— Note de transcription —
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La Table des matières se trouve ici.
DU MÊME AUTEUR
Le livre de ce qu’il y a dans l’Hadès. (Bibliothèque de l’Ecole des Hautes Etudes, t. XCVII.) — Paris, E. Bouillon, 1894.
Catalogue des Monuments et Inscriptions de l’Egypte antique, t. I à III (en collaboration avec J. de Morgan, U. Bouriant, G. Legrain et A. Barsanti). — Vienne, Holzhausen, 1894–1909.
Mémoire sur les Fouilles de Licht (en collaboration avec J.-Et. Gautier). Mémoires de l’Institut français d’Archéologie orientale du Caire, t. VI. — Le Caire, 1902.
Monuments pour servir à l’étude du culte d’Atonou en Egypte (en collaboration avec U. Bouriant et G. Legrain). Mémoires de l’Institut français d’Archéologie orientale du Caire, t. VIII. — Le Caire, 1903.
Le Papyrus Prisse et ses variantes. — Paris, P. Geuthner, 1911.
Décoration égyptienne. Plafonds et frises végétales du Nouvel Empire Thébain. — Paris, Eggimann, 1911.
Le tissage aux cartons et son utilisation décorative dans l’Egypte ancienne (en collaboration avec A. van Gennep.) — Neuchâtel, 1916.
Les frises d’objets des sarcophages du Moyen Empire. Mémoires de l’Institut français d’Archéologie orientale du Caire, t. XLVII. — Le Caire, 1921.
Matériaux pour servir à l’établissement d’un dictionnaire d’archéologie égyptienne. Bulletin de l’Institut français d’Archéologie orientale du Caire, t. XIX. — Le Caire, 1922.
L’Architecture et la décoration dans l’Ancienne Egypte:
GUSTAVE JEQUIER
PROFESSEUR D’ÉGYPTOLOGIE A L’UNIVERSITÉ DE NEUCHATEL
CORRESPONDANT DE L’ACADÉMIE DES INSCRIPTIONS ET BELLES-LETTRES
HISTOIRE
DE LA CIVILISATION
ÉGYPTIENNE
DES ORIGINES A LA CONQUÊTE D’ALEXANDRE
Ouvrage orné de 265 gravures
Nouvelle édition revue
PAYOT, PARIS
106, BOULEVARD ST-GERMAIN
1925
Tous droits réservés
Premier tirage Juin 1913
Deuxième tirage Décembre 1923
Troisième tirage Janvier 1925
Tous droits de reproduction, de traduction et d’adaptation réservés pour tous pays.
Copyright 1913, by Payot & Cie.
Une Egypte immuable, figée dans sa civilisation hiératique depuis l’aube la plus lointaine de l’histoire jusqu’au moment où elle tombe entre les mains des Grecs, une Egypte entièrement séparée du reste de l’humanité et n’ayant exercé aucune influence sur le développement du monde ancien, telle est la double légende qui, dans le public lettré d’aujourd’hui, est encore considérée presque comme un axiome, comme une de ces vérités élémentaires devant lesquelles on s’incline sans discuter. Et pourtant cette légende, si l’on en cherche l’origine, repose sur bien peu de chose, sur les impressions de quelques voyageurs qui parcoururent la vallée du Nil à une époque où l’état de la science ne permettait pas encore une étude rationnelle et fructueuse des monuments.
Les Grecs, si fiers de leur supériorité sur les autres peuples, n’ont cependant jamais rangé les Egyptiens parmi les barbares; bien plus, ils reconnaissent hautement, à l’occasion, la part prédominante de l’Egypte dans la naissance et le développement de leur propre civilisation et ne font aucune difficulté pour avouer qu’à la base même de la culture grecque, on trouve des racines égyptiennes. Il eût été du reste bien invraisemblable qu’un pays qui comme l’Egypte était arrivé à un très haut degré de civilisation alors que ses voisins en étaient encore à l’état primitif, n’exerçât pas sur eux une influence considérable. En effet, plus nous apprenons à connaître l’Egypte et les peuples méditerranéens anciens, plus nous retrouvons de traces de cette influence; tous ont puisé à cette source la force nécessaire pour se développer, et s’ils ont transformé [10] ce qu’ils ont emprunté, chacun suivant son génie naturel, il n’en est pas moins vrai que c’est la civilisation égyptienne qui a le plus contribué à faire prospérer toutes les autres, et que par suite nous avons envers elle une lourde dette de reconnaissance.
Depuis la découverte des hiéroglyphes, tous les travaux entrepris au sujet des monuments anciens de l’Egypte montrent clairement que la civilisation de ce pays, comme partout ailleurs, eut ses alternatives de croissance, de grandeur et de décadence, et plus les travaux se spécialisent, plus les différences entre les époques s’accusent. Jusqu’ici cependant, la tendance de certains ouvrages d’ensