieux dans mon voisinage immédiat.
Rochecotte, 6 janvier 1838.—M. de Talleyrand et Pauline viennent de partir pour Paris. Il ne reste plus dans la maison que ma sœur, mon fils Alexandre et moi. Je vais me livrer à mes comptes et à mes préparatifs de départ: nous partons tous trois après-demain. Malgré les tristes souvenirs de maladie qui ont assombri mes dernières semaines d'ici, je ne me sépare de ce bon petit lieu qu'avec regret.
Paris, 11 janvier 1838.—Je suis arrivée hier ici, à dix heures du soir, après une route que neuf degrés de froid et une neige continuelle ont rendue extrêmement pénible. Cependant, nous n'avons pas éprouvé d'accident, et le changement d'air, quelque rude qu'il ait été, m'a plutôt fortifiée et rendu un peu d'appétit.
J'ai dîné, hier, à Versailles, chez Mme de Balbi, que j'ai trouvée fort vieillie; ma sœur, pendant ce temps-là, mangeait un poulet chez Mme de Trogoff, qu'elle a beaucoup connue jadis.
Nous avons trouvé M. de Talleyrand en bonne santé, mais inquiet de notre route. Il m'a dit que le Ministère était dans le coup de feu de l'Adresse; ainsi, on n'en aperçoit aucun des membres pour le moment.
Paris, 12 janvier 1838.—J'ai été fort occupée, hier matin, des toilettes de ma sœur, des miennes et de celles 205 de Pauline; nous sommes, toutes trois, arrivées déguenillées. Puis j'ai été voir Mme de Laval, qui est fort changée. Le soir, j'ai conduit ma sœur entendre les Puritains, dans cette même loge du Théâtre-Italien que j'avais l'année dernière. Rubini a bien perdu un peu sa voix, et Mme Grisi s'est mise à crier!
Je crois bien qu'on est fort agité dans le monde politique mais je ne fais pas une question, je ne lis pas un journal et je conserve ma chère ignorance, par paresse et par habileté.
Paris, 13 janvier 1838.—Ma sœur voulait aller une fois à la Chambre des députés, spectacle tout nouveau pour elle. L'ambassadeur de Russie nous a donné ses billets, et nous avons passé, hier, notre matinée au Palais-Bourbon. M. Molé a dépassé mon attente, il a ravi ma sœur et m'a charmée. Rien de plus digne, de plus clair, de mieux pensé, de mieux dit que son discours. Aussi son succès a-t-il été complet. J'ai vu Mme de Lieven, à la Chambre. Ma sœur et elle ont évité de se regarder; elles se détestent sans se connaître; cela ne m'est pas commode [94]. M. Guizot est monté dans notre tribune, je l'ai trouvé fort changé.
Je suis tout ahurie d'une manière de vivre si différente de celle des derniers six mois!
206 Paris, 14 janvier 1838.—J'ai eu, hier, une très longue et très aimable visite du Prince Royal, que j'ai trouvé fort calme, et dans une disposition d'esprit très sage et très douce.
J'ai été, ensuite, chez la princesse de Lieven, qui m'a initiée à tous les détails de sa situation intérieure, ce qui a eu l'avantage d'exclure toute autre conversation et de me réduire au rôle d'auditeur. Elle se croit sûre de pouvoir rester ici ad vitam æternam, sans y être molestée. Je le désire pour elle.
J'ai été le soir aux Tuileries, faire ma cour à la Reine.
Paris, 15 janvier 1838.—Les grands incendies sont bien à la mode. Celui de la Bourse de Londres vient faire le pendant à celui du Palais d'Hiver à Saint-Pétersbourg, avec cette différence qu'en Russie cent personnes ont péri, tandis qu'en Angleterre, on n'a rien eu de semblable à déplorer. Paul Medem m'a dit que le Palais d'Hiver était trois fois grand comme le Louvre, que six mille personnes y demeuraient; que la pharmacie impériale était située au milieu du Château, et qu'une explosion, à la suite d'une expérience chimique qu'on y avait faite, avait causé l'incendie.
Je ne suis pas sortie hier. M. de Sainte-Aulaire est venu déjeuner avec ma sœur et moi. Plus tard, j'ai eu une visite de M. Royer-Collard, qui se porte bien mieux cette année. J'ai vu MM. Thiers et Guizot chez M. de Talleyrand. Nous avions un ennuyeux et grand dîner de famille, après lequel ma sœur et moi n'avons rien trouvé de mieux à 207 faire que de nous coucher à neuf heures et demie. Je ne suis pas en force. Une conversation avec le docteur Cruveilhier, trop semblable à celle que j'ai eue, à Tours, avec le docteur Bretonneau, a fort contribué à me rejeter dans une disposition sombre et découragée.
Paris, 16 janvier 1838.—Lorsque j'écrivais, hier, je ne savais encore rien de l'incendie qui avait dévoré, la nuit précédente, le Théâtre italien. Le sous-directeur et quatre pompiers ont péri. C'est une perte, c'est une catastrophe; puis c'est consternant pour les pauvres gens dont le seul plaisir était l'opéra italien, comme c'est mon cas. J'y suis tout particulièrement sensible.
Lady Clanricarde est venue, hier, déjeuner avec moi, et je l'ai revue avec un grand plaisir, c'est une très aimable personne. Nous avons repassé dear, ever dear England, et c'est un sujet inépuisable pour moi.
J'ai mené le soir Pauline chez M. le duc d'Orléans, à un bal qui était charmant et arrangé à merveille. Nous sommes parties, en sortant du souper, à deux heures du matin, ce qui était beaucoup pour moi. Du reste, à un fort mal de tête près, je n'ai pas trop à me plaindre de la manière dont j'ai traversé cette corvée; malheureusement, j'en ai d'autres, semblables, en perspective et leur multiplicité m'effraye. Rien ne m'a frappée à ce bal, si ce n'est l'air délicat de Mme la duchesse d'Orléans, qui, malheureusement, ne s'explique pas par une grossesse. Je trouve, aussi, notre excellente Reine vieillie, et M. le duc de Nemours terriblement maigri. Il se fait pousser une barbe 208 moderne, mais tellement blonde que c'est affreux.
Paris, 17 janvier 1838.—J'ai passé, hier, avec ma sœur, ma matinée à faire ce que je déteste le plus au monde, une tournée effective de visites indispensables. Le soir je l'ai conduite aux Tuileries. Elle était très noblement et très magnifiquement arrangée. Elle a été un peu étonnée de la forme de présentation ici. Cela m'a frappée, moi-même, plus que de coutume.
Paris, 23 janvier 1838.—Je me suis enrhumée, par un affreux courant d'air, qui m'a coupé le dos, hier, à un concert chez M. le duc d'Orléans. C'était le seul tort de cette soirée peu nombreuse, et où la musique a été divine, bien choisie, et pas trop prolongée.
M. de Talleyrand se porte très bien, à ses jambes près; leur faiblesse m'est indifférente, mais elles deviennent douloureuses, surtout les doigts d'un pied, dont la couleur n'est pas toujours naturelle. C'est une triste menace. Je m'en trouble extrêmement et lui aussi. En somme, je suis profondément triste, et tout pèse lourdement sur mon cœur.
Paris, 28 janvier 1838.—M. de Talleyrand n'est pas malade, mais sa rage de dîner en ville lui a mal réussi. Hier, chez lord Granville, donnant le bras à la princesse de Lieven, il s'est pris le pied dans les plis de sa robe, et a failli tomber. Il n'a pas fait de chute, mais son genou a ployé, le pied déjà malade a tourné et il s'est donné une 209 entorse du gros orteil. J'ai été fort effrayée, en le voyant rapporter ainsi. Quelle triste année que celle-ci! Le fait est que, depuis le mois d'avril dernier, rien n'a bien marché, et que, si je ne voyais dans tout ceci les épreuves et les préparations à un meilleur monde, je serais bien dégoûtée de celui-ci.
Paris, 30 janvier 1838.—Le pied de M. de Talleyrand le fait souffrir, et ce qu'il y a de pire, c'est qu'il est difficile de découvrir si la douleur tient à la foulure ou à l'état général de ce pauvre pied. Du reste, M. de Talleyrand est calme, toujours entouré, et il fait sa partie de whist chaque soir.
J'ai été, ce soir, chez la Reine, qui avait reçu ce matin la triste nouvelle de l'incendie de ce palais de Gotha dans lequel habitait sa fille, la princesse Marie. La Princesse a failli périr, et elle a perdu beaucoup de choses précieuses, des albums, des portraits, des livres, des journaux de toute sa vie, tout enfin; ses diamants sont fondus dans les montures qui ne sont plus que des lingots, les grosses pierres seules ont résisté et il faut les repolir; et puis, tous les objets chers à son cœur et que l'argent ne peut rendre! Ce premier nuage qui obscurcit un jeune bonheur a quelque chose de cruel parce qu'il met en défiance et rompt la sécurité pour l'avenir. C'est une véritable peine de cœur pour la Reine, d'autant plus que la Princesse étant grosse, le saisissement peut lui avoir fait mal.
Paris, 1er février 1838.—M. de Talleyrand s'inquiète 210 de l'état de sa jambe et du changement que cela porte dans ses habitudes. Je voudrais bien qu'il reprît assez de force, dans ce pied, pour pouvoir remonter en voiture, mais il ne peut pas encore s'appuyer assez pour prendre l'élan nécessaire. L'absence d'air et de mouvement, si cela devait continuer, aurait de graves conséquences. En attendant, il n'est pas seul une minute depuis dix heures du matin jusqu'à une heure après minuit.
Lady Clanricarde est venue déjeuner avec moi hier; elle retourne, sous peu de jours, dans cette chère Angleterre, à laquelle je pense chaque jour avec plus de regrets. Je savais bien tout ce que je perdais en la quittant, et j'ai, du moins, bien mesuré le sacrifice.
Paris, 2 février 1838.—L'état de la jambe de M. de Talleyrand reste à peu près le même quoiqu'elle fût un peu moins enflée hier. Il s'en attriste, et je le crois trop perspicace pour n'en pas mesurer tous les mauvais résultats possibles. Je ne puis dire combien j'ai le cœur et l'esprit en angoisse, quels poids m'oppresse!
Paris, 3 février 1838.—C'était, hier, l'anniversaire de la naissance de M. de Talleyrand, qui a accompli ses quatre-vingt-quatre ans. Heureusement que sa jambe avait un beaucoup meilleur aspect que ces jours derniers. C'était le plus beau bouquet de fête à lui offrir, et à moi aussi.
Paris, 5 février 1838.—Ma sœur avait réuni chez 211 elle, hier soir, des Autrichiens et des Italiens, et avait fait venir un groupe de musiciens napolitains qui se trouvent ici. Elle leur a fait chanter des airs nationaux fort jolis. On a porté M. de Talleyrand en haut, dans l'appartement de ma sœur, et il y a fait sa partie. L'aspect de sa jambe continue à être meilleur, mais son pied foulé reste faible et douloureux. Je ne sais s'il pourra jamais marcher encore. Si, du moins, il pouvait monter en voiture! Car l'absence d'air m'inquiète.
Il est triste et se tourmente! Une chose très remarquable, c'est qu'il a désiré faire la connaissance de l'Abbé Dupanloup, et m'a chargée de l'inviter à dîner pour le jour de ma fête. Je me suis hâtée de le faire, l'Abbé a accepté d'abord, refusé ensuite; je soupçonne l'Archevêque d'être là-dessous. Je le verrai demain, je veux en avoir le cœur net. M. de Talleyrand, en apprenant le refus de l'Abbé, m'a dit: «Il a moins d'esprit que je ne croyais, car il devait désirer pour lui et pour moi venir ici.» Ces paroles m'ont frappée, et ont augmenté mon impatience du refus de l'Abbé.
Paris, 7 février 1838.—J'ai été, hier, malgré un froid très vif, chez l'Archevêque, que j'ai trouvé fort gracieux. Il m'a donné, pour la Sainte-Dorothée, ma fête, qui était hier, un superbe exemplaire de l'Imitation de Jésus-Christ; pour M. de Talleyrand, le même; pour ma sœur, un portrait de Léon XII, le Pape qui avait reçu son abjuration; pour Pauline, un beau livre de piété. Il a été très surpris et affligé du refus de dîner que nous a fait 212 l'abbé Dupanloup; enfin, j'en ai été très satisfaite.
Je l'ai été encore plus de la manière dont M. de Talleyrand a reçu le cadeau de l'Archevêque et de la façon dont il a écouté le récit de mon entretien avec lui. Il désire que l'Archevêque use de son autorité pour décider l'abbé Dupanloup à venir ici. Je ne puis m'empêcher de rattacher ses bonnes dispositions à celles que j'ai pu témoigner dans ma dernière maladie, et aux paroles qu'à cette occasion j'ai pu lui adresser. Je bénis Dieu de l'épreuve que, dans ses voies cachées et toujours admirables, il lui a plu de m'envoyer! Et si, pour achever cette grande œuvre, il me fallait porter un sacrifice encore plus complet, je suis joyeusement prête.
Paris, 9 février 1838.—M. de Talleyrand est sorti en voiture, hier, pour la première fois, uniquement pour se promener, et cela lui a fait du bien, ou, pour mieux dire, du plaisir. Les effets de la foulure disparaissent vite, mais il n'en est pas de même de l'état général du pied, qui reste assez mauvais. On l'a porté jusque dans sa voiture, et retiré à bras; cela a été moins difficile que je ne pensais, mais ces démonstrations d'infirmité me sont douloureuses à regarder, plus que je ne puis le dire.
On commence à ajouter foi aux bruits de grossesse de Mme la duchesse d'Orléans. Je crois, cependant, qu'il faut encore attendre un peu pour être parfaitement assuré de ce fait.
Paris, 10 février 1838.—On dit que le différend entre 213 les Flahaut et le général Baudrand s'arrangera [95], mais je ne pense pas que cela dure. Mme de Flahaut vient, le soir, voir M. de Talleyrand, et le mari chaque matin; ils sont doux et gracieux comme des menacés.
M. Royer-Collard, que j'ai vu un instant, hier, était enchanté d'avoir, par ses discours de l'autre jour, déchiré le costume que l'on voulait faire reprendre aux Députés. Nous nous sommes un peu querellés à cette occasion. Il y a, dans son âme, une goutte trop forte d'amertume, qui le rend quelquefois, et à son insu, bien mischievous.
Paris, 11 février 1838.—M. de Talleyrand a pu aller, hier, chez Madame Adélaïde; c'était le grand événement de sa journée, par conséquent de la mienne. Celui d'aujourd'hui est la neige, qui tombe à gros flocons, sans discontinuer, et qui nous replonge dans l'hiver.
L'abbé Dupanloup est venu me faire, hier, une longue visite, dont je suis parfaitement satisfaite. Il dînera chez nous dans huit jours.
Nous avons eu aussi du monde à dîner, toute la famille d'Albuféra, les Thiers, les Flahaut, et il vient chaque soir quelques personnes.
Paris, 15 février 1838.—M. de Talleyrand s'occupe fort d'un petit éloge de M. Reinhard, qu'il veut prononcer, 214 au commencement du mois prochain, à l'Académie des Sciences morales et politiques. Il y met du soin et cela nous a pris quelques heures hier.
L'affaire Baudrand et Flahaut n'est point encore terminée. Ce sont des prétentions, des hésitations, des tergiversations de tous côtés, qui finissent par donner un ridicule amer aux deux rivaux, et qui pis est, au Prince Royal.
Paris, 23 février 1838.—Nous vivons toujours dans le froid et dans la neige.
M. le duc de Nemours a eu un mal de gorge qui a menacé de tourner en esquinancie, mais cette indisposition n'a empêché aucune fête de Cour, et il assistait avant-hier au bal que donnait la Reine.
M. de Talleyrand a du rhume, les jambes faibles. Voilà deux points par lesquels il est atteint: le premier n'est que très passager; l'autre, grave dans ses conséquences éloignées, n'a rien d'imminent. Voilà le vrai.
Paris, 25 février 1838.—J'ai été avertie, de grand matin, que M. de Talleyrand éprouvait une espèce de suffocation. Cette suffocation était purement mécanique, et tenait à ce qu'il a glissé au fond de son lit, qu'il s'est trouvé comme enseveli sous ses énormes couvertures, et qu'il en est résulté une sorte de cauchemar. Je viens de le quitter, dormant paisiblement dans un fauteuil. Ce que je n'aime point, c'est que, depuis deux jours, il a toujours plus ou moins de fièvre, et que, ne voulant rien, ou 215 presque rien manger, de peur de l'augmenter, il est très faible. L'absence du docteur Cruveilhier, qui est à Limoges, est aussi une mauvaise condition; enfin, sans inquiétude immédiate, je suis loin cependant d'être rassurée sur l'issue de cet état morbide, qui prouve l'ébranlement général de la machine.
Paris, 3 mars 1838.—C'est dans deux heures que M. de Talleyrand va à l'Académie, par une pluie froide qui est très déplaisante. Je crains aussi beaucoup l'émotion pour lui. Il y aura un grand concours de monde; pas de femmes, cette Académie n'en admet pas. J'espère que la journée se passera bien, mais je voudrais être à demain.
Paris, 4 mars 1838.—M. de Talleyrand est très agité et très faible ce matin. C'est que l'effort a été bien grand, et quelque succès qu'il ait eu, je crains que ce dernier éclat n'ait été payé bien cher. Ce succès a dépassé mon attente; les rapports de cinquante personnes qui ont assailli ma chambre après la séance ne me laissent aucun doute à cet égard. Il avait retrouvé toute sa voix, il a lu à merveille, il a marché, il était jeune, il était tout entier. Mais deux heures après, il était terrassé, et hors d'état de lutter. Je ne sais ce que diront les journaux de ce discours, mais si quelque chose pouvait désarmer, il me semble que ce devrait être un si grand âge, un passé si riche, une telle énergie employée à adresser au public des adieux si nobles, si pleins de droiture et de bonnes doctrines [96].
216 Paris, 5 mars 1838.—La journée s'est mieux passée que je ne l'espérais, pour M. de Talleyrand. Le Journal général de France, qui appartient aux Doctrinaires, contenait le meilleur, le plus spirituel et le plus agréable article, sur le discours de M. de Talleyrand. Les uns l'attribuent à M. Doudan, les autres à M. Villemain. Celui des Débats est obligeant, mais lourd; celui du Journal de Paris, bien; celui de la Charte, bête et mal écrit; la Gazette de France, suffisamment bien; le Siècle et la Presse, insignifiants; le National, nul. Contre mon habitude, qui, depuis mon retour de la campagne, a été de ne pas ouvrir un seul journal, je les ai tous lus hier, j'en ferai encore autant aujourd'hui, puis je reprendrai le cours de mon ignorance.
Paris, 6 mars 1838.—M. de Talleyrand a eu une défaillance, hier, avant le dîner. Je crois qu'elle tient à sa diète trop rigoureuse; celle-ci, à l'embarras glaireux de la poitrine et de l'estomac, qui lui ôte l'appétit. Le vésicatoire qu'on va lui mettre le délivrera, je l'espère. Les journaux d'hier n'étaient pas tous également satisfaisants sur son discours, mais cela ne l'a pas ému, car son succès a été véritable auprès du public sain et honnête. La maison ne désemplit pas, des gens qui viennent le féliciter. M. Royer-Collard me disait hier: «M. de Talleyrand a été solennellement amnistié de ce qu'il y a eu de fâcheux dans sa vie, et publiquement glorifié de ce qu'elle a eu de bon et de grandement utile.»
Paris, 7 mars 1838.—M. de Talleyrand n'a pas eu 217 de défaillance hier, mais il a mauvais visage, et je le trouve très changé. J'apprends que son frère, le duc de Talleyrand, mon beau-père, est aussi dans le plus triste état. La vicomtesse de Laval a de la fièvre, un catarrhe, de l'insomnie. Tout cela est sombre, et ces images de destruction me retombent bien lourdement sur le cœur.
Paris, 8 mars 1838.—M. de Talleyrand a mieux passé la journée d'hier; on le soigne beaucoup, et quand je suis rentrée d'un dîner donné à ma sœur par les Stackelberg, et de chez la Reine, où j'avais été ensuite, je l'ai trouvé entouré de belles dames, et d'assez bonne humeur.
Le matin, j'avais mené Pauline quêter M. l'Archevêque. Ma sœur avait voulu nous accompagner, ce qui fait que je n'ai pas pu causer avec M. de Quélen.
Les Flahaut n'ont plus rien de commun avec le Pavillon Marsan, excepté les bonnes grâces du Prince Royal qu'ils paraissent emporter. Au Pavillon de Flore, malgré beaucoup de belles phrases, on est ravi de leur départ. Les Flahaut ne croient pas au vrai, et s'en prennent à une intrigue doctrinaire à laquelle se serait joint le duc de Coigny. Ils partent, bientôt, pour l'Angleterre, où ils feront, je crois, un assez long séjour.
Paris, 10 mars 1838.—L'abbé Dupanloup est venu me voir hier; il a demandé ensuite à voir M. de Talleyrand, pour le remercier de l'exemplaire de son discours qu'il lui avait envoyé; Pauline l'y a conduit. Il est resté 218 seul pendant vingt minutes avec M. de Talleyrand, sans qu'il se soit rien dit de direct; mais il y a eu de bonnes paroles jetées, et quand l'Abbé est remonté chez moi, il m'a paru concevoir quelques bonnes espérances. Il y a mis, d'ailleurs, une grande discrétion et une mesure parfaite, et je le trouve d'une raison extrême; c'est lui qui s'est retiré le premier, et on lui a dit qu'on espérait qu'il reviendrait. Tout cela est bon, mais pourvu que nous ayons le temps! Car je trouve non plus de la maladie, mais un grand abattement, une altération sensible des traits, et il n'y a rien à brusquer avec un tel esprit! Mon Dieu, quelle tâche! Et que j'en serais effrayée, si je ne me disais que l'instrument le plus indigne, quand il plaît à Dieu de le choisir, peut devenir plus puissant que le plus grand saint, s'il n'entre pas dans les voies de Dieu de s'en servir!
Paris, 11 mars 1838.—Voilà le Ministère anglais sorti victorieux d'une épreuve qu'on annonçait devoir lui être fatale. Le nôtre se tirera-t-il aussi bien de l'épreuve de la semaine prochaine, celle des fonds secrets? Il y a bien des batteries dressées contre lui, des agitations sourdes de tous les côtés; on dit que de tous les bouts de la Chambre, on tirera des feux convergents sur les bancs ministériels, quitte, après, je suppose, à s'entre-tirailler sur le champ de bataille. Tout cela est pitoyable!
Paris, 14 mars 1838.—J'ai passé hier deux heures avec Mgr l'Archevêque. J'ai été plus contente de ses sentiments que de ses décisions; cependant tout est resté livré 219 à ses méditations. Il m'a dit de lui écrire mes idées, et j'espère, avec la grâce de Dieu, qui jettera la lumière ici et là-bas, arriver à une fin consolante, et pour ceux qui partiront, et pour ceux destinés à continuer leur pèlerinage.
En quittant l'Archevêque, j'ai été chez la vicomtesse de Laval, toujours faible et vacillante de corps, toujours vive de cœur et d'esprit.
Je suis revenue et j'ai trouvé M. de Talleyrand triste et mal à l'aise; il s'est remonté en causant avec moi. Il a mangé un peu mieux que ces jours passés; le soir, il était moins faible et je viens d'apprendre que sa nuit a été fort tranquille. Je passe sans cesse par les hauts et les bas les plus agitants. Je suis soutenue par le sentiment d'être utile, peut-être même nécessaire, et j'espère que les forces, si elles doivent me manquer, me resteront jusqu'au bout de ma tâche; après quoi, le sacrifice est fait, je l'ai fait pendant ma maladie à Rochecotte.
Paris, 15 mars 1838.—J'ai accompagné, hier, ma sœur, qui voulait aller encore une fois, avant son départ, à la Chambre des députés. J'y ai éprouvé beaucoup d'ennui. Les paroles de M. Molé ont été fort bonnes; M. Barthe a parlé avec une trivialité insupportable, M. Guizot a fait le plus ennuyeux de tous les sermons, M. Passy a été grossier sans être piquant, M. Odilon Barrot a été très habile, très spirituel, il n'a rien laissé à dire, ni à Thiers ni à Berryer, mais son débit est si déclamatoire et si peu soutenu, que c'est une grande fatigue de l'écouter. A 220 tout prendre, les honneurs de la séance sont restés à M. Molé, ou, pour mieux dire, si le Ministère n'a rien gagné, ses adversaires ont perdu beaucoup, ce qui, comme résultat momentané, revient au même.
Paris, 16 mars 1838.—J'ai mené Pauline hier à la messe, au sermon, et au salut, après lequel elle a quêté. Deux enterrements ont interrompu cette quête, en empêchant la moindre sortie, et une pluie battante les a encore retardés, ce qui fait que nous sommes restées éternellement sur nos jambes, à la porte de l'église. Du reste, le sermon de l'abbé de Ravignan [97], sur l'indifférence en matière de religion, et sur ses différentes causes, m'a fait un grand plaisir, et si ce n'est pas le plus beau des sermons que j'aie lus, c'est du moins le meilleur que j'aie jamais entendu.
M. Molé, qui dînait ici, disait que ce matin, à la Chambre, dans la formation des bureaux, l'alliance entre les hommes ennemis il y a quelques mois encore était flagrante.
Paris, 17 mars 1838.—J'ai passé longtemps hier matin, au séminaire de Saint-Nicolas du Chardonnet, dont l'abbé Dupanloup est supérieur. J'y ai été fort contente de ce bon Abbé, qui a bien voulu être aussi satisfait du petit écrit que je lui ai montré [98].
221 D'ici à un mois, nous aurons un nouveau poème de M. de Lamartine, intitulé l'Ange déchu [99], puis des Mélanges littéraires, de M. Villemain, et un ouvrage de M. de Chateaubriand sur le Congrès de Vérone. Enfin, des provisions de lecture pour l'été!
M. de Talleyrand dit qu'il ira le 1er mai à sa terre de Pont-de-Sains en Flandre, qu'il y restera tout l'été, qu'il en partira le 1er septembre pour Nice, en voyageant lentement, et qu'il reviendra au mois de mai 1839 à Valençay. Il y a quelque chose de bien hardi dans des projets si étendus et de peu raisonnable à affronter l'humidité flamande dès le 1er mai; je laisse dire, et me confie au grand Régulateur.
Je trouve bien jolie la devise, ou plutôt la fin de lettre que je viens de trouver dans un vieux livre: «A Dieu soyez.» Je l'adopte.
Paris, 22 mars 1838.—La princesse Marie, qui est ici depuis le 19, a failli faire une fausse couche, hier, à la suite d'une trop longue promenade, et Mme la duchesse d'Orléans n'en évite une qu'en ne quittant pas sa chaise longue.
M. de Rumigny, notre ambassadeur à Turin, s'y est fait une mauvaise querelle. Querelle personnelle avec le Roi, pour une question d'étiquette; il est arrivé des plaintes sur 222 lui. Cette histoire est la plus sotte du monde, car il s'agit des barbes blanches ou noires portées par les femmes. L'étiquette sarde ne les permet qu'à la Reine. Comme cela est bête!
Une alliance paraît flagrante entre MM. Thiers et Guizot, mais le récri contre ce rapprochement est tel, dans le public, que chacun en est embarrassé, et qu'il avortera probablement avant d'avoir porté ses fruits. M. Guizot, surtout, en éprouve du malaise, parce que sa considération en souffre cruellement, et que c'était dans cette considération, plus que dans son talent, qu'il cherchait et qu'il trouvait son importance. Le fait est qu'après tout ce que, des deux côtés, on s'est dit, après les discours qui ont clos la session dernière, et les propos qui en ont rempli l'intervalle, il y a quelque chose de trop cru dans cette alliance que M. Royer-Collard appelle une union impie.
Il est fort question d'un voyage du Roi à Nantes et à Bordeaux pour le mois de juin, ce qui nous ramènerait en Berry et vers la Touraine. M. de Talleyrand avait, jusqu'ici, uniquement en vue le Pont-de-Sains, ce qui était calamiteux.
Paris, 25 mars 1838.—J'ai bravé, hier, une tempête équinoxiale pour aller voir Mgr. l'Archevêque. Nous nous rapprochons, peu à peu, dans les termes de la lettre, et j'espère que nous arriverons à quelque chose de bien; mais il nous faut du temps, et que les circonstances extérieures nous aident, ce qui ne dépend pas de nous, et ce 223 qu'il faut demander à plus puissant que nous. Au reste, si là-haut on peut être importuné par les prières d'ici-bas, on doit l'être pour celles qui y sont adressées à ce sujet.
Paris, 28 mars 1838.—J'ai eu, hier, la plus importante des conversations avec M. de Talleyrand, et j'ai trouvé, en lui, des accès ouverts qui me paraissent miraculeux. J'espère marcher maintenant dans une voie assurée, et, quoique le but soit encore éloigné, j'espère qu'aucun précipice ne se placera entre lui et mes efforts.
On meurt ici d'une façon effrayante. Voici M. Alexis de Rougé qui a disparu en douze heures, foudroyé par l'apoplexie. Cela jette beaucoup de monde dans un très grand deuil.
J'ai été chez Madame Adélaïde où j'ai su tout le bien que disait la duchesse de Würtemberg de l'Allemagne. Mme la duchesse d'Orléans sent remuer son enfant, et je crois que d'ici à quelques jours, sa grossesse sera officiellement publiée.
On dit que la jeune Reine d'Angleterre galope, à travers les omnibus et les cabriolets, dans les rues de Londres, ce que ses vieilles tantes trouvent très choquant, et ce qui l'est en effet.
Il y a, dans le Parlement anglais, une alliance non moins étonnante que celle de chez nous entre MM. Thiers et Guizot: c'est celle de lord Brougham et de lord Lyndhurst.
Paris, 1er avril 1838.—J'ai été, hier, avec ma sœur, 224 voir, dans la cour du Louvre où elle est momentanément exposée, une statue en bronze, qui part dans quelques jours pour Turin. C'est celle d'Emmanuel-Philibert de Savoie, à l'issue de la bataille de Saint-Quentin, arrêtant son cheval et remettant son épée dans le fourreau; elle est faite par Marochetti; c'est une admirable chose, pleine de grâce, de noblesse et de mouvement. J'en ai été ravie, et il me semble qu'en général elle est fort approuvée.
Paris, 3 avril 1838.—J'ai remis hier à M. de Talleyrand le petit écrit que j'avais préparé pour lui. La remise s'est faite sans bourrasque. Je suppose qu'hier au soir, il en aura fait une lecture approfondie, et je vais voir, aujourd'hui, si l'horizon ne s'est pas obscurci.
Paris, 4 avril 1838.—Mon petit écrit a eu plein succès.
J'ai mené ma sœur, hier, à Saint-Roch, pour y entendre prêcher l'abbé de Ravignan. Il nous a fait grand plaisir; il a une belle figure, un beau son de voix, une excellente prononciation, de la foi, de la conviction, de la chaleur, de l'autorité, une argumentation vive et serrée, de la clarté, un langage noble, une parole ferme; il n'est pas prolixe et jamais diffus; il manque d'onction, ce qui le rend plus doctrinal qu'évangélique, aussi était-il dans la parfaite liberté de son talent, hier, en prêchant sur l'infaillibilité de l'Église.
M. de Pimodan, grand légitimiste, qui donnait le bras à une des quêteuses, a, insolemment, barré le passage à 225 la Reine; le curé, l'abbé Olivier, qui l'accompagnait à la sortie, et qui est un petit homme trapu et fort comme un Turc, a donné un coup de coude si raide à M. de Pimodan, pour le faire se ranger, que celui-ci est entré en fureur et a fort rudement demandé au curé ce qu'il avait prétendu par ce coup de coude; l'abbé lui a répondu tranquillement: «J'ai entendu, Monsieur, faire faire place à la Reine.» Sur quoi le monsieur a tenu de très insolents propos entre ses dents, qu'on a fait semblant de ne pas entendre.
La princesse de Bauffremont, qui devait être une des quêteuses, ayant appris, la veille, que Mme de Vatry devait aussi quêter (elles étaient six quêteuses, prises dans les différentes sociétés de Paris, afin de faire délier le plus de bourses possible), a fait dire qu'elle ne voulait pas se trouver en compagnie de la fille de M. Hainguerlot, et s'est retirée. Comprend-on quelque chose de si impertinent et de si peu charitable?
Paris, 8 avril 1838.—La séance à la Chambre des Pairs occupait fort tout le monde hier. Le discours de M. de Brigode, prononcé la veille, avait donné l'éveil; la part active que le duc de Broglie a prise dans cette discussion paraît un événement, et se lie au mouvement hostile et à l'alliance impie de la Chambre des Députés. Le Ministère a très bien répondu aux attaques de MM. de Broglie et Villemain; M. Pasquier, qui a de l'humeur qu'on veuille borner ses attributions, a fort mal présidé. Le Ministère est inquiet de la semaine de Pâques.
226 Le duc de Talleyrand, frère cadet du prince de Talleyrand, mourut le 28 avril 1838: le duc et la duchesse de Dino héritèrent alors de son titre, qu'ils portèrent depuis. Le 17 mai suivant, le prince de Talleyrand expirait à son tour, des suites d'un anthrax, après quatre jours de maladie.
La lettre qui suit a été écrite le 10 mai 1839, mais elle a été placée à cet endroit de la Chronique par l'auteur même.
Lettre adressée par Mme la duchesse de Talleyrand à M. l'abbé Dupanloup, à l'occasion du récit fait par celui-ci des derniers instants de M. le prince de Talleyrand.
«J'ai lu, vous n'en doutez pas, avec une profonde émotion, Monsieur l'Abbé, le précieux manuscrit [100] que j'ai l'honneur de vous renvoyer.
«Il dit tout avec une vérité et une simplicité qui me paraissent devoir toucher les plus indifférents, convaincre les plus incrédules. Il ne me reste rien à ajouter à votre récit, car il retrace parfaitement toutes les circonstances 227 de l'événement douloureux qui s'est, si miséricordieusement, accompli sous nos yeux. Mais peut-être suis-je, seule, en mesure d'indiquer le travail intérieur qui, depuis quelques années, avait certainement commencé à modifier les dispositions de M. de Talleyrand; travail gradué, et qu'il n'est pas sans intérêt de suivre, dans la marche lente, mais sincère, qui l'a conduit, enfin, au terme, d'une manière si consolante.
«Je vais donc essayer de retrouver mes souvenirs à cet égard, et je ne pense pas remonter trop loin, en les reprenant à la première communion de ma fille, qui eut lieu à Londres, le 31 mars 1834. Elle vint, ce jour-là, demander la bénédiction de M. de Talleyrand, qu'elle appelait son bon oncle. Il la lui donna avec attendrissement et me dit ensuite: «Que c'est touchant, la piété d'une jeune fille, et que l'incrédulité, chez les femmes surtout, est une chose contre nature!» Cependant, peu après notre retour en France, M. de Talleyrand s'alarma de la piété vive de ma fille; il craignit qu'on ne lui apprit à se défier de lui, à le juger avec sévérité; il me demanda même de savoir dans quel sens le confesseur de Pauline lui parlait à son sujet. J'en fis tout simplement la question à ma fille, qui me répondit, avec la candeur que vous lui connaissez, que son oncle n'étant pas un péché pour elle, jamais elle n'en parlait à son confesseur, qui, de son côté, ne le lui nommait que pour l'engager à beaucoup prier Dieu pour lui. M. de Talleyrand fut touché de cette réponse, et me dit: «Cette conduite est d'un homme d'esprit et de mérite.»
228 «Il voulut, dès lors, que Pauline eût encore plus de facilité à se rendre à l'église, et à aller jusque dans un quartier éloigné chercher vos sages directions; il lui offrait sa voiture, et je l'ai vu, parfois, se gêner dans ses sorties, pour la plus grande commodité de la petite.
«Il avait fini par tirer une certaine vanité personnelle de la piété de Pauline; il se montrait flatté que, sous ses yeux, elle eut été aussi religieusement élevée; et souvent il disait, en parlant de Pauline: «C'est l'ange de la maison.» Il trouvait un plaisir extrême (celui des belles âmes), à mettre en lumière le mérite des autres; personne ne louait avec plus de grâce, plus de mesure, plus utilement, plus à propos. On valait tout ce qu'on pouvait valoir, quand on était raconté, cité par lui. Il lui arrivait sûrement de blâmer quelquefois, mais c'était rare, et il ne s'y appliquait pas comme à la louange. Il ménageait surtout les ecclésiastiques, et quand il les désapprouvait, ce n'était guère que sous des rapports politiques, jamais dans l'exercice de leur ministère, et toujours avec beaucoup de mesure. Il respectait, il admirait l'ancienne Église de France, dont il parlait comme d'une grande, belle et éclatante chose! J'ai vu, dans sa maison, des Cardinaux, des Évêques, de simples curés de village; tous y étaient reçus avec des égards infinis, et entourés de soins délicats. Jamais un mot déplacé ne s'est prononcé devant eux; M. de Talleyrand ne l'eût pas souffert. J'ai vu l'Évêque de Rennes (l'abbé Mannay) passer des mois à Valençay; l'Évêque d'Évreux (l'abbé Bourlier) demeurer à l'hôtel Talleyrand, à Paris, et y vivre avec la même sainteté, 229 avec la même liberté, y recevoir les mêmes égards que dans leur diocèse. M. de Talleyrand fut, pour son oncle, feu M. le Cardinal de Périgord, un neveu soigneux, tendre et déférent. On le voyait souvent, à l'Archevêché, où il causait de préférence avec M. l'abbé Desjardins, dont il aimait la conversation douce, fine et variée.
«Je me suis souvent étonnée de l'extrême aisance de mon oncle dans la société des ecclésiastiques, et je ne me la suis expliquée que par l'illusion, étrange mais réelle cependant, dans laquelle il est resté longtemps sur sa véritable position vis-à-vis de l'Église. Il savait bien qu'il avait affligé l'Église, mais il croyait que sa sécularisation, à laquelle il donnait une trop grande portée, avait, sinon tout effacé, du moins tout simplifié [101]. Sa situation lui apparaissait donc comme à peu près nette, et, par conséquent, facile. Cette erreur a duré autant que sa vie politique, et ce n'est qu'après s'être retiré des affaires qu'il a songé à éclaircir plus exactement ses rapports avec le Saint-Siège. Mais avant cette époque, un instinct vague lui faisait sentir que si, dans son opinion, il ne devait pas précisément une réparation, il devait, du moins, quelques consolations à ceux qu'il avait contristés. Aussi se montrait-il, en toutes circonstances, favorable aux intérêts du clergé, et jamais il n'a refusé l'aumône, ni à un prêtre malheureux, ni à un boiteux; il se reconnaissait, tacitement, 230 dans l'un comme dans l'autre. Sa charité était grande, et je lui fis beaucoup de plaisir en lui rapportant un mot dit sur lui par une personne de grande vertu. Le voici: «Soyez tranquille, M. de Talleyrand finira bien, car il est charitable.» J'eus occasion de lui rappeler ce mot à l'heure la plus solennelle de sa vie; vous pouvez vous en souvenir Monsieur l'Abbé, et vous souvenir avec quelle consolation il l'entendit. Sa reconnaissance a toujours été vive pour ceux qui, retirés du monde, au fond des couvents, priaient pour lui. Il ne l'oubliait pas, et disait: «J'ai des amies parmi les bonnes âmes.» Son cœur en était touché, parce qu'il était bon, oui, très bon; lui-même en avait la conscience, lorsqu'il me disait: «N'est-ce pas que je suis meilleur qu'on ne le croit?» Assurément, il était meilleur qu'on ne le savait; ses proches, ses amis, ses serviteurs pouvaient seuls mesurer cette bonté simple, attentive, aimable, fidèle. Vous avez vu nos larmes! Les bons seuls sont pleurés ainsi!
«Il reçut successivement, depuis son retour d'Angleterre en France, deux impressions vives et salutaires, par la mort chrétienne du duc de Dalberg, et par les habitudes religieuses qui marquèrent les derniers temps de la vie du docteur Bourdois, son contemporain, son ami et son médecin. Il sut gré à M. Bourdois de l'avoir confié aux mains habiles de M. Cruveilhier; il se fiait à son talent et s'honorait d'être si bien soigné par un homme aussi religieux: il semblait puiser, dans la piété de son médecin, une sécurité de plus.
«Pie VII fut, de tout temps, l'objet de sa grande vénération. 231 Il a consacré plusieurs pages de ses Mémoires à la lutte de ce Pape avec l'Empereur Napoléon; son récit est tout entier à l'avantage du Souverain-Pontife. Il prisait fort la politique du Saint-Siège, comme habile, lente, douce et toujours égale, qualités qu'il mettait au premier rang en affaires.
«Pendant tout le temps du pontificat de Pie VII, mon oncle s'est cru assez bien en cour de Rome. Souvent, il m'a cité, à l'appui de cette conviction, un mot dit par le Saint-Père à son occasion; le Pape se trouvait alors à Fontainebleau, où s'adressant à Mme la marquise de Brignole, amie de M. de Talleyrand, et lui parlant de mon oncle, il lui dit: «Que Dieu veuille avoir son âme, mais, moi, je l'aime beaucoup.»
«M. de Talleyrand n'ignorait pas que j'avais assez souvent l'honneur de voir Mgr l'Archevêque de Paris, et il avait fort bien deviné que ces relations avaient pour motif principal, du côté de M. de Quélen, le désir de conserver quelques relations avec mon oncle. M. de Talleyrand n'en était nullement importuné, au contraire, et quoique plusieurs lettres, adressées par Mgr de Paris à M. de Talleyrand eussent, à différentes époques, manqué leur but, il ne s'en montrait pas moins touché, d'avoir inspiré un intérêt aussi persévérant à un Prélat dont il honorait le caractère, et dont il appréciait le zèle sincère, ainsi que la généreuse charité. Lui-même portait beaucoup d'intérêt à M. de Quélen, à sa position politique qu'il aurait désiré pouvoir simplifier. Je l'ai vu, dans plusieurs circonstances, chercher à lui être utile, soit par des conseils qu'il 232 croyait bons, soit en lui rendant, en toute occasion, les témoignages les plus honorables. Il le faisait non seulement par amour pour la vérité, mais aussi comme un hommage rendu à la mémoire de feu M. le Cardinal de Périgord. Il disait souvent: «Je regarde M. de Quélen comme nous ayant été légué par mon oncle le Cardinal; il nous aime, il aime notre nom, et tout ce qui se rattache au Cardinal.» Au jour de l'an, il me chargeait de le faire écrire chez Mgr l'Archevêque, et me disait: «Nous devons toujours le traiter en grand parent.» Jamais il ne me voyait partir pour Saint-Michel ou pour le Sacré-Cœur [102], qu'il ne me chargeât d'offrir ses hommages à Mgr l'Archevêque. Quand je rentrais, il me demandait de ses nouvelles, voulait savoir s'il avait été question de lui, et ce que M. de Quélen en avait dit. Il écoutait mes réponses avec attention, souriait et finissait par dire: «Oui, oui, je sais qu'il a bien envie de gagner mon âme et de l'offrir à M. le Cardinal.» Tout cela, jusque dans la dernière année, se disait sans grand sérieux, mais avec une grande bienveillance.
«Le 10 décembre 1835, on vint de très bonne heure me dire la mort de la princesse de Talleyrand. Il fallut l'annoncer à mon oncle: je ne le fis qu'avec une extrême répugnance, car c'était précisément à l'époque où il fut atteint de violentes palpitations, qui nous faisaient redouter une mort 233 subite. Les émotions surtout devaient lui être évitées, et je pouvais craindre que cette nouvelle ne lui causât un certain trouble. Il n'en fut rien et il me répondit sur-le-champ, avec calme, ces mots qui ne laissèrent pas de me surprendre: «Ceci simplifie beaucoup ma position.» Au même moment, il tira, de la poche de son gilet de nuit, plusieurs lettres, et me dit de les lire. La première était écrite par une dame religieuse au Sacré-Cœur. M. de Talleyrand l'avait beaucoup connue jadis, lui avait rendu quelques services, et l'appelait toujours sa vieille amie, Mme de Marbœuf. Dans cette lettre, elle lui parlait de Dieu, et lui envoyait la médaille que toujours il a portée depuis, et qui, aujourd'hui, est à vous, Monsieur.
«La seconde lettre lui était adressée par un curé des environs de Gap, qui lui était parfaitement inconnu. Lui aussi parlait de Dieu, avec une admirable et touchante simplicité.
«La troisième lettre enfin, dictée par la foi la plus vive, la charité, la raison, et un intérêt sincère, abordait courageusement la position religieuse de mon oncle. Il écrivit quelques lignes à Mme la duchesse Mathieu de Montmorency pour l'en remercier. Il a constamment porté cette lettre sur lui, dans un petit portefeuille de poche, dans lequel je l'ai retrouvée après sa mort. Souvent, il reparlait de cette lettre, et de la noble et malheureuse personne qui la lui avait écrite, et toujours avec un tendre respect!
«Il sut aussi qu'une de mes cousines, Mme de Chabannes, religieuse aux grandes Carmélites de Paris, priait sans cesse pour lui. Il en fut touché et me disait en parlant de toutes ces saintes personnes: «Les bonnes âmes ne 234 veulent pas désespérer de moi». Je ne connais rien de si doux, de si aimable que cette sainte parole. Elle prouvait bien qu'il ne fallait pas craindre que Dieu l'abandonnât!
«Pour qui le connaissait aussi bien que moi, il y aurait eu de la maladresse à le pousser trop virement dans cette voie. Il fallait, au contraire, laisser à ces différentes impressions le temps de se développer, et rien ne se faisait vite chez lui. Il avait une confiance infinie dans le temps, qui, en effet, lui a été fidèle jusque dans la mort.
«Chaque fois que j'avais parlé à mon oncle de son mariage, et cela m'était arrivé souvent, je ne craignais pas de lui montrer ma surprise d'une faute aussi inexplicable aux yeux des hommes qu'elle était fatale aux yeux de Dieu. Il me répondit alors: «Je ne puis, en vérité, vous en donner aucune explication suffisante; cela s'est fait dans un temps de désordre général; on n'attachait alors grande importance à rien, ni à soi, ni aux autres. On était sans société, sans famille, tout se faisait avec la plus parfaite insouciance, à travers la guerre et la chute des Empires. Vous ne savez pas jusqu'où les hommes peuvent s'égarer aux grandes époques de décomposition sociale.» Cette même pensée se retrouve dans son projet de déclaration au Pape, dont l'original est resté entre mes mains, quand il écrit: «Cette révolution qui a tout entraîné et qui dure depuis cinquante ans.»
«Vous voyez que, non seulement il ne cherchait pas à justifier son mariage, mais qu'en vérité, il n'essayait pas même de l'expliquer. Il en avait été très malheureux dans sa vie domestique. Sous l'Empire, sous la Restauration, 235 depuis encore, je l'ai toujours vu embarrassé, honteux de cet étrange lien, dont il ne voulait plus porter, et dont il ne pouvait entièrement rompre la pénible chaîne. Aussi, quand la mort vint la briser, il sentit pleinement sa délivrance.
«Quelque temps après, au mois de mars 1836, un de ses domestiques fut atteint d'une maladie qui bientôt fut déclarée mortelle. Ma fille décida cet homme à voir un prêtre et à recevoir les sacrements. M. de Talleyrand le sut et s'en montra satisfait. Il me dit à cette occasion: «Le contraire, dans cette maison, eût été un scandale qu'on n'eût pas manqué de relever désagréablement; je suis charmé que Pauline l'ait empêché.» Le soir même, il raconta ce fait à Mme de Laval, et s'étendit avec complaisance sur l'empire que la piété modeste et ferme de Pauline exerçait sur toute la maison.
«Au printemps de 1837, mon oncle voulut quitter Fontainebleau (où le mariage de Mgr le duc d'Orléans nous avait conduits), avant même la fin du séjour de la Cour. Il me dit d'y rester et même d'assister à la grande fête donnée, quelques jours plus tard, par le Roi à Versailles. Je le rejoignis plus tard en Berry, où il avait voulu arriver à temps pour recevoir, à Valençay, Mgr l'Archevêque de Bourges, qu'une tournée épiscopale y amenait. J'appris, par Pauline, que M. de Talleyrand avait été tout particulièrement attentif pour le Prélat, au point de changer ses habitudes personnelles; il ne permit, le vendredi et le samedi, aucun mélange de gras et de maigre sur sa table. Tous les repas furent servis au maigre seulement.
236 «Dans le courant de l'été de cette même année 1837, le supérieur des sœurs de Saint-André établies à Valençay, par les soins de M. de Talleyrand, vint inspecter cette communauté. Il fit une visite au Château, où il fut prié à dîner. En sortant de table, M. de Talleyrand me dit: «J'ai dans l'esprit que l'abbé Taury est Sulpicien; allez le lui demander.» Je lui rapportai une réponse affirmative: «J'en étais sûr,» reprit-il avec satisfaction, «il y a une réserve, une douceur, une convenance dans MM. de Saint-Sulpice (il les nommait souvent ainsi), qui ne me permet pas de m'y tromper.»
«Les jours de dimanche et de grandes fêtes, M. de Talleyrand ne manquait jamais la messe quand il était à Valençay; à ses deux fêtes, la Saint-Charles et la Saint-Maurice, il n'y manquait pas davantage, et aurait été blessé que le Curé ne fût pas venu la dire au Château. Son maintien, à la chapelle, était fort convenable, et malgré ses infirmités, il se mettait à genoux dans les moments indiqués. Si on se dispensait de la messe, si on y arrivait tard, ou qu'on y fit du bruit, il le remarquait comme une inconvenance. Pendant la messe, il lisait attentivement, soit les Oraisons funèbres de Bossuet, soit le Discours sur l'Histoire universelle. Un dimanche, cependant, au mois de novembre 1837, ayant oublié son livre, il en prit un des deux que Pauline avait apportés pour elle-même: c'était l'Imitation de Jésus-Christ. En le lui rendant, il se tourna vers moi, et me pria de lui donner un exemplaire de cet admirable livre; je lui offris le mien, qu'il a, depuis, porté préférablement à tout autre, à la messe.
237 «Il tenait à ce que le Curé officiât convenablement, et lui citait souvent Mgr l'Archevêque de Paris comme l'ecclésiastique qui, à son gré, officiait le mieux, et avec le plus de dignité. Je me hasardai, un dimanche, à lui dire que, pendant la messe, j'avais eu des distractions à son sujet. Il voulut les connaître, et je me permis alors de lui dire que je m'étais demandé quelles pouvaient être ses pensées, en se souvenant qu'il avait été, lui aussi, revêtu du même caractère que le prêtre officiant devant lui. Sa réponse me parut être une preuve évidente des illusions dans lesquelles il était sur sa véritable position ecclésiastique; la voici: «Mais pourquoi voulez-vous donc que ce soit une chose étrange que de me voir à la messe? J'y vais comme vous, comme tout le monde; vous oubliez toujours ma sécularisation, qui rend ma position fort simple.» Il voulut même, alors, me montrer le bref de sécularisation, mais il était resté à Paris; je l'ai retrouvé, depuis sa mort, avec toutes les pièces relatives à cette affaire, et qui sont fort curieuses. Je les ai examinées avec soin; elles m'ont prouvé que son mariage, seul, était resté le grand obstacle à sa réconciliation avec l'Église; les autres offenses avaient été pardonnées, et les censures ecclésiastiques levées, à Paris, par le cardinal Caprara au nom du Pape.
«J'ai parlé, plus haut, de l'attention avec laquelle M. de Talleyrand lisait le Discours sur l'Histoire universelle de Bossuet. A ce sujet, il me revient à l'esprit une circonstance qui me paraît remarquable. Un jour, à Valençay, je crois dans l'année 1835, il me fit dire d'entrer 238 dans sa chambre; je l'y trouvai lisant. «Venez,» dit-il, «je veux vous montrer de quelle manière il faut parler des mystères; lisez, lisez tout haut, et lisez lentement.» Je lus ce qui suit: «L'an quatre mille du monde, Jésus-Christ, fils d'Abraham, dans le temps, fils de Dieu dans l'éternité, naquit d'une vierge.»—«Apprenez ce passage par cœur», me dit-il, «et voyez avec quelle autorité, quelle simplicité, tous les mystères se trouvent concentrés dans ce peu de lignes. C'est ainsi, ce n'est qu'ainsi qu'il convient de parler des choses saintes. On les impose, on ne les explique pas; cela seul les fait accepter; toute autre forme ne vaut rien, car le doute arrive dès que l'autorité manque, et l'autorité, la tradition, le maître ne se révèlent suffisamment que dans l'Église catholique.» Il trouvait toujours quelque chose de désagréable à dire sur le protestantisme. Il l'avait vu de près en Amérique, et lui avait conservé mauvais souvenir.
«Je tombai gravement malade, au mois de décembre 1837. Nous nous trouvions alors chez moi à Rochecotte, où, malheureusement, il y a peu de ressources spirituelles. Cependant, me sentant en quelque danger, je voulus appeler le Curé. Mon oncle le sut, et, dans ma convalescence, il m'en témoigna quelque surprise: «Vous en êtes donc là?» me dit-il, «et par où êtes-vous arrivée?» Je le lui dis avec simplicité; il m'écoutait avec intérêt, et, lorsqu'en finissant j'ajoutai, qu'au milieu de beaucoup de considérations sérieuses, je n'avais pas omis celle de ma situation sociale, qui m'obligeait d'autant plus 239 qu'elle était plus élevée, il m'interrompit vivement et dit: «En effet, il n'y a rien de moins aristocratique que l'incrédulité.» Deux jours après, il reprit, de lui-même, une conversation semblable, me fit répéter les mêmes détails, puis me regardant fixement, il dit: «Vous croyez donc?—Oui, Monsieur, fermement.»
«C'est pendant ce dernier séjour que nous fîmes ensemble à Rochecotte qu'il apprit l'arrestation de l'Archevêque de Cologne. Il en fut frappé, comme d'un événement important: «Voilà qui peut nous rendre la ligne du Rhin», dit-il aussitôt; «en tous cas, c'est de la graine catholique jetée en Europe; vous la verrez lever et pousser vivement.»
«Je lus, à cette époque, un morceau sur les limites du pouvoir spirituel et du pouvoir temporel, qui se trouve dans le discours prononcé par Fénelon au sacre d'un Archevêque de Cologne. Je portai ce beau passage à mon oncle qui en fut ravi et me dit: «Il faut le copier et l'envoyer au Roi de Prusse.»
«Revenu à Paris au mois de janvier 1838, M. de Talleyrand fut bientôt privé du peu d'exercice dont, jusque-là, il avait gardé la possibilité. Il se foula le pied chez l'ambassadeur d'Angleterre, où il dînait le 27 janvier. L'hiver était très froid; les douches qu'on lui fit prendre sur le pied malade, pour lui rendre de la force, l'enrhumèrent. Ce rhume devint un catarrhe, il perdit bientôt le sommeil et l'appétit. Chaque matin il se plaignait de ses fatigantes insomnies, «pendant lesquelles», disait-il, «on pense à terriblement de choses». Une fois il ajouta: 240 «Durant ces longues nuits, je repasse dans mon souvenir bien des événements de ma vie.—Vous les expliquez-vous tous?» lui demandai-je.—«Non, en vérité, il y en a que je ne comprends plus du tout; d'autres que j'explique, que j'excuse; mais d'autres aussi que je blâme, d'autant plus sévèrement que c'est avec une extrême légèreté que j'ai fait les choses qui, depuis, m'ont été le plus reprochées. Si j'avais agi dans un système, par principe, à la bonne heure, je comprendrais. Mais non, tout s'est fait sans y regarder, avec l'insouciance de ce temps-là, comme nous faisions à peu près toutes choses dans notre jeunesse.» Je lui dis que j'aimais mieux qu'il en fût ainsi que s'il avait agi par suite de mauvaises doctrines. Il convint que j'avais raison.
«C'est à la fin d'une de ces conversations qu'arriva votre lettre, Monsieur l'Abbé, celle que vous citez dans votre intéressante narration. Après me l'avoir fait lire, il me dit assez brusquement: «Si je tombais sérieusement malade, je demanderais un prêtre; pensez-vous que l'abbé Dupanloup viendrait avec plaisir?—Je n'en doute pas», lui dis-je, «mais pour qu'il pût vous être utile, il faudrait que vous fussiez rentré dans l'ordre commun, dont vous êtes malheureusement sorti.—Oui, oui,» reprit-il, «j'ai quelque chose à faire vis-à-vis de Rome, je le sais, il y a même assez longtemps que j'y songe.—Et depuis quand?» lui demandais-je, surprise, je l'avoue, de cette ouverture inattendue: «Depuis la dernière visite de l'Archevêque de Bourges à Valençay, et depuis, encore, que l'abbé Taury y est venu. Je me suis 241 demandé, alors, pourquoi l'Archevêque, qui, là, était plus directement mon pasteur ne me provoquait pas? Pourquoi ce bon Sulpicien ne me parlait de rien?—Hélas, Monsieur,» repris-je, «ils n'auraient pas osé.—«Je les eusse, cependant, fort bien reçus.» Vivement émue d'aussi bonnes paroles, je lui pris les mains, et, me plaçant devant lui, les larmes aux yeux, je lui dis: «Mais pourquoi attendre une provocation? Pourquoi ne pas faire spontanément, librement, généreusement, la démarche la plus honorable pour vous-même, la plus consolante pour l'Église et pour les honnêtes gens? Vous trouveriez Rome bien disposée, je le sais; Mgr l'Archevêque de Paris vous est fort attaché, essayez...» Il me laissa dire, et je pus entrer plus avant dans le fond de cette question délicate, épineuse même, mais que je savais bien, puisqu'elle m'avait été expliquée à plusieurs reprises par M. de Quélen, qui avait tenu à me la faire bien comprendre. Nous fûmes interrompus avant que j'eusse pu tout dire, mais, remontée chez moi, j'écrivis à M. de Talleyrand une longue lettre dictée par mon profond dévouement. Il la lut avec cette confiance qu'il voulait bien accorder à mes instincts quand il s'agissait de sa renommée et de ses véritables intérêts. Ma lettre lui fit donc impression, quoiqu'il ne me le dît que quelque temps après, en me remettant, pour M. de Quélen, un papier dont je parlerai plus tard.
«Au mois de mars 1838, il lut, à l'Académie des Sciences morales et politiques, un éloge de M. Reinhard. Son médecin craignait, pour lui, la fatigue d'une telle entreprise. 242 Nos instances pour l'en détourner furent vaines: «Ce sont mes adieux au public,» dit-il, «rien ne m'empêchera de les lui faire.» Il tenait à saisir cette occasion de développer ses doctrines politiques, et à montrer que c'étaitent celles d'un honnête homme. Il espérait, même, être, ainsi, de quelque utilité encore à ceux qui suivaient la carrière diplomatique. La veille de la séance, parcourant avec moi son discours, il me dit ces mots: «La religion du devoir, voilà qui plaira à l'abbé Dupanloup.» Quand nous arrivâmes au passage sur les études théologiques, je l'interrompis pour lui dire: «Convenez que ceci est bien plus à votre adresse qu'à celle de ce bon M. Reinhard.—Mais sûrement,» reprit-il, «il n'y a pas de mal à ramener le public à mon point de départ.—Je suis ravie,» lui dis-je alors, «de vous voir placer la fin de votre vie à l'ombre des souvenirs et des traditions de votre première jeunesse.—J'étais sûr que cela vous plairait,» fut sa bonne et gracieuse réponse.
«M. de Talleyrand supporta singulièrement bien cette fatigante séance, où il eut tous les genres de succès: succès littéraire, succès politique, succès de grand seigneur et d'honnête homme. Rentré chez lui, il envoya, sur-le-champ, les premières épreuves de son discours à M. de Quélen, et à vous, Monsieur. Il espérait votre approbation et y fut sensible.
«Sa santé, alors, parut se remettre; il reprit ses forces, fit des projets de voyage, parla de Nice pour l'hiver suivant; il se sentait renaître, et s'en rendait compte avec plaisir. Cependant, en apprenant, le 28 avril, 243 la mort de son frère, plus jeune que lui de huit ans, il mit les mains sur ses yeux, et me dit: «Encore un avertissement, ma chère enfant; savez-vous si mon frère a retrouvé sa mémoire avant de mourir?—Non, Monsieur, malheureusement.» Il reprit alors, avec une extrême tristesse: «Savez-vous que c'est affreux de tomber ainsi, de la vie la plus mondaine dans l'enfance, et de l'enfance dans la mort?»
«Cette pénible secousse ne ralentit pas les progrès de sa santé, et nous pûmes le croire rendu à la vie. Je le remarque avec d'autant plus de soin, que ce fut le moment où toute idée de fin prochaine s'était éloignée, qu'il choisit pour s'occuper sérieusement de sa soumission au Pape; il rédigea un projet de déclaration, sans m'en parler; c'était comme une agréable surprise qu'il voulait me ménager. Un jour où il me vit prête à aller à Conflans, chez M. de Quélen, il tira du tiroir de son bureau, celui-là même sur lequel j'écris en ce moment, une feuille de papier, écrite des deux côtés, et raturée, même, en plusieurs endroits. «Tenez», me dit-il, «voici quelque chose qui vous fera bien recevoir là où vous allez, vous me direz ce qu'en pensera M. l'Archevêque.» A mon retour, je lui dis que ce papier avait vivement touché M. de Quélen; mais qu'il désirait que les sentiments qui y étaient exprimés fussent présentés sous une forme plus canonique, et qu'il comptait lui envoyer dans peu de jours la formule ecclésiastique.
«Vous savez, mieux que personne, Monsieur, que c'est en effet ainsi que les choses se sont accomplies. 244 M. de Talleyrand me parla aussi, le même jour, de son intention d'écrire une lettre explicative au Pape, en lui adressant sa déclaration. Il entra dans beaucoup de détails, et appuya sur sa volonté de parler de Pauline dans cette lettre. Il finit par un mot, qui a, ce me semble, une grande portée: «Ce que je ferai devra être daté de la semaine de mon discours à l'Académie; je ne veux pas qu'on puisse dire que j'étais en enfance.» Cette pensée s'est reproduite sur son lit de mort, et a reçu son exécution, comme il le désirait.
«Mais je m'arrête ici. Quelque riche que soit le sujet, votre récit en contient tous les détails; d'ailleurs, dans la maladie de mon oncle, je n'ai été que sa garde-malade, et mon action s'est bornée, du reste, à réclamer votre consolante présence, Monsieur l'Abbé, et à obéir à mon oncle, en lui lisant les deux pièces pour Rome, avant qu'il y mît sa signature. J'ai eu la force de faire cette lecture, avec lenteur et gravité, parce que je ne voulais, ni ne devais rien ôter au mérite de son action. Il fallait qu'il pût se rendre parfaitement compte de ce qu'il allait accomplir. Ses facultés étaient, Dieu en soit loué, trop intactes, son attention trop présente, pour qu'une lecture troublée, précipitée eût pu le satisfaire; je devais justifier sa touchante confiance, qui lui avait fait désirer que ce fût moi qui lui fisse cette lecture importante; je ne le pouvais que par la fermeté et la clarté de mon accent. C'était lui laisser, jusqu'à la dernière minute, avec la connaissance exacte de la chose, pleinement son libre arbitre. C'est dans cet effort difficile que j'ai puisé la parfaite indifférence que j'ai 245 opposée, depuis, aux doutes, aux attaques et aux calomnies dont j'ai été l'objet.
«Non, je puis le dire devant Dieu, il n'y a eu ni ignorance, ni faiblesse de la part de M. de Talleyrand; ni obsession, ni abus de confiance de la mienne. Sa généreuse nature, les souvenirs de sa première jeunesse, les traditions de sa famille, les nombreux enseignements d'une longue carrière, les exemples de Pauline, quelques éclaircissements que je fus chargée de lui donner, la confiance que vous sûtes lui inspirer, la révélation que chacun trouve à la porte du tombeau, et, avant tout, les grâces infinies d'une miséricordieuse Providence, voilà ce qui nous a permis de l'honorer aussi sincèrement dans la mort que nous l'aimions dans la vie.
«Entraînée par un sujet qui m'est cher, j'ai dépassé les limites que, d'abord, je m'étais tracées; mais je ne crains pas de vous avoir fatigué, en ramenant votre attention sur des souvenirs, qui, je le sais, vous sont précieux, et qui ont, à mes yeux, le mérite particulier d'avoir établi, Monsieur l'Abbé, entre vous et moi, un lien que rien ne saurait rompre ni affaiblir.»
«Duchesse DE TALLEYRAND,
princesse DE COURLANDE.»
Heidelberg, 27 août 1838.—Je suis ici depuis hier soir avec ma fille. Ma sœur, la duchesse de Sagan, y était depuis la veille. Ce matin, à six heures, fidèle à mes habitudes 246 de Bade, je suis sortie, pendant que ma sœur et ma fille dormaient encore, et, cherchant à retrouver mes souvenirs, j'ai gagné le pont, je me suis arrêtée devant la statue de l'Électeur Charles-Théodore, j'ai été sur l'autre rive et me suis promenée sur les bords du Neckar pendant trois quarts d'heure, ayant, à ma droite, la ville dominée par le vieux château. Ce joli paysage qui, par le cours de l'eau, la situation de la ville, et même la nature de la culture, m'a rappelé les coteaux d'Amboise et ma chère Loire, était fort gracieusement éclairé par les rayons brisés du soleil, qui luttait contre de légers nuages.
Je sais, maintenant, qui est l'auteur de l'article sur M. de Talleyrand, paru dans la Gazette d'Augsbourg. Ma sœur l'a lu en manuscrit. C'est le ministre Schulenbourg, qui est homme d'esprit, qui a beaucoup connu jadis M. de Talleyrand; il est l'ami de la vicomtesse de Laval, et a revu, chez elle, M. de Talleyrand, lorsqu'il est venu à Paris, il y a dix-huit mois. Il tient à ce qu'on ne sache pas qu'il a écrit cet article.
Paris, 6 septembre 1838.—Je suis ici depuis avant-hier. J'y ai trouvé une lettre qui me dit que, sur le refus de M. Molé de faire alliance avec M. Guizot, celui-ci avait fait son traité avec M. Thiers: le premier arriverait à la présidence de la Chambre des Députés, l'autre serait premier Ministre; tout cela devrait éclater et s'arranger à la discussion de l'Adresse. Je ne garantis pas ma version. Le Roi est à la ville d'Eu et je ne verrai la Cour qu'à mon retour.
247 Je suis à la fin du dernier ouvrage de Villemain [103]. Le premier chapitre du second volume est sur Montesquieu, le deuxième est une analyse détaillée de l'Esprit des lois, fort au-dessus de ma portée; les chapitres suivants sont consacrés à passer en revue toute la mauvaise philosophie du dix-huitième siècle, dans ses prophètes, ses sectateurs et ses prôneurs; la fin du volume est consacré à Rousseau, au charme duquel Villemain me paraît trop visiblement soumis. Je n'ai aucune indulgence pour Rousseau, car c'était un hypocrite; le cynisme de M. de Voltaire est, peut-être, moins révoltant. Ce qui est sûr, c'est qu'il y a moins de mauvaises actions positives à citer de Voltaire que de Rousseau, et le talent, à lui seul, ne doit pas plus justifier l'un que l'autre.
Mes enfants m'écrivent, de Valençay, que le concours, pour la cérémonie des funérailles, est prodigieux [104]: depuis Blois, le convoi a trouvé partout les populations sur pied, dans un grand recueillement, et, à la nuit, tous les habitants des villages avec des torches. Sur la voiture contenant le cercueil de M. de Talleyrand et celui de ma petite-fille Yolande, étaient Hélie et Péan [105]: dans une calèche de suite, mon fils Alexandre; tout le clergé des environs offrait ses services. Mon fils Valençay 248 m'envoie le programme de la cérémonie même, qui me paraît fort bien entendu. J'approuve, surtout, une très large distribution de secours aux pauvres; il ne faut jamais les oublier, ni dans les peines, ni dans les plaisirs.
Avant de partir d'ici, on a fait garnir le cercueil de M. de Talleyrand de velours noir, avec des clous d'argent; il portait un écusson avec ses armoiries, ses noms et ses titres; le cercueil de Yolande a été couvert de velours blanc. On dit que rien n'était plus imposant que l'arrivée du char funéraire dans la cour du château de Valençay, à dix heures du soir, éclairée par le plus magnifique clair de lune. Un silence profond, pas un bruit qui interrompît le seul bruit du char, passant, au pas, sur le pont-levis. Les corps ont passé la nuit dans l'église, entourés des prières du clergé. Le cercueil du duc de Talleyrand, accompagné du médecin qui l'a soigné, était arrivé deux heures plus tard.
Paris, 7 septembre 1838.—La princesse de Lieven, que j'ai vue hier, m'a dit qu'elle ne recevait plus du tout de lettres de son mari. Elle m'a fort questionnée sur ce que j'aurais pu apprendre en Allemagne, de son Empereur, qu'elle hait, je crois, au fond, autant que peuvent le haïr les habitants de Varsovie, mais si elle se retrouvait sous sa griffe, ou seulement hors de France, elle ferait le plongeon à l'égal d'une vieille barbe moscovite. Elle m'a dit qu'à Münich, l'Empereur Nicolas avait fait une sortie violente au Ministre de Russie, sur les frais 249 énormes que celui-ci avait faits pour la réception de l'Impératrice, disant: «Vous voulez donc encore augmenter notre impopularité?» Elle a beaucoup insisté sur le peu de ménagements physiques du père pour le fils, ajoutant, à la rapidité du voyage et au peu de nourriture qu'il lui laisse prendre en route, de faire tenir, au Grand Duc, ses jambes constamment hors de la calèche, par quelque temps qu'il fasse, pour ne pas gêner celles de son père!
On m'assure que la Reine Victoria, qui s'est montrée si désireuse d'échapper au joug maternel, tend à se soustraire aussi maintenant à l'influence de son oncle, le Roi Léopold.
Les Flahaut ont tenu les plus vilains propos, à Londres, sur les Tuileries, et les Tuileries le savent.
La France a abandonné la Belgique, dans la négociation qui se suit à Londres, et la force à céder sur toutes les dispositions territoriales, mais elle la soutient sur celle d'argent, et il y a, entre le chiffre de Léopold et celui du Roi Guillaume, une différence de seize millions! Les puissances veulent faire une cote mal taillée, Léopold s'y refuse et ne lâchera son Limbourg que contre des écus.
En Espagne, la Reine Christine trafique de tout et se fait donner de l'argent pour chaque place qu'elle accorde. Elle ne songe qu'à amasser de l'argent, et à le dépenser tranquillement, hors d'Espagne, ce qui pourrait bien lui arriver promptement; sa sœur qui, par son esprit pratique, a déjà pris un certain ascendant ici, et qui pourrait 250 bien marier la plus jolie de ses filles à M. le duc de Nemours, est en pleine intrigue contre elle.
M. Thiers a passé trois heures avec M. de Metternich, près de Côme, et, dans cet entretien, s'est montré fort détaché de l'Espagne. Néanmoins, on ne s'est pas pris, et les préventions sont restées les mêmes.
Bonnétable, 17 septembre 1838.—Je suis arrivée, hier, dans ce lieu singulier, une heure avant le dîner; le pays est très joli, mais le château au bout d'une petite ville, sans autre vue que celle de la grande route qui longe les fossés. C'est un vieux manoir à grosses tourelles, à murs épais, à fenêtres rares et étroites; peu meublé, point orné, mais solide, propre, et où le nécessaire en tout genre se trouve, depuis l'aumônier jusqu'à une bassinoire. La maîtresse de la maison, active, agissante, de bonne humeur, répandant autour d'elle avec grande intelligence les œuvres les plus utilement charitables, menant réellement la vie des veuves chrétiennes, dont parle saint Jérôme. Enfin, il est permis de se croire ici dans un pays bien loin de la France, et dans un tout autre siècle que le dix-neuvième. La prière du soir, qui se fait en commun, à neuf heures, dans la chapelle, et qui est dite, à haute voix, par la duchesse Mathieu de Montmorency elle-même, m'a fort touchée; la prière, surtout, pour le repos des trépassés, prononcée par une personne qui a survécu à tous ses parents, plus âgés, contemporains et plus jeunes qu'elle, qui reste seule, sans ascendants, ni descendants, avait quelque chose de bien triste. Cet 251 autre être isolé, la pauvre Zoé [106], répondant aux litanies, complétait le tableau et l'impression, qui m'ont été au cœur. Tous les domestiques y assistent. Il est impossible d'avoir sous les yeux un spectacle plus édifiant que celui qu'offre cette vieille et grande maison. Son origine est fort noble: elle est venue à la duchesse par les Luynes, qui, par mariage, en avaient hérité de la duchesse de Nemours, dont l'un d'entre eux avait épousé la nièce.
Bonnétable, 18 septembre 1838.—Si le temps n'était pas très humide, je ne me déplairais pas dans ce lieu, qui ne ressemble à aucun autre; la messe réunit toute la maison chaque matin à dix heures; on ne déjeune qu'à onze, il reste une demi-heure pour se promener dans les fossés desséchés et plantés par les soins de la Duchesse, qui, de plus, nous a promenées dans ses potagers et dans tout son singulier manoir. Après le déjeuner, nous avons travaillé autour d'une table, à un tapis d'autel. M. le Prieur a fait la lecture des journaux. A une heure, nous avons été visiter le très bel hospice et les écoles fondées par la Duchesse: tout y est parfaitement entendu, et beaucoup plus soigné qu'au Château; six lits d'hommes, six lits de femmes, un pensionnat interne de douze jeunes filles, des classes d'externes et d'indigentes; une grande pharmacie; tout y est réuni avec les dépendances nécessaires. Huit 252 Sœurs desservent l'établissement; c'est vraiment très beau. La Duchesse nous a fait monter, ensuite, dans une vieille voiture dont la doublure était mangée aux vers, mais qui était traînée par quatre jolis chevaux menés à grandes guides, fort adroitement, par un des cochers de Charles X. Tout est contraste dans Mme de Montmorency. Elle a hérité de sa mère le goût des chevaux, et ne se refuse pas de le satisfaire; elle n'a pas celui des voitures et il lui est égal que le carrosse dépare les chevaux. Traînées ainsi, nous avons atteint, par de fort mauvais chemins, une magnifique forêt, toute en futaies, dont les beaux arbres ne se coupent que tous les cent ans; c'est vraiment superbe. Au centre de cette forêt, où six routes aboutissent à un carrefour, il y a une immense clairière. La Duchesse y a fait construire une faïencerie, avec toutes les dépendances nécessaires; c'est presque un village. Elle y a dépensé beaucoup d'argent, et convient elle-même qu'il n'est pas très lucrativement placé, mais elle y occupe soixante-huit personnes, et s'est créé là un joli but de promenade et une occupation de plus. J'ai fait quelques emplettes et Pauline s'est amusée à voir mouler, chauffer, peindre et émailler cette faïence.
Après dîner, il est venu des Curés en visite, pendant que nous brodions, comme après le déjeuner, la conversation roulant sur les intérêts de localité; puis la prière, le bonsoir et le sommeil.
Bonnétable, 19 septembre 1838.—Il a plu, hier, pendant tout le jour; personne n'est sorti que les Curés allant 253 à la retraite du Mans, et qui s'étaient arrêtés ici pour saluer Mme la Duchesse; les Sœurs sont aussi venues prendre ses ordres. La Duchesse est de très bonne humeur; elle a le don de raconter, et a très bien soutenu la conversation, pendant une longue journée, sans que jamais la moindre médisance se fasse jour dans son entretien. Quand je suis descendue chez moi, elle m'a prêté le livre manuscrit de ses pensées: elle écrit à merveille, et, dans ses écrits, il y a une richesse et une diversité de formes étonnantes; les épanchements de son cœur, depuis la mort de son mari, sont particulièrement touchants, et révèlent une tendresse que son aspect extérieur ne laisserait pas deviner. Je vais la quitter, pénétrée de son bon accueil, de ses vertus, et du bel exemple qu'elle donne ici.
Rochecotte, 27 septembre 1838.—J'ai reçu, hier, la nouvelle la plus inattendue, et qui m'a profondément touchée: Mme de Broglie, morte d'une fièvre cérébrale; elle, si jeune encore, du moins pour mourir; un an de moins que moi! si belle, si saine, si heureuse, si utile, si distinguée, si comptée! Enlevée en une petite semaine, mais préparée par sa persévérante vertu. La surprise n'a pas été pour elle!
Presqu'au même jour mourait, non moins vite, au milieu des dissipations d'une vie trop mondaine, lady Élisabeth Harcourt, du même âge, belle aussi, et, je crois, nullement préparée au terrible passage.
Avec la mort de mon beau-frère, le prince de Hohenzollern-Hechingen, 254 cela en fait trois que j'apprends depuis huit jours que je suis ici. Le mois dernier, Anatole de Talleyrand; au mois de juillet, Mme de Laval; le 17 mai, M. de Talleyrand; le 28 avril, mon beau-père; au mois de mars, mon oncle Medem. En moins de sept mois, huit personnes qui disparaissent, de celles qui me tenaient par les liens du sang, de l'amitié ou des relations du monde! La mort me cerne de toutes parts, et je ne sais plus me fier, ni à la fraîcheur de ma fille, ni aux soins que prennent les autres. Il n'y a que la bonté de Dieu qu'on puisse croire infaillible, et c'est à sa miséricorde infinie qu'il faut se remettre, et confier ce qu'on aime.
Les deux derniers jours de sa vie, Mme de Broglie a eu le délire, pendant lequel elle chantait des psaumes, à si haute voix qu'on l'entendait d'un bout du château de Broglie à l'autre; et quand elle ne chantait pas, elle parlait à son frère et à sa fille, morts depuis des années.
Valençay, 3 octobre 1838.—Me voici dans ce beau lieu, si riche de souvenirs, si dépouillé de vie et de mouvement. J'y suis arrivé hier, par le clair de lune qui lui sied si bien, et que M. de Talleyrand nous faisait toujours tant admirer. Nous n'avons pas fait trop bon voyage: des voitures cassées, des chevaux abattus, de mauvais postillons, des harnais déchirés, des routes abominables, précisément parce qu'on les répare ou qu'elles sont en construction, enfin, une série de petits accidents qui nous a inquiétés, contrariés et retardés. Carlos, le vieux chien de M. de Talleyrand, était d'une agitation inexprimable à 255 notre arrivée, tirant Mlle Henriette par sa robe, ayant l'air de dire: «Venez chercher avec moi celui qui manque.»
Paris, 9 octobre 1838.—Me voici rentrée dans Paris, dont je ne puis dissimuler que le séjour m'accable de tristesse plus que jamais. Que je regrette mes ouvriers, mon jardin, le doux ciel de Touraine, la quiétude de la campagne, le repos des champs, le loisir des pensées et du recueillement, dont mille affaires et tracas me privent incessamment ici!
Paris, 12 octobre 1838.—J'ai été, hier, au couvent du Sacré-Cœur, où je suis restée longtemps avec M. l'Archevêque de Paris: il m'a donné la traduction exacte du bref de sécularisation de Pie VII à M. de Talleyrand. Il est curieux, et prouve que si M. de Talleyrand, avec la nonchalance qui lui était naturelle, avait égaré le texte, le sens général lui était resté présent, et qu'il avait des motifs pour dire que Rome, sans se mettre en contradiction avec elle-même, ne pouvait pas se montrer trop exigeante. Cependant, ce bref ayant précédé le mariage de M. de Talleyrand, et l'Église ne l'autorisant pas, il y avait réellement nécessité d'une rétractation: elle s'est faite, in verba generalia, comme l'admettait Rome; ainsi chacun doit être satisfait.
Rentrée chez moi, j'ai fait fermer ma porte, pendant la soirée, et je me suis occupée à mettre quelque ordre dans les papiers que j'ai trouvés chez M. de Talleyrand: 256 je ferai cela peu à peu, car j'ai senti que cela me causait une très vive émotion. Je suis tombée, par exemple, sur un billet que M. de Talleyrand m'écrivait, de sa chambre à la mienne, le 6 février 1837 [107], et où il me dit qu'à son heure suprême, sa seule inquiétude sera mon avenir et mon bonheur. On ne saurait croire combien ce petit chiffon de papier m'a troublée!
Paris, 13 octobre 1838.—M. de Montrond est venu me voir hier. Il a fait le câlin et le gentil d'une manière marquée; cependant, comme il faut toujours que le bout de l'oreille passe, vers la fin de sa visite, pendant laquelle il n'avait été question que de ses regrets pour M. de Talleyrand, il m'a fait une phrase qui voulait dire ceci: «Allez-vous vous faire une dame du faubourg Saint-Germain?» J'ai pu répondre que je n'avais pas besoin de me faire telle chose, ou telle autre; que j'étais ce que j'étais, grande dame, indépendante, ne sacrifiant ni mes opinions aux uns, ni ma position aux autres; trop attachée à la mémoire de M. de Talleyrand pour ne pas l'être aux Tuileries, de trop bonne compagnie pour ne pas bien vivre avec ma famille et avec les gens de ma sorte. Il a répliqué que je n'avais pas oublié de rédiger comme M. de Talleyrand lui-même; puis, il s'est levé, m'a demandé, en me prenant la main, si je ne voulais pas être bonne pour lui, disant qu'il était seul au monde, qu'il avait bien envie de pouvoir me parler quelquefois de M. de Talleyrand, et 257 puis il s'est mis à pleurer, à pleurer comme un enfant. Je lui ai dit qu'il me trouverait toujours disposée à l'écouter et à lui répondre, quand il me parlerait de M. de Talleyrand; que c'était un sujet inépuisable et précieux pour moi. C'est singulier, la nature humaine, dans son extrême diversité et ses étonnants contrastes.
Paris, 17 octobre 1838.—Je n'ai encore eu que deux satisfactions depuis mon retour ici: celle de l'arrivée de mon fils, M. de Valençay, qui est si bon enfant pour moi, et une longue conversation avec l'abbé Dupanloup, qui a passé, hier, deux heures chez moi. Nos esprits se comprennent, et, ce qui mieux est, se devinent merveilleusement; nous en avons fait tous deux la remarque, par la coïncidence singulière et rapide de nos expressions. Il a un de ces esprits qui vont vite, et c'est en cela qu'il devait si bien convenir à M. de Talleyrand; c'est qu'avec lui, on ne s'embarrasse, on ne s'embourbe, on ne se ralentit jamais dans les idées intermédiaires; cette clarté de l'esprit n'est jamais accompagnée de sécheresse, parce qu'il a une âme très douce et extrêmement affectueuse. Mon long commerce avec M. de Talleyrand m'a rendue difficile pour celui de tout le reste du monde. Les esprits que je rencontre me semblent lents, diffus, arrêtés par les petits côtés; ils enrayent toujours, comme des gens qui descendent; j'ai passé ma vie à sentir qu'on poussait à la roue, comme des gens qui montaient. Du vivant de M. de Talleyrand, je n'étais pas si difficile pour l'esprit et la conversation des autres, parce que j'étais, d'une part, en 258 pleine jouissance du mien avec lui, et peut-être aussi parce que j'avais, quelquefois, besoin de me reposer dans quelque chose de plus terne; mais aujourd'hui, je me sens, moralement, gagnée par ce que les Anglais appellent creasing palsy. Enfin, hier, j'ai un peu secoué mes ailes, et cela m'a fait du bien: je me suis plainte à lui du décousu de mon existence, de la langueur et de l'ennui qui succédaient en moi à une tension excessive. Il m'a parlé de mes lectures, et m'a dit qu'il croyait que je prendrais un goût infini aux Pères de l'Église. Il m'a promis de m'en faire faire un petit cours, en m'indiquant ce qui pouvait être à ma portée. Il n'est pas un convertisseur prêcheur, inquisitif, indiscret; c'est un homme aimable, de beaucoup d'esprit, et d'une âme pure et élevée, plein de mesure et de discrétion, qui ne peut avoir qu'une influence sage, douce, sans excès.
Paris, 18 octobre 1838.—La princesse Chrétien de Danemark, qui est en ce moment à Carlsruhe, n'est plus jeune; mais il y a quinze ans, lorsqu'elle vint à Paris, elle était encore fort bien, surtout un teint, des cheveux et des épaules admirables; les traits étaient moins frappants, et c'est ce qui reste le plus longtemps. Je sais qu'elle et son mari sont restés très bienveillants pour la famille Royale actuelle de France. La princesse Chrétien est la petite-fille de la malheureuse reine Mathilde de Danemark. La première femme du prince Chrétien [108] était une folle 259 dont les mœurs sont horribles. Elle a été se réfugier et se faire catholique à Rome, où elle s'est jetée dans les plus ridicules momeries. Son mari l'adorait, et si le roi de Danemark n'avait pas exigé son éloignement, le prince Chrétien serait resté sous le joug; il est même en correspondance avec elle, et n'a jamais cessé de la regretter. La princesse Chrétien actuelle, quoique plus belle, est parfaitement sage, mais n'a jamais eu de crédit sur son mari, ce qui tient, dit-on, à ce qu'elle n'a point d'enfants. La première femme est mère de ce prince Frédéric, exilé en Jutland.
Paris, 20 octobre 1838.—J'ai été, hier, avec Pauline, à la Comédie-Française, pour entendre Mlle Rachel, qui fait tant de bruit en ce moment. Je n'ai pas du tout été enchantée: ils jouent tous très mal, Mlle Rachel moins mal que les autres, voilà tout. On donnait Andromaque, elle jouait le rôle d'Hermione; l'ironie, le dépit et le dédain! Elle s'en est tirée avec justesse et intelligence, mais elle n'a point de tendresse, point d'entraînement; son son de voix est grêle, elle n'est ni laide ni belle, elle est fort jeune, et pourrait devenir très bonne, si elle avait de bons modèles. Le reste est trop pitoyable! Je me suis ennuyée, et suis rentrée fort engourdie.
Paris, 21 octobre 1838.—La duchesse de Palmella, 260 que j'ai vue hier, m'a dit une chose singulière. C'est que le duc de Leuchtenberg, premier mari de la reine doña Maria, n'avait jamais été son mari, et que le scorbut dont il était atteint en arrivant en Portugal le rendait infect, et dégoûtait fort sa femme, qui adore le petit Cobourg: elle est grosse et au moment d'accoucher.
J'ai été, avec Pauline, chez Mme la duchesse d'Orléans, qui m'a paru très bien remise de ses couches et dont l'enfant, qu'elle a eu la bonté de nous montrer, est vraiment charmant. Elle en est fière et elle a raison.
Nous sommes revenues chez nous pour une audience que me donnait l'infante Carlotta, la femme de don Francisco; ils demeurent tous deux, comme moi, dans l'hôtel Galliffet [109]. Par exemple, cette audience était curieuse: l'Infante est beaucoup plus forte que Mme de Zea, à la vérité plus grande, très blonde, avec une figure fade et cependant dure, avec un parler rude; je me suis sentie très mal à l'aise à côté d'elle, quoiqu'elle ait été très polie. Son mari a l'air d'une chenille rousse, et la cohorte de petits Infants et de petites Infantes, plus abominables les uns que les autres. L'aînée des Princesses est bien élevée, causante, et s'est gracieusement occupée de Pauline. Mon Dieu que cette Infante serait, ce me semble, une incommode souveraine!
Paris, 31 octobre 1838.—J'ai beaucoup vu, dans ces 261 derniers jours, la comtesse de Castellane; elle ne me parle que d'une seule chose, qu'elle désire, et pour laquelle elle se remue d'une manière incroyable! Je ne saurais m'en plaindre, puisque cela prouve le cas qu'on fait de ma fille, qu'elle veut marier avec le jeune Henri de Castellane. J'ai été, hier, consulter à cet égard Mgr l'Archevêque, qui, ainsi que l'abbé Dupanloup, me paraît trouver que, de tout ce dont il a été question jusqu'à présent, Henri de Castellane offrirait, par son mérite personnel, le plus de chances de bonheur intérieur. Ils disent, tous deux, que Pauline doit seule choisir, et cela après examen. Pour examiner, il faut connaître; pour connaître, il faut voir; pour voir, il faut se rencontrer; et me voici arrivée à cette nouvelle phase de la vie, où il me faut admettre dans mon intérieur un jeune homme, afin de voir ce qu'il vaut. Je connais personnellement M. de Castellane depuis de longues années, mais je l'ai longtemps perdu de vue; d'ailleurs, ce n'est pas moi qui l'épouserai, c'est Pauline. Il a de l'esprit et de l'instruction, il est laborieux, je le crois ambitieux; il est très rangé, fort poli; vit assez retiré, mais quand il va dans le monde, ce n'est que dans la meilleure compagnie; il est bon fils et bon frère; il a un beau nom, très beau même, mais ni titre présent, ni avenir; peu d'entourage de famille, et désirant (avec un ménage séparé) demeurer cependant à Paris dans la même maison que moi; respectueux pour sa mère, mais sans confiance avec elle; désirant une femme dévote, sans être pratiquant lui-même: vingt mille livres de rente en se mariant, trente de plus après sa 262 grand'mère et sa mère; avec un oncle sans enfants, possesseur de quarante-deux millions: cet oncle ne veut ni donner, ni promettre, ni assurer rien en ce moment, mais il désire très vivement ce mariage, et, comme il est la bizarrerie même, il peut, un jour, faire dans une proportion énorme. L'abbé Dupanloup m'a conseillé d'en parler à Pauline tout naturellement, ainsi que des autres propositions qu'on m'a faites pour elle. Jules de Clermont-Tonnerre lui déplaît, elle trouve qu'il a l'air commun. Le duc de Saulx-Tavannes lui fait horreur; en effet, il a la tournure d'un éléphant, et, de plus, il y a de tous côtés folie dans sa famille. Le duc de Guiche n'a pas dix-neuf ans, il est absolument sans fortune, avec une quantité de frères et sœurs, une mère assez sotte, et des parents toujours aux expédients. Le marquis de Biron, très riche, bon sujet, veuf sans enfant, mais bête, archi-bête, et carliste exagéré. Pauline qui a vu, dernièrement, deux fois, M. de Castellane, le trouve très bien; mais elle dit qu'elle veut le connaître davantage et s'assurer de ses principes et de sa foi. Je lui dis qu'il ne faut pas se presser, qu'elle peut très bien attendre, et que, d'ailleurs, je ne consentirai à l'accomplissement d'aucun mariage que les affaires ne soient terminées, les comptes de succession rendus et l'anniversaire du 17 mai passé. On comprend cela, mais on voudrait que, sans accomplir le mariage, les paroles fussent données avant. Je comprends aussi qu'on veuille s'assurer de Pauline, mais je ne trouve pas qu'il faille nous laisser juguler ainsi. Madame Adélaïde, qui a très peur que Pauline cesse, par son mariage, 263 d'aller aux Tuileries, désire beaucoup celui de M. Castellane; elle m'a fait dire qu'elle savait que M. de Talleyrand y avait pensé, ce qui est vrai, moins vivement cependant qu'à celui de M. de Mérode, que leurs arrangements de famille rend impossible. D'ailleurs, M. de Castellane plaît beaucoup mieux à Pauline que M. de Mérode. On m'a parlé aussi d'Elie de Gontaut, frère cadet du marquis de Saint-Blancard, mais c'est un jeune éventé, et qui, quoique riche, a excessivement l'attitude d'un cadet, ce qui ne plairait pas à Pauline. Enfin, c'est une rage d'épouseurs, et je ne sais auquel entendre. Ce qui, du reste, est vrai, et que j'établis beaucoup, c'est que c'est elle-même qui choisira [110].
264 La duchesse de Sagan, sœur aînée de la duchesse de Talleyrand, étant morte durant l'hiver de 1840, et sa succession offrant une suite de difficultés d'affaires, la duchesse de Talleyrand se décida à se rendre en Prusse, où elle n'était plus revenue depuis son mariage. Elle y fut accompagnée par son fils aîné, M. de Valençay, tandis que son correspondant, M. de Bacourt, nommé ministre de France aux États-Unis, allait prendre possession de son nouveau poste, à Washington, où il resta plusieurs années.
Amiens, 16 mai 1840.—Je ne puis dire avec quel effroi je me rends compte de mon départ de Paris, ce matin, et de la réalité de l'épreuve que nous allons entreprendre. Me voici courant vers l'Allemagne, pendant que vous allez vous embarquer pour l'Amérique!... [111]. Mais parlons de mon voyage d'aujourd'hui. Les chemins sont tirants, les postillons nous ont assez mal conduits, et nous ne sommes arrivés ici qu'à neuf heures du soir. J'ai beaucoup lu dans la Vie du cardinal Ximénès. C'est un livre sérieusement et sagement fait, correctement écrit, mais froid, et dans lequel on a quelque peine à avancer; 265 cette peine, je ne la regrette cependant pas, car je ne savais que très peu de choses de ce grand caractère, et il vaut la peine d'être étudié.
La campagne est belle, verte, fraîche; la végétation touffue et veloutée; nous avons eu un temps agréable, malgré quelques petites ondées. Je me suis dit, cependant, vingt fois, que le plus sot des métiers était celui de voyageur, emporté le long de ces interminables routes, secoué sur ce rude pavé, livré au bon plaisir des postillons, enfin, fuyant ceux que l'on aime, allant, le plus vite qu'on peut, vers des choses et des personnes qui ne sont rien au cœur, usant ainsi la vie, comme si elle devait être éternelle, et n'en comprenant la brièveté que lorsqu'elle est close.
Lille, 17 mai 1840.—Ce matin, avant de quitter Amiens, nous avons été à la messe dans la belle Cathédrale. C'est une date particulièrement grave pour moi que celle du 17 mai! J'ai eu quelque mérite à aller chercher la messe si loin de la demeure du recteur de l'Académie, M. Martin, chez lequel nous étions descendus; puis, il pleuvait beaucoup, les rues picardes sont bien sales et le pavé détestable!
La Cathédrale est vraiment superbe: conservation, élégance, hardiesse, tout s'y trouve réuni. Il n'y manque que des vitraux de couleur, le jour y est trop blanc. J'ai prié de tout mon cœur, pour les morts et pour les vivants, pour les voyageurs, pour ceux qui vont se confier à la mer, et parcourir des terres inconnues.
266 Pendant la route d'Amiens ici, j'ai lu le Diable boiteux, au mérite duquel je suis restée parfaitement insensible; les histoires y sont monotones et dépourvues d'intérêt, et ce ton habituel de moquerie et de satire, qui n'est pas soutenu par les beaux vers de Boileau, m'a été tout à fait déplaisant; enfin, c'est lu, et j'en suis bien aise. Je sais ce qu'est cet ouvrage, qui a eu une certaine réputation.
Nous avons été mieux menés qu'hier. On est allé aux informations pour organiser notre journée de demain, qui se compliquera du chemin de fer belge. Après la médiocrité d'Amiens et d'Arras, où j'ai pris un bouillon ce matin, Lille frappe comme une grosse, si ce n'est une grande ville; mais je dois avouer qu'en ce moment, ma curiosité de voyageuse est fort amortie, mon intérêt singulièrement éteint.
Liège, 18 mai 1840.—Nous avons été quatorze mortelles heures en route, de Lille ici, malgré le chemin de fer. A la vérité, pour en profiter, il faut faire un détour de vingt lieues, qui en diminue fort les avantages. De Courtrai, il faut remonter à Gand, rejoindre Malines et, par Louvain et Tirlemont, rejoindre Liège. On perd un temps énorme aux innombrables stations où on dépose et où on reprend des voyageurs. D'ailleurs, quand on a sa propre voiture, il faut encore beaucoup de temps pour la hisser et la redescendre, et il faut payer si cher, pour les voitures, que l'économie du chemin de fer est nulle. Sûrement, c'est une merveilleuse invention, et le mécanisme en est curieux à observer. Tout s'y fait avec une justesse 267 et un ordre parfaits; néanmoins, c'est, à mon gré, une maussade manière de voyager: on n'a le temps de rien voir; ainsi, nous avons dû longer les murs extérieurs de plusieurs villes que j'aurais eu du plaisir à regarder; on ne traverse même pas des villages, on va toujours tout droit à travers champs, sans autre événement que des tunnels froids et humides, dans lesquels la fumée de la locomotive s'engouffre de façon à vous étouffer. Pour peu que le vent ramène cette fumée, vous pouvez, en y joignant l'ébranlement de la machine, vous croire sur un bateau à vapeur. L'illusion a été d'autant plus grande pour moi que le mal de cœur et un certain étourdissement ne m'ont jamais quittée. Bref, j'arrive moulue, et de plus en plus en déplaisance des fatigues et ennuis de mon entreprise. A Menin, on nous a fait descendre de voiture, par une bise fort aigre, pour nous fouiller; ce n'est que l'examen à moitié achevé qu'on a demandé nos passeports. A l'inspection de nos qualités, comme a dit le douanier, il a arrêté l'ardeur de ses commis, et on nous a laissés partir. A propos de Menin, c'est la forteresse la plus soignée, la plus proprette et la mieux restaurée possible. Je croyais cependant que nos protocoles l'avaient condamnée à la destruction, me suis-je trompée?
Je suis fort en admiration de la richesse et de la culture de toute cette Belgique, et si j'avais pu satisfaire mon goût pour les vieux édifices, en visitant Gand, Malines, etc., cela m'aurait consolée.
Bergheim, 19 mai 1840.—La journée, de Liège à 268 Cologne, eût été trop longue; aussi nous couchons ici, dans une petite auberge bien propre, mais où, cependant, il n'y a pas moyen de se chauffer, quoiqu'il souffle une bise glaciale. C'est un peu dur de devoir se passer de feu, à moins de s'asphyxier par des poêles de fonte. Je suis, sans doute, une fille bien ingrate de l'Allemagne, car j'y découvre mille inconvénients matériels dont je ne me doutais pas jadis, et qui me déplaisent fort.
J'ai été bien frappée du ravissant pays qui conduit de Liège à Aix-la-Chapelle, par Verviers; le point de Chaudfontaine surtout est charmant. La route directe aurait été de prendre par Battice, mais elle est dégradée et abandonnée, et, de Liège, on nous a dirigés sur Verviers. La richesse, la grâce du paysage, le mouvement des usines, le cours des rivières, tout est particulièrement animé et agréable. Cette Belgique est matériellement un charmant petit royaume.
J'ai été frappée des changements d'Aix-la-Chapelle: quoique la saison des eaux n'y soit point encore commencée, tout y est animé au possible; beaucoup de belles boutiques, des maisons neuves; avec cela, je n'aimerais pas à y prendre les eaux, le lieu n'a rien de champêtre et les promenades sont trop éloignées. J'ai lu une grande partie, aujourd'hui, de l'Italie d'il y a cent ans, par le Président de Brosses. C'est écrit avec mouvement, gaieté, drôlerie, esprit, mais de l'esprit du dix-huitième siècle, et le cynisme qui lui est propre éclate à chaque page.
269 Cologne, 20 mai 1840.—Nous arrivons de si bonne heure ici que nous nous décidons à faire encore une dizaine de lieues aujourd'hui, après que nous aurons vu Mme de Binzer, changé notre argent et acheté de l'eau de Cologne. Comme il fait froid ici! La différence du climat devient de plus en plus sensible.
Elberfeld, 20 mai 1840.—Mme de Binzer est une personne fort laide, mais courageuse, spirituelle, pleine de talents et très dévouée. Elle avait passé la dernière année avec ma sœur, la duchesse de Sagan, et ne l'avait quittée que depuis six semaines lorsqu'elle a été frappée par la mort. Elle a beaucoup pleuré, en me parlant de ma sœur, et m'a assurée qu'il était heureux qu'elle eût terminé sa carrière, qu'elle était si triste, si ennuyée, si irritée, si dégoûtée de tout, que son humeur même s'était visiblement altérée; il paraît qu'elle avait des accès de vrai désespoir; elle a beaucoup souffert pendant les dernières semaines, et elle avait plus d'un pressentiment de sa fin. Elle a fait son testament, la veille de son dernier départ pour l'Italie, en cinq minutes, pendant qu'elle avait du monde chez elle, qui prenait le thé: elle l'a dit, au moment même, à Mme de Binzer, qui en est restée stupéfaite. Son intention était de le refaire, quand la mort est arrivée, pour se venger de n'avoir point été comptée en temps utile. Mme de Binzer était si peinée de notre rapide passage par Cologne, que je n'ai pas pu refuser de déjeuner chez elle. Elle demeure fort loin de l'auberge où j'étais descendue, ce qui m'a fait faire beaucoup de chemin 270 à pied, pour aller et venir, prolongé encore par des détours qu'elle a voulu me faire faire, pour me montrer la Bourse, ancienne et curieuse maison des Templiers; l'Hôtel de Ville, dont la tour et le portail sont curieux; la Cathédrale, que le Prince Royal de Prusse a prise sous sa protection, qu'on restaure, qu'on veut achever, et qui sera admirable. Nous nous sommes arrêtées un instant devant Sainte-Marie du Capitole, où Alpaïde, mère de Charles Martel, est enterrée; nous avons encore regardé deux maisons d'anciennes familles patriciennes du temps de la Hanse, et qui sont dans le style byzantin. Tout cela n'empêche pas que Cologne ne soit fort laid, et le Rhin pas beau du tout à l'endroit où nous l'avons traversé.
Nous sommes ici à douze lieues de Cologne, dans la plus jolie ville possible. Elle rappelle Verviers; le pays qui y conduit est joli aussi et tient un peu de la Belgique. Tout est propre, soigné, les routes prussiennes vraiment admirables; les postillons vont beaucoup mieux, les chevaux sont très bien tenus. Sous ce rapport, et sous beaucoup d'autres, ce pays-ci s'est métamorphosé remarquablement. Seulement les poêles de fonte, les lits et la nourriture me font du chagrin. On continue le chemin de fer, et on prétend le faire aller jusqu'à Berlin. On le poursuit avec une extrême activité, et, depuis Liège, on ne voit que terrassiers, travaux d'art, et, enfin, préparatifs pour ce sortilège.
Mersheden, 21 mai 1840.—Nous sommes arrivés à cinq heures à Arnberg; cela nous a semblé d'un peu trop bonne heure pour finir notre étape, nous avons poussé six 271 lieues plus loin, et nous voici dans une auberge, de village à la vérité, mais assez propre, et chez des gens obligeants. Nous aurions peut-être été plus grandement au relais suivant, mais je me suis fait conscience d'exposer plus longtemps les gens à l'horreur du temps; je n'en ai guère vu de plus déplorable: grêle, pluie, bourrasque, tempête, rien n'y manque. Malgré cela, j'ai remarqué que nous traversions un pays presque aussi joli que celui d'hier. Il m'a, par moments, rappelé la vallée de Bade, et celle, plus étroite, de Wildbad. Je lis toujours l'Italie du Président de Brosses, c'est assez amusant, mais cela n'attache pas. J'en vais copier deux passages, qui me paraissent convenir assez bien à notre vie actuelle: «En général, on a tant de mal et de sujets d'impatience dans un long voyage, qu'il ne faut pas, encore, se donner l'embarras des petites économies. Il est dur, à la vérité, d'être dupe; mais, pour le soulagement de l'amour-propre, il faut se dire qu'on ne l'est que volontairement et par paresse de se mettre en colère.» C'est là de la morale que je mets peut-être trop souvent en pratique! Voilà le second passage qui est aussi fait pour moi: «Il faut s'attendre, en pays étrangers, à avoir les yeux satisfaits et le cœur ennuyé; de l'amusement de curiosité tant qu'il vous plaira, mais des ressources de société, aucune; vous ne vivez qu'avec des gens pour qui vous êtes sans intérêt, comme ils le sont pour vous, et quelque aimables qu'ils soient, d'ailleurs, le moyen de se donner réciproquement la peine d'en prendre, quand on songe qu'on est prêt à se quitter pour ne se revoir jamais!»
272 Cassel, 22 mai 1840.—Le temps a été, aujourd'hui, tout aussi laid qu'il était hier, et le pays moins joli. Cassel est une aussi petite ville que Carlsruhe, et ayant encore moins l'air d'une résidence; les abords, surtout, sont très pauvres. Je n'ai admiré qu'une montagne couverte de chênes magnifiques, que nous avons été longtemps à monter et à descendre. Je souffre du froid à pleurer. Tout est si en retard, ici, que les lilas commencent à peine à fleurir.
En arrivant, je me suis fait donner les journaux, dans lesquels j'ai appris la tardive visite du Grand-Duc héréditaire de Russie, à Mannheim. Pauvre grande-duchesse Stéphanie! Il y a un an que pareille visite eût été un événement; aujourd'hui, ce n'est qu'une vaine politesse, qu'il aura fallu faire un effort pour recevoir gracieusement. La seule chose, importante pour moi, que j'ai apprise par la gazette, c'est la façon ouverte dont on parle du triste état de santé du Roi de Prusse. Cette maladie de langueur doit changer toutes les habitudes de la famille Royale, et de la société de Berlin. Je ne regretterai sûrement pas les fêtes, mais je serai peinée de ne pouvoir faire ma cour au Roi, qui a, jadis, été très bon pour mon enfance.
Nordhausen, 23 mai 1840.—Il n'a pas plu aujourd'hui, mais il fait aigre, et froid à croire qu'il va geler. Nous avons demain quarante et une lieues à faire jusqu'à Wittenberg; c'est rude et me paraît impraticable. Heureusement que nous sommes quittes des routes et des postillons 273 de la Hesse, restés fidèles aux anciens errements germaniques. En Prusse, postes et routes, tout est excellent; les villages, les populations, tout a un meilleur aspect; mais le pays, depuis vingt-quatre heures, sans être précisément laid, n'a plus l'air de richesse, ni l'agrément du paysage, qui m'avaient frappée de Lille à Arnberg.
Wittenberg, 24 mai 1840.—Quarante-deux lieues faites en vingt-quatre heures, dans un pays où on ne sait pas ce que c'est que de faire courir en avant, c'est vraiment fort bien aller!
Cette ville-ci est une ancienne connaissance de mon enfance; quand nous allions de Berlin en Saxe, et de Saxe à Berlin, Wittenberg était toujours la seconde couchée, car, à cette époque, les chaussées n'existaient pas, et on allait au petit pas, enfonçant dans des sables profonds; les vingt-sept lieues que j'espère faire, demain, en neuf ou dix heures, on employait deux journées à les parcourir. De Nordhausen ici le pays est laid, et les certaines forêts de sapins ont reparu. J'ai eu, décidément, un assez vilain berceau!
J'étais assez curieuse d'Eisleben et de Halle, que nous avons traversées. La première de ces villes est le lieu de naissance de Luther; sa maison est bien conservée, et on y a fait un petit musée de toutes sortes de choses se rapportant à lui et à la Réforme. Je n'ai vu que le dehors de cette maison, qui n'a pas de caractère, mais j'ai acheté à la porte une petite description d'Eisleben et de ses curiosités, qui m'a rendue fort érudite.
274 Halle est fort laid, malgré quelques gothicités devant lesquelles j'ai passé en voiture; d'ailleurs, ces villes à Université ont toujours un caractère particulier que leur donne cette foule de vilains étudiants bruyants et malappris, qui, de longues pipes à la bouche, font les badauds autour des voitures, et ont l'air tout prêts à donner des charivaris.
Berlin, 25 mai 1840.—La pluie a fait des siennes, pendant toute la journée; ce n'est pas rentrer dans sa ville natale sous d'agréables auspices. Heureusement qu'il n'y avait pas à regretter que le paysage ne fût pas bien éclairé, car, de Wittenberg ici, il est affreux. J'avais un peu oublié ma patrie, et j'ai été saisie de la trouver si laide! Cependant, je dois excepter le point de Potsdam qui est réellement joli. La rivière de la Havel y est vive et gracieuse, les coteaux boisés qui l'encaissent, couverts de fort jolies maisons de campagne. Potsdam même, qui n'est qu'une résidence d'été, a bien plus l'air d'une capitale que Cassel, Stuttgart ou Carlsruhe. Mais, à une demi-lieue de là, on retombe dans toutes les aridités et tristesses possibles, jusqu'à ce que l'on ait regagné les faubourgs de Berlin, qui, du côté par lequel nous sommes arrivés, m'ont vraiment surpris. C'est précisément un quartier anglais, avec des grilles en fer devant les maisons, et une multitude de jardins entre les grilles et les maisons, jardins petits, mais très soignés.
Berlin même est fort beau, mais si peu peuplé, et en fait de voitures, les fiacres y sont si dominants, que la tristesse y est le caractère principal. Je demeure à l'Hôtel 275 de Russie. En face est le Château, un joli pont, et le Musée à gauche; à droite, des quais. La vue est gaie; l'appartement, au premier, presque trop magnifique.
J'ai appris par M. de Wolff, mon homme d'affaires, que le Roi était dans un état qu'on regardait comme désespéré; qu'hier, il a demandé son fils aîné et lui a remis les affaires du gouvernement, ce qui a été une scène très touchante, assure-t-on. Le mal du Roi est un empâtement glaireux que rien ne peut vaincre. On dit aussi qu'à Berlin, où les médecins sont excellents, il a le déplorable privilège d'en avoir de très mauvais. Il ne peut plus se nourrir et dépérit visiblement, cependant on ne pense pas que sa mort soit imminente. Avant-hier, il a été jusqu'à sa fenêtre voir défiler la parade. Ceux qui l'ont aperçu ont été effrayés de son changement.
Toute la ville est dans la tristesse, et la famille Royale consternée. La princesse de Liegnitz est au moins aussi malade que le Roi, d'une gastrite intense, et on la croit fort menacée.
M. Bresson, qui vient de passer une heure chez moi, est consterné de l'état du Roi. Celui-ci ne veut voir que la princesse de Liegnitz, ses médecins et le prince de Wittgenstein. Il a vu le Prince Royal une minute, point ses autres enfants; il se sent, ou se dit trop faible pour voir plus de monde. On vient d'expédier un courrier à l'impératrice de Russie, pour l'empêcher de dépasser Varsovie, où elle doit arriver demain. Le Roi ne serait pas en état de supporter cette entrevue, encore moins les grandes scènes d'attendrissement que ne manquerait pas de faire 276 l'Empereur Nicolas; on dit, du reste, l'Impératrice dans le plus triste état. Ce sera un gros coup de cloche que cette mort qui approche, et il aura un bien grand retentissement de loin et de près.
Berlin, 26 mai 1840.—J'ai assez bien dormi; mon lit est un peu moins étroit et moins singulier que ceux que j'ai trouvés, depuis Cologne jusqu'ici. A moins de consentir à ne coucher que dans la plume uniquement, on ne trouve guère que des matelas minces et durs, cloués sur une planchette en sapin; la partie des couvertures est aussi singulière, et quant aux draps, ce sont des espèces de serviettes. J'en ai fait coudre plusieurs ensemble, et je suis ainsi parvenue à border mon lit. Mais, pour les couchers, on est décidément encore à l'état sauvage; c'est pire que pour la nourriture, qui a, cependant, ses bizarreries, mais qui, ici, au dire même de M. de Valençay, est bonne; quant à la propreté, elle est extrême; le mobilier est élégant, il y a des tapis partout, et les poêles de fonte sont remplacés par de bons poêles en faïence qui ne donnent aucune odeur et chauffent parfaitement. Il est seulement fâcheux de s'en servir le 26 mai. M. Bresson gémit terriblement contre le climat.
N'est-il pas singulier que je n'aie éprouvé aucune émotion en rentrant dans cette ville où je suis née, et où j'ai été, en grande partie, élevée? J'ai regardé avec la même curiosité qu'en passant par Cologne ou Cassel et voilà tout. Je ne me sens pour rien cette partialité patriotique, que j'ai si longtemps éprouvée pour l'Allemagne. Je me 277 sens absolument étrangère aux choses, aux personnes; complètement déracinée, parlant la langue avec une certaine hésitation, enfin, pas du tout at home; plutôt mal à l'aise, et honteuse de cette disposition. Il me semble que si je rentrais à Londres, il n'en serait pas de même. Je ne pense pas que j'y aurais de la joie, probablement j'y fondrais en larmes; mais enfin je serais émue, à peu près comme je le suis à Valençay. Je redoute moins ce qui me fait pleurer que ce qui me glace.
Tout se passe de si bonne heure, ici, qu'il faut être prête dès l'aurore; éveillée n'est rien, mais levée! J'en suis extrêmement fatiguée, plus qu'en voyage, parce qu'une fois casée dans ma voiture, qui est bien douce, je puis m'y reposer dans le silence, l'inaction et le sommeil; au lieu qu'ici, c'est différent.
Mon homme d'affaires de Silésie était à neuf heures chez moi. Il part ce soir, pour tout préparer pour mon arrivée. A onze heures, M. et Mme de Wolff sont venus. Ils m'ont dit que le duc de Cobourg était en marché, pour acheter au prince Pückler la terre de Muskau, pour sa sœur, la grande-duchesse Constantin, On dit que le jardin de Muskau est le plus beau de l'Allemagne. Ce n'est qu'à dix lieues de chez moi.
M. Bresson est venu, à midi, me dire qu'il y avait du mieux dans l'état du Roi, qui avait pu prendre un potage et faire le tour de sa chambre. Il m'a, en même temps, engagée à ne pas différer mes visites chez les grandes-maîtresses des Princesses.
Midi est l'heure élégante des visites ici! Je suis donc 278 partie, avec M. de Valençay. D'abord, chez la comtesse de Reede, au Château. Elle est la grande-maîtresse de la Princesse Royale et était l'amie intime de ma mère. Elle n'était point chez elle, non plus que la baronne de Lestocq, grande-maîtresse de la princesse Guillaume, belle-sœur du Roi. Nous sommes aussi allés chez la comtesse de Wincke, au palais du Roi, pour la princesse de Liegnitz. C'est une vieille Dame du palais de la feue Reine, dont il m'était resté, de mon enfance, quelque idée confuse. Elle nous a reçus; elle a un air de vieille grande dame qui m'a plu. La comtesse de Schweinitz, au nouveau palais du prince Guillaume, fils du Roi, nous a aussi reçus. La comtesse Kuhneim, au palais Teutonique, où demeure la princesse Charles de Prusse, était sortie.
Mme de Schweinitz m'a dit que le prince Guillaume devait partir demain pour aller au-devant de sa sœur, l'impératrice de Russie, et l'empêcher de venir ici. Nous avons aussi passé chez les Werther, ravis de parler de Paris, puis chez Mme de Perponcher, avec laquelle j'ai tant joué dans notre enfance. Elle n'y était pas.
Berlin est vraiment une fort belle ville. Les rues sont larges et alignées; les maisons grandes et régulières, force palais et beaux édifices; de belles places plantées, des jardins, des promenades; et cependant, c'est triste. On voit que la richesse manque, pour bien habiter et remplir le cadre. Les voitures des particuliers ressemblent à des fiacres, si bien que je m'y suis trompée: les chevaux, les livrées, tout cela est horriblement tenu.
Nous avons dîné, hier, chez M. Bresson, qui est parfaitement 279 logé, dans une maison qu'habitait jadis ma sœur, la duchesse d'Acerenza. L'appartement est beau, et fort bien meublé pour Berlin, mais absolument gâté par un horrible portrait du Roi des Français, dont la main est étendue sur une immense Charte: c'est une horreur! Les convives étaient M. de Humboldt, lord William Russell, et un M. de Loyère, attaché à la légation de France. M. de Humboldt, selon son usage, a parlé de toutes les rivières, de toutes les montagnes, de toutes les planètes, de l'univers enfin! Il n'a pas oublié le prochain, qu'il n'a pas traité avec une surabondante charité: la princesse Albert surtout m'a paru être fort mal dans ses papiers; elle n'est pas trop bien, non plus, dans ceux de M. Bresson. Lord William Russell est toujours aussi taciturne qu'un Russell doit l'être; il prétend ne pas se déplaire ici; ce qui le sépare de lady William lui convient toujours. Quant à M. Bresson, il s'ennuie à cœur ouvert: les neuf ans passés ici ont absolument épuisé sa patience. Je crois qu'il redoute beaucoup, pour sa position personnelle, la mort prochaine du Roi; il se plaint de l'action du climat, enfin il est tout à fait battu de l'oiseau.
Au milieu du dîner Bresson, la princesse Guillaume, belle-fille du Roi, m'a fait prier d'être à six heures et demie chez elle. Je m'y suis rendue; elle habite un charmant palais, admirablement bien arrangé; des serres ornées de marbres, des parquets magnifiques, de beaux meubles; enfin, c'est beau, et de fort bon goût. La Princesse était seule, et m'a reçue avec mille bonnes grâces. J'y suis restée très longtemps.
280 La façon dont on redoute, ici, les visites Impériales russes, est très curieuse. La famille Royale n'est occupée qu'à les éviter, et on prend mille biais pour cela; on en a peur comme d'un torrent dévastateur!
Je viens d'avoir la visite de Mme de Perponcher. Son bel air de reine et ses traits réguliers ont survécu à la jeunesse; elle a de l'esprit et une conversation animée.
Berlin, 27 mai 1840.—Un luxe charmant de Berlin, dans toutes les maisons neuves qui appartiennent à des gens considérables, ce sont les carreaux-glaces aux fenêtres; cela jette une clarté extrême dans les appartements, et donne, même au dehors, quelque chose de brillant aux façades.
J'ai été, ce matin, en audience particulière chez la Princesse Royale, qui habite une partie du Château proprement dit: son grand cabinet est beau et curieux. La Princesse est fort polie, un peu froide et timide, de beaux yeux bleus, un teint plombé, des traits forts et pas gracieux; elle boite un peu. La conversation s'est animée quand le Prince Royal est arrivé: il a été très cordial pour moi; il venait de chez le Roi, qu'il a trouvé sensiblement mieux, ce qui ranime tous les cœurs; le fond, cependant, reste grave.
J'ai dîné chez la princesse Guillaume, belle-fille du Roi; son mari a retardé son départ. Il y avait à dîner le Prince Royal et la Princesse, les deux princes de Würtemberg, fils du prince Paul, qui partent demain, pour aller à Hambourg, à la rencontre de leur sœur, la grande-duchesse 281 Hélène (celle-ci va à Ems, et puis en Italie); en outre, le prince Georges de Hesse, frère de la duchesse de Cambridge; un général russe et un officier anglais, venus assister aux manœuvres; Werther, sa femme et son fils, qui va à Paris faire l'intérim d'Arnim; le comte et la comtesse de Redern: elle est une héritière de Hambourg, parfaitement laide; elle a l'air d'une juive blonde, ce qui est doublement laid.
J'étais assise auprès du Prince Royal, qui m'a beaucoup questionnée sur Versailles, et s'est ensuite complu dans tous les souvenirs de notre enfance. Il est bien grossi et vieilli.
A sept heures du soir, j'étais commandée pour me rendre chez la princesse Albert, avec invitation d'y rester pour le thé et le souper. On ne saurait rien imaginer de si envahissant que la vie de Cour ici. Il n'y a qu'une très bonne condition, c'est qu'avant dix heures du soir, chacun est retiré; mais aussi, à dix heures, on est plus épuisé qu'on ne le serait à deux heures du matin à Paris!
Il me semble que de toutes les personnes d'ici que j'ai vues, celle qui m'inspire le plus de curiosité ou d'intérêt est la princesse Albert: dans la première minute, j'ai trouvé son visage long et étroit, sa bouche grande, le bas de son visage, quand elle rit, comme l'absence de sourcils, fort laid; mais, peu à peu, je m'y suis accoutumée, jusqu'à la trouver agréable; ses dents sont blanches, son rire gai et ses yeux vifs; sa taille est jolie; elle est grande comme moi; seulement, il est trop évident qu'elle se serre extrêmement, et cela se remarque d'autant plus qu'elle 282 est dans un mouvement perpétuel. Elle remue, gesticule, rit, s'agite, parle (et un peu à tort et à travers); elle ne traverse les salons qu'en courant et sautillant; ce n'est pas par la tenue et par la dignité qu'elle brille, mais à tout prendre, elle n'est pas déplaisante, et je crois, même, qu'elle doit plaire assez aux hommes. Elle a été très obligeante pour moi, mais avec un sans-gêne et une naïveté de questions, comme si elle m'avait toujours connue, donnant son petit coup de patte à droite et à gauche, à commencer par sa propre famille; elle m'a fort étonnée. Le fait est que c'est une enfant gâtée, accoutumée à tout faire, à tout dire, qui est, et qui passe ici, pour parfaitement ingouvernable: elle part pour La Haye, quand on aimerait à la voir rester ici, revient quand on la croit pour longtemps en Hollande; enfin, elle est étrange. Son mari est fort gringalet. Leur palais, joli à l'extérieur, m'a paru médiocre à l'intérieur. Il n'y avait, chez elle, que les princes de Würtemberg, Mme de Perponcher (elle ne peut, à cause de l'étiquette, recevoir M. de Perponcher, le Corps diplomatique étant banni de chez les Princes), M. de Liebermann, ministre de Prusse à Saint-Pétersbourg, et le Prince et la Princesse Guillaume, fils du Roi, qui sont arrivés tard.
Je ne puis qu'être reconnaissante de l'accueil que je reçois ici, mais le besoin de repos l'emporte sur toute autre considération, et je voudrais être déjà rentrée dans mon cher Rochecotte!
Berlin, 28 mai 1840.—J'ai été, ce matin, à l'audience 283 de la princesse Charles: elle a des traits charmants, une belle taille, le teint échauffé, les yeux battus, de belles manières, un langage doux et obligeant, le tout assez insignifiant, mais avec beaucoup de bienveillance. Son mari est tout simplement commun; il a en ce moment la rage des opérations, et assiste à toutes les nouvelles tentatives de la chirurgie: ce qui préoccupe tout Berlin, c'est le redressement des yeux par Dieffenbach. Sur deux cents cas, un seul a manqué, et par l'imprudence du patient. C'est fort ingénieux, et on afflue, de toutes parts, pour, de laid, devenir beau.
Ici, tout le monde se dit frappé de la ressemblance entre Mme de Lazareff et moi!
J'ai passé chez la princesse Pückler, la femme du voyageur; c'est une grande dame que la Cour soutient beaucoup; elle était sortie. Dans l'après-midi, j'ai été reçue par la princesse Guillaume, belle-sœur du Roi, qui a eu mille bontés pour moi: elle a été très belle, il lui reste encore grand air; elle est très avant dans la secte des Piétistes. Elle m'a fait connaître sa fille non mariée, jolie princesse de quinze ans, dont la physionomie m'a plu beaucoup [112].
La princesse Guillaume est la propre sœur de la grande-duchesse douairière de Mecklembourg, belle-mère de Mme la duchesse d'Orléans.
Je vais aller au théâtre, pour y voir un ballet, dans la loge de la comtesse de Redern, qui a insisté pour que 284 j'y fusse, puis je terminerai ma journée chez les Werther, qui donnent une soirée pour moi. Je suis absolument ahurie de la vie que je mène et qui est si parfaitement différente de la vie paresseuse que j'ai menée depuis deux ans.
Berlin, 29 mai 1840.—Le ballet est fort bon ici; le Roi y a pris grand intérêt, et donne, annuellement, cent vingt mille écus à l'Opéra, ce qui est beaucoup pour ce pays; il y a beaucoup de jolies danseuses; la salle est belle, l'orchestre excellent; je n'ai pu juger les chanteuses, n'étant arrivée qu'après l'opéra.
Chez les Werther, c'était un raout, comme tous les raouts; j'ai trouvé les femmes bien mises, peu jolies; le ton de la société un peu froid; l'uniforme, que les hommes au service militaire ne quittent pas, leur donne quelque chose d'un peu raide.
On était moins content de l'état du Roi hier; il avait eu une défaillance, après avoir montré une fantaisie de harengs qu'on s'était hâté de satisfaire. Cependant, les Princes étaient au spectacle. Les médecins disent toujours que ce n'est pas un état désespéré: c'est, entre autres, l'avis d'un docteur Schœnlein, qui vient d'être nommé, ici, professeur à l'Université. Il arrive de Zürich, précédé d'une très grande réputation; on a obtenu du Roi qu'il le vît en consultation. La princesse Frédéric des Pays-Bas est attendue: son père, dont elle est la favorite, désire autant la voir qu'il redoute les visites russes. La princesse Guillaume, belle-sœur du Roi, dont la fille aînée est mariée à Darmstadt, m'a dit que le grand-duc héréditaire de Russie 285 était fort épris de la princesse Marie, sa future, et qu'elle commençait, aussi, à l'être de lui.
Je devais dîner, aujourd'hui, chez le Prince Royal, mais le Roi ayant éprouvé une nouvelle défaillance, le Grand-Maréchal est venu me dire que le dîner n'aurait pas lieu. On est fort agité de cet état précaire du Roi; les uns par affection, les autres par respect ou par considérations politiques, personne, pas même le successeur, n'avait songé à se préparer à cette crise, et à la tristesse, se joint de l'embarras et de l'hésitation.
Berlin, 30 mai 1840.—J'ai fait, hier, dans la matinée, une promenade en voiture au Thiergarten, le Bois de Boulogne de Berlin; j'ai revu ce lieu, où pendant mon enfance, j'allais journellement faire une promenade de santé. C'est un fort joli bois, touchant aux portes de la ville, bien planté, en partie jardin anglais, bordé par la Sprée, rempli de jolies maisons de campagne. C'est la grande ressource de Berlin.
J'ai dîné chez lord William Russell, où j'ai entendu dire qu'il y avait une petite émotion ministérielle à Londres; mais cela ne signifie rien. Le Cabinet actuel est accoutumé aux échecs, comme Mithridate aux poisons.
Aujourd'hui, dans la matinée, M. de Humboldt est venu nous chercher, et nous a conduites, sa nièce, Mme de Bülow et moi, au Musée: il avait mis tous les directeurs, professeurs et artistes sous les armes. J'ai donc tout vu dans le plus grand détail; l'édifice est beau et bien entendu, les classifications parfaites et habiles, les lumières 286 très bien ménagées. Le Roi a fait, dans tous les genres, de fort belles acquisitions: un buste antique en basalte verdet, de Jules César, est une des plus belles choses que je connaisse. Le Musée est très riche en tableaux de l'ancienne école allemande; les vases étrusques sont de premier ordre; les faïences du quinzième siècle très curieuses; les pierres gravées, les médailles, dans un ordre parfait et dans un arrangement plein de goût. Ces messieurs, gens d'esprit et d'érudition artistique, m'en ont fait les honneurs avec une extrême politesse. J'y ai répondu par beaucoup de questions, et d'attention aux réponses; mais cela a duré trois heures, toujours debout; à la fin, je rendais l'âme.
J'ai été ensuite à un grand dîner chez M. Bresson. Au moment où je sortais pour me rendre à ce dîner, j'ai vu arriver le prince de Wittgenstein, chargé, par le Roi et la princesse de Liegnitz, de m'exprimer, en termes pleins de bonté, leurs regrets de ne pouvoir me voir. Le Roi était un peu moins mal, il avait pu voir la princesse Frédéric des Pays-Bas, sa fille chérie, qu'il avait fait demander par le télégraphe, et qui s'est hâtée d'accourir. Le prince de Wittgenstein a été des plus obligeants. C'est un gros personnage, mais bien accablé dans ce moment, car le danger du Roi le navre. Il est très bienveillant pour la France, et fort des amis de la princesse Guillaume, belle-fille du Roi, qui me comble de bontés.
Au dîner de M. Bresson, M. de Humboldt, comme de coutume, a dispensé les autres de parler, ce qui est très commode pour les paresseux comme moi. 287
Berlin, 31 mai 1840.—C'est aujourd'hui une journée très marquante dans le pays, et dont le Roi attend l'issue avec impatience. Le Grand-Électeur est monté sur le trône le 31 mai 1640; le Grand Frédéric le 31 mai 1740, et on assure qu'il y a une prédiction qui dit que le Prince Royal montera sur le trône le 31 mai 1840...
J'ai été à la messe, dans une église qui n'en est pas une; c'est un grand salon rond, voûté en une seule coupole, entouré de colonnes, et entre chaque colonne, une grande croisée. Rien n'est moins recueilli, moins catholique.
J'ai dîné chez le prince Radziwill, qui, après le dîner, m'a menée en haut, dans l'appartement de feu sa mère, où j'ai tant été dans mon enfance. On ne l'habite plus; il est exactement tel que je l'avais toujours connu. Il est impossible d'être plus affectueux que tous les Radziwill l'ont été pour moi. La fille de feu la Princesse a épousé le neveu du prince Adam Czartoryski; elle est déjà à la campagne. Les deux princes Radziwill ont épousé les deux sœurs, filles du prince Clary. Tout cela a force enfants, et vit, très heureusement réuni, dans la même maison.
J'étais rentrée chez moi, après le dîner, lorsque j'ai reçu un message de la princesse Guillaume (belle-fille du Roi) pour me prier de passer chez elle. J'y ai été; elle était seule, et m'a retenue à causer pendant une heure. Les nouvelles du Roi étaient assez tristes; il a dit à son premier valet de chambre qu'il était parfaitement sûr de n'en pas revenir, mais qu'il ne voulait plus parler de sa fin, pour ne pas affliger ses entours. On dit qu'il insiste pour être porté, demain, à la fenêtre de son appartement 288 au moment d'une grande solennité, fort annoncée, et dont il dirige, du fond de son lit, tous les préparatifs. Le Prince Royal, au nom du Roi, doit poser, à l'entrée de la promenade des Tilleuls, la première pierre d'un monument en l'honneur de Frédéric II. Toute la garnison, tous les corps de l'État, tout Berlin, doivent assister à cette cérémonie. Il y a des gradins élevés pour le public; mon fils et moi devons y assister du balcon de la princesse Guillaume, où se trouveront les Princesses.
Il y avait, hier soir, chez le prince de Wittgenstein où je suis allée, cette Mme de Krüdener, née Lerchenfeld, fille naturelle du feu comte de Lerchenfeld, et de la princesse de la Tour et Taxis; c'est elle qui, à Pétersbourg, était d'abord une favorite de l'Impératrice, et, après, fut un peu écartée, parce que l'Empereur paraissait la distinguer. Elle ressemble beaucoup à la feue Reine de Prusse, ce qui peut s'expliquer par la parenté, mais elle n'a pas son grand air; cependant, c'est une belle femme.
On m'écrit de Paris qu'on veut reconstituer la maison de l'Empereur Napoléon pour l'envoyer chercher ses cendres à Sainte-Hélène. On a demandé à Marchand, son valet de chambre, s'il voulait accompagner la mission. Il a d'abord hésité, puis a accepté, à la condition de manger à la table du prince de Joinville; pour le satisfaire, on l'a nommé capitaine d'état-major de la Garde nationale, et il part, et il mangera à la table du Prince! Je m'abstiens de réflexions!
Berlin, 1er juin 1840.—Je reviens de la cérémonie: 289 c'était, vraiment, très beau et très imposant. La pensée intime du danger du Roi, que chacun avait au fond du cœur, donnait quelque chose de singulièrement touchant et solennel à cette fête nationale, la dernière à laquelle le pauvre Roi assistait. Et encore, comment y assistait-il? Couché devant sa fenêtre. Heureusement qu'il faisait un temps moins désagréable que ces jours passés! Le Prince Royal a posé la première pierre du monument qui doit porter la statue équestre du Grand Frédéric. N'est-il pas singulier qu'il n'en existât encore aucune de lui à Berlin? L'anniversaire séculaire de son avènement était hier, mais comme c'était un dimanche, on en a remis la célébration à aujourd'hui. Chaque régiment de l'armée était représenté par un détachement. Vraiment, l'armée est superbe et d'une tenue admirable! En outre, les corps de l'État, les autorités, le Consistoire, un détachement de la Landwehr, des députations des corporations des arts et métiers, avec leur musique, entouraient la place qui est magnifique, et qu'on avait parfaitement décorée. Autour du monument, on voyait tous ceux qui avaient encore servi sous Frédéric II, dans leurs habits de l'époque, portant les drapeaux pris pendant la guerre de Sept ans. Le Roi s'était occupé lui-même de tous les détails de cette belle cérémonie et avait donné les ordres les plus positifs pour interdire toute manifestation qui lui fut personnelle, mais le respect silencieux et recueilli, l'ordre parfait et l'air triste des spectateurs, étaient assez significatifs et touchants. Au moment où on a descendu la première pierre, les canons ont tiré, les cloches ont sonné, les tambours 290 ont battu aux champs, et les vieux drapeaux, à moitié détruits, se sont inclinés. A ce moment, la majorité des spectateurs a fondu en larmes. Il ne faut rien chercher de tout cela dans l'hémisphère républicain, ni dans nos régions révolutionnaires!
J'ai vu, sur le balcon où j'étais, le prince Frédéric des Pays-Bas, qui m'a présentée à sa femme. Elle était dans un état vraiment attendrissant; elle n'est pas jolie, mais elle a l'air bien bon et naturel. Le jeune Grand-Duc héréditaire de Russie, qui est arrivé ce matin, était présent. Le Prince Royal de Prusse me l'a amené. On prétend qu'il est fort engraissé. En effet, je m'attendais à trouver un jeune homme très chétif, et il est le contraire; seulement, je n'aime pas son teint.
Berlin, 2 juin 1840.—Hier soir, j'ai été prendre le thé chez Mme de Perponcher, dont le salon est, à mon gré, le plus agréable de Berlin. Elle a beaucoup de conversation et de belles manières; avec cela, de la simplicité, de la mesure. Tout le monde s'empresse autour d'elle; la position de sa mère auprès de la Princesse Royale lui a été fort utile. J'ai su, là, que le Roi n'avait éprouvé aucun nouvel accident, ce qu'on redoutait beaucoup, à cause de l'émotion de la journée.
La suite du Grand-Duc héréditaire de Russie est logée dans le même hôtel que moi, aux frais du Roi; ils y font un vacarme effroyable et d'autant plus de consommation que cela ne leur coûte rien. Les Russes sont plus détestés, ici, qu'on ne saurait dire.
> 291 Berlin, 3 juin 1840.—Nous avons eu un grand dîner hier chez les Werther. On y disait le Roi mieux: il avait dormi, et se trouvait, moralement, soulagé d'avoir dépassé les dates fatales. Pendant le dîner, j'ai reçu un message de la jeune princesse Guillaume, pour m'inviter à passer chez elle après dîner, en toilette de promenade. Je m'y suis rendue, et nous sommes montées en calèche; elle m'a menée à Charlottenburg, qu'elle m'a montré en détail, en particulier le Pavillon que le Roi s'est fait construire et où il demeure de préférence. J'y ai vu, avec plaisir, les portraits des ducs d'Orléans et de Nemours, dessinés ici lors de leur passage, et que le Roi a acquis pour les placer dans son cabinet particulier. En revenant, la Princesse m'a retenue pour prendre le thé, j'ai été tout le temps seule avec elle.
Ce matin, au moment où je finissais de déjeuner, M. Bresson est venu nous annoncer que le Roi était à toute extrémité. Dans l'après-midi, je me suis arrêtée devant son palais. Il vivait encore, et même il avait repris assez de connaissance pour demander qu'on lui lût les journaux. La foule entoure le palais, beaucoup de gens fondent en larmes, le mouvement de la population est parfait.
Berlin, 4 juin 1840.—J'ai dîné, hier, chez M. Bresson avec la princesse Pückler qui part pour Muskau à la rencontre de son mari; il revient de Vienne, après six ans d'absence. Elle parle de lui avec admiration. C'est une petite vieille qui a de l'esprit, de l'intelligence, du tact; 292 elle a fait beaucoup parler d'elle dans différents genres.
Ce n'est que d'hier qu'on a publié des bulletins de la santé du Roi, qui doit être mort à l'heure où j'écris; jusque-là, il l'avait défendu. Je pense qu'il n'en a rien su hier. Il avait conservé toute sa tête, beaucoup de calme, de simplicité et de dignité.
Le Roi est encore, depuis la nuit dernière, dans une sorte d'agonie d'où il se tire quelquefois par quelques gouttes de café; il parle encore quelque peu, mais pas un seul mot de son état, dont il mesure cependant bien toute la gravité. Toute sa famille, même les petits-enfants sont réunis au palais; les Ministres également... Toujours même foule sur la place et même intérêt de la part de la population.
Berlin, 5 juin 1840.—Hier, à huit heures du soir, le Roi vivait encore. Il avait pris congé de ses enfants et remis solennellement son testament à ses Ministres, puis déclaré qu'il en avait fini avec le monde, qu'il ne voulait plus voir personne que la princesse de Liegnitz et le Pasteur, qu'il a fait demander, et ne plus s'occuper que des intérêts de sa conscience, et de la vie à venir.
Berlin, 6 juin 1840.—M. de Humboldt sort de chez moi; le Roi a eu une fièvre très violente cette nuit; il ne parle presque plus et paraît désintéressé de toutes choses. Mais quelle longue lutte chez un homme de soixante-dix ans! Tous les Mecklembourg arrivent; on frémit de voir 293 apparaître le duc de Cumberland, et l'Empereur Nicolas, malgré toutes les démarches faites pour l'éviter, sera ici demain. On veut, c'est évident, circonvenir le nouveau souverain, dès le début de son règne: c'est ce qui peut le plus lui nuire dans le public, qui, déjà, ne laisse pas d'avoir des appréhensions et de les manifester. Le moment est curieux à observer, et j'assiste peut-être aux semences de bien grands résultats.
J'ai voulu, tantôt, remplir ma promesse d'aller voir Mme de Bülow à Tegel. C'est à trois lieues de Berlin. J'ai d'abord trouvé le vent fort déplaisant, mais une fois dans une forêt qui commence à moitié chemin, je me suis sentie doucement abritée, et l'air gommeux des sapins m'a été agréable. Au sortir de ces sapins, on trouve un superbe lac dont les bords sont boisés d'arbres à feuilles, ce qui est rare ici. A un des bouts du lac, se trouve la forteresse de Spandau; à l'autre, le parc, le château de Tegel, et le monument élevé par feu M. Guillaume de Humboldt à sa femme: c'est très joli. Le château n'est pas grand'chose, mais il contient quelques beaux objets d'art apportés d'Italie, et un beau portrait d'Alexandre de Humboldt par Gérard. Le monument est une colonne de porphyre sur une base de granit, le chapiteau est en marbre blanc: cette colonne supporte une statue en marbre blanc de l'Espérance, par Thorwaldsen; la colonne est à moitié entourée d'une grille en fonte, et à moitié d'un grand banc en pierre. Le tout est de bon goût; la seule chose qui ne le soit pas à mes yeux, c'est que Mme de Humboldt, son mari, sa fille aînée, et un des enfants de Mme de Bülow, 294 sont réellement enterrés au pied de cette colonne. Je ne puis souffrir les tombeaux dans les jardins; il faut, à mes croyances, ou le cimetière commun, ou bien un caveau d'église ou de chapelle, bref, un lieu consacré à la prière, au recueillement, et qu'aucun bruit profane ne trouble.
J'ai fait le tour du lac en calèche, puis j'ai repris la route de Berlin. Aux portes de la ville, j'ai rencontré lord William Russell, qui m'a dit que le Roi était au dernier période, et qu'on venait de donner l'ordre de fermer les spectacles. Mon fils, que j'ai trouvé à notre auberge, en rentrant, m'a dit la même chose. Il venait d'assister à l'opération pratiquée sur des yeux louches: il était dans l'admiration de M. Dieffenbach, de sa dextérité et du résultat de l'opération. Sur les deux opérées (jeunes filles toutes deux), l'une n'a pas dit un mot, l'autre a beaucoup crié; la démonstration seule m'aurait donné envie de hurler! Le tout dure soixante-dix à quatre-vingts secondes. L'opérateur se fait aider par trois élèves: l'un relève la paupière supérieure, le second baisse la paupière inférieure, et le troisième, dans l'intervalle des deux incisions, éponge le sang. La première incision fend la partie inférieure du blanc de l'œil, puis, par un petit crochet, Dieffenbach tire à lui le muscle que la partie fendue recouvrait, il coupe le muscle et l'opération est faite. Ce muscle, chez les gens qui louchent, est trop court, il rapproche trop l'œil du nez: une fois fendue, la prunelle se replace.
Berlin, 7 juin 1840.—Hier, au soir, le Roi était au 295 plus mal; le râle de la mort s'était établi, et il avait ce certain mouvement dans les mains, mouvement machinal, mais si terriblement symptomatique, ce que les gens du peuple appellent ramasser pour faire son paquet: il ne parlait plus et paraissait n'avoir plus sa connaissance.
Je suis extrêmement sur mes gardes ici, politiquement et religieusement: on me dit beaucoup de choses, et j'écoute avec intérêt ce qu'on m'apprend sur l'état de ce pays, mais je ne suis pas imprudente dans mes réponses. Cela est plus aisé qu'en France, où il est presque impossible de ne pas être gagné par la contagion.
On me dit à l'instant que l'Empereur Nicolas vient d'arriver: je doute qu'il voie le Roi, chez lequel on n'entre plus; il vit cependant encore.
Berlin, 8 juin 1840.—Le Roi est mort hier, à trois heures vingt-deux minutes de l'après-midi, entouré de tous les siens auxquels il a serré la main sans parler; il est mort, soutenu par la princesse de Liegnitz, pour laquelle la famille Royale et le public se montrent pleins d'égards: elle a parfaitement rempli tous ses devoirs. Le Prince Royal est tombé évanoui, au moment où le Roi a expiré. L'affliction est générale et extrême. L'Empereur Nicolas a, dit-on, une douleur très éclatante et très importune; il est arrivé en trente-sept heures de Varsovie, seul avec le général de Benkendorff.
Hier au soir, les troupes ont prêté serment au nouveau souverain; le gouvernement a fait afficher partout une 296 proclamation pour annoncer la mort; elle est touchante, simple et parfaitement convenable.
J'ai été chez Mme de Schweinitz, savoir des nouvelles de la princesse Guillaume, qui prend le titre de Princesse de Prusse, son mari étant héritier présomptif, sans être Prince Royal, puisqu'il est le frère, et non le fils aîné du nouveau Roi. Le testament avait été ouvert: le feu Roi ordonnait un enterrement militaire. Il sera déposé de jour à la Cathédrale, et, d'après ses désirs, porté dans la nuit à Charlottenburg, pour être déposé dans le même caveau que la feue Reine, sa femme. J'ai été précisément visiter ce monument dans le parc de Charlottenburg, hier après-midi: il se trouve renfermé dans un temple antique, au bout d'une longue allée de sapins et de cyprès. Dans l'intérieur du temple, entre deux candélabres de marbre blanc, fort élégants, se trouve, sur une estrade, un lit en marbre blanc sur lequel la statue de la Reine est gracieusement et simplement couchée, enveloppée d'une longue robe dont les manches sont fendues; les bras, nus, sont croisés sur la poitrine, le col est nu, la tête ne porte que le bandeau royal. C'est un chef-d'œuvre, surtout à cause des linges de marbre, qui sont d'une vérité singulière: c'est l'œuvre capitale de Rauch, le sculpteur prussien que la feue Reine avait fait élever à Rome. Le tout est d'un bel effet, mais c'est trop mythologique; le caractère religieux manque, et la mort le réclame cependant impérieusement.
Le Roi sera exposé, demain et après-demain, dans son habit militaire, point embaumé, puis enterré jeudi; tout 297 cela d'après ses ordres. Il a ordonné aussi que le Pasteur vînt prier près de son lit, aussitôt après sa mort, à haute voix, au milieu de toute sa famille réunie, pour exhorter à l'union et à la concorde, ce qui a eu lieu. Il faut espérer que cette prière sera exaucée, quoiqu'on ne paraisse pas trop s'y attendre. On s'attendait à la retraite immédiate du prince de Wittgenstein et de M. de Lottum, mais le nouveau Roi les a priés de ne pas le quitter, au moins dès le début. Le public voit avec plaisir ces vieux serviteurs du père rester auprès du fils, et on en est d'autant plus aise que leurs rapports n'étaient pas agréables avec le Prince Royal et qu'on attendait un changement plus prompt: il serait désirable qu'il n'eût pas lieu du tout. Tel est le résumé d'une conversation que j'ai eue avec M. Bresson et lord William Russell, après laquelle je suis allée voir la collection de tableaux du comte Raczynski, la meilleure collection particulière de Berlin: un grand carton, d'un élève de Cornelius de Münich, et qui représente une des grandes batailles d'Attila, est ce qui s'y trouve de mieux; la tradition rapporte que cette bataille se continua dans le ciel, et que ceux qui avaient péri se combattaient encore, comme des ombres, dans les nuages, à certains temps de l'année: on voit, sur le carton, les deux batailles; le dessin est admirable, et l'ordonnance fort belle; le reste de la collection n'a pas trop excité mon admiration.
Mme de Lieven m'écrit de Paris: «Nous avons eu, ici, une drôle de semaine; le Ministère, battu à la Chambre, pour la loi sur les funérailles de Napoléon, a essayé de se venger, en mettant la Chambre aux prises avec le pays; 298 après plus mûre réflexion, et surtout après que l'essai de la souscription avait un peu échoué, on a mis un arrêt à l'affaire, et la lettre d'Odilon Barrot l'a enterrée.
«M. le duc d'Orléans a eu, en Afrique, une nouvelle attaque de dysenterie, qui a été fort dangereuse pendant vingt-quatre heures.»
Voici, maintenant, l'extrait d'une lettre du duc de Noailles: «Malgré le fiasco complet au sujet des cendres impériales, Thiers est fort; il deviendra tout à fait le maître. La proposition Remilly [113], qui était à l'horizon, ne sera pas discutée cette année. Il n'y aura pas de dissolution entre les deux sessions: après la prochaine session, la dissolution est certaine; la nouvelle Chambre reviendra, modérément, mais nettement plus gauche. Thiers est décidé à ne pousser ni à retenir dans cette voie; à modérer le mouvement, mais à le suivre, parce qu'il croit que la force et la majorité sont là: il espère pouvoir contenir cette gauche, mais au cas contraire, il est décidé à lui obéir plutôt qu'à quitter le pouvoir. Nous sommes donc très sérieusement engagés dans cette voie; c'est le grand événement qui s'est accompli cet hiver: on peut en calculer les conséquences, mais non en mesurer la vitesse.»
Berlin, juin 1840.—Hier, après dîner, j'ai été chez la comtesse de Reede, grande-maîtresse de la Cour de la 299 nouvelle Reine: j'y ai vu le Grand-Duc régnant de Mecklembourg-Strélitz, frère de la feue Reine de Prusse et de feu la princesse de la Tour et Taxis, grande amie de M. de Talleyrand. Il m'a parlé, dans les meilleurs termes, de mon oncle, et cela m'a touchée, me disant qu'il en avait reçu de bien bons offices sous l'Empire. On m'a conté, là, qu'outre le testament proprement dit du Roi, qui est de 1827 et dont je ne sais rien, il y a un codicille, pour ordonner tout ce qui est relatif à l'enterrement, et cela dans un tel détail, que la position des troupes dans les rues y est indiquée; puis, il s'est trouvé une lettre au successeur, pleine, dit-on, des plus sages avis, et dans laquelle, tout en encourageant son fils à ne pas entrer légèrement dans la route des innovations, le Roi l'engage, cependant, à éviter soigneusement toute marche rétrograde en dissonance avec l'esprit du siècle. On prétend que cette lettre sera rendue publique.
Au moment où je rentrais, M. de Humboldt est venu me voir, et m'a fait veiller, en racontant beaucoup d'histoires, curieuses sans doute, et qui m'auraient intéressée, sans son débit qui est assommant. Il est, du reste, fort au courant de tout ce qui se passe ici, très fureteur.
La Cour de Russie et les autres Cours partent vendredi, lendemain de l'enterrement du Roi. Je crois que le Roi et la Reine ne seront pas fâchés de respirer un peu librement.
Berlin, 10 juin 1840.—Hier, le directeur du Musée 300 est venu me prendre, et m'a conduite, avec mon fils, à l'atelier de Rauch, très habile sculpteur et très aimable homme. Nous avons vu, chez lui, plusieurs statues destinées à la Walhalla de Bavière, le modèle de la statue de Frédéric II dont j'ai vu poser la première pierre, et une Danaé pour Saint-Pétersbourg; puis, une petite statue, demi-nature. C'est une jeune fille vêtue, tenant entre ses bras un petit agneau; c'est très joli. Je m'en suis passé la fantaisie. Avant de rentrer, on m'a menée voir le Musée égyptien, qui est dans un édifice particulier. Quoi qu'on dise cette collection admirable, je n'ai pu prendre plaisir à regarder tous ces vilains colosses et toutes ces momies.
Revenue chez moi, j'ai eu la visite du prince Radziwill, qui venait du Château, où, avec tous les officiers supérieurs de la garnison, il avait passé devant le lit de parade du feu Roi. Il était là déposé à visage découvert, enveloppé dans son manteau militaire, sa petite casquette sur la tête, comme il l'a ordonné dans son codicille.
Le Roi a laissé, par testament, cent mille écus de Prusse, c'est-à-dire trois cent cinquante-cinq mille francs, à la ville de Berlin, et différentes sommes à Kœnigsberg, Breslau et Potsdam, comme aux quatre villes de son Royaume dans lesquelles il a résidé. Il a laissé le petit palais qu'il habitait comme Prince Royal, que Roi il n'avait pas voulu quitter et dans lequel il est mort, à son petit-fils, fils du prince Guillaume, celui qui, probablement, sera Roi un jour. La princesse de Liegnitz garde le palais à côté, dans lequel elle demeurait; la seigneurie d'Erdmansdorff en Silésie, et quarante mille écus de revenu 301 payés par l'État. Il paraît que le Roi laisse de quatorze à vingt millions d'écus dans sa cassette. Il ordonne qu'un écu soit donné à chaque soldat assistant à ses funérailles, et deux écus à chaque sous-officier présent. Il ordonne également que son corps soit suivi, non seulement par tout le clergé de Berlin, mais, encore, par tout celui des environs. Il en arrive de Stettin, de Magdebourg, de tous les points du Royaume.
M. Bresson, que la mort du Roi avait fort abattu, est tout remonté, depuis qu'il voit que le prince de Wittgenstein reste, du moins momentanément, à la Cour. Le nouveau Roi traite ce vieux serviteur de son père à merveille.
Une chose étrange, et qui déplaît beaucoup, c'est de voir des officiers russes de la suite de l'Empereur Nicolas, faire le service auprès du corps du feu Roi, simultanément avec les officiers prussiens. L'Empereur l'a demandé, on n'a pas osé dire non, mais on en a de l'humeur, et le goût, très léger, qu'on a pour les Russes, en est fort affaibli.
Berlin, 11 juin 1840.—J'ai passé toute la journée d'hier à faire des visites de congé. Chez Mme de Schweinitz où j'étais entrée, la Princesse de Prusse m'a fait demander; je l'ai vue ainsi que le Prince de Prusse, ils ont été excellents, tous les deux.
Le Roi m'a fait dire par la comtesse de Reede, qu'il espérait me voir plus tard (à mon retour), à Sans-Souci. Il a ordonné à son Grand-Maréchal de me très bien placer à la cérémonie de ce matin. L'Empereur de Russie part 302 ce soir pour Weimar et Francfort où il veut voir sa future belle-fille.
Ce matin, j'ai été à la cérémonie; au moment où j'allais partir pour m'y rendre, le Roi m'a fait dire de passer par le Château, et la Princesse de Prusse m'a envoyé sa livrée pour me faire faire place. Je suis donc arrivée à l'église par l'intérieur des appartements. J'étais dans une tribune en face de celle de la princesse de Liegnitz, qui a eu la force d'assister à la cérémonie. Elle avait, ainsi que toutes les dames, sa coiffe baissée, ce qui ne m'a pas permis de distinguer ses traits. L'église n'était pas tendue, ce qui, par parenthèse, y laissait entrer trop de clarté. Le recueillement en souffrait. L'orgue, les chants, le discours du Pasteur, l'extrême émotion des vieux serviteurs et des enfants du défunt, la terrible décharge des canons et le beau son de toutes les cloches, étaient imposants. Avant de s'éloigner, le nouveau Roi a fait une assez longue prière à voix basse, agenouillé près du cercueil. Toute la famille a suivi cet exemple, après quoi, le Roi a embrassé tous ses frères, sa femme, ses sœurs, ses neveux, ses oncles; bref, toute sa famille. L'Empereur de Russie, qui a une belle, mais terrible figure, a voulu en faire autant. C'était beaucoup d'embrassades dans une église; il me semble que, dans la maison de Dieu, on ne devrait être occupé que de l'adorer, mais c'est qu'il y a une grande différence entre un temple protestant et l'église.
Le Roi de Hanovre, arrivé une heure avant la cérémonie, s'y trouvait. Quoiqu'il soit vieux, et qu'assurément il ait l'air assez rude, il me faisait l'effet d'un vieux 303 agneau, à côté d'un jeune tigre, quand je le regardais à côté de l'Empereur de Russie.
Je compte partir demain pour la Silésie.
Crossen, 12 juin 1840.—Je suis partie ce matin de Berlin, à sept heures et demie, par un temps couvert et assez doux. Grâce à l'admirable état des routes, aux bons chevaux, et au service excellent des postes, nous avons fait trente-six lieues en treize heures et demie, ce qui, en tous pays, est bien aller. Jusqu'à Francfort-sur-l'Oder, que nous avons traversé dans le milieu du jour, le pays est frappant de tristesse et d'aridité; une fois arrivé dans le bassin de l'Oder, il est moins plat, plus vert et plus riant. Francfort est une grosse ville de trente-deux mille âmes, à laquelle trois grandes foires dans l'année donnent du mouvement; mais hors ce temps-là, c'est fort désert. La ville, d'ailleurs, n'a aucun caractère. Crossen, où je suis en ce moment, également sur l'Oder, est moins considérable, mais plus agréablement situé. Je ne suis plus qu'à quelques heures de chez moi; j'y arriverai demain, d'assez bonne heure.
Günthersdorf, 13 juin 1840.—Me voici dans mes États. C'est une impression très singulière que de trouver un chez soi, à une distance si grande des lieux où on passe habituellement sa vie, et de trouver ce chez soi tout aussi propre et bien tenu, quoique excessivement simple, que si on y habitait toujours!
Ce matin, quand je suis partie de Crossen, il pleuvait, 304 et la pluie a continué jusqu'à Grünberg, gros bourg où j'ai trouvé M. et Mme de Wurmb, qui y étaient venus à ma rencontre. Mme de Wurmb est la fille de M. de Gœking, conseiller d'État au service de Prusse, auquel le feu Roi avait spécialement délégué ma tutelle. Elle a épousé un gentilhomme westphalien, M. de Wurmb, qui, autrefois, a servi dans les armées prussiennes, que sa santé délicate a forcé à la retraite, qui depuis beaucoup d'années habite Wartenberg, petite ville qui m'appartient, et qui, de là, gouvernait, sous la direction de Hennenberg d'abord, et, depuis la mort de celui-ci, seul, mes terres, forêts, etc. Mme de Wurmb, comme fille de mon tuteur, était beaucoup avec moi dans mon enfance. Elle a été très bien élevée. Les gens comme il faut ne craignent pas, en Allemagne, de se mêler des affaires de ceux qu'ils regardent comme de grands seigneurs. C'est ainsi que le cousin du baron Gersdorff, ministre de Saxe à Londres, gouverne maintenant la fortune de mes sœurs.
M. et Mme de Wurmb m'ont précédée ici. Les dernières lieues se font dans le sable et à travers des forêts de sapins, mais à l'entrée du petit hameau qui ne mérite pas le nom de village, il y a une assez belle avenue, qui mène à la cour plantée, au milieu de laquelle est une grosse maison. De beaux arbres cachent la vue, toujours peu gracieuse, des basses-cours. Le revers de la maison a une vue agréable; c'est celle d'un jardin, très bien planté, extrêmement bien tenu, très riche en fleurs, et même en fleurs rares; le jardin est très habilement réuni à une prairie, au bout de laquelle est un très joli bois. Le ruisseau qui 305 traverse le jardin lui donne de la fraîcheur. La maison est double en profondeur: c'est un carré long avec treize croisées de face. Ce qui la gâte, c'est son énorme toit, que les longues neiges d'hiver rendent indispensable, et la couleur jaune orange dont on a peint la brique. L'intérieur n'est pas mal. Au milieu un vestibule voûté, qui est doublé par l'escalier; à droite du vestibule, un grand salon de trois croisées, plus loin un petit salon-bibliothèque de deux croisées, ouvrant sur une très jolie serre, qui, elle-même, se lie à l'orangerie. J'ai, ici, cinquante orangers, moyens. A gauche du vestibule, ma chambre à coucher, un grand cabinet de toilette, garde-robes, salle de bain, et femme de chambre. Voici ce qui double ces pièces: la bibliothèque est doublée par une pièce qui contient les dépendances de la salle à manger; le salon est doublé par la salle à manger, et mon appartement, avec ce qui y tient, par l'office des gens, une chambre à coucher et un grand cabinet de toilette. Au premier étage, quatre chambres de maîtres, avec cabinets, dont deux seulement sont meublées, et une grande salle de billard. Dans les mansardes, six chambres de domestiques, et un grenier avec un garde-meuble. Les salons et mon appartement sont au midi, ce qui les prive de la vue du jardin, mais je préfère ne voir que la cour et avoir du soleil, surtout dans une maison qui est sans cave. Cependant, elle ne porte aucune trace d'humidité. Le rez-de-chaussée est fort bien meublé, et les parquets, de différents bois, étonnamment jolis pour avoir été faits ici. Au premier étage, il n'y a que l'appartement occupé en ce moment par M. de Valençay 306 qui soit meublé, et encore l'est-il maigrement. L'état de maison contient le très strict nécessaire; je ne suis pas fâchée d'avoir apporté de l'argenterie, et M. de Wurmb me prête beaucoup de choses. Enfin, cela ira, et je me trouve mieux ici que depuis longtemps cela ne m'est arrivé, parce que, du moins, j'ai du silence, du repos autour de moi. Ceci est la franche et très franche campagne, je ne le regrette pas et j'éprouve un certain plaisir au bruit des vaches et au mouvement de la fanaison, ce qui me prouve, une fois de plus, que je suis réellement, sincèrement, très champêtre de nature.
Il y a un assez bon petit portrait de ma mère dans le salon, ainsi qu'un fort mauvais de moi, et, dans le petit salon, des lithographies de la famille Royale de Prusse. Le corps de bibliothèque, qui est assez court, contient cinq cents fort bons livres, en anglais, français et allemand. J'ai déjà fait le tour du jardin, qui est très joli. Le jardinier vient des jardins du Roi à Charlottenburg, et a été se perfectionner à Münich et à Vienne.
Günthersdorf, 14 juin 1840.—Je suis partie, ce matin, dès huit heures, malgré le vent froid et aigre qui me paraît être l'hôte constant de la Prusse, pour aller en calèche à quatre lieues d'ici, chercher une messe, et grand'messe s'il vous plaît. Wartenberg est aux deux tiers catholique, tandis que Günthersdorf est entièrement protestant. L'église catholique est à l'entrée de Wartenberg qui est une ville sur laquelle j'ai quelques droits seigneuriaux. Chaque maison me paye une petite redevance. La 307 route qui y mène traverse pendant deux lieues mes bois, jusqu'à ce qu'on reprenne la chaussée. L'église était pleine, le Curé était à l'entrée avec de l'eau bénite et une belle harangue, ma tribune jonchée de fleurs des champs; rien n'y a manqué: procession, bénédiction du Saint-Sacrement, sermon, prières pour la famille Royale et pour moi, un très beau jeu d'orgue, les enfants de l'école catholique chantant fort juste. Je crois bien que le tout a duré près de trois heures. Mme de Wurmb, qui habite une maison à moi, un peu hors de la ville, entourée d'un gentil jardin, m'attendait pour déjeuner. Il n'y avait que sa famille, qui est assez nombreuse.
Après le déjeuner, M. de Wurmb m'a priée de recevoir tous les employés de mes propriétés, qui, de différents points, s'étaient réunis pour me saluer. Alors a commencé une longue défilade. C'est un véritable état-major, tout cela à ma nomination, et recevant des traitements de ma bourse. C'est ainsi que cela se pratique ici dans les grandes propriétés. Un architecte, un médecin, deux baillis, deux fermiers généraux, un régisseur en chef, le caissier, le garde général, quatre curés catholiques, trois pasteurs protestants, le maire de la ville, mais tous de vrais messieurs, très bien élevés, parlant et se présentant parfaitement. J'ai fait de mon mieux pour que chacun fût content de moi. J'ai surtout fait la conquête du Curé de Wartenberg, auquel j'ai promis un ornement complet de mon ouvrage. Quand je suis partie, M. de Wurmb m'a reconduite un bout de chemin, jusqu'à une très jolie enceinte; ce sont des arpents de bois, entourés de palissades, 308 coupés d'allées, avec une petite pièce d'eau, une bonne maison de garde, et c'est là qu'on élève des faisans avec de grands soins. Nous avons vu les poules couveuses et les petits faisans éclos, ainsi que les grands, qui se tenaient près de l'eau, ou voltigeaient dans les arbres; on en vend, à peu près, six cents par an. Les chevreuils et les lièvres abondent aussi.
Il était cinq heures quand je suis revenue ici. Après le dîner, je me suis endormie de fatigue, car la journée avait été rude; le froid ajoute à l'engourdissement que le grand air produit toujours.
Je suis ici sans journaux, sans lettres, cela m'est assez égal. J'attends, patiemment, qu'il plaise à la poste de trouver son chemin jusque dans ce coin reculé du monde. Je me suis déjà dit que ce pays offrirait une fort bonne retraite contre les secousses dont l'ouest de l'Europe est toujours plus ou moins menacée, et, en temps de révolution, on finirait par ne pas trop regarder aux rudesses du climat.
Günthersdorf, 15 juin 1840.—Pour moi qui aime la vie des champs, je suis assurément servie à souhait ici, car, avec la volonté de tout voir en peu de temps, je n'ai pas un moment à perdre. Aujourd'hui donc, je suis partie à neuf heures du matin, et je suis retournée à Wartenberg, à l'ancien couvent de Jésuites, qu'on appelle le Château. C'est un assez gros édifice avec des cloîtres; c'est là que demeurent, dans les cellules des moines, qu'on a transformées en jolis logements, le caissier, le bailli, un 309 des régisseurs principaux, le médecin, le pasteur protestant, l'école protestante et, enfin, une très belle chapelle catholique, qui a des peintures à fresques et une image miraculeuse, qui, chaque année, attire le 2 juillet beaucoup de pèlerins. Elle a un trésor assez riche en beaux ornements et vases sacrés. Une petite armoire vitrée contient des pièces de monnaie et des médailles offertes en ex-voto; j'ai détaché, de mon chapelet, la petite médaille en argent à l'effigie de M. de Quélen, et je l'ai mise à la suite des autres offrandes.
Après cette visite, qui a été longue, et que j'ai terminée en faisant exhumer d'un lieu poudreux les portraits des anciens propriétaires, qui, par leur testament, avaient laissé cette possession aux Jésuites, et en ordonnant la restauration de ces portraits, j'ai été voir la brasserie, la distillerie et l'établissement du bétail destiné à être vendu aux bouchers de Berlin. Tout cela est sur une très grande échelle. J'ai même un pressoir, car je recueille du vin qui est assez bon. J'ai aussi une grande plantation de mûriers; on élève des vers à soie, on file celle-ci, et elle est aussi envoyée à Berlin où on la fabrique.
Après toutes ces inspections nous avons été visiter deux fermes qui tiennent à Wartenberg, et enfin, par une route très agréable, entre des plantations fort belles, toutes faites depuis mon règne, et qui s'étendent pendant deux lieues, nous sommes arrivés au sommet d'une montagne toute boisée, du haut de laquelle il y a une superbe vue sur l'Oder, chose rare dans cette partie de la Silésie. On a, chemin faisant, fait tirer des chevreuils à Louis, mon 310 fils. Je suis revenue ici à six heures du soir. Heureusement que le temps était assez passable.
Je viens d'ouvrir, tout à l'heure, un vieux secrétaire, dans lequel j'ai retrouvé des papiers de mon enfance, des lettres de l'abbé Piatoli et beaucoup de choses de ce genre qui m'ont touchée, comme le cadeau de noce que m'avait fait le Prince Primat: C'est un oiseau, dans une cage d'or, qui chante et qui bat des ailes; puis des gravures, des ouvrages de tapisserie. Ce sont autant d'ombres évoquées! Cela a quelque chose de singulièrement solennel, que ce passé ressuscité tout à coup, avec une si grande vérité de détails.
Günthersdorf, 17 juin 1840.—Je suis partie hier à dix heures du matin, pour rentrer à huit heures du soir. J'ai d'abord visité deux fermes dépendantes de la seigneurie de Wartenberg; j'ai déjeuné dans la seconde, et j'ai aussi visité une église, car, dans ce pays, les églises, comme les curés, dépendent du seigneur.
Après notre déjeuner, nous avons passé l'Oder en bac, et nous avons été jusqu'à Carolath, qui vaut bien la peine d'être vu. C'est un très grand château, sur une forte élévation, construit à différentes époques; la plus ancienne remonte à l'Empereur Charles IV. Il est sans élégance et sans soins, au dedans comme au dehors, mais l'ensemble a de la grandeur. Il n'y a, en fait de jardins, que des terrasses plantées, qui conduisent jusqu'à l'Oder. La vue est admirable, d'autant plus que les rives opposées sont très bien boisées par de vieux chênes magnifiques, jetés 311 sur une pelouse couverte de bestiaux et de chevaux élevés dans les haras du Prince. La ville de Beuthen et la forteresse de Glogau font un bon effet dans ce riche paysage. Le village est joli, plusieurs fabriques et une bonne auberge l'animent et lui donnent de la grâce. Les seigneurs du château, mari et femme, avec leur fille cadette, étaient partis pour affaires. La fille aînée, jeune et jolie personne, était au château avec une jeune cousine, et un vieil intendant du Prince. J'ai été très bien reçue; on a fait mettre des chevaux à trois droschki, et, après avoir traversé l'Oder à un gué, nous nous sommes promenés, dans les grands chênes dont je parlais tout à l'heure, au milieu desquels la Princesse a fait construire un ravissant cottage, dans lequel on nous a servi un goûter. Malheureusement, j'ai été dévorée par des cousins. Je suis revenue avec un visage tout enflé, et un coup de soleil, qui s'y est joint, a achevé de m'abîmer. Dans ce singulier climat, la chaleur succède si instantanément au froid, qu'on est toujours pris par surprise. Je suis cependant bien aise d'avoir vu Carolath. C'est un lieu curieux; Chaumont, sur les bords de la Loire, en donne assez bien l'idée.
Ce matin, nous sommes repartis à neuf heures, mon fils et moi, pour aller visiter quelques-unes de mes propriétés, de l'autre côté de l'Oder. C'est une terre qui s'appelle Schwarmitz, et celle, de toutes, la plus exposée aux inondations. C'est un neveu de feu M. Hennenberg qui l'a affermée. Il habite à Kleinitz, une autre de mes propriétés, mais il était venu m'attendre aux digues dont j'ai 312 visité les laborieux travaux. Sa femme, les curés des deux confessions, le garde général et une foule de monde nous attendaient à la ferme, ainsi qu'un très bon déjeuner. Après le repas, nous avons visité en détail la ferme, deux métairies et une très belle portion de bois de chênes, puis nous sommes revenus, en nous arrêtant à Saabor. C'est une terre qui appartient au frère cadet du prince Carolath; le château, s'il était bien tenu, le parc, s'il était bien soigné, seraient préférables au château et au parc de Carolath, mais la situation est fort inférieure; c'est noble cependant, et l'avant-cour très belle. Le propriétaire est ruiné, et voudrait fort que j'achetasse Saabor, qui se trouve précisément enclavé dans mes propriétés, mais les convenances topographiques ne suffisent pas pour conclure une pareille affaire.
Voici maintenant ce que me disent mes lettres de Paris, qui se sont égarées jusqu'ici: Les correspondances particulières d'Afrique donnent les détails les plus affligeants sur ce malencontreux pays; le maréchal Valée demande encore des troupes et de l'argent.
Le préfet de Tours, M. d'Entraigues, est sauvé de la bagarre préfectorale qui le menaçait. Le sous-préfet de Loches est la seule victime immolée aux exigences de M. Taschereau, le député. Le neveu de Mme Mollien passe de la préfecture de l'Ariège à celle du Cantal, et devient le préfet des Castellane. M. Royer-Collard me mande avoir sauvé M. de Lezay, le préfet de Blois, et M. Bourlon [114]. 313 Il a demandé, pour cela, à M. Thiers, une entrevue, dont il me paraît avoir été très satisfait.
Voilà M. de La Redorte ambassadeur à Madrid; sa femme est trop malade pour l'accompagner. Cela s'appelle être prime-sautier dans la carrière; c'est une irruption qui doit plaire médiocrement à tous ceux qui croient, par là, leur avancement retardé. Je suppose que c'est comme dédommagement de la non-intervention en Espagne que le Roi aura fait cette concession à son premier ministre, dont M. de La Redorte est l'ami dévoué.
Mgr le duc d'Orléans, à son retour d'Afrique, aura trouvé Mme la duchesse d'Orléans en très bon état: La rougeole qu'elle a eue, en déplaçant l'irritation, lui a rendu la faculté de digérer, et, par conséquent, celle de se nourrir et de se fortifier. J'en suis charmée.
Günthersdorf, 18 juin 1840.—Il a plu toute la journée aujourd'hui; j'ai donc été obligée de renoncer à aller visiter une petite terre à moi qui est à une demi-lieue d'ici, et qui s'appelle Drentkau. J'ai donné à dîner à douze personnes, pasteurs et autorités locales; j'en ai deux autres encore à donner, pour avoir fait les politesses convenables: mon ménage ici est monté pour douze personnes, je ne puis aller au delà.
Louis, mon fils, baragouine l'allemand avec une telle hardiesse qu'il y fait des progrès; j'ai eu la visite du prince Frédéric de Carolath, le propriétaire de Saabor. Il est, dans la province, ce que sont les Lords-Lieutenants des comtés en Angleterre.
314 Günthersdorf, 19 juin 1840.—J'ai visité deux écoles qui sont sous ma juridiction; ce sont des écoles catholiques, et admirablement tenues. L'instruction des enfants m'a surprise; j'ai été ravie et édifiée au plus haut degré. J'ai fait quelques distributions encourageantes, et je me suis chargée de l'avenir d'un jeune garçon de douze ans, vraiment merveilleux d'intelligence et de savoir, mais trop pauvre pour entrer au séminaire, pour lequel il se sent une vocation particulière.
Sagan, 21 juin 1840.—J'ai reçu avant-hier, à Günthersdorf, une lettre qui m'a décidée à venir ici. M. de Wolff m'écrivait de Berlin qu'il se passait ici des choses très irrégulières et opposées à l'intérêt de mes enfants; qu'il allait s'y rendre pour les faire rectifier, et qu'il m'engageait à y aller de mon côté. Je suis donc partie hier matin de Günthersdorf avec M. de Valençay; nous avons mis six heures pour venir. Je suis descendue à l'auberge; dans l'état actuel des choses, je n'aurais pas jugé convenable de descendre au château. Mais quelle impression singulière cela me cause! Ici, où ont demeuré mon père, ma sœur, où j'ai tant été dans mon enfance, être à l'auberge!
Après une heure de conversation avec M. de Wolff, nous avons été au château. J'y ai tout reconnu, excepté ce qu'on s'est un peu empressé d'enlever et qu'on sera peut-être obligé d'y rapporter. Le vieux homme d'affaires de ma sœur aînée pleurait à chaudes larmes. Il est au plus mal avec celui de ma sœur, la princesse de Hohenzollern, M. de Gersdorff, que j'ai vu. Je ne lui ai point parlé 315 d'affaires, d'abord parce que ce sont celles de mes fils, et non les miennes, puis parce que je voulais éviter les aigreurs directes.
Sagan est vraiment beau, c'est-à-dire le château et le parc sont beaux, car le pays est inférieur à celui dans lequel se trouvent mes propriétés. Mais l'habitation est grandiose; j'y ai retrouvé quelques vieilles figures du temps de mon père qui m'ont touchée. Des portraits de famille m'ont fait plaisir.
Il y a ici une comtesse Dohna, qui a été élevée, d'abord chez ma mère, puis chez ma sœur aînée, mariée, dans le pays, à un homme très comme il faut. Cette jeune femme était comme l'enfant de la maison. Elle est venue, hier, prendre le thé avec moi, et j'ai eu plaisir à la voir, et à causer avec elle de ma pauvre sœur, la duchesse de Sagan, et du dernier séjour qu'elle a fait ici, peu de temps avant sa mort.
Ce matin, j'ai été à la messe dans la charmante église des Augustins, où mon père repose depuis trente-neuf ans! J'ai été fort remuée par tout l'office, par la musique qui était excellente.
En sortant de là, j'ai été voir la comtesse Dohna. Elle est venue avec moi au château, dont je voulais visiter les dépendances, que je n'avais pas parcourues hier. J'ai trouvé, dans les remises, une ancienne voiture dorée et doublée de velours rouge, ressemblant, à peu de chose près, à celle des Princes d'Espagne, à Valençay. C'est celle dans laquelle mon père a quitté la Courlande et est venu ici. L'homme d'affaires de ma sœur de Hohenzollern, qui 316 vend tout ce qui n'appartient pas au fief, a mis cette voiture en vente; je l'ai achetée sur-le-champ, à la criée: trente-cinq écus!
A deux heures, selon l'usage de la ville, nous avons dîné. En sortant de table, nous avons été, au bout du parc, visiter une ancienne petite église, où ma sœur de Sagan m'avait dit qu'elle voulait faire inhumer mon père, se faire enterrer elle-même. Il faut restaurer cette petite église, ce qui sera aisé. On peut en faire un lieu de sépulture fort convenable et recueilli.
Günthersdorf, le 22 juin 1840.—Me voici rentrée dans mes bons petits foyers, que je prends fort à gré. J'ai, avant de quitter Sagan, ce matin, reçu des visites de beaucoup d'habitants, et traversé une longue conférence d'affaires. Toute cette question de Sagan se complique de telle sorte que cela durera fort longtemps. Wolff, Wurmb et l'ancien homme d'affaires de ma sœur aînée m'engagent, pour simplifier la question, à demander à ma sœur, qui me doit encore de l'argent sur Nachod [115], de me céder les bois allodiaux de Sagan, que mes fils retrouveraient ainsi un jour. Je ne dis pas non, car ces bois sont superbes, mais ce ne sont là que des questions subséquentes; il y en a de préalables, qui doivent être vidées avant, et qui ne le seront pas de sitôt. Les gens d'affaires 317 me pressent beaucoup de passer l'année entière en Allemagne. Je ne veux pas de l'hiver dans un climat aussi froid, mais je veux bien revenir au printemps prochain, pour la belle saison. Je crois que mon fils a raison, quand il dit que c'est un grand bonheur pour lui de débuter dans ce pays-ci avec moi.
En revenant ici, je me suis arrêtée deux heures à Neusalz, qui est une ville curieuse à visiter. Elle est habitée, à moitié, par une colonie des frères Moraves, dont les usages sont à peu près ceux des Quakers; c'est assez particulier, surtout ce qu'ils appellent le repas d'amour. Dans leur église ils chantent, ils prient, et prennent du café avec des gâteaux, dans le plus grand silence et avec la plus parfaite gourmandise. Ils sont fort industrieux, très avides, pas mal hypocrites, prodigieusement propres; ils se tutoient entre eux. Ils ont des missionnaires et des ramifications dans le monde entier. Outre l'église des Moraves, il y a à Neusalz une église catholique et une église protestante toute neuve, fort jolie, que j'ai visitée pour y voir un cadeau du Roi de Prusse actuel: c'est un fort beau Christ, d'après Annibal Carrache. J'ai aussi examiné, dans le plus grand détail, une superbe forge, où on fabrique surtout de la fonte.
Günthersdorf, 23 juin 1840.—Il fait joli temps ce soir: mon jardin est vert, parfumé et frais. Il y a des heures, des dispositions de ciel et de nature, d'air et d'âme, qui font tout particulièrement saigner un cœur qui regrette, et, malgré l'agrément matériel de ce qui m'entoure, je 318 suis aujourd'hui dans cette triste disposition. J'ai paperassé toute la matinée avec mon homme d'affaires, avec lequel j'ai été ensuite inspecter l'école protestante de ce village-ci.
Günthersdorf, 25 juin 1840.—J'ai employé ma journée d'hier, depuis dix heures du matin jusqu'à neuf heures du soir, à aller visiter la partie la plus éloignée de mes propriétés, qui se compose d'une ville, de trois fermes, et d'une petite forêt. Dans une des fermes, on a transformé les restes d'un vieux château gothique en magasin. J'ai déjeuné chez un lieutenant en retraite, qui s'est marié et a affermé mes fermes, dont l'une a une bonne maison d'habitation; les fermes ont toujours été affermées ensemble, d'abord au grand-père, puis au père du fermier actuel; la femme de celui-ci est sur le point d'accoucher et ils comptent bien que le bail se renouvellera pour la quatrième génération. Dans la ville, qui est aux trois quarts catholique, j'ai été visiter l'église. J'y ai reçu une bonne réception. La situation de grand seigneur est, ici, bien différente de ce qu'elle est en France; mon fils en a la tête tournée.
Günthersdorf, 26 juin 1840.—Je dois retourner demain à Berlin, pendant que mon fils s'acheminera vers Marienbad. Mes forces se sont retrouvées dans la vie forestière et campagnarde que j'ai menée ici. J'ai été, hier, voir la plus mauvaise de mes propriétés. Cela s'appelle Heydau; c'est une ferme disputée au sable. 319
J'ai eu, à dîner, mon voisin, le prince Carolath de Saabor, gros homme entre cinquante et soixante ans, très poli et très bon.
Francfort-sur-l'Oder, 28 juin 1840.—J'ai passé toute la journée d'hier dehors, à travers la pluie et la grêle. J'aurais désiré un meilleur temps, pour les bonnes gens qui m'avaient préparé des réceptions, et pour moi-même, qui n'ai pu que fort mal juger deux fermes de nouvelle création: l'une s'appelle Peter-Hof, d'après mon père, l'autre Dorotheenaue, d'après moi. Ces fermes ont été établies sur les terrains à l'aide desquels les paysans de Kleinitz se sont rachetés de leurs corvées. De beaux bois environnent ces terres. Le garde général qui y demeure est d'une famille courlandaise qui a suivi mon père en Silésie. Un portrait frappant de mon père, qui en avait fait cadeau au sien, orne son salon. Il le tient en grand honneur, ce qui m'a empêchée de lui demander de me le vendre, comme j'en étais tentée.
En arrivant ici, j'y ai trouvé une lettre de Mgr le duc d'Orléans, fort obligeante pour moi, et fort convenable sur la mort du Roi de Prusse et sur son successeur. Voici le passage relatif à la France: «L'agitation de la surface a disparu; mais il y a encore des nuages à l'horizon, et l'orage, pour avoir été habilement éloigné, n'a pas été absolument dissipé. Cependant, l'intervalle des sessions se passera bien. Le Roi seul et M. Thiers sont sur la scène; aucun des deux ne veut embarrasser l'autre; tous deux veulent se faciliter leur tâche; aucune question 320 ne surgira pour les diviser. Pour ma part, je souhaite tout succès à notre grand petit Ministre, qui peut faire un bien immense à ce pays.»
J'ai dit adieu à mon fils, ce qui m'a fait de la peine. Il est bon enfant, naturel, facile et doux; je lui sais gré de s'être plu en Silésie, et d'y avoir, à tous les égards, montré un bon esprit. Et puis c'était quelqu'un à moi, et je commence à sentir la grande différence qu'il y a entre la solitude et l'isolement. J'ai longtemps confondu ces deux états, qui semblent si analogues, et qui sont si différents: je porte très bien l'une; l'autre me fait peur.
Berlin, 29 juin 1840.—Je suis arrivée ici hier, à trois heures après midi. J'y ai trouvé beaucoup de lettres, mais pas bien intéressantes; cependant, Mme Mollien mande la grossesse de Mme la duchesse d'Orléans et ajoute qu'elle est retombée dans les souffrances d'estomac dont la rougeole semblait l'avoir tirée. Madame Adélaïde, qui m'écrit aussi, paraît fort satisfaite de la manière dont la revue de la Garde nationale s'est passée, et surtout de la façon dont M. le duc d'Orléans a été reçu, à son retour d'Afrique. Quelques-uns de ses officiers d'ordonnance sont morts, et beaucoup sont restés, au blessés ou malades, en arrière; lui-même est fort maigri.
Ici, à Berlin, d'après ce que j'ai entendu des diverses personnes que j'ai vues, hier dans la soirée, on est très content de la bonté, de la mesure, de la sagesse du nouveau Roi. Il travaille beaucoup, accueille tout le monde, se montre plein d'égards pour les amis et pour les directions 321 de son père. M. de Humboldt m'a rapporté toutes sortes de paroles gracieuses de Sans-Souci. Le Prince et la Princesse de Prusse m'en ont transmis autant. Mme de Perponcher m'a prévenue qu'il y aurait grande Cour de condoléance vendredi prochain, ici, et m'a indiqué le oicstme.
Le seul changement qui se soit encore fait depuis le nouveau règne, c'est que le Roi travaille avec chacun de ses Ministres en particulier, tandis que le feu Roi ne causait qu'avec le Prince de Wittgenstein, et ne travaillait qu'avec le comte Lottum. M. d'Altenstein, qui était ministre des Cultes et de l'Instruction publique, était mort trois semaines avant le feu Roi et n'avait point encore été remplacé. On attend, avec impatience, de savoir par qui cette place importante sera remplie; on verra, dans ce choix, une indication sur l'esprit qui dirigera le règne actuel. Cette nomination est, par cela même, le premier embarras du Roi.
Berlin, 1er juillet 1840.—Mon grand grief contre les villes, ce sont les visites à faire et à recevoir. J'ai beau n'être ici qu'un oiseau de passage, je suis victime de cet inconvénient. J'ai donc fait et reçu prodigieusement de visites hier, matin et soir. Le Prince de Prusse, qui est parti ce matin pour Ems, a été longuement chez moi. Il m'a dit que l'Impératrice de Russie était fort satisfaite de sa future belle-fille. C'est avec l'Impératrice elle-même que la jeune Princesse se rendra en Russie.
Lord William Russell est aussi venu me voir; il m'a 322 dit que lady Granville avait ordonné à M. Heneage, qui est attaché à l'ambassade de son mari, à Paris, d'accompagner Mme de Lieven en Angleterre.
Je suis allée, avec Wolff, voir l'atelier de Begas, peintre allemand, élevé à Paris, sous les yeux de Gros. Il a beaucoup de talent.
Il y a eu un tremblement de terre dans le département d'Indre-et-Loire! On l'a ressenti à Tours; à Candes, à quatre lieues de Rochecotte, plusieurs maisons ont été renversées. Rien, Dieu merci, à Rochecotte, mais cette visite souterraine m'effraye: cela pourrait bien, en se renouvelant, faire crouler toutes mes constructions et tarir mon puits artésien.
Potsdam, 2 juillet 1840.—J'ai quitté hier Berlin à onze heures du matin, par le chemin de fer. Je me suis trouvée dans le même wagon que le prince Adalbert de Prusse, cousin du Roi, lord William Russell, et le Prince Georges de Hesse. A la descente du chemin de fer, qui, en moins d'une heure mène à Potsdam, j'ai trouvé la voiture et les gens de la Princesse de Prusse, avec l'invitation de me rendre tout de suite chez elle au Babelsberg, joli castel gothique qu'elle a fait bâtir sur une hauteur boisée qui domine le cours de la Havel: c'est petit, mais très bien arrangé et en très belle vue. Nous sommes restées à causer pendant une heure. Sa voiture est restée à ma disposition à Potsdam, après m'y avoir ramenée. Ma toilette faite, j'ai été à Sans-Souci, où le Roi dîne à trois heures. Il a été parfaitement bon et aimable ainsi que la Reine. Après le dîner, il m'a 323 menée voir la chambre où Frédéric II est mort, et la bibliothèque de ce Prince. Il a voulu que je le suivisse sur la terrasse, qui est une très belle chose; puis, on m'a confiée à la comtesse de Reede, grande-maîtresse de la Reine, et à Humboldt, et on m'a conduite, en calèche, au Palais de marbre qui renferme quelques beaux objets d'art, et au Nouveau Palais où se donnent les grandes fêtes d'été. La Princesse de Prusse y est venue à notre rencontre, et m'a menée à Charlottenhof, création du Roi actuel, sur les modèles, plans et dessins d'une villa de Pline: c'est charmant, plein de belles choses rapportées d'Italie, qui se marient admirablement à une inconcevable profusion de fleurs, des peintures à fresque comme à Pompéi, des fontaines, des bains antiques, tout cela du meilleur goût. Le Roi et la Reine y étaient: on y a pris le thé; après quoi, le Roi m'a fait monter à côté de lui dans un poney-chaise et m'a menée, par des allées superbes de vieux chênes, jusqu'à Sans-Souci, où il a voulu que je restasse souper. Ce souper se sert dans un petit salon, sans apparat; on cause plus qu'on ne mange. Cela s'est prolongé agréablement et facilement jusqu'à onze heures. Le Roi m'a promis son portrait, et a été, à tous égards, parfait pour moi. Il m'a fait promettre de revenir le voir à Berlin, et a été, comme on dit ici, très herzlich [116].
Ce matin, Humboldt est venu de sa part me proposer, avant d'aller déjeuner chez la Princesse de Prusse, de voir l'île des Paons, avec les admirables serres qui s'y trouvent, 324 et une curieuse ménagerie. Les bateliers du Roi et les directeurs des établissements botaniques m'attendaient, et j'ai rapporté des fleurs superbes. Nous sommes arrivés un peu tard chez la Princesse de Prusse, qui, après le déjeuner, m'a menée, en poney-chaise, voir Glinicke, la très jolie villa du Prince Charles, qui est en ce moment, avec sa femme, aux bains de Kreuznach. De là, j'ai regagné Potsdam, le chemin de fer, et Berlin.
Berlin, 3 juillet 1840.—Mme de Perponcher est venue me prendre à quatre heures aujourd'hui, et en me faisant passer par les appartements de sa mère, la comtesse de Reede, au château, m'a fait éviter la file, et la foule; nous nous sommes ainsi trouvées des premières à la Cour de condoléance que la Reine a reçue à Berlin, assise sur son trône, dans une chambre tendue de noir, les volets fermés, et la pièce uniquement éclairée par quatre grands cierges d'après l'ancienne étiquette. La Reine avait un double voile, l'un flottant en arrière, l'autre baissé devant, et toutes les dames de même, ce qui fait qu'on ne se distinguait pas. Une révérence silencieuse devant le trône, et voilà tout. C'était singulièrement grave et lugubre, mais très noble et imposant. Les hommes, qui ont défilé après nous, étaient en uniforme, et à visage découvert, mais tout ce qui, dans leurs uniformes, était en or ou en argent, recouvert de crêpe noir.
Berlin, 5 juillet 1840.—Voilà mon séjour à Berlin terminé. J'ai été, ce matin, à la grand'messe, ce qui est 325 moins méritoire ici qu'ailleurs, à cause de l'excellente musique qu'on y entend.
Herzberg, 6 juillet.—Je suis partie ce matin de Berlin par le chemin de fer jusqu'à Potsdam, où je me suis arrêtée pour déjeuner. A la descente du train, j'ai trouvé le valet de chambre de la Princesse de Prusse avec une lettre d'adieu très affectueuse; j'ai été gâtée jusqu'au dernier moment. Je suis pénétrée de reconnaissance, car tout le monde m'a témoigné un empressement, une bienveillance, une cordialité, que l'Angleterre seule m'avait offertes jusqu'ici.
J'ai fini les Récits des temps mérovingiens, par M. Augustin Thierry: cela ne manque pas d'intérêt, ni surtout d'originalité; comme tableau de mœurs étranges et inconnues, cela a de la valeur. J'ai commencé les Dialogues de Fénelon sur le Jansénisme, livre peu connu, fort oublié, admirablement bien écrit, et parfois aussi piquant que les Provinciales.
Kœnigsbruck, 8 juillet 1840.—Je suis arrivée hier ici, à six heures du soir, chez ma nièce la comtesse de Hohenthal. La dame du lieu est plus grande, plus blonde, plus spirituelle, aussi bonne, et, à mon gré, plus jolie et plus aimable que sa sœur, Mme de Lazareff. Son autre sœur, Fanny, joint un excellent caractère à de la gaieté d'esprit; si sa santé était meilleure, elle serait jolie. Le comte de Hohenthal est un homme comme il faut, qui admire et adore sa femme. Miss Harrison, l'ancienne gouvernante 326 de ces dames, est une personne mesurée et dévouée, qui leur a tenu lieu de mère, et qui est respectée comme telle dans la maison. Kœnigsbruck est une grande maison plus vaste que belle, à l'entrée d'un petit bourg; la position serait pittoresque et la vue agréable, si elle n'était pas comme étouffée par les communs et les basses-cours, qui, à la mode allemande, se trouvent beaucoup trop rapprochés du château. Le pays offre la transition de la Prusse stérile et plate, à la Saxe productive et coupée.
Voici l'extrait d'une lettre de M. Royer-Collard, écrite de Paris au moment où il allait partir pour le Blésois: «Thiers est venu, aujourd'hui même, s'asseoir ici avec M. Cousin silencieux, qui représentait le frère compagnon du Jésuite. Thiers parle fort dédaigneusement des Ministères qui ont précédé le sien, modestement de ses succès à l'intérieur; du reste, fort aimable pour moi.»
Kœnigsbruck, 9 juillet 1840.—J'ai visité aujourd'hui le château en détail. Il y aurait de quoi faire d'assez belles choses, mais ce n'est pas trop le goût du pays, où les seigneurs, faisant généralement valoir leurs propriétés eux-mêmes, préfèrent l'utile à l'agréable.
Ma nièce m'ayant dit que le Roi et la Reine de Saxe lui avaient témoigné le désir de me voir, j'ai écrit hier à Pillnitz où se trouve la Cour, pour demander à voir Leurs Majestés; quand j'aurai la réponse, je fixerai le moment de mon départ.
Mes nièces, qui passent habituellement leurs hivers à Dresde, m'ont dit que le ministre de France, M. de Bussières, 327 y était fort mal vu. On lui trouve un mauvais esprit et un mauvais ton; il y a introduit d'assez désagréables façons, et a fort blessé la Reine, par des propos au moins déplacés sur son compte. On souhaite beaucoup qu'il obtienne une autre mission diplomatique.
Dresde, 11 juillet 1840.—J'ai quitté Kœnigsbruck ce matin. J'ai revu avec plaisir les jolis environs de Dresde. Je vais faire ma toilette et partir pour Pillnitz.
Dresde, 12 juillet 1840.—Le château de Pillnitz n'est ni très beau, ni très curieux; les jardins sont médiocres, mais la position aux bords de l'Elbe est charmante, et toute la contrée gracieuse et riche. Toute la famille Royale de Saxe y était réunie hier. La Reine, que j'ai connue jadis à Bade, avant son mariage, est la femme la plus grande que je connaisse; elle a beaucoup de bonté, d'instruction et de bienveillante simplicité. Le Roi, qui avait dîné plusieurs fois à Paris, chez M. de Talleyrand, est naturel, ouvert, surtout quand le premier moment, toujours dominé par la timidité, est passé. La Princesse Jean, sœur de la Reine, et sœur jumelle de la Reine de Prusse, ressemble d'une manière frappante à cette dernière, mais elle est tellement éteinte par ses fréquentes couches qu'elle semble avoir à peine la force de se mouvoir et d'articuler quelques paroles. Je l'avais aussi connue à Bade, fort jolie et agréable. Son mari, le Prince Jean, est un des princes les plus instruits du temps, fort occupé de choses sérieuses; sa tournure et toute sa personne sont fort négligées: il a 328 quelque chose du professeur allemand. La princesse Auguste, cousine du Roi, a été successivement recherchée, il y a trente ans, par tous les souverains de l'Europe. Napoléon avait discuté son nom, dans le Conseil où son mariage fut décidé; elle n'en est pas moins restée fille, et, qui plus est, très douce vieille fille. Elle n'a jamais été jolie, mais elle était blanche et fraîche avec quelques jolis détails. L'expression de sa physionomie est restée bonne et prévenante. Enfin, j'ai fait la conquête de la Princesse Amélie, sœur du Roi, celle qui écrit des comédies. Elle a de l'esprit, de l'imagination, une conversation vive et piquante, de la bonté, et elle a été remarquablement aimable pour moi.
Après le dîner, on m'a menée, pour changer ma toilette, dans un très bel appartement, que j'étais tentée de dévaliser, tant il y avait de belles porcelaines de vieux Saxe. La Reine m'a fait chercher. On m'a conduite dans son cabinet, où elle m'a questionnée, à la façon des Princesses. Tout le monde s'est bientôt rassemblé, en toilette de promenade, et on est parti, en calèches, pour une assez longue course. On cultive beaucoup la vigne dans les environs de Dresde. Au sommet des vignes royales, le Roi a fait construire un petit pavillon, qui m'a rappelé celui de la grande-duchesse Stéphanie à Bade. C'était le but de la promenade; la vue y est superbe: à droite, Dresde; en face, l'Elbe et ses riantes rives; à gauche, la chaîne de montagnes qu'on appelle la Suisse saxonne. On a pris le thé dans le pavillon, on a causé assez agréablement, puis on m'a dit adieu, avec toutes sortes de bonnes et aimables 329 paroles. Ma voiture avait suivi, je l'ai reprise, et suis revenue à Dresde à dix heures du soir.
Dresde, 13 juillet 1840.—J'ai été, hier matin dimanche, à la messe dans la chapelle du Château, dont la musique est célèbre dans toute l'Allemagne. C'est le seul lieu où l'on entende encore des chanteurs à la façon de Crescentini et de Marchesi. Cette musique si fameuse ne m'a pas satisfaite; elle était beaucoup trop musique d'opéra, bruyante et dramatique au lieu d'être recueillie. D'ailleurs, ces voix mutilées, malgré leur éclat, ont quelque chose d'aigre et de criard qui me déplaît. Je n'ai jamais pu goûter celle de Crescentini, aux grands succès duquel j'ai assisté, à la Cour de Napoléon.
Après la messe, nous avons visité l'intérieur du Château, où Bendemann, un des artistes les plus distingués de Dusseldorf, peint maintenant à fresque la grande salle dans laquelle le Roi fait l'ouverture et la clôture des États. Ce sera une belle chose, comme composition et comme exécution, mais à laquelle il manquera toujours la clarté que l'Italie seule peut répandre sur ce genre de peinture, qui en réclame beaucoup. Les appartements de l'Électeur Auguste le Fort, meublés dans le goût de l'époque, et qui, depuis, n'ont été habités que par l'Empereur Napoléon, m'ont fort intéressée; il s'y trouve une grande richesse en meubles de Boule, laques, cuivres dorés, vieilles porcelaines, bois incrustés, mais le tout est mal tenu, mal rangé, et ne fait pas le quart de l'effet que cela devrait produire. Le Château, en lui-même, au dehors, a l'air 330 d'un vieux couvent, mais dans les cours intérieures, il y a des détails d'architecture curieux, et qui rappellent le château de Blois, sans l'égaler. Rien n'est comparable, pour donner de la légèreté, de la grâce, de l'élégance aux constructions, à cette pierre éternellement blanche, qui est si exclusivement particulière au centre de la France. Ici, la pierre est très noire.
J'ai eu, le soir, la visite du baron de Lindenau, Ministre de l'Instruction publique et Directeur des musées. Il a joué un rôle politique important dans les affaires de Saxe, lors de la co-Régence du Roi actuel. Je l'avais connu, autrefois, chez feu ma tante, la comtesse de Recke; c'est un homme distingué, et j'ai été fort aise de le revoir.
Mon neveu nous a conduits, ce matin, visiter le Palais japonais, qui contient la Bibliothèque Royale, les manuscrits, les pierres gravées, les médailles et les gravures. J'ai parcouru vingt chambres voûtées qui contiennent toutes les porcelaines connues, de toutes les époques et de tous les pays. Il y a des choses fort curieuses et fort belles. Cette collection est surtout fort riche en chinoiseries. En sortant de là, nous avons été à la Manufacture Royale de porcelaines, qui a conservé la belle pâte si fort admirée dans le vieux Saxe que vendent les marchands de curiosités.
Après dîner, j'ai été au Musée historique, qu'on appelle ici le Zwinger, et qui est arrangé dans le goût de la Tour de Londres. M. de Lindenau avait averti les Directeurs en chef, qui sont de vrais savants et qui nous ont tout expliqué à ravir. Je connaissais, d'autrefois, la Galerie de tableaux et le Trésor, je n'y suis donc pas retournée.
331 Téplitz, 14 juillet 1840.—La journée, de Dresde ici, n'est pas forte: huit petites heures, voilà tout, à travers un pays charmant. On ne va pas vite, à cause des montagnes, mais la variété et l'agrément des sites dédommagent de ces retards. Il y en a, de ces sites, qui rappellent le Murgthal, d'autres Wildbad. L'Erzgebirge, au pied duquel se trouve Téplitz, sans être une chaîne de montagnes imposante, sert pourtant de fond de tableau. D'ailleurs, ce sont des montagnes fort boisées, les villages sont jolis, les fleurs cultivées, les routes, partout, très belles. Aussitôt après mon arrivée, j'ai eu la visite de ma nièce, la princesse Biron, celle qui a épousé l'aîné de mes neveux. Elle m'a fait monter dans sa calèche, nous avons été voir la ville qui n'est pas mal, les promenades qui sont jolies, et le village de Schœnau, qui touche à la ville et où se trouvent les principaux établissements de bains. Tout cela est très bien, et élégamment bâti. Téplitz a beau être très joli, il ne vaut pas le cher Bade. Il y a aussi une grande différence pour le mouvement, qui me paraît être assez médiocre ici. On dit que la mort du Roi de Prusse fera beaucoup de tort, car il y venait chaque année.
La princesse Biron est une douce personne, qui, sans être jolie, a l'air très noble, et qui est fort aimée et respectée dans la famille de son mari.
Téplitz, 15 juillet 1840.—Je vais partir pour Carlsbad où je reverrai ce soir mes deux sœurs, dont je suis séparée depuis seize ans. Une trop longue absence a rompu mes habitudes et m'a laissée étrangère aux intérêts 332 des uns et des autres... Aussi, je commence cette journée avec émotion.
Carlsbad, 16 juillet 1840.—La journée a été de quinze heures, pendant lesquelles je ne me suis pas arrêtée une minute: vingt-six lieues à faire, toujours en montant et en descendant. La sortie de Téplitz est jolie encore jusqu'à Dux, ce château du comte Wallenstein où Casanova a écrit ses Mémoires; mais, plus loin, commence une aridité fatigante. Il était dix heures quand je suis arrivée. Mes sœurs étaient encore en face l'une de l'autre, à faire des patiences. Jeanne, la duchesse d'Acerenza, m'a reçue fort naturellement; Pauline, la princesse de Hohenzollern, avec une certaine gêne qui m'a aussitôt gagnée. Nous n'avons parlé que de choses indifférentes; elles m'ont offert du thé, et je suis allée ensuite dans la maison en face, où ma sœur Jeanne a loué un appartement pour moi.
Carlsbad, 17 juillet 1840.—Le duc de Noailles m'écrit, de Paris, qu'il a dîné chez l'ambassadeur de Sardaigne [117] avec M. Thiers, et qu'il a beaucoup causé avec lui. Il l'a trouvé tout entier à l'Afrique, voulant y dépenser des sommes immenses, y faire une grande guerre, y avoir une armée de quatre-vingt mille hommes, faire l'enceinte continue dont on a déjà tant parlé, pour entourer toute la plaine de la Mitidja [118]. Il tâche de prouver qu'il 333 résultera de tout cela des merveilles dans deux ou trois ans, c'est-à-dire la vraie possession de l'Afrique, une grande colonisation, et un port magnifique sur la Méditerranée. Le duc de Noailles me dit aussi que Mme de Lieven est à Londres, où elle s'applaudit beaucoup de l'accueil qu'on lui fait.
Un autre correspondant m'écrit ceci: «Le Roi ne paraît pas s'être rapproché de son Ministère, quoique étant, dit-on, dans les meilleurs termes, avec les personnes qui le composent. Le Roi a une partie à regagner, et il attend patiemment que le jeu soit beau à jouer. M. Guizot est, paraît-il, toujours à la mode en Angleterre [119]. Il parie aux courses, et a gagné deux cents louis; avouez que M. Guizot sur le turf est une des plus curieuses anomalies de l'époque!»
Mes sœurs m'ont menée, hier, voir les différentes sources et les boutiques qui sont très jolies. J'ai dîné, ensuite, chez elles, à trois heures, avec mon ancien beau-frère, le comte Schulenbourg [120]; puis, nous avons été faire une promenade le long de la vallée, qui ressemble beaucoup à celle de Wildbad. J'y ai retrouvé, en fait de connaissances, le prince et la princesse Reuss-Schleiz; le comte et la comtesse de Solms, fils du premier mariage de la vieille Ompteda; la comtesse Karolyi, celle qu'on appelle Nandine; le vieux Lœvenhieln avec sa femme, 334 qui se nommait Mme de Düben en premières noces; Liebermann et une vieille princesse Lichtenstein. Je suis rentrée chez moi à dix heures, un peu fatiguée de cette lanterne magique.
Carlsbad, 18 juillet 1840.—J'ai été, hier, faire une visite à la comtesse de Bjœrnstjerna, qui demeure dans la même maison que moi. Elle part ce matin pour Hamburg, où elle saura si elle doit rejoindre son mari à Stockolm ou à Londres. Son fils aîné épouse la fille unique de sa sœur, la comtesse Ugglas, morte il y a quelques années. J'ai eu quelque plaisir à retrouver un souvenir vivant de Londres, du meilleur temps de ma vie, même sous cette forme de cette petite Bjœrnstjerna. J'ai été aussi chez un vieux octogénaire, qui demeurait toujours chez ma tante, la comtesse de Recke, et que j'avais manqué à Dresde où je comptais le trouver. Il y demeure habituellement, dans une maison dont ma tante lui a légué l'usufruit, et sur laquelle j'ai des droits, après la mort de ce pauvre vieux bonhomme. Nous nous sommes attendris ensemble au souvenir de ma bonne tante.
Après avoir dîné chez mes sœurs, nous avons été nous promener, en calèche, par un joli chemin taillé dans la montagne, et visiter une fabrique de porcelaines, où il y a d'assez jolies choses. C'est une industrie qui s'est généralement répandue en Bohême depuis quelque temps, mais qui reste fort en arrière de ce qu'elle est en Saxe.
Carlsbad, 19 juillet 1840.—Ma journée d'hier s'est 335 passée à peu près comme la précédente, et comme, probablement, se passeront toutes celles de mon séjour ici. Je m'éveille toujours de bonne heure, j'écris jusqu'à neuf heures, je me lève, je m'habille; à dix heures, je vais chez mes sœurs, je reste avec elles à causer jusqu'à midi; je fais alors des visites d'obligation ou je rentre pour lire. Je retourne chez mes sœurs à trois heures, pour dîner; puis je les mène se promener dans la calèche que j'ai louée ici; à six heures, elles s'établissent devant leur porte à voir passer le monde; j'y reste un peu, puis je rentre chez moi; enfin, je retourne chez elles à huit heures pour le thé.
Ma sœur Hohenzollern a apporté ici toutes les lettres curieuses qui avaient appartenu à ma mère, et dont ma sœur, la duchesse de Sagan, s'était emparée, elle m'a proposé d'en prendre le tiers, et nous en avons fait le partage. Ma part contient des lettres du feu Roi de Pologne [121], de l'Empereur Alexandre, des frères et sœurs du grand Frédéric, de Gœthe, de l'Empereur Napoléon à l'Impératrice Joséphine, du grand Condé, de Louis XIV, et par-dessus tout, une lettre de Fénelon à son petit-neveu, celui qu'il appelait Fanfan [122]. Elle est renfermée dans un papier, sur lequel l'Evêque d'Alais, M. de Bausset, a écrit une note signée, constatant l'authenticité de cette lettre, ce qui fait un double autographe.
Carlsbad, 20 juillet 1840.—J'ai été, hier, à la messe, 336 au milieu d'une foule énorme, car ce pays-ci est essentiellement catholique. Les petites chapelles, les grands crucifix, les ex-voto, répandus dans la montagne, sont tous visités, les dimanches, par le peuple, qui y dépose de petites bougies et des fleurs. J'ai été visiter deux de ces petits lieux de dévotion, qui, outre la pensée religieuse, font un très joli effet dans le paysage.
J'ai, ensuite, retrouvé mes sœurs à leur place habituelle. La comtesse Léon Razumowski et la princesse Palfy étaient avec elles; j'ai fait leur connaissance, sans y trouver grand intérêt. Cette comtesse Razumowski est ici à la tête des plaisirs; ce sont tous les jours des thés, des goûters, etc., à la mode des dames russes à Bade.
M. de Tatitcheff est aussi ici. Il est venu dire qu'un jeune Russe, arrivant droit de Rome, dit y avoir laissé le Pape dans un état désespéré.
Le soir, une Mrs Austin, bel esprit anglais, apportant des lettres de recommandation à mes sœurs, est venue les voir. Elle voit beaucoup M. Guizot, à Londres, le cite à tout propos, et se vante fort de connaître lady Lansdowne.
Carlsbad, 22 juillet 1840.—J'ai reçu, hier, une lettre fort touchante de l'abbé Dupanloup. Il a été se rafraîchir, se recueillir et se reposer à la Grande Chartreuse, d'où il m'écrit. Il comptait retourner promptement à Paris, pour assister, d'office, au sacre du nouvel Archevêque [123], à 337 propos duquel il me montre un grand souci sur l'état du clergé français, dont il dépeint l'irritation comme très grande.
J'ai aussi une lettre de la princesse de Lieven, de Londres. Elle me dit: «Grande débilité dans le Ministère, mais certitude de vivre toujours, à la condition d'une chétive santé. La popularité de la Reine est revenue tout entière depuis l'attentat contre sa personne [124]. Elle s'est vraiment conduite avec un grand courage et un grand calme, très honorable et très rare à son âge; elle aime beaucoup son mari, qu'elle traite en petit garçon. Il a moins d'esprit qu'elle, mais beaucoup de calme et de tenue. M. Guizot a une excellente position ici; il est fort honoré par tous et parfaitement content. M. de Brunnow est bien petit; on les trouve, lui et sa femme, bien ridicules et parfaitement déplacés. La petite Chreptowicz, fille du comte Nesselrode, qui est ici, en est bien honteuse et triste. Alava n'a plus sa gaieté. Lady Jersey a des cheveux gris. Lord Grey a fort bonne mine, mais il est bien grognon.»
On dit ici que Matusiewicz est dangereusement malade de la goutte à Stockholm, et que M. de Potemkin est devenu fou furieux à Rome. Cela va donner du revirement diplomatique à la Russie, et tirera peut-être mon cousin Paul Medem de Stuttgart.
338 Carlsbad, 27 juillet 1840.—Je compte partir après-demain pour Bade. Il est arrivé hier un M. de Hübner, Autrichien [125], employé dans les bureaux du prince de Metternich. Il m'a apporté une invitation pressante du Prince à aller le voir à Kœnigswarth, qui n'est qu'à six heures de chemin d'ici. Je me suis excusée en termes très affectueux, mais j'ai refusé. Il ne serait pas obligeant pour mes sœurs d'abréger d'un jour ou deux mon séjour auprès d'elles, après une si longue séparation, et, surtout, j'ai une grande peur des interprétations stupides de nos gazettes. Frédéric Lamb, Esterhazy, Tatitcheff, Fiquelmont, Maltzan et d'autres diplomates se réunissent à Kœnigswarth; cela fixerait l'attention, et je ne me soucie pas du tout que mon nom, qui n'est point encore assez tombé dans l'oubli, figure dans les agréables commentaires des journaux.
Carlsbad, 30 juillet 1840.—Je quitte Carlsbad aujourd'hui à midi. Je me rends avec ma sœur Acerenza, à Lœbichau, en Saxe, terre qui lui appartient et où ma mère est enterrée. Elle ira ensuite rejoindre ma sœur de Hohenzollern à Ischel où celle-ci se rend aussi aujourd'hui. Nous nous quittons dans les meilleurs termes, et j'ai promis d'aller les voir à Vienne, au prochain voyage que je ferai en Allemagne.
Lœbichau, 31 juillet 1840.—Je suis arrivée hier soir. 339 J'ai traversé un pays de montagnes pittoresques, boisé, arrosé. J'ai voyagé dans ce joli duché de Saxe-Altenbourg, si fertile, si riant, si habité, où j'ai passé tous les étés jusqu'à l'époque de mon mariage. J'y suis revenue plusieurs fois depuis; beaucoup de souvenirs m'y font prendre intérêt, et les émotions ne m'ont pas manqué. Quelques vieilles figures de l'ancien temps m'ont encore saluée. Je suis entrée dans la chambre où ma mère est morte, et que ma sœur habite maintenant, et nous avons été au bout du parc visiter son tombeau. J'ai voulu aller au presbytère voir la femme du Pasteur, qui était ma très fidèle compagne d'enfance. Une de ses filles est ma filleule; c'est une jolie personne.
Lœbichau, 1er août 1840.—Il a plu pendant toute la journée d'hier, il n'y a pas eu moyen de sortir. Je me suis bornée à parcourir la maison et à revoir les chambres que j'ai habitées à différentes époques. Quelques personnes de l'endroit et des environs sont venues nous voir, entre autres une chanoinesse, Mlle Sidonie de Dieskau, grande amie de ma mère, chez laquelle j'allais beaucoup dans mon enfance, qui est une personne fort spirituelle, animée, et qui porte ses soixante-douze ans admirablement.
J'ai trouvé ici une lettre de la duchesse d'Albuféra, qui me mande ce qui suit: «Il y a eu, dernièrement, une soirée chez lady Sandwich. Vous ne devineriez jamais qui s'y trouvait, pour amuser la compagnie... Un magnétiseur! On a entendu la marquise de Caraman dire au jeune 340 duc de Vicence: «Si nous étions seuls, que j'aimerais à me faire magnétiser, mais je n'oserais devant du monde... je craindrais trop de me trahir par mon émotion!»—Le maréchal Valée continuera à commander en Afrique, malgré les diatribes dont il est l'objet, à cause de la difficulté de lui trouver un remplaçant.—Les Flahaut sont revenus, fort adoucis, très gouvernementaux, et vont très souvent à Auteuil, où M. Thiers est établi.—Le mariage de lady Acton avec lord Leveson est décidé, et fixé à ce mois-ci. Il se fera en Angleterre, où les Granville ont été appelés par la maladie grave de leur fille, lady Rivers. Lord Granville ne se souciait nullement de ce mariage. Il a fallu bien des instances pour obtenir son consentement; la grande passion du fils a renversé tous les obstacles.»
Lœbichau, 2 août 1840.—J'ai été hier, avec ma sœur, à une petite demi-lieue d'ici, visiter un pavillon, au milieu d'un parc, dans lequel j'ai demeuré pendant plusieurs étés. C'était un cadeau que ma mère m'avait fait, et que je lui ai rendu, au moment de mon mariage. Il est en assez mauvais état maintenant, mais je l'ai revu avec plaisir. En revenant, j'ai été dans le village rechercher encore quelques anciens souvenirs.
Schleitz, 3 août 1840.—Cette ville est la résidence du prince de Reuss LXIV. Elle a brûlé, il y a trois ans. Le Château est tout neuf, rebâti dans le genre caserne, avec deux tours fort mesquines. C'est dommage, car le pays est joli, surtout vers le point de Gera, où j'ai dîné, chez 341 cette chanoinesse de Dieskau, dont j'ai parlé plus haut, et que j'aime des meilleurs souvenirs de mon enfance. Elle est très bien établie.
Nüremberg, 4 août 1840.—Je suis arrivée tard, hier soir, à Bayreuth, et j'en suis repartie aujourd'hui, de grand matin.
Il suffit de traverser les rues de Nüremberg pour être frappé de son aspect particulier. Les balcons octogones, et formant des tourelles en saillie, soit au milieu, soit au coin des maisons, presque toutes, avec pignon sur rue, ont un cachet à part. La multitude de niches avec des statues de saints, ferait croire qu'on est en pays catholique, et cependant la ville est entièrement protestante; mais la Réforme n'y a pas, comme ailleurs, exercé son vandalisme, et les habitants ont eu le bon goût de conserver, par respect pour les arts, ce qu'ils n'appréciaient plus par piété.
Hier au soir, au dernier relais, avant Bayreuth, j'ai rencontré des voyageurs inconnus, mais qui avaient l'air considérable. Le mari s'est approché de ma voiture et m'a demandé si je savais des nouvelles. J'ai dit que non; alors, il m'a conté qu'il était Genevois, qu'il menait sa femme malade à Marienbad; qu'en quittant Genève, il y avait vu arriver un de ses amis de Paris qui disait que, sur la nouvelle qu'une convention entre l'Autriche, la Prusse, la Russie et l'Angleterre, hostile au Pacha d'Égypte, avait été signée à Londres, le Roi des Français avait été furieux; que M. Thiers avait, immédiatement, ordonné 342 une levée extraordinaire de deux cent mille hommes, pour se porter aux frontières du Nord, et de dix mille matelots [126]. Comme je ne vois plus de journaux, je suis dans une grande incertitude sur la valeur de ces nouvelles; je ne sais que penser et que croire de tous ces démêlés...
On m'a dit qu'il y aurait ici au 1er septembre un camp de plaisance qui durerait quinze jours: vingt mille hommes de troupes, toute la Cour de Bavière et d'autres Princes, le rendront fort brillant.
J'ai lu, dans le Galignani, la mort de lord Durham, il me semble qu'il sera peu regretté.
Je reviens de mes courses. L'église de Saint-Sebald manque de proportions, et les ornements en sont plus que médiocres, mais elle contient un beau monument. C'est une grande châsse en argent, recouverte de bandes dorées, placée dans un monument de fonte à jour, d'une délicatesse et d'une élégance remarquables; les ornements en sont d'une extrême richesse, et d'un dessin admirable. Dans l'Hôtel de Ville, la grande salle peinte à fresques par Albrecht Dürer, et où se sont tenues plusieurs diètes impériales, mérite d'être vue, ainsi que celle où se trouvent les portraits des citoyens de Nüremberg qui, par 343 des fondations pieuses, ont été les bienfaiteurs de leur ville natale. La chapelle de Saint-Maurice, transformée en Musée, contient des tableaux intéressants de l'ancienne école allemande. La statue en bronze de Dürer, sur une des places, modelée par Rauch, de Berlin, et fondue ici, a de la noblesse, et produit un bel effet. Le vieux Château, qui, planté sur une élévation, domine la ville, en fait voir le panorama, ainsi que celui de toute la contrée. Ce vieux castel, tout chétif qu'il est, a le mérite d'une incontestable ancienneté; le Roi et la Reine de Bavière y demeurent quand ils sont ici. Un vieux tilleul, planté au milieu de la cour par l'Impératrice Cunégonde, aurait huit cents ans, s'il faut en croire la chronique. Il est permis de douter d'une date si reculée, mais non pas que cet arbre ait été témoin de bien des événements.
L'église de Saint-Laurent est très belle, très imposante; le tabernacle et la chaire sont des chefs-d'œuvre. Deux fontaines, l'une en fonte, l'autre en pierre, sur deux places, sont très remarquables par de curieux détails de sculpture, mais les petits filets d'eau qui en découlent leur donnent plutôt l'air d'ex-voto que de fontaines. La maison de l'Empereur Adolphe de Nassau, celle des Hohenzollern, longtemps Burgraves de Nüremberg, et plusieurs autres encore, appartenant à des particuliers, sont curieuses. La manie des restaurations a gagné Nüremberg. Ce serait fort louable, si on ne peignait pas à l'huile, en couleurs très voyantes, ces maisons qui, toutes sculptées et découpées, auraient surtout besoin de rester couleur pierre. Le cimetière de Saint-Jean contient les tombes de 344 tous les hommes qui ont illustré la ville. La Rosenau, promenade publique dont les habitants sont très fiers, est humide et mal tenue.
J'ai fini ma tournée en visitant le magasin de jouets, célèbre depuis des siècles. On y fait toutes sortes de figures et de drôleries en bois parfaitement découpées.
Bade, 7 août 1840.—Me voici donc à Bade, qui m'a fait éprouver un vif serrement de cœur, en y rentrant seule tout à l'heure. La vue du Jagd-Haus, de la petite chapelle, des peupliers sur la route, je retrouvais à chaque pas un souvenir, un regret! Je demeure dans une petite maison fort propre, sur le Graben, en face de l'Hôtel de la ville de Strasbourg. On bâtit de tous les côtés; Bade sera bientôt une grosse ville, et me plaira beaucoup moins. En lisant les lettres que vous m'écrivez d'Amérique [127], je me dis souvent qu'elles auraient bien intéressé M. de Talleyrand; cela lui aurait rappelé tant de choses! Mais si ce pauvre cher M. de Talleyrand eût vécu, je doute qu'il vous eût laissé exiler si loin de nous, quoiqu'il ait souvent dit que, pour compléter l'éducation d'un homme politique, il fallait qu'il allât en Amérique, pour bien juger, de là, la vieille Europe.
Bade, 8 août 1840.—M. de Blittersdorf, que j'ai vu chez sa femme, m'a appris une nouvelle tentative folle de Louis Bonaparte, qui avait débarqué à Boulogne-sur-Mer, 345 et avait essayé d'y exciter un soulèvement [128]. La nouvelle est venue par le télégraphe, ce qui fait qu'on n'a point de détails.
Le Roi de Würtemberg est ici, venant des eaux d'Aix-en-Savoie. Sa fille, et son gendre, le comte de Neipperg, sont venus le rejoindre; tout cela va beaucoup à la redoute, fait des parties, etc. M. de Blittersdorf m'a dit, aussi, que les nouvelles de Paris étaient fort à la guerre; que, pour sa part, il ne comprenait, ni comment elle pourrait avoir lieu, avec les raisons importantes que chacun avait pour l'éviter, ni comment on pourrait l'empêcher, après les mesures prises par lord Palmerston, ratifiées par les puissances du Nord [129], et avec l'élan donné à l'opinion, en France, qui se prononce unanimement, et surtout avec les succès du Pacha d'Égypte, dont les revers auraient, seuls, pu arrêter les mesures coercitives stipulées dans la Convention. On dit que, dans cette question, le Roi des Français est absolument d'accord avec M. Thiers, et qu'il a dit qu'il préférait la guerre à la révolution. On reproche à M. Guizot de n'avoir pas averti à temps pour empêcher la signature de la Convention. 346 Il se justifie, en disant qu'il a averti, mais qu'on l'a laissé sans instructions; je rapporte là ce que m'a dit M. de Blittersdorf. Il est très soucieux de l'état des choses, et notamment de la position limitrophe du Grand-Duché de Bade, qui ne serait pas commode en temps de guerre. Il dit que cette position est rendue bien plus difficile par l'absence de cette forteresse, dont, depuis vingt-huit ans, il sollicite la création, de l'Autriche, sans pouvoir l'obtenir. Je suis revenue toute soucieuse de ces probabilités de guerre.
Bade, 9 août 1840.—Je suis rentrée, aujourd'hui, dans mes habitudes de la source. J'y ai retrouvé des figures des années précédentes; mon fils, M. de Valençay, est arrivé dans la journée de Marienbad. J'ai eu la visite du comte Woronzoff-Daschkoff, qui vient d'Ems. Il paraît que les eaux ont fait le plus grand bien à l'Impératrice de Russie, que le duc de Nassau s'est montré très froid pour la grande-duchesse Olga, et que la princesse Marie de Hesse a fort bien réussi auprès des grandeurs moscovites. Le comte Woronzoff dit qu'elle a de mauvaises dents, et ne vante pas trop sa beauté.
J'ai vu ensuite M. de Blittersdorf, qui prétend que le Roi de Würtemberg, la princesse Marie, sa fille, et même le comte de Neipperg, se repentent du mariage, qui les met dans une fausse position. On dit la Princesse en très mauvaise santé, fort peu riche, enfin, tout cela n'a pas le sens commun, d'autant plus que le comte de Neipperg n'a aucune distinction personnelle.
347 Le duc de Rohan est venu aussi: il m'a appris la mort de Mme de La Rovère (Élisabeth de Stackelberg), jeune et belle personne, heureuse, aimée; une amie de ma fille Pauline. Pauvre Mme de Stackelberg! Elle perd ainsi trois enfants, grands et aimables, en moins de six mois! C'est être bien rudement frappée! Elle est un ange véritable, et qui, toute sa vie, a été victime.
Bade, 10 août 1840.—J'ai reçu une lettre de la duchesse d'Albuféra, qui s'inquiète fort de son gendre, M. de La Redorte, ambassadeur en Espagne. Il est arrivé à Barcelone dans de fort tristes conjonctures; elle dit qu'il s'est montré à merveille, et qu'on est fort satisfait, à Paris, de l'attitude qu'il a prise, dès le début.
Toutes mes correspondances sont à la guerre, d'une façon qui me désole. C'est Mme de Lieven, qui, par un cri triomphal, a été la première à donner, dans une lettre à Mme de Flahaut, la nouvelle, à Paris, de la fameuse Convention des quatre Puissances. Cette Princesse moscovite s'est montrée dans la joie, ravie d'avoir des émotions dignes d'elle. Mais comment arrange-t-elle cela avec M. Guizot? Il paraît que ces bruits de guerre désolent Mme de Flahaut, qui s'est reprise de passion pour les Tuileries.
Le duc de Noailles est très fier, m'écrit-il, d'avoir prédit tous les conflits actuels. Je n'ai pas ses discours assez présents pour me souvenir de ses prédictions; en tout cas, c'est une triste consolation pour les malheurs qui menacent la société européenne.
348 Bade, 12 août 1840.—J'ai dîné chez les Wellesley, où se trouvaient la princesse Marie et le comte de Neipperg. Depuis que j'ai vu celui-ci, je conçois encore moins le mariage; on dit que le Roi de Würtemberg est mécontent de son gendre, qui fait le dédaigneux; celui-ci est susceptible et exigeant, la pauvre Princesse embarrassée entre son père et son mari, la société embarrassée entre le mari et la femme, enfin c'est une fausse et sotte position, pour les uns et pour les autres. La Princesse fait des frais, et, sans être jolie, elle est agréable; seulement, je ne sais ce qu'elle a dans la taille; elle n'a les mouvements ni libres ni faciles.
J'ai été, le soir, à un concert chez la comtesse Strogonoff, où se trouvaient aussi la princesse Marie, et le grand-duc de Bade. J'ai vu, là, la société élégante. Je n'ai été frappée de rien de particulier, et je n'ai fait, heureusement, aucune nouvelle connaissance.
Bade, 13 août 1840.—J'ai lu, hier, le mandement du nouvel Archevêque de Paris, Mgr Affre, à l'occasion de son installation. J'y trouve deux grandes affectations: l'une, de rassurer le gouvernement sur sa douceur politique; et l'autre, de ne pas dire un seul mot de son prédécesseur, ce qui est contraire à tous les usages et à tout savoir-vivre. S'il ne voulait parler, ni de son administration, ni de sa personne, il devait, au moins, louer sa charité, qui, assurément, ne peut être contestée; cela ne le compromettait pas, et, par là, il évitait la platitude du silence.
349 M. de Blittersdorf m'a dit, chez sa femme, qu'il était effrayé de l'irritation produite, en France, par le silence absolu de la Reine d'Angleterre sur la France, dans son discours de clôture du Parlement. Il m'a dit, aussi, que ce qui avait décidé l'Angleterre à se séparer de la France dans la question d'Orient, était la certitude, acquise dernièrement, des intrigues de M. de Pontois, pour empêcher toute conciliation entre le Sultan [130] et le Pacha, et les assurances données à celui-ci de ne pas s'alarmer des rigueurs des Puissances et de continuer ses entreprises, en se fiant au secours de la France. Lord Palmerston se plaint de cette duplicité. D'un autre côté, on prétend que c'est lord Ponsonby qui a empêché la paix entre la Porte et l'Égypte. Bref, c'est un gâchis à n'y plus rien comprendre. Puisse-t-il ne pas s'éclaircir à coups de canon!
Voici l'extrait d'une lettre de M. Bresson, de Berlin, que je reçois à l'instant: «Il m'est survenu, tout à coup, bien de la besogne, et pas des plus agréables. Le mal est grand, et ne sera pas entièrement réparé. Combien de fois je me suis dit: «Si M. de Talleyrand vivait, et qu'il fût à Londres, cela ne serait pas arrivé!» Il serait bien bon aussi qu'il pût être à Berlin, et partout, car je ne réussis que bien imparfaitement à faire entendre raison. C'est cependant la plus sotte transaction des temps modernes, et bien digne de porter les noms de lord Palmerston et de MM. de Bülow et de Neumann. M. de Bülow a agi sans autorisation. On a crié «haro!» sur lui, et puis, pour ne 350 pas faire différemment du plus grand nombre, avec lequel on veut toujours bravement marcher, on a fini par ratifier, à quelque restriction près, son beau chef-d'œuvre. Les quatre Cours m'en diront des nouvelles dans six mois. Méhémet-Ali les enverra promener et attendra leur blocus, qui sera plus ridicule, s'il est possible, que celui de La Plata [131], et qui coûtera plus cher. J'espère bien, pour faire pièce à nos amis de Pétersbourg, qu'il ne passera pas le Taurus. Les grands politiques comptaient sur un double effet moral: 1o sur la France; 2o sur Méhémet-Ali, grâce à l'insurrection de Syrie! Voyez comme ils ont bien calculé! Ajoutez à cela l'indignité de la négociation clandestine et de la notification d'un acte signé à M. Guizot, quarante-huit heures après conclusion, et lorsqu'il rêvait tout autre chose, et demandez-vous ce qu'il y a au fond de nos cœurs. Si le bon vieux Roi de Prusse vivait encore, nous n'aurions pas vu ces étourderies. M. de Bülow eût eu la tête lavée; ou, plutôt, M. de Bülow n'eût pas tout pris sur lui. Il a cru flatter et captiver les hommes et les passions qu'a réveillés l'héritage d'un Prince que la Prusse regrettera de jour en jour davantage. Enfin, je suis de fort mauvaise humeur, et je ne prends pas soin de le cacher. Nous savons maintenant, au juste, ce qu'il y a derrière les paroles et les protestations. On saura, j'espère, aussi, ce que vaut le ressentiment de la France.» 351 On retrouve, dans cette sortie, l'impétuosité naturelle de M. Bresson, mais il me semble qu'on peut y voir aussi qu'il y a plus de mauvaise grâce que d'hostilité réelle dans l'action des Puissances, et y puiser quelques espérances pacifiques.
Bade, 19 août 1840.—J'ai reçu, hier, une invitation si pressante de Mme la grande-duchesse Stéphanie d'aller la voir à sa terre d'Umkirch-en-Brisgau, où elle est maintenant, que je me décide à lui faire cette visite, après avoir fini ma cure ici.
J'ai vu mon cousin Paul Medem, qui arrivait de Stuttgart, où il vient de présenter ses lettres de créance, comme ministre de Russie. Il ne croit pas à la guerre, et il le prouve, car il vient de placer deux cent mille francs dans les fonds français.
Bade, 20 août 1840.—J'ai eu une très agréable surprise, en recevant le portrait du Roi de Prusse, accompagné d'une aimable lettre de sa main. Le portrait est d'une parfaite et spirituelle ressemblance, et peint par Krüger.
Mme de Nesselrode m'a amené son fils, qui arrive de Londres. Il a laissé Mme de Lieven absorbée par le grabuge européen, brouillée avec Brunnow, très froide avec lady Palmerston, furieuse de n'avoir pas été mise dans le secret de la signature de la fameuse Convention. C'est elle qui, sans le savoir, a aidé à la mystification de M. Guizot, en lui soutenant qu'il ne pouvait rien y avoir de fait, puisqu'elle l'aurait su. Elle appartient à l'ambassade de France. 352 On la tient et la traite pour telle; les moqueries vont leur train; elle reçoit à l'heure du lunch; au moment où M. Guizot paraît, la porte se ferme, on ne laisse plus entrer personne, et ceux qui sont chez elle s'en vont. Il paraît que sa position est, réellement, ridicule et déplacée, et qu'elle n'est soutenue que par les Sutherland, chez lesquels elle demeure.
J'ai reçu une lettre de Paris, de la duchesse d'Albuféra, qui m'écrit: «Que puis-je vous dire de la guerre? La presse y pousse par tous moyens. Chaque jour, les articles belliqueux, qui remplissent les journaux, exaltent les têtes; on assure, cependant, que le Roi est fort tranquille, et ne croit pas qu'elle aura lieu; mais pourra-t-on contenir le mouvement de l'opinion? On annonce une Ordonnance pour mobiliser la Garde nationale en France. Il faut s'attendre à voir préparer tous les moyens de défense; on n'a pas assez de calme pour juger que c'est ainsi qu'on excite à la guerre; chaque mesure nouvelle augmente l'agitation.
Du reste, je suis convaincue que le gouvernement lui-même ne sait pas ce qui en arrivera. Puisse la diplomatie nous éviter des coups de canon! J'ai été voir Mme la duchesse d'Orléans à Saint-Cloud; elle est bien maigre, mais ne se plaint pas de sa santé. On la rencontre souvent en calèche, dans le bois, Mgr le duc d'Orléans à cheval, à la portière. Mme de Flahaut est à Dieppe, son mari à Paris, dînant souvent chez le Prince Royal. Sa position va être embarrassante dans le procès de Louis Bonaparte.»
353 Bade, 22 août 1840.—Mon fils, M. de Valençay, qui est retourné à Paris, me mande y avoir vu M. le duc d'Orléans, qui lui a dit: «Il paraît que Thiers et Guizot sont fort en méfiance l'un de l'autre; Guizot, supposant que Thiers voudrait rejeter sur lui la crise actuelle, en laissant soupçonner qu'il n'avait pas bien informé son gouvernement, a envoyé les copies de ses dépêches à ses amis de Paris, qui menacent d'en faire usage, si l'Ambassadeur est attaqué. Le dire de ces amis est donc, que Guizot informait exactement Thiers, mais que celui-ci ne voulait donner ni instructions, ni réponses, avant d'avoir consulté Méhémet-Ali. Il se bornait à mander, à Londres, de ne dire ni oui, ni non. Palmerston, au contraire, voulait mettre Thiers au pied du mur. Thiers, de son côté, disait: «Palmerston veut jouer au fin; je l'enfoncerai» (expression qui paraît avoir passé dans le langage diplomatique!). Enfin, Palmerston, fatigué et impatienté, aurait conclu. On est fort à la guerre. Cependant, Guizot croit encore à la paix, mais il écrit qu'en effet, il suffit d'une étincelle, d'un matelot heurté, pour faire éclater la plus terrible guerre du monde.»
Umkirch, 26 août 1840.—Hier, à moitié chemin de Bade ici, un orage formidable a éclaté, il a fallu nous mettre à l'abri dans une grange; les grêlons tombaient, gros comme des noix; malgré ce retard, je suis arrivée ici à six heures du soir. La Grande-Duchesse avait obligeamment envoyé ses chevaux à ma rencontre à Fribourg. En arrivant ici, M. de Schreckenstein m'a prévenue que 354 j'allais la trouver au lit, où, depuis la veille, elle était retenue par un refroidissement.
La nouvelle grande-maîtresse, Mme de Sturmfeder, une veuve qui paraît avoir cinquante ans, et qui a bonne façon, m'a menée dans sa chambre. Je l'ai trouvée, en effet, assez fiévreuse, mais non moins causante que de coutume, fort contrariée d'être souffrante, et au moins autant de l'arrivée du duc Bernard de Saxe-Weimar, qui lui faisait une visite à l'improviste. Au bout d'une demi-heure, la princesse Marie m'a menée dîner. Le grand salon et la salle à manger sont dans un bâtiment à cent pas du château; rien n'est si incommode; après la pluie, et sans les galoches, il n'y aurait pas eu moyen de s'en tirer.
Je connaissais Umkirch. Il ne me plaisait guère; et il ne me plaît pas davantage maintenant. La maison principale est petite, les chambres sont basses; la mienne, qui est au premier, a cependant une belle vue sur les montagnes.
A dîner, tous les hôtes étaient rassemblés, c'est-à-dire la princesse Marie, le duc Bernard avec son aide de camp, la vieille Walsh, qui, quoique hors de fonctions, est ici en visite, son fils et sa belle-fille, la baronne de Sturmfeder, M. de Schreckenstein, Mlle Bilz, la petite maîtresse de piano bossue, et M. Mathieu, peintre français, qui donne des leçons à la princesse Marie. Après le dîner, je suis rentrée chez la malade et j'y suis restée jusqu'au thé. Elle paraissait vraiment ravie de me voir. Elle est toujours fort anxious de marier sa fille. Elle vient de lui être demandée 355 par le prince de Hohenlohe, mais cela lui paraît trop peu de chose, et il a été refusé. Le vieux grand-duc de Darmstadt voudrait aussi épouser, mais on le trouve trop vieux et trop laid. Enfin, on croit que le prince Frédéric de Prusse, celui de Dusseldorf, ennuyé, fatigué des extravagances de sa femme, va demander le divorce, et qu'il songera alors à la princesse Marie, qui en serait bien aise. Voilà le vœu du moment. On voudrait que j'écrive du bien de la Princesse à Berlin.
On s'intéresse fort peu à Louis Bonaparte, qu'on souhaiterait voir enfermer dans une forteresse.
Mme de Walsh, qui est une amie de l'abbé Bautain, m'a dit qu'il venait d'être appelé à Paris, par M. Cousin et par le nouvel Archevêque. Il paraît qu'on veut créer une Faculté de hautes études théologiques, et mettre M. Bautain à la tête. C'est, assurément, un homme de beaucoup d'esprit et de talent, mais il est à peine réconcilié avec Rome; il a la tête ardente, c'est un esprit ambitieux, longtemps en querelle avec son Évêque; il n'a pas cette soumission de doctrine, si inhérente au catholicisme, et qui en a fondé si essentiellement la durée. Ce choix soulèverait donc quelque défiance dans le clergé, et peut-être pas sans raison. Je saurai le vrai dans tout cela, à Paris, par l'abbé Dupanloup.
Le duc de Saxe-Weimar, sous une enveloppe assez lourde, ne manque ni de bon sens, ni de savoir; à mon grand étonnement, je l'ai trouvé fort orléaniste, professant un attachement extrême pour Mme la duchesse d'Orléans, sa nièce, pour laquelle il m'a confié une lettre. Il 356 est très anti-russe et anti-anglais, au point de dire que si la guerre éclate, le Roi des Pays-Bas doit faire cause commune avec la France. Il est, en ce moment, en disponibilité, et s'est provisoirement établi à Mannheim, d'où il a grande envie de faire un voyage à Paris.
La Grande-Duchesse et la princesse Marie étaient fort au courant des cadeaux et de la corbeille donnés par la Russie à la princesse Marie de Hesse. L'Empereur lui a donné deux rangs de perles fermés par un saphir, estimés deux cent mille francs; l'Impératrice un bracelet analogue; le Grand-Duc, son fiancé, son portrait entouré de diamants, et un parasol incrusté d'émeraudes et de perles, les cartes de l'Empire de Russie et les vues de Pétersbourg, bien reliées; et enfin le cadeau laissé par le testament de feu l'Impératrice Marie à la femme à venir de son petit-fils, une Sévigné de trois pièces, chacune si énorme que c'est comme une cuirasse.
Lunéville, 27 août 1840.—J'ai quitté Umkirch ce matin. J'ai mis quatorze heures pour faire un assez long chemin que le passage des montagnes allonge beaucoup. J'ai traversé les Vosges au col du Bonhomme. Beaucoup de fabriques et d'usines donnent de la vie et du mouvement à la contrée qui est, parfois, très gracieuse et animée. La végétation est mesquine et les montagnes trop uniformes dans leurs contours.
Vitry-sur-Marne, 28 août 1840.—Partie ce matin à sept heures de Lunéville, je me suis arrêtée deux heures 357 et demie à Nancy, et j'arrive encore ici à dix heures du soir, cela s'appelle bien aller!
Ay, 30 août 1840.—Hier, en venant ici, je me suis arrêtée à Châlons où j'ai rencontré M. de La Boulaye qui s'y trouvait pour la session du Conseil général. J'ai été bien aise de le voir. C'est un homme aimable, par le caractère autant que par l'esprit, et chaque jour je fais encore plus de cas de l'un que de l'autre. Il m'a raconté Paris, qu'il venait d'apprendre par M. Roy, arrivant tout droit de la grande Babylone pour présider le Conseil général de la Marne. La veille de son départ de Paris, il avait vu le Roi, qui, en lui parlant des questions du jour, lui avait dit: «Thiers me pousse à la guerre, je lui réponds: Je veux bien, mais il faut pour cela convoquer les Chambres. A cela, il réplique: Nous ne tirerons rien de cette Chambre-ci, il faut la casser.—Oh! quant à cela, mon cher Ministre, non, je prends la Chambre telle qu'elle est, et je m'en arrange.»
M. Roy a dit encore que la nouvelle des ratifications du traité de Londres était arrivée à Paris le 22, et n'avait été publiée que le 24. Pendant ce temps, le terrible jeu de Bourse a fait faire faillite à plus d'un agent de change, mis en fuite M. Barbet de Jouy, enrichi M. Dosne, beau-père de M. Thiers, de dix-sept cent mille francs, et M. Fould de plusieurs millions; ce dernier a remplacé M. de Rothschild dans la confiance ministérielle. Le récri public a été tel que le Garde des sceaux, M. Vivien, a été obligé d'ordonner qu'on informât. Cette information ne 358 produira rien, comme de raison, mais elle indique que le scandale a été poussé fort loin. Il paraît que, de tout cela, le principal personnage ministériel a beaucoup perdu dans l'opinion. On trouve qu'il a très légèrement gouverné la diplomatie, et fort étrangement caché des nouvelles intéressantes pour le public. On dit encore que tout le monde industriel et spéculateur tremble de la guerre et exerce une action très vive dans le public.
Je suis arrivée ici vers trois heures après midi, par une chaleur d'Afrique. Je retrouve avec plaisir un climat chaud, ses fleurs, ses fruits, ses belles nuits et son ciel bleu!
J'ai trouvé une lettre de la princesse de Lieven, écrite de Londres le 22 août. Elle me dit: «Il commence à se manifester ici une grande inquiétude de la situation. Tout est bel et bon, ou plutôt on ne s'inquiète de rien quand il s'agit de politique extérieure, de complications, quelque graves qu'elles soient; on traite avec dédain les journaux français, voire même les armements français, mais enfin on se frotte les yeux un peu. On s'étonne de trouver que ce qu'on appelle humbug français peut devenir quelque chose, que ce quelque chose ne serait ni plus ni moins qu'une guerre générale, et faite, de la part de la France, avec des armes épouvantables, des armes qu'elle avait sagement déposées depuis dix ans et qu'on la forcerait peut-être à reprendre. Enfin, l'inquiétude se répand, et je ne puis m'empêcher d'y voir un acheminement à une entente, malgré les embarras que les amours-propres peuvent rencontrer sur le chemin. 359 Voilà mon point de vue. Ma politique, à moi, c'est mon entresol [132]; il me plaît, j'y veux rester. Le duc de Wellington dit, bien haut, qu'il est Turc, et plus Turc que tout le monde, mais que la Turquie ne veut pas la paix avec la France, et qu'il faut, avant tout, conserver celle-là. Léopold se donne beaucoup de mouvement. Il y est plus intéressé que qui que ce soit. Il va repartir pour la Belgique. M. Guizot a été à Eu; il a été à Windsor; sa vie actuelle lui convient. Il a fort bonne mine.»
Ma nièce, la comtesse de Hohenthal, qui avait été à Dresde voir son oncle Maltzan, quand il y est venu de Kœnigswarth, me mande ceci sur le séjour de l'Impératrice de Russie en Saxe: «L'Impératrice de Russie a été si peu aimable pour la Cour de Saxe, que le Roi et la Reine de Prusse, qui, eux, ont enchanté tout le monde, en ont été au désespoir. Elle n'a pas voulu demeurer à Pillnitz où on avait fait beaucoup de préparatifs pour la bien loger; elle a refusé de se servir des voitures de la Cour, et a couru les boutiques et les promenades comme une pensionnaire, et sans observer le moindre décorum. Elle n'a pas voulu dîner à la Cour, et a seulement paru un instant à un concert préparé pour elle.—Le Roi de Prusse a voulu donner le portefeuille des Affaires étrangères à mon oncle Maltzan, mais celui-ci a préféré garder son poste à Vienne. On 360 prétend que ce refus tient à ce qu'il est amoureux fou de la princesse Metternich.
Paris, 31 août 1840.—Me voici revenue dans ce grand Paris, si peuplé sans doute, et cependant si vide pour moi. Je suis arrivée ce matin, à dix heures, dans ma petite maison [133], qui me fait l'effet d'une bonne petite auberge, seulement cette exiguïté dans les proportions m'étonne et va si peu à mes habitudes et à mes goûts qu'assurément je ne pouvais rien choisir de mieux calculé pour réaliser le projet de n'être à Paris que par nécessité.
Paris, 3 septembre 1840.—J'ai eu, hier, une longue visite de M. Molé. Il blâme M. Guizot dont il conte des ridicules infinis avec grande complaisance; il blâme M. Thiers, dont il dépeint vivement la légèreté, la présomption, ainsi de suite; le Roi reçoit aussi son coup de patte. Son opinion sur la crise du moment, qui absorbe ici tous les esprits au plus haut degré, c'est que «les plus bravaches meurent de peur de la guerre»; qu'on est, au fond, honteux et embarrassé de s'être laissé égarer à faire fausse route, à tenir pour impossible ce qui s'est cependant effectué, et de se trouver tout seul, quand on se pavanait de solides alliances; mais, au milieu de la 361 panique, on exalte tellement de certaines cordes par les conversations et les publications perpétuelles, qu'il devient chaque jour plus difficile de dénouer la difficulté, et qu'on est forcé d'admettre qu'il faudra la couper. Le commerce a été tout à coup frappé de stupeur. Tous les intérêts matériels sont déjà dans une grande souffrance; Rothschild, brouillé avec M. Thiers, a perdu encore plus de millions que M. Fould n'en a gagné. M. Molé met tout cela très complaisamment en lumière.
J'ai été dîner chez la maréchale d'Albuféra; la pauvre femme était désolée d'avoir vu partir le matin même, pour l'Espagne, sa fille qui est dans le plus déplorable état de santé. La Maréchale a gardé un de ses petits-enfants. Elle a vraiment un cœur d'or. Son langage sur les événements politiques du moment est tout différent de celui de M. Molé; non pas moins effrayé de la gravité des circonstances, mais les attribuant à d'autres causes; ne tarissant pas sur la capacité, activité et habileté de M. Thiers, sur ses inépuisables ressources, et sur l'union intime qui règne entre le Roi et lui. Elle m'a dit un fait qui ne plairait guère à M. Bresson: c'est qu'il n'a tenu qu'à M. de La Redorte d'aller à Berlin, au lieu d'aller à Madrid. Elle dit que M. de La Redorte a de grands succès en Espagne et que Roi et Ministres ne tarissent pas en éloges sur la distinction de sa correspondance.
A neuf heures, j'ai été chez Mme de Castellane. Là, il a été question de l'éloge de feu M. de Quélen; cela a amené à parler du nouvel Archevêque, M. Affre. C'est M. de Montalembert qui a fait faire ce choix et voici comment: 362 M. de Montalembert s'est fait ministériel violent, et M. Thiers croit, par lui, tenir tout le clergé distingué, tandis que M. de Montalembert n'est uni qu'avec la partie du jeune clergé démocrate, qui fait bande à part, et qui se compose des abbés Cœur, Combalot, Lacordaire, Bautain, et qui n'est pas tenu pour orthodoxe dans l'esprit de l'ancien clergé. Celui-ci compte aussi dans son sein de jeunes prêtres distingués comme l'abbé Dupanloup, l'abbé Petetot, curé de Saint-Louis d'Antin, et d'autres encore; bref, il y a une scission très vive.
En rentrant chez moi, j'y ai trouvé une lettre de M. Bresson, dont voici un passage intéressant: «La position est très grave; le début, en politique étrangère, du Roi de Prusse, n'est pas heureux. Il n'y a ni franchise, ni noblesse à faire suivre toutes ces belles protestations d'un acte de provocation et d'injustice, envers nous qui n'avons pas eu un seul mauvais procédé envers la Prusse. Cela crie vengeance, et je n'ai pas assez d'humilité chrétienne pour ne pas en avoir soif. Je sais bien qu'on regrette ce qu'on a fait, et qu'on en est embarrassé; qu'on a été emporté par ce gros bouffi de Bülow, après une mauvaise digestion de son estomac vorace, plus loin qu'on ne voulait aller; mais enfin le mal est fait, et il n'est pas réparable. Le fond des cœurs s'est dévoilé; quelle confiance pourrions-nous avoir à l'avenir? Tant il y a que je suis dégoûté, et que je veux quitter cette mission. Je suis, d'ailleurs, malade et triste; j'ai envie de Rome. Il faut que je mette mon esprit en jachère et que je réchauffe mon corps à un vrai soleil. Voilà vingt-quatre ans d'exil 363 et de travail d'arrache-pied. Je n'y puis plus suffire; l'ennui m'accable et me tue; et puis, je ne veux pas que les bonnes relations que j'ai réussi à établir ici périssent entre mes mains, et elles sont en bon chemin d'y aboutir. Une faute entraîne dans une autre; un premier tort en engendre un second. D'ailleurs, je suis personnellement blessé. J'ai été loyal, et on ne l'a pas été; mon ressentiment éclaterait, qu'il y ait Roi ou Ministre en cause, cela me serait égal; je les ferais repentir d'avoir manqué de reconnaissance et de procédé envers notre Roi, après l'avoir appelé le Palladium de l'Europe, en parlant à moi et à M. de Ségur.» On reconnaît, dans ce style véhément, la fougue de M. Bresson, mais le fait est que je crois les choses venues au point de devoir lui faire désirer un autre poste.
C'est demain que se fait la liquidation à la Bourse de Paris. On évalue les pertes probables à vingt-quatre ou vingt-cinq millions. C'est un gros désastre.
Paris, 4 septembre 1840.—J'ai été hier aux Tuileries, chez Madame Adélaïde qui m'y avait donné rendez-vous. J'y ai aussi vu le Roi, se portant bien, gai, en pleine sécurité, convaincu qu'il n'y aura pas de guerre, ne la désirant assurément pas, se flattant que les quatre Puissances, bientôt persuadées de leur mauvaise direction, seront obligées d'avoir recours à sa médiation, et qu'il sera ainsi appelé à jouer le rôle de protecteur, etc.; du reste, très blessé d'avoir été planté là par les grandes Puissances, mais trop sage pour approuver les invectives 364 et les aboiements de la presse ministérielle; n'ayant pas plus de goût pour M. Thiers que par le passé, mais comprenant l'impossibilité de s'en séparer maintenant, et espérant s'en servir pour faire faire par lui aux Puissances certaines concessions, que lui seul pourrait faire accepter au pays. Il y a du vrai, de l'habile, mais aussi une part d'illusion dans cette pensée. Quant à Madame, elle a les mêmes idées que le Roi, en y joignant une rancune extrême contre M. Guizot, qu'elle accuse d'avoir été d'une niaiserie diplomatique complète. Elle a répété plus de vingt fois: «Ah! si notre cher prince de Talleyrand vivait, si seulement notre bon général Sébastiani était resté à Londres, nous n'en serions pas là!»
A peine étais-je rentrée de chez elle, que M. le duc d'Orléans est arrivé chez moi: il y est resté très longtemps. Il est infiniment plus soucieux, et, en même temps, infiniment plus décidé que son père; profondément ulcéré contre les Puissances, surtout à cause de la manière dont les choses se sont passées: le 16 juillet, Guizot mandait ici qu'il n'y avait rien de fait, qu'il ne se ferait rien; et le 17, il reçoit une lettre de lord Palmerston qui l'engage à passer chez lui: il y arrive, et pour toute communication, lord Palmerston lui lit le fameux Memorandum. Guizot pâlit, se trouble, ne trouve pas autre chose à dire, si ce n'est qu'il va en faire part à son gouvernement, et sort de chez lord Palmerston comme un homme anéanti. Maintenant, lui et ses amis jettent tous les torts sur Thiers. Celui-ci les lui renvoie avec empressement et détails; ils sont donc fort mal ensemble. 365 M. Thiers est effrayé de la guerre, mais, au lieu de calmer ses journalistes, il est tellement dominé par eux, que non seulement il ne saurait les arrêter, mais qu'il se croit obligé de tout leur communiquer, ce qui rend tout secret impossible, blesse le Corps diplomatique, et embarrasse toutes choses. En attendant, tous les préparatifs annoncés par les journaux sont faits, et même doublés. C'est M. le duc d'Orléans qui y met lui-même la main. Trente-quatre millions sont déjà dépensés. On est en mesure de rappeler tout ce qui est en Algérie, et le parti est pris d'abandonner cette colonie sans regrets, en se disant qu'elle a eu l'avantage d'exercer des soldats et de former des officiers. On ne rassemblera les Chambres que quand les chances pacifiques seront toutes épuisées, et on se croit certain de faire approuver alors toutes les dépenses. La Reine est, de toute la famille Royale, la plus guerrière; le sang de Marie-Thérèse s'est éveillé. Elle est indignée de la conduite des Puissances: elle dit que si la guerre éclate, elle veut faire bénir les épées de ses cinq fils par l'Archevêque de Paris, et leur faire jurer, devant le Saint-Sacrement, qu'ils ne les remettront pas dans le fourreau, que la France et leur dynastie ne soient remises en tête de l'Europe. Comme, en général, elle ne se mêle de rien, cette vivacité étonne et embarrasse le Roi.
Pour en revenir à M. Guizot, il est l'objet des moqueries du Château, surtout depuis le retour de M. le duc de Nemours de Londres, car il fait des récits infinis des ridicules du petit Ambassadeur: il demande l'adresse des tailleurs, veut que ses pantalons collent, parie aux 366 courses, se croit connaisseur en chevaux, ne songe qu'à ses équipages, sa table, se frivolise à plaisir, et pour achever le ridicule, fait le fanfaron auprès de Mme Stanley, et cherche à inspirer de la jalousie à Mme de Lieven, qui, dit-on, n'en serait pas absolument exempte: bref, tout ce terrain est exploité à belles mains.
Après le départ de M. le duc d'Orléans, j'ai eu la visite de l'abbé Dupanloup: il m'a donné de fort curieux détails sur le clergé de Paris, dans lequel il se forme une opposition, très sourde encore, mais très réelle, contre Mgr Affre. La vulgarité et la rudesse de ses formes sèment, journellement, des rancunes infinies contre lui. Il a voué une haine extrême à la mémoire et aux amis de feu Mgr de Quélen; moi-même, pauvre moi, lui suis un objet désagréable; quant au Sacré-Cœur, c'est de la persécution. L'Abbé s'est mis à rire, quand je lui ai dit: «Nous voilà donc devenu le Port-Royal des Jésuites!» Mgr Affre n'ose toucher, ni à l'abbé Dupanloup, ni à son petit séminaire, il le ménage même, à cause des rapports divers de l'Abbé, qui est aussi bien avec M. Jaubert, ministre des Travaux publics, qu'avec la princesse de Beauffremont, carliste prononcée; avec Mme de La Redorte qu'avec Mme de Gramont du Sacré-Cœur, et qui, enfin, dans la semaine qui a précédé la nomination de l'Archevêque, a été appelé par M. Thiers, pour lui dire son opinion sur l'état du clergé. M. Thiers, avec son étourderie accoutumée, avait, à la même heure, donné rendez-vous à M. de Montalembert, qui lui amenait M. Affre! Chacun arrive là au même moment et est assez étonné de se rencontrer! 367 Pendant qu'ainsi, surpris, on attend le Ministre, celui-ci était enfermé avec M. Royer-Collard. Enfin, tous les quatre se sont trouvés en regard les uns des autres, pendant quelques instants: c'est une jolie scène de Mémoires!
L'abbé Dupanloup m'a renouvelé sa promesse de venir me voir au mois d'octobre à Rochecotte: il ne m'a pas caché, cependant, qu'il serait peut-être obligé d'y manquer, s'il voyait l'Archevêque, qu'il doit ménager à cause de son petit séminaire, s'en trop inquiéter.
Dans les papiers pris chez Louis Bonaparte, on a trouvé les preuves de l'argent russe, de la connivence carliste, Berryer en tête, et le nom de M. Thiers s'y trouve trop souvent. Le Roi a défendu au chancelier de suivre le procès dans cette direction, et cela pour deux motifs: le premier, c'est que M. Thiers eût été obligé de déposer, ce qui eût rendu la position générale plus fâcheuse et compliquée qu'elle ne l'est déjà, et le second, que le Roi trouve inutile de montrer à ses ennemis du dedans à quel point ils peuvent compter sur des encouragements effectifs de la part de la Russie. Où tout ce désordre des esprits et cette complication des intérêts mèneront-ils?
Paris, 5 septembre 1840.—Paris a été très agité avant-hier et hier par les nombreux attroupements et excès des ouvriers: les journaux en donnent les détails. On trouve beaucoup d'argent sur ceux qu'on arrête et on croit qu'il provient des russo-bonapartistes; c'est, du moins, l'opinion du gouvernement. Chaque jour 368 révèle une nouvelle plaie sociale, et l'époque est travaillée par de cruelles maladies!
J'ai été hier au Sacré-Cœur, causer longuement avec Mme de Gramont que j'ai trouvée inquiète et agitée: elle m'a raconté, en détail, toutes les vexations que le nouvel Archevêque lui fait éprouver, et aussi la nouvelle façon dont il gouverne le clergé de Paris, à laquelle MM. les curés n'étaient guère accoutumés. Ainsi, il a été faire une scène au pauvre vieux curé de Saint-Thomas-d'Aquin, sur ce que, dans sa paroisse, on disait du mal de lui l'Archevêque, et qu'il l'en rendait responsable. Ayant vu, dans une sacristie, que de jeunes prêtres riaient de ses façons communes, il les a apostrophés avec des invectives. Il veut forcer quelques-uns des curés à donner leur démission. Enfin, c'est une perturbation générale dans le diocèse.
J'ai été aussi chez Mme de Jaucourt, que j'ai trouvée seule, vieillie, isolée, mais animée. Elle m'a conté un fait qu'il y a quelques jours j'aurais regardé comme impossible, mais qu'à présent, je suis moins éloignée d'admettre: c'est que la Reine et Madame donnent soixante mille francs au journal de M. de Montalembert, l'Univers catholique. On remarque, depuis quelque temps, dans ce journal, des récits de conversation du Roi avec les ambassadeurs étrangers.
Mme de Castellane est venue me demander à dîner pour aujourd'hui, avec M. Molé, qui nous lira son discours de réception à l'Académie française, où il succède à M. de Quélen.
369 J'ai vu, ce matin, M. Hottinger, le banquier, qui est inquiet de la situation des choses. Il voit, avec effroi, que les efforts de la diplomatie peuvent être d'un instant à l'autre annulés par le bon plaisir du pacha d'Égypte, entre les mains duquel il est bien clair qu'est aujourd'hui la question de la paix ou de la guerre. Les conspirations et mouvements, à Constantinople, ne laissent pas que de compliquer toujours pour le pire toutes les questions. Il n'y a véritablement plus qu'une Providence miraculeuse qui puisse dissiper d'aussi gros nuages. A Marseille, tout le commerce se liquide, on met ses fonds en cave, on ne met plus un seul navire en mer, et on attend avec anxiété les premiers événements.
J'ai été, à une heure, à Saint-Cloud, voir Madame Adélaïde; puis j'ai été chez la Reine, et enfin chez Mme la duchesse d'Orléans; elle est vraiment charmante, distinguée, spirituelle, mesurée, gracieuse: sa conversation est tout à fait agréable et attachante. Madame Adélaïde me paraissait croire à la paix. Dieu veuille qu'elle pense juste!
Paris, 7 septembre 1840.—Voilà l'émeute relevant la tête avec une nouvelle audace; les canons des Invalides galopent vers le faubourg Saint-Antoine, le rappel ne cesse de battre, la troupe marche, la Garde nationale est réunie aux différentes mairies. Enfin, c'est la bataille. Jusqu'à présent, notre faubourg Saint-Germain est tranquille, mais on ne saurait se dissimuler que si le combat ne se terminait pas promptement, la rive gauche de la 370 Seine ne vaudrait bientôt pas mieux que la rive droite. On me dit que les groupes répandus dans Paris sont remplis d'étrangers, notamment de Polonais et d'Italiens, gens de sac et de corde, sans domicile fixe, ne couchant pas deux nuits de suite dans la même maison, par conséquent difficiles à saisir, depuis hier menaçant, pour simplifier la chose, de mettre le feu dans Paris. Les chefs d'ateliers, avertis depuis longtemps du mouvement qui se préparait, en avaient averti le Préfet de police, qui n'avait pu trouver dans la loi de moyens préventifs suffisants. On n'a pu, même, empêcher le terrible banquet d'hier; aujourd'hui, on est dans l'effroi, et les troupes et les canons sont chargés de faire la police: encore s'ils s'en acquittaient avec fermeté!
Paris, 8 septembre 1840.—J'ai su, hier soir, à huit heures, que la troupe avait refoulé les perturbateurs hors Paris, et que la ville était tranquille, seulement les monuments publics étaient gardés, à cause des menaces de feu. Dans la soirée, j'ai vu M. Molé, qui paraissait fort bouleversé des quatre francs de baisse à la Bourse. Il m'a appris aussi la rupture éclatante des doctrinaires avec M. Thiers, dont le manifeste, inséré dans un journal de Rouen, a été cité par le journal la Presse qui appartient à M. Molé! On dit que cette guerre est très vive.
Le Journal des Débats devient aussi assez amer contre M. Thiers. Le commerce et la Bourse crient contre lui, et sa position devient très difficile. Mais ce qui devient d'un intérêt plus pressant, c'est cette autre guerre dont 371 la première démonstration paraît déjà avoir eu lieu en Syrie par le fait de l'amiral Napier. On dit bien que cet amiral a un cerveau brûlé, et que, doublé par l'extravagant lord Ponsonby, cette démonstration n'origine pas du gouvernement anglais, mais ce gouvernement la désavouera-t-il?
Paris, 10 septembre 1840.—La tranquillité est, en apparence du moins, bien rétablie dans Paris. J'ai dîné hier à Saint-Cloud, qui, restauré et meublé par le Roi, est vraiment magnifique. Il s'y trouve des Gobelins admirables, copiés d'après Rubens, représentant la vie de Marie de Médicis. Le Roi m'a menée voir en détail les appartements, et alors il a causé un peu de tout, répétant beaucoup qu'il veut la paix, qu'il fera tout ce qui dépendra de lui pour la conserver, mais qu'il faudrait qu'on lui rendît la tâche possible, ce qui n'est pas le cas, ni au dedans, ni au dehors; sa haine contre les Russes, son amertume contre l'Angleterre sont extrêmes. Il en veut beaucoup, et avec raison, à cette dernière, de ce qui se passe maintenant en Espagne. La Reine Christine, convaincue qu'en voyant Espartero elle agirait sur lui de façon à se l'attacher personnellement, l'avait invité à se rendre à Madrid. Sur son refus, elle a entrepris le voyage qui l'a perdue. En son absence, on a travaillé la Capitale; elle est maintenant obligée d'y rentrer, et sous les plus funestes auspices. On va probablement commencer par lui ôter sa fille, puis, que fera-t-on d'elle? C'est ce que le Roi se demandait avec inquiétude, répétant: 372 «Je crains que la pauvre femme ne soit perdue [134].» Il dit que c'est l'Angleterre qui soudoie et encourage tout le mouvement anarchiste; qu'Espartero est tout Anglais, et que si la guerre générale éclate, il faut s'attendre à le voir entrer hostilement en France comme auxiliaire de l'Angleterre.
Le Roi avait reçu la nouvelle que le Roi de Prusse avait rendu à l'Archevêque de Cologne la liberté et l'autorisation de rentrer à Cologne, mais que l'Archevêque ne voulait profiter de cette permission qu'après de nouvelles instructions de Rome.
Mme la duchesse de Nemours a une absence totale de physionomie, et une niaiserie dans le son de sa voix qui efface un peu l'éclat de sa brillante jeunesse. Mgr le duc de Nemours est toujours de bois. Mgr le duc d'Aumale est traité en homme; il paraît animé et causeur. La princesse Clémentine se fane et fait beaucoup moins de frais. La Reine et Mme la duchesse d'Orléans sont les deux perles. M. Dupin, qui dînait aussi à Saint-Cloud, grognait tout haut et faisait des morceaux d'éloquence sur la faiblesse du gouvernement dans la question des émeutiers, disant 373 que tant qu'on s'adresserait à eux en les appelant Messeigneurs les Ouvriers, on pouvait s'attendre au feu et au pillage. Ces ouvriers, avant-hier, dans la nuit, ont désarmé deux postes de la rue Mauconseil, qui, à la vérité, ne se sont pas défendus. Avec cela, il y eut, hier, une nouvelle dégringolade à la Bourse. On ne peut imaginer la terreur, le chagrin et la ruine d'une quantité de gens.
L'autre jour, M. de Montrond parlait du désir qu'avait M. de Flahaut, d'aller à Londres comme ambassadeur, mais on est trop aise de se débarrasser de Guizot pour le rappeler ici, malgré tous les mécontentements qu'il donne là-bas.
Paris, 11 septembre 1840.—Je pars décidément à la fin de la matinée, pour aller coucher à Jeurs, chez la comtesse Mollien.
Hier, en rentrant, le soir, chez moi, j'ai repris le procès de Mme Lafarge, sur lequel j'étais en retard [135]. Tant mieux pour sa parenté si elle est innocente du crime, mais j'avoue cependant que, vu la discussion des premiers et seconds experts, ces énormes achats d'arsenic, et, surtout, cette transition si subite d'une horrible répugnance à des tendresses excessives pour son mari, elle me restera 374 toujours assez suspecte pour désirer une autre garde-malade si j'avais des tisanes à faire faire.
Une chose qui me choque tout particulièrement de la part de Mme Lafarge, ce sont ces rires inextinguibles pendant la déposition emphatique, et, à la vérité, ridicule, d'un des témoins à charge. J'avoue que je vois, dans cette gaîté, bien plus d'impudence que d'innocence. Plus une personne, sous le coup d'une pareille accusation, serait innocente, plus elle devrait souffrir, et tout en conservant le calme d'une bonne conscience, elle devrait être occupée d'autres idées que de se livrer à de pareils éclats d'hilarité. Il y a là un manque choquant de délicatesse, et de tout sentiment de sa position, car enfin, quand il s'agit d'un mari empoisonné, qu'on soit accusatrice ou accusée, l'envie de rire ne saurait, ce me semble, se manifester. A tout prendre, empoisonneuse ou non, cette personne reste une mauvaise aventurière.
Courtalin, 14 septembre 1840.—Je suis partie, hier, de très bonne heure, de Jeurs, où j'ai reçu, comme à l'ordinaire, une bonne et aimable hospitalité. J'avais fait, avant-hier, avec Mme Mollien, une tournée dans la vallée de la Juine, qui s'étend d'Étampes à Corbeil; elle est très arrosée, assez plantée, fort habitée; de grosses roches disputent le terrain aux arbres, comme dans certaines parties de la forêt de Fontainebleau. Gravelles à M. de Perregeaux, Chamarande à M. de Talaru et Ménilvoisin à M. de Choiseul-Praslin sont les trois habitations principales de cette vallée. Je connaissais les deux premières, 375 Mme Mollien m'a menée voir la troisième: c'est noble, spacieux; les avant-cours, le parc, tout cela a bel air, mais tout cela est triste. C'est le défaut à reprocher à toutes les habitations de cette contrée: elles n'ont pas de vue, encaissées qu'elles sont dans cette étroite vallée; elles manquent d'air et d'horizon, mais elles ne manquent pas d'eau, et l'abondance en est telle que l'humidité est inévitable. La rivière de la Juine fait marcher une quantité de moulins; il y en a de si considérables qu'ils font l'effet de châteaux.
Je suis arrivée hier soir ici, où se trouve réunie toute la famille de Montmorency, et un M. de Roothe, vieillard de soixante-dix-huit ans, fils de la dernière femme du maréchal de Richelieu.
Il n'a été question, hier soir, au salon, que de Mme Lafarge; on est, ici comme partout, fort divisé d'opinions sur son compte. Ceux qui la croient innocente disent que le mari n'est pas mort empoisonné, qu'il est mort de l'usage des mouches cantharides qu'il prenait pour être un vaillant mari, et que c'est à cette vaillance qu'il faut attribuer le prompt changement des dispositions de sa femme, et le plaisir qu'elle trouvait à le voir entrer chez elle par la fenêtre, quand il n'y entrait pas par la porte. Ceux qui persistent à croire Mme Lafarge coupable disent qu'il faut plutôt croire les premiers experts qui ont opéré sur les matières fraîches, que ceux qui ont analysé des matières incomplètes, décomposées; ils s'appuient sur les mauvaises tendances, hier avérées, de l'accusée, sur ses lettres, ses habitudes de mensonge et de comédie, sa mauvaise 376 réputation dès sa première jeunesse, la hâte que sa famille avait de la marier pour s'en défaire, au point d'avoir eu recours à un bureau matrimonial. Elle est petite-fille d'une Mme Collard, qui, avant son mariage, n'avait pas d'autre nom que celui d'Hermine, élève de Mme de Genlis, et assez généralement supposée être sa fille et celle de M. le duc d'Orléans, père du Roi des Français actuel. C'est à cette filiation qu'on attribue l'intérêt très vif qu'on prend aux Tuileries pour Mme Lafarge. Dans son affaire des diamants, on la juge selon le monde et l'opinion auxquels on appartient: Mmes de Léautaud, de Montbreton, les Nicolaï appartiennent au faubourg Saint-Germain; tout ce bord-là la croit coupable de vol et d'empoisonnement. Toute la démocratie, charmée de trouver en faute une femme du beau monde, tient la fable inventée par Mme Lafarge contre Mme de Léautaud pour véritable. L'esprit de parti se mêle à toutes choses, et détruit tout sentiment d'équité et de justice.
Je reçois, à l'instant, une lettre de la duchesse d'Albuféra, dont voici l'extrait: «J'ai été avant-hier soir à Auteuil, chez Mme Thiers; j'y ai trouvé bien de la préoccupation sur tout ce qui se passe. Les événements se pressent et s'embrouillent; la décision de fortifier Paris avait porté le trouble à la Bourse; cette mesure, dont l'exécution est énormément chère, va beaucoup effrayer. M. Thiers disait que tous ses efforts tendent à gagner du temps, pour achever les préparatifs; il ajoutait que, s'il peut prolonger les choses jusqu'au mois d'avril, nous serons en mesure de nous défendre. Il dit qu'on ne saurait 377 être plus animé dans cette question que le Roi et la Reine. Quant à l'Espagne, il paraît très inquiet et ne prévoit plus d'issue. Il reçoit tous les jours des dépêches télégraphiques; la Reine régente était encore, le 7, à Valence, et il pense qu'il faudra peut-être qu'elle livre une bataille pour rentrer dans sa Capitale. La municipalité de Madrid nomme chaque jour de nouveaux Ministres; c'est, enfin, le comble de l'anarchie.»
Courtalin, 15 septembre 1840.—Il y a eu, hier, deux nouveaux arrivants ici, à l'heure du dîner: le duc de Rohan et son fils, le prince de Léon. Ces messieurs ont apporté la nouvelle certaine du mariage de M. Anatole Demidoff avec la princesse Mathilde de Montfort, moyennant le paiement des dettes du père par M. Demidoff. Pour celui-ci, c'est une question de vanité: c'est pour devenir l'allié du Roi de Würtemberg et de l'Empereur de Russie, mais cette alliance est, dit-on, assez mal vue par les deux souverains pour ne pas lui préparer beaucoup d'agréments.
Bonnétable, 17 septembre 1840.—Avant-hier soir, après tous les commérages habituels du salon de Courtalin, nous avons eu des anecdotes amusantes, que M. de Roothe conte assez bien sur son beau-père, le maréchal de Richelieu [136]. Celui-ci a été marié sous trois règnes différents. 378 Le premier mariage s'est fait par ordre de Louis XIV, qui avait trouvé le chapeau parfumé du jeune étourdi trop près du lit de Mme la duchesse de Bourgogne.
Je me suis émerveillée de l'idée d'avoir dîné en face d'un homme dont le beau-père avait été aux pieds de cette charmante Princesse, et grondé par Mme de Maintenon. M. de Roothe nous disait que le maréchal de Richelieu était resté si galant, qu'une heure avant d'expirer, sa belle-fille s'étant approchée de son lit, et lui ayant dit qu'elle le trouvait mieux, qu'il avait meilleur visage, il lui répondit: «Ah! c'est que vous me voyez à travers vos beaux yeux!» Voici comment M. de Roothe nous a conté que s'était fait le mariage de sa mère avec le maréchal de Richelieu: quelques années avant, et quand son premier mari vivait encore, se trouvant en voiture avec lui, ils passèrent, sur le Pont-Neuf, devant un carrosse versé et cassé: ils s'arrêtèrent pour savoir à qui l'accident était arrivé et s'ils pourraient être utiles à la personne versée. C'était le maréchal de Richelieu, qu'ils recueillirent dans leur voiture et ramenèrent chez lui. Le lendemain, M. de Richelieu alla remercier M. et Mme de Roothe, et, frappé de la beauté de cette dernière, il renouvela cette visite si souvent qu'on en fit la remarque à Mme de Roothe, en lui disant que la réputation du Maréchal 379 était telle, malgré ses quatre-vingts ans, qu'il pouvait être dangereux de le recevoir familièrement. Mme de Roothe évita donc de le recevoir. Elle devint veuve quelque temps après, et resta, avec quatre enfants, dans une position assez gênée pour l'obliger à vendre ses chevaux; le maréchal de Richelieu, déguisé en maquignon, se présente pour les acheter, dit qu'il ne saurait s'entendre avec les gens de Mme de Roothe, demande à lui parler à elle-même; introduit et reconnu, elle lui dit aussitôt, pour couper court aux explications, qu'elle a changé d'avis et ne veut plus vendre ses chevaux. M. de Richelieu se retire, mais pour être utile à la belle veuve, il obtient du Roi, à son insu, un appartement pour elle aux Tuileries, celui-là même où nous avons vu la vicomtesse d'Agoult et Madame Adélaïde. Mme de Roothe accepte le bienfait du Roi. Quelques mois après, elle apprend qu'elle le doit au Maréchal, et croit devoir lui écrire pour l'en remercier. Il vient chez elle, tombe à ses pieds, et lui dit: «Madame, si vous vous trouvez bien dans cet appartement, permettez-moi de trouver qu'il n'est pas digne de vous et que l'hôtel de Richelieu vous conviendrait mieux.» La proposition fut acceptée et le mariage se fit: Mme de Roothe devint grosse, mais le duc de Fronsac, furieux du tort que cette grossesse pouvait lui faire, gagna la femme de chambre de sa belle-mère, et celle-ci lui fit avaler, dans une tisane, une drogue qui provoqua une fausse couche.
J'ai voyagé très vite, hier, grâce à de belles routes, de bons chevaux, et de bons postillons, grâce surtout à un affreux ouragan qui nous soufflait du dos et emportait 380 voiture, gens et chevaux dans ses tourbillons. J'ai trouvé la duchesse Mathieu de Montmorency en bonne santé, mais un peu sourde; son aumônier est malade, ce qui a changé les habitudes de la maison.
J'ai une lettre de M. Bresson. Voici ce qu'il me dit sur la politique: «Nous sommes ici un peu plus au calme; c'est une affaire qui s'usera, mais il restera des ressentiments et des défiances. On ne s'abordera plus avec la même cordialité, on sera longtemps sur le qui-vive; enfin le terrain n'est plus aussi net, et c'est ce que M. de Talleyrand n'aimait pas. Mais je crois que le gros orage est détourné, et que si vous avez formé des projets de voyage en Prusse pour l'année prochaine, vous n'aurez aucun motif d'y renoncer en ce qui concerne la guerre. M. de Werther a été assez sérieusement malade. Le prince de Wittgenstein revient après-demain de Kissingen. Mme de Reede, avec ses soixante-quatorze ans, trône et dirige toutes choses à Kœnigsberg. Nous aurons des fêtes splendides pour le Huldigung [137]. La noblesse de la seule Marche de Brandebourg a souscrit pour vingt mille écus. Toute cette brillante perspective ne me remet pas en belle humeur. Ma santé est décidément altérée par le climat, et mon caractère par l'isolement et l'exil. Je suis arrivé à une de ces périodes de la vie, et de ces dispositions d'esprit, où il faut un changement à tout prix, et c'est à quoi 381 j'aspire. Mes meilleurs jours sont passés, ce qui me reste de liens en ce monde va bientôt se briser, je dois chercher à me rattacher à mon pays. Quel service vous me rendriez en intéressant ma protectrice, Madame Adélaïde, à me faciliter cette retraite!»
J'ai dans mon idée que M. Thiers aura bientôt, par beaucoup de démissions volontaires, la facilité de remplir par ses amis les grands postes diplomatiques.
Valençay, 19 septembre 1840.—Me voici à Valençay, ce lieu si rempli de souvenirs, et qui me fait l'effet d'une patrie. M. et Mme de Valençay sont seuls ici avec leurs enfants. Ils me paraissent tous deux assez aises de m'y voir arriver. Je le suis toujours de me retrouver à Valençay. Je suis ici, moins séparée d'un passé bien riche, et les morts y sont moins absents que partout ailleurs.
Valençay, 22 septembre 1840.—M. et Mme de Castellane sont arrivés hier ici, venant de leur Auvergne, qui me paraît être peu agréable à habiter. Il n'y a point de routes pour arriver chez eux; ce sont de mauvais chemins dans lesquels on ne peut aller qu'en litière ou à cheval. Il neige déjà dans leurs montagnes, qui sont sans arbres et sans culture, rien que des herbages pour le bétail; ni fruits, ni légumes, ni gibier; aucun secours médical immédiat. Pauline est maigrie, hâlée; son mari est fort maigre aussi, j'espère qu'ils se referont, à Rochecotte où nous allons tous nous rendre. Mais qui est charmante, c'est Marie, leur petite fille, blanche, grasse, fraîche, de bonne 382 humeur, douce, riant, gigotant; un bon petit ange, que j'ai eu le cœur fort touché de revoir, ainsi que sa mère.
C'est aujourd'hui le jour de Saint-Maurice, autrefois le plus animé et le plus brillant de Valençay. Il ne sera célébré cette fois que par une messe, pour le repos de l'âme de notre pauvre cher M. de Talleyrand, qui sera célébrée dans la chapelle sous laquelle il repose.
Valençay, 24 septembre 1840.—Voilà donc le grand drame Lafarge terminé. Elle est condamnée. La réflexion qui m'est venue en lisant l'arrêt infamant, c'est qu'il faut que cette femme par son aspect, que l'action des débats, les gestes, les physionomies, aient produit un effet bien frappant, pour amener cette conviction, qui résulte d'autre chose que des faits et qui a provoqué sa condamnation; car elle a montré longtemps une rare présence d'esprit, ses avocats de grands talents, et l'accusateur public, une gaucherie pleine de rudesse; il y avait grand partage de sympathie et d'antipathie dans le public; Mme Lafarge était soutenue par une famille puissante. Ce qu'il y a de singulier et de rare dans ce procès, c'est que je n'y vois personne, pas même la victime, qui inspire de l'intérêt. Outre la condamnée, il y a ce Denis qui me paraît être un très mauvais homme; la mère Lafarge, trop occupée du testament; le défunt, bien peu délicat en affaires commerciales; Mme de Léautaud, bien légère; Mme de Montbreton, trop magnétiseuse; Mme de Nicolaï, surveillant bien mal ses filles. Avec si peu de personnes à estimer dans les accusateurs de Mme Lafarge, il faut qu'elle ait 383 fortement impressionné le jury de sa culpabilité pour être condamnée.
Valençay, 25 septembre 1840.—Voici ce que le duc de Noailles me mande de Paris, où il avait été faire une visite à Mme de Lieven revenue de Londres. «J'ai trouvé la Princesse fort changée. On espère toujours la paix, et le gouvernement y tend. Le Roi est toujours rassuré. Les propositions de Méhémet-Ali sont une nouvelle phase de l'affaire, qui peut empêcher la guerre, mais rien n'est fini, si cela traîne jusqu'au printemps, Thiers sera alors plus belliqueux qu'aujourd'hui, parce que nous aurons une armée, qui, dans ce moment-ci, nous manque. On est plus en adoucissement avec la Prusse qu'avec les trois autres Puissances. Il paraît qu'à Berlin on en a déjà par-dessus les oreilles de la Convention, et que l'on y maudit M. de Bülow de sa présomption et de son aveuglement.»
On m'écrit d'autre part ceci: «A Londres, l'inquiétude gagne toutes les classes. Le Ministère anglais se dit étonné des mesures prises en France, et de l'activité que déploie le Roi. Je crois lord Palmerston très agité. La princesse de Lieven a lu à M. de Montrond une lettre de lady Cowper, qui ne cache pas les inquiétudes et les incertitudes de son monde. On a dit que lord Holland est en dehors de tout ce qui se passe. Je suis certain du contraire; il écrit des lettres de six pages, à M. Bulwer, sur les affaires, et s'y montre vif comme un jeune homme. On le dit même très avancé dans les opinions anti-françaises. Les récoltes sont mauvaises en Angleterre et en Écosse, autre embarras 384 pour le Cabinet anglais. En attendant, quoiqu'on soit rassuré à Saint-Cloud, il semble cependant que la brèche s'élargit, par l'échange de notes fort aigres; tout cela est fort confus, et des prévisions un peu fondées sont impossibles.»
Nous avons ici, depuis hier, M. de Maussion, qui arrive de Paris, ou plutôt de chez M. Thiers où il passe sa vie. Il raconte que Mme de Lieven est traitée d'espionne chez M. Thiers, qu'on l'y accuse de toutes sortes de trahisons. Il dit aussi que M. de Flahaut arrive chaque matin, chez M. Thiers, avec force lettres d'Angleterre, qu'il fait l'important, et que ses intrigues et celles de sa femme sont plus vives que jamais. Il ajoute que M. de Flahaut part pour l'Angleterre, afin de ne pas se trouver au procès de Louis Bonaparte, mais que sa femme répand partout que c'est avec une mission secrète et importante près du Cabinet anglais pour réparer les gaucheries de M. Guizot. On voudrait bien supplanter celui-ci, mais M. Thiers ne veut pas qu'il soit à Paris pour l'époque des Chambres; alors M. de Flahaut s'est rabattu sur l'ambassade de Vienne, et on croit qu'il l'obtiendra.
Valençay, 25 septembre 1840.—Mme de Wolff m'écrit, de Berlin, en date du 10 de ce mois: «Notre ville est en grand mouvement pour les préparatifs des solennités qui auront lieu après-demain, à l'entrée du Roi et de la Reine, et plus encore pour les fêtes qui seront données à l'occasion de la prestation d'hommage. La quantité d'étrangers qui arrivent de toutes parts est 385 énorme. Vous aurez vu, dans les journaux allemands, avec quel enthousiasme le Roi a été reçu à Kœnigsberg, et avec quelle dignité toute royale il s'est assis sur le trône de ses ancêtres. Il paraît, au dire général de tous les spectateurs, que l'effet du discours spontané du Roi, après le serment, a dépassé toutes choses, comme profonde émotion. Ce discours était si peu préparé, que la Reine est restée comme frappée d'étonnement, en voyant le Roi se lever subitement et s'approcher de la balustrade. Là, il s'est arrêté, et levant la main vers le ciel, il a prononcé, d'une voix ferme et sonore qui a retenti jusqu'au fond des cœurs et a été entendue jusqu'à l'extrémité de l'enceinte, ces paroles si simples, qui contiennent tout son avenir. Il a fait couler bien des larmes, et il en a versé lui-même. Tout ce qu'il faut demander au ciel, c'est de nous conserver les bienfaits de la paix. Jusqu'ici, les apparences de guerre n'ont pas troublé la sécurité générale. On ne saurait rien comparer à l'activité énergique du gouvernement du Roi. A en juger d'après ses débuts, la Prusse fera, sous ce règne, des pas de géants, mais, je le répète, pour jouir de l'âge d'or qui semble nous sourire, il nous faut conserver la paix.»
Valençay, 28 septembre 1840.—Nous nous sommes distraits, hier, par une petite représentation dramatique, qui a eu lieu dans la soirée. Elle a commencé par le dialogue d'Agrippine et de Néron [138], joué, en costumes, par 386 M. de Montenon, qui faisait Néron, et mon gendre en Agrippine, véritable monstruosité féminine. Ensuite le Mari de la veuve a été joué, avec beaucoup d'entrain, d'ensemble et d'intelligence par mon fils Louis, ma fille Pauline, Mlle Clément de Ris et Mlle de Weizel. Puis deux scènes du Dépit amoureux, par Mlle Clément de Ris, M. de Montenon, M. et Mme d'Entraigues. Et enfin, Passé minuit, par MM. de Maussion et de Biron, qui a fort diverti les bonnets ronds du parterre. On a soupé et dansé après le spectacle. Tout s'est passé gaiement et très bien.
Valençay, 29 septembre 1840.—J'ai reçu plusieurs lettres. L'une dit ceci: «On a convoqué un conseil de Cabinet à Londres pour le lundi 7. On doute beaucoup que lord Palmerston fasse prévaloir son opinion près de ses collègues, et on dit que ses ministres sont loin d'être unanimes. C'est pourquoi on conserve encore quelque espoir que la paix soit maintenue. D'un autre côté, on ne sait rien sur la nature des instructions qui ont été envoyées dans la Méditerranée. Il règne, en tout, une grande incertitude sur tout.»
Voici maintenant les dires de Mme de Lieven. D'abord, de graves plaintes sur sa santé, qu'elle conclut: «Je ne suis pas si mal, cependant, que l'Europe. Quelle dégringolade partout! Ce qu'il y a de vraisemblable, c'est la guerre. Imaginez, d'avoir laissé venir les choses à ce point! Et pas un homme en Europe pour se saisir d'une affaire, pour la conduire! M. de Metternich me paraît mort! Tout le monde veut la paix, la veut passionnément, et voilà où 387 cet amour enragé de la paix a amené l'Europe! Vraiment, tout le monde est fou. La crise doit se décider dans peu de semaines. On assure que Vienne fait de grands efforts, mais Palmerston est bien obstiné. En France, on a fait du bruit, et beaucoup et plus que du bruit. Quels sont les amours-propres qui se prêteront à une reculade? J'aimerais bien à causer avec vous. Nous avons vu de meilleurs temps; et que de choses j'aurais à vous conter sur Londres, qui vous étonneraient. Ma chère Duchesse, si la guerre éclate, je dois être la première à quitter Paris, et la France; où irai-je? C'est abominable!»
Valençay, 30 septembre 1840.—M. Molé me mande ceci: «M. le Comte de Paris a été bien malade, tout simplement dans le plus grand danger. Il est mieux, sans être guéri. Vous savez sans doute Mme de Lieven de retour. Son ami, M. Guizot, la chose est certaine, ne tardera pas à rompre avec son maître et supérieur, M. Thiers. La discussion de l'Adresse sera le terme le plus éloigné pour l'accomplissement de ce grand événement.»
Voici maintenant ce que dit la duchesse d'Albuféra: «Il y a toujours ici bien de l'inquiétude sur les événements. On se demande ce qui va être répondu aux propositions de Méhémet-Ali, mais bien du monde pense que la foudre leur succédera. En France, les armements se font sur une très grande échelle.—La duchesse de Massa est arrivée à temps pour fermer les yeux au Maréchal Macdonald, son père; on pense que le bâton de maréchal de celui-ci ira au général Sébastiani.—La princesse de Lieven reçoit 388 chaque jour une longue dépêche de notre Ambassadeur à Londres.»
Tours, 2 octobre 1840.—Je trouve ici une lettre de M. de Sainte-Aulaire, qui m'écrit de Vienne, le 23 septembre: «Les affaires iraient bien, si elles se faisaient ici; mais on cause à Vienne et à Berlin, c'est à Londres qu'on négocie, et les dispositions y sont, malheureusement, fort différentes, je crois.»
Rochecotte, 4 octobre 1840.—Les journaux d'hier contiennent la grande note explicative de lord Palmerston, adressée au ministre d'Angleterre à Paris, M. Bulwer, et qui établit la question d'Orient sous un jour fort différent des récits français [139], puis, la nouvelle de la prise de Beyrouth [140], qui est un début assez vif des mesures coercitives. Que va-t-il produire?
Rochecotte, 5 octobre 1840.—Mon gendre a reçu une lettre de Paris dans laquelle on lui mande que le salon de M. Thiers, le jour où on y a appris la nouvelle de la prise de Beyrouth, était guerroyant, fulminant à incendier le monde. Cependant j'ai vu, dans le Journal des Débats 389 du 3, un petit article à ce sujet qui prêche le calme et la modération, et, en songeant aux hautes inspirations que reçoit ce journal, je me suis un peu tranquillisée.
Je m'attendais à ce que le plaidoyer de M. Berryer pour le prince Louis Bonaparte serait d'une portée séditieuse, éclatante, foudroyante, insolente, téméraire: bref, un volcan! J'ai été fort surprise, en le lisant, de n'en pas recevoir la moindre émotion, mais j'ai souvent remarqué que lorsqu'on lit les discours de Berryer, ils ne produisent nullement un effet en rapport avec sa réputation, et que c'est l'entendre qu'il faut pour être ébloui et entraîné, tant il a, à un haut degré, les qualités extérieures et séduisantes d'un orateur.
Rochecotte, 6 octobre 1840.—La duchesse d'Albuféra m'écrit de Paris: «Les événements, en Orient, sont d'une nature bien alarmante; ce qui ne l'est pas moins, c'est le langage des journaux ministériels, faiblement compensé par celui, très modéré, du journal de Saint-Cloud [141]. Les premiers menacent M. Thiers de se séparer de lui, s'il ne commence pas la guerre. La Prusse et l'Autriche paraissent, décidément, ne pas vouloir la faire contre nous, ni contre personne. On n'y comprend plus rien. M. de Flahaut est à Londres, logé chez lord Holland; il voit tous les jours les Ministres, et mande à sa femme qu'il cherche à leur ouvrir les yeux sur notre véritable position, mais cette mission officieuse n'aura, probablement, 390 pas grand résultat, car le parti semble pris à Londres, et bien pris. J'ai vu lady Granville, qui est fort triste, ainsi que son mari; ils espèrent toujours que la guerre n'éclatera pas et je sais que lord Granville fait tout ce qu'il peut pour adoucir les esprits. On ne voit ici que gens inquiets, agités; on ne parle que de mémorandum, de Beyrouth, d'Espartero, de fortifications; on se couche avec l'esprit bouleversé, on se réveille avec une pénible attente, vous êtes bien heureuse d'être loin d'un pareil brasier. Le procès de Louis Bonaparte n'occupe personne: M. d'Alton-Shée, après un discours violent, a seul voté pour la mort. Cela a été mal pris par le reste de la Chambre.»
Rochecotte, 7 octobre 1840.—J'ai appris, hier, une nouvelle qui m'a affligée, celle de la mort de ma pauvre amie la comtesse Batthyàny, à Richmond, le 2; elle avait, dans ces derniers jours, éprouvé un mieux qui lui avait fait faire le projet de venir s'établir à Paris.
On m'écrit, de Paris: «M. Molé est à Paris, pour le procès de Louis Bonaparte, dans lequel M. Berryer a fait fiasco. Ce qui absorbe tout, c'est le bombardement de Beyrouth; quelles en seront les conséquences? Il n'y a qu'un cri de réprobation contre M. Thiers. Mme de Lieven est assez malade. Elle a la fièvre, et reçoit sur sa chaise longue; elle joue très serré sur M. Guizot, mais on dit qu'elle se laisse deviner moins tendre!»
Rochecotte, 8 octobre 1840.—J'ai reçu, hier, une 391 lettre de Mme de Lieven, commencée le 5 et finie le 6; en voici l'extrait: Du 5: «En Angleterre, on n'a rien décidé; les ministres ne sont pas d'accord; cependant, le parti pacifique domine, et Palmerston lui-même prétend en être, sans, cependant, qu'il offre d'expédients pour une solution satisfaisante pour la France; et puis ses mouvements ne sont plus libres, il lui faut demander l'assentiment de la Russie sur tout. Depuis le bombardement de Beyrouth, Thiers paraît ne plus trouver sa place tenable, s'il ne fait quelque coup hardi; ses collègues ne sont pas tous de son avis, et le Roi ne veut pas d'extrémités. Cependant, il faut se décider. Lord Granville est très soucieux. Les choses sont poussées à un point qui ne saurait se prolonger ainsi. On allait jusqu'à dire, hier, que Thiers voulait envoyer deux cent mille hommes sur le Rhin, et la flotte française à Alexandrie pour s'opposer aux Anglais. Ce serait fou! La situation est très périlleuse, et, en supposant que Thiers se sépare du Roi, où trouver des gens assez résolus pour se charger de la lourde besogne du moment?»
Du 6: «Les trois ou quatre Conseils tenus dans ces deux jours ont fait prendre la résolution d'adresser une protestation au gouvernement anglais, dans laquelle on établira le casus belli, et je crois qu'Alexandrie et Saint-Jean d'Acre seraient ce cas-là. Mais si, en ce moment, une de ces villes se trouvait déjà attaquée, que deviendrait la protestation? Le gouvernement anglais a, de son côté, adressé des observations à ses alliés pour modifier le traité. On négocie donc, et assez franchement; mais, en 392 attendant, les opérations militaires vont leur train. On dit que le Roi n'est pas tout à fait d'accord avec M. Thiers sur le casus belli. On dit aussi qu'il est particulièrement content de M. Cousin qui est à la paix avec l'amiral Roussin et M. Gouin. On me dit, de bonne source, que la convocation des Chambres est décidée pour les premiers jours de novembre, et que la note en protestation dont je vous parle sera arrêtée ce matin. Saint-Jean d'Acre n'y sera pas nommé.»
Cette lettre intéressante a fort alimenté notre conversation. Le duc de Noailles, qui est ici, et qui a apporté son manuscrit, nous a lu son morceau sur le quiétisme [142]. Il est fait avec clarté, en bon langage, sans longueurs, et avec des citations bien choisies, qui y donnent du mouvement.
Rochecotte, 11 octobre 1840.—Nous avons appris, hier, la mort violente d'Arthur de Mortemart [143], excellent sujet, destiné à hériter de la superbe fortune de ses parents, et destiné aussi, ce que j'ignorais, à épouser la fille du duc de Noailles, que cette triste nouvelle a fait partir immédiatement. Arthur de Mortemart avait vingt-sept ans et était fils unique. Sa mort est un malheur affreux pour sa famille.
M. Molé me mande ceci: «Voilà les Chambres convoquées 393 pour le 28, et mes amis exigent que je sois établi à Paris du 13 au 20; j'y consens, mais ce sera assurément pour l'unique et stérile plaisir d'échanger nos doléances. Nous marchons, fatalement, vers le gouvernement révolutionnaire. Il pourrait même bien être plus sanglant que la première fois. Ce qu'il durera, et ce qui le remplacera, Dieu seul le sait! et personne d'autre. Eh bien! si les journaux n'avaient pas égaré, divisé les esprits honnêtes, avec du courage on s'en tirerait; c'est notre intérieur qui rend la position sans remède. Le dehors s'arrangerait, et facilement, si le dedans lui inspirait quelque confiance. Au surplus, c'est la Chambre qui va tout décider. Comment espérer qu'elle sera à la hauteur de sa destinée? Je ne sais ce que deviendra ma réception académique au milieu de tout cela. Je suis prêt, et malgré les dires de Villemain, qui me paraît intimidé, je n'effacerai rien de mon éloge de Mgr de Quélen, et j'appelle le grand jour.»
Rochecotte, 12 octobre 1840.—Une lettre de M. de Barante, de Saint-Pétersbourg, me dit ceci: «J'attends, ici, qu'il y vienne des nouvelles d'ailleurs, car, à Saint-Pétersbourg, on ne décide rien, et, au fond, on y est assez indifférent. La paix serait, peut-être, plus sage, mais la guerre est plus conforme aux sentiments qu'on professe depuis dix ans; donc, on ne fera que ce que voudra l'Angleterre. D'après cela, faites vos conjectures. Vous connaissez lord Palmerston et tout ce théâtre politique, et moi je n'en ai nulle idée.»
394 Rochecotte, 14 octobre 1840.—Mme de Montmorency m'écrit que M. Demidoff a écrit à M. Thiers, pour obtenir l'autorisation d'annoncer sa femme, à Paris, Son Altesse Royale Mme la princesse de Montfort. Mme Demidoff a écrit, à ce sujet, directement à Mme Thiers, qu'elle a connue en Italie. Le Roi y a consenti.
Rochecotte, 17 octobre 1840.—La duchesse d'Albuféra m'écrit: «On est un peu plus à la paix dans le moment. Les négociations ont été reprises, et on s'accorde à dire que si la guerre doit éclater, ce ne sera que dans un assez long temps; qu'on échangera bien des notes diplomatiques avant d'en venir à cette extrémité. Le général de Cubières, le Ministre de la Guerre, avait donné sa démission, parce qu'il voyait la majorité du Conseil trop guerroyante, son avis étant que nous ne sommes pas en état de soutenir la guerre contre les Puissances, et qu'il faut absolument l'éviter; mais cette démission n'a pas été acceptée, les négociations et les idées de paix ayant repris le dessus, pour le moment du moins. Le mémorandum français a ramené beaucoup d'esprits à M. Thiers. On est déjà fort occupé de la Présidence de la Chambre. Les avis se partagent entre M. Odilon Barrot et M. Sauzet. Le comte de Paris est retombé fort malade, et ses parents en sont très inquiets.»
Rochecotte, 19 octobre 1840.—Mme de Lieven me mande ceci: «Le Cabinet anglais a fait bon accueil à la note française. Le parti pacifique y trouve de la force, mais 395 tout n'est pas là. Il faut consulter à Saint-Pétersbourg, qui est loin, et pendant ces délais les journaux interviennent. Le mémorandum de Thiers plaît beaucoup à Paris, gêne lord Palmerston; à Saint-Pétersbourg, on trouvera qu'il dit tout haut ce qu'on s'était contenté, jusqu'ici, de murmurer tout bas. Quant à l'Autriche, Apponyi prétend que le récit, en ce qui la regarde, n'est pas exact. Du reste, le dénouement est imminent, et au 15 novembre, tout devra être décidé. Les quatre Puissances ne se soucient pas de la guerre et la France, où et sur quoi la commencera-t-elle? Malheureusement, on dit beaucoup que la paix ne peut pas faire ménage avec M. Thiers; ceci serait bien dangereux, car les esprits sont fort montés; et Thiers dans la balance, c'est plus que la guerre.»
Rochecotte, 20 octobre 1840.—Nous apprenons, par les journaux, la nouvelle tentative d'assassinat sur la personne du Roi par un nommé Darmès [144]. Ces tentatives, répétées si souvent, font frémir, et ne laissent plus la moindre sécurité.
Mon gendre a reçu hier des lettres de Paris, dans lesquelles on lui dit que le vent semble tourner à la guerre; qu'on assure que lord Palmerston veut l'exécution entière 396 du traité; que notre Ministère se croit sûr de la majorité, ce qui tiendrait plutôt à la terreur qu'auraient les opposants de prendre le pouvoir, dans les circonstances actuelles, qu'à la confiance qu'inspire le Cabinet. Mgr le duc d'Orléans aurait dit, après l'attentat de Darmès, qu'il était décidément pour la guerre, préférant être tué sur les bords du Rhin, à être égorgé dans un ruisseau de Paris. Toutes les lettres s'accordent à représenter les esprits bien agités et les circonstances aussi compliquées que graves.
Rochecotte, 21 octobre 1840.—Le journal annonçait, hier, l'abdication de la Reine Christine. Il faut convenir que ce fait ne marquera pas agréablement l'ambassade de M. de La Redorte en Espagne.
Le duc de Noailles m'écrit ceci: «On parle beaucoup de la démission de Thiers; plusieurs le disent perplexe à ce sujet; il ne sait comment paraître devant les Chambres. Il voudrait se ménager une retraite qui le fît retomber à la tête d'un parti, en faisant croire qu'il n'a pu obtenir du Roi les décisions énergiques que l'honneur national réclame. D'un autre côté, s'éclipser ainsi, laisser tout le monde dans l'embarras, après avoir soulevé et provoqué tant de choses, fuir la discussion et la responsabilité devant les Chambres, est un parti qui aurait sa honte; cependant, les mieux informés croient à la démission. Le discours de la Couronne est le seul point, maintenant, sur lequel il puisse se mettre en dissentiment et demander sa retraite.
397 «La Prusse refuse, décidément, de laisser sortir des chevaux de son territoire: on espère en trouver en Normandie et en Hollande. On est, de fait, fort embarrassé, car on n'est nullement prêt à la guerre; on ne saurait l'être avant le printemps, et déjà on est arrivé à quatre cent cinquante millions de crédits extraordinaires. Les finances vont être un gouffre: si la rente tombe à 99 (l'amortissement devant alors agir et acheter pour seize millions par mois) et si on retire l'argent des caisses d'épargne, le Trésor ne saura plus comment s'en tirer. L'expédition de Syrie ne paraît point avoir de résultat prochain. Ibrahim laisse les alliés s'emparer du littoral séparé du reste par une chaîne de montagnes qui suit la mer et que les troupes débarquées ne peuvent pas franchir; il contient tout ce pays qui, comprimé par son armée, n'ose et ne peut pas se révolter, et il attend que les vents chassent la flotte, qui ne pourrait y revenir qu'au printemps. J'ai vu une lettre de lady Palmerston assez pacifique. Guizot écrit aussi qu'à Downing-Street, on est plus calme.
«Le Roi est très abattu de cette reprise d'assassinat, et Thiers sent le tort que cela fait au Ministère. On dit que les Députés qui sont ici et qui arrivent sont plutôt pacifiques, et que la Chambre des Pairs est tentée, si elle en a le courage, ce dont je doute, de prendre une attitude imposante et gênante pour le Ministère.»
Rochecotte, 23 octobre 1840.—Madame Adélaïde me mande ceci, dans une très aimable réponse à une lettre 398 que je lui avais écrite, à l'occasion de l'attentat de Darmès: «La première parole du Roi, après l'explosion, a été, en s'adressant à la Reine et à moi: «Eh! qu'il faille que vous soyez toujours dans cette fatale voiture!» Ce mot est vraiment touchant.
Voici ce que dit Mme de Lieven: «Granville a remis, hier, la réponse de lord Palmerston à la note du 8. Cette réponse promet, je crois, de s'employer à faire révoquer la déchéance du Pacha, si celui-ci se soumet; vous voyez que cela n'avance guère l'affaire. Tout ce qu'on peut dire, aujourd'hui, c'est que les manières et le langage, de part et d'autre, sont devenus plus doux, et que cela peut amener à s'entendre. Lord Palmerston ne s'explique pas plus clairement, parce qu'il attend toujours les brillants succès de Syrie! Jusqu'ici il les a attendus en vain. Le ton du Ministère français est moins guerroyant; il dit: «La guerre pourrait arriver au printemps, si l'hiver ne règle pas tout.» Vous voyez que voilà une modification et la diplomatie, à Paris, est disposée à croire à la paix. Nous allons voir les Chambres; voilà ce qui sera important pour les choses et pour les hommes.
«Le Roi n'est plus venu en ville, depuis le coup de carabine, sur lequel les journaux étrangers s'expriment plus convenablement que les journaux français.
«On dit fort que la division du Cabinet anglais est devenue beaucoup plus patente, et que la minorité est du côté Palmerston; M. de Flahaut, qui arrive demain, nous édifiera sur ce sujet. Aujourd'hui, Mme de Flahaut est fort anti-Palmerston, parce qu'elle craint, naturellement, la 399 guerre entre les deux patries [145]. Lord John Russell a passé à la majorité, contre lord Palmerston, et c'est une grosse pièce, tout frêle qu'il est. Il y a une confusion incroyable par le monde et on ne sait plus où on en est, mais vraiment je commence à espérer un peu plus la paix qu'il y a quelques jours.»
Rochecotte, 24 octobre 1840.—Mon gendre a reçu, hier, la nouvelle de la démission du Ministère français, qui se retire à l'occasion du discours de la Couronne, qu'il voulait faire remplir de casus belli, ce que le Roi ne veut pas [146].
Mon fils, M. de Dino, m'écrit que le grand-duc de Toscane a fait M. Demidoff prince de San-Donato, du nom de sa manufacture de soieries, et lui a donné l'Excellence. Le Pape [147] a envoyé les dispenses pour le mariage. Le douaire de la jeune Princesse est fixé à deux cent cinquante mille francs, et ses épingles à vingt-cinq mille francs.
Rochecotte, 25 octobre 1840.—Il paraît que la Reine Christine va se fixer à Florence, où sont ses intérêts de 400 cœur. Elle a deux enfants de Muñoz, qu'elle adore; elle a mis quinze cent mille francs de rente à l'abri.
Le petit comte de Paris est bien mal; il a une fièvre continue qui le fait tomber en consomption. Le duc d'Orléans est désolé; la Duchesse est au lit, bien faible, bien malheureuse; on lui défend de bouger, on craint qu'elle n'accouche avant terme: elle est à huit mois. Les chagrins frappent cette pauvre famille Royale.
Rochecotte, 2 novembre 1840.—La Reine Christine ne va pas en Italie: Nice, Paris, et ensuite Bordeaux, voilà, dit-on, sa marche; elle veut rester près de l'Espagne pour guetter les mouvements.
Voici ce que dit Mme de Lieven, en date d'avant-hier: «Vous voyez ce qui se passe ici: cela va devenir bien orageux. Il faut que M. Guizot ait bien du courage pour s'embarquer dans un pareil navire. A Londres, on est devenu bien doux, et on est disposé à le devenir davantage encore, en faveur du nouveau Ministère, mais il faudrait faire immensément pour satisfaire ici les enragés, et les complaisances anglaises elles-mêmes seront mal interprétées pour le nouveau Cabinet. Tout cela est bien difficile, bien loin de se dénouer. La Chambre sera à l'état de tempête perpétuelle; le spectacle sera curieux, mais au point de devenir effrayant. On dit le Roi tout joyeux d'être débarrassé de Thiers, et ravi de ses nouveaux Ministres [148]; 401 je voudrais pouvoir croire que sa joie aura de la durée. Thiers dit qu'il ne fera pas d'opposition à Guizot. Chansons!... Le comte de Paris va mieux. Le duc d'Orléans n'est pas satisfait du changement de Ministère, mais le Roi Léopold l'est beaucoup.»
Rochecotte, 4 novembre 1840.—Je trouve ceci dans une lettre que je viens de recevoir de M. Molé: «Le Ministère qui se retire perdait tout, et, avant trois mois, nous donnait la guerre avec l'Europe entière, et le gouvernement révolutionnaire au dedans. Que fera celui qui arrive? Je l'ignore; mais plus de mal, même autant de mal, je l'en défie. Il s'est formé de manière à ce qu'il ne me reste, à son égard, qu'à m'abstenir; c'est un rôle facile, et que, le plus souvent, je préfère, d'autant plus que quand je participe, ce n'est jamais à demi.»
Rochecotte, 5 novembre 1840.—Mon fils, M. de Dino, m'écrit, de Paris, qu'on y fait de grands préparatifs, pour orner la route par où passera le cortège ramenant les cendres de Napoléon de Sainte-Hélène, et qu'on a eu la singulière idée d'y aligner, en haie, les effigies de tous les Rois de France: seront-ils là pour porter les armes à l'usurpateur? Vraiment, on est fou de notre temps! Du reste, cette belle invention appartient au Cabinet de M. Thiers, et non au Ministère actuel.
Voici ce que contient une lettre de Mme Mollien: «Hier 402 au soir, en plein spectacle, Bergeron, le premier en date de tous les assassins du Roi, est entré dans une loge où était M. Émile de Girardin, le rédacteur de la Presse, et, sans mot dire, lui a donné un soufflet; celui-ci de se lever comme un furieux; sa femme, deux fois grande et forte comme lui, de le retenir par le collet de son habit, en criant: «Ne sortez pas, vous ne sortirez pas; c'est un assassin.» Cela a fait, dit-on, une scène inconcevable; tous les hommes s'en sont mêlés; l'esprit querelleur a chauffé toutes les têtes, et on dit que dans le foyer et dans les couloirs, on n'entendait, de toutes parts, que défis et rendez-vous.»
Voici, pour changer de ton, l'extrait d'une autre lettre: «M. Guizot et Mme de Lieven sont Ministres des Affaires étrangères, et je crains que M. de Broglie n'ait plus que le sort de la Sultane Validé. M. Molé n'a pas été appelé. Le Roi répète beaucoup que M. Molé ne voulait se mêler de rien; cela n'est pas. Les temps sont trop graves pour qu'un homme de cœur comme lui pût tenir un semblable langage; mais l'interprétation est plus commode ainsi. Depuis, le Journal des Débats a eu soin de mettre en jeu les scrupules de M. Molé et de lui dire: «Si vous vous abstenez de soutenir le Cabinet, qui est conservateur, nous aurons la gauche, et ce sera votre faute; c'est un crime envers le pays, etc...» Cela ne vous semble-t-il pas comme ces parents qui, voyant un fils bien malade, disent à une jeune fille: «Si vous ne lui accordez pas un rendez-vous, il mourra et vous serez cause de sa mort!» Si j'étais jeune fille, je vous assure que je resterais rudement 403 honnête femme! Mon conseil est que M. Molé reste académicien, et rien qu'académicien; d'ailleurs, il n'en sera pas pour cela plus mal placé. Savez-vous que Maurice de Noailles se fait prêtre? On dit que Barante sera ambassadeur à Londres. Je le souhaite.»
On a mandé à mon gendre que c'était par désespoir de ne pouvoir épouser la fille du duc de Noailles, que Maurice de Noailles se faisait prêtre; j'avoue que je ne crois pas encore à toute cette histoire, et que j'en attends la confirmation.
Rochecotte, 6 novembre 1840.—Le courrier d'hier m'a apporté une longue lettre de M. de Salvandy: «Nous sortons d'une crise ministérielle. Elle a eu peu d'incidents; il est arrivé que M. Molé est resté au dehors de la combinaison; il éprouve, avec une irritation profonde, la conviction que c'est une influence suprême qui a fait son exclusion. M. de Montalivet, à l'origine de la crise, s'est donné une peine énorme pour que M. Molé fît partie du Cabinet nouveau; il allait, venait, déclarait cet élément indispensable, le déclarait partout, surtout à M. Molé. Je ne pouvais m'empêcher de dire à M. Molé que tant de zèle m'était suspect, et qu'il m'était impossible de n'en pas conclure que cela finirait mal. En effet, il n'a pas été question un seul instant de M. Molé. On n'a pas même songé à employer, à son égard, des formes, qui l'auraient extérieurement désintéressé. On n'a guère tenu plus de compte de tous les hommes qui avaient composé le Ministère du 15 avril. Ce n'est que le dernier jour qu'on y 404 a quelque peu songé. La combinaison a été faite avec tant de légèreté, qu'on n'a pas même fait d'efforts pour entraîner M. Passy, disposé à entrer sans condition, mais attaché à M. Dufaure, qui a fondé ses refus, moins sur des motifs politiques que sur une répulsion toute personnelle contre M. Martin du Nord. M. Passy et M. Dufaure n'avaient aucune objection, ni contre moi, ni contre M. Laplagne. On pouvait donc, avec moins de précipitation, réunir au maréchal Soult et à M. Guizot quelques Ministres du 15 avril et du 12 mai; il y aurait eu là des éléments considérables de majorité, d'une majorité compacte et permanente. Au lieu de cela, on s'est constitué à l'aventure, en comptant sur les périls amassés par M. Thiers, pour donner des votes le premier jour, sans s'inquiéter du lendemain; cependant, le Cabinet formé, on a réfléchi qu'on n'avait ni le centre gauche, ni même le parti conservateur. Alors, on s'est mis en course pour les acquérir: tous les Ministres me sont arrivés. M. Guizot, que je n'avais pas vu depuis la coalition, est venu, la plaque à l'habit, me demander solennellement mon concours. Je ne lui ai pas dissimulé que c'était bien tard; que cette constitution du Ministère, sans voir ni entendre personne, sans honorer M. Molé et son parti par des procédés honnêtes, amassait des difficultés sur une situation qui en était chargée. En écoutant M. Guizot, je me rappelais ce que je disais à M. le duc d'Orléans, il y a quelques jours: c'est que, des deux rivaux, je ne saurais dire lequel est le plus léger; que Thiers a la légèreté en dehors, et Guizot en dedans; en effet, chez celui-ci, pas une vue des dangers 405 intérieurs, des obstacles parlementaires, du péril que crée l'abstention de MM. Passy et Dufaure, qui, avec Lamartine et moi, laissent un Cabinet possible entre celui d'aujourd'hui et celui de M. Odilon Barrot, soit qu'on nous donne M. Molé, M. de Broglie ou même M. Thiers pour chef. Bref, la confiance et la présomption la plus ineffable, et un parfait oubli de l'apostasie de 1839, que ce nouveau changement de foi et de drapeau aggrave encore; la conviction qu'on peut reprendre ses doctrines où on les avait laissées, parler de nouveau conservation, ordre, résistance, avec la même autorité; imprévoyance des fureurs que ce langage va soulever chez les adversaires, en nous trouvant nous-mêmes froids et mécontents. Cependant, nous appuierons, car nous sommes, avant tout, d'honnêtes gens; il me paraît également certain qu'il y aura, dans le principe, une majorité. Thiers a mené les choses à un tel point, que le réintégrer, ce serait à la fois la révolution et la guerre. Mais l'humiliation extérieure à laquelle le Cabinet Guizot vient présider pèsera sur lui de manière à l'écraser. Les honnêtes gens ne pardonnent pas à Thiers d'avoir rendu cette humiliation inévitable; dans trois mois, personne ne pardonnera à Guizot de l'avoir acceptée. Dans ma pensée, il devra prochainement succomber, mais s'il rend le double service de nous faire traverser sans encombre une situation redoutable, et de préparer la reconstruction de la majorité conservatrice, il aura beaucoup fait. Je ne désespère pas, et pour mon compte, assurément, je l'y aiderai. En me quittant, il allait faire une démarche conciliante auprès de M. Molé.
406 «La cause immédiate de la rupture du Roi avec Thiers est celle-ci: dans le discours, Thiers demandait des mesures nouvelles, c'est-à-dire cent cinquante mille hommes de plus, en tout six cent cinquante mille hommes,—la mobilisation de la Garde nationale,—des camps sur le Rhin et sur les Alpes; c'était la guerre. Le Roi offrait, par accommodement, de dire que ses Ministres exposeraient ce qu'ils avaient fait, et ce qu'ils comptaient faire. Thiers refusa: selon toute apparence, on n'était sincère ni d'un côté ni de l'autre. M. Thiers sentait que la position n'était plus tenable: la gauche était frémissante; les conservateurs avaient peur jusqu'à tout oser; ses folies ne soutenaient pas la discussion. Le Roi, de son côté, avait le courage de trouver, dans l'attentat de Darmès, un point d'appui suffisant pour attirer à lui la lutte et renverser son cardinal de Retz, en ne courant pas de risques pour son pouvoir, mais en en courant beaucoup, d'énormes même, pour sa vie.
«Tandis que le parti conservateur semble se reconstruire par le retour de la grande majorité des Doctrinaires et le vote probable des centres gauches effrayés, les Doctrinaires se divisent: M. Duvergier de Hauranne et M. Piscatory suivent M. de Rémusat et M. Jaubert de la gauche; M. de Broglie est déchiré entre les deux camps; M. Thiers compte toujours sur lui, et se flatte d'être hautement défendu par lui à la Chambre des Pairs; M. Guizot, au contraire, se croit sûr de son acceptation de l'ambassade de Londres. Il y met une grande importance, quoique M. de Broglie ne pourra pas lui apporter, il s'en faut, 407 toutes les forces qu'il ôtera à Thiers, mais enfin, il ne lui en ôterait pas, et c'est quelque chose. A son défaut, Mmes de Barante et de Sainte-Aulaire se disputent Londres.—On ne doute pas de la démission de M. de La Redorte, qui a joué un triste rôle dans la Péninsule: ce serait un mouvement dans le Corps diplomatique; je sais qu'il est question de m'offrir une ambassade, je ne me suis pas encore demandé quelle serait ma réponse. M. Guizot n'apporte rien de Londres; on pourrait obtenir quelque chose de lord Melbourne, rien de lord Palmerston, et il n'est pas bien sûr que l'Europe soit plus loin des dispositions du premier que du second.—On reste alarmé pour le comte de Paris. Chomel, auquel j'ai parlé, mais qui, à la vérité, voit en noir, n'espère rien, sinon que le pauvre jeune Prince vivra assez pour ne pas mêler une effroyable douleur aux couches de Mme la duchesse d'Orléans.»
Rochecotte, 8 novembre 1840.—M. d'Entraigues, notre Préfet, qui est ici depuis avant-hier soir, a reçu, hier, par une estafette, la nouvelle télégraphique arrivée pour lui à Tours, et portant la nomination du Président, des vice-Présidents et des bureaux de la Chambre des Députés. Ces choix sont, Dieu merci, favorables au Cabinet, et faits par une bonne majorité. Ce début est un peu réconfortant. Tant mieux si la peur inspire la sagesse!
J'ai eu une lettre du duc de Noailles, qui me dit qu'il n'y a rien de vrai dans la prêtrise de M. Maurice son cousin. Vraiment, on est merveilleux pour inventer et propager des histoires, et leur donner tant d'accessoires de détails 408 qu'on finit par ajouter foi à ce qui n'a pas le moindre fondement. Le duc de Noailles me mande en outre ceci: «La séance royale [149] a eu, m'a-t-on dit, un aspect lugubre. D'un côté des cris très vifs et avec une intention marquée, et, du côté de la gauche, un silence menaçant; au milieu, le Roi, versant des larmes à un certain passage de son discours. Le discours manque de noblesse: il pourrait être plus noblement pacifique. C'est Guizot qui l'a fait. Le désir de la paix y tient trop de place; il n'a pas réussi. La majorité est assurée au Ministère pour quelque temps: à mesure que les craintes de guerre s'éloigneront, il la perdra.—On a fait, dans le gouvernement, son deuil de la Syrie. Si le Pacha se soumet, tout sera fini; s'il résiste et qu'on l'attaque en Égypte, il est difficile que la bombe n'éclate pas ici.—Thiers a dit à Guizot, à son arrivée: «A votre tour; il n'y a que deux hommes en France, vous et moi; je suis le ministre de la Révolution, vous êtes celui de la Conservation; quand ce n'est pas l'un, c'est l'autre; nous ne pouvons pas marcher ensemble, mais nous pouvons bien vivre ensemble; je ne vous ferai pas obstacle; je ne vous serai pas incommode.» Néanmoins, il intrigue déjà beaucoup dans la Chambre, et on s'agitera pour lui.»
Rochecotte, 12 novembre 1840.—L'abbé Dupanloup est arrivé hier ici, pour bénir ma chapelle. La cérémonie va se faire tout à l'heure.
409 Le courrier d'hier nous a apporté la nouvelle des couches de Mme la duchesse d'Orléans. Je suis charmée de la naissance de ce second fils [150].
Mme de Lieven m'écrit; elle est fort satisfaite des débuts du Ministère.
Rochecotte, 14 novembre 1840.—J'avais désiré que la première messe qui se dirait dans ma chapelle le fût pour le repos de l'âme de M. de Talleyrand, mais une messe d'inauguration ne pouvant être une messe noire, celle d'avant-hier avait été dite en couleur et en l'honneur de saint Martin. Celle d'hier a été pour notre cher défunt. L'autel est précisément à la place où était son lit, dans la chambre que la chapelle a remplacée. Cela m'a fort émue...
Rochecotte, 17 novembre 1840.—M. de Salvandy, qui, très obligeamment, s'est mis à m'envoyer un petit bulletin hebdomadaire, me dit que le Corps diplomatique à Paris s'est trouvé presque aussi vivement ému de la dernière note de lord Palmerston [151] que la Chambre elle-même.
Il paraît que le comte Apponyi a écrit partout, pour représenter le danger de pousser la France à la révolution et à la guerre, quand elle fait effort pour secouer le joug de l'anarchie. Lord Granville et M. de Bülow désavouent lord Palmerston. S'il voulait décidément pousser 410 la France à bout, on peut croire que ni l'Autriche ni la Prusse ne le seconderaient. Le langage même de la Russie semble modifié.
Mon gendre m'écrit de Paris, le 15: «Tout m'a paru, ici, fort confus en apparence. La transition, de la provocation révolutionnaire à l'humilité, ne peut se faire qu'au milieu du bruit, pour mettre la pudeur en défaut. C'est à quoi tout le monde concourt; on braille des bravades du côté de la paix et du côté de l'ancien Ministère; on crie généralement contre la lâcheté et l'avilissement du pouvoir, sans dire exactement ce qu'on aurait fait. Ces attaques, non spécifiées, ne mettent jamais dans une position vraiment embarrassante, et comme elles font du bruit sans faire de mal, elles donnent, à ceux auxquels elles s'adressent sans les atteindre, l'apparence d'un succès. Il me paraît donc généralement admis que le Ministère aura la majorité. Aussi M. Guizot disait-il, avant-hier, dans son salon (d'un air héroïque auquel se reconnaît aisément le général Guizot): «Messieurs, nous venons d'entrer en campagne; la guerre sera longue et rude, mais j'espère que nous remporterons la victoire.» Ce n'est pas que la Chambre, tout en voulant la paix à tout prix, soit commode: plus elle craint, plus elle crie, sauf à tomber, sans regret, de toute la hauteur à laquelle elle s'élèvera, comme le Roi. Ainsi, l'Adresse, dont le rédacteur sera, dit-on, M. Passy, ou M. de Salvandy, sera fort belliqueuse, au point de vue d'embarrasser le gouvernement, quoiqu'il soit décidé à s'embarrasser peu de ces choses-là.
411 «Vous avez lu la réponse de lord Palmerston au Mémorandum du 8 octobre: c'est une grosse affaire. Le mépris pour nous y est évident; il n'est pas même accompagné de formes. Il paraît, du reste, que ce sentiment à notre égard s'est singulièrement accru depuis quelque temps. La note a, cependant, beaucoup embarrassé M. Guizot, qui avait dit à tout le monde que, depuis son Ministère, les choses avaient changé de face en Angleterre, et lord Palmerston de caractère, ce qu'il résumait par ces mots: «J'apporte la paix dans ma poche.» Voici comment il a expliqué la note de lord Palmerston, chez le Président de la Chambre [152], il y a deux jours: «Lord Palmerston est un esprit théologique; il a le goût de ne laisser aucune objection sans réponse; c'est pourquoi ceci ne veut rien dire: ce n'est qu'une question de principes.» M. Dubois (de la Loire-Inférieure), qui est un homme d'esprit, et fort ami du nouveau Ministère, a pris là-dessus M. Guizot à part, et lui a dit qu'il se ferait tort, s'il répétait cela à la Chambre. L'autre, pour toute réponse, a répété sa proposition, dont il était si charmé, qu'il l'a fait insérer le soir même dans son journal, le Messager, sous la forme d'une note, au bas du Mémorandum, en supprimant seulement le théologique. Cela a fait, néanmoins, une petite affaire, qui dure même encore, et qui imprimerait un cachet de ridicule sur M. Guizot, si quelque chose faisait quelque chose dans ce pays-ci. Le Ministère va faire la paix, tout le monde croit qu'il y réussira. Après, il périra, 412 sans savoir pourquoi, dans une bourrasque; c'est ce qu'on me paraît aussi croire assez généralement. Puis, viendra M. Molé, qui reste seul, et qui sera reçu par tout le monde peut-être, non qu'il soit plus favorisé à la Chambre qu'il n'était, mais l'énergie de tout le monde est fort usée, et le Roi est le maître; cela dépendra du Roi, lequel est mal disposé pour M. Molé dans ce moment-ci, et a dit sur lui un mot, que d'autres attribuent à M. Guizot, et qui ne mérite pas d'avoir deux pères: «M. Molé est un excellent spectateur, mais c'est un mauvais acteur.» Il me semble que le mot est de moi, et que quelqu'un me l'a volé, il y a cinq ans!
«La campagne de Syrie est décidément très bonne pour les alliés. Les Anglais s'y conduisent avec énergie; ils mènent les Turcs se battre à coups de bâton et tout plie: la force d'Ibrahim était un fantôme. On s'attend, à tout moment, à recevoir la nouvelle de la prise de Saint-Jean d'Acre, ce qui sera une grosse affaire là-bas et ici. Ce qu'il y a de plus triste, c'est qu'il n'est pas du tout sûr qu'on sauve l'Égypte. Déjà, il court des bruits d'une révolte probable à Alexandrie, de l'assassinat, de l'empoisonnement du Pacha, et vous avez vu que lord Palmerston, avec son esprit théologique, ne parle plus de la déchéance du Pacha, comme il en parlait il y a trois semaines. Il n'est nullement sûr que l'on ne cède, ici, sur cela même, ce qui serait une énorme reculade.
«Voilà le présent, parlons un peu du passé. Thiers a diminué aux yeux de tout le monde; sa timidité a été, tout le temps, aussi grande que son imprudence, et sa 413 légèreté aussi. Il a destitué le Consul de France à Beyrouth, parce qu'il avait voulu servir le Pacha en Syrie, en calmant la révolte, et jamais on n'a pu le décider à envoyer en Syrie des agents sûrs, pour connaître exactement la force de résistance d'Ibrahim, ce qui fait qu'on a été trompé, et que toute la conduite de la France a été réglée dans l'attente d'un résultat qui n'est pas arrivé. M. de Broglie pense que le Roi a eu grand tort de renvoyer le Ministère de M. Thiers, parce que, sans cela, il tomberait dans ce moment-ci, au bruit de la dérision publique; opinion basée sur ceci: que quand on joue gros jeu sur une carte et qu'elle ne sort pas, tout le monde se moque de vous. La personne à laquelle il le disait hier soir pensait, au contraire, que la Chambre, tout en redoutant la guerre, n'aurait pas eu l'énergie de renverser le Cabinet.
«Le discours rédigé par Thiers ne proposait pas une levée nouvelle de cent cinquante mille hommes, mais seulement d'avancer de trois mois la levée nouvelle, de paix ou de guerre, qui se fait ordinairement au printemps; du reste, il était modéré; mais, au total, ni lui, ni le Roi n'étaient sincères, et c'était, des deux côtés, un prétexte.
«Il y a eu une crise ministérielle, sans que nous nous en doutions, après la prise de Beyrouth: le Ministère voulait, comme démonstration, envoyer la flotte devant Alexandrie; le Roi, non. M. de Broglie a été nommé médiateur par les deux parties et les a raccommodées, sur cette idée, qu'il était impossible, dans le moment 414 donné, sur cette retraite ainsi motivée, de nommer un Ministère durable; et il n'a pas voulu que la flotte fût envoyée à Alexandrie, sur cette autre idée, que la mesure était bonne en soi, comme propre à inquiéter les alliés, sans leur donner aucun droit de se plaindre, et qu'un gouvernement absolu aurait bien fait de l'exécuter, mais qu'en pratique française, la presse, sur cette mesure, aurait, bon gré mal gré, fait battre la flotte, et que c'eût été la guerre. Tout ce raisonnement, du reste, est basé sur ce que cette mesure, ou toute autre du même genre, ne pouvait s'obtenir que par des moyens violents, et nécessairement publics, comme démission, crise, etc.; car, si on l'avait arrangée à l'amiable, et en secret avec le Roi, il en eût été tout autrement. Aussi, la bienveillance de M. de Broglie pour le Roi n'est pas grande. Il dit, au reste, que tout lui est devenu égal, sauf le trouble matériel; qu'il appuiera tous les Ministères possibles; que non seulement il ne fera rien pour les renverser, mais pas même pour les ébranler, attendu qu'un Ministère, quel qu'il soit, aura toujours plus raison que la Chambre; qu'il se déclare enfin du bagage ministériel, ce que personne n'avait encore osé avouer, et qu'il vous envie beaucoup de passer l'hiver à la campagne. Il est d'une sérénité olympique, saupoudrée d'une ironie amère et perçante.
«M. Guizot dit, en confidence, à ses amis, qu'il a décidé M. de Broglie à accepter l'ambassade de Londres. Je n'en crois absolument rien, mais j'ai oublié de le demander à celui-ci, hier au soir.
415 «M. Molé m'a paru au dernier degré de l'abattement. Il met Jérémie en madrigaux; il est fort changé.»
Rochecotte, 22 novembre 1840.—Mon gendre a mandé hier, à sa femme, que la lecture des pièces diplomatiques faite dans le sein de la Commission de l'Adresse, à la Chambre des Députés, fait de M. Thiers un ministre incapable et impossible; de M. Guizot, un ambassadeur sagace et un auxiliaire périlleux, et de lord Palmerston l'esprit ferme et résolu de la situation... que Thiers a voulu leurrer, berner, attraper tout le monde, et qu'on s'est moqué de lui... et de la France. Il écrit aussi que M. le duc d'Orléans a dit sa petite improvisation à la Chambre des Pairs, avec un à-propos, une bonne grâce, une élévation admirables.
Il est arrivé une nouvelle note de lord Palmerston, plus bienveillante dans la forme, mais qui inquiète toujours sur l'Égypte.
On envoie M. Mounier, officieusement, à Londres, pour tâcher d'y obtenir quelque chose.
Mon fils Valençay m'écrit que Mme de Nesselrode est à Paris pour six semaines, qu'elle n'ira pas à la Cour, et, par conséquent, pas dans le grand monde, mais elle vivra en garçon, et est ravie de son coup de tête. Je ne sais pas si le comte de Nesselrode en sera également enchanté.
Rochecotte, 23 novembre 1840.—Mon gendre écrit que M. Walewski, qui avait été envoyé en Égypte auprès d'Ibrahim, croyant encore adresser ses dépêches au Ministère 416 du 1er mars, avait écrit que, malgré tous ses efforts, il n'avait pu décider Ibrahim à passer le Taurus. Il paraît que cette dépêche fait grand scandale.
Rochecotte, 24 novembre 1840.—Voici ce que mon gendre m'écrit: «Il y a un bruit vague qu'il va se faire un arrangement en Syrie et en Égypte, qui ne sera pas la destruction du Pacha. Cela est dû à sa soumission absolue aux Puissances, mais nous nous en vanterons ici, et la majorité fera semblant d'y croire. Pour quelque temps, la discussion va être terrible entre Thiers et Guizot, personnellement, et, ce qu'il y a de plus triste pour tous deux, c'est que les assistants donneront raison à chacun contre l'autre. En résultat, ils creuseront le trou dans lequel ils tomberont l'un et l'autre; Thiers est à peu près complètement perdu, et Guizot le sera au printemps, après qu'il se sera épuisé à refaire le lit de M. Molé, qui entrera sûrement si le Roi le veut.»
Rochecotte, 25 novembre 1840.—J'ai lu, avec admiration, les nobles adieux de la Reine Christine à la nation espagnole [153]. Il me paraît que c'est d'un autre temps, et d'un siècle où le langage des Rois était encore celui de Dieu. On dit que c'est M. d'Offalia (qui, lui aussi, a quitté l'Espagne) qui a rédigé ce touchant manifeste.
Rochecotte, 26 novembre 1840.—Quel discours que 417 celui de M. Dupin! Certes, je suis la créature la plus pacifique de France, mais je ne comprends pas qu'on puisse aller jusqu'à une telle platitude; platitude si inutile, si gauche, si maladroite, qu'en vérité, cela semblerait une gageure!
La maréchale d'Albuféra me mande que la comtesse de Nesselrode a rencontré, chez elle, M. Thiers, qui a fait feu des quatre pieds, et qui a charmé la comtesse. Avec les engouements de Mme de Nesselrode, elle peut arriver à de l'exaltation, même pour M. Thiers!
Les Anglais ont pris Saint-Jean d'Acre. Leur petite Reine est accouchée d'une fille [154].
Rochecotte, 28 novembre 1840.—Le duc de Noailles m'écrit: «Vous verrez, par la lecture de la séance d'hier, à la Chambre des Députés, toute l'agitation de l'Assemblée. Tout cela établit et confirme la paix dans la honte. Ce qui se passe pèsera sur l'avenir de la dynastie actuelle. La conséquence intérieure me paraît devoir être une quasi réforme dans la Chambre, qui amènera une dissolution, et cette dissolution, une Chambre avec laquelle on sera obligé de subir un Ministère de gauche avec Thiers à la tête.»
Mme Mollien me mande: «La Reine Christine est jolie; son teint est superbe, sa peau fine et blanche, son regard très doux, son sourire gracieux et fin; mais il ne 418 faut pas, pour la trouver charmante, que les yeux qui l'examinent descendent plus bas que la tête; en détaillé, c'est quelque chose de monstrueux, et qui ne le cède en rien à sa sœur l'Infante. Elle est venue en France sans Dames, quoique les journaux s'amusent à parler de je ne sais quelle Doña, qui, si elle existe, n'est, vraisemblablement, qu'une femme de chambre. Il y a, à Paris, des dames espagnoles qui feront une espèce de service auprès d'elle; dans ce moment, c'est la duchesse de Berwick. La suite ne se compose que de deux hommes, tous deux jeunes: l'un surtout, le comte de Raquena, n'a pas l'air d'avoir plus de vingt ans; c'est un petit blondin à moustaches, vraie tournure de lieutenant de comédie. Je ne sais quand la Reine partira: elle dit qu'elle se plaît beaucoup ici. J'ai peur qu'elle ne s'y plaise trop, et n'y reste trop longtemps; ces visites royales sont toujours des dérangements dont on est bien vite fatigué aux Tuileries. Elle y dîne tous les jours, bien qu'elle demeure au Palais Royal. Son entrevue avec sa sœur a été très froide, mais, enfin, elle a eu lieu sans scène, c'était tout ce que l'on demandait.»
La duchesse de Bauffremont me mande le mariage de son petit-fils Gontran avec la seconde Mlle d'Aubusson; l'aînée épouse le prince Marc de Beauvau. Le mariage de Gontran n'aura lieu que dans un an, la jeune personne n'ayant pas quinze ans. Elle sera énormément riche; sa mère est Mlle de Boissy, son père est malade depuis dix ans, et sa fortune en tutelle. Gontran n'a pas dix-neuf ans, il est fort joli garçon.
419 Rochecotte, 29 novembre 1840.—Le Journal des Débats, d'avant-hier, était fort curieusement rempli par le discours de M. Passy et par celui de M. Guizot, au milieu desquels M. Thiers n'a pas dû se trouver fort à l'aise. A tout prendre, ces explications ne font grand honneur à l'habileté de personne, si ce n'est à celle de lord Palmerston, et à sa hautaine ténacité. Il me paraît que, jusqu'au petit Bourqueney, il y a éclaboussures pour tous les acteurs français dans tout ceci.
Rochecotte, 30 novembre 1840.—Les discussions de la Chambre me décident à lire le journal in extenso, et je n'y ai pas regret, car c'est un drame curieux, mais dans lequel, cependant, on s'attache bien plus à la situation qu'aux personnages, qui vont toujours en se rapetissant, par ce qui dégrade toujours le plus infailliblement: manque de netteté, de simplicité, de vérité dans la conduite. Du reste, cette discussion est comme le Jugement dernier: bon gré mal gré, chacun s'y trouve dépouillé de tout ajustement, et la vérité y est forcément provoquée. Jusqu'à présent, M. Villemain est celui qui me paraît la dire en termes les plus propres et les plus frappants; seulement, il n'est en position de la dire qu'à un seul côté, qui, d'ailleurs, est, à mon avis, certainement le plus coupable.
Rochecotte, 1er décembre 1840.—Voici ce que dit le duc de Noailles: «J'ai causé longtemps, hier, avec M. Guizot, et je lui ai dit que les derniers événements, et 420 tout ce que la discussion a révélé, pèseront longtemps sur l'ordre des choses actuel. Lui croit, au contraire, que ce n'est qu'un moment difficile à passer, et qu'il en sera, de l'émotion publique, sur ce sujet, comme de l'émotion qui s'est manifestée lors de la guerre de la Pologne, il y a huit ans [155].—J'ai aussi beaucoup causé avec Berryer de son discours. Il y pense et a de bonnes idées; il terminera par une conclusion qui pourrait bien amener un échec au Ministère. Il dira que la guerre est évidemment impossible à cette heure, mais que la paix, telle que la formule le Ministère, n'est pas acceptable par la Chambre, et qu'il faut renvoyer l'Adresse à une nouvelle Commission. Odilon Barrot et M. Dufaure ont déjà mis en avant cette idée qui pourrait bien prendre faveur.—J'ai aussi rencontré Thiers à la Chambre; je me suis promené dix minutes avec lui, et lui ai rappelé que je lui avais prédit ce qui est arrivé, parce que, dans cette grande affaire, on ne pouvait rien sans alliances, et que la France s'était unie à une alliée qui était l'ennemie de ses intérêts, et qui devait, évidemment, l'abandonner. Il m'a répondu que la France, même seule, aurait pu empêcher, mais en montrant une grande énergie, et un grand déploiement de forces. Il rejette tout sur le Roi. Il dit que c'est l'Inertie couronnée, 421 et qu'avec cette inertie en haut, et toutes les inerties naturelles, en bas, dans la nation, il n'y a moyen de rien faire; que si M. le duc d'Orléans eût été Roi, cela ne se serait pas passé de même; qu'il y aurait péri peut-être, mais qu'il y aurait péri avec dignité, et qu'il n'aurait pas laissé la France dans l'humiliation et l'impuissance où elle est pour longtemps. Du reste, il s'est, tout entier, livré à la gauche, et M. Odilon Barrot a resserré le lien hier.—Mme de Lieven est décidément, je crois, sincèrement attachée à Guizot, car elle ne va plus aux séances de la Chambre, et elle se borne à en demander, avec anxiété, des nouvelles.»
Voici maintenant un extrait de ce que m'écrit la princesse de Lieven elle-même: «Thiers semble avoir pris son parti de ne plus servir le Roi; il dit qu'il attendra le duc d'Orléans.—La Syrie est perdue pour le Pacha. On espère, et on croit, qu'il se soumettra à la sommation de l'amiral anglais Stopford. Je suppose que le gouvernement français l'y engage. Alors, la chose sera terminée, pas brillamment pour la France, il faut en convenir, et à la plus grande gloire de Lord Palmerston. Il y a bien des gens auxquels cette dernière conséquence déplaît beaucoup. Les Ministres d'ici espèrent une majorité convenable, pour l'Adresse, de cinquante à soixante voix, et puis on vivra comme on pourra. M. Guizot a l'air bien fatigué, mais courageux. A Vienne, on est ravi du changement de Ministère, et plein de confiance dans celui-ci. Je ne sais pas encore ce qu'on en dit à Saint-Pétersbourg. Je suis un peu curieuse d'apprendre ce que nous (public 422 russe) nous dirons de cette grande affaire, réglée sans que nous nous en soyons mêlés activement. Cela nous étonnera un peu. Vous allez me demander, peut-être, s'il y a un public russe? C'est vrai, à peine... mais cependant, pour l'Orient, oui. Je m'étais permis, lorsque j'étais à Londres (Ambassadrice), d'appeler la Turquie notre Portugal. Ma Cour a fort goûté ce mot; les Anglais, très peu.—On ne se presse pas, ici, de nommer un Ambassadeur à Londres. Je crois qu'on voudrait que l'affaire égyptienne fût d'abord réglée; il faudra bien attendre jusqu'à la mi-décembre. Mme de Flahaut ne sait que faire, entre les bouderies opposantes qui lui sont naturelles, et l'envie démesurée qu'a son mari d'avoir un poste diplomatique.—Le Roi a beaucoup désiré que les Ambassadeurs fussent, en corps, chez la Reine Christine; il y a eu de grands scrupules, mais, enfin, on s'est décidé à y aller, en ne la regardant que comme veuve de Ferdinand VII. Au fait, elle n'est plus que cela maintenant. La Reine d'Angleterre est, dit-on, accouchée trop aisément. Elle aura dix-sept enfants, comme sa grand'mère.—Mme de Nesselrode vit à la Chambre des Députés. Elle est éprise de Thiers, et se place dans la plus vive opposition. Elle s'amuse parfaitement ici. Je la vois peu, tant elle est occupée des débats de la Chambre et des spectacles. Mon Ambassadeur croule sous le poids de toutes les grandes dames russes amoncelées à Paris. Je le plains, car je crois que c'est très ennuyeux!»
J'aurais parié que Mme de Nesselrode s'engouerait de Thiers, ne fût-ce que pour fronder l'engouement de 423 Mme de Lieven pour Guizot.—En lisant le discours de M. Barrot, et la série d'invectives adressées, par lui, à bout portant à M. Guizot, je me suis demandé hier comment il se peut faire que de pareilles choses se disent et s'écoutent, sans qu'il en résulte des explications armées.
Rochecotte, 3 décembre 1840.—Voici les principaux passages du bulletin que m'envoie M. de Salvandy. En date du 1er décembre, avant et pendant la séance de la Chambre: Sait-on, à Rochecotte, un mot très joli de Garnier-Pagès, qui doit parler aujourd'hui? «Je les mettrai tout nus, tous deux, et on verra comme ils sont laids.» Ce mot résume très bien la situation. M. Thiers conserve une position révolutionnaire, mais voilà tout; il reste, pour beaucoup, incapable, pour tous, impossible. M. Guizot est loin d'avoir gagné tout ce que M. Thiers a perdu. Un immense talent, une force d'esprit et d'âme admirable dans la tempête, le don d'imposer à toutes les révoltes hostiles dans l'Assemblée, et l'art d'élever son auditoire en élevant la question de prime abord à un point de vue plus général, voilà les avantages qui lui sont propres, et dont il ne s'était jamais prévalu à ce degré; et, avec tout cela, il grandit sans se fortifier, il pose sur la majorité sans s'y établir. Le sol est rebelle. M. Thiers est comme une fille entretenue, à laquelle on ne demandait que d'être bonne fille; on lui passait tout; sa considération ne souffrait de rien. M. Guizot est la femme austère qui a failli; tout lui est compté. Cette lutte de l'Ambassadeur et du Ministre, malgré les ménagements qu'il y a 424 mis, blesse la Chambre et l'opinion. On ne lui pardonne même pas son abandon résolu des maximes de la coalition; il semble qu'on aurait voulu le voir fidèle à l'infidélité même. Le discours de Dufaure paraît, à beaucoup de gens, un drapeau placé entre le Cabinet et M. Thiers. On s'inquiète de l'action de Passy et de Dupin en ce sens. On m'y associe, parce qu'on n'imagine pas que les Ministres en disponibilité ne soient pas des mécontents en activité. On fait planer M. Molé sur tout cela, quoiqu'il n'ait, avec la zone du Ministère du 12 mai, aucun rapport, et qu'elle mette son honneur, je crois, à rester conséquente en éloignant M. Molé, comme Jaubert croit le rester en continuant à siéger au milieu des autres, qu'il blesse et désole par ses perpétuels cris de fureur contre le Roi, et ses enthousiasmes pour M. Barrot. Voilà où nous en sommes. On sent déjà la position craquer. Pauvre pays, qui veut être fort, et qui n'est pas gouvernable! Notre Chambre est vraiment l'Œil-de-bœuf de la démocratie [156]. Les favoris et même les favorites troublent tout par leurs intrigues, et passent le temps à se renverser, ce qui fait que tout s'écroule avec eux.—Je vais à la Chambre où MM. de Lamartine et Berryer croiseront le fer. J'y fermerai cette lettre.»
«P.-S.—Berryer vient de parler. Il a fait un discours habile, éclatant, perfide. Il a couvert Thiers, en allant droit aux Tuileries. Il a promené là la foudre et envoyé 425 sur M. Guizot, Ambassadeur, des anathèmes qu'un tiers de l'Assemblée a matériellement applaudis trois fois. M. de Lamartine monte à la tribune pour répondre.»
Rochecotte, 4 décembre 1840.—Le discours de M. Berryer révèle l'état du pays dans un sens, et celui de M. de Lamartine dans un autre. Ces deux discours me paraissent être, jusqu'à présent, ce qu'il y a de plus brillant pour l'un, de plus élevé pour l'autre, dans toute cette discussion de l'Adresse. M. de Lamartine, qu'en général j'admire médiocrement, m'a fait grand plaisir dans sa réponse. Je la trouve sage, pleine de faits, bien pensée, bien dite, avec de beaux mouvements et un sentiment honnête prévalant dans l'ensemble.
On assure que la mission de M. Mounier à Londres a pour but d'obtenir le concours de l'Angleterre en faveur du mariage de l'innocente Isabelle avec son cousin Carlos, prince des Asturies.
Voilà les cendres de Napoléon à Cherbourg. A Paris, rien n'est prêt encore, dit-on, pour cette cérémonie qui, à mon sens, sera fort ridicule.
Rochecotte, 5 décembre 1840.—J'ai eu hier une lettre de M. Royer-Collard, dont voici un piquant extrait: «Il y a huit jours, Madame, que je suis enfermé à la Chambre suivant avec application et intérêt le grand débat de l'Adresse. Les assistants ont donné, alternativement, tort aux deux principaux acteurs, mais ce n'est pas le même tort. Les fautes de Thiers sont du Ministre, celles de Guizot 426 de l'homme. Je ne sais si vous avez remarqué, dans les journaux, que j'ai été conduit à rendre à Guizot, dans un moment difficile, un témoignage dont il avait grand besoin, car on ne croyait pas un mot de ce qu'il disait, bien que ce fût la vérité. Il est venu m'en remercier, le lendemain, à ma place, en traversant courageusement toute la Chambre. Je n'ai point accepté le remerciement. Je lui ai répondu que je n'avais rien fait pour lui, que je n'avais pensé qu'à moi. Il m'a abordé, depuis, dans un couloir. Je lui ai tenu même rigueur, et refusé la conversation. Il y a cette différence entre les deux hommes, que Dieu n'a pas donné à Thiers le discernement du bien et du mal; mais Guizot, qui a ce discernement, passe outre. Il est donc plus coupable, mais il n'est peut-être pas le plus dangereux. Si on pouvait regarder quelque chose comme irrévocablement accompli aujourd'hui, je dirais qu'ils sont tous deux perdus sans retour. Je le voudrais bien, mais je n'en suis pas sûr.»
On mande à mon gendre que l'effet du discours de Berryer a été immense. Il paraît qu'il a tué M. Guizot et porté un rude coup plus haut. Les Carlistes en sont dans l'enivrement. Je suis tentée de croire qu'ils donnent à cet effet une portée plus profonde que la réalité. Thiers encense Berryer, et dit à qui veut l'entendre, que, comme art, rien n'est au-dessus et qu'en 1789, on ne faisait pas mieux.
La princesse de Lieven, à laquelle quelqu'un ne dissimulait pas le coup porté à Guizot, a répondu qu'il n'en était pas atteint.
427 On dit que c'est le 15 de ce mois qu'aura lieu la cérémonie pour les cendres de Napoléon. Comme son ombre arrive à propos!
Rochecotte, 6 décembre 1840.—On m'écrit ceci: «Je n'ai pas entendu confirmer la mort de Demidoff, mais je sais, de source certaine, qu'il a fait un fort désagréable voyage à Rome, où il a eu des scènes fâcheuses avec le Cardinal secrétaire d'État, et avec le Ministre de Russie, après lesquelles il a dû quitter, par ordre, les États du Pape. L'émotion qu'il a éprouvée lui a donné un de ses plus terribles accès. Il paraît qu'il aurait dit au prêtre grec que ses enfants seraient tous élevés dans la religion grecque, et à l'autorité catholique, qu'ils le seraient catholiquement. De plus, il a dit, avec son assurance habituelle, qu'avec de l'argent, on obtenait tout de la Cour de Rome, et qu'il avait envoyé cent mille francs au Pape pour les dispenses qu'il a obtenues. Le cardinal Lambruschini, indigné de ce bruit, a fait insérer, dans la Gazette romaine, un article, que partout on répète, et qui dément le fait, en établissant très positivement que M. Demidoff n'avait payé, pour ses dispenses, que la somme de quatre-vingt-dix francs, pour frais d'expédition. Le Ministre de Russie ayant refusé de traiter, pour le côté Demidoff, avec la Cour de Rome, M. Demidoff a été lui dire des injures; et, après toutes ces belles équipées, il lui a fallu quitter Rome, et s'il n'est pas mort de rage, il n'en est pas moins embarrassé.»
428 Rochecotte, 7 décembre 1840.—La grande nouvelle du jour est le rejet de l'amendement de M. Odilon Barrot, à plus de cent voix de majorité.
Voici plusieurs bons mots qui se disent à Paris: On appelle MM. Jaubert, Duvergier de Hauranne, enfin le groupe détaché des Doctrinaires passés à gauche, les schismatiques effrénés de la Doctrine. Dans un autre ordre de choses, on appelle les partisans de Mgr Affre, Archevêque de Paris, les affreux. Il faut toujours que les plaisanteries aillent leur train.
Rochecotte, 9 décembre 1840.—Mme Mollien me mande que la préoccupation des esprits, maintenant que l'Adresse est votée, commence à se tourner vers la Fête des cendres, comme dit le peuple à Paris. La cérémonie coûtera un million. Des milliers d'ouvriers sont occupés aux préparatifs jour et nuit, et des milliers de badauds les regardent, tant que le jour dure. Quelle sottise que toute cette comédie! Arrivant à quel moment! Dans quelles conjonctures! Il me semble que le rocher de Sainte-Hélène était une tombe plus touchante, et peut-être même un asile plus sûr, que l'orageux et révolutionnaire Paris.
Rochecotte, 10 décembre 1840.—M. Raullin m'écrit qu'à la séance de la Chambre où on a traité des tripotages de Bourse, M. Thiers pleurait. Il me dit aussi qu'on n'a rien vu de pareil aux haines et aux violences qui agitent tout ce monde, que l'on ne peut plus causer avec personne, 429 à moins d'entrer dans leur folie. Thiers voulait se battre avec M. de Givré; Rémusat l'en a empêché. M. Jaubert est, aussi, un peu piqué par la tarentule. Mme Dosne est dans son lit, à la suite de la dernière séance de la Chambre, à laquelle elle assistait. Les révélations sur les tripotages de Bourse l'ont bouleversée.
M. de Sainte-Aulaire m'écrit, de Vienne, qu'il va se présenter pour l'Académie française. Il se montre fort dégoûté des affaires. Il est impossible, en effet, que ce dégoût ne devienne pas général.
Rochecotte, 13 décembre 1840.—Hier, dans ma solitude, plus complète que de coutume, je me suis replongée, ce que je fais d'ailleurs sans cesse, dans mes souvenirs du passé, et il m'est venu d'écrire quelques lignes sur un des côtés de l'esprit et de la nature de M. de Talleyrand; les voici:
Son esprit était ferme, mais sa conscience était faible, car elle manquait de lumières. Son époque, son éducation, sa position forcée étaient ennemies des réflexions qui éclairent l'âme. Son insouciance naturelle le détournait, d'ailleurs, du travail sérieux de la conscience, et le laissait dans les ténèbres. Aussi n'appliquait-il guère sa rare intelligence qu'aux intérêts de la politique. Entraîné par le terrible mouvement de son siècle, il lui réservait toute l'activité dont il était capable. Au besoin, cette activité était grande. Il savait vivre sans repos, sans loisirs; il en privait alors les autres et lui-même; mais, le but atteint, il retombait pour longtemps dans une nonchalance 430 dont il défendait habilement les abords; il s'y barricadait, et rendait sa paresse si gracieuse qu'on se serait reproché de la troubler. Son coup d'œil était rapide, juste et fin; son démêlé pénétrant, son esprit fortement trempé dans un admirable bon sens; son action rare, lente au début, mais vive et précipitée vers le dénouement. L'état habituel d'incurie, dont il ne sortait que le moins possible, a été très nuisible à sa vie privée, car il y poussait cet état à l'excès. De là, cette porte toujours ouverte, cette chambre toujours envahie, et cette déplorable indifférence sur la sûreté et la valeur morale de ceux qui s'y introduisaient. Et néanmoins, avec l'œil demi-fermé, il voyait tout; mais il prenait à peine le soin de juger, encore moins d'écarter ceux-là même dont il faisait le moins de cas. Pourvu que, dans la conversation, il n'eût rien de direct à repousser, il laissait dire, ou faire; mais s'il se sentait touché, le réveil était immédiat, et la leçon un coup de massue. Il terrassait sur place, sans, du reste, garder la moindre rancune. Il retombait bientôt dans son insouciance et oubliait aussi facilement l'inconvenance, qu'il pardonnait sincèrement l'injure. Il était, d'ailleurs, bien rarement appelé à se défendre. Sa dignité était si naturelle, si simple, si bien protégée par sa réputation, par sa grande existence, et par ce demi-sommeil même dont on sentait bien qu'il fallait se méfier, que je n'ai guère vu les plus mal élevés, risquer de l'être avec lui. Je lui ai souvent entendu dire ceci, avec une véritable satisfaction: «J'ai été ministre du Directoire; toutes les bottes ferrées de la Révolution ont traversé ma chambre, sans que jamais personne ait 431 imaginé d'être familier avec moi.» Il disait vrai: chacun, même les plus proches, les plus intimes, ne l'abordait qu'avec une respectueuse déférence. Je suis, d'ailleurs, restée convaincue, que ce qui aidait à le rendre si imposant, c'était un trait de sa nature, qui se sentait à travers son indolence. C'était ce courage plein de sang-froid et de présence d'esprit, ce tempérament hardi, cette bravoure instinctive, qui inspire un goût irrésistible pour le danger sous toutes ses formes, qui rend le péril séduisant, et donne tant de charme aux hasards. Il y avait, sous la noblesse de ses traits, la lenteur de ses mouvements, le sybaritisme de ses habitudes, un fond de témérité audacieuse, qui étincelait par moments, révélait tout un ordre nouveau de facultés, et le rendait, par le contraste même, une des plus originales et des plus attachantes créatures.
Rochecotte, 14 décembre 1840.—Dans les lettres que j'ai reçues, hier, il y en avait une de Berlin, de M. Bresson, qui dit ceci: «Francfort n'est pas une disgrâce pour M. de Bülow, qui l'a beaucoup désiré, dans les intérêts privés; le rang de ce poste est au moins égal à celui de Londres. La singulière issue des affaires d'Orient a relevé les négociateurs dans l'opinion; ceux qui criaient le plus haro et anathème, contre Bülow, sont aujourd'hui ceux qui le louent le plus. Nous faisons si beau jeu à ceux qui osent, que je suis, moi-même, tenté de leur donner raison.—Humboldt n'a aucune influence politique sur le Roi de Prusse. Personne, jusqu'à présent, n'en exerce, et on ne saurait dire encore, au juste, où il se placera. Quelques 432 nominations récentes parmi les Piétistes ont porté quelque atteinte à sa popularité; son penchant pour eux n'est pas partagé par le pays.—Lord William Russell étend, de plus en plus, ses distractions; il est partagé entre trois dames, dont l'une le conduit même assez souvent en Mecklembourg.—Le prince Wittgenstein ne participe plus en rien aux affaires; il a des attaques répétées et ne vivra pas longtemps.—Je n'ai pas besoin de vous parler de ce que la discussion de l'Adresse m'a fait souffrir; les conditions actuelles rendent le séjour à l'étranger odieux. Est-il vrai que Flahaut aille à Vienne, remplacer Sainte-Aulaire? Si le fait est exact, il est clair qu'on me laissera ici. Je n'ai pas le vent de la faveur: certaine rue, certaine maison, que vous avez tant connues, ne me sont pas aussi favorables qu'autrefois.» Ce dernier passage fait allusion à l'hôtel Talleyrand, rue Saint-Florentin, où demeure maintenant Mme de Lieven.
On me mande la mort de la jeune Marie de La Rochefoucauld, fille de Sosthène, et petite-fille de la duchesse Mathieu de Montmorency: cette pauvre femme survit à ses contemporains, à ses enfants, à ses petits-enfants. Dieu éprouve rudement le grand courage et la foi profonde dont elle est douée!
On m'écrit aussi qu'à la fameuse cérémonie des Cendres, la Reine et les Princesses seront en mante de deuil comme pour Louis XVIII. Tout le monde est donc fou! Les journaux ne parlent que de la marche funèbre ou plutôt triomphale, et des honneurs religieux que les restes de l'Empereur reçoivent partout. Après tout, Napoléon, deux fois 433 en quarante ans, aura rendu le même service aux Français: il les aura réconciliés avec la religion; car il paraît que c'est quelque chose de curieux, de voir les populations s'agenouiller, entourer le clergé qui bénit cette dépouille; vouloir, partout, pour leur héros, les bénédictions de l'Église. Singulier peuple, qui, au milieu d'une véritable anarchie, accepte l'ordre lui-même, pour la cause d'une idée révolutionnaire! Car il me semble évident qu'il n'y a pas autre chose sous ces hommages: ce n'est pas le législateur qu'on exalte, ce n'est que l'usurpateur et le conquérant.
Rochecotte, 15 décembre 1840.—J'ai eu, hier, des nouvelles de Mme de Lieven dont je vais transcrire le principal: «Voilà l'Égypte finie: Napier a été un peu rude, et il n'avait pas mission de l'être; c'est égal, il a réussi. Napier a voulu être érudit, et il invite le Pacha à renouveler le règne des Ptolémées. Pour un vassal, ce serait drôle! C'est égal aussi. A Constantinople, on va reconnaître l'hérédité dans sa famille, et il rendra la flotte après. A Londres, ce sont des joies immenses, et lord Palmerston ne touche pas terre. La situation entre les deux pays reste bien tendue; ce n'est pas la guerre, mais ce n'est pas absolument la paix.—On ne parle plus de la discussion de l'Adresse; elle est oubliée pour les funérailles de Napoléon. Elles seront superbes; j'espère qu'elles ne seront pas autre chose.
«La reine Christine est partie, ayant fait la conquête de votre Roi. Elle ira jusqu'à Rome, mais point à Naples où on n'a pas reconnu sa fille.—Toute la Russie féminine 434 est ici: cinq dames du Palais à Paris. Il n'en reste que quatre à Saint-Pétersbourg!—Les Ambassadeurs ont déclaré qu'ils n'assisteraient pas aux funérailles. Pour la plupart d'entre eux, je sais que c'est de leur propre tête; lord Granville a demandé des ordres. Après un peu d'hésitation, on lui a dit de faire comme les autres.—La Reine d'Angleterre est accouchée comme les poules pondent, tout aussi facilement.»
Rochecotte, 17 décembre 1840.—Nous ne savons pas encore comment les funérailles se sont passées avant-hier à Paris. On n'y était pas sans inquiétudes. La duchesse de Montmorency me mandait ceci: «On sait qu'on a le projet de se porter à l'Ambassade d'Angleterre, et de démolir la maison; aussi a-t-on enfermé de la troupe dans l'hôtel et lady Granville a-t-elle déménagé. On estime qu'il y aura 800 000 personnes en mouvement. Mes enfants ont été au Pecq, et ont tout trouvé fort convenable: grand silence à l'arrivée du bateau, tous les chapeaux bas; le général Bertrand à droite du cercueil, le général Gourgaud à gauche, M. de Chabot devant; le prince de Joinville allant et venant pour donner des ordres, ayant fait ôter tous les ornements qui n'étaient pas religieux; des prêtres, des surplis, beaucoup de cierges, mais rien de mondain ni de mythologique.»
Les journaux indiquent une grande fermentation. Je serai charmée quand la poste de ce soir nous aura dit comment tout s'est terminé.
J'ai écrit pour qu'on fît voir ce spectacle à Boson, mon 435 petit-fils; quelque mal conçue, incohérente, contradictoire et ridicule, par les circonstances, que soit cette cérémonie, l'arrivée solennelle de ce cercueil, revenant de Sainte-Hélène, sera une chose très imposante, et dont il sera curieux, un jour, d'avoir été témoin. Malheureusement, à son âge, il se bornera à être saisi du spectacle, sans pouvoir faire tous les rapprochements étranges qu'il inspire: l'oubli complet de l'oppression, de la malédiction générale dont l'Europe retentissait il y a vingt-six ans; et, aujourd'hui, ce souvenir unique de ses victoires, rendant sa mémoire si populaire. Paris se disant avide de liberté, la France humiliée devant l'étranger, célébrant à l'envi celui qui a le plus enchaîné cette liberté, et qui a été le plus terrible des conquérants.
Nous lisons, dans les journaux, la description des décorations des Champs-Élysées, avec cette haie de Rois et de grands hommes. On aurait dû, au moins, n'y point placer le Grand Condé! Condé offrant une couronne à l'assassin de son petit-fils!—Ce qui me paraît devoir être beau, c'est le char. J'aime Napoléon rapporté en France sur un bouclier...
Rochecotte, 18 décembre 1840.—Nous attendions hier le courrier avec impatience, et par une espèce de fatalité, la malle a cassé, et il a fallu nous coucher sans lettres. Heureusement que mon fils Dino, qui avait été à Tours, nous a rapporté la copie d'une dépêche télégraphique reçue par le Préfet, et qui dit que tout s'est bien passé, à l'exception d'une petite démonstration, faite par une cinquantaine 436 d'hommes en blouse, qui, sur la place Louis XV, ont voulu forcer la ligne, mais qui ont été repoussés.
Rochecotte, 19 décembre 1840.—Nous avons donc enfin nos lettres! Mme Mollien, qui était à l'église des Invalides à la suite de la Reine, me dit ceci: «Autant cette fête était populaire dans les rues de Paris, autant elle l'était peu, là où je me trouvais; pour toutes sortes de raisons, on est enchanté d'être au lendemain d'hier.—Avant d'entrer dans l'église, on s'est réuni dans une espèce de salon, ou plutôt de chapelle sans autel, qui avait déjà servi au même usage, lors de la cérémonie funèbre des victimes de Fieschi. La famille Royale, le Chancelier, les Ministres, les Maisons et jusqu'aux précepteurs, tout cela réuni a attendu deux heures. La grande occupation était de conjecturer la marche du cortège, et surtout, sans se priver du feu de deux énormes cheminées pratiquées à la hâte, de conjurer l'effroyable fumée qu'elles vomissaient à flots. Le souvenir de l'Empereur n'était dans la pensée de personne. On causait de tout, excepté de lui. Le Chancelier [157] se faisait remarquer par sa jovialité et ses comiques impatiences contre la fumée. La Reine avait la fièvre; rien n'a pu l'empêcher d'accompagner le Roi; elle est rentrée vraiment malade des Invalides.—Je ne vous parlerai pas de la scène de l'église; j'étais tellement renfermée dans la tribune que je n'ai rien vu, et à peine entendu l'admirable messe de Mozart, divinement chantée.»
Voici un autre récit: «Ce que j'ai trouvé de vraiment admirable, c'est le char. Rien de plus magnifique et de plus imposant: les étendards de chaque département portés par des sous-officiers faisaient très bien; les trompettes qui poussaient à l'unisson un chant simple et funèbre m'ont saisi. J'ai aimé aussi les cinq cents marins de la Belle Poule, qui, par leur tenue austère, contrastaient avec la splendeur du reste. Mais ce qui était ridicule, c'étaient les vieux costumes de l'Empire, qui avaient l'air de venir de chez Franconi. La marche du char n'était pas assez promptement suivie par la foule, de sorte que le peuple se précipitait d'une façon trop bruyante. Il y a eu de mauvais cris de: «A bas Guizot! Mort aux hommes de Gand!» On a aussi vu quelques drapeaux rouges et entendu quelques chants de la Marseillaise, mais cela a été réprimé et étouffé. Le Prince de Joinville est bruni et maigri, mais beau et fort approuvé. Il a eu grand succès, hier, tout le long du cortège.»
La duchesse d'Albuféra a vu passer le cortège de chez Mme de Flahaut, qui avait invité les vieux restes féminins de l'Empire, la maréchale Ney, la duchesse de Rovigo, etc., mêlés au monde actuel ou à des étrangers. Les quatre-vingt mille hommes de troupes donnaient, dit-elle, l'aspect d'une revue, plutôt que d'un enterrement. La Maréchale regrette, avec raison, l'attitude du peuple, qui n'était ni religieuse, ni recueillie, ni touchante.
J'ai aussi une lettre de M. Royer-Collard, qui, lui, ne parle pas de la cérémonie à laquelle il n'a pas assisté, mais qui me dit ceci en réponse à ce que je m'étonnais 438 qu'il ne m'eût point parlé de l'effet du discours de Berryer: «Si je vous parlais sans nul déguisement de ce que je pense des acteurs principaux de l'Adresse, je serais jeté dans des paroles qui tiendraient de l'outrage. Quant à Berryer, il soutient la cause du bien par le mal, et d'un bien chimérique par un mal certain, la cause de l'ordre par le désordre. Il a l'extérieur de l'orateur, il n'en a pas la réalité; il ne pénètre pas dans les esprits, il n'y laisse point de traces, il ne restera de lui que son nom.—Vous me demandez ce que je fais de M. de Tocqueville? Il a un fond d'honnêteté qui ne lui suffit pas, qu'il dépense imprudemment, mais dont il lui restera toujours quelque chose; je crains que, par impatience d'arriver, il ne s'égare dans des voies impraticables, voulant concilier ce qui est inconciliable. Il se sert à la fois de ses deux mains, donnant la droite à la gauche, la gauche à nous, regrettant de ne pas en avoir une troisième par derrière, qu'il donnerait invisiblement. Il va se présenter à l'Académie française, à la place de M. de Bonald; il n'aura pas ma première voix, que je dois à Ballanche, mais il aura ma seconde. Ses adversaires, et il en a, disent qu'il a déjà tiré, de ses succès littéraires, l'Institut, la Chambre, et un fauteuil chez Barrot, qu'ainsi il peut attendre.» Notre solitaire de la rue d'Enfer a un grand fond de malice à travers toute sa vertu. La troisième main en fait foi; je trouve l'image piquante!
Rochecotte, 20 décembre 1840.—Le duc de Noailles, qui me fait aussi un petit compte rendu des funérailles, 439 me dit que la masse curieuse regardait passer le cortège à peu près comme celui du Bœuf-Gras, et que dans l'église, on n'était occupé que du froid et de s'en garantir; que l'office religieux a été confus, et que personne ne pensait à autre chose qu'à un spectacle mondain. Il me semble que ce que tout cela prouve, c'est qu'il n'y a plus de bonapartistes en France; c'est, qu'en vérité, il n'y a plus rien, dans ce pays, que des articles de journaux.
On mande, à mon gendre, qu'il est question de faire, à la Chambre, une proposition. Celle d'effacer l'effigie de Henri IV de l'étoile de la Légion d'honneur, et d'y remettre celle de Napoléon. Au fait, il ne sera pas plus extraordinaire d'effacer son aïeul que de barbouiller ses propres armes [158].
Rochecotte, 23 décembre 1840.—J'ai reçu une lettre de M. de Salvandy, dont voici l'essentiel, dégagé des phrases redondantes: Il est arrivé une note de lord Palmerston, qui déclare ratifier la convention de Napier, et s'en porter garant au nom de l'Angleterre.
M. Thiers sera président et rapporteur de la Commission des fortifications à la Chambre. Il tiendra ainsi le 440 Cabinet sur la sellette et la Chambre en échec. Il sort, de là, que M. Thiers est moins démoli qu'on ne pensait, M. Guizot peu, ou mal affermi; tout précaire, dès lors tout possible; au dedans, la Chambre en est ébranlée; l'Europe pourrait l'être. L'Autriche avait passé une note fort modérée sur les armements, mais l'Allemagne ne désarmera pas.
M. de Salvandy dit la même chose que mes autres correspondants sur les funérailles. Il se plaint qu'il y avait trop d'or, de l'or partout et toujours; il paraît que les ordonnateurs de la fête ont cru que c'était ce qui ressemblait le plus à la gloire. Il dit aussi que rien n'était moins religieux que la cérémonie religieuse, ce qui se comprend, avec un Archevêque qui ne sait ni marcher, ni prier, ni encenser. J'ai remarqué, dans le Moniteur, une phrase que je trouve incomparable: «Le De profundis a été chanté par Duprez, et l'Oraison par l'Archevêque!»
M. de Salvandy prétend qu'à la cérémonie, M. Thiers était remarquable d'espérance au commencement, de colère à la fin, de préoccupation toujours. Il paraît qu'il comptait sur une journée, qui, Dieu merci, a manqué. Dans l'église même, il a recherché une discussion avec M. Molé sur les pensées et les chances de Napoléon pendant les Cent-Jours...
Voici maintenant l'extrait d'une lettre que Mme de Wolff m'écrit de Berlin: «Jusqu'à présent, rien n'a troublé la parfaite harmonie entre le Souverain et son peuple. Pour les opinions politiques, il n'y a guère de différend chez nous. Nous sommes presque tous orthodoxes 441 à cet égard; mais les opinions religieuses se partagent et s'agitent, et c'est à ce point de vue surtout qu'on observe, avec une sorte d'inquiétude, les premières démarches du Roi. On espère que le Roi ne sacrifiera jamais le vrai mérite à des préventions de sectes. Quant à cette nouvelle noblesse que le Roi vient de créer, il me serait difficile de vous en donner une explication précise, car cette institution paraît être encore vague. Le Roi a cru prévenir les inconvénients d'une noblesse pauvre, comme l'est, généralement, la noblesse prussienne, en attachant les nouveaux titres de noblesse qu'il a donnés, aux propriétés territoriales, de manière que le titre ne passe qu'à ceux des enfants ou descendants qui héritent des terres, et qu'il s'éteigne dès que celles-ci sortiront de la famille. Cette idée n'a pas été fort appréciée jusqu'à présent; on craint qu'il n'en résulte des embarras, des complications, et que cette institution, si peu en harmonie avec les coutumes germaniques, ne puisse pas se soutenir.»
Rochecotte, 27 décembre 1840.—Le duc de Noailles me mande que M. de Tocqueville retire sa candidature académique. Le Duc venait de dîner avec Mgr Affre, chez M. Pasquier. Il dit que c'est un vrai paysan. Tout le monde, même les ennemis de Mgr de Quélen, a remarqué la différence, à la cérémonie des Invalides. C'était Mgr de Quélen qui avait officié pour les victimes de Fieschi. Mgr Affre est vraiment le Prélat de cette vilaine époque, si dénuée de dignité, quelque part qu'on veuille la chercher.
442 Rochecotte, 30 décembre 1840.—On me mande de Paris qu'il était arrivé une dépêche de Russie, avec ordre de la communiquer au gouvernement, assez douce et assez amicale, disant que c'est avec peine que l'on voit l'isolement de la France, et qu'on est prêt à entrer dans les mesures qu'on pourrait imaginer, pour faire rentrer la France dans les négociations communes, puisqu'on a rétabli à Paris un Ministère conservateur. La dépêche a été lue à M. Guizot, et ensuite au Roi. Serait-ce le témoignage d'un désir de rapprochement particulier? Je ne le crois pas, mais ce que je crois, c'est qu'on veut partout éviter la guerre, la Russie autant que les autres Puissances; qu'on désire calmer la France pour qu'elle désarme et qu'on puisse ensuite désarmer ailleurs, car ces armements généraux ruinent l'Europe.
FIN DU TOME II.
Message du Président des États-Unis, Jackson.
Depuis la dernière session du Congrès, la validité de nos réclamations contre la France, telles qu'elles ont été liquidées par le traité de 1831, a été reconnue par les deux branches de sa législature, et l'argent a été voté pour les acquitter, mais je regrette d'avoir à vous faire connaître que le paiement n'a pas encore eu lieu.
Une courte récapitulation des incidents les plus importants de cette controverse prolongée montrera combien les motifs par lesquels on cherche à justifier cette marche sont absolument insoutenables.
Lorsque j'entrai en fonctions, je trouvai les États-Unis s'adressant en vain à la justice de la France, pour qu'il fût satisfait à des réclamations dont la validité n'a jamais été douteuse, et a maintenant été admise par la France elle-même de la manière la plus solennelle. L'ancienneté de ces réclamations, leur haute justice, et les circonstances aggravantes qui leur ont donné naissance, sont trop connues du peuple américain, pour qu'il soit nécessaire de les décrire. Il suffit de dire que, pendant une période de dix années et plus, notre commerce a été, à de courtes interruptions près, l'objet d'agressions constantes de la part de la France, agressions dont les formes ordinaires étaient la condamnation de navires et de cargaisons, en vertu de décrets arbitraires adoptés en contravention, tant au droit des gens qu'aux stipulations des traités, l'incendie en pleine mer, les saisies 444 et les confiscations, en vertu de rescrits impériaux particuliers, dans les ports d'autres nations occupés par les armées françaises ou sous le contrôle de la France.
Tel est, et ceci est maintenant concédé, le caractère des griefs que nous avons soufferts; griefs, en beaucoup de cas, tellement flagrants, que même leurs auteurs n'ont jamais dénié notre droit à des réparations. On peut se former quelque idée de l'étendue de ces pertes par ce fait que, avec l'incendie en mer, les propriétés américaines ainsi saisies et sacrifiées dans des ventes forcées, ont produit au Trésor français, sans compter ce qui a été adjugé à des corsaires, avant ou sans condamnation, près de vingt-quatre millions de francs, en outre de droits de douane considérables.
L'affaire avait déjà été, pendant vingt ans, l'objet de négociations non interrompues, excepté pendant la courte période où la France était accablée par la puissance militaire de l'Europe unie. Pendant cette période, alors que d'autres nations extorquaient d'elle le paiement de leurs réclamations à la pointe de leurs baïonnettes, les États-Unis suspendirent leur demande par égard pour l'état d'oppression d'un vaillant peuple envers lequel ils se sentaient obligés, pour l'assistance fraternelle qu'ils en avaient reçue dans leurs propres jours de souffrances et de périls. Les fâcheux effets de ces discussions prolongées et sans résultat, tant par rapport à nos relations avec la France que par rapport à notre caractère national, étaient évidents, et la ligne de mon devoir ne l'était pas moins à mon esprit. Il consistait, soit à insister sur le règlement de nos réclamations, dans un délai raisonnable, soit à les abandonner tout à fait. Je ne pouvais douter que cette marche était la plus conforme aux intérêts et à l'honneur des deux pays.
Des instructions furent données, en conséquence, dans cet esprit, au Ministre qui fut envoyé encore une fois demander des réparations. Lors de la réunion du Congrès, le 10 octobre 1829, je jugeai de mon devoir de parler de ces réclamations et des délais de la France, en termes propres à appeler l'attention sérieuse des deux pays sur l'affaire. Le Ministère français d'alors s'offensa du Message, par le motif qu'il contenait une menace, sous laquelle il n'était pas agréable au gouvernement français de négocier. Le Ministère américain réfuta 445 l'interprétation que l'on avait cherché à donner au Message, et rappela au souvenir du Ministère français que le Message du Président était une communication adressée, non à des gouvernements étrangers, mais au Congrès des États-Unis, et dans laquelle il lui était enjoint, par la Constitution, de fournir à ce corps des informations sur l'état de l'Union, comprenant ses relations étrangères aussi bien que ses relations domestiques, et que si, dans l'accomplissement de ce devoir, il se croyait obligé d'appeler l'attention du Congrès sur les conséquences qui pourraient résulter des difficultés existantes avec un gouvernement étranger, on pouvait, équitablement, supposer qu'il le faisait par suite du sentiment de ce qu'on devait attendre de lui, dans une communication franche avec une autre branche de son gouvernement, et non par l'intention de menacer une Puissance étrangère. Le gouvernement français fut satisfait, et la négociation fut continuée. Elle se termina par le traité du 4 juillet 1831, qui reconnut, en partie, la justice de nos réclamations, et en promit le paiement, jusqu'à concurrence de vingt-cinq millions de francs, en six termes annuels. Les ratifications du traité furent échangées à Washington, le 2 février 1832, et cinq jours après, il fut présenté au Congrès, qui passa immédiatement les actes nécessaires pour assurer à la France les avantages commerciaux qui lui étaient concédés par l'arrangement. Le traité avait été préalablement ratifié d'une manière solennelle par le Roi des Français, en termes qui, certainement, ne sont pas une simple affaire de forme: «Nous, ayant pour agréable la susdite convention, en toutes et chacune des dispositions qui y sont contenues, déclarons, tant pour nous que pour nos héritiers et successeurs, qu'elle est acceptée, approuvée, ratifiée et confirmée, et par ces présentes, signées de notre main, nous l'acceptons, approuvons, ratifions et confirmons, promettant, en foi et parole de Roi, de l'observer et de la faire observer inviolablement, sans jamais y contrevenir, et permettre qu'il y soit contrevenu, directement ni indirectement, pour quelque cause ou quelque prétexte que ce soit.» L'avis officiel de l'échange des ratifications aux États-Unis est parvenu à Paris pendant que les Chambres étaient en session. Les délais extraordinaires, et préjudiciables pour nous, apportés par le gouvernement français, à agir pour assurer l'exécution du traité, ont été précédemment exposés au 446 Congrès; il suffit de faire observer qu'on laissa passer la session alors ouverte, sans même faire un effort pour obtenir les fonds nécessaires; qu'on laissa également passer les deux sessions suivantes, sans rien faire qui ressemblât à une tentative sérieuse pour obtenir une décision sur l'affaire, et que ce ne fut pas avant la quatrième session, près de quatre ans après la conclusion du traité, et plus de deux après l'échange des ratifications, que la loi relative à l'exécution du traité, fut poursuivie jusqu'à un vote et rejetée.
En attendant, le gouvernement des États-Unis, ayant la pleine confiance qu'un traité conclu serait exécuté de bonne foi, et ne doutant pas que des mesures seraient prises pour le paiement du premier terme, qui devait échoir le 2 février 1833, négocia une traite pour le montant, par l'intermédiaire de la Banque des États-Unis. Lorsque cette traite fut présentée par le porteur, le gouvernement français la laissa protester. Outre le dommage de non-paiement, les États-Unis furent exposés à une forte réclamation de la part de la Banque, sous prétexte de dommages-intérêts, en paiement desquels cette institution saisit, et retient encore, un montant égal des deniers de l'État.
Le Congrès était en session lorsque la décision des Chambres parvint à Washington, et une communication immédiate de cette décision de la France était la marche que l'on devait naturellement attendre du Président. Le mécontentement profond manifesté par l'opinion publique et l'excitation analogue produite dans le Congrès rendaient plus que probable qu'un recours à des mesures immédiates de redressement serait la conséquence d'un appel fait, à ce sujet, à l'attention du Congrès.
Désirant sincèrement conserver les relations pacifiques qui avaient si longtemps existé entre les deux pays, je voulais éviter cette démarche, si je pouvais être convaincu qu'en agissant ainsi, ni l'intérêt, ni l'honneur de mon pays ne seraient compromis. Sans les assurances les plus complètes sur ce point, je ne pouvais point espérer de me décharger de la responsabilité que j'encourais en laissant le Congrès s'ajourner sans lui rendre compte de l'affaire. Ce caractère semblait appartenir aux assurances qui me furent données.
Le gouvernement français avait prévu que les sentiments produits 447 aux États-Unis, par la nouvelle du rejet du crédit, seraient tels que je les ai décrits, et de promptes mesures avaient été prises par lui pour prévenir les conséquences. Le Roi, en personne, exprima, par l'intermédiaire de notre Ministre à Paris, son profond regret de la décision des Chambres, et promit d'envoyer sur-le-champ un bâtiment de guerre avec des dépêches pour son Ministre ici, à l'effet de l'autoriser à donner des assurances propres à convaincre le gouvernement et le peuple des États-Unis que le traité serait néanmoins fidèlement exécuté par la France. Le bâtiment de guerre arriva, et le Ministre reçut ses instructions. Prétendant agir en vertu de l'autorisation qu'elles lui conféraient, il donna les assurances les plus solennelles qu'aussitôt après les nouvelles élections, et le plus promptement que la Chambre le permettrait, les Chambres françaises seraient convoquées, et que la tentative, à l'effet d'obtenir le crédit nécessaire, serait renouvelée; que tous les pouvoirs constitutionnels du Roi et de ses Ministres seraient mis en action pour obtenir cet objet; on comprit qu'il contractait l'engagement, et ce gouvernement l'en informa expressément, que la question serait poussée à une décision, à une époque suffisamment rapprochée pour que l'avis du résultat pût être communiqué au Congrès au commencement de la session.
Me reposant sur ces assurances, j'encourus la responsabilité de laisser le Congrès se séparer sans lui faire aucune communication sur l'affaire.
L'attente, justement fondée sur les promesses ainsi solennellement faites, ne fut point réalisée. Les Chambres françaises se rassemblèrent le 31 juillet 1834, et quoique notre Ministre à Paris pressât les Ministres français de porter l'affaire devant elles, ils s'y refusèrent. Il insista ensuite pour que les Chambres, si elles étaient prorogées sans avoir pris de décision sur l'affaire, fussent convoquées de nouveau, à une époque assez rapprochée pour que leur vote pût être connu à Washington avant la réunion du Congrès. Cette demande raisonnable fut non seulement refusée, mais les Chambres furent prorogées au 29 décembre, jour tellement éloigné que leur décision ne pouvait, selon toutes probabilités, être obtenue à temps pour parvenir à Washington avant l'ajournement forcé du Congrès, aux termes de la Constitution. Les raisons données par le Ministère pour refuser de convoquer les 448 Chambres à une époque plus rapprochée, furent, plus tard, démontrées n'avoir pas été insurmontables, par la convocation effective des Chambres au 1er décembre, en vertu de l'appel spécial dans l'intérêt d'affaires domestiques, ce qui, cependant, ne parvint à la connaissance de ce gouvernement qu'après la dernière session du Congrès. Ainsi trompés dans notre juste attente, mon devoir impératif m'obligea à consulter le Congrès sur la convenance d'un recours à des mesures de rétorsion, dans le cas où les stipulations du traité ne seraient pas promptement exécutées. A cet effet, une communication devint indispensable. Avoir reculé, en la faisant, devant l'exposé de tout ce qui était nécessaire pour la comprendre exactement, et de ce qui était conforme à la vérité par crainte de donner offense à d'autres, eût été indigne de nous. Avoir été, d'un autre côté, un pas au delà, dans le but de blesser la fierté d'un gouvernement et d'un peuple avec lesquels nous avions tant de motifs de cultiver des relations amicales, et d'un avantage réciproque, eût été imprudent et inconvenant.
Averti, par le passé, de la difficulté de faire même le plus simple exposé de nos griefs, sans affecter la sensibilité de ceux qui étaient, par leur position, devenus responsables de leur redressement, je fis ce que je pus pour rendre impossible toute interprétation du Message, par laquelle la recommandation, faite au Congrès, pût être considérée comme une menace pour la France, en désavouant un tel dessein, et en déclarant, encore, que sa fierté et sa puissance étaient trop bien connues pour rien attendre d'elle par la crainte. Le Message ne parvint à Paris que plus d'un mois après la réunion des Chambres, et telle était l'insensibilité du Ministère à l'égard de nos légitimes réclamations, que notre Ministre avait été informé que l'affaire, lorsqu'elle serait présentée, ne serait point poursuivie comme mesure de Cabinet.
Bien que le Message n'eut pas été communiqué officiellement au gouvernement, et nonobstant les déclarations contraires qui y étaient énoncées, les Ministres français résolurent de considérer la proposition conditionnelle de représailles comme une menace et une insulte que l'honneur national leur faisait un devoir de repousser.
Les mesures auxquelles ils eurent recours, pour montrer combien ils avaient ressenti cette prétendue offense, furent le rappel immédiat 449 de leur Ministre à Washington, l'offre de ses passeports au Ministre américain à Paris, et la déclaration, aux Chambres législatives, de la suspension de tous rapports diplomatiques avec le gouvernement des États-Unis.
Après avoir, de cette manière, vengé la dignité de la France, ils s'occupèrent de faire ressortir sa justice. Dans ce but, un projet de loi fut immédiatement présenté à la Chambre des Députés, pour demander les fonds nécessaires à l'exécution du traité. Comme ce projet est devenu plus tard une loi dont les dispositions forment aujourd'hui le sujet principal des discussions qui subsistent entre les deux nations, je dois retracer l'histoire de cette loi.
Le Ministre des Finances, dans son exposé des motifs, fait allusion aux mesures qui avaient été prises pour repousser l'offense prétendue, et il représente l'exécution du traité comme réclamée par l'honneur et la justice de la France. En sa qualité d'organe du Ministère, il déclare que le Message, aussi longtemps qu'il n'avait pas reçu la sanction du Congrès, n'était que la simple expression des opinions personnelles du Président, et, d'un autre côté, il déclare que l'on avait pris des engagements à l'exécution desquels l'honneur de la France était engagé. Conformément à cette manière de voir, la seule condition à laquelle le Ministère français proposait de soumettre le paiement de l'argent, était de différer ce paiement, jusqu'à ce qu'on eût acquis la certitude que le gouvernement des États-Unis n'avait rien fait qui pût nuire aux intérêts de la France, ou, en d'autres termes, que le Congrès n'avait autorisé aucune mesure hostile envers la France.
Le Cabinet français ignorait, à cette époque, quelles pourraient être les dispositions ou les décisions du Congrès; mais le 14 janvier, le Sénat décida qu'il n'y aurait lieu à adopter, pour le moment, aucune mesure législative, par rapport à l'état des affaires entre les États-Unis et la France, et aucune décision à ce sujet n'était intervenue dans la Chambre des Représentants. Ces faits étaient connus à Paris avant le 28 mars 1835, au moment où la Commission à laquelle le Bill d'indemnité avait été soumis, présenta son rapport à la Chambre des Députés. Cette Commission reproduisit les opinions du Ministre, déclara que le Congrès avait écarté les propositions du Président, et proposa l'adoption du projet de loi, sans autre restriction 450 que celle originairement proposée. Le Ministère français et les Chambres savaient donc que si la position qu'ils avaient prise, et qui avait été si fréquemment annoncée comme la seule compatible avec l'honneur de la France, était maintenue, et si la loi était adoptée telle qu'elle avait été originairement proposée, l'argent serait payé, et cette malheureuse discussion serait terminée. Mais cette flatteuse espérance fut bientôt détruite par un amendement, introduit dans la loi au moment de son adoption, et portant que l'argent ne serait pas payé jusqu'à ce que le gouvernement ait reçu des explications satisfaisantes sur le Message du Président du 2 décembre 1834; et, ce qui est encore plus extraordinaire, le Président du Conseil des Ministres [159] adopta cet amendement, et consentit à son insertion dans la loi. Quant à la prétendue insulte dont ils s'étaient prévalu pour rappeler leur Ministre, et pour offrir des passeports au nôtre, ils proposèrent alors, pour la première fois, de demander des explications. Des propositions et des opinions qu'ils avaient déclaré ne pouvoir être, avec fondement, imputées au gouvernement ou au peuple américain, sont mises en avant comme des obstacles à l'accomplissement d'un acte rendant justice à ce gouvernement et à ce peuple. Ils avaient déclaré que l'honneur de la France exigeait l'exécution d'un engagement pris par le Roi, à moins que le Congrès n'adoptât les propositions du Message. Ils avaient la certitude que le Congrès ne les avait pas adoptées, et néanmoins l'exécution est refusée, jusqu'à ce qu'ils aient obtenu du Président des explications sur une opinion caractérisée par eux-mêmes comme personnelle et sans effet. La supposition que j'avais l'intention de menacer ou d'insulter le gouvernement français est aussi peu fondée, qu'une tentative pour extorquer des craintes de cette nation ce que ses sentiments de justice devaient lui faire refuser, eût été vaine et ridicule. Mais la Constitution des États-Unis impose au Président le devoir d'exposer au Congrès la situation du pays, et le peuple américain ne saurait admettre l'intervention d'un gouvernement quelconque du globe, dans le libre accomplissement des devoirs domestiques que la Constitution a imposés à ses fonctionnaires publics. Les discussions qui interviennent entre les diverses branches 451 de notre gouvernement nous regardent seuls, et pour toutes les paroles qu'ils prononcent, nos mandataires ne sont responsables qu'envers leurs propres constituants, ou les uns envers les autres. Si, dans le cours de leurs discussions, des faits sont inexactement rapportés, ou que l'on en ait tiré d'injustes déductions, ils n'ont besoin pour les corriger, lorsqu'ils reconnaissent leurs erreurs, que de leur amour de la justice, et du sentiment de ce qu'ils doivent à leur caractère, mais ils ne peuvent jamais se soumettre à être interrogés à ce sujet, comme une chose de droit, par une Puissance étrangère. Quand ces discussions se terminent par des actes, alors commence notre responsabilité envers les Puissances étrangères, mais elle n'est plus individuelle, elle devient nationale. Le principe sur lequel on se fonde pour demander des explications sur les termes de mon Message, justifierait également la prétention qu'élèverait une Puissance étrangère, à demander des explications sur les termes employés dans le rapport d'une commission, ou dans le discours d'un membre du Congrès.
Ce n'est pas la première fois que le gouvernement français a pris offense des Messages des Présidents américains. Le Président Washington et le Président Adams, dans l'accomplissement de leurs devoirs envers le peuple américain, ont encouru l'animadversion du Directoire français. Le grief élevé par le Ministère de Charles X, et écarté par les explications données par notre Ministre à Paris, a déjà été mentionné, lorsqu'on eut appris que le Ministère du Roi actuel prenait offense de mon Message de l'année dernière, en lui donnant une interprétation que ses termes mêmes désavouaient; notre dernier Ministre à Paris, en réponse à la dernière note qui témoigna du mécontentement au sujet du langage dont on s'était servi dans le Message, adressa au gouvernement français, sous la date du 28 janvier 1835, une communication de nature à écarter toutes les impressions qu'avait pu produire une injuste susceptibilité. Il réitéra et rappela à l'attention du gouvernement français, le désaveu, contenu dans le Message même, de toute intention d'intimider par la menace. Il déclara, en toute vérité, que le Message ne contenait, ni de fait ni d'intention, aucune accusation de mauvaise foi contre le Roi des Français, et établit une distinction très juste entre le droit de se plaindre, en termes très mesurés, de la non-exécution d'une convention, 452 et une imputation de mauvais motifs, en suspendant cette exécution; enfin, il démontra que l'exercice nécessaire de ce droit ne devait pas être envisagé comme une imputation offensante. Quoique cette communication ait été faite par notre Ministre, sans instructions, et entièrement sous sa propre responsabilité, elle est devenue, depuis, un acte de ce gouvernement par ma complète approbation, et cette approbation a été notifiée officiellement au gouvernement français, le 25 avril 1835. Cependant, elle a manqué son effet. La loi a passé, avec le fâcheux amendement soutenu par les Ministres du Roi, et elle a été définitivement approuvée par le Roi.
Le peuple des États-Unis est justement attaché à un système pacifique dans ses relations avec les nations étrangères; il est donc convenable qu'il sache si son gouvernement y a été fidèle. Dans la circonstance actuelle, il a été poussé jusqu'aux dernières limites compatibles avec un juste respect de soi-même. La note du 28 janvier n'est pas la seule que notre Ministre ait pris sous sa responsabilité de présenter, sur le même sujet et dans le même esprit. Trouvant qu'on avait l'intention de rendre le paiement d'une juste dette dépendant de l'accomplissement d'une condition qu'il savait ne pouvoir jamais être exécutée, il jugea de son devoir de faire une nouvelle tentative, pour convaincre le gouvernement français que, si le respect de nous-mêmes et nos égards pour la dignité des autres nations nous empêcheraient toujours de nous servir d'un langage qui pourrait offenser, cependant nous ne reconnaîtrions jamais à un gouvernement étranger le droit de demander des explications sur les communications faites par une branche de nos conseils publics à l'autre; et, pour prévenir tout malentendu, il rappela les termes employés dans une note précédente, ajoutant que, par conséquent, toute explication qui pourrait raisonnablement être demandée ou honorablement donnée, avait déjà été fournie, et était non seulement inutile, mais pourrait même être jugée offensante, et ne serait certainement pas accomplie, si elle était annexée à la loi comme condition.
Lorsque cette dernière communication, sur laquelle j'appelle spécialement l'attention du Congrès, me fut soumise, je conçus l'espoir que le moyen qu'elle avait évidemment pour objet d'arriver à un règlement prompt et honorable des difficultés existant entre les deux 453 nations, aurait été accepté, et je n'hésitai donc pas à lui donner ma sanction et mon entière approbation. Je devais cela au Ministre qui s'était rendu responsable de l'acte; le peuple des États-Unis en a été publiquement informé, et j'en fais part, en ce moment, à ses représentants, pour montrer jusqu'où le pouvoir exécutif a porté ses efforts pour rétablir la bonne intelligence entre les deux pays. Mon approbation aurait été communiquée au gouvernement français, si elle eût été officiellement réclamée.
Le gouvernement français ayant reçu toutes les explications que l'honneur et les principes permettaient, on espérait qu'il n'hésiterait pas plus longtemps à payer les termes échus. L'agent autorisé à recevoir l'argent fut invité à informer le gouvernement français qu'il était prêt à le toucher. En réponse à cet avis, il fut prévenu que l'argent ne pouvait alors être payé, parce que les formalités requises par l'acte des Chambres n'avaient point été accomplies.
N'ayant reçu aucune communication officielle sur les intentions du gouvernement français, et désireux de conduire cette désagréable affaire à un terme avant la réunion du Congrès, j'ai fait donner à notre chargé d'affaires à Paris l'instruction de s'enquérir de la détermination finale du gouvernement français, et, dans le cas où il refuserait les termes échus, de revenir sans autres explications aux États-Unis.
Le résultat de cette dernière démarche ne nous est pas encore parvenu, mais nous l'attendons journellement. Je désire sincèrement qu'il soit favorable. Lorsque ses différents pouvoirs ont reconnu la justice de nos droits, les obligations que leur impose le traité de 1831, et lorsqu'il n'existe réellement aucune cause qui puisse motiver de nouveaux délais, la France adoptera enfin, on doit l'espérer, la marche que les intérêts des deux nations n'exigent pas moins impérieusement que les principes de la justice. Une fois le traité exécuté par la France, il restera peu de causes de désaccord entre les deux pays, rien, au fond, qui ne puisse céder aux conseils d'une politique pacifique et éclairée, et à l'influence de cette bienveillance mutuelle et de ces généreux souvenirs, qui, nous devons l'espérer, se ranimeront alors dans toute leur force première. Dans tous les cas, cependant, la question de principe soulevée par la nouvelle face qu'a prise la discussion est d'une importance tellement vitale à l'action indépendante du 454 gouvernement, qu'elle ne peut être, de notre part, l'objet d'un abandon ou d'une transaction, sans déshonneur pour la nation. Je n'ai pas besoin de dire que ce ne sera jamais par mon organe que se fera un pareil sacrifice. Je ne souillerai jamais l'honneur de mon pays, en m'excusant d'avoir dit la vérité et d'avoir accompli mon devoir, et je ne puis donner d'autres explications de mes actes officiels que celles que commandent l'honneur et la justice. Cette détermination, j'en ai la confiance, recevra l'approbation de mes constituants. Je connais bien mal, en effet, leur caractère, si la somme de vingt-cinq millions de francs balance un instant, à leurs yeux, une question qui se rattache à leur indépendance nationale, et si, malheureusement, une impression différente venait à prévaloir, ils se rallieront, j'en suis sûr, autour du gouvernement de leur choix, avec empressement et unanimité, et feront taire à jamais cette imputation dégradante.
Ayant ainsi franchement soumis au Congrès les circonstances qui, depuis sa dernière session, sont survenues dans cette intéressante et importante affaire, ainsi que les vues du pouvoir exécutif y relatives, il ne me reste qu'à ajouter, que dès que les avis attendus de la part de notre chargé d'affaires auront été reçus, ils deviendront l'objet d'une communication spéciale.
(Nous reproduisons cette pièce d'après le Journal des Débats du 1er janvier 1836.)
Discours prononcé par le duc de Broglie, président du Conseil, à la Chambre des Députés, dans la séance du 6 janvier 1836, au sujet de la Pologne.
Messieurs,
Je rends justice aux grandes idées, aux passions généreuses qui ont inspiré le premier orateur que vous avez entendu [160]; mais je prendrai 455 la liberté de lui rappeler qu'il n'a pas rendu une entière justice au gouvernement et au Ministère qui existait en 1831, lorsqu'il a paru croire que les embarras de cette époque avaient interdit à notre Cabinet de prendre, à la nation polonaise, l'intérêt qu'elle inspirera toujours à un gouvernement français.
A cette époque même, à cette époque si difficile et si périlleuse, où les circonstances intérieures de la France étaient si embarrassantes, le gouvernement français a fait pour la nation polonaise tout ce qu'il dépendait de lui de faire. Il a fait plus que toute autre nation, et si jamais l'histoire révèle la correspondance diplomatique du gouvernement français à cette époque, j'ose croire que l'on rendra alors justice à l'homme illustre [161] qui présidait le Cabinet.
Ce qui a été fait à cette époque, dans l'intérêt de l'humanité, dans l'intérêt de la justice, le gouvernement n'a jamais cessé de le faire, tant qu'il a dû croire que son intervention serait utile à la population de la Pologne.
Ce n'est pas, en effet, en présence d'une Chambre aussi éclairée, que j'ai besoin de rappeler combien l'intervention d'une Puissance étrangère, dans l'administration intérieure d'un autre État, doit être conduite avec égards et ménagements; combien, souvent, il est à redouter que cette intervention, loin de calmer les irritations, les excitations, loin d'affaiblir les animosités politiques, les irrite davantage; combien, en un mot, il faut prendre de soins et de précautions, en remplissant une pareille tâche.
La Chambre me comprendra, je l'espère, si je lui dis que le gouvernement français n'a négligé, dans une circonstance quelconque, son intervention dans l'humanité; mais la Chambre comprendra que, peut-être, ce n'est pas un bon moment de servir l'humanité, que c'est même aller contre l'intention de la Chambre, que de venir presser, à cette tribune, le gouvernement d'en faire davantage. Il est à craindre, souvent, que des paroles dictées par un sentiment généreux ne produisent, en réalité, un effet tout contraire au sentiment qui les inspire, qu'elles ne se traduisent, au dehors, en animosités plus grandes; enfin, que la cause de l'humanité, qu'on a voulu servir, ne soit trahie, 456 à l'insu même de ceux qui ont voulu la défendre. (De toutes parts: Très bien!)
Je n'en dirai pas davantage. L'orateur qui descend de cette tribune a lui-même remarqué quelle différence doit exister entre les paroles qui y sont prononcées par l'organe du gouvernement, et celles qu'y peut prononcer un membre isolé de la Chambre.
La Chambre comprendra certainement qu'il ne m'appartient point de répondre, une à une, aux observations qui vous ont été soumises, parce que ma réponse à ces observations aurait dans ma bouche une tout autre gravité.
Quant à l'autre branche de la question, quant à l'existence des traités dont le premier orateur a parlé, et dont le second [162] a dit aussi quelque chose, je la traiterai, et j'essaierai d'être court. Personne, que je sache, en Europe, personne sans exception, ne conteste que les traités ne doivent être exécutés fidèlement, selon leur lettre et selon leur esprit; mais dans l'article du traité auquel les deux orateurs ont fait allusion, se trouvent des principes différents, des principes qui ne sont point inconciliables, et qui ont, cependant, besoin d'être conciliés; à savoir, l'indépendance de la Pologne, d'une part, et, de l'autre, l'union de la Pologne avec la Russie. On a, dans cet article, posé le principe d'une représentation et de diverses institutions nationales, mais on a abandonné à l'exécution, de savoir quelles seront ces institutions, et sous quelle forme elles seront établies.
Cet article n'est pas rédigé avec autant de clarté, peut-être, que cela serait à désirer; il laisse par conséquent la possibilité, aux diverses Puissances qui ont signé le traité de 1815, de lui donner des interprétations différentes, de pousser plus ou moins loin les principes dont il se compose. Il se peut (je ne parle ici que par hypothèse) que les diverses Puissances ne se trouvèrent pas d'accord sur l'application de ces mêmes principes, et sur ce qu'il y a à faire. Est-ce à dire que, dès l'instant où il y aurait divergence entre les Puissances, il fallût aussitôt même recourir aux armes? La Chambre ne saurait avoir cette pensée. Il en est du maintien des relations entre les Puissances, comme de l'harmonie entre les pouvoirs publics. Par cela seul 457 qu'il y aurait divergence d'opinions, ce n'est pas un motif pour faire un appel à la force; c'est à la discussion, à la raison, au temps, à faire prévaloir la vérité.
Eh bien! Messieurs, j'en ai la confiance, la Chambre comprendra, sans en dire davantage sur la question qui l'occupe en ce moment, qu'il existe, sur certains points, divergence d'opinions entre diverses Puissances; nous avons pensé que c'était aux négociations, à la raison et au temps, de faire triompher la vérité. Nous espérons que vous serez sur ce point d'accord avec nous. (Vive approbation.)
(Nous reproduisons ce discours d'après le texte donné par le Journal des Débats du 7 janvier 1836.)
Éloge du Comte Reinhart, prononcé à l'Académie des Sciences morales et politiques, par le prince de Talleyrand, dans la séance du 3 mars 1838.
Messieurs,
J'étais en Amérique, lorsque l'on eut la bonté de me nommer membre de l'Institut, et de m'attacher à la classe des Sciences morales et politiques, à laquelle j'ai, depuis son origine, l'honneur d'appartenir.
A mon retour en France, mon premier soin fut de me rendre à ses séances, et de témoigner aux personnes qui la composaient alors, et dont plusieurs nous ont laissé de justes regrets, le plaisir que j'avais de me trouver un de leurs collègues. A la première séance à laquelle j'assistai, on renouvelait le bureau, et on me fit l'honneur de me nommer secrétaire. Le procès-verbal que je rédigeai pendant six mois, avec autant de soin que je le pouvais, portait, peut-être un peu trop, le caractère de ma déférence, car j'y rendais compte d'un travail qui m'était fort étranger. Ce travail, qui, sans doute, avait coûté bien des recherches, bien des veilles à un de nos plus savants collègues, 458 avait pour titre: Dissertations sur les lois ripuaires. Je fis aussi, à la même époque, dans nos assemblées publiques, quelques lectures que l'indulgence qui m'était accordée alors a fait insérer dans les Mémoires de l'Institut. Depuis cette époque, quarante années se sont écoulées, durant lesquelles cette tribune m'a été comme interdite, d'abord par beaucoup d'absences, ensuite par des fonctions auxquelles mon devoir était d'appartenir tout entier; je dois dire aussi, par la discrétion que les temps difficiles exigent d'un homme livré aux affaires; et enfin, plus tard, par les infirmités que la vieillesse amène d'ordinaire avec elle, ou du moins qu'elle aggrave toujours.
Mais aujourd'hui j'éprouve le besoin et je regarde comme un devoir de m'y présenter une dernière fois, pour que la mémoire d'un homme connu dans toute l'Europe, d'un homme que j'aimais, et qui, depuis la formation de l'Institut, était notre collègue, reçoive ici un témoignage public de notre estime et de nos regrets. Sa position et la mienne me mettent dans le cas de révéler plusieurs de ses mérites. Son principal, je ne dis pas son unique titre de gloire, consiste dans une correspondance de quarante années, nécessairement ignorée du public, qui, très probablement, n'en aura jamais connaissance. Je me suis dit: Qui en parlera dans cette enceinte? Qui sera surtout dans l'obligation d'en parler, si ce n'est moi, qui en ai reçu la plus grande part, à qui elle fut toujours si agréable, et souvent si utile dans les fonctions ministérielles que j'ai eues à remplir sous trois règnes... très différents?
Le comte Reinhart avait trente ans et j'en avais trente-sept, quand je le vis pour la première fois. Il entrait aux affaires avec un grand fonds de connaissances acquises. Il savait bien cinq ou six langues, dont les littératures lui étaient familières. Il eût pu se rendre célèbre comme poète, comme historien, comme géographe; et c'est en cette qualité qu'il fut membre de l'Institut, dès que l'Institut fut créé.
Il était déjà, à cette époque, membre de l'Académie des sciences de Gœttingue. Né et élevé en Allemagne, il avait publié, dans sa jeunesse, quelques pièces de vers qui l'avaient fait remarquer par Gesner, par Wieland, par Schiller. Plus tard, obligé pour sa santé de prendre les eaux de Carlsbad, il eut le bonheur d'y trouver et d'y voir souvent le célèbre Gœthe, qui apprécia assez son goût et ses connaissances 459 pour désirer d'être averti par lui de tout ce qui faisait quelque sensation dans la littérature française. M. Reinhart le lui promit: les engagements de ce genre, entre les hommes d'un ordre supérieur, sont toujours réciproques, et deviennent bientôt des liens d'amitié; ceux qui se formèrent entre M. Reinhard et Gœthe donnèrent lieu à une correspondance que l'on imprime aujourd'hui en Allemagne.
On y verra qu'arrivé à cette époque de la vie où il faut définitivement choisir l'état auquel on se croit le plus propre, M. Reinhart fit, sur lui-même, sur ses goûts, sur sa position et sur celle de sa famille, un retour sérieux qui précéda sa détermination; et alors, chose remarquable pour le temps, à des carrières où il eût pu être indépendant, il en préféra une où il ne pouvait l'être. C'est à la carrière diplomatique qu'il donna la préférence, et il fit bien: Propre à tous les emplois de cette carrière, il les a successivement tous remplis, et tous avec distinction.
Je hasarderai de dire ici que ses études premières l'y avaient heureusement préparé. Celle de la théologie surtout, où il se fit remarquer dans le séminaire de Denkendorf, et dans celui de la Faculté protestante de Tubingue, lui avait donné une force, et en même temps une souplesse de raisonnement que l'on retrouve dans toutes les pièces qui sont sorties de sa plume. Et pour m'ôter à moi-même la crainte de me laisser aller à une idée qui pourrait paraître paradoxale, je me sens obligé de rappeler ici les noms de plusieurs de nos grands négociateurs, tous théologiens, et tous remarqués par l'histoire comme ayant conduit les affaires politiques les plus importantes de leur temps: le cardinal chancelier Duprat, aussi versé dans le droit canon que dans le droit civil, et qui fixa avec Léon X les bases du Concordat, dont plusieurs dispositions subsistent encore aujourd'hui.—Le cardinal d'Ossat, qui, malgré les efforts de plusieurs grandes Puissances, parvint à réconcilier Henri IV avec la Cour de Rome. Le recueil de lettres qu'il a laissé est encore prescrit aujourd'hui aux jeunes gens qui se destinent à la carrière politique.—Le cardinal de Polignac, théologien, poète et négociateur, qui, après tant de guerres malheureuses, sut conserver à la France, par le traité d'Utrecht, les conquêtes de Louis XIV.
460 C'est aussi au milieu de livres de théologie qu'avait été commencée par son père, devenu évêque de Gap, l'éducation de M. de Lionne, dont le nom vient de recevoir un nouveau lustre par une récente et importante publication.
Les noms que je viens de citer me paraissent suffire pour justifier l'influence qu'eurent, dans mon opinion, sur les habitudes d'esprit de M. Reinhart, les premières études vers lesquelles l'avait dirigé l'éducation paternelle.
Les connaissances à la fois solides et variées qu'il y avait acquises, l'avaient fait appeler à Bordeaux pour remplir les honorables et modestes fonctions de précepteur dans une famille protestante de cette ville. Là, il se trouva naturellement en relation avec plusieurs des hommes dont le talent, les erreurs et la mort jetèrent tant d'éclat sur notre première Assemblée législative. M. Reinhart se laissa facilement entraîner par eux à s'attacher au service de la France.
Je ne m'astreindrai point à le suivre pas à pas à travers les vicissitudes dont fut remplie la longue carrière qu'il a parcourue. Dans les nombreux emplois qui lui furent confiés, tantôt d'un ordre élevé, tantôt d'un ordre inférieur, il semblerait y avoir une sorte d'incohérence, et comme une absence de hiérarchie que nous aurions aujourd'hui quelque peine à comprendre. Mais à cette époque, il n'y avait pas plus de préjugés pour les places qu'il n'y en avait pour les personnes. Dans d'autres temps, la faveur, quelquefois le discernement, appelaient à toutes les situations éminentes. Dans le temps dont je parle, bien ou mal, toutes les situations étaient conquises. Un pareil état de choses mène bien vite à la confusion.
Aussi, nous voyons M. Reinhart, premier secrétaire de la légation à Londres.—Occupant le même emploi à Naples.—Ministre plénipotentiaire auprès des villes hanséatiques, Hambourg, Bremen et Lübeck.—Chef de la 3e division au département des Affaires étrangères.—Ministre plénipotentiaire à Florence.—Ministre des relations extérieures.—Ministre plénipotentiaire en Helvétie.—Consul général à Milan.—Ministre plénipotentiaire près le cercle de Basse-Saxe.—Résident dans les provinces turques au delà du Danube et commissaire général des relations commerciales en Moldavie.—Ministre plénipotentiaire auprès du Roi de Westphalie.—Directeur 461 de la chancellerie du département des Affaires étrangères.—Ministre plénipotentiaire auprès de la Diète germanique et de la ville libre de Francfort, et, enfin, ministre plénipotentiaire à Dresde.
Que de places, que d'emplois, que d'intérêts confiés à un seul homme, et cela, à une époque où les talents paraissaient devoir être d'autant moins appréciés que la guerre semblait, à elle seule, se charger de toutes les affaires!
Vous n'attendez donc pas de moi, Messieurs, qu'ici je vous rende compte en détail, et date par date, de tous les travaux de M. Reinhart dans les différents emplois dont vous venez d'entendre l'énumération. Il faudrait faire un livre.
Je ne dois parler devant vous que de la manière dont il comprenait les fonctions qu'il avait à remplir, qu'il fût Chef de division, Ministre ou Consul.
Quoique M. Reinhart n'eût point alors l'avantage qu'il aurait eu quelques années plus tard, de trouver sous ses yeux d'excellents modèles, il savait déjà combien de qualités, et de qualités diverses, devaient distinguer un Chef de division des Affaires étrangères. Un tact délicat lui avait fait sentir que les mœurs d'un Chef de division devaient être simples, régulières, retirées; qu'étranger au tumulte du monde, il devait vivre uniquement pour les affaires et leur vouer un secret impénétrable; que toujours prêt à répondre sur les faits et sur les hommes, il devait avoir sans cesse présents à la mémoire tous les traités, connaître historiquement leurs dates, apprécier avec justesse leurs côtés forts et leurs côtés faibles, leurs antécédents et leurs conséquences; savoir enfin les noms des principaux négociateurs, et même leurs relations de famille; que tout en faisant usage de ces connaissances, il devait prendre garde à inquiéter l'amour-propre toujours si clairvoyant du Ministre, et qu'alors même qu'il l'entraînait à son opinion, son succès devait rester dans l'ombre; car il savait qu'il ne devait briller que d'un éclat réfléchi; mais il savait aussi que beaucoup de considération s'attachait naturellement à une vie aussi pure et aussi modeste.
L'esprit d'observation de M. Reinhart ne s'arrêtait point là; il l'avait conduit à comprendre combien la réunion des qualités nécessaires à un ministre des Affaires étrangères est rare. Il faut, en 462 effet, qu'un ministre des Affaires étrangères soit doué d'une sorte d'instinct, qui, l'avertissant promptement, l'empêche, avant toute discussion, de jamais se compromettre. Il lui faut la faculté de se montrer ouvert en restant impénétrable; d'être réservé avec les formes de l'abandon, d'être habile jusque dans le choix de ses distractions; il faut que sa conversation soit simple, variée, inattendue, toujours naturelle et parfois naïve; en un mot, il ne doit pas cesser un moment, dans les vingt-quatre heures, d'être ministre des Affaires étrangères.
Cependant, toutes ces qualités, quelque rares qu'elles soient, pourraient n'être pas suffisantes, si la bonne foi ne leur donnait une garantie dont elles ont presque toujours besoin. Je dois le rappeler ici, pour détruire un préjugé assez généralement répandu:—Non, la diplomatie n'est point une science de ruse et de duplicité. Si la bonne foi est nécessaire quelque part, c'est surtout dans les transactions politiques, car c'est elle qui les rend solides et durables. On a voulu confondre la réserve avec la ruse. La bonne foi n'autorise jamais la ruse, mais elle admet la réserve; et la réserve a cela de particulier, c'est qu'elle ajoute à la confiance.
Dominé par l'honneur et l'intérêt de son pays, par l'honneur et l'intérêt du Prince, par l'amour de la liberté, fondé sur l'ordre et sur les droits de tous, un ministre des Affaires étrangères, quand il sait l'être, se trouve ainsi placé dans la plus belle situation à laquelle un esprit élevé puisse prétendre.
Après avoir été un Ministre habile, que de choses il faut encore savoir pour être un bon Consul! Car les attributions d'un Consul sont variées à l'infini; elles sont d'un genre tout différent de celles des autres employés des Affaires étrangères. Elles exigent une foule de connaissances pratiques pour lesquelles une éducation particulière est nécessaire. Les Consuls sont dans le cas d'exercer dans l'étendue de leur arrondissement, vis-à-vis de leurs compatriotes, les fonctions de juges, d'arbitres, de conciliateurs; souvent ils sont officiers de l'état civil; ils remplissent l'état de notaires, quelquefois celui d'administrateurs de la marine; ils surveillent et constatent l'état sanitaire; ce sont eux qui, par leurs relations habituelles, peuvent donner une idée juste et complète de la situation du commerce, de la navigation et de l'industrie particulière au pays de leur résidence. Aussi, M. Reinhart, 463 qui ne négligeait rien pour s'assurer de la justesse des informations qu'il était dans le cas de donner à son gouvernement, et des décisions qu'il devait prendre comme agent politique, comme agent consulaire, comme administrateur de la marine, avait-il fait une étude approfondie du droit des gens et du droit maritime. Cette étude l'avait conduit à croire qu'il arriverait un temps où, par des combinaisons habilement préparées, il s'établirait un système général de commerce et de navigation dans lequel les intérêts de toutes les nations seraient respectés, et dont les bases fussent telles que la guerre elle-même n'en pût altérer le principe, dût-elle suspendre quelques-unes de ses conséquences. Il était aussi parvenu à résoudre avec sûreté et promptitude toutes les questions de change, d'arbitrage, de conversion des monnaies, de poids et mesures, et tout cela sans que jamais aucune réclamation se soit élevée contre les informations qu'il avait données et contre les jugements qu'il avait rendus. Il est vrai aussi que la considération personnelle qui l'a suivi dans toute sa carrière donnait du poids à son intervention dans toutes les affaires dont il se mêlait, et à tous les arbitrages sur lesquels il avait à prononcer.
Mais, quelque étendues que soient les connaissances d'un homme, quelque vaste que soit sa capacité, être un diplomate complet est bien rare; et cependant M. Reinhart l'aurait peut-être été, s'il eût eu une qualité de plus; il voyait bien, il entendait bien; la plume à la main, il rendait admirablement compte de ce qu'il avait vu, de ce qui lui avait été dit; sa parole écrite était abondante, facile, spirituelle, piquante; aussi, de toutes les correspondances diplomatiques de mon temps, il n'y en avait aucune à laquelle l'Empereur Napoléon, qui avait le droit et le besoin d'être difficile, ne préférât celle du comte Reinhart;—mais ce même homme qui écrivait à merveille s'exprimait avec difficulté. Pour accomplir ses actes, son intelligence demandait plus de temps qu'elle n'en pouvait obtenir dans la conversation. Pour que sa parole interne pût se reproduire facilement, il fallait qu'il fût seul et sans intermédiaire.
Malgré cet inconvénient réel, M. Reinhart réussit toujours à faire, et bien faire, tout ce dont il était chargé. Où donc trouvait-il ses moyens de réussir, où prenait-il ses inspirations?
Il les prenait, Messieurs, dans un sentiment vrai et profond qui 464 gouvernait toutes ses actions, dans le sentiment du devoir.—On ne sait pas assez tout ce qu'il y a de puissance dans ce sentiment. Une vie tout entière au devoir est bien aisément dégagée d'ambition. La vie de M. Reinhart était uniquement employée aux fonctions qu'il avait à remplir, sans que jamais, chez lui, il y eût trace de calcul personnel ni de prétention à quelque avancement précipité.
Cette religion du devoir, à laquelle M. Reinhart fut fidèle toute sa vie, consistait en une soumission exacte aux instructions et aux ordres de ses chefs; dans une vigilance de tous les moments, qui, jointe à beaucoup de perspicacité, ne les laissait jamais dans l'ignorance de ce qu'il leur importait de savoir; en une rigoureuse véracité dans tous ses rapports, qu'ils dussent être agréables ou déplaisants; dans une discrétion impénétrable, dans une régularité de vie qui appelait la confiance et l'estime; dans une représentation décente; enfin dans un soin constant à donner aux actes de son gouvernement la couleur et les explications que réclamait l'intérêt des affaires qu'il avait à régler.
Quoique l'âge eût marqué pour M. Reinhart le temps du repos, il n'aurait jamais demandé sa retraite, tant il aurait craint de montrer de la tiédeur à servir dans une carrière qui avait été celle de toute sa vie. Il a fallu que la bienveillance royale, toujours si attentive, fût prévoyante pour lui, et donnât à ce grand serviteur de la France la situation la plus honorable en l'appelant à la Chambre des Pairs.
M. le comte Reinhart n'a pas joui assez longtemps de cet honneur, et il est mort presque subitement le 25 décembre 1837.
M. Reinhart s'était marié deux fois. Il a laissé du premier lit un fils qui est aujourd'hui dans la carrière politique. Au fils d'un tel père, tout ce qu'on peut souhaiter de mieux, c'est de lui ressembler. 465
Mémorandum adressé par lord Palmerston au gouvernement français, et remis à M. Thiers par M. Bulwer au commencement du mois de septembre 1840.
Foreign Office, 31 août 1840.
Monsieur,
Différentes circonstances m'ont empêché de vous transmettre plus tôt, et, par votre entremise au gouvernement français, quelques observations que le gouvernement de Sa Majesté désire faire sur le Mémorandum qui m'a été remis le 24 juillet par l'Ambassadeur de France à cette Cour, en réponse au Mémorandum que j'avais remis à Son Excellence le 17 du même mois; mais actuellement je viens remplir cette tâche.
C'est avec une grande satisfaction que le gouvernement de Sa Majesté a remarqué le ton amical du Mémorandum français, et les assurances qu'il contient du vif désir de maintenir la paix et l'équilibre des Puissances en Europe. Le Mémorandum du 17 juillet a été conçu dans un esprit tout aussi amical envers la France, et le gouvernement de Sa Majesté est tout aussi empressé (anxious) que la France peut l'être de conserver la paix de l'Europe et de prévenir le moindre dérangement dans l'équilibre existant entre les Puissances.
Le gouvernement de Sa Majesté a également vu avec plaisir les déclarations contenues dans le Mémorandum français, portant que la France désire agir de concert avec les quatre autres Puissances en ce qui concerne les affaires du Levant.
Les sentiments du gouvernement de Sa Majesté sont sur ces points à tous égards semblables à ceux du gouvernement français et y correspondent entièrement, car, en premier lieu, dans tout le cours des négociations ouvertes sur cette question pendant plus de douze mois, le désir empressé du gouvernement britannique a été constamment qu'un concert fût établi entre les cinq Puissances, et que toutes cinq elles accédassent à une ligne de conduite commune, et le gouvernement de Sa Majesté, sans devoir s'en déférer, pour preuve de ce désir, 466 aux différentes propositions qui ont été faites de temps en temps au gouvernement français, et auxquelles il est fait allusion dans le Mémorandum de la France, peut affirmer sans crainte qu'aucune Puissance de l'Europe ne peut être moins influencée que ne l'est la Grande-Bretagne par des vues particulières ou par tout désir et espérances d'avantages exclusifs qui naîtraient, pour elle, de la conclusion des affaires du Levant: bien au contraire, l'intérêt de la Grande-Bretagne, dans ces affaires, s'identifie avec celui de l'Europe en général, et se trouve placé dans le maintien de l'intégrité et de l'indépendance de l'Empire ottoman, comme étant une sécurité pour la conservation de la paix, et un élément essentiel de l'équilibre général des Puissances.
C'est à ces principes que le gouvernement français a promis son plein concours, et qu'il l'a offert dans plus d'une circonstance, et spécialement dans une dépêche du maréchal Soult, en date du 17 juillet 1839; dépêche qui a été communiquée officiellement aux quatre Puissances; il l'a encore offert dans une note collective du 27 juillet 1839, et dans le discours du Roi des Français aux Chambres, en décembre 1839.
Dans ces documents, le gouvernement français fait connaître sa détermination de maintenir l'intégrité et l'indépendance de l'Empire ottoman sous la dynastie actuelle comme un élément essentiel de l'équilibre des Puissances, comme une sûreté pour la conservation de la paix, et dans une dépêche du maréchal Soult, il a également assuré que sa résolution était de repousser par tous ses moyens d'action et d'influence toute combinaison qui pourrait être hostile au maintien de cette intégrité et de cette indépendance.
En conséquence, les gouvernements de Grande-Bretagne et de France sont parfaitement d'accord, quant aux objets vers lesquels leur politique doit être guidée; la seule différence qui existe entre les deux gouvernements est une différence d'opinion quant aux moyens qu'ils jugent les plus propres pour atteindre cette fin commune: point sur lequel, ainsi que l'observe le Mémorandum français, on peut naturellement s'attendre à voir se rencontrer différentes opinions.
Sur ce point, il s'est élevé une grande différence d'opinion entre les deux gouvernements, différence qui semble être devenue plus forte et 467 plus prononcée à mesure que les deux gouvernements ont plus complètement expliqué leurs vues respectives, ce qui, pour le moment, a empêché les deux gouvernements d'agir de concert pour atteindre le but commun. D'un côté, le gouvernement de Sa Majesté a manifesté, à diverses reprises, l'opinion qu'il serait impossible de maintenir l'intégrité de l'Empire turc, et de conserver l'indépendance du trône du Sultan, si Méhémet-Ali devait être laissé en possession de la Syrie, comme la clef militaire de la Turquie asiatique, et que si Méhémet-Ali devait continuer à occuper cette province, outre l'Égypte, il pourrait, en tous temps, menacer Bagdad du côté du Midi, Diarbekir et Erzeroum du côté de l'Est, Koniah, Brousse et Constantinople du côté du Nord; que le même esprit ambitieux qui a poussé Méhémet-Ali en d'autres circonstances à se révolter contre son Souverain, le porterait bientôt derechef à prendre les armes pour de nouveaux envahissements, et que, dans ce but, il conserverait toujours une grande armée sur pied; que le Sultan, d'un autre côté, devrait être continuellement en garde contre le danger qui le menacerait, et serait également obligé de rester armé, qu'ainsi le Sultan et Méhémet-Ali continueraient d'entretenir de fortes armées pour s'observer l'un l'autre; qu'une collision devrait nécessairement éclater, par suite de ces continuels soupçons et de ces alarmes mutuelles; quand même il n'y aurait, d'aucun côté, une agression préméditée, que toute collision de ce genre devrait nécessairement conduire à une intervention étrangère dans l'intérieur de l'Empire turc, et qu'une telle intervention, ainsi provoquée, conduirait aux plus sérieux dissentiments entre les Puissances de l'Europe.
Le gouvernement de Sa Majesté a signalé comme probable, sinon comme certain, un danger plus grand que celui-ci, en conséquence de l'occupation continue de la Syrie par Méhémet-Ali, à savoir que le Pacha, se fiant sur sa force militaire et fatigué de sa position politique de sujet, exécuterait une intention qu'il a franchement avouée aux Puissances d'Europe, qu'il n'abandonnerait jamais, et se déclarerait lui-même indépendant. Une pareille déclaration de sa part serait incontestablement le démembrement de l'Empire ottoman, et, ce qui plus est, ce démembrement pourrait arriver dans des circonstances telles, qu'elles rendraient plus difficile aux Puissances d'Europe d'agir 468 ensemble pour forcer le Pacha à rétracter une pareille déclaration, qu'il ne l'est aujourd'hui de combiner leurs efforts pour le contraindre à évacuer la Syrie.
Le gouvernement de Sa Majesté a, en conséquence, invariablement prétendu que toutes les Puissances qui désireraient conserver l'intégrité de l'Empire turc et maintenir l'indépendance du trône du Sultan, devaient s'unir pour aider ce dernier à rétablir son autorité directe en Syrie.
Le gouvernement français, d'un autre côté, a avancé que Méhémet-Ali, une fois assuré de l'occupation permanente de l'Égypte et de la Syrie, resterait un fidèle sujet, et deviendrait le plus ferme soutien du Sultan; que le Sultan ne pourrait gouverner si le Pacha n'était en possession de cette province, dont les ressources militaires et financières lui seraient alors d'une plus grande utilité que si elles étaient entre les mains du Sultan lui-même; qu'on peut avoir une confiance entière dans la sincérité du renoncement de Méhémet-Ali à toute vue ultérieure d'ambition, et dans ses protestations de dévouement fidèle à son Souverain; que le Pacha est un vieillard, et qu'à sa mort, en dépit de tout son héréditaire fait à sa famille, l'ensemble de puissance qu'il a acquise retournerait au Sultan, parce que toute possession des pays mahométans, quelle que soit leur constitution, ne sont réellement autre chose que des possessions à vie.
Le gouvernement français a, en outre, soutenu que Méhémet-Ali ne voudra jamais librement consentir à évacuer la Syrie, et que les seuls moyens dont les Puissances d'Europe peuvent user pour le contraindre, seraient, ou bien des opérations sur mer, ce qui serait insuffisant, ou bien des opérations sur terre, ce qui serait dangereux; que des opérations sur mer n'expulseraient pas les Égyptiens de la Syrie et exciteraient seulement Méhémet-Ali à diriger une attaque sur Constantinople, et que les mesures auxquelles on pourrait avoir recours, en pareil cas, pour défendre la capitale, mais bien plus encore toute opération sur terre, par les troupes des Puissances alliées, pour expulser l'armée de Méhémet-Ali de la Syrie, deviendraient plus fatale à l'Empire turc que ne pouvait l'être l'état de choses auquel ces mesures seraient destinées à remédier.
A ces objections, le gouvernement de Sa Majesté répliqua qu'on ne 469 pouvait faire aucun fond sur les protestations actuelles de Méhémet-Ali; que son ambition est insatiable et ne fait que s'accroître par le succès, et que lui donner la faculté d'envahir et laisser à sa portée des objets de convoitise, ce serait semer des germes certains de nouvelles collisions; que la Syrie n'est pas plus éloignée de Constantinople qu'un grand nombre de provinces bien administrées le sont, dans d'autres États, de leur capitale, et qu'elle peut être gouvernée de Constantinople tout aussi bien que d'Alexandrie; qu'il est impossible que les ressources de cette province puissent être aussi utiles au Sultan entre les mains d'un chef, qui peut, à tout moment, tourner ces ressources contre ce dernier, qu'elles le seraient si elles étaient dans les mains et à la disposition du Sultan lui-même; qu'Ibrahim ayant une armée sous ses ordres, avait le moyen d'assurer sa propre succession, lors du décès de Méhémet-Ali, à tout pouvoir dont celui-ci serait en possession à sa mort; qu'il ne serait pas convenable que les grandes Puissances conseillassent au Sultan de conclure un arrangement public avec Méhémet-Ali, avec l'intention secrète et éventuelle de rompre cet arrangement à la première occasion où cela pourrait être opportun.
Néanmoins, le gouvernement français maintint son opinion et refusa de prendre part à l'arrangement qui supposait (included) l'emploi de mesures coërcitives.
Mais le Mémorandum français établit que: Dans les dernières circonstances, il n'a pas été fait à la France de proposition positive sur laquelle elle fût appelée à s'expliquer, et que, conséquemment, la détermination que l'Angleterre lui a communiquée dans le Mémorandum du 17 juillet, sans doute au nom des quatre Puissances, ne devait pas être imputée à des refus que la France n'avait pas faits.
Ce passage me force à vous rappeler, en peu de mots, le cours général de la négociation.
La première (original) opinion conçue par le gouvernement de Sa Majesté et dont il fut donné connaissance aux cinq Puissances, la France comprise, en 1839, était, que les arrangements entre le Sultan et Méhémet-Ali, qui pourraient assurer un état de paix permanent dans le Levant, seraient ceux qui borneraient le pouvoir délégué à Méhémet-Ali à l'Égypte seule, et rétabliraient l'autorité directe du 470 Sultan dans toute la Syrie, aussi bien à Candie que dans toutes les villes saintes, en interposant ainsi le désert entre la puissance directe du Sultan et la province dont l'administration resterait au Pacha. Et le gouvernement de Sa Majesté proposa qu'en compensation de l'évacuation de la Syrie, Méhémet-Ali reçût l'assurance que ses descendants mâles lui succéderaient comme gouverneurs de l'Égypte, sous la souveraineté du Sultan.
A cette proposition, le gouvernement français fit des objections, en disant qu'un tel arrangement serait, sans doute, le meilleur, s'il y avait moyen de le mettre à exécution, mais que Méhémet-Ali résisterait, et que toute mesure de violence que les alliés pourraient employer pour le faire céder, produirait des effets qui pourraient être plus dangereux pour la paix de l'Europe, et pour l'indépendance de la Porte, que ne pourrait l'être l'état actuel des choses entre le Sultan et Méhémet-Ali. Mais quoique le gouvernement français refusât ainsi d'accéder au plan de l'Angleterre, cependant, durant un long espace de temps qui s'écoula ensuite, il n'eut pas à proposer de plan qui lui fût propre. Cependant, en septembre 1839, le comte Sébastiani, ambassadeur français à la Cour de Londres, proposa de tracer une ligne, de l'Est à l'Ouest de la mer, à peu près de Beyrouth au désert près de Damas, et de déclarer que tout ce qui serait au midi de cette ligne serait administré par Méhémet-Ali, et que tout ce qui serait au nord, le serait par l'autorité immédiate du Sultan; et l'ambassadeur de France donna à entendre au gouvernement de Sa Majesté que, si un pareil arrangement était admis par les cinq Puissances, la France s'unirait, en cas de besoin, aux quatre Puissances, pour l'emploi de mesures coërcitives, ayant pour but de forcer Méhémet-Ali à s'y soumettre.
Mais je fis remarquer au comte Sébastiani qu'un pareil arrangement serait sujet, quoiqu'à un moindre degré, à toutes les objections qui s'appliquent à la position actuelle et relative des deux partis, et que, par suite, le gouvernement de Sa Majesté ne pouvait y accéder. J'observai qu'il paraissait inconséquent, de la part de la France, de vouloir employer, pour forcer Méhémet-Ali à souscrire à un arrangement qui serait évidemment incomplet et insuffisant pour le but qu'on se proposait, des mesures coërcitives auxquelles elle se refusait pour le 471 contraindre à consentir à l'arrangement proposé par Sa Majesté, dont, aux vœux de la France même, l'exécution atteindrait entièrement le but proposé.
A ce raisonnement, le comte Sébastiani répliqua que les objections avancées par le gouvernement français pour employer les mesures coërcitives contre Méhémet-Ali, étaient fondées sur des considérations de régime intérieur, et que ces objections seraient écartées si le gouvernement français était en mesure de prouver, à la nation et aux Chambres, qu'il avait obtenu pour Méhémet-Ali les meilleures conditions possibles, et que celui-ci avait refusé d'accepter ces conditions.
Cette insinuation n'ayant pas été admise par le gouvernement de Sa Majesté, le gouvernement français communiqua le 27 septembre 1839, et officiellement, son propre plan, qui était que Méhémet-Ali serait fait gouverneur héréditaire d'Égypte et de toute la Syrie, et gouverneur à vie de Candie en ne donnant autre chose que l'Arabie et le district d'Adana.
Le gouvernement français ne dit même pas, au reste, s'il savait que Méhémet-Ali voulût adhérer à cet arrangement, et il ne déclara pas non plus que, s'il refusait d'y accéder, la France prendrait des mesures coërcitives pour l'y contraindre.
Évidemment, le gouvernement de Sa Majesté ne pouvait consentir à ce plan, qui était susceptible de plus d'objections que l'état de choses actuel, d'autant plus que donner à Méhémet-Ali un titre légal et héréditaire au tiers de l'Empire ottoman, qu'il n'occupe maintenant que par la force, c'eût été tout d'abord introduire un démembrement réel de l'Empire.
Mais le gouvernement de Sa Majesté pour prouver son désir empressé d'en venir, sur ces questions, à une entente avec la France, établit qu'il ferait céder son objection bien fondée à toute extension de pouvoir de Méhémet-Ali au delà de l'Égypte, et qu'il se joindrait au gouvernement français pour recommander au Sultan d accorder à Méhémet-Ali, outre le Pachalik d'Égypte, l'administration de la partie basse de la Syrie, bornée au Mord par une ligne tirée du cap Carmel à l'extrémité méridionale du lac de Tibérias, et par une ligne de ce point au golfe d'Akaba, pourvu que la France voulût s'engager à 472 coopérer avec les quatre Puissances aux mesures coërcitives, si Méhémet-Ali refusait cette offre.
Mais cette proposition ne fut pas agréée par le gouvernement français, qui déclare maintenant ne pouvoir coopérer aux mesures coërcitives, ni participer à un arrangement auquel Méhémet-Ali ne voudrait pas consentir.
Pendant le temps que ces discussions avaient lieu avec la France, une négociation séparée avait lieu entre l'Angleterre et la Russie, dont tous les détails et les transactions ont été portés à la connaissance de la France. La négociation avec la France fut suspendue pendant quelque temps au commencement de cette année: 1o parce qu'on s'attendait à un changement de ministère, et 2o parce que ce changement eut lieu.
Mais au mois de mai, le baron de Neumann et moi-même, nous résolûmes, sur l'avis de nos gouvernements respectifs, de faire un dernier effort, afin d'engager la France à entrer dans le traité à conclure avec les quatre autres Puissances, et nous soumîmes au gouvernement français, par l'entremise de M. Guizot, une autre proposition d'arrangement à intervenir entre le Sultan et Méhémet-Ali. Une objection mise en avant par le gouvernement français, aux dernières propositions de l'Angleterre, fut que, bien qu'on voulût donner à Méhémet-Ali la forte position qui s'étend du Mont Carmel au Mont Thabor, on le priverait de la forteresse d'Acre.
Pour détruire cette objection, le baron de Neumann et moi, nous proposâmes que les frontières du Nord de cette partie de la Syrie, qui serait administrée par le Pacha, s'étendraient depuis le cap Nakhora jusqu'au dernier point Nord du lac de Tibérias, de manière à renfermer dans les limites la forteresse d'Acre, et que les frontières de l'Est s'étendraient le long de la côte Ouest du lac de Tibérias, et ensuite jusqu'au golfe Akaba; nous déclarâmes que le gouvernement de cette partie de la Syrie ne pourrait être donné à Méhémet-Ali que sa vie durant, et que ni l'Angleterre, ni l'Autriche ne pouvait consentir à accorder l'hérédité à Méhémet-Ali, pour aucune partie de la Syrie. Je déclarai, de plus, à M. Guizot, que je ne pouvais aller plus loin, en fait de concessions, dans la vue d'obtenir la coopération de la France, et que c'était notre dernière proposition. Le baron de Neumann et 473 moi nous fîmes séparément cette communication à M. Guizot, M. de Neumann d'abord, et moi le lendemain. M. Guizot me répondit qu'il ferait connaître cette proposition à son gouvernement, ainsi que les circonstances que je lui avais exposées, et qu'il me ferait savoir la réponse, dès qu'il l'aurait reçue. Peu de temps après, les plénipotentiaires d'Autriche, de Prusse et de Russie m'informèrent qu'ils avaient tout lieu de croire que le gouvernement français, au lieu de décider cette proposition lui-même, l'avait transmise à Alexandrie, pour connaître la décision de Méhémet-Ali; que c'était placer les quatre Puissances qui s'occupaient de cette affaire, non pas en face de la France, mais en face de Méhémet-Ali; que, sans parler du délai qui en résultait, c'était ce que leurs Cours respectives n'avaient jamais eu l'intention de faire, et ce à quoi elles n'avaient non plus l'intention de consentir, et que le gouvernement français avait ainsi placé les plénipotentiaires dans une situation fort embarrassante. Je convins avec eux que leurs objections étaient justes à l'égard de la conduite qu'ils attribuaient au gouvernement français, mais que M. Guizot ne m'avait rien dit sur ce que l'on ferait. On avait fait connaître à Méhémet-Ali que le gouvernement français était, en ce moment, tout occupé de questions parlementaires, et pouvait naturellement demander quelque temps pour faire une réponse à nos propositions; qu'il ne pouvait, d'ailleurs, y avoir un grand mal dans un délai. Vers le 27 juin, M. Guizot vint chez moi et me lut une lettre qui lui avait été adressée par M. Thiers, contenant la réponse du gouvernement français à notre proposition. Cette réponse était un refus formel. M. Thiers disait que le gouvernement français savait d'une manière positive que Méhémet-Ali ne consentirait pas à la division de la Syrie, à moins qu'il n'y fût forcé; que la France ne pouvait coopérer aux mesures à prendre contre Méhémet-Ali dans cette circonstance et que, par conséquent, elle ne pouvait participer à l'arrangement projeté.
La France ayant refusé d'accéder à l'ultimatum de l'Angleterre, les plénipotentiaires durent examiner quelle serait la marche à adopter par leur gouvernement. La position des cinq Puissances était celle-ci: toutes cinq avaient déclaré être convaincues qu'il était essentiel, dans des intérêts d'équilibre, et pour préserver la paix de l'Europe, de conserver l'indépendance et l'intégrité de l'Empire ottoman sous la 474 dynastie actuelle; toutes cinq, elles avaient déclaré qu'elles emploieraient tous leurs moyens d'influence à maintenir cette intégrité et cette indépendance; mais la France, d'un côté, soutint que le meilleur moyen pour arriver à ce résultat était d'abandonner le Sultan à la merci de Méhémet-Ali, et de lui conseiller de se soumettre aux conditions que Méhémet lui imposerait, afin de conserver la paix sine qua non; tandis que, d'un autre côté, les quatre Puissances regardèrent une plus longue occupation militaire des provinces du Sultan par Méhémet-Ali comme devant détruire l'intégrité de l'Empire turc et être fatales à son indépendance; elles crurent donc qu'il était nécessaire de renfermer Méhémet-Ali dans une limite plus étroite.
Après environ deux mois de délibérations, la France, non seulement refusa de consentir au plan proposé par les quatre Puissances, comme un ultimatum de leur part, mais elle déclara de nouveau qu'elle ne pourrait s'associer à aucun engagement auquel Méhémet-Ali ne consentirait pas de son propre mouvement et sans qu'on l'y forçât. Il ne resta donc, aux quatre grandes Puissances, d'autre alternative que d'adopter le principe posé par la France, qui consistait dans la soumission entière du Sultan aux demandes de Méhémet-Ali, ou d'agir d'après leurs principes, qui consistaient à contraindre Méhémet-Ali à accepter un arrangement compatible, quant à la forme, avec les droits du Sultan, et, quant au fond, avec l'intégrité de l'Empire ottoman. Dans la première hypothèse, on aurait obtenu la coopération de la France; dans la seconde, on devait s'en passer.
Le vif désir des quatre Puissances d'obtenir la coopération de la France a été manifesté par les efforts qu'elles ont faits pendant plusieurs mois de négociations. Elles en connaissaient bien la valeur, non seulement par rapport à l'objet qu'elles ont actuellement en vue, mais encore par rapport aux intérêts généraux et permanents de l'Europe. Mais ce qui leur manquait et ce qu'elles estimaient, c'était la coopération de la France pour maintenir la paix, pour obtenir la sécurité future de l'Europe, pour arriver à l'exécution pratique des principes auxquels les cinq Puissances avaient déclaré vouloir concourir. Elles estimaient la coopération de la France, non seulement pour elles-mêmes, pour l'avantage et l'opportunité du moment, mais pour le bien qu'elle devait procurer et pour les conséquences futures qui 475 devaient en résulter. Elles désiraient coopérer avec la France pour faire le bien, mais elles n'étaient pas préparées à coopérer avec elle pour faire le mal.
Croyant donc que la politique conseillée par la France était injuste et nullement judicieuse envers le Sultan, qu'elle pouvait occasionner des malheurs en Europe, qu'elle ne se coordonnait pas avec les engagements publics des cinq Puissances, et qu'elle était incompatible avec les principes qu'elles avaient mis sagement en avant, les quatre Puissances sentirent qu'elles ne pouvaient faire le sacrifice qu'on exigeait d'elles et mettre ce prix à la coopération de la France, si, en effet, on peut appeler coopération ce qui devait consister à laisser suivre aux événements leur cours naturel. Ne pouvant donc adopter les vues de la France, les quatre Puissances se sont déterminées à accomplir leur mission.
Mais cette détermination n'avait pas été imprévue, et les éventualités qui devaient s'ensuivre n'avaient pas été cachées à la France. Au contraire, à diverses reprises, pendant la négociation, et pas plus tard que le 1er octobre dernier, j'avais déclaré à l'Ambassadeur français que notre désir de rester unis avec la France devait avoir une limite, que nous désirions marcher en avant avec la France, mais que nous n'étions pas disposés à nous arrêter avec elle, et que, si elle ne pouvait trouver moyen d'entrer en accommodement avec les quatre Puissances, elle ne pouvait pas être étonnée de voir celles-ci s'entendre entre elles et agir sans la France.
Le comte Sébastiani me répondit qu'il prévoyait que nous en agirions ainsi, et qu'il pouvait prédire le résultat; que nous devions tâcher de terminer nos arrangements sans la participation de la France, et que nous trouverions que nos moyens étaient insuffisants; que la France serait spectatrice passive des événements; qu'après une année ou une année et demie d'efforts inutiles, nous reconnaîtrions que nous nous étions trompés et que nous nous adresserions alors à la France, et que cette Puissance coopérerait à arranger ces affaires aussi amicalement après que nous aurions échoué, qu'elle l'aurait fait avant notre tentative, et qu'alors elle nous persuaderait probablement d'accéder à des choses auxquelles nous refusions de consentir pour le moment.
476 De semblables significations furent également faites à M. Guizot, relativement à la ligne que suivraient probablement les quatre Puissances, si elles ne réussissaient pas à en venir à un arrangement avec la France. C'est pourquoi le gouvernement français ayant refusé l'ultimatum des quatre Puissances, et ayant, en le refusant, posé de nouveau un principe de conduite qu'il savait ne pouvoir être adopté par les quatre Puissances, principe qui consistait, notamment, en ce qu'il ne pourrait se faire aucun règlement de difficultés entre le Sultan et son sujet, si ce n'est aux conditions que le sujet ne pourrait accepter spontanément, ou, en d'autres termes, dicter, le gouvernement français dut s'être préparé à voir les quatre Puissances déterminées à agir sans la France, et les quatre Puissances ainsi déterminées ne pouvaient être représentées comme se séparant elles-mêmes de la France, ou comme excluant la France de l'arrangement d'une guerre européenne. Ce fut au contraire la France qui se sépara des quatre Puissances, car ce fut la France qui se posa pour elle-même un principe d'action qui rendit impossible sa coopération avec les autres Puissances.
Et ici, sans chercher à m'étendre sur des observations de controverse relativement au passé, je trouve tout à fait nécessaire de remarquer que cette séparation volontaire de la France n'était pas purement produite par le cours des négociations à Londres, mais que, à moins que le gouvernement de Sa Majesté n'eût été étrangement induit en erreur, elle avait encore eu lieu d'une manière plus décidée dans le cours des négociations à Constantinople. Les cinq Puissances ont déclaré au Sultan, par la note collective qui a été remise à la Porte, le 27 juillet 1839, par leurs représentants à Constantinople, que leur union était assurée, et ceux-ci lui avaient demandé de s'abstenir de toute négociation directe avec Méhémet-Ali, et de ne faire aucun arrangement avec le Pacha sans le concours des cinq Puissances. Mais cependant, le gouvernement de Sa Majesté a de bonnes raisons de croire que, depuis quelques mois, le représentant français à Constantinople a isolé la France d'une manière tranchée des quatre autres Puissances, et a pressé vivement et à plusieurs reprises la Porte de négocier directement avec Méhémet-Ali, et de conclure un arrangement avec le Pacha, non seulement sans le concours des quatre grandes Puissances, mais 477 encore sous la seule médiation de la France, et conformément aux vues particulières du gouvernement français.
En ce qui concerne la ligne de conduite suivie par la Grande-Bretagne, le gouvernement français doit reconnaître que les vues et les opinions du gouvernement de Sa Majesté n'ont jamais varié depuis le commencement de ces négociations, excepté en ce que le gouvernement de Sa Majesté a offert de modifier ses vues dans l'intention d'obtenir la coopération de la France. Ces vues ont été de tous temps exprimées franchement au gouvernement français et ont été constamment appuyées de la manière la plus pressante par des arguments qui paraissaient concluants au gouvernement de Sa Majesté. Dès les premiers pas de la négociation, des déclarations de principe, faites par le gouvernement français, portèrent le gouvernement de Sa Majesté à croire que les deux gouvernements ne pourraient qu'accéder au moyen de mettre à exécution leurs principes communs. Si les intentions du gouvernement français sur les moyens d'exécution différaient, même dès le commencement des négociations, la France n'a certainement pas le droit de qualifier la dissidence inattendue entre la France et l'Angleterre, celle que le gouvernement français reconnaît avoir existé depuis longtemps. Si les intentions du gouvernement français sur les moyens d'exécution ont subi un changement depuis l'ouverture des négociations, la France n'a certainement pas le droit d'imputer à la Grande-Bretagne une divergence de politique qui provient d'un changement de la part de la France, et nullement de l'Angleterre.
Mais, de toutes manières, quand, de cinq Puissances, quatre se sont trouvées d'accord sur une ligne de conduite, et que la cinquième a résolu de poursuivre une politique entièrement différente, il ne serait pas raisonnable d'exiger que les quatre abandonnassent, par déférence pour la cinquième, les opinions dans lesquelles elles se confirment de jour en jour davantage, et qui ont trait à une question d'une importance vitale pour les intérêts majeurs et futurs de l'Europe.
Mais comme la France continue à s'en tenir aux principes généraux dont elle a fait déclaration au commencement et qu'elle continue à considérer le maintien de l'intégrité et de l'indépendance de l'Empire turc comme nécessaire, pour la conservation de l'équilibre des Puissances; comme la France n'a jamais méconnu que l'arrangement que 478 les quatre Puissances ont l'intention d'amener entre le Sultan et le Pacha fût, s'il pouvait être exécuté, le meilleur; et comme les objections de la France s'appliquent, non sur la fin qu'on se propose, mais sur les moyens par lesquels on doit arriver à cette fin, son opinion étant que cette fin est bonne, mais que les moyens sont insuffisants et dangereux, le gouvernement de Sa Majesté a la confiance que l'isolement de la France, isolement que le gouvernement de Sa Majesté regrette on ne peut plus vivement, ne peut pas être de longue durée.
Car, lorsque les quatre Puissances réunies au Sultan seront parvenues à amener un pareil arrangement entre la Porte et ses sujets, il ne restera plus aucun point de dissidence entre la France et ses alliés, et il ne peut rien y avoir qui puisse empêcher la France de concevoir, avec les autres Puissances, tels autres engagements pour l'avenir qui puissent paraître nécessaires pour donner une stabilité convenable aux bons effets de l'intervention des quatre Puissances en faveur du Sultan, et pour préserver l'Empire ottoman de tout retour de danger.
Le gouvernement de Sa Majesté attend avec impatience le moment où la France sera en position de reprendre sa place dans l'union des Puissances, et espère que ce moment sera hâté, pour l'entier développement de l'influence morale de la France. Quoique le gouvernement français ait, pour des raisons qui lui sont propres, refusé de prendre part aux mesures de coërcition contre Méhémet-Ali, certainement ce gouvernement ne peut rien objecter à l'emploi de ces moyens de persuasion, pour porter le Pacha à se soumettre aux arrangements qui doivent lui être proposés, et il est évident que plus d'un argument peut être mis en avant, et que plus d'une considération de prudence peut être appuyée auprès du Pacha, avec plus d'efficacité, par la France, comme Puissance neutre ne prenant aucune part à ces affaires, que par les quatre Puissances qui sont activement engagées à l'exécution des mesures de contrainte.
Quoi qu'il en soit, le gouvernement de Sa Majesté a la confiance que l'Europe reconnaîtra la moralité du projet qui a été mis en avant par les quatre Puissances, car leur but est désintéresse et juste; elles ne cherchent pas à recueillir quelques avantages particuliers; elles ne cherchent à établir aucune influence exclusive, ni à faire aucune acquisition de territoire, et le but auquel elles tendent doit 479 être aussi profitable à la France qu'à elles-mêmes, parce que la France, ainsi qu'elles-mêmes, est intéressée au maintien de l'équilibre des Puissances, et à la conservation de la paix générale.
Vous transmettrez officiellement à M. Thiers une copie de cette dépêche.
Je suis, etc.
Signé: PALMERSTON.
(Ce document est reproduit d'après le Journal des Débats du 2 octobre 1840.)
Manifeste à la nation espagnole.
Espagnols!
En m'éloignant du sol espagnol, en un jour, pour moi, plein de deuil et d'amertume, mes yeux baignés de larmes se tournèrent vers le Ciel, pour supplier le Dieu des miséricordes de répandre sur vous sa grâce et ses bénédictions.
Arrivée sur une terre étrangère, le premier besoin de mon âme, le premier mouvement de mon cœur, a été d'élever une voix amie, cette voix que je vous ai toujours fait entendre avec un sentiment d'ineffable tendresse, aussi bien dans la bonne que dans la mauvaise fortune.
Seule, abandonnée, en proie à la plus profonde douleur, mon unique consolation dans cette grande infortune, est de m'ouvrir à Dieu et à vous, à mon père et à mes enfants.
Ne craignez pas que je me laisse aller à des plaintes et à des récriminations stériles; que, pour mettre en lumière ma conduite comme Régente du Royaume, j'en vienne à exciter vos passions. Non, j'ai tout fait pour les calmer, et je voudrais les voir éteintes. Un langage mesuré est le seul qui convienne à mon affection, à ma dignité et à ma gloire.
Quand je quittai ma patrie pour en chercher une autre dans les cœurs espagnols, la renommée avait porté jusqu'à moi l'histoire de vos 480 grandes actions et de vos grandes qualités. Je savais que dans tous les temps, vous vous étiez élancés au combat avec la plus noble et la plus généreuse ardeur, pour défendre le trône de vos Souverains; que vous l'aviez défendu au prix de votre sang, et que, dans des jours de glorieuse mémoire, vous aviez bien mérité de votre patrie et de l'Europe. Je jurai alors de me consacrer au bonheur d'une nation qui avait versé son sang pour briser la captivité de ses Rois. Le Tout-Puissant entendit mon serment. Vos témoignages d'allégresse me prouvèrent que vous l'aviez pressenti. J'ai la conscience de l'avoir tenu.
Quand votre Roi, au bord du tombeau, remit de sa main défaillante les rênes de l'État dans mes mains, mes yeux se dirigèrent alternativement vers mon époux, vers le berceau de ma fille, et vers la nation espagnole, confondant ainsi en un seul ces trois objets de mon amour, afin de les recommander à la protection du Ciel dans une même prière. Mes douloureuses épreuves, comme mère et comme épouse, tandis que restaient en péril la vie de mon époux et le trône de ma fille, ne parvinrent pas me distraire de mes devoirs de Reine. A ma voix, s'ouvrirent les Universités; à ma voix disparurent des abus invétérés et commencèrent à se formuler des réformes utiles et sagement méditées; à ma voix, enfin, retrouvèrent des foyers, ceux qui, vainement, en avaient cherché, proscrits et errants sur les terres étrangères. Votre joyeux enthousiasme pour ces actes solennels de justice et de clémence ne put être comparé qu'à l'étendue de la douleur, qu'à la grandeur des amertumes auxquelles je restai livrée. J'avais réservé, pour moi, toutes les tristesses, pour vous, Espagnols, toutes les joies.
Plus tard, lorsque Dieu eut appelé à lui mon auguste époux, qui me laissait le gouvernement de toute la Monarchie, je travaillai à régir l'État en Reine Régente (justiciera) et clémente. Dans la courte période écoulée depuis mon élévation au pouvoir, jusqu'à la convocation des premières Cortès, ma puissance fut une, mais non despotique, absolue, mais non arbitraire, car ma volonté y posa des bornes. Lorsque des personnes élevées en dignité, et le Conseil de gouvernement que, selon la dernière volonté de mon auguste époux, je devais consulter dans les occurrences graves, me représentèrent que l'opinion publique exigeait de moi d'autres garanties, comme dépositaire du pouvoir 481 souverain, je les donnai; et de ma volonté libre et spontanée je convoquai les Proceres de la nation, et les Procuradores du Royaume.
J'octroyai le Statut Royal, et je ne l'ai pas enfreint; si d'autres l'ont foulé aux pieds, c'est à eux que la responsabilité en appartiendra, devant Dieu qui a voulu que les lois fussent saintes.
La Constitution de 1837 ayant été acceptée et jurée par moi, j'ai fait, pour n'y pas porter atteinte, le dernier et le plus grand de tous les sacrifices: j'ai déposé le sceptre, et j'ai dû abandonner mes filles.
En rapportant les faits qui ont attiré sur moi de si cruelles tribulations, je vous parlerai, comme le veut ma dignité, avec retenue et avec mesure.
Servie par des Ministres responsables, qui avaient l'appui des Cortès, j'acceptai leur démission, impérieusement exigée par une émeute à Barcelone. Dès lors, commença une crise qui n'a trouvé de terme que dans la renonciation que j'ai signée à Valence. Durant cette déplorable période, la municipalité de Madrid s'est mise en rébellion contre mon autorité, et les municipalités d'autres villes considérables avaient suivi son exemple. Les révoltés exigeaient que je condamnasse la conduite de Ministres qui m'avaient loyalement servie; que je reconnusse la révolte comme légitime; que j'annulasse, ou au moins que je suspendisse la loi des municipalités, sanctionnée par moi après avoir été votée par les Cortès; que je misse en question l'unité de la Régence.
Je ne pouvais accepter la première de ces conditions sans me dégrader à mes yeux; je ne pouvais accéder à la seconde sans reconnaître le droit de la force, droit que ne reconnaissent ni les loi divines ni les lois humaines, dont l'existence est incompatible avec la Constitution, comme elle est incompatible avec toutes les Constitutions; je ne pouvais accepter la troisième sans enfreindre la Constitution, qui appelle loi tout ce que votent les Cortès et que sanctionne le Chef suprême de l'État, et qui place hors du domaine de l'autorité royale, une loi sanctionnée; je ne pouvais accepter la quatrième sans accepter mon ignominie, sans me condamner moi-même et énerver le pouvoir que le Roi m'avait légué, que, depuis, confirmèrent les Cortès constituantes, et qui était conservé par moi comme un dépôt sacré que j'avais juré de ne pas livrer aux mains des factieux. 482
Ma constance à résister à ce que ne me permettaient d'accepter, ni mes devoirs, ni mes serments, ni les plus chers intérêts de la Monarchie, a accumulé sur cette femme sans défense, dont la voix s'adresse aujourd'hui à vous, une telle suite de douloureuses et pénibles épreuves, qu'elle ne pourrait être exprimée dans aucun langage humain. Vous ne l'aurez pas oublié, Espagnols, j'ai porté mon infortune de cité en cité, recueillant partout l'insulte et l'affront, car Dieu, par un de ces décrets qui sont pour l'homme un mystère, avait permis à l'iniquité et à l'ingratitude de prévaloir. C'est pour cela, sans doute, que le petit nombre de ceux qui me haïssaient, s'étaient enhardis jusqu'à m'outrager, et que le grand nombre de ceux qui m'aimaient avaient faibli de cœur jusqu'au point de ne m'offrir, en témoignage de leur affection, qu'une compassion silencieuse. Il en fut qui m'offrirent leur épée; mais je n'acceptai pas leur offre, aimant mieux être seule martyre que de me voir condamnée un jour à lire un nouveau martyrologe de la loyauté espagnole. Je pouvais allumer la guerre civile; mais la guerre civile ne devait pas être suscitée par moi qui venais de vous donner une paix telle que la souhaitait mon cœur, paix cimentée dans l'oubli du passé. Mes yeux maternels se détournèrent donc d'une pensée si horrible; je me dis à moi-même que, lorsque les enfants sont ingrats, une mère doit souffrir jusqu'à la mort, mais qu'elle ne doit pas provoquer la guerre entre eux.
Les jours s'écoulèrent dans une si affreuse situation; je vis mon sceptre réduit à n'être plus qu'un roseau inutile, et mon diadème changé en une couronne d'épines; mes forces s'épuisèrent enfin;... je déposai ce sceptre, je détachai cette couronne pour respirer un air libre, victime malheureuse, mais le front calme, la conscience tranquille et sans un remords dans l'âme.
Espagnols, telle a été ma conduite. En vous la présentant pour qu'elle ne puisse être souillée par la calomnie, j'ai accompli le dernier de mes devoirs. Celle qui fut votre Reine ne vous demande plus rien, si ce n'est d'aimer ses filles et d'honorer sa mémoire.
Marseille, le 8 novembre 1840.
Signé: Marie-Christine.
(Les noms suivis d'un astérisque sont ceux qui ont été déjà donnés, avec plus de détails, dans l'Index biographique du tome I.)
A
ABD-EL-KADER, 1807-1853. Célèbre Émir arabe qui soutint en Algérie, pendant quinze ans, une lutte acharnée contre les Français; il fut enfin fait prisonnier en 1847 par le général Lamoricière, embarqué pour la France et interné à Pau, puis à Amboise. Napoléon III le rendit à la liberté et il fut dès lors ami de la France. Il mourut en Syrie où il s'était retiré.
ACERENZA (la duchesse D'), 1783-1876. Jeanne, princesse de Courlande, épousa en 1801 François Pignatelli de Belmonte, duc d'Acerenza. Elle était la troisième fille du duc Pierre de Courlande et sœur de la duchesse de Talleyrand.
ACTON (lady). Elle était la fille du duc de Dalberg et avait épousé en premières noces lord Acton. En deuxièmes noces, elle épousa Mr Georges Leveson, plus tard lord Granville.
ADÉLAÏDE (Mme)*, 1777-1847. Sœur du roi Louis-Philippe, sur lequel elle exerçait une grande influence.
ADOLPHE DE NASSAU, 1250-1298. Il fut élu empereur d'Allemagne en 1292 à la mort de Rodolphe de Habsbourg, à l'exclusion d'Albert, fils de ce Prince. L'Allemagne se révolta contre lui, et il fut vaincu et tué par son compétiteur Albert d'Autriche, à la bataille de Gœllheim.
AFFRE (Denis-Auguste), 1793-1848. Archevêque de Paris depuis 1840. Le 25 juin 1848, Mgr Affre se rendit aux barricades du faubourg Saint-Antoine, et y fut atteint d'une balle au moment où il suppliait les insurgés de se rendre. Il mourut deux jours plus tard des suites de cette blessure.
AGNÈS Sorel, 1409-1450. Dame d'honneur d'Isabelle de Lorraine, Agnès Sorel fut remarquée par Charles VII et devint sa favorite. Il lui donna un château à Loches, le comté de Penthièvre, les seigneuries de Roquessière, d'Issoudun, de Vernon-sur-Seine, enfin le château de Beauté dans le bois de Vincennes, d'où elle prit le nom de Dame de Beauté.
484 Alava (don Ricardo DE)*, 1780-1843. Officier et diplomate espagnol.
ALBUFÉRA (la duchesse D'), 1791-1884. Fille du baron de Saint-Joseph, elle épousa en 1808 le maréchal Suchet, duc d'Albuféra, dont elle devint veuve en 1826.
ALDBOROUGH (lady)*, Cornélie, fille de Charles Sandy.
ALFIERI (le comte Victor)*, 1749-1803. Poète tragique italien. Il épousa secrètement la comtesse d'Albany.
ALIBAUD, 1810-1836. Régicide qui attenta à la vie du roi Louis-Philippe dans la soirée du 25 juin 1836, et qui fut exécuté le 11 juillet suivant.
ALTENSTEIN (le baron Charles D'), 1770-1840. Homme d'État prussien; il fut, de 1808 à 1810, ministre des Finances, et devint, plus tard, sous le roi Frédéric-Guillaume III, ministre des Cultes et de l'Instruction publique.
ALTONHÉE DE LIGNIÈRES (le comte Édouard D'), 1810-1874. Pair de France en 1836. D'abord très attaché à la monarchie constitutionnelle de Juillet, il changea tout à coup sous l'influence des idées de 1848 et prit part aux manifestations du parti avancé. Pendant le Second Empire, il vécut loin de la politique.
ALVANLEY (lord)*, 1787-1849. Homme du monde et officier anglais, connu pour son esprit.
ANCILLON (Jean-Pierre-Frédéric), 1766-1837. D'origine suisse, il fut ministre de l'Église réformée à Berlin et professeur à l'Académie militaire. En 1806, Frédéric-Guillaume III l'appela à faire l'éducation du Prince Royal, (plus tard Frédéric-Guillaume IV). Admis à la Cour, Ancillon y joua, jusqu'à sa mort, un certain rôle. M. Ancillon se maria trois fois: 1o en 1792, à Marie-Henriette Baudouin, qui mourut en 1823; 2o en 1824, à Louise Molière, qui mourut en 1826; 3o en 1836, à Flore Tranouille d'Harley et de Verquignieulle, d'une ancienne famille de Belgique.
ANDRAL (Mme), Fille de M. Royer-Collard; elle avait épousé le célèbre docteur Andral.
ANGLONA (le prince D'), 1817-1871; fils du général de l'armée espagnole; il épousa en 1837 la fille du duc de Frias et devint duc d'Uceda, titre qui appartenait à la famille de sa femme.
ANGOULÊME (le duc D'), 1777-1844. Appelé aussi M. le Dauphin, depuis que son père, le roi Charles X, était monté sur le trône en 1824. Il avait épousé en 1799, à Mitau, sa cousine, Marie-Thérèse-Charlotte, fille unique du roi Louis XVI. Généralissime de l'armée française envoyée en Espagne en 1823, il prit le fort du Trocadéro et signala sa modération par l'Ordonnance d'Andujar. Il mourut en exil à Goritz, sans avoir jamais eu d'enfants de son mariage.
ANGOULÊME (la duchesse D'), 1779-1851. Marie-Thérèse-Charlotte de France, fille unique du roi Louis XVI et de Marie-Antoinette. Elle reçut à sa naissance le titre de 485 Madame Royale; elle partagea la captivité de sa famille, et en 1795, le Directoire consentit à l'échanger contre les commissaires que rendit l'Autriche. Elle épousa son cousin, le duc d'Angoulême, et rentra à Paris avec lui en 1815. Exilée de nouveau en 1830, elle ne revit plus la France et mourut à Frohsdorf.
ANNE D'AUTRICHE*, 1602-1661. Reine de France et Régente pendant la minorité de Louis XIV.
ANNE DE BRETAGNE, 1476-1514. Reine de France. Fille de François II de Bretagne, elle épousa successivement Charles VIII et Louis XII et apporta à la Couronne le duché de Bretagne dont elle était l'héritière.
APPONYI (le comte Antoine), 1782-1852. Diplomate autrichien, il fut d'abord Envoyé extraordinaire à la cour de Toscane, puis ambassadeur à Rome jusqu'en 1825. Plus tard, il fut ambassadeur à Londres, puis à Paris où il resta jusqu'en 1848. Il avait épousé, en 1808, Thérèse, fille du comte Nogarola de Vérone.
ARGOUT (le comte D'), 1782-1858. Homme politique et financier français, il devint conseiller d'État en 1817, puis pair de France. A partir de 1830, il fit partie de plusieurs ministères, et garda le poste de gouverneur de la Banque de France jusqu'à sa mort.
ARNAULD D'ANDILLY, 1589-1674. Après avoir longtemps vécu à la Cour, il se retira en 1644 à Port-Royal des Champs; il écrivit, dans cette retraite, des traductions des Confessions de saint Augustin, des Mémoires, etc. Son fils fut le marquis de Pomponne, ministre des Affaires étrangères, et sa fille la mère Angélique de Saint-Jean, abbesse de Port-Royal.
ARNAULD (Antoine), 1612-1694. Théologien et philosophe; il avait d'abord suivi la carrière du barreau, puis fut attiré par le rigide christianisme des Jansénistes, et il devint le théologien militant de Port-Royal. Il composa, avec Nicole, la Logique de Port-Royal, et avec Lancelot, la Grammaire. Il était le frère d'Arnauld d'Andilly.
ARNAULD (la mère Marie-Angélique de Sainte-Madeleine), 1591-1661. Sœur d'Arnauld d'Andilly et d'A. Arnauld, elle fut abbesse de Port-Royal des Champs dès l'âge de quatorze ans. Elle y rétablit la réforme et l'esprit de Cîteaux.
ARNAULD (la mère Angélique de Saint-Jean), 1624-1684. Elle était fille d'Arnauld d'Andilly. Elle fut abbesse de Port-Royal, comme sa tante, la mère Angélique de Sainte-Madeleine, et elle eut une grande part au Nécrologe de Port-Royal; elle écrivit aussi des Relations, des Réflexions, etc.
ARNIM (le baron D'), 1789-1861. Diplomate prussien. Il fut envoyé en 1836 à Bruxelles et de 1840 à 1848 à Paris. Après avoir été un moment ministre des Affaires étrangères à Berlin, en 1848, il se retira bientôt des affaires.
ARSOLI (don Camille, prince Massimo et D'), 1803-1873. Il fut grand maître des Postes pontificales. En 486 1827, il épousa Marie-Gabrielle de Villefranche-Carignan, et, devenu veuf, il se remaria avec la comtesse Hyacinthe de la Porta Rodiani.
ARSOLI (la princesse D'), 1811-1837. Marie-Gabrielle de Villefranche, fille d'un mariage du baron de Villefranche avec Mlle de la Vauguyon.
ATHALIN (le baron Louis-Marie), 1784-1856. Général du génie en France; il fit avec distinction les campagnes de l'Empire, et devint sous la Restauration, aide de camp du duc d'Orléans; sous la monarchie de Juillet, il remplit diverses missions diplomatiques, et devint pair de France en 1840. Il rentra dans la vie privée, après 1848.
AUBUSSON (le comte Pierre D'), 1793-1842, Colonel d'infanterie. Il épousa en 1823, Mlle Rouillé du Boissy du Coudray, et mourut, fou, en 1842.
AUBUSSON (Mlle Noémi D'). Née en 1826, elle était la fille du comte Pierre d'Aubusson. Elle épousa en 1842 le prince Gontran de Bauffremont.
AUGUSTE D'ANGLETERRE (la princesse)*, 1797-1809. Duchesse de Cambridge, elle était fille du landgrave Frédéric de Hesse-Cassel.
AUMALE (Henri d'Orléans, duc D'), 1822-1897; quatrième fils du roi Louis-Philippe et de la reine Marie-Amélie, il se distingua par de brillants services militaires en Algérie. Il quitta la France en 1848, y rentra après 1871. De nouveau exilé, il ne revint qu'en 1889. Son talent d'historien le fit entrer à l'Académie française. Il légua à l'Institut de France son beau domaine de Chantilly.
AUSTIN (Sarah), 1793-1867. Femme de lettres anglaise qui traduisit en anglais beaucoup de livres allemands, et composa des ouvrages de morale et d'éducation.
B
BADE (le grand-duc Léopold DE), 1790-1858; succéda en 1830 à son frère Louis. Il épousa la princesse Sophie, fille de Gustave IV Adolphe, roi de Suède.
BADE (la grande-duchesse Stéphanie DE), 1789-1860. Fille de Claude de Beauharnais, chambellan de l'impératrice Marie-Louise, elle avait épousé, en 1806, le grand-duc Charles-Louis-Frédéric de Bade, qui mourut en 1818.
BADE (la princesse Marie DE), 1817-1887. Fille du grand-duc Charles-Louis de Bade et de Stéphanie de Beauharnais. Elle épousa, en 1842, le duc de Hamilton, dont elle devint veuve en 1863.
BAGRATION (la princesse), 1783-1857. Catherine Skavronska épousa en 1800 le prince Pierre Bagration, qui fut tué à Borodino, en 1812. En 1830, la princesse épousa le colonel anglais sir John Hobart Caradoc, baron Howden. La princesse Bagration fut une amie du prince de Metternich.
BALBI (la comtesse DE), 1753-1839. Fille du marquis de Caumont-La Force, elle avait épousé le comte de Balbi et devint dame d'honneur 487 de Mme la comtesse de Provence. Le comte de Provence (plus tard Louis XVIII) l'honora de son amitié. La comtesse de Balbi réunissait tous les charmes de la beauté et de l'esprit.
BALLANCHE (Pierre-Simon), 1776-1846. Penseur mystique qui, après avoir dirigé quelque temps, à Lyon, un vaste établissement de librairie et d'imprimerie, héritage de sa famille, vint s'établir à Paris où il se lia avec Mme de Staël, Chateaubriand, Joubert, etc. Il devint membre de l'Académie française en 1844.
BALZAC (Honoré DE), 1799-1850. L'un des plus féconds et des plus remarquables romanciers contemporains, excellant surtout dans la peinture profonde des passions humaines.
BARANTE (le baron Prosper DE), 1782-1866. Il fut successivement auditeur au Conseil d'État, chargé de missions diplomatiques, préfet de la Vendée, de la Loire-Inférieure, puis député, pair de France et ambassadeur à Saint-Pétersbourg. Comme écrivain et historien, il obtint les plus grands succès et son Histoire des ducs de Bourgogne lui ouvrit les portes de l'Académie française.
BARANTE (la baronne DE, née d'Houdetot. D'origine créole, elle était renommée pour sa beauté.
BENDEMANN (Édouard), 1811-1889. Peintre allemand qui acquit de bonne heure une brillante renommée. Professeur à l'Académie des Beaux-Arts de Dresde, il décora de fresques la salle du Trône du Château Royal de cette ville. En 1860, il succéda, dans la direction de l'Académie de Düsseldorf, à Schadow dont il avait épousé la fille.
BARBET DE JOUY (Joseph-Henri), 1812-1896. Conservateur au Musée du Louvre et membre de l'Académie des Beaux-Arts.
BARROT (Odilon)*, 1791-1873, Homme politique français.
BARTHE (Félix)*, 1795-1863. Magistrat et homme d'État français.
BASTIDE (Jules), 1800-1879. Libéral ardent, affilié aux carbonari, J. Bastide fit une guerre acharnée à Charles X. Sous Louis-Philippe, il fut commandant dans la Garde nationale, fut compromis et condamné à mort, pour sa participation à l'émeute des funérailles du général Lamarque; il s'échappa, se réfugia à Londres, revint plus tard en France et prit la direction du National après la mort d'Armand Carrel. En 1848, il fut député et un moment ministre des Affaires étrangères. Sous l'Empire, il se tint à l'écart de la politique.
BATHURST (lady Georgina), épouse de lord Henry Bathurst, un des membres les plus éminents du parti tory.
BATTHYANY (la comtesse)*, 1798-1840. Née baronne d'Ahrenfeldt.
BAUDRAND (le général comte)*, 1774-1848. Aide de camp du duc d'Orléans.
BAUDRAND (Mme). La grande modiste à la mode à Paris en 1836.
BAUFFREMONT (la duchesse DE), née en 1771. Fille du duc de la Vauguyon, #/ 488 /# elle épousa en 1787 Alexandre, duc de Bauffremont. Elle était très liée avec le prince de Talleyrand.
BAUFFREMONT (la princesse DE), 1802-1860. Laurence, fille du duc de Montmorency, elle épousa en 1819 le prince Théodore de Bauffremont. Elle était la sœur aînée de la duchesse de Valençay.
BAUFFREMONT (le prince Gontran DE). Né en 1822, il épousa, en 1842, Mlle d'Aubusson de la Feuillade.
BAUSSET (le cardinal de), 1748-1824. Evêque d'Alais. Il fut fait Pair à la Restauration et reçut le chapeau de Cardinal en 1817. L'année précédente, il était entré à l'Académie française. Il a laissé une Histoire de Fénelon et une Histoire de Bossuet.
BAUTAIN (l'abbé), 1796-1867. Élève de l'École normale où il eut comme maître M. Cousin, il fut nommé en 1816 professeur de philosophie au collège de Strasbourg. Il entra dans les ordres en 1828. En 1849, Mgr Sibour, archevêque de Paris, le nomma son vicaire général. L'abbé Bautain a cultivé presque toutes les branches des connaissances humaines.
BAVIÈRE (la reine douairière DE), 1770-1841. La princesse Caroline de Bade, fille de Charles-Louis, prince héréditaire de Bade, épousa, en 1797, le roi Maximilien de Bavière dont elle devint veuve en 1825.
BAVIÈRE (le roi Louis Ier DE), 1786-1868, monta sur le trône de Bavière en 1825, à la mort de son père Maximilien Ier. Le roi Louis abdiqua en 1848, après avoir fait de Munich l'Athènes de l'Allemagne.
BAVIÈRE (la reine Thérèse DE), 1792-1854; fille du duc Frédéric de Saxe-Hildburghausen (plus tard Saxe-Altenburg),
BAVIÈRE (le prince royal DE), 1811-1864; Maximilien II, fils du roi Louis Ier auquel il succéda en 1848. En 1842, il épousa la princesse Marie de Prusse.
BEAUVAU (le prince Marc DE), 1816-1883; épousa en premières noces, en 1840, Mlle Marie d'Aubusson de La Feuillade, et en secondes noces, Mlle Adèle de Gontaut-Biron.
BECKETT (saint Thomas), 1117-1170, Archevêque de Canterbury, assassiné au pied des autels par des courtisans de Henri II, roi d'Angleterre. Le pape Alexandre III le canonisa comme martyr.
BEGAS (Charles-Joseph), 1794-1854. Peintre allemand, élève de Gros, chez qui il étudia à Paris. En 1822, il alla en Italie; en 1825, il se fixa à Berlin où il devint peintre du roi de Prusse, professeur et membre de l'Académie des Beaux-Arts.
BELGES (le roi des)*, Léopold Ier, 1790-1865.
BELGES (la reine des), Louise, princesse d'Orléans, 1812-1850, seconde femme de Léopold Ier de Belgique, et fille de Louis-Philippe,
BELGIOJOSO (la princesse), 1808-1868. Christine Trivulzio épousa en 1824 le prince Barbiano Belgiojoso. Ne pouvant souffrir les 489 Autrichiens, elle quitta Milan et s'établit à Paris en 1831, où elle se fit remarquer par sa beauté, son esprit et ses allures étranges. La princesse Belgiojoso publia en 1846, sous un anonyme assez transparent, un ouvrage en quatre volumes, ayant pour titre: Essai sur la formation du dogme catholique, qui fut fort discuté. Quand le Piémont déclara la guerre à l'Autriche en 1848, la Princesse accourut à Milan et y équipa et paya un bataillon. Exilée après la paix, elle retourna à Paris, où elle vécut principalement de sa plume, ses biens ayant été confisqués par le gouvernement autrichien, pour ne lui être rendus qu'en 1859, époque où elle revint se fixer en Italie, s'occupant toujours ardemment de politique.
BENKENDORFF (le comte Constantin DE), 1786-1858. Général aide de camp de l'empereur Nicolas Ier de Russie. Il fut quelque temps ministre de Russie à Stuttgart, où il mourut.
BERGERON (Louis)*. Né en 1811. Journaliste français.
BERNARD (Simon, baron), 1779-1839. Pair de France et Ministre de la guerre sous Louis-Philippe, après avoir servi sous l'empereur Napoléon Ier et sous la première Restauration.
BERRYER (Antoine)*, 1790-1868. Avocat français.
BERTIN DE VEAUX (M.)*, 1771-1842. Journaliste français.
BERTIN DE VEAUX (Mme), née Bocquet; elle était la belle-fille de M. Merlin.
BERTIN L'AÎNÉ (Louis-François), 1766-1841. Publiciste français, fondateur du Journal des Débats avec son frère Bertin de Veaux.
BERTIN (Mme). Mlle Boutard, sœur d'un critique d'art au Journal des Débats, épousa M. Bertin, dit l'aîné.
BERTRAND (le comte), 1773-1844. Le fidèle ami de Napoléon Ier dont il fut l'aide de camp, et qu'il suivit à l'île d'Elbe et à Sainte-Hélène.
BERWICK (la duchesse DE), 1793-1863. Dona Rosalia Ventimighi Moneada naquit à Palerme et était fille du comte de Prado. Elle fut Dame de la reine Isabelle et grande-maîtresse du Palais. Son fils, le duc de Berwick et d'Albe, épousa la sœur aînée de l'impératrice Eugénie.
BILZ (Mlle Marguerite DE), 1792-1875. Elle fut d'abord maîtresse de piano de la princesse Marie de Bade (plus tard duchesse de Hamilton) et devint ensuite demoiselle d'honneur de la grande-duchesse Stéphanie de Bade.
BINZER (Mme DE), 1801-1891. Née de Gerschau, elle avait épousé, en 1822, M. de Binzer, littérateur allemand.
BIRON (Henri, marquis DE, 1803-1883. Il avait épousé Mlle de Mun, sœur du marquis de Mun, qui ne lui donna pas d'enfants. Devenu veuf de bonne heure, il vécut depuis chez son frère, le comte Étienne de Biron.
BIRON-COURLANDE (le prince Charles DE). Né en 1811, il avait épousé en 1833 une comtesse de Lippe-Biesterfeld. 490
BIRON-COURLANDE (la princesse Fanny DE), 1815-1883; sœur de la comtesse de Hohenthal et de Mme de Lazareff, la princesse Fanny épousa le général de Boyen.
BJOERNSTJERNA (la comtesse DE), 1797-1865. Élisabeth-Charlotte, fille du feld-maréchal comte de Stedingk, ambassadeur de Suède en Russie, et sœur de la comtesse Ugglas, épousa en 1815 le baron de Bjoernstjerna, nommé ministre de Suède à Londres en 1828, et dont elle devint veuve en 1847.
BLITTERSDORF (le baron Frédéric DE), 1705-1861. Homme d'État badois. Il fut chargé d'affaires à Saint-Pétersbourg en 1816, ministre plénipotentiaire et envoyé extraordinaire à la Confédération germanique en 1821, ministre des Affaires étrangères à Carlsruhe en 1835. En 1848, il se retira des affaires. Il avait épousé Mlle Brentano.
BONALD (le vicomte DE), 1753-1840. Le plus célèbre représentant des doctrines monarchiques et religieuses de la Restauration. Émigré en 1791, il revint en France à la proclamation de l'Empire. Député de 1815 à 1822, il devint pair de France en 1823, puis membre de l'Académie française, et il ne cessa de dévouer sa plume et sa parole au maintien du trône et de l'autel, contribuant ainsi au retour des idées religieuses en France.
BONAPARTE (Mme Lætitia), 1750-1836. Lætitia Ramolino, d'une famille italienne, avait épousé, à l'âge de seize ans, Charles Bonaparte, dont elle eut treize enfants. Napoléon Ier était son second fils, En 1814, après la chute de l'Empire, elle se retira à Rome où elle vécut dans la retraite.
BONAPARTE (Joseph), 1768-1844. Frère aîné de Napoléon Ier, Joseph Bonaparte épousa à Marseille, en 1794, la fille d'un négociant, sœur de la femme de Bernadotte, Marie-Julie Clary. Il coopéra au coup d'État du 18 Brumaire, et administra plusieurs fois la France en l'absence de Napoléon. Nommé roi de Naples en 1806, il fut transféré en 1808 au trône d'Espagne dont il descendit en 1813. Après la chute de l'Empire, il se retira d'abord aux États-Unis, puis à Florence où il mourut.
BONAPARTE (Lucien)*, 1773-1840. Troisième frère de Napoléon Ier.
BONAPARTE (Jérôme)*, 1784-1860. Le plus jeune frère de Napoléon Ier.
BONAPARTE (le prince Louis), 1808-1873. Fils de Louis Bonaparte, roi de Hollande, et de Hortense de Beauharnais, le prince Louis eut une jeunesse aventureuse. Il essaya, en 1836 à Strasbourg, et en 1840 à Boulogne, de renverser Louis-Philippe et de rétablir l'Empire à son profit. Condamné à la détention perpétuelle, il fut enfermé à Ham, d'où il s'échappa, s'enfuit en Belgique, et revint en France après la révolution de 1848. Il fut élu président de la République le 16 décembre de cette même année. Quatre ans plus tard, l'Empire fut proclamé, et le prince Louis régna jusqu'en 1870, 491 sous le nom de Napoléon III.
BORDEAUX (le duc DE)*, 1820-1883. Fils du duc de Berry et petit-fils du roi Charles X. Il prit plus tard le nom de comte de Chambord.
BOSSUET (Jacques-Bénigne), 1627-1704. D'une famille de magistrats, il fut élevé chez les Jésuites, et reçut les ordres sacrés en 1652. Il fut évêque de Condom, en 1669, puis évêque de Meaux. Nommé, en 1670, précepteur du Dauphin de France, Bossuet composa pour ce Prince plusieurs ouvrages d'éducation (Discours sur l'histoire universelle, etc.) et il se montra un zélé défenseur des libertés gallicanes.
BOURDOIS DE LA MOTTE (Edme-Joachim), 1754-1830. Médecin de l'hôpital de la Charité, à Paris, M. Bourdois fut détenu à la Force pendant les troubles révolutionnaires, puis il suivit l'armée d'Italie. Nommé médecin du roi de Rome en 1811, il fut également attaché à la Cour sous la Restauration, et devint membre de l'Académie de Médecine en 1820.
BOURGOGNE (la duchesse DE), 1685-1712. Marie-Adélaïde, fille de Victor-Amédée, premier roi de Sardaigne; très aimée à la cour de France, cette Princesse mourut à la fleur de l'âge, six jours avant son mari, et comme lui de la rougeole. Elle avait eu plusieurs enfants dont un seul survécut, qui devint Louis XV.
BOURLIER (le comte), 1731-1821. Il fit ses études ecclésiastiques à Saint-Sulpice, fut nommé, en 1802, évêque d'Évreux, et chargé par Napoléon Ier de plusieurs missions de confiance auprès du Pape. Il fut fait pair de France par Louis XVIII en 1814.
BOURLON DE SARTY (Paul DE); fut préfet de la Marne. Il avait épousé Mlle Adrienne de Vandœuvre.
BOURQUENEY (le baron, puis comte DE)*, 1800-1869. Diplomate français.
BRESSON (le comte Charles)*, 1788-1847. Diplomate français.
BRETZENHEIM DE REGÉCZ (la princesse DE). Née en 1806, Caroline, fille du prince Joseph de Schwarzenberg, épousa le prince Ferdinand de Bretzenheim, chambellan de la cour d'Autriche.
BRÉZÉ (le marquis de Dreux-), 1793-1846. Il fit, comme officier, les dernières campagnes de l'Empire. Aide de camp du maréchal Soult à la Restauration, il suivit le Roi à Gand; retiré du service en 1827, il devint pair de France par la mort de son père en 1829. Il fut, à la Chambre haute, l'un des chefs les plus ardents du parti légitimiste contre le gouvernement du roi Louis-Philippe.
BRETONNEAU (le Dr Pierre)*, 1778-1862. Médecin de Tours.
BRIGNOLE (la marquise DE). Née Anna Pieri, d'une noble famille de Sienne. Elle fut la mère du marquis de Brignole, longtemps ambassadeur de Sardaigne à Paris, et de la duchesse de Dalberg. Elle mourut en 1815 pendant le Congrès, à Vienne où elle avait accompagné l'impératrice Marie-Louise.
BRIGODE (le baron DE), 1775-1854. 492 Entré comme auditeur au Conseil d'État en 1803, il fut député au Corps législatif en 1805. En 1837, il fut nommé pair de France. La révolution de 1848 le rendit à la vie privée.
BROGLIE (le duc Victor DE)*, 1785-1870. Homme d'État français.
BROGLIE (la duchesse DE)*, 1797-1840. Elle était née Albertine de Staël.
BROGLIE (Mlle Louise DE). Née en 1818; épousa, en 1836, le comte d'Haussonville.
BROSSES (Charles DE), 1709-1777; érudit et littérateur français, auteur d'un ouvrage sur l'Italie, qui eut un grand succès.
BROUGHAM (lord)*, 1778-1868. Homme d'État anglais.
BÜLOW (le baron Henri DE)*, 1790-1846. Diplomate prussien.
BÜLOW (Mme DE), 1802-1889. Fille de Guillaume de Humboldt et épouse du baron Henri de Bülow, qu'elle accompagna à Londres de 1830 à 1834.
BULWER (sir Henry), 1804-1870. Diplomate anglais, d'abord attaché aux légations de Berlin, Vienne et la Haye, et qui résida souvent à Paris. De 1843 à 1848, il fut ministre plénipotentiaire en Espagne. Après avoir épousé la plus jeune des filles de lord Cowley, il alla représenter son pays aux États-Unis, puis en Toscane, et, en 1858, à Constantinople.
BUOL-SCHAUENSTEIN (le comte), 1797-1865. Diplomate autrichien, successivement attaché à Florence en 1816, à Paris en 1822, à Londres en 1824, puis ministre à Carlsruhe, à Darmstadt en 1831, à Stuttgart en 1838, à Turin en 1848 et ensuite à Saint-Pétersbourg. Il devint conseiller intime et accompagna en 1851 le prince de Schwarzenberg aux conférences de Dresde. En 1852, il fut nommé ministre des Affaires étrangères. Il quitta le pouvoir en 1859.
BUOL (la comtesse), 1809-1862. La princesse Caroline d'Isenbourg épousa en 1829 le comte Buol. Par sa mère (née baronne de Herding), elle était en possession d'une énorme fortune.
BUSSIÈRE (Jules-Edmond DE), 1804-1888. Diplomate, chargé d'affaires à Darmstadt, puis à Dresde. Louis-Philippe l'éleva à la Pairie en 1841. En 1848, il rentra dans la vie privée.
BYRON (George Gordon, lord)*, 1788-1824. Célèbre poète romantique anglais.
C
CALATRAVA (don José-Maria), 1781-1846. Homme d'État espagnol, et défenseur des libertés de son pays. Déporté en 1814, Calatrava ne put rentrer en Espagne qu'au rétablissement de la Constitution en 1820. Ministre de la Justice en 1823, il dut s'embarquer pour l'Angleterre, lors de l'occupation française. En 1830, il vint faire partie de la Junte directrice de Bayonne. Hostile à Martinez de la Rosa, il s'associa à la garde nationale de Madrid en 1835. Quand la Reine eut juré la Constitution, la 493 direction des affaires lui fut remise, et, après de nombreuses preuves d'incapacité, on fit de lui un sénateur.
CAMPAN (Mme)*, 1752-1822. Célèbre éducatrice française.
CANOVA (Antoine)*, 1757-1822. Célèbre sculpteur italien.
CAPOUE (le prince DE), 1811-1862. Charles-Ferdinand, frère du roi Ferdinand de Naples. Il avait été soupçonné de prendre part aux intrigues antidynastiques, et fut exilé. Il épousa morganatiquement en Angleterre miss Penelope Smith, dont il eut deux enfants qui ne furent pas reconnus par la famille royale de Naples. Il obtint de Victor-Emmanuel, après 1860, un apanage, qui fut confirmé plus tard à sa veuve et à ses enfants durant leur vie.
CAPRARA (le cardinal J.-B.), 1733-1810. Évêque d'Iési. Ayant rempli avec succès plusieurs missions diplomatiques, il fut nommé par le pape Pie VII légat a latere près du gouvernement français, et, en cette qualité, le Cardinal conclut le Concordat de 1801. Après avoir été fait archevêque de Milan, le cardinal Caprara sacra, dans cette ville, Napoléon roi d'Italie.
CARADOC (sir John Hobart), 1799-1873. Plus tard baron Howden. Colonel dans l'armée anglaise, puis ministre d'Angleterre à Rio-de-Janeiro et à Madrid.
CARAMAN (la marquise DE). Césarine Gallard de Béarn épousa le marquis Victor de Caraman, dont elle devint veuve en 1836.
CARIGNAN (le prince Eugène DE), 1816-1888. Il était fils du baron de Villefranche et de Mlle de la Vauguyon. Le roi de Sardaigne, Charles-Albert, le reconnut comme Prince du sang. Il fut Amiral de la marine sarde et Régent du royaume pendant les guerres de 1859 et de 1866. S'étant marié morganatiquement, il eut plusieurs enfants auxquels le roi Humbert accorda le titre de comtes de Villefranche-Soissons sans leur reconnaître aucune espèce d'alliance avec la maison de Savoie.
CARIGNAN (Philiberte DE), 1814-1874. Fille du prince de Villefranche, de la maison de Carignan, et de son mariage avec Mlle de la Vauguyon.
CARLOTTA (l'infante)*, 1804-1844. Sœur de la reine Christine d'Espagne.
CAROLATH-BEUTHEN (le prince Henri DE), 1783-1864. Général de cavalerie dans l'armée prussienne et Grand-Veneur royal. Il épousa en premières noces une comtesse Pappenheim dont il eut deux filles, et en secondes noces, sa cousine la comtesse Firks dont il n'eut pas d'enfants.
CAROLATH-BEUTHEN (la princesse Adélaïde), 1797-1849. Fille du comte de Pappenheim, lieutenant-général en Bavière, elle épousa en 1817 le prince Henri Carolath.
CAROLATH-BEUTHEN (la princesse Lucie). Née en 1822. Fille aînée du prince Henri Carolath, elle épousa le comte de Haugwitz dont elle devint veuve en 1888.
CAROLATH-BEUTHEN (la princesse Adélaïde). 494 Née en 1823. Fille cadette du prince Henri Carolath.
CAROLATH-SAABOR (le prince Frédéric DE), 1790-1859. Major au service de Prusse et Conseiller du cercle de Grünberg (Silésie). Il avait épousé la fille du prince Henri XLIV Reuss.
CAROLINE (Marie-), 1752-1814. Reine de Naples. Fille de l'impératrice Marie-Thérèse d'Autriche, cette Princesse épousa, en 1768, Ferdinand IV, roi de Naples. Par son influence, elle fit déclarer la guerre à la République française, et s'attira, par là, les vengeances de Napoléon Ier. Chassée de ses États, la reine Caroline se retira en Autriche et mourut à Schœnbrunn. Elle était la mère de la reine Marie-Amélie.
CAROLINE (l'impératrice), 1803-1884, La princesse Caroline de Savoie, fille de Victor-Emmanuel Ier, et sœur jumelle de la duchesse de Lucques, épousa en 1831 Ferdinand II, qui fut empereur d'Autriche.
CARRACHE (Annibal)*, 1560-1609. Célèbre peintre italien.
CARREL (Armand)*, 1800-1836. Publiciste français.
CASANOVA DE SEINGALT, 1725-1803. Célèbre aventurier du dix-huitième siècle, fils d'acteurs, tour à tour publiciste, prédicateur et surtout homme à bonnes fortunes. Il se lia avec Rousseau, Voltaire, Souvaroff, Frédéric le Grand et Catherine II. A bout d'argent et d'aventures, il suivit en Bohême le comte Waldstein-Dux, pour être son bibliothécaire. A Dux, il composa ses Mémoires, confession sans repentirs et tableau d'une société plus spirituelle que morale.
CASTELLANE (la comtesse DE)*, 1766-1847. Cordélia Greffulhe, mariée en 1813 au comte de Castellane, plus tard maréchal de France.
CASTELLANE (le marquis Henri DE), 1814-1847. Fils aîné du maréchal de Castellane, auditeur au Conseil d'État et conseiller général du Cantal, il fut nommé député en 1844. En 1839, il avait épousé Mlle Pauline de Périgord, petite-nièce du prince de Talleyrand et fille de la duchesse de Dino, auteur de cette Chronique.
CÉSAR (Jules), 101-40 av. J.-C. Célèbre général romain, qui s'illustra par la conquête de la Gaule.
CHABOT (Philippe DE), 1815-1875. Ph. de Chabot, comte de Jarnac, suivit la carrière diplomatique et garda toute sa vie un profond attachement à la maison d'Orléans. Il avait été nommé ambassadeur de France à Londres en 1874, mais il y mourut bientôt après d'une pleurésie.
CHABROL DE CROUSOL (le comte DE), 1771-1831. Membre du Conseil d'État sous Napoléon Ier, président de la Cour impériale d'Orléans, préfet du Rhône en 1814, directeur de l'Enregistrement et des Domaines en 1822, ministre de la Marine en 1823 et des Finances en 1829.
CHALAIS (le prince DE), 1809-1883. Élie-Louis-Roger, fils aîné du duc de Périgord. Il avait épousé Elodie de Beauvilliers de Saint-Aignan, dont il devint veuf en 1835. 495
CHAMPCHEVRIER (Mme DE). Dame fort respectable, habitant le château de Champchevrier, près de Cinq-Mars en Touraine vers 1840, dans un âge très avancé.
CHARLES-THÉODORE, 1724-1799. Électeur de Bavière. Il n'aimait pas Munich et vint s'établir à Mannheim. On lui a érigé une statue à Heidelberg.
CHARLES IV, 1316-1378. Empereur d'Allemagne. Fils de Jean de Luxembourg, roi de Bohême. Il succéda à son père en 1346 et fut élu Empereur en 1347. Charles IV publia en 1356 la fameuse Bulle d'or, constitution de l'Empire qui est restée en vigueur jusqu'en 1806, et il fut le premier Prince allemand qui vendit des titres de noblesse. Il fonda les Universités de Prague et de Vienne.
CHARLES X*, 1757-1836. Roi de France de 1824 à 1830.
CHARLOTTE (la reine), 1744-1818. La princesse Charlotte de Mecklembourg-Strélitz, épousa, en 1761, le roi George III d'Angleterre, dont elle eut un très grand nombre d'enfants.
CHASTELLUX (Mme DE), née Zéphyrine de Damas; elle avait épousé en premières noces M. de Vogüé.
CHATEAUBRIAND (le vicomte DE)*, 1768-1848. Homme de lettres français.
CHOISEUL-PRASLIN (la comtesse DE). Née en 1782. Seconde femme du comte René de Choiseul-Praslin, fille de François de Rougé, comte du Plessis-Bellière.
CHOMEL (le Dr), 1788-1859. Médecin français, le premier qui établit une véritable clinique à l'hôpital de la Charité. Élève de Corvisard, Chomel devint médecin du roi Louis-Philippe.
CHREPTOWICZ (la comtesse), morte en 1878. Hélène, fille du comte de Nesselrode, épousa le comte Michel Chreptowicz, qui servit longtemps dans la diplomatie russe, et fut fait grand-chambellan de la Cour dans les dernières années du règne d'Alexandre II.
CLAM-GALLAS (le comte Édouard DE), 1805-1891. Général de cavalerie autrichien, qui joua un rôle important dans les guerres où l'Autriche se trouva engagée depuis 1848. Il se démit de ses fonctions en 1868, aigri par les attaques dirigées contre sa campagne de 1866 en Bohême contre la Prusse, bien qu'un conseil de guerre l'ait entièrement disculpé.
CLANRICARDE (lord)*, 1802-1874. Homme politique anglais.
CLANRICARDE (lady)*, morte en 1876. Fille du célèbre Canning.
CLARY-ALDRINGEN (le prince Charles), 1777-1831. Il avait épousé la comtesse Louise Chotek.
CLAUSEL (le comte Bertrand), 1772-1842. Engagé volontaire en 1791, Clausel eut un avancement rapide. Général de division en 1805, il servit en Italie, en Dalmatie, en Illyrie, s'illustra dans la guerre d'Espagne. Après les Cent-Jours, et après s'être rallié à Napoléon, il se retira aux États-Unis, et ne revint qu'après l'armistice de 1820. Député en 1827, il fit partie de l'opposition libérale, et après 1830, il fut nommé gouverneur 496 de l'Algérie, mais échoua au siège de Constantine et fut remplacé dans son commandement. Il vécut dès lors dans la retraite.
CLÉMENT DE RIS (Mlle), épousa, plus tard, l'amiral la Roncière le Noury. Elle était fille d'un sénateur de l'Empire, et habitait, aux environs de Valençay, le château de Beauvais.
CLÉMENTINE (la princesse), 1817-1907. La princesse Clémentine d'Orléans, fille du roi Louis-Philippe, épousa en 1843 le prince Auguste de Saxe-Cobourg-Gotha, duc de Saxe.
CLERMONT-TONNERRE (le prince Jules DE), 1813-1849. Second fils du duc Aimé de Clermont-Tonnerre, ancien Ministre de la guerre et Pair de France. Le prince J. de Clermont-Tonnerre épousa Mlle de Crillon.
COBOURG (le prince Ferdinand DE)*, 1816-1888. Mari de doña Maria da Gloria, reine de Portugal.
COBOURG (le duc Ernest I de Saxe-), 1784-1844. Ce Prince succéda, en 1806, à son père, le duc François. Il épousa, en premières noces, la princesse Louise de Saxe-Cobourg-Altenbourg, qui mourut en 1831, et il se remaria, en 1832, avec la princesse Antoinette de Würtemberg.
CŒUR (l'abbé), 1805-1860. Issu d'une famille de négociants, que la tradition fait descendre du célèbre argentier de Charles VII, l'abbé Cœur fut d'abord professeur de philosophie au séminaire de Lyon. Venu à Paris, en 1827, il y suivit avec assiduité les cours de MM. Guizot, Villemain et Cousin, puis se voua à la prédication. En 1840, il prêcha à Saint-Roch un carême après lequel le roi Louis-Philippe lui donna la croix de la Légion d'honneur. En 1848, il fut appelé à l'évêché de Troyes. Ce fut lui qui prononça l'oraison funèbre de Mgr Affre.
COGNY (le Dr). Médecin de Valençay.
COIGNY (le duc DE), 1788-1865. Entré dans l'armée comme volontaire en 1805, il perdit le bras à la bataille de Smolensk, reçut le grade de colonel de cavalerie après le retour des Bourbons, en 1814, fut nommé aide de camp du duc de Berry, puis attaché au duc de Bordeaux. En 1821, il remplaça le maréchal de Coigny, son grand-père, à la chambre des Pairs. Après avoir fait d'inutiles démarches auprès de Charles X, en 1830, pour obtenir la révocation des Ordonnances, M. de Coigny prêta serment à la monarchie de Juillet. En 1837, il fut Chevalier d'honneur de la duchesse d'Orléans, et en 1843, il fut promu Maréchal de camp.
COIGNY (la duchesse DE). Elle était Anglaise et fille de sir H.-J. Dalrymple Hamilton. Elle épousa le duc de Coigny en 1822.
COLLARD (Mme Hermine). Élevée par Mme de Genlis, il régnait une grande obscurité sur sa naissance.
COMBALOT (l'abbé Théodore), 1798-1873. Prédicateur français. Il fut ordonné prêtre fort jeune et devint un zélé partisan de Lamennais, dont il désavoua cependant plus tard les doctrines. Ses prédications 497 causèrent une vive émotion par leur caractère politique.
CONDÉ (Louis II, prince DE), 1621-1686, dit le Grand Condé, premier Prince du sang, connu d'abord sous le nom de duc d'Enghien. Il s'illustra par ses victoires de Rocroy, de Fribourg, de Nordlingen, de Lens. Après avoir pris une part regrettable aux troubles de la Fronde, le prince de Condé fut remis en possession de son commandement lors du traité des Pyrénées, et se conduisit glorieusement pendant les guerres de Flandre et de Franche-Comté.
CONYNGHAM (François-Nathaniel, marquis DE)*, 1797-1882. Homme politique anglais.
CORMENIN (le vicomte DE), 1788-1868. Publiciste, conseiller d'État, député, célèbre comme pamphlétaire sous le pseudonyme de Timon.
CORNÉLIUS (Pierre DE), 1783-1867. Célèbre peintre allemand, de l'école de Düsseldorf. Il étudia plusieurs années à Francfort-sur-le-Mein et à Rome. Ses compositions sont grandioses, son dessin remarquable.
COSSÉ-BRISSAC (le duc DE), 1775-1848. Administrateur sous l'Empire, il se rallia à la Restauration et entra à la Chambre des Pairs en 1814. M. de Cossé se rallia ensuite à la monarchie de Juillet.
COURLANDE (la duchesse DE), 1761-1821. Née comtesse de Medem, elle avait épousé le duc Pierre de Courlande, dont elle eut quatre filles. La plus jeune était la duchesse de Dino, auteur de la Chronique que nous publions.
COUSIN (Victor)*, 1792-1867. Philosophe français.
COWPER (lady)*, 1787-1869. Plus tard lady Palmerston.
CRÉMIEUX (Adolphe), 1796-1880. Avocat et homme politique français. Il fut membre de la Défense nationale en 1870.
CRESCENTINI (Girolamo), 1769-1846. Célèbre sopraniste, surnommé l'Orphée italien. Crescentini entra au théâtre en 1788, et se fit entendre à Rome, Vérone, Padoue, Vienne et Lisbonne. Napoléon le retint à Paris de 1806 à 1812. Il devint plus tard professeur au Conservatoire de Naples.
CRUVEILHIER (le Dr Jean), 1791-1874. Médecin et célèbre anatomiste français. Il était né à Limoges et fit ses études à Paris, où il eut ensuite une clientèle étendue et choisie.
CUBIÈRES (le général DE), 1786-1853. Sorti, en 1804, de l'École militaire de Fontainebleau, il se distingua à Austerlitz et à Auerstaedt où il fut blessé; il gagna la crois d'honneur à Eylau, le grade de capitaine à Essling, devint chef d'escadron pendant la campagne de 1813, colonel en 1815 et se couvrit de gloire à Waterloo. Mis à la retraite par la deuxième Restauration, il obtint la Recette générale de la Meuse, et reçut, en 1832, le commandement du corps expéditionnaire d'Ancône. Il fut fait Général, et nommé deux fois Ministre de la guerre en 1839 et 1840. En 1847, son nom fut mêlé 498 à une affaire déplorable: on l'accusa d'avoir corrompu le ministre Teste pour obtenir la concession des mines de sel de Gouhénans. Traduit devant la Cour des Pairs, il fut condamné à la dégradation civique et à 10 000 francs d'amende. En 1852, il fut réhabilité par la Cour d'appel de Rouen.
CUMBERLAND (Ernest-Auguste, duc de)*, 1771-1851. Le dernier des fils de George III, roi d'Angleterre.
CUMBERLAND (la duchesse DE)*. Née princesse de Mecklembourg-Strélitz.
CUNÉGONDE (sainte), morte en 1040. Impératrice d'Allemagne, femme de Henri II de Bavière. On la fête le 3 mars.
CUVIER (Rodolphe). Pasteur protestant de la duchesse d'Orléans. Il était issu d'une branche collatérale du célèbre naturaliste de ce nom.
CUVILLIER-FLEURY (Alfred-Auguste), 1802-1887. Littérateur français, collaborateur du Journal des Débats, appelé, par le roi Louis-Philippe, auprès de son quatrième fils le duc d'Aumale, dont il fut le précepteur et plus tard le secrétaire des commandements. Il fut élu membre de l'Académie française en 1866.
CZARTORYSKI (le prince Adam)*, 1770-1861. Ancien ministre des Affaires étrangères de l'empereur Alexandre Ier de Russie.
CZARTORYSKI (le prince Adam), 1804-1880. Fils du prince Constantin Czartoryski et de la princesse Angélique Radziwill, il épousa en premières noces, en 1832, sa cousine germaine, la princesse Wanda Radziwill, et en deuxièmes noces, en 1848, la comtesse Dzialynska.
CZARTORYSKA (la princesse Wanda), 1813-1846. Fille du prince Antoine Radziwill et de la princesse Louise de Prusse, elle épousa en 1832 le prince Adam Czartoryski.
D
DALBERG (le duc DE)*, 1773-1833. Fils du Primat et Archichancelier du même nom.
DANEMARK (le roi Frédéric III DE), 1768-1839. Il succéda à son père en 1815 et épousa la fille du landgrave de Hesse-Cassel.
DANEMARK (le prince Chrétien DE), 1786-1848. Ce prince avait épousé en premières noces une princesse de Mecklembourg-Schwerin, dont il divorça, et en secondes noces, la princesse Caroline de Schleswig-Holstein-Augustenbourg. De son premier mariage, il eut un fils, Frédéric, qui régna après lui, sous le nom de Frédéric VII.
DANEMARK (la princesse Chrétien DE), 1796-1881. Seconde femme du prince Chrétien, elle était née princesse de Schleswig-Holstein-Augustenbourg.
DARMÈS. Auteur de l'attentat du 15 octobre 1840 sur le roi Louis-Philippe.
DARMSTADT (la princesse Marie DE). Née en 1824, elle épousa, en 1841, le grand-duc héritier de Russie. 499
DECAZES (Élie, duc)*, 1780-1846. Homme politique français.
DELAVIGNE (Casimir), 1793-1843. Poète lyrique et dramatique. Il entra à l'Académie en 1825. Ses idées libérales l'avaient mis en disgrâce sous la Restauration; le roi Louis-Philippe, alors duc d'Orléans, l'en tira en lui confiant sa bibliothèque du Palais-Royal.
DEMERSON (l'abbé), 1795-1872. Prêtre français, entré dans les ordres en 1819, et curé de Saint-Séverin, puis de Saint-Germain l'Auxerrois de 1838 à 1850, époque où il devint titulaire de Notre-Dame de Paris.
DEMIDOFF (le comte Anatole), 1812-1870. Le comte Demidoff, prince de San-Donato, épousa en 1841 la princesse Mathilde, fille du roi Jérôme de Westphalie, qui portait le nom de princesse Mathilde de Montfort.
DENIS BARBIER. Un des domestiques de Pouch Lafarge. Il avait fabriqué des billets de complaisance pour son maître, lorsque celui-ci, assez mal dans ses affaires, vint à Paris, et il était resté son factotum.
DESJARDINS (l'abbé), 1756-1833. Ordonné prêtre en 1775, il fut vicaire général de Bayeux, émigra en Angleterre, puis en Amérique, pendant la Révolution, et ne revint en France qu'en 1802. Devenu curé des Missions étrangères à Paris, l'Empereur Napoléon le fit arrêter sur quelques soupçons, enfermer à Vincennes, puis exiler à Verceil. Rentré en France à la Restauration, l'abbé Desjardins refusa en 1823 l'évêché de Blois, en 1824, celui de Châlons, mais il fut nommé vicaire général de Paris.
DIEFFENBACH (Jean-Frédéric), 1794-1847. Célèbre oculiste prussien auquel on doit la découverte de l'opération qui consiste à redresser les yeux qui louchent. Il mourut subitement dans la salle des opérations de l'hôpital de la Charité de Berlin, dont il était directeur depuis 1840.
DIESKAU (Mlle Sidonie DE). Morte à un âge très avancé; elle demeurait à Gera, en Saxe, près d'Altenbourg, et était proche voisine du château de Lœbichau.
DINO (le duc DE), 1813-1894. Connu d'abord sous le nom de comte Alexandre de Périgord*, il prit ce titre en 1838, lorsque son père devint duc de Talleyrand.
DOHNA (la comtesse Marie), 1805-1893. Née Mlle de Steinach, elle épousa en 1829 le comte Dohna qui fut pendant de longues années landrat à Sagan, et possédait, non loin de là, la terre de Kunzendorf.
DOLOMIEU (la marquise DE)*, 1779-1849. Dame d'honneur de la reine Marie-Amélie.
DON CARLOS DE BOURBON*, 1788-1855. Second fils de Charles IV et frère de Ferdinand VII, rois d'Espagne. Après la mort de son frère, en 1833, il souleva la guerre civile en voulant s'emparer du trône.
DON FRANCISCO*, 1794-1865. Infant d'Espagne. Époux de l'Infante Carlotta.
DOSNE (M.). D'abord simple employé dans une maison de banque de 500 Paris, il devint agent de change en 1816. Après la révolution de Juillet, il démissionna pour devenir Receveur général du Finistère et, quatre ans plus tard, Receveur général du Nord. Devenu régent de la Banque de France et un des plus forts actionnaires des mines d'Anzin, il accrut beaucoup sa fortune.
DOSNE (Mme)*. Épouse de l'agent de change, et mère de Mme Thiers.
DOSNE (Mlle Félicie). Sœur de Mme Thiers. Très dévouée, elle se consacra tout entière à sa sœur et à son beau-frère, et publia, en 1903, comme un monument à la mémoire de M. Thiers, des papiers qu'il lui avait laissés, sous le titre Occupation et libération du territoire (1871-1875). Elle mourut bientôt après, dans un âge très avancé.
DOUDAN (Ximénès), 1800-1872. D'abord précepteur dans la maison du duc de Broglie, M. Doudan dirigea ensuite le cabinet politique du Duc, qui l'avait en très grande estime, et le conserva toujours auprès de lui comme secrétaire intime.
DUBOIS (M.). Député de la Loire-Inférieure, il était membre du Conseil royal de Instruction publique et directeur de l'École normale.
DUCHÂTEL (Charles, comte)*, 1803-1867. Homme politique français.
DUFAURE (Jules-Armand-Stanislas), 1798-1881. Avocat et homme d'État français. Nommé député en 1834, il prit place dans les rangs du parti libéral constitutionnel, fut conseiller d'État en 1836 et ministre des Travaux publics en 1839. Il se rallia à la République en 1848, et devint ministre de l'Intérieur, mais se tint à l'écart des affaires sous le second Empire. En 1871, il devint ministre de la Justice. Il siégea plus tard au Sénat et fit voter les lois de garanties.
DUPANLOUP (Félix-Philibert), 1802-1878. Prêtre des plus distingués, il se fit d'abord connaître par ses fameux catéchismes; devenu, après 1835, vicaire général du diocèse de Paris et supérieur du petit séminaire de Saint-Nicolas, il prit, dès lors, une part active dans la question de la liberté de l'enseignement. En 1849, il fut nommé évêque d'Orléans. Devenu membre de l'Académie en 1854, Mgr Dupanloup se fit ensuite remarquer par sa défense du Saint-Siège au moment de l'expédition d'Italie. En 1869, il siégea au concile de Rome, puis revint à Orléans pour se trouver au milieu de son troupeau pendant la guerre. Après la conclusion de la paix, il fut élu membre de l'Assemblée par ses diocésains reconnaissants.
DUPIN (André-Marie)*, 1783-1865. Jurisconsulte et magistrat français.
DUPREZ (Gilbert-Louis), 1806-1879. Célèbre chanteur français, attaché pendant dix années à l'Opéra de Paris. Il avait une voix de ténor incomparable.
DÜRER (Albert), 1471-1523. Célèbre peintre et graveur allemand, qui joignait à un coloris profond une 501 touche savante et beaucoup de vérité. Il excella dans le portrait, et la gravure lui doit de grands perfectionnements.
DURHAM (John Lambton, comte)*, 1792-1848. Homme d'État anglais.
DUVERGIER DE HAURANNE (Prosper), 1798-1881. Homme politique français; un des chefs de l'opposition dynastique sous la monarchie de Juillet, et un des organisateurs des banquets en 1848. Il fit partie de la minorité anti-napoléonienne, fut emprisonné, puis exilé après le coup d'État du 2 décembre 1851, mais put rentrer en France en 1852. Renonçant alors à la politique militante, il composa une Histoire du gouvernement parlementaire en France, qui le fit entrer à l'Académie en 1870, en remplacement du duc de Broglie.
E
ÉDOUARD. Le grand coiffeur des dames à Paris, sous Louis-Philippe.
ÉLISABETH DE PRUSSE (la reine), 1801-1873. Fille du roi Maximilien de Bavière, elle épousa en 1823, le prince royal de Prusse, qui monta sur le trône en 1840, sous le nom de Frédéric-Guillaume IV. Devenue veuve en 1861, la reine Élisabeth vécut depuis dans la retraite.
ELLICE (M. Édouard)*, 1787-1863. Homme politique anglais, gendre de lord Grey.
ELSSLER (Thérèse). 1806-1878. Célèbre danseuse allemande, créée baronne de Barnim par le roi Frédéric-Guillaume IV, en 1850, à l'occasion de son mariage avec le prince Adalbert de Prusse.
ELSSLER (Fanny). 1810-1886. Sœur de la précédente et, comme elle, célèbre danseuse. Elle parcourut toutes les scènes de l'Europe et de l'Amérique, puis se retira en 1845 dans sa belle propriété près de Hambourg. Elle s'était acquis une grande fortune.
EMMANUEL-PHILIBERT, dit Tête-de-fer, 1528-1580. Duc de Savoie. Ce Prince se mit au service de son oncle, l'empereur Charles-Quint. Il se distingua au siège de Metz en 1552, reçut en 1553 le commandement de l'armée Impériale, et gagna en 1557, pour Philippe II, la bataille de Saint-Quentin. Il recouvra son duché (dont François Ier avait dépouillé son père), en 1559 au traité de Cateau-Cambrésis, et épousa Marguerite de France, sœur de Henri II. Sa statue, œuvre du sculpteur Marochetti, occupe le centre de la place San-Carlo à Turin.
ENTRAIGUES (Amédée Goveau D')*. Né en 1785. Préfet de Tours. Il avait épousé une princesse Santa-Croce, pupille du prince de Talleyrand.
ENTRAIGUES (Jules D')*. Né en 1787. Frère du Préfet et propriétaire du château de la Moustière, aux environs de Valençay.
ÉON DE BEAUMONT (Charles), 1728-1810. Célèbre par l'ambiguïté de son sexe, car il fut tantôt le chevalier, tantôt la chevalière d'Éon. Il se distingua de bonne heure dans la carrière diplomatique, et fut pendant quatorze ans l'agent 502 secret de Louis XV. La Révolution lui enleva sa pension, et réduit à des leçons d'escrime, il n'échappa à la misère que grâce aux secours de quelques amis.
ESPARTERO (Joachim-Boldomero), 1792-1879. Engagé en 1808, il fit comme militaire une brillante carrière. Il fit l'expédition du Pérou en 1825 et en rapporta une belle fortune. A la mort de Ferdinand VII, il prit parti pour la régente Marie-Christine. Ses succès contre les Carlistes lui valurent, en 1836, la nomination de général en chef de l'armée du Nord et de vice-roi de Navarre. En 1840, la régente Marie-Christine ayant abdiqué, les Cortès transférèrent la Régence au général Espartero, mais il fut renversé en 1842 et se retira en Angleterre jusqu'en 1847. En 1854 et en 1868, Espartero reprit le pouvoir pour peu de temps chaque fois. En 1870, les Cortès lui offrirent la Couronne qu'il refusa, vu son grand âge, et l'absence d'héritier.
ESTERHAZY (le prince Paul)*, 1786-1866. Diplomate autrichien.
EXELMANS (Isidore, comte)*, 1775-1852. Un des plus brillants généraux de l'Empire, fait pair de France et Maréchal sous la monarchie de Juillet.
F
FAGEL (le général Robert)*, 1772-1856. Diplomate hollandais.
FALK (Antoine Reinhard)*, 1776-1843. Diplomate hollandais.
FÉNELON (François de Salignac de la Mothe-), 1651-1715. Archevêque de Cambrai, précepteur du duc de Bourgogne; il avait adopté les doctrines du Quiétisme et fut vivement combattu par Bossuet. Il fut aussi grand écrivain que grand prédicateur.
FERDINAND VII*, 1784-1833. Fils aîné du Roi Charles IV d'Espagne et son successeur, il fut détrôné par Napoléon Ier au profit de son frère Joseph, mais remonta sur le trône en 1814.
FERRUS (Guillaume-Marie-André), 1784-1861. Médecin français. Il introduisit d'habiles réformes à l'hospice des aliénés de Bicêtre, dont il était médecin en chef. Nommé, en 1830, médecin consultant du Roi, le Dr Ferrus devint bientôt membre de l'Académie de médecine et commandeur de la Légion d'honneur.
FESCH (le cardinal Joseph), 1763-1839. Frère de Mme Lætitia Bonaparte, il fut nommé archevêque de Lyon en 1802, par son neveu Napoléon Ier. Ambassadeur de France à Rome, puis grand-aumônier et sénateur, il retourna vivre à Rome à la Restauration, et y mourut.
FIESCHI (Joseph)*, 1790-1835. Auteur de l'attentat du 28 juillet 1835 contre le Roi Louis-Philippe.
FIQUELMONT (le comte Charles-Louis DE), 1777-1857. Né en Lorraine, il entra dans l'armée autrichienne en 1793 et y fit les campagnes de 1805 à 1809. En 1815, il fut envoyé comme ministre à Stockholm, et en 1820, dans la même qualité 503 à Florence. Nommé ambassadeur à Pétersbourg, il y résida plusieurs années et ne rentra en Autriche qu'en 1840 pour devenir ministre d'État, et un moment ministre des Affaires étrangères en 1848. Sa fille unique avait épousé le prince Edmond Clary.
FITZ-JAMES (Jacques, duc DE), 1799-1846. Il épousa, en 1825, Mlle de Marmier.
FLAHAUT (le général comte DE)*, 1785-1870. Pair de France sous Louis-Philippe, sénateur et ambassadeur sous Napoléon III.
FLAHAUT (la comtesse DE)*, morte en 1867. Fille de l'amiral anglais lord Keith.
FLAHAUT (Clémentine DE), 1819-1835. Fille du comte et de la comtesse de Flahaut.
FONTANES (Louis DE), 1757-1821. Poète et orateur plein d'élégance, très en faveur auprès de Napoléon Ier. Membre du Corps législatif en 1804, il en devint Président en 1805. En 1808, l'Empereur le nomma grand-maître de l'Université; en 1810, il fut appelé au Sénat. Il se rallia plus tard à la Restauration.
FOULD (Bénédict), 1791-1858. Fils d'un banquier israélite, qui avait fondé l'importante maison Fould-Oppenheim et Cie. Il fut député de 1834 à 1842, et chevalier de la Légion d'honneur depuis 1843.
FOULQUES III NERRA, ou le Noir, 987-1040. Comte d'Anjou. Il fit la guerre à Conan, premier duc de Bretagne, qu'il battit et tua, et à Eudes II, comte de Blois, par lequel il fut défait. Foulques alla trois fois en Terre Sainte, pour expier ses violences. Sa nièce Constance épousa le Roi Robert.
FOY (le comte Fernand), 1815-1871. Fils du général Foy; il fut nommé pair de France par le Roi Louis-Philippe. Tout en étant dévoué à la monarchie constitutionnelle, il se montra partisan des idées libérales. De bonne heure, il se consacra aux œuvres de bienfaisance.
FRANÇOIS Ier *, 1494-1547. Roi de France et adversaire de Charles-Quint.
FRÉDÉRIC II, DIT LE GRAND*, 1712-1786. Roi de Prusse et fondateur de la puissance militaire prussienne.
FRÉDÉRIC VII, 1808-1863. Roi de Danemark. Il était le fils unique du prince Chrétien de Danemark et de sa première femme, la princesse Charlotte de Mecklembourg-Schwerin. Divorcé deux fois, il fut exilé pendant quelques années en Jutland, et ne monta sur le trône qu'en 1848.
FRÉDÉRIC-GUILLAUME, dit le Grand Électeur de Brandebourg, 1620-1688. Il monta sur le trône en 1640 et organisa l'armée prussienne.
FRÉDÉRIC-GUILLAUME III, 1770-1840. Roi de Prusse. Il succéda, en 1797, à son père Frédéric-Guillaume II. Il avait épousé une princesse de Mecklembourg-Strélitz, connue sous le nom de la Reine Louise, dont il devint veuf en 1810. Il contracta, en 1824, un mariage morganatique avec la comtesse Auguste de Harrach, à laquelle il 504 donna le titre de princesse de Liegnitz.
FRÉDÉRIC-GUILLAUME IV, 1795-1861. Roi de Prusse. Il monta sur le trône en 1840 à la mort de son père, il avait épousé en 1823 la princesse Élisabeth de Bavière, dont il n'eut pas d'enfants.
FRIAS (le duc DE)*, 1783-1851. Ambassadeur, homme d'État et littérateur espagnol.
FRONSAC (le duc DE), mort en 1791. Fils du maréchal de Richelieu, auquel il ne survécut que trois ans.
G
GAGE (sir William Hall), 1777-1865. Amiral anglais qui prit une part active aux opérations contre Napoléon Ier. Il fut nommé lord de l'Amirauté en 1841. En 1860, il reçut la Grande-Croix de l'ordre du Bain.
GARIBALDI (Mgr Antoine), 1797-1853. Archevêque de Myre en 1844, nonce à Paris en 1850, comme successeur du cardinal Tonari, il eut, lui-même, comme successeur, Mgr Sacconi.
GARNIER-PAGÈS, 1801-1841. D'abord avocat, il participa à la révolution de 1830 et devint un des chefs du parti républicain. Député, il fut l'objet de quelques poursuites après l'insurrection de 1832 et acquit une grande popularité.
GENLIS (Mme DE), 1746-1830. Félicité Ducrest de Saint-Aubin épousa à quinze ans le comte de Genlis. Sa tante, Mme de Montesson, la fit entrer dans la maison du duc d'Orléans, qui bientôt la choisit comme gouverneur de ses enfants. Mme de Genlis émigra en 1792, rentra en France après le 18 Brumaire, et devint la correspondante de Napoléon Ier qu'elle entretenait des usages et de l'étiquette de l'ancienne Cour. Elle vécut à l'écart à partir de 1814. Mme de Genlis est l'auteur d'un grand nombre d'ouvrages; ses traités sur l'éducation sont des plus remarquables.
GÉRARD (François-Pascal-Simon), 1770-1837. Célèbre peintre français. Il étudia chez David où il eut pour émules Drouais, Girodet et Gros. Il se livra au portrait qu'il traita avec un talent remarquable. Louis XVIII le fit Baron.
GÉRARD (Étienne-Maurice, comte)*, 1773-1852. Maréchal de France.
GERSDORFF (le baron Ernest-Chrétien-Auguste DE), 1781-1852. Au service de Saxe, il prit part au Congrès de Vienne. Il fut ministre à Londres et à la Haye et démissionna en 1848. Il avait épousé une comtesse de Freudenstein.
GERSDORFF (le baron Adolphe DE), 1800-1855. Officier dans l'armée prussienne; il démissionna et épousa Mlle Marianne de Schindel. En 1827, il devint l'administrateur des terres de la princesse Pauline de Hohenzollern et de sa sœur, la duchesse d'Acerenza.
GIRARDIN (le comte Émile DE), 1806-1881. Fils du général Alexandre de Girardin, et époux de Delphine Gay, il fut un célèbre publiciste, et le fondateur des journaux à un sou. Il fut député de 1877 à 505 1881. Devenu veuf en 1855, il épousa la veuve du prince Frédéric de Nassau dont il se sépara judiciairement en 1872.
GIRAUD (Augustin), 1796-1875. Propriétaire à Angers, dont il fut maire sous Louis-Philippe. Membre de l'Assemblée législative de 1849, il y siégea à droite. Il était chevalier de la Légion d'honneur.
GIROLET (l'abbé)*, 1765-1836. Bénédictin de la congrégation de Saint-Maur, ami intime de la famille de Talleyrand.
GIVRÉ (le baron DE), 1794-1854. Entré de bonne heure dans la diplomatie, il fut attaché d'ambassade à Londres, à Rome, démissionna à l'avènement du ministère Polignac et collabora au Journal des Débats. Élu député en 1837, il vota avec la majorité orléaniste.
GLOUCESTER (la duchesse DE)*, 1776-1857. Quatrième fille du Roi George III d'Angleterre.
GOECKING (M. Léopold DE), 1748-1828. Poète et conseiller d'État prussien, qui élabora plusieurs projets de réformes douanières pour son pays.
GOETHE (Wolfgang), 1749-1832. Le plus célèbre des poètes de l'Allemagne, auteur de Faust, Werther, etc. Il fut le conseiller, puis le ministre d'État du grand-duc Charles-Auguste de Weimar.
GONTAUT-BIRON (la duchesse DE)*, 1773-1858. Gouvernante des Enfants de France, qu'elle suivit en exil en 1830.
GONTAUT-BIRON (le vicomte Élie DE), 1817-1890. Élu député à l'Assemblée nationale en 1871, il fut ambassadeur de la République à Berlin. Il y rétablit les relations brisées par la guerre et resta six années à ce poste difficile.
GOUIN (Alexandre-Henri), 1792-1872. Ancien élève de l'École polytechnique, député depuis 1831, il fut appelé à prendre le portefeuille de l'Agriculture et du Commerce en 1840, dans le ministère Thiers.
GOURGAUD (le général), 1783-1852. Entré au service en 1801, il se signala à Austerlitz, où il fut blessé, à Iéna, à Friedland, à Essling et surtout à Wagram. Il prit une part glorieuse à la campagne de Russie et à la campagne de France. Il accompagna l'Empereur à Sainte-Hélène, mais des mésintelligences avec un de ses compagnons d'exil le forcèrent à s'éloigner. En 1818, il publia la Campagne de 1815, ce qui le fit rayer des contrôles de l'armée par Louis XVIII, mais il rentra en activité avec Louis-Philippe qui le nomma général de division et le choisit comme aide de camp. En 1840, il accompagna le prince de Joinville à Sainte-Hélène, ramena avec lui les cendres de Napoléon, et fut élevé ensuite à la Pairie.
GRAMONT (Mme DE), tante du duc de Gramont de la branche d'Aster, religieuse du Sacré-Cœur et supérieure de la maison de Paris.
GRANVILLE (lord)*, 1775-1846. Diplomate anglais, longtemps ambassadeur à Paris.
GRANVILLE (lady), morte en 1862. Elle était fille du duc de Devonshire.
GRANVILLE (lady Charlotte-Georgiana), 506 morte en 1885. Deuxième fille de lord Granville, elle avait épousé en 1833 Alexander-George Fullerton. Elle resta toute sa vie très liée avec la marquise de Castellane. Elle acquit, par ses romans, une certaine célébrité littéraire.
GRÉGOIRE VII (Hildebrand), 1015-1085. Élu Pape en 1073, il fut un des plus grands Pontifes romains et est resté célèbre par ses luttes contre l'Empereur d'Allemagne.
GRISI (Giulia)*, 1812-1869. Cantatrice italienne d'un grand talent et d'une grande beauté.
GREY (lord)*, 1764-1845. Homme d'État anglais.
GREY (lady)*, 1775-1861. Née Ponsonby.
GRIVEL (l'abbé Louis-Jean-Joseph), 1800-1866. Dès 1825, il fut prédicateur à Paris. En 1829, il fut chargé par la Cour de prononcer le panégyrique de saint Louis devant l'Académie française. Devenu aumônier de la Chambre des Pairs en 1834, il fut, trois ans plus tard, nommé chanoine de Saint-Denis.
GROS (Antoine-Jean), 1771-1835. Célèbre peintre d'histoire. Son père peignait la miniature et fut son premier maître, puis il entra dans l'atelier de David. Atteint par la réquisition, ce fut en suivant les opérations militaires qu'il acquit un talent tout particulier pour représenter les batailles. Il reçut plus tard, de Charles X, le titre de Baron.
GUERNON-RANVILLE (le comte DE), 1787-1866. Magistrat et homme d'État français. En 1820, président du tribunal civil de Bayeux, il s'y signala par son zèle et ses talents. En 1829, le prince de Polignac l'appela à prendre dans son ministère le portefeuille de l'Instruction publique et des Cultes. Il se prononça, dans le Conseil des ministres, contre les Ordonnances de juillet 1830, mais ne les signa pas moins. Jugé avec ses collègues, par la Chambre des Pairs, il fut condamné à la mort civile et à la détention perpétuelle. L'amnistie de 1836 lui rendit heureusement la liberté.
GUICHE (le duc DE), 1819-1880. Connu plus tard sous le nom de duc de Gramont. Diplomate, il fut ambassadeur de France à Turin, à Rome, à Vienne, et était ministre des Affaires étrangères, lors de la déclaration de la guerre à la Prusse en 1870. Il avait épousé en 1848 une Anglaise, fille d'un membre du Parlement.
GUILLAUME Ier, 1772-1843. Roi des Pays-Bas. Fils du stathouder Guillaume V de Nassau; ce fut sous son règne que la Belgique se détacha de sa couronne après la révolution de 1830, pour devenir un État indépendant. Il avait épousé la princesse Frédérique de Prusse, après la mort de laquelle il s'unit morganatiquement avec une Belge, la comtesse d'Oultremont. Il abdiqua en 1840.
GUIZOT (François-Pierre-Guillaume)*, 1787-1874. Homme d'État et historien français. 507
H
HAINGUERLOT (M.), mort en 1842; il avait épousé Mlle Stéphanie Oudinot, fille du maréchal Oudinot, duc de Reggio.
HAMILTON (John-Church), 1792-1882. Fils du major-général Hamilton, l'ami de M. de Talleyrand, il fut, pendant peu de temps, aide de camp du Major-général Harrisson qui devint plus tard Président des États-Unis. Hamilton devint ensuite avocat, et consacra sa vie à la mémoire de son père, dont il écrivit la vie, et publia les œuvres.
HAMILTON (la duchesse DE), 1817-1887. Marie-Amélie, dernière fille du grand-duc Charles-Louis-Frédéric de Bade et de la grande-duchesse, née Stéphanie de Beauharnais.
HANOVRE (le roi de), 1771-1851. Ernest-Auguste, duc de Cumberland *, monta sur le trône de Hanovre en 1837, à la mort de son frère, le Roi Guillaume IV d'Angleterre.
HANOVRE (le prince Georges DE), 1819-1878. Plus tard George V*, Roi de Hanovre.
HARCOURT (lady Élisabeth), 1793-1838.
HARRISSON (miss). Gouvernante des trois princesses de Courlande qui furent plus tard la comtesse de Lazareff, la comtesse de Hohenthal et Mme de Boyen. Elle vécut jusqu'à sa mort chez Mme de Lazareff, à Dyrnfurth.
HAUSSONVILLE (le comte Joseph-Bernard D'), 1809-1884. Homme politique et écrivain français; il fut député sous la monarchie de Juillet, puis à l'Assemblée nationale de 1871. Il était membre de l'Académie française.
HÉLIAUD (le comte D'), 1768-1858. Il vivait en Touraine assez solitairement et y mourut la même année que son fils, qui était employé au ministère des Affaires étrangères.
HÉLIE. Valet de chambre du prince de Talleyrand durant de longues années.
HENEAGE (M.). Diplomate anglais, attaché à l'ambassade de Paris en 1840.
HENNENBERG (M.), mort en 1836. Conseiller de justice au tribunal de Berlin.
HESSE (le prince Georges DE), 1793-1881. Ce prince était au service de Prusse.
HESSE-DARMSTADT (le grand-duc Louis II DE)*, 1777-1848. Il avait épousé une princesse de Bade.
HESSE-DARMSTADT (la princesse Élisabeth DE), 1815-1885. Fille du prince Guillaume de Prusse, frère du Roi Frédéric-Guillaume III, et sœur aînée de la Reine Marie de Bavière.
HESSE-DARMSTADT (la princesse Marie DE), 1824-1880. Fille de Louis II, grand-duc de Hesse, elle épousa, en 1841, le grand-duc héritier de Russie, qui succéda à son père, l'Empereur Nicolas Ier, en 1855.
HOHENLOHE-ORINGEN (le prince Frédéric DE), né en 1812. Major de cavalerie au service de Würtemberg. 508
HOHENTHAL (le comte Alfred DE), né en 1806. Chambellan du Roi de Saxe, il avait épousé la princesse Louise de Biron-Courlande.
HOHENTHAL (la comtesse Louise DE)*. 1808-1845. Née princesse de Biron-Courlande.
HOHENZOLLERN-HECHINGEN (le prince Frédéric DE), 1776-1838. Ce Prince avait épousé en 1800 la princesse Pauline de Courlande, sœur de la duchesse de Talleyrand.
HOHENZOLLERN-HECHINGEN (la princesse DE), 1782-1845. Pauline, princesse de Courlande, fille du duc Pierre de Courlande.
HOHENZOLLERN-HECHINGEN (le prince Constantin DE), 1800-1859. Fils du prince Frédéric de Hohenzollern-Hechingen, et de la princesse de Courlande. Par suite d'une convention signée en 1849, le prince Constantin abdiqua le gouvernement de la principauté de Hohenzollern en faveur du Roi de Prusse, et en 1850, il reçut le titre d'Altesse Royale. Il épousa d'abord la princesse de Leuchtenberg dont il n'eut pas d'enfants, puis, morganatiquement, la fille du baron de Schenk, dont il eut deux enfants qui portèrent le nom de Rothenbourg.
HOLLAND (lord)*, 1772-1840. Homme d'État anglais, neveu du célèbre Fox.
HOLLAND (lady)*, morte en 1840. Elle avait été, en premières noces, lady Webster.
HOTTINGER (le baron Jean-Conrad), 1764-1841. D'origine suisse, M. Hottinger forma à Paris une importante maison de commerce. Créé baron de l'Empire en 1810, il fut, en 1815, élu à la Chambre des Cent-Jours. Il devint, plus tard, président de la Chambre du commerce, juge au tribunal de commerce et régent de la Banque de France.
HOWARD DE WALDEN (Charles-Auguste Ellis, baron), né en 1799. Diplomate anglais; sous-secrétaire d'État aux Affaires étrangères en 1824, ministre à Stockholm en 1832, à Lisbonne en 1834 et à Bruxelles en 1846.
HÜBNER (le comte DE), 1811-1892. Entré en 1833 dans la chancellerie du prince de Metternich, qui appréciait ses qualités, il fut ensuite secrétaire de légation à Lisbonne, consul général à Leipzig et conseiller politique du maréchal Radetzky en Italie. Fait prisonnier à Milan en 1848, il ne fut remis en liberté qu'après la conclusion de la paix avec le roi Charles-Albert. En 1849, il fut d'abord ministre, puis ambassadeur à Paris jusqu'en 1859. En 1867, M. de Hübner fut nommé ambassadeur à Rome. Il quitta ensuite la diplomatie et se consacra à ses voyages et à ses ouvrages littéraires.
HUGEL (Ernest-Eugène DE), 1774-1849. Général au service d'Autriche, où il fut quelque temps Ministre de la guerre. Il avait été aussi ministre d'Autriche à Paris.
HUMANN (Mlle Louise), née vers 1757. Elle égalait, par sa piété, les chrétiennes de l'Église primitive, et fut, à Strasbourg où elle vivait, la protectrice des abbés 509 Bautain, Gratry et Ratisbonne. Elle était la sœur de l'évêque de Mayence et du Ministre des finances du Roi Louis-Philippe.
HUMANN (Jean-Georges)*, 1780-1842. Homme d'Etat et financier français, d'une vieille famille alsacienne.
HUMBOLDT (le baron Guillaume DE), 1767-1835. Homme d'État et philologue prussien. Il était en 1802 Ministre résident à Rome, puis il fut conseiller d'État à Berlin, et chef de la section des Cultes et de l'Instruction publique. Nommé, en 1808, ministre plénipotentiaire à Vienne, il prit part en 1810 aux conférences de Prague, en 1815, au Congrès de Vienne. Envoyé extraordinaire à Londres en 1816, puis ministre d'État et membre de la commission chargée de préparer, en 1818, la constitution prussienne, il résigna ses fonctions en 1819, pour ne s'occuper plus que de travaux littéraires.
HUMBOLDT (Alexandre DE), 1769-1858. Grand naturaliste et savant allemand, qui s'est illustré par ses voyages scientifiques dans le Nouveau Monde, et par le génie dont sont empreintes les nombreuses relations qu'il en a données. Il était frère du précédent.
HUMBOLDT (Mme Guillaume DE), 1771-1829. Fille de Frédéric de Dachrœden, elle avait épousé Guillaume de Humboldt en 1791.
HUMBOLDT (Caroline DE), 1792-1837. Fille aînée de Guillaume de Humboldt.
HYDE DE NEUVILLE (le baron Jean-Guillaume), 1776-1857. Homme politique français, très attaché à la royauté. Impliqué dans un complot contre Napoléon Ier, il s'enfuit aux États-Unis, et ne revint en France qu'à la chute de l'Empire. Député en 1815, il devint en 1816 ministre aux États-Unis, puis en Portugal. En 1828, dans le ministère Martignac, il prit le portefeuille de la Marine, qu'il résigna à l'avènement du cabinet Polignac. Après 1830, il défendit la cause désespérée du duc de Bordeaux et vécut dès lors dans la retraite.
I
IBRAHIM-PACHA, 1772-1848. Fils du vice-Roi d'Égypte Méhémet-Ali, qu'il seconda dans la réorganisation égyptienne. Il envahit la Syrie en 1832 sur l'ordre de son père et marchait sur Constantinople, quand il fut arrêté à Kutayeh par l'intervention des puissances européennes. Quelques années après, la guerre ayant recommencé, Ibrahim remporta en 1839 à Nezib une bataille décisive sur les Turcs, mais le traité de Londres (15 juillet 1840) et le bombardement des ports de la Syrie par la flotte anglaise, le forcèrent une seconde fois à abandonner sa conquête de la Syrie. Depuis lors, il ne s'occupa plus que de l'administration intérieure de l'Égypte.
ISABELLE II, 1830-1904. Reine d'Espagne. 510
ISTURITZ (Xavier D'), né en 1790. Homme d'État espagnol, il siégea dès 1812 aux Cortès, et s'y fit remarquer par son patriotisme révolutionnaire. Président de la Chambre des Procuradores en 1835, ses idées libérales le compromirent et il dut s'enfuir à Londres. Il remplit plus tard plusieurs missions auprès des différentes Cours de l'Europe et fut même ambassadeur à Paris de 1863 à 1864.
J
JACKSON (André), 1767-1845. Général américain et septième Président de la République des États-Unis en 1829. En 1834, il réclama, de façon très hautaine, à la France, une indemnité de vingt-cinq millions, pour les bâtiments saisis aux États-Unis sous l'Empire. Après deux Présidences successives, il rentra dans la vie privée.
JAUBERT (le chevalier), 1779-1847. Orientaliste qui accompagna Bonaparte en Égypte, comme interprète. Il fut secrétaire interprète au ministère des Affaires étrangères, maître des requêtes, puis chargé d'affaires à Constantinople. En 1819, il était secrétaire interprète de Louis XVIII. Il entra à l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres en 1830 et fut fait pair de France par Louis-Philippe.
JAUBERT (le comte Hippolyte-François), 1798-1874. Homme politique et savant français; il fut député en 1831 et ministre des Travaux publics en 1840. Nommé pair de France en 1844, la chute de Louis-Philippe le fit rentrer dans la vie privée.
JAUCOURT (la marquise DE)*, 1762-1848. Née Mlle Charlotte de Bontemps.
JERSEY (lady Sarah)*, 1787-1867. Elle eut un des salons les plus remarquables de Londres.
JOINVILLE (François d'Orléans, prince DE), 1818-1900. Troisième fils du Roi Louis-Philippe; il servit dans la marine et ramena en France les restes de Napoléon en 1840. En 1843, il épousa la princesse Françoise de Bragance, fille de l'Empereur du Brésil.
JUMILHAC (Odet de Chapelle DE), 1804-1880. Duc de Richelieu. Neveu, par sa mère, du duc de Richelieu mort en 1822, M. de Jumilhac prit le titre de son oncle et devint ainsi membre de la Chambre des Pairs. Il était chevalier de la Légion d'honneur.
K
KAROLYI (la comtesse Ferdinande), 1805-1844. Fille du prince Louis de Kaunitz-Rietberg, elle épousa en 1823 le comte Louis Karolyi.
KENT (la duchesse DE)*, 1786-1861. Belle-sœur du Roi Guillaume IV d'Angleterre et mère de la Reine Victoria.
KRÜDENER (la baronne DE), 1760-1825. Julie de Witkingoff, fille du gouverneur de Riga, épousa, à l'âge de quatorze ans, M. de Krüdener, ministre de Russie à Berlin, 511 dont elle eut deux enfants. Son mari divorça en 1791. Après une série d'aventures, elle s'insinua dans l'intimité de la Reine Louise de Prusse, puis se jeta dans une dévotion exaltée. Se trouvant à Paris en 1814 lors de l'entrée des Alliés, elle y prit un grand ascendant sur L'Empereur Alexandre Ier. Expulsée d'Allemagne, puis de Suisse, Mme de Krüdener vint se réfugier dans ses propriétés près de Riga; elle s'y mit en rapport avec les frères Moraves et partit enfin, en 1822, pour la Crimée, dans le dessein de fonder une maison de refuge pour les criminels et les pécheurs.
KRÜDENER (la baronne Amélie DE), 1808-1888. Belle-fille de la précédente; elle était une fille naturelle de la princesse de la Tour et Taxis (née Mecklembourg-Strelitz), sœur de la Reine Louise de Prusse, et du comte Maximilien de Lerchenfeld qui l'éleva chez lui, et dont la femme l'adopta. Elle épousa, en 1825, M. de Krüdener, et en secondes noces, en 1850, le comte Nicolas Adlerberg, aide de camp de l'Empereur Nicolas Ier de Russie.
KRÜGER (François), 1797-1857. Peintre de portraits, très en renom à Berlin.
KUHNEIM (la comtesse), 1770-1854. Elle était née During, et était une amie de la princesse Charles de Prusse.
L
LA BESNARDIÈRE (J.-B. Goney DE)*, 1765-1843. Conseiller d'État, qui, depuis sa retraite, en 1819, vécut beaucoup en Touraine.
LABORDE (le comte Léon DE), 1807-1869. Archéologue et voyageur, il fut, pour peu de temps, diplomate. Nommé député en 1840, il fut conservateur du Musée des antiques au Louvre, de 1845 à 1848. Il fut appelé au Sénat en 1868.
LABOUCHÈRE (Henri)*, 1798-1869. Membre du Parlement anglais.
LA BRICHE (la comtesse DE). Mme de La Briche s'était fait, à Paris, un salon célèbre, en réunissant chez elle des hommes distingués et des gens de lettres. Elle possédait le château du Marais, près de Paris, où elle faisait souvent jouer la comédie. Sa fille avait épousé M. Molé.
LA BRUYÈRE (Jean DE)*, 1645-1695. Auteur des Caractères.
LACAUE-LAPLAGNE (Jean-Pierre-Joseph), 1795-1849. Élève de l'École polytechnique, il prit part aux dernières campagnes de l'Empire et démissionna lors du retour des Bourbons. Il s'adonna dès lors à l'étude du droit, se fit recevoir avocat à Toulouse et entra dans la magistrature. Il fut député du Gers, et reçut plusieurs fois le portefeuille des finances. Le Roi Louis-Philippe lui avait confié l'administration des biens du duc d'Aumale.
LACORDAIRE (Henri), 1802-1861. Célèbre prédicateur français, Dominicain de l'Ordre des Frères Prêcheurs. Il entra à l'Académie française en 1860, en remplacement de M. de Tocqueville. 512
LADVOCAT (M.). Procureur du Roi sous la monarchie de 1830. Porteur de recommandations, Fieschi s'était adressé à lui, lors de son arrivée à Paris, pour obtenir une place. Après l'attentat, Fieschi, qui avait pris un faux nom, fut reconnu par M. Ladvocat.
LAFARGE (Mme). La mère de M. Lafarge. Elle ne put, dans le fameux procès, se mettre à l'abri de tout soupçon. Elle avait brisé les cachets du testament de sa bru pour en connaître les conclusions.
LAFARGE (M.). Veuf à 28 ans, Pouch Lafarge, possesseur d'une forge au Glandier (Corrèze), était toujours mal dans ses affaires et réduit aux expédients, il épousa Marie Capelle, qui se rendit tristement célèbre en l'empoisonnant.
LAFARGE (Mme), 1816-1852. Marie Capelle, orpheline, épousa, en 1839, M. Lafarge. Un célèbre et triste procès la fit condamner à la prison perpétuelle.
LA FAYETTE (le marquis de)*, 1767-1834. Député aux États généraux en 1789, il prit une certaine part aux événements révolutionnaires de son temps.
LAFFITTE (Jacques), 1767-1844. Financier français; il joua un rôle important dans la révolution de Juillet et fut ministre du Roi Louis-Philippe.
LAMARTINE (Alphonse DE), 1790-1869. Poète et homme politique français, il entra à l'Académie en 1830, à la Chambre des députés en 1834; il acquit une grande popularité qui s'évanouit bientôt après 1848.
LAMB (Frédéric)*, 1782-1848. Diplomate anglais, frère de lord W. Melbourne et héritier de son titre.
LAMBRUSCHINI (le cardinal), 1776-1854. Il fut évêque de Sabine, archevêque de Gênes, et nonce du Saint-Siège à Paris sous Charles X. Il reçut le chapeau de Cardinal en 1831. Le pape Grégoire XVI le nomma ministre des Affaires étrangères, puis secrétaire des brefs et préfet de la Congrégation des Études. Après les événements de 1848, il suivit Pie IX à Gaëte.
LANSDOWNE (lady)*. Morte en 1851. Elle avait épousé en 1851 le marquis de Lansdowne.
LARCHER (Mlle Henriette)*, 1782-1860. Institutrice de Mlle Pauline de Périgord.
LA REDORTE (le comte Mathieu DE)*, 1804-1886, diplomate français.
LA REDORTE (la comtesse DE), morte en 1885. Elle était née Louise Suchet, fille du maréchal d'Albuféra.
LA ROCHEFOUCAULD (le comte Sosthène DE). Duc de Doudeauville, 1785-1864. Aide de camp du comte d'Artois sous la Restauration, il fut toujours un légitimiste ardent, et s'occupa aussi beaucoup de littérature.
LA ROCHEFOUCAULD (Marie DE), morte en 1840. Elle était fille du duc Sosthène de la Rochefoucauld-Doudeauville et petite-fille de la duchesse Mathieu de Montmorency.
LA ROVÈRE (la marquise DE), 1817-1840. Élisabeth de Stackelberg, Russe d'origine, se fit catholique en épousant le marquis de la Rovère, 513 et mourut bientôt après son mariage. Son tombeau, en marbre blanc, se trouve au Campo-Santo de Turin.
LAS CASES (le comte Emmanuel DE), 1800-1854. Il avait suivi son père à Sainte-Hélène. La révolution de 1830 trouva plus tard en lui un auxiliaire ardent. Nommé député, il siégea dans les rangs du parti libéral et entra au Sénat après le coup d'État du 2 décembre 1852.
LAVAL (le prince Adrien DE)*, 1768-1837. Pair de France et diplomate.
LAVAL (la vicomtesse DE), 1745-1838. Mlle Tavernier de Boullongne avait épousé en 1765 le vicomte de Laval et fut la mère du duc Mathieu de Montmorency, qui fut ministre des Affaires étrangères. Elle était une grande amie de M. de Talleyrand.
LAZAREFF (Mme DE), 1813-1881. Elle était née princesse Antoinette de Biron-Courlande *.
LÉAUTAUD (la comtesse DE). Alexandrine-Clémentine de Nicolaï, fille du marquis et de la marquise Scipion de Nicolaï, née Lameth. Son nom parut dans le procès Lafarge, au sujet d'un vol de diamants, dont on accusait Mme Lafarge, tandis que celle-ci prétendait qu'ils lui avaient été remis par Mme de Léautaud.
LEBRUN (Pierre-Antoine), 1785-1873. Littérateur, il fit partie de l'Académie française depuis 1828. De 1830 à 1848, il fut directeur de l'Imprimerie royale. Nommé pair de France en 1839, il fut appelé au Sénat en 1853 et devint grand-officier de la Légion d'honneur.
LE HON (le comte)*, 1792-1868. Homme d'État belge, pendant de longues années ministre à Paris.
LÉON (le prince Charles-Louis-Jocelyn DE), 1819-1893. Il prit le titre de duc de Rohan, à la mort de son père en 1869. Il avait épousé Mlle de Boissy en 1843.
LERCHENFELD (le comte Maximilien DE), 1779-1843. Homme d'État bavarois; il coopéra à l'élaboration de la Constitution bavaroise, et prit en 1825 le portefeuille des Finances, qu'il laissa pour devenir ambassadeur près de la Diète germanique. Il avait épousé la baronne Anna de Grosschlag.
LESTOCQ (Mme DE), 1788-1849. Veuve du général de Lestocq, gouverneur de Breslau, mort en 1818. Elle était grande-maîtresse de Cour de la princesse Guillaume de Prusse, née princesse de Hesse-Hombourg, belle-sœur du Roi Frédéric-Guillaume III.
LEUCHTENBERG (le prince Auguste-Charles DE)*, 1807-1835. Il fut pendant peu de temps l'époux de doña Maria, Reine de Portugal.
LEVESON (George), 1815-1891. Il fut secrétaire de son père lord Granville, ambassadeur d'Angleterre à Paris, puis secrétaire au ministère des Affaires étrangères. En 1846, à la mort de son père, il hérita de son titre et entra à la Chambre des Pairs. Il quitta et reprit différentes fois le pouvoir et se retira définitivement en 1886 avec M. Gladstone.
LEZAY-MARNÉSIA (le comte DE)*, 1772-1857. Préfet et pair de 514 France sous les Bourbons, il fut sénateur sous l'Empire, en 1852.
LIAUTARD (l'abbé), 1774-1842. Il fit ses études au collège Sainte-Barbe à Paris, puis le décret du 23 août 1793 l'appela sous les drapeaux. Entré à l'École polytechnique, il fut un des plus brillants élèves, mais, renonçant au monde, il entra au séminaire de Saint-Sulpice et fut ordonné prêtre en 1804. L'abbé Liautard fonda le collège qui devait être plus tard le collège Stanislas, puis devint curé-archiprêtre de Fontainebleau, après avoir refusé l'évêché de Limoges.
LICHTENSTEIN (la princesse DE), 1776-1848. Née landgravine Joséphine de Fürstenberg, elle avait épousé en 1792 le prince Jean-Joseph de Lichtenstein.
LIEBERMANN (le baron Auguste DE), 1791-1841. Diplomate prussien, il représenta la Prusse à Madrid en 1836, et à Pétersbourg en 1840.
LIEVEN (le prince DE)*, 1770-1839. Diplomate russe; il fut pendant vingt-deux ans ambassadeur à Londres.
LIEVEN (la princesse DE)*, 1784-1857. Née Dorothée de Benkendorff.
LIEGNITZ (la princesse DE), 1800-1873. La comtesse de Harrach épousa morganatiquement en 1824 le Roi Frédéric-Guillaume III de Prusse, qui lui donna le titre de princesse de Liegnitz.
LINANGE (le prince Charles DE), 1804-1856. Fils du premier mariage de la duchesse de Kent; il avait épousé une comtesse de Klebelsberg.
LINDENAU (le baron Bernard-Auguste DE), 1780-1854. Savant astronome et homme politique allemand; il reçut plusieurs missions diplomatiques, et devint en 1830 ministre de l'Intérieur, en Saxe; il travailla activement à doter ce pays d'une constitution. Il a créé à Dresde un musée astronomique.
LINGARD (John), 1769-1851. Historien anglais; il était prêtre catholique, et avait été élevé à Douai chez les jésuites.
LISFRANC DE SAINT-MARTIN (Jacques), 1790-1847. Célèbre chirurgien français, qui se fit un grand renom sous la deuxième Restauration.
LOBAU (le comte DE), 1770-1838. Il prit, comme volontaire, une part active aux campagnes de la République et de l'Empire. Après Leipzig, enveloppé dans la capitulation de Gouvion-Saint-Cyr, il fut envoyé prisonnier en Hongrie, et y resta jusqu'à la Restauration. Commandant de la 1re division militaire pendant les Cent-Jours, il dirigea le 6e corps à Waterloo où il tomba entre les mains des Anglais. Exilé de 1815 à 1818, il vécut ensuite dans la retraite jusqu'en 1823, où il entra à la Chambre des députés. Il fut fait Pair de France et Maréchal en 1831 et combattit avec succès les émeutes qui eurent lieu à Paris en 1831 et 1834.
LOBAU (la maréchale). Elle était la fille de Mme d'Arberg et la belle-sœur du général de Klein.
LOEWENHIELM (le comte Gustave-Charles-Frédéric, DE), 1771-1856. Diplomate suédois; ministre 515 extraordinaire au Congrès de Vienne en 1815 et ministre de Suède en Autriche en 1816, il alla ensuite à Paris avec le même titre et y résida durant trente-huit ans. Il avait une grande fortune, qu'il employait très noblement.
LOEWENHIELM (la comtesse DE), 1783-1859. Mlle de Schœnburch-Wechselburg épousa en premières noces, en 1806, le comte Gustave de Düben, alors chargé d'affaires de Suède à Vienne. Devenue veuve en 1812, elle se remaria en 1826 avec le comte de Lœwenhielm, lui-même veuf d'une baronne de Gur.
LOEWE-WEIMAR (le baron François-Adolphe DE), 1801-1854. Il appartenait à une famille israélite allemande, mais embrassa le christianisme, et, venu à Paris, s'y fit une place dans la littérature. M. Thiers lui fit confier une mission en Russie. Nommé Consul général à Bagdad, il s'y fit remarquer, en 1847, par son dévouement pendant l'épidémie du choléra. Il fut, plus tard, Consul général à Caracas.
LOGÈRE (M. DE). Attaché libre à la légation de France à Berlin.
LOTTUM (le comte Charles-Henri DE), 1767-1841. Général d'infanterie et ministre d'État en Prusse sous le règne de Frédéric-Guillaume III, puis ministre du Trésor. Il avait épousé Mlle Frédérique de Lamprecht.
LOUIS-PHILIPPE Ier *, 1773-1849. Roi des Français de 1830 à 1848.
LOUVEL (Louis-Pierre), 1783-1820. Ouvrier sellier, qui assassina, le 13 février 1820, par fanatisme politique, à la sortie de l'Opéra, le duc de Berry, fils de Charles X, neveu de Louis XVIII, pour mettre fin à la dynastie des Bourbons. Condamné par la Cour des pairs, il fut exécuté.
LUCQUES (la duchesse DE), 1803-1879. Elle était fille du Roi de Sardaigne, et sœur jumelle de l'Impératrice Caroline d'Autriche, épouse de l'Empereur Ferdinand II.
LUTTEROTH (Alexandre DE), 1806-1882. Né à Leipzig, il servit, pendant sa jeunesse, dans la diplomatie française. Il avait épousé une comtesse Batthyàny.
LYNDHURST (lord), 1770-1864. Homme politique anglais, du parti tory. Dans trois cabinets, il eut le Grand Sceau, et occupa successivement les postes les plus élevés dans les affaires de son pays. Il avait, en secondes noces, épousé une israélite, Mrs Norton, ce qui explique qu'il soutint avec tant de vigueur le Bill pour l'admission des juifs au Parlement.
M
MACDONALD (le maréchal Alexandre), 1765-1840. D'une famille d'origine irlandaise; il fit toutes les campagnes de la République et de l'Empire. Disgracié en 1804 pour avoir défendu Moreau, il ne reprit du service qu'en 1809, où sa belle conduite, à Wagram, lui valut le titre de duc de Tarente. Après l'abdication de Napoléon Ier, il fut nommé pair de France et grand-chancelier 516 de la Légion d'honneur, dignité qu'il conserva jusqu'en 1831.
MACDONALD (le général Alexandre DE), 1824-1881. Duc de Tarente; fils unique du maréchal Macdonald et de Mlle de Bourgoing, il était le filleul du Roi Charles X et de Madame la Dauphine. A l'avènement de Napoléon III, il devint chambellan de l'Empereur et chevalier de la Légion d'honneur. Député en 1852, sénateur en 1869, il rentra dans la vie privée en 1870.
MAGON-LABALLUE DE BOISGARIN (Mlle), 1765-1834. Issue d'une famille de gentilshommes devenus armateurs, elle épousa, en 1779, le comte de Villefranche, des princes de Carignan, après la mort duquel elle vécut à Paris, très retirée.
MAHOMET II, 1785-1839. Sultan des Turcs ottomans; il monta sur le trône en 1808. Ses guerres furent funestes à son Empire, mais dans son administration intérieure, il fit de grandes réformes, appelant les sciences et les institutions de l'Occident à son aide, disciplinant ses troupes à l'européenne, et garantissant la liberté des cultes par un firman de 1839.
MAILLÉ (le duc DE), 1770-1837. Charles-François-Armand de la Tour-Landry, duc de Maillé, fut, avant la Révolution, premier gentilhomme de la chambre de Monsieur; ayant émigré avec les Princes, il se tint en dehors de la politique jusqu'à la chute de l'Empire, prit une grande part au mouvement royaliste de 1814, et reprit ses anciennes fonctions auprès du Roi Louis XVIII, qui le nomma Pair de France. Il refusa de prêter serment à la monarchie de Juillet.
MAINTENON (la marquise DE)*, 1625-1719. Épouse morganatique du Roi Louis XIV, et éducatrice célèbre.
MAISON (le maréchal)*, 1771-1840. Pair de France et diplomate français; il fit partie de plusieurs Cabinets.
MAISON (la maréchale). Marie-Madeleine-Françoise Weygold était née en 1776 en Prusse et avait épousé le maréchal Maison, alors chef de bataillon, en 1796.
MALESHERBES (Chrétien-Guillaume Lamoignon DE), 1721-1794. Fils du chancelier Lamoignon, il fut ministre avec Turgot sous Louis XVI; il défendit le Roi devant la Convention et mourut lui-même sur l'échafaud. Il était membre de l'Académie française.
MALTZAN (le comte Mortimer DE), 1783-1843. Premier gentilhomme de la Cour de Prusse, chambellan et major, Ministre plénipotentiaire auprès de la cour de Vienne. Il avait épousé une comtesse de Golz.
MANNAY (l'abbé Charles), 1745-1824. Il fit ses études à Saint-Sulpice et s'y distingua. Ordonné prêtre, il devint grand vicaire, puis chanoine de la cathédrale de Reims. A la Révolution, il passa en Angleterre et en Écosse, puis fut nommé en 1802 évêque de Trèves; il démissionna en 1814 et revint en France, où il fut nommé en 517 1817 à l'évêché d'Auxerre, et en 1820 à celui de Rennes. Il était un grand ami du prince de Talleyrand.
MARBEUF (la marquise DE), 1765-1839. Elle épousa en 1784 le comte, depuis marquis de Marbeuf, gentilhomme de la chambre du comte de Provence et Maréchal de camp, puis gouverneur de la Corse. Elle devint veuve en 1786, et se retira au couvent du Sacré-Cœur où elle prit le voile.
MARBOIS (le marquis de Barbé-)*, 1745-1837. Diplomate et homme politique français, longtemps président de la Cour des comptes.
MARCHAND (Louis-Joseph-Narcisse), 1791-1876. Premier valet de chambre de l'Empereur Napoléon Ier, qu'il suivit à Sainte-Hélène. C'est à lui que l'Empereur dicta le Précis des guerres de Jules César, que Marchand publia en 1836. A son lit de mort, Napoléon lui donna le titre de Comte et le fit dépositaire de son testament. Revenu en France, Marchand épousa en 1823 la fille du général Brayer et se fixa à Strasbourg. En 1840, il fut adjoint au prince de Joinville pour ramener de Sainte-Hélène les cendres de l'Empereur; il fut fait chevalier, et, plus tard, officier de la Légion d'honneur.
MARCHESI (Luigi), 1755-1829. Célèbre chanteur italien, dont la méthode a fait autorité dans l'art musical. Il débuta à Rome en 1774; toutes les capitales de l'Europe se le disputèrent, mais il termina au théâtre de sa ville natale, Milan, une carrière qui lui avait apporté gloire et richesse.
MARESCALCHI (la comtesse DE), morte en 1846; elle était la fille du marquis de Pange et de Mlle de Caraman.
MAREUIL (le comte Joseph Durand DE)*, 1769-1855. Diplomate français.
MARIA II ou Dona Maria da Gloria*, 1819-1855. Reine de Portugal.
MARIE-AMÉLIE (la Reine)*, 1782-1866. Épouse du Roi des Français Louis-Philippe.
MARIE-CHRISTINE (la Reine), 1806-1878. Fille de François Ier, Roi des Deux-Siciles, elle fut la troisième femme de Ferdinand VII, Roi d'Espagne. Devenue veuve et Régente en 1833, elle épousa en 1834 Ferdinand Muñoz, officier aux Gardes du corps, qui fut créé duc de Rinanzarès. Ayant dû fuir en cédant la Régence à Espartero (duc de la Victoire), la Reine Christine rentra en Espagne en 1843 et gouverna alors au nom de sa fille Isabelle II. Exilée de nouveau en 1854, elle se retira à Paris et y vécut jusqu'à sa mort.
MARIE DE MÉDICIS*, 1573-1642. Épouse du Roi de France Henri IV et Régente sous la minorité de son fils Louis XIII.
MARIE D'ORLÉANS (la princesse)*, 1813-1839. Fille du Roi Louis-Philippe et épouse du prince Alexandre de Würtemberg.
MARIE-LOUISE (l'archiduchesse), 1791-1847. Impératrice * par son mariage avec Napoléon Ier, elle se fit donner, après la chute de son mari, les duchés de Parme, Plaisance 518 et Guastalla. Après la mort de l'Empereur, elle épousa le comte de Neipperg dont elle eut trois enfants. Elle épousa en troisièmes noces le comte de Bombelles.
MARIE-THÉRÈSE (l'impératrice)*, 1717-1780. Impératrice d'Autriche et Reine de Hongrie, épouse de François de Lorraine.
MARLBOROUGH (la duchesse DE), 1660-1744. Sarah Jennings épousa, vers 1680, le célèbre général anglais John Churchill, plus tard duc de Marlborough. La duchesse de Marlborough fut la favorite de la reine Anne, sur qui elle exerçait une grande influence.
MAROCHETTI (le baron Charles), 1805-1867. Né à Turin, il avait dix ans quand son père adopta la nationalité française, et il fit ses études au lycée Napoléon à Paris. Il étudia la sculpture dans l'atelier de Bosio, élève de Canova, puis passa huit années à Rome. Il laissa un fils, qui, redevenu Italien, entra dans la carrière diplomatique, et fut ambassadeur à Saint-Pétersbourg.
MARS (Mlle). Célèbre actrice de la Comédie-Française.
MARTIN DU NORD (Nicolas-Ferdinand-Marie-Louis-Joseph)*, 1790-1847. Magistrat et homme politique français.
MARTINEZ DE LA ROSA (François)*, 1789-1862. Littérateur et homme d'État espagnol.
MASSA (la duchesse DE)*, née en 1892. Fille du maréchal Macdonald.
MASSIMO (la princesse Christine). Morte du choléra en 1837. Fille du prince Xavier de Saxe et de la comtesse Claire de Spinucci.
MATHIEU (M.), peintre français; il donna des leçons de dessin aux filles de la grande-duchesse Stéphanie de Bade.
MATUSIEWICZ (le comte André-Joseph)*, 1790-1842. Diplomate polonais, au service russe.
MAUSSION (le baron Alfred DE). Il commença, comme son frère Adolphe, par la carrière militaire, et fut officier. Très liés avec les Montmorency, en vertu d'une parenté éloignée, ils vivaient dans leur intimité, ainsi que dans celle de la famille Dosne. Alfred de Maussion devint là l'ami de M. Thiers, qui le fit nommer consul à Rostock.
MECKLEMBOURG-SCHWERIN (la grande-duchesse DE), 1771-1871. Auguste, princesse de Hesse-Hombourg, troisième femme du grand-duc héréditaire Frédéric de Mecklembourg-Schwerin, qu'elle épousa en 1818 et qui mourut en 1819, avant son père. La Grande-Duchesse était ainsi belle-mère de la duchesse d'Orléans.
MECKLEMBOURG-SCHWERIN (la princesse Hélène), 1814-1858. Elle épousa en 1837 le duc d'Orléans, dont elle eut deux enfants, le comte de Paris et le duc de Chartres, et devint veuve dès 1842. Elle était la fille du second mariage du grand-duc héréditaire Frédéric de Mecklembourg (mort en 1819), avec une princesse de Saxe-Weimar.
MECKLEMBOURG-STRELITZ (le grand-duc DE), 1779-1860. Succéda à son 519 père, le grand-duc Charles, en 1816, et épousa, en 1817, une princesse de Hesse-Cassel. Il était frère de la reine Louise de Prusse.
MEDEM (le comte Paul)*, 1800-1854. Diplomate russe, cousin de la duchesse de Dino.
MÉDICIS (Laurent DE), dit le Magnifique, 1448-1492. Protecteur des arts et des lettres, il honora de son amitié et de ses bienfaits Pic de la Mirandole, Ange Politien et Michel-Ange auquel on doit son mausolée à Florence.
MÉHÉMET-ALI, 1769-1849. Vice-roi d'Égypte. D'abord marchand, il se fit ensuite soldat, et combattit en Égypte les Français en 1799. En 1806, il réussit à expulser le gouverneur de l'Égypte, et se fit proclamer vice-Roi. Les Mameluks ne voulant pas cesser leurs révoltes, il les fit massacrer, le 1er mars 1811, dans toute l'Égypte. Dans ses deux guerres contre la Porte en 1832 et 1839, il eut pour lieutenant son fils Ibrahim, qui, par la victoire de Nézib, mit le Sultan à sa merci. Une coalition européenne, à laquelle la France ne voulut pas prendre part, lui arracha le fruit de sa victoire, mais il obtint, pour lui et ses descendants, le gouvernement de l'Égypte, sous la suzeraineté de la Porte.—Méhémet a introduit de grandes réformes dans son pays.
MELBOURNE (William-Lamb, lord)*, 1779-1848. Homme politique de l'Angleterre, frère de lady Palmerston.
MÉRODE (le comte Werner DE), 1816-1905. Il épousa, en 1843, sa cousine Mlle Thérèse de Mérode.
METTERNICH (le prince DE)*, 1773-1859. Diplomate et homme d'État autrichien.
METTERNICH (la princesse Mélanie DE), 1805-1854. Troisième femme du prince de Metternich et fille du comte François de Zichy-Ferraris.
MEUNIER. En 1836, il fut trouvé complice de Lavau qui venait d'attenter à la vie de Louis-Philippe. Il était sellier, et patron de Lavau.
MICHEL-ANGE BUONAROTTI, 1474-1564. Célèbre peintre, sculpteur et architecte italien, le plus savant et le plus profond des dessinateurs. Architecte de la basilique de Saint-Pierre à Rome, après la mort de Bramante, il éleva la sublime coupole qui fait sa gloire.
MIRAFLORÈS (le marquis DE)*, 1792-1867. Diplomate et littérateur espagnol.
MOIRA (lord), 1808-1843. Fils aîné du premier marquis de Hastings, il fut, en 1830, chambellan du Roi Guillaume IV d'Angleterre.
MOLÉ (le comte Mathieu)*, 1781-1855. Homme politique français, d'une vieille famille parlementaire.
MOLÉ (la comtesse)*. Morte en 1845. Elle était née Mlle de la Briche.
MOLITOR (le maréchal comte), 1770-1849. Il fit toutes les guerres de la Révolution et de l'Empire, fut exilé à la seconde Restauration, puis rappelé, en 1818, à ses fonctions d'inspecteur général. Il commanda le 2e corps pendant la guerre d'Espagne en 1823, et fut fait ensuite Maréchal et pair de 520 France. Sous le gouvernement de Juillet, il fut gouverneur des Invalides, et grand chancelier de la Légion d'honneur.
MOLLIEN (la comtesse)*, 1785-1878. Dame du palais de la reine Marie-Amélie.
MOUNIER (le baron Claude-Philippe-Édouard), 1784-1843. Auditeur au Conseil d'État sous l'Empire, puis intendant de Saxe-Weimar, et ensuite de Basse-Silésie, il reçut en 1809 le titre de Baron et en 1813 la charge d'Intendant des bâtiments de la Couronne. Louis XVIII le confirma dans cet emploi et le fit pair en 1819. Il continua à siéger à la Chambre des pairs après 1830, et prit part, avec talent, à un grand nombre de discussions.
MONTALEMBERT (le comte Charles DE), 1810-1870. Publiciste et homme politique français, un des plus brillants défenseurs du catholicisme libéral.
MONTALIVET (le comte DE), 1801-1880. Élève de l'École polytechnique, il siégea plus tard à la Chambre des pairs parmi les libéraux. Louis-Philippe le nomma, en 1830, ministre de l'Intérieur, puis de l'Instruction publique et des Cultes. Comme intendant de la Liste civile, il créa le musée de Versailles, agrandit celui du Louvre et fit restaurer les palais de Fontainebleau, Saint-Cloud, Trianon et Pau. Il entra en 1840 à l'Académie des beaux-arts. Les événements de 1848 le rendirent à la vie privée.
MONTBRETON (Mme DE). Clémence-Marie de Nicolaï, fille du marquis et de la marquise Scipion de Nicolaï, dont le nom parut dans le procès Lafarge.
MONTEBELLO (Napoléon-Auguste Lannes DE), 1801-1874. Fils du célèbre Maréchal. Diplomate et ministre français, créé Pair à 14 ans par le Roi Louis XVIII; il se rallia au gouvernement de Juillet, et plus tard à l'Empire.
MONTENON (M. DE). Jeune homme de la Creuse qui fréquentait beaucoup le château de Valençay.
MONTESQUIOU (la comtesse Anatole DE), née en 1794. Élodie, fille du comte Henri de Montesquiou-Fezensac de Bacquencourt, épousa, en 1809, son cousin germain, aide de camp de Napoléon Ier, plus tard pair de France. Elle fut première Dame de Cour de la duchesse d'Orléans.
MONTESSUY (le comte DE). Diplomate français, il remplit les fonctions de ministre de France à Hanovre en 1849, à Parme 1855, à Darmstadt et à Francfort de 1855 à 1858. Il avait épousé une fille morganatique du prince Paul de Würtemberg.
MONTFORT (Mlle DE), 1820-1904. La princesse Mathilde, fille de Jérôme, roi de Westphalie et de Catherine, princesse de Würtemberg. Elle épousa, en 1841, le comte Anatole Demidoff, prince de San-Donato.
MONTMORENCY (la duchesse DE)*, 1774-1846. Née Mlle de Matignon, elle fut la mère du baron Raoul de Montmorency, de la princesse de Beauffremont-Courtenay et de la duchesse de Valençay. 521
MONTMORENCY (Raoul, baron DE)*, 1790-1862. Il prit le titre de Duc à la mort de son père en 1846.
MONTMORENCY (la duchesse Mathieu DE). Morte en 1858, Hortense de Chevreuse-Luynes avait épousé Mathieu de Montmorency-Laval. Sa fille unique fut la première femme du duc Sosthène de La Rochefoucauld-Doudeauville.
MONTPENSIER (la duchesse DE)*, 1627-1693. Connue sous le nom de la Grande Mademoiselle; elle était la fille du duc Gaston d'Orléans.
MONTROND (le comte Casimir DE)*. Ami de M. de Talleyrand; il fut parfois chargé de missions diplomatiques peu importantes.
MORTEMART (Arthur DE). Fils unique du duc de Mortemart, qui mourut des suites d'une chute de cheval en octobre 1840.
MOTTEVILLE (Mme DE), 1621-1689. Françoise Bertaut épousa en 1639 Nicolas Langlois, seigneur de Motteville, qui mourut en 1641. A la mort de Louis XIII, en 1643, Anne d'Autriche appela Mme de Motteville auprès d'elle, et l'admit dès lors dans son intimité. Mme de Motteville a laissé des Mémoires fort intéressants.
MUNOZ (Fernando), 1810-1873. Issu d'une famille obscure, il s'engagea de bonne heure dans l'armée espagnole et devint Garde du corps. La reine Christine se prit pour lui d'une vive passion, et l'épousa morganatiquement trois mois après la mort de Ferdinand VII. Muñoz ne montra aucune ambition; il accepta seulement d'être créé duc de Rianzarès, grand d'Espagne, et chevalier de la Toison d'or.
MUNSTER (le comte DE), 1794-1842. George Fitz-Clarence, fils naturel du roi Guillaume IV et de Mrs Jordan, entra très jeune dans l'armée, devint major général, membre du Conseil privé, aide de camp de la reine Victoria, et il reçut le titre de comte de Munster.
MURAT (Mme), 1782-1839. Caroline Bonaparte, sœur de Napoléon Ier, épousa en 1800 le général Murat. Successivement grande-duchesse de Berg en 1806 et reine de Naples en 1808, elle devint veuve en 1815 et se retira alors en Autriche, puis à Florence où elle mourut.
N
NAPIER (sir Charles), 1786-1860. Capitaine de vaisseau en 1810, il fit la campagne de Portugal. En 1815, il fut mis en non-activité; mais, en 1829, il entra au service de don Pedro de Portugal et fit triompher sa cause. Revenu en Angleterre, il fut élu à la Chambre des communes en 1834, nommé commodore en 1839, contre-amiral en 1846 et vice-amiral en 1853. En 1840, il seconda la flotte turque dans l'expédition de Syrie; mais, en 1853, il fut moins heureux et échoua devant Cronstadt.
NAPLES (le roi DE), 1810-1859. Ferdinand II *, fils du roi François Ier et d'Isabelle d'Espagne.
NAPLES (la reine DE), 1812-1836. Marie-Christine, fille du roi de Sardaigne Victor-Emmanuel Ier, 522 avait épousé en 1832 le roi Ferdinand II.
NAPLES (le prince Charles-Ferdinand DE), 1811-1862. Frère du comte de Syracuse, et époux morganatique de miss Penelope Smith, dont il eut deux enfants. Son fils porta le titre de comte Mascali.
NAPLES (le prince Léopold DE), 1813-1860. [Voir à Syracuse (comte DE)].
NEALE (la comtesse Pauline), 1779-1869. D'une famille originaire d'Irlande, établie en Prusse depuis plusieurs générations, la comtesse Neale fut dame d'honneur de la princesse Louise de Prusse, mariée en 1795 au prince Antoine Radziwill.
NEIGRE (le baron), 1774-1847. Engagé volontaire en 1790, il fit une brillante carrière dans les guerres du premier Empire. En 1813, il était général de division; plus tard, il se rallia aux Bourbons, prit part au siège d'Anvers, et siégea à la Chambre des pairs jusqu'à sa mort.
NEIPPERG (le comte Alfred DE), 1807-1865. Chambellan autrichien, major général würtembergeois, se maria en secondes noces, en 1840, avec la princesse Marie de Würtemberg.
NEMOURS (la duchesse DE), 1625-1701. Marie d'Orléans, femme de Henri II, duc de Savoie-Nemours, son cousin. En 1690, elle recueillit la principauté de Neuchâtel. Elle a laissé des Mémoires pleins de grâce et d'esprit.
NEMOURS (le duc DE)*, 1814-1896. Deuxième fils du roi Louis-Philippe.
NESSELRODE (le comte DE)*, 1780-1862. Diplomate russe, plus tard Chancelier de l'empire de Russie.
NESSELRODE (la comtesse DE)*, morte en 1849. Elle était fille du comte Gourieff, qui fut ministre des Finances russes.
NEUMANN (le baron). Diplomate autrichien qui avait épousé, en Angleterre, une fille du duc de Beaufort.
NEY (la maréchale). Duchesse d'Elchingen, princesse de la Moskowa. Née Aglaé-Louise de Lascans, elle avait épousé en 1802 le maréchal Ney. La mère de la Maréchale avait rempli des fonctions auprès de la reine Marie-Antoinette, ce qui avait amené des relations d'enfance entre sa fille et Madame la Dauphine.
NICOLAÏ (la marquise Scipion DE), née Lameth. Elle fut la mère de Mme de Léautaud et de Mme de Montbreton, dont il fut fort question à propos d'un vol de diamants, dans le procès Lafarge.
NICOLE (Pierre), 1625-1695. Moraliste, théologien et controversiste, l'un des écrivains les plus remarquables de Port-Royal où il enseigna les belles-lettres. Il écrivit, avec Arnaud et Pascal, contre les Jésuites; fut enveloppé dans les poursuites dont les Jansénistes furent l'objet, et se vit obligé de quitter la France en 1679; il ne put y revenir que par l'intervention de Mgr de Harlay, archevêque de Paris.
NINA LASSAVE. Fille de Laurence Petit pour qui Fieschi avait conçu une grande passion dans sa prison 523 d'Embrun. Nina, âgée de 15 ans, avait été laissée à Fieschi par Laurence.
NOAILLES (le duc Paul DE)*, 1802-1885. Il succéda, dès l'âge de vingt ans, à la Pairie, par la mort de son grand-oncle, le duc Jean de Noailles.
NOAILLES (la vicomtesse DE)*, 1792-1851. Fille du duc de Poix, elle avait épousé son cousin, le vicomte Alfred de Noailles.
NOAILLES (le comte Maurice DE). Né en 1808, il épousa, en 1842, sa cousine, Mlle Pauline de Noailles, fille du duc de Noailles.
NORTON (Mrs). Née en 1808. Caroline-Élisabeth-Sarah Norton était la petite-fille de Sheridan; très connue par sa liaison avec lord Melbourne, son mari lui intenta en 1836 un procès en adultère qui fit grand bruit. Le jury acquitta lord Melbourne en dépit de fortes présomptions contre lui. Mrs Norton se sépara de son mari, et acquit une certaine notoriété dans les lettres anglaises par ses romans et ses articles de journaux.
O
O'CONNELL (Daniel)*, 1775-1847. Patriote et agitateur irlandais.
O'CONNELL (Maurice). Mort en 1853. Fils aîné de Daniel O'Connell, et continuateur de sa politique à la Chambre des communes.
OFFALIA (le comte D'), 1777-1843. Homme d'État espagnol; d'abord secrétaire d'ambassade à Washington en 1800, il fut ensuite ministre de la Justice en 1823, ambassadeur à Paris en 1828, ministre de l'Intérieur en 1832, chef du Cabinet et ministre des Affaires étrangères en 1837.
OLLIVIER (l'abbé Nicolas-Théodore). Né en 1798. Curé de Saint-Roch, à Paris, il fut nommé évêque d'Évreux en 1841.
OMPTEDA (la baronne)*, 1767-1843. Née comtesse de Schlippenbach.
ORANGE (le prince Guillaume D')*, 1792-1849. Il monta sur le trône de Hollande en 1840.
ORANGE (la princesse D')*. Née Anne Paulowna, fille de l'empereur Paul de Russie.
ORIE (le docteur). Médecin de Bourgueil en Touraine. Il mourut subitement sur la route entre Benais et Bourgueil. Sur la place même où il a expiré, on a dressé une colonne avec cette inscription commémorative: Ici mourut le Dr Orie, le 14 juillet 1846.
ORLÉANS (le duc D')*, 1741-1793. Louis-Philippe-Joseph, dit Philippe-Égalité, mort sur l'échafaud révolutionnaire.
ORLÉANS (le duc D')*, 1810-1842. Ferdinand, fils aîné du roi Louis-Philippe et Prince Royal.
ORLOFF (le comte), 1781-1861. Alexis Fédorowitch, prit part à toutes les guerres contre Napoléon Ier, et, à partir de 1828, entra dans la diplomatie russe.
P
PAHLEN (le comte)*. Né en 1775. Diplomate russe, ambassadeur à Paris. 524
PALATINE (la princesse), 1616-1684. Anne de Gonzague, épousa Édouard, Comte palatin, fils de l'Électeur palatin Frédéric V, et vint se fixer à Paris, où elle fit l'ornement de la cour d'Anne d'Autriche, par sa beauté et son esprit. Après une vie de plaisirs et d'intrigues politiques, elle essuya une disgrâce, par l'influence de Mazarin, et passa ses dernières années à l'écart. Bossuet prononça son Oraison funèbre, une des plus célèbres qu'il ait composées.
PALFFY (la princesse). Née en 1774. Fille du comte de Hohenfeld, épouse du prince Joseph Palffy, mort en 1827.
PALMELLA (la duchesse DE). Descendante de Vasco da Gama, elle avait épousé dom Pedro de Souza-Holstein, duc de Palmella, homme d'État portugais.
PALMERSTON (lord)*, 1784-1865. Homme politique anglais, longtemps ministre des Affaires étrangères.
PALMYRE (Mme)*. Habile couturière parisienne.
PARIS (le comte DE), 1838-1894. Fils aîné du duc d'Orléans et de la princesse Hélène de Mecklembourg-Schwerin. Après la mort du comte de Chambord, il devint le chef de la maison de France.
PASCAL (Blaise), 1623-1662. L'un des plus grands et des plus nobles génies du dix-septième siècle: mathématicien, physicien et philosophe. La querelle entre les Jansénistes et les Jésuites lui procura l'occasion de se montrer la plus forte plume de Port-Royal.
PASQUIER (le duc Étienne)*, 1767-1862. Homme politique et pair de France, nommé Chancelier en 1837.
PASSY (Hippolyte-Philibert)*, 1793-1880. Homme politique français, député et membre de l'institut.
PAYS-BAS (la reine des), 1774-1837. Wilhelmine, fille du roi Guillaume II de Prusse, épouse du roi Guillaume Ier des Pays-Bas.
PAYS-BAS (la princesse Frédéric des)*, 1808-1870. Née princesse Louise de Prusse, fille de Frédéric-Guillaume III.
PÉAN. Un des valets de chambre du prince de Talleyrand.
PEEL (sir Robert)*, 1788-1850. Homme d'État anglais, membre de plusieurs ministères.
PEMBROKE (lady Catherine). Fille unique du comte Woronzoff, épousa, en 1808, lord George-Auguste Pembroke, dont elle devint veuve en 1827.
PENELOPE SMITH (miss), 1815-1882. Épouse morganatique du prince Charles de Naples, comte de Capoue. Victor-Emmanuel lui reconnut ce titre.
PÉPIN*, 1780-1836. Marchand épicier, complice de Fieschi, et, comme lui, exécuté sur l'échafaud.
PÉRIGORD (le comte Paul DE), 1811-1880. Paul-Adalbert-René de Talleyrand-Périgord, époux de Mlle Amicide de Saint-Aignan, qui mourut en 1854.
PÉRIGORD (Mlle Pauline DE)*, 1820-1890. Fille de la duchesse de Dino, elle épousa, en 1839, le marquis Henri de Castellane. 525
PÉRIGORD (Boson DE), 1832. Fils aîné du duc de Valençay et de sa première femme, Mlle de Montmorency. Il porta plus tard le titre de duc de Talleyrand et de Sagan.
PERPONCHER (le comte Henri DE), 1771-1856. Général d'infanterie en Hollande, il devint ministre des Pays-Bas, à la Cour de Frédéric-Guillaume III.
PERPONCHER (la comtesse DE), morte en 1861. Adélaïde, comtesse de Reede, épousa en 1816, le comte Henri de Perponcher.
PERREGEAUX (le comte DE), 1785-1841. D'abord auditeur au conseil d'État, il remplit ensuite quelques missions administratives sous l'Empire; la Restauration le tint à l'écart, mais le roi Louis-Philippe le créa pair de France en 1831.
PETETOT (l'abbé Louis-Pierre), 1801-1887. Supérieur général de l'ordre de l'Oratoire, après avoir été curé de Saint-Louis-d'Antin et de Saint-Roch, il dirigea cet ordre pendant plus de vingt ans, puis démissionna en 1884.
PEYRONNET (le comte DE), 1778-1854. Émigré durant la Révolution et l'Empire, il fut élu député sous la Restauration, et siégea à droite parmi les ultras; ministre de la Justice sous M. de Villèle, il attacha son nom à toutes les mesures rétrogrades. Devenu, en 1829, ministre de l'intérieur dans le ministère Polignac, il fut un des rédacteurs des Ordonnances qui provoquèrent la révolution de Juillet. Arrêté, jugé par la Cour des pairs, il fut condamné à la détention perpétuelle. Il passa six ans au fort de Ham, puis fut gracié, mais vécut dès lors dans une retraite absolue, dans sa propriété de Montferrand, près de Bordeaux.
PIATOLI (l'abbé Scipion), 1750-1809. Né à Florence, il entra dans les ordres. La princesse Lubomirska, née Czartoryska, qui voyageait en Italie, le prit comme instituteur pour son neveu, le prince Henri Lubomirski; l'Abbé vint avec elle en Pologne en 1787 et le comte Ignace Potocki, frappé de ses qualités, le fit nommer secrétaire du roi Stanislas-Auguste. L'abbé Piatoli persuada le Roi de se joindre au parti patriotique polonais, et il devint le rédacteur, après en avoir donné lui-même la direction, de la Constitution du 3 mai 1791. Après le second démembrement de la Pologne, il quitta le pays, et fut attaché comme précepteur auprès de la princesse Dorothée de Courlande. Il obtint, plus tard, par l'entremise du prince Adam Czartoryski, une place au service de la Russie. Très savant, plein d'imagination et de sentiments élevés, il était très imbu d'idées voltairiennes.
PIE VII (le pape), 1740-1823. Barbé Chiaramonti, bénédictin, puis évêque de Tivoli, reçut la pourpre en 1795 avec l'évêché d'Imola, et fut élu Pape en 1800. Il réorganisa ses États, signa un Concordat avec Bonaparte, puis vint le sacrer Empereur à Paris en 1804. Quelques années après, ayant refusé d'expulser les ennemis 526 de la France, il vit ses États envahis, et ses provinces furent réunies à l'Empire français. Ayant excommunié l'Empereur, il dut subir une dure captivité à Fontainebleau. Le Congrès de Vienne lui rendit ses possessions en 1814, et il y retourna. Il eut la générosité de donner asile, à Rome, à plusieurs membres de la famille de l'Empereur déchu.
PIMODAN (le marquis DE), né en 1789. Camille de Rarécourt de la Vallée, marquis de Pimodan, capitaine de cavalerie, gentilhomme honoraire de la chambre du roi Charles X, chevalier de la Légion d'honneur. Il avait épousé, en 1819, Mlle de Frénilly.
PISCATORY (Théobald-Émile), 1799-1870. Il se rendit en Grèce, sous la Restauration, pour y défendre la cause de l'indépendance. Il fut nommé député en 1832 et vota toujours avec la majorité conservatrice. De 1844 à 1846, il fut ministre plénipotentiaire en Grèce, et y contre-balança habilement l'influence anglaise. En 1846, il fut fait pair de France; en 1847, il fut nommé ambassadeur en Espagne. Il quitta la vie politique après le coup d'État de 1851.
PLAISANCE (la duchesse DE), 1786-1854. Marie-Anne-Sophie, fille du marquis de Barbé-Marbois, épousa Lebrun, duc de Plaisance. Spirituelle et un peu étrange, elle quitta de bonne heure la France pour la Grèce où elle mourut.
PLESSEN (M. DE). Mort en 1837. En 1832, il était ministre et conseiller privé du grand-duché de Mecklembourg, il négocia le mariage de la princesse Hélène avec le duc d'Orléans.
POLIGNAC (le prince Jules DE)*, 1780-1847. Ministre de Charles X, signataire des ordonnances de Juillet, il fut condamné par la Cour des pairs, puis amnistié en 1837.
POLIGNAC (la princesse DE)*, 1792-1864. Charlotte Parkyns, fille de Lord Rancliffe, épousa en premières noces le marquis de Choiseul, et en secondes noces, en 1821, le prince Jules de Polignac.
POMPONNE (le marquis DE), 1618-1699. Simon-Arnauld, marquis de Pomponne, fils d'Arnauld d'Andilly, conseiller du Roi en 1644; disgracié avec Fouquet et relégué à Verdun en 1662, il rentra en grâce trois ans après, et fut envoyé comme ambassadeur à Stockholm; le Roi lui donna ensuite le ministère des Affaires étrangères, et ce fut sous son administration que la glorieuse paix de Nimègue fut conclue. De nouveau disgracié, il ne revint au Ministère qu'après la mort de Louvois.
PONSONBY (lord)*, 1770-1855. Ambassadeur d'Angleterre à Constantinople de 1832 à 1837.
PONTOIS (le comte Charles-Édouard DE), 1792-1871, diplomate français, il fut, sous Louis-Philippe, ministre plénipotentiaire de France au Brésil, puis aux États-Unis; il fut, ensuite, ambassadeur de France à Constantinople. En 1846 il fut appelé à la Chambre des pairs.
POTEMKIN (Ivan-Alexiéwitch), 1778-1849. 527 Diplomate russe, conseiller intime, il fut nommé ambassadeur à Rome en 1840, et mourut à Naples.
POZZO DI BORGO (le comte), 1764-1842. Corse de naissance, il fut diplomate au service russe, et notamment ambassadeur à Paris.
PRASLIN (le marquis Charles-Hughes-Théobald DE), 1805-1847. Il prit le titre de Duc à la mort de son père; Chevalier d'honneur de la duchesse d'Orléans en 1837, il siégea à la Chambre des députés de 1839 à 1842, puis fut appelé à la Pairie en 1845. Il avait épousé en 1824 la fille du maréchal Sébastiani, et ils eurent tous deux la fin la plus tragique en 1847, M. de Praslin ayant tué sa femme dans un accès de folie, et s'étant suicidé ensuite.
PREISSAC (le comte François-Jean DE), 1778-1852. Préfet de la Gironde, député, puis pair de France en 1832. Il avait épousé Mlle de Francfort, fille d'un ancien colonel du régiment Royal-cavalerie.
PRIMAT DE FRANCFORT (le prince). Charles de Dalberg, 1744-1817. Entré dans les ordres, il devint en 1772 conseiller intime de l'Électeur de Mayence, puis gouverneur d'Erfurth et coadjuteur de l'archevêque de Mayence, auquel il succéda en 1802. Il devint en 1806 Prince primat de la Confédération du Rhin, Prince souverain de Ratisbonne et grand-duc de Fulda. Charles de Dalberg bénit à Francfort, en avril 1810, le mariage de la princesse de Courlande, avec le comte Edmond de Périgord, plus tard duc de Dino, et, après la mort de son père, duc de Talleyrand.
PRUSSE (le prince Frédéric DE), 1794-1863. Fils unique du prince Louis de Prusse et de la princesse Frédérique de Mecklembourg-Strelitz, sœur de la reine Louise.
PRUSSE (la princesse Frédéric DE), 1799-1882. Fille du duc d'Anhalt-Bernbourg, elle avait épousé en 1817 le prince Frédéric.
PRUSSE (la princesse Guillaume DE), 1785-1846. Amélie-Marianne, fille du landgrave Louis de Hesse-Hombourg, épousa, en 1804, le prince Guillaume de Prusse, frère de Frédéric-Guillaume III.
PRUSSE (le prince Guillaume DE), 1797-1888. Second fils du roi Frédéric-Guillaume III. Son frère aîné n'ayant pas d'enfant, il prit en 1840 le titre de prince de Prusse, à l'avènement au trône de Frédéric-Guillaume IV, lui succéda comme Roi en 1861 et devint, en 1870, le premier empereur d'Allemagne de la maison de Hohenzollern.
PRUSSE (la princesse Guillaume DE), 1816-1890. La princesse Augusta de Saxe-Weimar-Eisnach, épousa en 1829 le prince Guillaume, fils du Roi Frédéric-Guillaume III. Elle fut plus tard l'impératrice Augusta.
PRUSSE (le prince Charles DE), 1801-1883. Troisième fils du Roi Frédéric-Guillaume III et de la Reine Louise.
PRUSSE (la princesse Charles DE), 1808-1877. Marie, fille du grand-duc 528 de Saxe-Weimar, épousa en 1827 le prince Charles de Prusse.
PRUSSE (le prince Albert DE), 1809-1872. Quatrième fils du Roi Frédéric-Guillaume IV, il épousa en 1830 la princesse Marianne des Pays-Bas, dont il divorça en 1849; il épousa morganatiquement, en 1853, Mlle de Rauch, à laquelle on décerna le titre de comtesse de Hohenau.
PRUSSE (la princesse Albert DE), 1810-1883. Marianne, fille du Roi des Pays-Bas, épousa, en 1830, le prince Albert de Prusse, le plus jeune fils de Frédéric-Guillaume III dont elle eut deux enfants. Divorcée en 1849, elle quitta la cour de Prusse.
PRUSSE (le prince Adalbert DE), 1811-1873. Fils du prince Guillaume de Prusse, frère de Frédéric-Guillaume III, et d'une princesse de Hesse-Hombourg, il était commandant en chef de la marine prussienne; il épousa morganatiquement, en 1850 Thérèse Elssler, qui reçut le titre de baronne de Barnim.
PRUSSE (la princesse Marie DE), 1825-1889. Sœur du précédent. Elle épousa en 1842 le Prince royal de Bavière, qui devint Roi en 1848, sous le nom de Maximilien II et mourut en 1864.
PÜCKLER (le prince Hermann-Louis-Henri), 1795-1871. Officier des gardes du corps à Dresde en 1804, il passa au service russe de 1813 à 1815, et épousa, en 1817, la fille du prince Hardenberg, dont il se sépara en 1826. Il devint, en 1863, membre de la Chambre des seigneurs en Prusse. Il voyagea beaucoup et fut un grand amateur de parcs et de jardins.
PÜCKLER (la princesse), 1776-1854. La princesse Anna Hardenberg épousa en premières noces le comte de Pappenheim, en 1796; elle divorça, en 1817, pour épouser le prince Hermann Pückler, dont elle se sépara en 1826.
PUTBUS (le comte Malte), 1807-1837. Attaché à la légation diplomatique de Prusse à Naples, il mourut de la poitrine. Sa sœur était la comtesse Lottum.
Q
QUATREMÈRE DE QUINCY (Antoine-Chrysostome), 1755-1849. Il s'adonna de bonne heure à l'étude de l'antiquité et des arts, et il laissa des ouvrages importants sur ces matières. Il fut député de Paris à l'Assemblée législative de 1791, membre du Conseil des Cinq-Cents en 1797; Intendant des théâtres en 1815, professeur d'archéologie en 1818; il fut membre de l'Académie des inscriptions et belles-lettres et de celle des beaux-arts.
QUÉLEN (Mgr DE)*, 1778-1839. Coadjuteur du cardinal de Talleyrand-Périgord, il lui succéda à l'archevêché de Paris en 1821.
R
RACHEL (Mlle), 1820-1858. Grande tragédienne. Elle était la fille d'un pauvre colporteur israélite du 529 nom de Félix; après une enfance misérable, elle entra au Conservatoire, débuta au Gymnase, et fut admise en 1838 au Théâtre-Français, où elle rendit avec une admirable perfection les plus beaux rôles de Corneille et de Racine. En 1856, elle entreprit une tournée en Amérique, et y contracta une maladie de poitrine qui devait bientôt la conduire au tombeau.
RACZYNSKI (le comte Athanase), 1788-1874. Diplomate au service de la Prusse; il fut, pendant plusieurs années, ministre à Lisbonne et à Madrid, montrant le plus grand désintéressement et sans jamais toucher ses appointements; ces fonds forment maintenant un capital au ministère des Affaires étrangères, qui rend les plus grands services aux diplomates en détresse. Très riche, le comte Raczynski rassembla une belle collection de tableaux qu'il légua à la Couronne et écrivit plusieurs ouvrages sur les arts. Sa correspondance politique a été aussi publiée. Il avait épousé en 1816 la princesse Anna Radziwill. Il était membre de la Chambre des seigneurs et conseiller intime.
RADZIWILL (la princesse Louise), 1770-1836. Fille du prince Ferdinand de Prusse, plus jeune frère de Frédéric le Grand, elle épousa en 1796 le prince Antoine Radziwill.
RADZIWILL (le prince Guillaume), 1797-1870. Général d'infanterie au service de Prusse, commandant successivement de plusieurs corps d'armée, et membre de la Chambre des seigneurs. Il épousa en premières noces, en 1825, sa cousine Hélène Radziwill, qui mourut en 1827, et en secondes noces, en 1832, la comtesse Mathilde Clary.—Il était fils aîné du prince Antoine Radziwill et de la princesse Louise de Prusse.
RADZIWILL (la princesse Guillaume), 1806-1896. Mathilde, fille du prince Charles Clary-Aldringen et de la comtesse Louise Chotek, épousa le prince Guillaume Radziwill en 1832.
RADZIWILL (la princesse Boguslaw), 1811-1890. Léontine, troisième fille du prince Charles Clary, épousa en 1832 le prince Boguslaw Radziwill, fils cadet du prince Antoine Radziwill.
RANTZAU (le comte Josias DE), 1609-1650. Il prit du service en France en 1635 sous le Roi Louis XIII, après avoir servi successivement le prince d'Orange, le Roi Christian IV de Danemark, Gustave-Adolphe et l'Empereur Ferdinand II. Il fut maréchal de France.
RANTZAU (le comte Antoine DE), 1793-1849. Chambellan et capitaine au service du grand-duc de Mecklembourg-Schwerin.
RAQUENA (le comte DE), 1821-1878. Fils du duc de la Rocca, il porta ce titre après la mort de son père. Officier d'artillerie espagnol, il servit plus tard dans le corps royal des hallebardiers, et mourut avec le grade de général. Grand seigneur, grand joueur, sa vie fut des plus aventureuses.
RATISBONNE (l'abbé Marie-Théodore), 1802-1884. Fils d'un banquier 530 juif de Strasbourg, il venait de terminer son droit lorsqu'il se convertit au catholicisme et prit les ordres. Il se fit connaître comme écrivain et comme prédicateur, et fonda la congrégation de Notre-Dame de Sion.
RATISBONNE (Alphonse), 1812-1884. Frère de Théodore Ratisbonne; il se convertit aussi au catholicisme et entra dans la congrégation de Notre-Dame de Sion, fondée par son frère.
RAUCH (Chrétien-Daniel), 1777-1857. Célèbre sculpteur prussien; il partit en 1804 pour étudier à Rome, puis revint en 1811 à Berlin où il fut très protégé parla cour.
RAULLIN (M.)*, conseiller d'État français.
RAVIGNAN (l'abbé DE), 1795-1858. Né à Bayonne, il commençait sa carrière dans la magistrature quand, obéissant à sa vocation, il quitta le monde, entra au séminaire, puis dans l'ordre des Jésuites. Il s'y distingua par ses hautes vertus et son talent de prédicateur. Il eut à prononcer l'oraison funèbre de Mgr de Quélen, archevêque de Paris.
RAYNEVAL (Maximilien DE), 1778-1836. Diplomate français, auquel ses services valurent le titre de Comte et la Pairie.
RAZUMOWSKI (la comtesse). Elle était née princesse Wiasemski.
RÉCAMIER (Mme)*, 1777-1849. Célèbre par sa beauté et par l'amitié profonde qui l'unit aux plus hautes personnalités littéraires de son temps, notamment à Chateaubriand.
RECKE (la baronne DE), 1754-1833. Élisabeth-Charlotte, comtesse de Medem, sœur de la duchesse de Courlande, avait épousé en 1774 le baron de Recke, dont elle divorça en 1776, et perdit sa fille unique l'année suivante. Elle voyagea beaucoup en Italie, en Allemagne, et fut liée avec tous les hommes de lettres de son temps; elle-même écrivit plusieurs ouvrages.
REDERN (la comtesse DE), 1772-1842. Wilhelmine d'Otterstaedt, épousa le comte Wilhelm-Jacob de Redern et eut deux fils, Guillaume et Henri.
REDERN (le comte Guillaume DE), 1802-1880. Gros propriétaire prussien, membre de la Chambre des seigneurs, et plus tard grand chambellan à la cour de l'Empereur Guillaume Ier.
REDERN (la comtesse DE), 1811-1875. Bertha Ienisz, fille d'un sénateur de Hambourg, épousa en 1834 le comte Guillaume de Redern. Elle n'eut qu'une fille, qui mourut en bas-âge.
REEDE (la comtesse DE), 1769-1847. Née Krusemackt, fille et sœur de deux généraux prussiens de ce nom. En 1823, lors du mariage du Prince royal de Prusse, la comtesse de Reede fut nommée Grande maîtresse de cour de la Princesse royale.
REINHARD (le comte Charles-Frédéric), 1761-1837. Né en Würtemberg, il étudia à l'Université de Tubingue et y connut Gœthe. Il entra dans la diplomatie française en 1792, fut ministre plénipotentiaire à Florence en 1797 et, en 531 1799, remplaça le prince de Talleyrand au ministère des Affaires étrangères. Il fut fait pair de France en 1832, après avoir été fait Comte en 1814. Il était membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres et de l'Académie des Sciences morales et politiques.
REUILLY (M.), avocat, maire de Versailles, chevalier de la Légion d'honneur; il était, en 1840, député de Seine-et-Oise. Il fut membre de la Constituante de 1848.
RÉMUSAT (le comte Charles DE)*, 1797-1875. Écrivain et homme politique français.
RETZ (le cardinal DE)*, 1614-1679. Joua un grand rôle pendant la Fronde, et laissa des Mémoires remarquables.
REUSS-SCHLEITZ-KOESTRITZ (le prince Henri LXIV), 1787-1856. Général, feld-maréchal au service d'Autriche, et divisionnaire à Prague, il était propriétaire du 7e régiment de hussards.
REUSS-SCHLEITZ (la princesse Sophie-Adélaïde). Née en 1800; fille du prince Henri LI de Reuss-Ebersdorff.
RIBEAUPIERRE (le comte Alexandre DE), 1783-1865. Originaire d'une famille de la Suisse française. Son grand-père était venu en Russie à la suite de la princesse Sophie de Zerbst, plus tard Catherine II. Son père avait épousé la sœur du général Bibikoff; devenu général-major, il mourut au siège d'Ismaïl. Alexandre de Ribeaupierre se destina à la diplomatie, et devint ministre de Russie à Constantinople et à Berlin. Créé Comte en 1856, il avait épousé Mlle Potemkin.
RICHELIEU (le duc DE), 1696-1788. Maréchal de France. Il joua un rôle brillant à la cour de Louis XIV et de Louis XV. Il entra, dès 1720, à l'Académie française et fut un ami de Voltaire. Arrière-petit-neveu du Cardinal par les femmes, il était filleul de Louis XIV et de la duchesse de Bourgogne; il avait fait ses premières armes sous Villars. Ambassadeur à Vienne, en 1725, il opéra habilement un rapprochement entre la France et l'Autriche. Après quelques exploits militaires en Allemagne, pendant la guerre de Sept ans, il ne s'occupa, vers la fin de sa vie, que d'intrigues et de plaisirs.
RIGNY (le comte Henri-Gauthier DE)*, 1783-1835. Amiral français, plusieurs fois ministre et aussi ambassadeur à Naples.
RIGNY (le vicomte Alexandre DE), 1790-1873. Fils d'un officier de cavalerie et de la sœur de l'abbé Louis, il sortit de l'École militaire de Fontainebleau en 1807, prit part aux campagnes de Prusse, de Pologne, d'Autriche et d'Espagne. Maréchal de camp en 1830, il fit partie de la première expédition de Constantine en 1836, et, bien qu'il eût montré, lors de la retraite, une incontestable bravoure, il se vit en butte aux imputations les plus graves de la part du général Clausel. Un Conseil de guerre l'acquitta à l'unanimité en 1837, mais il fut relégué au commandement de la subdivision de 532 l'Indre, jusqu'en 1848, et mis à la retraite en 1849.
RIGNY (Mlle Auguste DE). Elle était la fille du général de Rigny et fut l'héritière de son oncle, le baron Louis.
RIVERS (lady), morte en 1866. Suzan-Georgiana Leveson-Gower, fille de lord Granville, avait épousé, en 1833, George Pitt, lord Rivers.
ROHAN (le duc DE), 1789-1869. Fernand de Rohan-Chabot suivit tout enfant son père dans l'émigration, puis, revenu en France, entra à vingt ans dans l'armée, avec le grade de sous-lieutenant de hussards. Le jeune Rohan, qui portait alors le titre de prince de Léon, assista à la bataille de Wagram, puis devint aide de camp de l'Empereur. Fait prisonnier en 1814, il fut échangé peu après. Sous la Restauration, il devint aide de camp du duc de Berry, puis premier écuyer du duc de Bordeaux, enfin maréchal de camp en 1824. Après 1830, il vécut dans la retraite.
ROOTHE (Mme DE). Célèbre par sa beauté, elle épousa le duc de Richelieu, alors âgé de plus de 80 ans et dont elle était la troisième femme.
ROOTHE (M. DE). Fils du premier mariage de la duchesse de Richelieu.
ROSAMEL (M. DE), 1774-1848. Claude-Charles-Marie du Camp de Rosamel, marin français, capitaine de vaisseau en 1814, contre-amiral en 1823. Il fit la campagne d'Alger en 1830. En 1836, il reçut le portefeuille de la Marine dans le ministère Molé, et en 1839, entra à la Chambre des pairs.
ROSSE (le comte Lawrence DE), 1758-1841. Il épousa en 1797 Miss Alice Lloyd. Il se distingua dans le Parlement irlandais par sa popularité et son éloquence. Il succéda à la mort de son père, en 1807, à son siège dans la Chambre des lords. Il est le père du savant astronome William Rosse.
ROSSI (la comtesse), 1803-1854. Henriette Sontag, d'origine suédoise, fut une cantatrice célèbre. En 1830, elle renonça au théâtre, par son mariage avec le comte Rossi, et elle régna, dès lors, dans les salons aristocratiques par les grâces de son esprit et la dignité de sa conduite. En 1848, des revers de fortune la déterminèrent à réapparaître sur les scènes de Paris et de Londres, puis elle passa en Amérique et mourut du choléra à Mexico.
ROTHSCHILD (Mme Salomon DE)*, 1774-1855. Elle avait épousé le second fils de Mayer-Anselme Rothschild, qui créa les succursales de Vienne et de Paris.
ROTHSCHILD (James DE), 1793-1868. Quatrième fils de Mayer-Anselme Rothschild, établi à Paris.
ROUGÉ (le marquis Alexis DE), 1778-1838. Créé pair de France en 1815. Il avait épousé, en 1804, Mlle de Crussol d'Uzès.
ROUSSEAU (J.-J.), 1712-1778. Célèbre écrivain et philosophe. Né à Genève, fils d'un horloger, son éducation fut très négligée. Il fut, avec Voltaire, un élément révolutionnaire important du dix-huitième siècle. 533
ROUSSIN (l'amiral)*, 1781-1854. Pair de France, ambassadeur à Constantinople de 1832 à 1834 et ministre de la Marine en 1840.
ROVIGO (le duc DE), 1774-1833. Anne-Jean-Marie-René Savary. Aide de camp du général Bonaparte, en Égypte, puis commandant de la gendarmerie d'élite du Premier Consul, il fut chargé de faire exécuter la sentence capitale prononcée contre le duc d'Enghien, en 1804, et fut alors nommé général. Après la bataille de Friedland, il fut fait duc de Rovigo; en 1810, il succéda à Fouché comme ministre de la Police. Après 1815, les Anglais refusèrent de l'envoyer à Sainte-Hélène avec Napoléon, et la Restauration le fit condamner à mort, mais il s'échappa, et fut plus tard acquitté. En 1831, il fut commandant de l'armée d'Algérie; il y effraya les indigènes par ses rigueurs, mais fit construire de belles routes stratégiques.
ROY (le comte Antoine) 1764-1847. Avocat, puis député, il devint, en 1818, ministre des Finances et apporta dans ce département d'utiles réformes. Il fut membre de la Chambre des Pairs sous la Restauration et sous la monarchie de Juillet.
ROYER-COLLARD (Pierre-Paul)*, 1763-1845. Philosophe et homme d'État français. Membre de l'Académie.
RUBINI (J.-B.)*, 1795-1854. Célèbre ténor italien.
RUMFORD (Mme DE), 1766-1836. Mlle de Paulze, épouse en premières noces du savant Lavoisier qui mourut sur l'échafaud révolutionnaire, épousa, en 1804, Rumford, physicien et philosophe allemand. Devenue veuve en 1814, elle eut à Paris un salon célèbre.
RUMIGNY (le comte Marie-Théodore DE), 1789-1860. Il prit part aux guerres du premier empire, et fut aide de camp du général Gérard, en 1812. En 1830, Louis-Philippe le nomma Maréchal de camp; après 1848, il accompagna le Roi en Angleterre et vécut dès lors dans la retraite.
RUSSELL (lord William)*, 1790-1846. Diplomate anglais, ambassadeur à Berlin.
RUSSELL (lord John)*. Homme d'État anglais, membre de plusieurs ministères, deux fois chef de cabinet.
RUSSIE (l'Impératrice Marie de), 1759-1828. Marie-Féodorovna, ci-devant Sophie, fille du duc Frédéric de Würtemberg, seconde femme de l'Empereur Paul, mère d'Alexandre Ier et de Nicolas Ier. Elle devint veuve en 1801.
RUSSIE (la grande-duchesse Constantin de), 1781-1831. Julienne, princesse de Saxe-Cobourg-Gotha, épousa, en 1796, le grand-duc Constantin de Russie et fut baptisée sous le nom d'Anna-Féodorovna.
RUSSIE (l'Empereur de), 1796-1855. Nicolas Ier*.
RUSSIE (l'Impératrice de), 1798-1860. Charlotte, fille de Frédéric-Guillaume III de Prusse, épousa en 1817 le grand-duc Nicolas de Russie, qui monta sur le trône en 1825.
RUSSIE (la grande-duchesse Hélène de), 1807-1873. Fille du prince 534 Paul de Würtemberg et de son premier mariage avec une princesse de Saxe-Altenbourg, elle épousa en 1824 le grand-duc Michel de Russie, plus jeune fils de l'Empereur Paul.
RUSSIE (le grand-duc héritier de), 1818-1881. Alexandre, fils de l'Empereur Nicolas, auquel il succéda en 1855 sous le nom d'Alexandre II. En 1841, il épousa la princesse de Hesse-Darmstadt.
RUSSIE (la grande-duchesse Olga de), 1822-1892. Fille de l'Empereur Nicolas Ier de Russie, elle épousa en 1846 le prince héréditaire de Würtemberg, qui devait succéder à son père sur le trône cette même année.
S
SAGAN (la duchesse DE), 1781-1839. Wilhelmine, fille aînée du duc Pierre de Courlande; elle se maria trois fois: 1o En 1800, avec le prince Henri de Rohan; 2o avec le prince Troubetskoï, et 3o avec le comte Charles de Schulenbourg, qui lui survécut. La duchesse de Sagan mourut subitement à Vienne sans laisser d'enfants.
SAINT AUGUSTIN, 354-430. Évêque d'Hippone, fils de sainte Monique et un des Pères de l'Église.
SAINT-BLANCARD (le marquis DE), 1814-1897. Ancien page du roi Charles X. Il avait épousé Mlle de Bauffremont.
SAINT-CYRAN (l'abbé DE), 1581-1643. Jean Duvergier de Hauranne suivit les cours de l'Université de Louvain, s'y lia avec les Jansénistes dont il embrassa les doctrines avec ardeur, et obtint en 1620 l'abbaye de Saint-Cyran. Il comptait beaucoup de disciples et d'amis, entre autres Arnauld, Lemaistre de Sacy, Bignon, etc. Il attaqua les Jésuites dans quelques écrits, et Richelieu le fit emprisonner pendant quatre ans.
SAINTE-ALDEGONDE (la comtesse Camille DE)*, 1793-1869. Veuve d'un aide de camp du Roi Louis-Philippe.
SAINTE-AULAIRE (le comte DE)*, 1778-1854. Pair de France et diplomate, successivement ambassadeur à Rome, à Vienne et à Londres.
SAINTE-AULAIRE (la comtesse DE). Née Louise-Charlotte-Victoire de Grimoard de Beauvoir du Roure-Brison, elle avait épousé, en 1809, M. de Sainte-Aulaire, déjà veuf.
SAINT-LEU (la duchesse DE)*, 1783-1837. Née Hortense de Beauharnais; elle était veuve de Louis Bonaparte, roi de Hollande, et mère du futur Napoléon III.
SAINT-PRIEST (le comte Alexis DE)*. Diplomate et écrivain français, il fut membre de l'Académie française.
SAINT-SIMON (Louis de Rouvroy, duc DE), 1675-1755. Grand seigneur de la cour de Louis XIV, il écrivit des Mémoires célèbres et importants pour l'histoire de son temps.
SALERNE (le prince DE), 1790-1851. Léopold de Bourbon, frère de François Ier, roi de Naples, fut inspecteur général de la garde 535 royale et propriétaire du 22e régiment d'infanterie autrichien. Il épousa en 1816 l'archiduchesse Marie d'Autriche, et en eut une fille, qui devint la duchesse d'Aumale.
SALERNE (la princesse DE), 1798-1880. Marie, fille de l'Empereur François Ier d'Autriche.
SALVANDY (le comte DE)*, 1795-1856. Littérateur et homme politique français, ambassadeur et plusieurs fois ministre.
SALVANDY (la comtesse DE). Julie Ferey, fille d'un manufacturier et homme politique, épousa en 1823 le comte de Salvandy.
SANDWICH (lady), morte en 1853. Louise, fille de lord Belmore, épousa en 1804 George-John Montagu, lord Sandwich, qui mourut en 1818. Une de ses filles fut la première femme du comte Walewski.
SAULX-TAVANNES (le duc Roger-Gaspard DE), 1806-1845. Il hérita de la pairie en 1820, à la mort de son père, mais il ne prit aucune part aux travaux de la Chambre et se suicida à 39 ans, mettant fin ainsi à cette vieille famille ducale.
SAUZET (Paul)*, 1800-1876. Avocat, puis député, il fut ministre de la Justice en 1836.
SAXE (Auguste II le Fort, Électeur de), 1670-1733. Plus tard Roi de Pologne, élu après la mort de Jean Sobieski, à force d'intrigues et d'argent, et couronné à Varsovie en 1697.
SAXE (la princesse Auguste DE), née en 1782.
SAXE-WEIMAR (le duc Bernard)*, 1792-1862. Général d'infanterie au service des Pays-Bas.
SAXE (la princesse Amélie DE), 1794-1870. Sœur du Roi Frédéric-Auguste et du prince Jean de Saxe.
SAXE (le Roi Frédéric-Auguste II de), 1797-1854. Monta sur le trône en 1836, après avoir été co-Régent depuis 1830 et avoir promulgué une Constitution libérale à son peuple. Prince éclairé, libéral, instruit, il mourut des suites d'une chute de cheval sans laisser d'enfants.
SAXE (la Reine de), 1805-1877. Marie, fille du Roi Maximilien de Bavière, et épouse du Roi Frédéric-Auguste II.
SAXE (le prince Jean DE), 1801-1873. Ce Prince succéda à son frère, le Roi Frédéric-Auguste, en 1854. Il avait épousé la princesse Amélie de Bavière, dont il eut plusieurs enfants, et il se distingua toute sa vie par les plus grandes vertus comme par sa science.
SAXE (la princesse Jean DE), 1801-1877. Amélie, fille du roi Maximilien de Bavière, épouse du prince Jean de Saxe.
SCHOENBURG (la princesse), 1803-1884. Louise Schwarzenberg, sœur du Cardinal de ce nom, épousa en 1823 le prince Édouard Schœnburg-Waldenbourg.
SCHOENLEIN (le Dr Jean-Luc), 1793-1864. Professeur de médecine à Zürich; il fut appelé à Berlin où il se fit une grande réputation.
SCHRECKENSTEIN (le baron Maximilien DE), 1794-1862. Longtemps grand-maître de la Cour de la grande-duchesse Stéphanie de Bade, et 536 administrateur de la maison et de la fortune de cette princesse.
SCHULENBURG-KLOSTERRODE (le comte DE), 1772-1853. Il servit dans la diplomatie autrichienne et mourut à Vienne. Il avait épousé sa cousine la comtesse Armgard de Schulenburg.
SCHULENBURG (le comte Charles-Rodolphe DE), 1788-1856. Lieutenant-colonel autrichien; il avait épousé la duchesse Wilhelmine de Sagan, fille aînée du dernier duc de Courlande, mariage qui fut bientôt rompu. En 1846, le comte de Schulenburg se chargea de l'administration des terres de la duchesse de Talleyrand. Mort à Sagan d'une attaque d'apoplexie, il y est enterré.
SCHWARZENBERG (Charles-Philippe, prince DE), 1771-1820. Il fut d'abord militaire, puis ambassadeur d'Autriche à Paris. C'est lui qui négocia le mariage de Napoléon avec l'archiduchesse Marie-Louise. Il donna, à l'occasion de cette union en 1810, un grand bal qui se termina tristement par l'incendie de l'ambassade, où sa femme périt dans les flammes.
SCHWEINITZ (la comtesse DE), 1799-1854. Mlle Dullack, épousa, en 1832, le comte Hans-Herrmann de Schweinitz, et devint, en 1840, Grande-maîtresse de Cour de la princesse Guillaume de Prusse, née princesse de Saxe-Weimar.
SÉBASTIANI DE LA PORTA (le maréchal)*, 1775-1851. Ambassadeur à Constantinople, à Naples, puis à Londres.
SÉBASTIANI (la maréchale), morte en 1842. Fille du duc de Gramont, elle avait émigré, à seize ans, avec les Bourbons. Elle avait épousé en premières noces à Milan le général Davidow, et en secondes noces le général Sébastiani, dont elle était la seconde femme.
SÉGUR (la comtesse DE), 1779-1847. Félicité d'Aguesseau, unique héritière du dernier Marquis de ce nom, épousa le comte Octave de Ségur, chef d'escadron d'état-major de la Garde royale, qui mourut en 1818.
SÉMONVILLE (le marquis DE)*, 1754-1839. Grand référendaire de la Cour des pairs.
SERCEY (le marquis DE), 1753-1856. Pierre-César-Charles-Guillaume de Sercey fut un marin très distingué. Au retour des Bourbons en 1814, il reçut la mission de traiter de l'échange des prisonniers français avec l'Angleterre. Il fut ensuite nommé vice-amiral et entra à la Chambre des pairs.
SÉVIGNÉ (la marquise DE)*, 1626-1696. Une des femmes les plus distinguées de la cour de Louis XIV, auteur de Lettres remarquables.
SFORZA (Ludovico), 1451-1508, dit le More, fut l'adversaire de la maison d'Aragon, en Italie, et y appela Charles VIII en 1494. Après avoir trahi les Français, il fut attaqué par Louis XII qui lui enleva ses États et l'obligea à fuir en Allemagne. L'impopularité de Trivulce dans le Milanais permit à Sforza de reconquérir ce duché, mais en 1500 il fut battu et fait prisonnier à Novare par les Français. 537 Enfermé à Loches, il y mourut dix ans après.
SIDNEY (lady Sophie)*, morte en 1837. Baronne de l'Isle et de Dudley, cinquième enfant de Guillaume IV d'Angleterre et de Mrs Jordan.
SIEYÈS (l'abbé)*, 1748-1836. Vicaire général de Chartres et politicien de la Révolution.
SIGALON (Xavier), 1790-1837. Peintre d'histoire. Il fut chargé par le gouvernement, en 1833, d'aller à Rome pour copier la fresque du Jugement dernier de Michel-Ange. Cette reproduction parfaite, d'un dixième moins grande que l'original, est à l'École des beaux-arts à Paris.
SIMÉON (le comte Joseph-Balthazar), 1781-1846. Maître des requêtes au Conseil d'État, pair de France en 1835; il avait beaucoup de goût pour les arts.
SOLMS-SONNENWALD (le comte Guillaume-Théodore DE), 1787-1859. Capitaine de cavalerie et chambellan, fils du premier mariage de la comtesse Ompteda.
SOLMS-SONNENWALD (la comtesse DE). Née, en 1790, Clémentine, fille du comte de Bressler.
SOPHIE (l'archiduchesse), 1805-1872. Fille du Roi Max de Bavière, elle épousa en 1824 l'archiduc François et fut mère de l'Empereur François-Joseph Ier.
SOULT (le maréchal)*, 1769-1852. Un des plus glorieux combattants des guerres de l'Empire, ministre sous Louis-Philippe.
STACKELBERG (le comte Gustave DE). Conseiller intime et chambellan de l'Empereur Alexandre Ier, il devint ambassadeur de Russie et prit part au Congrès de Vienne en 1815. Il avait épousé, en 1805, Mlle Caroline de Ludolf, fille de l'ambassadeur de Naples à Pétersbourg.
STACKELBERG (la comtesse DE), 1785-1868. Née Caroline de Ludolf, elle épousa en 1805 le comte Stackelberg. Devenue veuve, elle vint s'établir à Paris.
STANLEY (Mme). Henriette-Marie, fille du vicomte Dillon, avait épousé en Italie, en 1826, sir Edward-John Stanley, membre du Parlement anglais.
STOPFORD (Robert). 1768-1847. Amiral anglais qui se fit remarquer dans les principales campagnes navales de la Révolution et de l'Empire. En 1840, il bombarda Saint-Jean-d'Acre.
STROGONOFF (la comtesse Julie). Elle avait épousé un Espagnol, le comte d'Éga, avec qui elle vivait à Madrid, quand elle fit la connaissance du comte Grégoire Strogonoff, qui l'enleva et la prit pour femme. Elle était fort bien reçue dans la société pétersbourgeoise, mais sa fausse position ne lui laissa obtenir que très tard le cordon de Sainte-Catherine, qui était sa grande ambition. Elle mourut très âgée entre 1860 et 1870 après avoir fort bien soigné son mari devenu aveugle.
STURMFEDER (Mme DE), 1819-1891. Camille-Wilhelmine de Münchingen avait épousé le baron de Sturmfeder d'Oppenveiller, et fut la Grande-maîtresse de la Cour de 538 la grande-duchesse Stéphanie de Bade.
SUTHERLAND (la duchesse DE)*, morte en 1868. Née lady Carlisle, elle était mistress of the robes de la reine Victoria.
SYRACUSE (le comte DE), 1813-1860. Léopold de Bourbon, fils de François Ier roi de Naples, et de Marie-Isabelle d'Espagne; il fut élevé au grade de lieutenant-général sans recevoir de commandement.
SYRACUSE (la comtesse DE), 1814-1874. [Voir à Carignan (Philiberte de).]
T
TALARU (le marquis DE), 1769-1850. Au retour de l'émigration en 1815, M. de Talaru fut appelé à la Pairie, et devint ambassadeur de France à Madrid en 1823. En 1825, il fut ministre d'État et membre du Conseil privé de Charles X, mais la révolution de 1830 le fit rentrer dans la retraite. Il avait épousé Mlle de Rosière-Saraus, veuve du comte de Clermont-Tonnerre, dont il n'eut pas d'enfants, aussi la maison de Talaru s'éteignit-elle avec lui.
TALLEYRAND-PÉRIGORD (le cardinal DE)*, 1736-1821. Alexandre-Angélique, second fils de Daniel de Talleyrand-Périgord, fut archevêque de Reims en 1777, et de Paris en 1817.
TALLEYRAND (Charles-Maurice, prince DE)*, 1754-1838. Prince de Bénévent. Il fut ministre des Affaires étrangères, grand chambellan de France, membre de l'Institut et ambassadeur. Il avait abandonné la carrière ecclésiastique où il était entré malgré lui, et fut un des meilleurs hommes politiques de son temps.
TALLEYRAND (la princesse DE)*, 1762-1835. Née Catherine Werlée et d'origine anglaise, elle fut civilement mariée, en 1802, au prince de Talleyrand, par ordre de l'Empereur Napoléon, mariage d'ailleurs aussitôt rompu.
TALLEYRAND (le duc DE), 1762-1838. Celui qu'on appelait le bel Archambaud épousa, en 1779, Mlle Sabine de Senozan de Viriville, qui fut décapitée en 1793 victime de la Révolution.
TALLEYRAND (le comte Anatole DE), mort en 1838. Fils du baron Augustin de Talleyrand et d'Adélaïde de Montigny.
TASCHEREAU (M.), 1801-1874. Député français. Il avait d'abord étudié le droit, puis, après quelques publications intéressantes, il prit une place marquée parmi les érudits et devint administrateur général de la Bibliothèque Impériale réorganisée.
TATITCHEFF (Démétrius-Pawlowitch DE), 1769-1845. Diplomate russe, ministre à Madrid en 1815, puis à Vienne où il resta jusqu'en 1845. Il devint alors conseiller d'État et grand-chambellan de l'Empereur Nicolas.
TAURY (l'abbé François-Louis), 1791-1859. Curé de Chauvigny, choisi en 1832 par l'abbé Tournet, fondateur 539 des Sœurs de Saint-André, pour lui succéder comme Supérieur général de cette congrégation. En 1845, il fut nommé vicaire général à Niort. Il mourut d'une attaque d'apoplexie au moment où, descendant de la chaire, il se préparait à célébrer la messe.
TAYLOR (sir Herbert)*, 1775-1839. Secrétaire particulier des rois George III, George IV et Guillaume IV d'Angleterre.
THÉRÈSE (l'archiduchesse), 1816-1867. Fille de l'archiduc Charles et d'une princesse de Nassau-Weilbourg, l'archiduchesse Thérèse devint la seconde femme de Ferdinand II, roi de Naples, qui l'épousa en 1837.
THIARD DE BISSY (le comte DE)*, 1772-1852. Maréchal français, député libéral, nommé en 1848 ministre de France en Suisse.
THIERRY (Augustin), 1795-1856. Célèbre historien français, auteur des Lettres sur l'histoire de France et des Récits des temps mérovingiens.
THIERS (Adolphe)*, 1797-1877. Homme d'État et historien français.
THIERS (Mme)*, 1815-1880. Née Élise Dosne, fille de l'agent de change.
THORWALDSEN (Barthélemy)*, 1769-1844. Célèbre sculpteur danois.
TOCQUEVILLE (le comte Alexis DE), 1805-1859. Membre de la Chambre des députés sous Louis-Philippe, il y siégea dans les rangs de l'opposition. Lors du coup d'État du 2 décembre, il fit partie des représentants qui signèrent l'acte d'accusation de Louis Bonaparte, et fut emprisonné à Vincennes. Relâché peu après, il rentra dans la vie privée. Il est l'auteur de la Démocratie en Amérique et de l'Ancien régime.
TORENO (le comte DE)*, 1786-1843. Homme d'État espagnol, député aux Cortès et plusieurs fois ministre.
TOSCANE (le grand-duc DE), 1797-1870. Léopold II, archiduc d'Autriche, succéda à son père, le grand-duc Ferdinand III, en 1824. Il épousa en premières noces une princesse de Saxe, et en 1833 la princesse Antoinette des Deux-Siciles.
TOUR ET TAXIS (la princesse DE LA). Née en 1773. Thérèse, fille du grand-duc Charles de Mecklembourg-Strelitz, sœur de la Reine Louise de Prusse, épousa, en 1789, le prince Charles de la Tour et Taxis, conseiller privé de l'Empereur d'Autriche et grand-maître des Postes, charge qui était dans sa maison depuis 1695.
TROGOFF (Mme DE). Dame russe, grande amie de la duchesse Wilhelmine de Sagan dont elle avait été la dame de compagnie; elle habitait Versailles.
V
VALÉE (le maréchal Sylvain-Charles), 1773-1846. Fit les guerres de la Révolution et de l'Empire où il se distingua, et Napoléon lui donna 540 le titre de Comte. Il se rallia à la seconde Restauration et Charles X le nomma pair de France. En 1837, il gagna son bâton de Maréchal à la prise de Constantine, puis devint Gouverneur général de l'Algérie. En 1840, il céda le commandement au général Bugeaud.
VALENÇAY (Mme DE). Épouse de Jacques d'Étampes, marquis de la Ferté-Imbault, maréchal de France qui vécut de 1590 à 1668.
VALENÇAY (le duc DE)*, 1811-1898. Louis de Talleyrand-Périgord, duc de Talleyrand et de Valençay, duc de Sagan après la mort de sa mère, fils aîné du duc Edmond de Talleyrand et de la princesse Dorothée de Courlande.
VALENÇAY (la duchesse DE)*, 1810-1858. Née de Montmorency.
VALENÇAY (Yolande DE), 1833-1835. Fille du duc et de la duchesse de Valençay, morte en bas âge de la scarlatine.
VANDŒUVRE (le baron Guillaume DE), 1779-1870. Auditeur au Conseil d'État en 1806, puis député de l'Aube, il fut fait pair de France en 1837. Il avait épousé Mlle Dassy.
VATRY (le baron DE), 1793-1871. Alphée Bourdon Vapereau de Vatry, aide de camp du prince Jérôme Bonaparte, fut écarté de l'armée sous la Restauration; devenu agent de change, il gagna une grande fortune. Il fut député de 1835 à 1848.
VATRY (la baronne DE), morte en 1881. Fille de M. Hainguerlot, épousa le baron Alphée de Vatry, dont elle devint veuve en 1871.
VAUGUYON (Mlle Pauline DE LA), 1783-1829. Fille du duc de la Vauguyon; épousa, en 1810, le baron de Villefranche, des princes de Carignan. A la suite d'un accident, elle mourut brûlée dans sa villa d'Auteuil, laissant trois enfants: 1o une fille qui épousa le prince Massimo d'Arsoli; 2o une autre fille qui épousa le comte de Syracuse, de la maison de Naples; 3o un fils, Eugène, qui fut reconnu par le roi de Sardaigne comme Prince du sang.
VÉRAC (le marquis DE), 1768-1858. Armand de Vérac servit quelque temps dans l'armée des Princes, puis rentra en France, d'où Napoléon l'exila huit ans plus tard en Belgique. La Restauration le fit pair de France et gouverneur du château de Versailles.
VERNET (Horace), 1789-1863. Illustre peintre français. Il suivit l'armée pendant la campagne d'Algérie et en peignit plusieurs combats.
VERQUIGNIEULLE (la marquise DE). Flore-Marie de Proudhomme et d'Harlay de Verquignieulle, épousa en 1836 M. Ancillon, dont elle était la troisième femme. Devenue veuve en 1837, elle retourna vivre en Belgique, son pays natal.
VERTOT (l'abbé DE), 1655-1735. René-Aubert de Vertot embrassa d'abord la vie religieuse, et fut successivement capucin sous le nom de Père Zacharie, chanoine régulier de Prémontrés, membre de l'ordre de Cluny, puis, fatigué de la vie 541 du cloître, il entra dans le clergé séculier, fut curé de Croissy-la-Garenne, etc. Il publia une Histoire des révolutions de Portugal, mais son œuvre favorite fut son Histoire de la République romaine.
VESTIER (Phidias), 1796-1874. Architecte, inspecteur des monuments historiques du département d'Indre-et-Loire, il fut fait chevalier de la Légion d'honneur après avoir construit la gare du chemin de fer à Tours en 1849. Il était petit-fils d'un peintre, dont quelques œuvres sont au Louvre. Très protégé par la duchesse de Talleyrand, Vestier bâtit à Paris de nombreux hôtels, et plusieurs châteaux dans la vallée de la Loire.
VICENCE (le duc DE), 1815-1896. Armand-Alexandre-Joseph-Adrien de Caulaincourt, fit ses débuts dans la diplomatie, puis la quitta en 1837. Député sous la monarchie de Juillet, sénateur du second Empire, il fut fait commandeur de la Légion d'honneur en 1868.
VILLEFRANCHE (le comte Eugène DE), 1753-1785. Ce prince de la maison de Carignan servit dans l'armée française, et obtint de Louis XVI le commandement d'un régiment d'infanterie qui prit le nom de Savoie-Carignan. Tombé en disgrâce, à cause de son mariage avec Mlle Magon-Laballue, il quitta l'armée et mourut oublié, jeune encore, à Domart, en Picardie.
VILLEFRANCHE (le baron Joseph-Marie DE), 1783-1825. Fils du précédent. Il servit brillamment sous l'Empire dans la cavalerie, continua sa carrière sous la Restauration et, en 1823, suivit le duc d'Angoulême en Espagne. Il mourut subitement en voiture, d'une attaque d'apoplexie. Il avait épousé la fille du duc de la Vauguyon.
VILLEGONTIER (le comte Louis DE LA), 1776-1849. Préfet de l'Allier en 1816, puis préfet d'Ille-et-Vilaine et pair de France en 1819; il prêta serment au gouvernement de Louis-Philippe et en soutint la politique jusqu'en 1848, puis rentra dans la vie privée.
VILLÈLE (le comte Guillaume-Aubin DE), 1770-1840. Élève du séminaire de Saint-Sulpice, il émigra pendant la Révolution et c'est à Düsseldorf qu'il reçut la prêtrise. De retour en France en 1802, l'abbé de Villèle s'adonna à la prédication; Louis XVIII lui donna le siège épiscopal de Soissons, d'où il passa en 1824 à l'archevêché de Bourges, en même temps qu'il entrait à la Chambre des pairs. Après 1830, il tint rigueur au nouveau gouvernement, et, en 1839, refusa la croix de la Légion d'honneur. Lorsque don Carlos, forcé de quitter l'Espagne, fut interné à Bourges, l'Archevêque lui offrit d'habiter son palais et reçut de ce Prince le grand cordon de Charles III.
VILLEMAIN (Abel-François)*, 1790-1870. Professeur, écrivain et homme politique français.
VINCKE (Mme DE), 1766-1845. Mlle de Vincke épousa son parent M. de 542 Vincke et devint la dame d'honneur de la Reine Louise de Prusse, qui l'avait en grande affection. Après la mort de cette Princesse, elle conserva une grande situation à la Cour et dans la société de Berlin.
VIVIEN (Alexandre-François-Auguste), 1799-1854. En 1840, il fut ministre de la Justice dans le ministère Thiers, et attacha son nom à la suppression des juges suppléants devant le tribunal de la Seine.
VOLTAIRE (Arouet DE)*, 1694-1778. Philosophe français, qui exerça une immense influence sur le dix-huitième siècle historique et littéraire.
W
WAGRAM (le prince Napoléon-Louis DE), 1810-1888. Fils du célèbre maréchal Berthier, fut fait pair de France en 1836 et sénateur en 1848.
WALEWSKI (le comte Alexandre), 1810-1868. Homme politique français, ministre de Napoléon III. Il était le fils naturel de l'Empereur Napoléon Ier et de la comtesse Marie Walewska, que l'Empereur avait connue à Varsovie en 1807.
WALLENSTEIN, 1583-1634. Célèbre homme de guerre, né en Bohême, l'un des plus grands généraux de la guerre de Trente ans.
WALSH (la comtesse Agathe). Déjà veuve en 1806, la comtesse Walsh devint Grande-maîtresse de Cour de la grande-duchesse Stéphanie de Bade et ne se retira qu'en 1839. Son fils Théophile était beaucoup reçu à la cour de Bade.
WALTER SCOTT*, 1771-1832. Romancier écossais.
WASA (la princesse), 1811-1854. Louise-Stéphanie, fille du grand-duc Charles de Bade et de la grande-duchesse, née Stéphanie de Beauharnais.
WEIZEL (Mlle DE). Amie très intime de la famille d'Entraigues et du baron et de la baronne Finot, voisins de Valençay.
WELLINGTON (le duc DE)*, 1769-1852. Illustre général anglais, adversaire de Napoléon, souvent membre du cabinet.
WERTHER (le baron DE)*, 1772-1859. Diplomate prussien, ambassadeur à Paris, puis ministre des Affaires étrangères à Berlin.
WERTHER (la baronne DE)*, 1778-1853. Née comtesse Sophie Sandizell.
WERTHER (le baron Charles DE), 1809-1894, fils des précédents; il remplaça, en 1869, le comte de Golz, ambassadeur à Paris, et y fut l'instrument de rupture des relations au moment de la guerre de 1870. En 1874, il fut nommé ambassadeur à Constantinople, puis se retira à Münich en 1877.
WEYER (Sylvan VAN DE)*, 1803-1874. Homme d'État et littérateur belge.
WITTGENSTEIN (le prince Guillaume de Sayn-), 1770-1851. Ministre de la maison du Roi Frédéric-Guillaume III de Prusse, un des personnages les plus importants de la Cour de Berlin. 543
WOLFF (M. DE). Conseiller au ministère de l'intérieur prussien pendant plusieurs années.
WOLFF (Mme DE). Fille du conseiller de justice Hennenberg.
WOLOWSKI (Louis), 1810-1876. Né à Varsovie, il se fit naturaliser Français après la révolution polonaise de 1830 et se consacra à l'étude du droit et des problèmes économiques, où il devint un maître.
WORONZOFF-DASCHKOFF (le comte Ivan), 1791-1854. Ministre de Russie à Münich de 1824 à 1828, puis à Turin jusqu'en 1835, il fut ensuite conseiller d'Empire à Pétersbourg, et Grand-maître des cérémonies à la Cour. Il fut un protecteur éclairé des arts.
WURMB (M.-Frédéric-Charles DE), 1766-1843. Officier d'état-major à Berlin, il démissionna pour épouser Mlle de Gœcking, et devint administrateur des terres de la duchesse de Dino, à Deutsch-Wartenberg.
WURMB (Mme DE), 1783-1862. Wilhelmine de Gœcking, fille du conseiller d'État au ministère des Finances.
WURTEMBERG (le duc Alexandre DE), 1804-1855. Il entra au service militaire de l'Autriche, mais ayant épousé morganatiquement, en 1835, une comtesse Rhéday, il s'établit à Paris.
WURTEMBERG (le Roi de)*, 1781-1862. Guillaume Ier.
WURTEMBERG (la princesse Marie DE)*, 1816-1863. Fille du Roi Guillaume Ier, épouse du général de Neipperg.
WURTEMBERG (la princesse Sophie DE)*, 1818-1877. Sœur de la précédente, elle épousa Guillaume III, roi des Pays-Bas. Princesse très distinguée, elle fut une intime amie de l'Empereur Napoléon III.
WURTEMBERG (le prince Paul DE), 1785-1852. Frère du Roi Guillaume Ier, il épousa, en 1825, la princesse Charlotte de Saxe-Altenburg, dont il eut plusieurs enfants. Remarié plus tard morganatiquement à une Anglaise, il vécut dès lors à Paris.
WURTEMBERG (le prince Frédéric DE). Né en 1808. Fils du précédent; il resta au service de Würtemberg.
WURTEMBERG (le prince Auguste DE). Né en 1813. Frère du précédent; il entra au service de Prusse.
X
XIMÉNÈS DE CISNEROS (le cardinal DE), 1436-1517. Célèbre ministre d'État espagnol, archevêque de Tolède; il rendit les plus grands services à Charles-Quint, qui s'en montra peu reconnaissant et l'éloigna, après avoir profité de son influence pour se faire nommer Roi de Castille et d'Aragon.
Z
ZEA-BERMEDEZ (Don Francisco)*, 1772-1850. Diplomate espagnol. Il appartenait à une des plus anciennes 544 familles de la Reconquête.
ZEA-BERMEDEZ (Mme DE)*. Morte en 1848. Elle était née Doña Maria-Antonia de Auduaga, d'une famille originaire de Guipuscoa, qui compta plusieurs diplomates parmi ses membres. Elle était Dame noble de l'Ordre de Marie-Louise.
ZOÉ, négresse au service de la vicomtesse de Laval, puis de la duchesse Mathieu de Montmorency, chez qui elle finit ses jours.
[1] Mascara, en Algérie, fut prise par les Français en 1835.
[2] On trouvera ce message aux pièces justificatives de ce volume.—En 1834, Jackson avait réclamé au gouvernement de Louis-Philippe, de façon très hautaine, une indemnité de 25 millions, due aux États-Unis, pour les bâtiments saisis sous l'Empire, menaçant de confisquer, en cas de refus, les propriétés des Français établis sur le territoire de l'Union. Toute légitime que fût la réclamation, ses formes blessantes la firent longtemps repousser, jusqu'à une rétractation du président Jackson contenue dans le message dont il est ici question.
[3] L'adresse des 221 (3 mars 1830).—C'était une réponse au discours du trône; et les 221 députés y exposaient nettement leur mécontentement de voir M. de Martignac remplacé, comme président, par le prince Jules de Polignac.
[4] Le discours auquel il est fait allusion se trouve aux pièces justificatives de ce volume.
[5] M. Humann ayant présenté à la Chambre, comme une mesure nécessaire, la conversion des rentes 5 pour 100 que M. de Villèle avait déjà vainement tentée en 1824, l'accueil de la Chambre fut plutôt favorable. Mais le Cabinet, qui n'avait pas connu à l'avance cette communication, se montra blessé, et M. Humann donna sa démission. Une interpellation sur cette question eut lieu à la Chambre le 18 janvier. Le duc de Broglie ouvrit la discussion: «On nous demande, dit-il, s'il est dans les intentions du gouvernement de proposer la mesure dans cette session. Je réponds: Non! Est-ce clair?» Ce dernier mot souleva une animosité unanime et fut aussitôt commenté défavorablement.
[6] C'est toujours des anciens ministres de Charles X qu'il est question ici. Quelques personnes multipliaient les efforts, pour faire rendre la liberté à ces malheureux détenus politiques.
[7] En 1835, et comme conséquence de l'attentat Fieschi, le Ministère avait présenté trois projets de loi très sévères, l'un portant sur le jury, l'autre sur le jugement des actes de rébellion, le troisième, de beaucoup le plus considérable, sur la presse. La discussion de ces lois, commencée à la Chambre dès le 13 août 1834, s'y poursuivit jusqu'au 29 septembre, et se termina par le succès complet du gouvernement.
[8] Le marquis de Brignole-Sale.
[9] Marie-Christine, princesse de Savoie, mourut eu donnant le jour à celui qui fut plus tard François II, dernier Roi de Naples.
[10] L'auteur de la Chronique.
[11] L'arrêt condamnant à mort Fieschi, Pépin et Morey; ceux-ci furent exécutés le 19 février à la barrière Saint-Jacques.
[12] Voici la composition du Cabinet: M. Thiers, président du Conseil, ministre des Affaires étrangères; M. Sauzet, garde des Sceaux; M. de Montalivet, ministre de l'Intérieur; M. d'Argout, ministre des Finances; M. Passy, ministre du Commerce et des Travaux publics; M. Pelet de la Lozère, ministre de l'Instruction publique; le maréchal Maison, ministre de la Guerre; l'amiral Duperré, ministre de la Marine.
[13] Extrait d'une lettre.
[14] Le prince Charles de Naples, frère de la duchesse de Berry, était le neveu de la Reine Marie-Amélie.
[15] Il s'agit ici du procès en adultère intenté à Mrs Norton par son mari et qui fit grand bruit à cette époque en Angleterre. La liaison de Mrs Norton avec lord Melbourne était bien connue. Cependant, le jugement, prononcé au mois de juin suivant, acquitta lord Melbourne. Une séparation n'en eut pas moins lieu entre Mrs Norton et son mari.
[16] Cette œuvre fut publiée après la mort du comte de Rémusat, en 1878, par son fils Paul.
[17] Ce projet n'a pas été exécuté en entier; l'Abbé seul est enterré à Saint-Patrice.
[18] La chambre des enfants, la nursery.
[19] La princesse Louise était la fille du prince Ferdinand de Prusse (le plus jeune frère de Frédéric le Grand). Elle avait épousé, en 1796, le prince Antoine Radziwill.
[20] La Reine Wilhelmine des Pays-Bas était fille du Roi de Prusse Frédéric-Guillaume II, et sœur du Roi alors régnant, Frédéric-Guillaume III.
[21] M. Bresson était alors ministre de France à Berlin.
[22] La princesse Albert de Prusse était une princesse des Pays-Bas.
[23] Il nous a été impossible de les retrouver.
[24] Un peu fantasque.
[25] Oranges vertes.
[26] Propriété de la duchesse de Dino, en Silésie.
[27] La princesse Metternich s'était exprimée en termes peu courtois sur la couronne que Louis-Philippe avait mise sur sa tête en 1830.
[28] Les idées libérales de l'archiduc Charles avaient été, pour le prince de Metternich, l'occasion d'éloigner ce Prince de la Cour et de le rendre suspect. Ils étaient presque brouillés.
[29] Virginia Water est une pièce d'eau, dans le parc de Snow-Hill, entre Windsor et Chertsey, dans les environs de Londres. On y fait des courses sur l'eau et des régates.
[30] Extrait d'une lettre.
[31] Fille de la maréchale d'Albuféra.
[32] Yolande de Valençay.
[33] La baronne de Mengden, nièce de la princesse de Lieven, vécut plus tard à Carlsruhe où elle était abbesse d'un chapitre noble. Elle était fort grande, surtout de buste, ce qui obligeait le convive appelé à s'asseoir aux repas à côté d'elle à relever avec effort la tête, pour apercevoir la sienne. Très bonne personne, elle était un peu le souffre-douleur de sa tante, et, à Valençay, lors des séjours qu'y fit la princesse de Lieven, celle-ci lui confiait la garde de son coffre à bijoux durant la promenade, de sorte que la baronne de Mengden n'y pouvait prendre part que fort rarement.
[34] Ambassadeur de France à Saint-Pétersbourg.
[35] Dans la soirée du 25 juin 1836, un jeune homme de vingt-six ans, nommé Louis Alibaud, avait tiré sur le Roi dans la cour des Tuileries, au moment où Louis-Philippe passait devant la Garde nationale et pendant que les tambours battaient aux champs.
[36] Ambassadeur d'Angleterre à Constantinople.
[37] Le Reis-Effendi est le ministre des Affaires étrangères en Turquie.
[38] La veuve de Napoléon Ier.
[39] Sieyès était mort à Paris, le 20 juin 1836.
[40] Le générai Fagel avait été ambassadeur du Roi des Pays-Bas en France, sous la Restauration.
[41] M. Decazes remplissait alors les fonctions de grand référendaire à la Chambre des Pairs.
[42] A la suite d'une violente polémique dans les journaux, une rencontre devint inévitable entre Armand Carrel, directeur du National, et Émile de Girardin, directeur de la Presse. Un duel au pistolet eut lieu le 28 juillet, au bois de Vincennes, entre les deux journalistes. Grièvement blessé à l'abdomen, Armand Carrel succomba le lendemain, après avoir nettement manifesté sa volonté d'être transporté directement au cimetière, sans passer par l'église.
[43] Au mois de juin 1836, un incendie, attribué à l'imprudence d'ouvriers plombiers, détruisit complètement les charpentes de châtaignier de la cathédrale, qui faisaient l'admiration des visiteurs et auxquelles on donnait le nom de forêt. Un grand nombre de vitraux anciens furent brisés ou fondus, les clochers sérieusement endommagés. Pendant plusieurs heures, le feu menaça de se propager dans toute la basse ville. Les réparations, fort importantes, durèrent de longues années.
[44] Le comte Paul de Périgord.
[45] M. Thiers.
[46] L'institution de la célèbre Mme Campan, aujourd'hui école d'Écouen.
[47] D'être calme.
[48] Ambassadeur de France en Espagne.
[49] Cette propriété était le Val-Richer, où M. Guizot habita jusqu'à sa mort.
[50] Voici la composition du ministère: M. Molé, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères; M. Guizot, ministre de l'Instruction publique; M. Persil, ministre de la Justice; M. Duchâtel, ministre des Finances; M. de Gasparin, ministre de l'Intérieur, avec M. de Rémusat comme sous-secrétaire d'État; M. Martin du Nord, ministre du Commerce et des Travaux publics; le général Bernard, ministre de la Guerre; l'amiral Rosamel, ministre de la Marine.
[51] Voir plus haut Montessuy page 87.
[52] Saint Maurice était le patron du prince de Talleyrand.
[53] Cette notice sur Valençay fut imprimée plus tard, en 1848, chez Crapelet, rue de Vaugirard, à Paris, avec la même dédicace dont parle ici l'auteur de la chronique.—Ce curieux opuscule est cité par LAROUSSE, dans son grand Dictionnaire universel du dix-neuvième siècle, à l'article «Valençay».—Il est devenu rare, mais il en reste encore plusieurs exemplaires.
[54] L'obélisque de Luxor fut donné au Roi Louis-Philippe par le pacha d'Égypte, Méhémet-Ali.—Il fut enlevé de devant le temple de Luxor, transporté à Paris, et placé, en 1836, sur la place de la Concorde.
[55] Chez la comtesse Camille de Sainte-Aldegonde.
[56] Le 26 octobre 1836, le prince Louis Bonaparte, accompagné de son ami, M. de Persigny, et avec le concours du colonel Vaudrey, essaya de provoquer un mouvement militaire et de renverser le Roi Louis-Philippe.
[57] Futur Napoléon III.
[58] Charles X venait de mourir, à Goritz, en Autriche, le 6 novembre 1836.
[59] La Reine de Portugal avait été forcée, après des émeutes, d'accepter la Constitution radicale de 1820.—Elle fit, en novembre, aidée de Palmella, Terceira et Saldanha, une contre-révolution, croyant, à l'instigation de l'Angleterre, que le peuple de Lisbonne la soutiendrait, et proposa de renvoyer ses Ministres: elle avait été mal renseignée sur le sentiment populaire et fut forcée d'abandonner la lutte.
[60] M. de Polignac, prisonnier à Ham, avait réclamé de M. Molé sa translation dans une maison de santé.
[61] Sa peine avait été commuée en un bannissement perpétuel.
[62] Voici la composition de ce Ministère: MM, Molé, président du Conseil et ministre des Affaires étrangères; Barthe, ministre de la Justice; de Montalivet, ministre de l'Intérieur; Lacave-Laplagne, ministre des Finances; de Salvandy, ministre de l'Instruction publique; le général Bernard, l'amiral de Rasamel et M. Martin du Nord gardaient leurs portefeuilles. M. de Rémusat, sous-secrétaire d'État, suivait son ministre dans sa retraite.
[63] Marianne-Léopoldine, archiduchesse d'Autriche-Este, née en 1771, avait épousé l'électeur Charles-Théodore de Bavière. Après la mort de son mari, elle épousa le grand-maître de sa Cour, le comte Louis Arco. Cette princesse mourut en 1848.
[64] Le 27 décembre 1837, jour de l'ouverture de la session parlementaire, un nouvel attentat avait été commis contre le Roi Louis-Philippe, qui se rendait en voiture, avec trois de ses fils, au Palais-Bourbon. L'auteur du crime était Meunier, un jeune homme de vingt-deux ans. Il fut condamné à mort par la Chambre des Pairs, mais le Roi obtint, en effet, que sa peine fût commuée en bannissement perpétuel, à l'occasion du mariage de M. le duc d'Orléans.
[65] Fête du Roi Louis-Philippe.
[66] Cette ambassade d'honneur était envoyée au-devant de la royale fiancée; elle la rencontra à Fulda, le 22 mai 1837.
[67] Il s'agissait d'une loi de crédit pour les dépenses secrètes de la police.
[68] Le comte de Lezay-Marnesia.
[69] Égale de naissance.
[70] La comtesse de Lobau.
[71] A l'occasion du mariage du duc d'Orléans, une amnistie fut accordée, par ordonnance du 8 mai, à tous les individus détenus pour crimes ou délits politiques.
[72] Mlle Sidonie de Dieskau, dont il sera parlé plus loin, pendant le voyage en Allemagne de la duchesse de Talleyrand.
[73] Le baron de Werther était, depuis 1824, ministre de Prusse à Paris.
[74] Le comte Lehon était ministre de Belgique.
[75] Mgr Gallard.
[76] S. E. Mohamed-Nouri-Effendi.
[77] Au palais des Tuileries, le pavillon Marsan était habité par le duc et la duchesse d'Orléans, tandis que le pavillon de Flore était occupé par Madame Adélaïde, sœur du roi Louis-Philippe.
[78] Château du Mecklembourg où avait été élevée la Princesse.
[79] Un cas sans espoir.
[80] Rochecotte était absolument dépourvu d'eau, et le coteau sur lequel le château était bâti, étant tout à fait dénudé, on eut recours aux béliers hydrauliques: ceux-ci furent les premiers importés en France; la duchesse de Dino les avait fait faire en Angleterre, et elle insistait toujours sur l'exactitude avec laquelle on avait traduit les mesures françaises en mesures anglaises, et inversement, sans qu'il y eût la moindre différence quand on les posa, à Rochecotte, où ils existent encore.
[81] Luçay-le-Mâle est une annexe à la seigneurie de Valençay. D'après son architecture, le château de Luçay paraît être de la même époque que celui de Valençay: sa position est très belle, il domine la Forge, le bel étang qui l'alimente, le bourg de Luçay et des ravins pittoresques.
[82] En 1836, le maréchal Clausel, alors gouverneur de l'Algérie, attaqua sans succès le bey de Constantine: ayant échoué, l'armée, affaiblie, fut obligée de lever le siège de la ville et de battre en retraite, à marches forcées, au milieu des attaques continuelles des tribus arabes. Le général de Rigny, placé à l'arrière-garde, supporta, en quelque sorte, tout le poids de cette désastreuse retraite: il se vit, malgré ses efforts, l'objet, de la part du général en chef, d'un ordre du jour où il était formellement accusé d'insinuations perfides, de conseils coupables, et déclaré rebelle et indigne. Envoyé, sur sa demande, devant un Conseil de guerre, le général de Rigny obtint, en sa faveur, un jugement de non-culpabilité, rendu à l'unanimité, en 1837.
[83] Careggi est une fraction de la ville de Fiesole, près de Florence. Plusieurs villas ornent ses environs: la plus célèbre est celle qui fut bâtie par les Médicis, et qui contient plusieurs chefs-d'œuvre de la Renaissance. Les grands ducs de Toscane en offraient le séjour aux étrangers de distinction qui s'arrêtaient à Florence; M. Thiers l'habita, à ce titre, en 1837. En 1848, la princesse de Parme, fuyant les révolutions, vint y chercher un asile. Cette villa appartient encore à la maison de Lorraine.
[84] Râpés.
[85] Voir plus haut, Louis page 166.
[86] On avait voulu ériger sur le Panthéon une statue colossale de la Renommée, pour remplacer la croix enlevée en 1831 de ce qui était alors l'église de Sainte-Geneviève. Cortot fut chargé de ce travail, et fit placer un modèle en carton-pierre. La critique en condamna unanimement l'effet, et la statue fut descendue au bout de quelque temps.
[87] Le baron Louis était mort à Bry-sur-Marne, près Paris, le 26 août 1837.
[88] Francis Macdonald avait été, en 1814, nommé ministre de la Guerre à Naples par le Roi Murat.
[89] La princesse Louise de Bade, fille aînée de la grande-duchesse Stéphanie de Bade, avait épousé un prince Wasa; son ménage était constamment troublé par des querelles, que la Grande-Duchesse cherchait sans cesse à apaiser, sans y parvenir jamais pour longtemps.
[90] C'est au sujet des mariages mixtes que le différend entre l'Archevêque de Cologne et le gouvernement prussien éclata. L'Archevêque voulant en appeler au Pape, le gouvernement le fit arrêter le 20 novembre 1837. Il resta quatre années prisonnier à Minden, et ne rentra plus dans son diocèse où son coadjuteur le remplaça après sa mort, en 1845. Le baron Droste de Vischering, archevêque de Cologne, était né en 1773.
[91] Très souffrante.
[92] La duchesse de Dino fit une grosse maladie, beaucoup plus grave qu'elle ne le dit ici. C'est une époque à laquelle elle rattachait toujours le travail intérieur qui se fit alors chez M. de Talleyrand et le ramena peu à peu à finir chrétiennement.
[93] Tout à fait moi-même.
[94] On a pu voir dans un livre récemment publié par M. Jean HANOTEAU, Lettres du prince de Metternich à la comtesse de Lieven (1818-1819), que c'était le prince de Metternich qui avait animé ces deux dames l'une contre l'autre.
[95] Une rivalité constante animait M. de Flahaut et le général Baudrand l'un contre l'autre; ils se disputaient souvent des fonctions auprès du duc d'Orléans, et, en février 1838, ils intriguaient déjà pour être envoyés au couronnement de la reine Victoria.
[96] Le discours du prince de Talleyrand se trouve aux pièces justificatives de ce volume.
[97] L'abbé de Ravignan avait remplacé Lacordaire dans la chaire de Notre-Dame.
[98] Il s'agit de la lettre que le prince de Talleyrand écrivit à Rome, en rétractation des erreurs de sa vie qui avaient encouru les censures de l'Église.
[99] Plus connu sous le nom la Chute d'un ange, début du poème appelé Jocelyn.
[100] Le manuscrit dont il est ici question est un récit des derniers moments du prince de Talleyrand, écrit par M. l'abbé Dupanloup (plus tard évêque d'Orléans). L'auteur ne l'a jamais fait imprimer, et l'a légué, avec tous ses papiers relatifs au prince de Talleyrand, à M. Hilaire de Lacombe qui les communiqua à M. l'abbé Lagrange, devenu ensuite évêque de Chartres. Celui-ci ne s'en est servi que pour en tirer de nombreuses citations, dans la Vie de Mgr Dupanloup qu'il a écrite, il y a quelques années, et dont deux chapitres sont consacrés à M. de Talleyrand. Ces papiers sont actuellement en la possession de M. Bernard de Lacombe.
La lettre de la duchesse de Talleyrand, transcrite dans ce volume, est redonnée ici, quoiqu'elle ait déjà paru, par mes soins, dans le journal le Temps, du 30 avril 1908.
[101] M. de Talleyrand avait fortement plaidé en faveur du Concordat; le Pape le savait, et lui adressa, le 10 mars 1802, un Bref qui, tout en restant dans des termes assez vagues, lui donnait l'autorisation de rentrer dans la vie civile.
[102] Peu sympathique au gouvernement de 1830, Mgr de Quélen fut menacé, en 1831, par une insurrection qui saccagea l'Archevêché de Paris. N'ayant plus de demeure officielle, il se réfugia d'abord dans le couvent des Dames de Saint-Michel, de Paris, puis dans celui des Dames du Sacré-Cœur, à Conflans, un peu hors de la ville.
[103] Le Dix-huitième siècle.
[104] Les funérailles du prince de Talleyrand, de son frère, le duc de Talleyrand, et de la petite Yolande de Périgord, fille du duc et de la duchesse de Valençay, morte en bas âge, furent célébrées le 6 septembre 1838, à Valençay. Les trois cercueils furent déposés dans le caveau que le prince de Talleyrand y avait fait ériger de son vivant.
[105] Valets de chambre du prince de Talleyrand.
[106] Zoé était une négresse entrée au service de la vicomtesse de Laval, à laquelle elle donna les plus grandes preuves de dévouement. En 1838, après la mort de la Vicomtesse, Zoé fut recueillie par la duchesse Mathieu de Montmorency, belle-fille de Mme de Laval, qui vivait dans cette terre de Bonnétable, où Zoé termina tranquillement ses jours.
[107] Le 6 février est le jour de la Sainte-Dorothée, patronne de la duchesse de Talleyrand.
[108] La première femme du prince Chrétien de Danemark était une princesse Charlotte de Mecklembourg-Schwerin. Coupable d'infidélité à son mari, elle s'en sépara en 1809, et sur l'ordre du Roi le divorce fut prononcé en 1810. Elle mourut en 1840 à Rome, où elle avait vécu après s'être faite catholique. Elle était née en 1784 et s'était mariée en 1806.
[109] Après la mort du prince de Talleyrand, la duchesse de Talleyrand vendit aux Rothschild l'hôtel de la rue Saint-Florentin, qu'il lui avait légué, et elle s'établit dans un grand appartement de la maison du marquis de Galliffet, rue de Grenelle.
[110] Mlle Pauline de Périgord épousa, en effet, le 11 avril 1839, M. de Castellane, qui prit alors le titre de marquis, de son grand-père qui venait de mourir. Son père, le général de Castellane (plus tard maréchal de France), le lui abandonna à l'occasion de ce mariage, et ne le porta jamais lui-même.—M. de Castellane reçut, en dot, de sa grand'mère (qui l'avait élevé), la vieille marquise de Castellane, née Rohan-Chabot, très riche par la fortune que lui avait laissée son premier mari, le duc de La Rochefoucauld, la terre d'Aubijou, en Auvergne, dans le département du Cantal, dont il sera souvent question dans cette Chronique.
[111] Extrait d'une lettre à M. de Bacourt.
[112] La fille de la princesse Guillaume de Prusse, dont il est ici question, épousa, peu de temps après, le Roi de Bavière.
[113] A la suite du vote des fonds secrets, en mars 1840, un député, M. Remilly, pour embarrasser le Ministère, avait déposé un projet de réforme parlementaire, aux termes duquel les députés ne pourraient être promus à des fonctions salariées, ni obtenir d'avancement pendant le cours de la législature et de l'année qui suivrait.
[114] M. Bourlon de Sarty était Préfet de la Marne.
[115] Nachod, terre en Bohême avec beau château, bâti par les Piccolomini, avait été acheté par le duc de Courlande. Sa fille aînée, la duchesse Wilhelmine de Sagan, en avait hérité et y mourut en 1839. Nachod fut ensuite vendu aux princes de Schaumburg-Lippe, qui le possèdent encore.
[116] Cordial.
[117] Le marquis de Brignole-Sale.
[118] La vaste plaine de la Mitidja est située au sud d'Alger et s'étend entre les deux zones montagneuses de l'Atlas et du Sahel. Elle est célèbre par sa fertilité, qui l'a fait surnommer par les Arabes la mère du pauvre.
[119] M. Guizot était alors ambassadeur à Londres.
[120] Troisième mari de la sœur aînée de la duchesse de Talleyrand.
[121] Stanislas-Auguste Poniatowski, dernier Roi de Pologne.
[122] M. Léon de Beaumont, fils d'une sœur de Fénelon.
[123] Mgr Affre.
[124] Le 6 juin 1840, un jeune homme du nom d'Oxford, considéré, depuis, comme mentalement malade, avait tiré deux coups de pistolet sur la Reine Victoria, qui passait, en voiture, dans les rues de Londres, accompagnée de son mari, le prince Albert.
[125] M. de Hübner fut ambassadeur d'Autriche en France sous le second Empire, avant la guerre d'Italie.
[126] Les complications de la question d'Orient faillirent, à cette époque, précipiter la France dans une guerre. La Syrie s'était soulevée, et les Anglais, qui voyaient d'un mauvais œil la puissance du vice-roi d'Égypte, Méhémet-Ali, s'unirent à la Prusse, l'Autriche et la Russie (en excluant la France que lord Palmerston savait trop favorable à l'Égypte), pour signer secrètement, à Londres, le 15 juillet 1840, un traité qui rendait la Syrie au Sultan.
[127] Extrait d'une lettre.
[128] Le 6 août 1840, le prince Louis Bonaparte, profitant de l'effervescence produite par le retour prochain des cendres de Napoléon Ier à Paris, fit, à Boulogne-sur-Mer, une nouvelle tentative pour rétablir la dynastie napoléonienne sur le trône de France. Le Prince fut, cette fois, arrêté et traduit devant la Chambre des Pairs; défendu par Berryer, il fut condamné à la prison perpétuelle, et enfermé au château de Ham, d'où il parvint à s'évader en 1846. Il passa d'abord en Belgique, et, de là, en Angleterre.
[129] Lord Palmerston avait fait signer une convention par laquelle les quatre puissances s'engageaient à donner à la Porte l'appui dont elle aurait besoin pour réduire le pacha et pour protéger au besoin Constantinople contre les entreprises de ce dernier.
[130] En 1840, le sultan était Abdoul-Medjed, monté sur le trône l'année précédente.
[131] Rosas s'étant fait nommer en 1829 gouverneur de Buenos-Ayres, ce dictateur eut en 1835 de graves démêlés avec la France, pour avoir refusé de satisfaire aux réclamations des résidents français. Après un long blocus, ces contestations avaient été heureusement terminées, en 1840, par l'amiral de Mackau.
[132] La princesse de Lieven avait loué, dans la maison achetée récemment par M. de Rothschild, rue Saint-Florentin, l'entresol qui avait été habité par le prince de Talleyrand pendant les longues années où il fut en possession de cet hôtel. La Princesse s'imaginait y revivre dans des traditions politiques qui convenaient à ses goûts. Elle y demeura jusqu'à sa mort, en 1857.
[133] La duchesse de Talleyrand avait fait, à Paris, en 1840, l'acquisition d'une petite maison entre cour et jardin, située rue de Lille, no 73. Cette maison, qui n'avait guère que les proportions d'un pied-à-terre, fut achetée, en 1862, par la comtesse de Bagneux.
[134] Après avoir mis fin à la guerre civile (allumée par don Carlos à la mort de son frère Ferdinand VII) par la capitulation de Bergara, Marie-Christine voulut entrer dans la voie de la réaction. Elle fit présenter aux Cortès, en 1840, la loi des ayuntamientos, destinée à restreindre les libertés municipales. Aussitôt, une insurrection, qui éclata à Barcelone, s'étendit bien vite à Madrid et dans un grand nombre d'autres villes, trouvant son appui dans Espartero. La Reine régente l'appela et le chargea de former un Ministère le 16 septembre 1840, mais il lui imposa des conditions si dures qu'elle ne crut pas pouvoir les accepter; le 2 octobre suivant, elle se démit de la Régence.
[135] Mme Lafarge, compromise avec plusieurs personnes de la société parisienne, fut accusée, d'abord, d'un vol de diamants, et ensuite, d'avoir empoisonné son mari. La première accusation ne fut jamais bien éclaircie, mais il n'en fut pas de même de la seconde. La Cour d'assises condamna Mme Lafarge aux travaux forcés, et elle resta douze années captive, au bout desquelles, à moitié mourante, elle fut graciée. Elle mourut effectivement quelques mois après, en 1852.
[136] A l'âge de quatorze ans, le duc de Richelieu, alors duc de Fronsac, épousa Mlle de Noailles, par ordre du Roi Louis XIV. En 1734, après les sièges de Kehl et de Philippsbourg où il s'était fort distingué, Richelieu se remaria avec Mlle de Guise, princesse de Lorraine, et, à quatre-vingt-deux ans, il épousa, en troisièmes noces, Mme de Roothe. On raconte qu'après la cérémonie de ce mariage, il rentra chez lui pour changer ses vêtements, et que, jetant son cordon bleu sur son lit, il dit à son valet de chambre: «Va, le Saint-Esprit fera le reste!»
[137] Le Roi Frédéric-Guillaume IV n'eut pas précisément de couronnement, mais il se rendit à Kœnigsberg, pour y recevoir l'hommage (die Huldigung) de ses sujets qui, par l'entremise de leurs députés, lui prêtèrent, le 10 septembre 1840, le serment de fidélité.
[138] Dans la tragédie de Racine, Britannicus, acte IV, scène II.
[139] Le mémorandum adressé par lord Palmerston au gouvernement français se trouve aux pièces justificatives de ce volume.
[140] Beyrouth avait été conquise sur la Turquie par Ibrahim-Pacha, qui, par ses victoires, avait soumis toute la Syrie au vice-roi d'Égypte. C'est à la suite de cette expédition, si menaçante pour l'Empire ottoman, et qui faillit amener une guerre européenne, que la ville de Beyrouth fut bombardée et reprise sur Méhémet-Ali, par l'escadre anglo-autrichienne, en 1840.
[141] Sous ce nom de journal de Saint-Cloud, on désignait le Journal des Débats.
[142] Ce morceau se trouve contenu dans l'Histoire de Mme de Maintenon et des principaux évènements du règne de Louis XIV, dont la première partie devait paraître en 1848.
[143] Fils unique du duc de Mortemart; il mourut des suites d'une chute de voiture.
[144] Le 15 octobre 1840, vers six heures du soir, Louis-Philippe retournait de Paris à Saint-Cloud avec la Reine et Madame Adélaïde; la voiture suivait le quai des Tuileries; elle arrivait ainsi au poste du Lion, lorsqu'une détonation se fit entendre. Mais l'arme dont l'assassin Darmès venait de se servir contre le Roi avait éclaté, et le coup s'était tout entier retourné contre lui. Arrêté, incarcéré dans la prison, il fallut aussitôt lui faire l'amputation de la main gauche, qui était absolument mutilée.
[145] Mme de Flahaut était Anglaise, fille de l'amiral Keith (lord Elphinstone), qui fut chargé de notifier à Napoléon Ier, venu sur les côtes anglaises pour y chercher l'hospitalité, en 1815, qu'il était prisonnier de la Sainte-Alliance. Ce fut lui qui reçut la mission de préparer l'embarquement du captif pour Sainte-Hélène.
[146] Thiers tomba définitivement, avec son Ministère, pour faire place à M. Guizot, le 29 octobre 1840. Il ne devait plus remonter au pouvoir sous le règne de Louis-Philippe.
[147] Le Pape était alors Grégoire XVI.
[148] Le nouveau Cabinet était ainsi composé: Ministre de la Guerre et Président du Conseil, Maréchal Soult; Affaires étrangères, M. Guizot; Travaux publics, M. Teste; Intérieur, M. Duchâtel; Finances, M. Humann; Instruction publique, M. Villemain; Justice, M. Martin du Nord; Commerce, M. Cunin-Gridaine; Marine, amiral Duperré.
[149] Séance d'ouverture de la Chambre des Députés.
[150] Le duc de Chartres.
[151] Lord Palmerston ne voulait faire aucune concession.
[152] M. Sauzet.
[153] Ce manifeste de la Reine Christine au peuple espagnol se trouve aux pièces justificatives de ce volume.
[154] Victoria, princesse royale de Grande-Bretagne et d'Irlande, naquit le 21 novembre 1840. Par son mariage avec le prince Frédéric-Guillaume de Prusse, elle devint, plus tard, Impératrice d'Allemagne. Elle fut la mère de l'Empereur Guillaume II.
[155] Un conflit, né de la révolution de Juillet 1830, s'était élevé en Pologne, où les Russes et les insurgés se livraient, sous les murs de Varsovie, des batailles terribles. Le 7 septembre 1831, Varsovie dut capituler, malgré une résistance désespérée qui eut en France un immense et douloureux retentissement. Une émeute faillit soulever Paris, et renverser le ministère Casimir-Perier, qui avait reconnu impossible de soutenir la Pologne révoltée.
[156] Allusion à l'Œil-de-bœuf du château de Versailles, où se nouaient les intrigues de Cour.
[157] Le duc Pasquier.
[158] Allusion à l'acte auquel le Roi Louis-Philippe avait apposé sa signature en février 1831, au lendemain de la démolition de l'Archevêché et du sac de Saint-Germain-l'Auxerrois. Trop porté à considérer toute résistance impossible devant la sédition, M. Laffitte imposa au Souverain la publication du décret suivant: «A l'avenir, le sceau de l'État représentera un livre ouvert, portant ces mots: «Charte de 1830,» surmontés d'une couronne fermée, avec le sceptre et la main de justice en sautoir, et des drapeaux tricolores derrière l'écusson, et pour exergue: «Louis-Philippe, Roi des Français.» C'est ainsi que disparurent les fleurs de lis qui figuraient jusqu'alors sur le sceau de l'État, dans le Royaume.
[159] Alors le duc de Broglie.
[160] M. Odilon Barrot.
[161] M. Casimir Perier.
[162] M. Saint-Marc Girardin.
PARIS.—TYP. PLON-NOURRIT ET Cie, 8, RUE GARANCIÈRE.—12288.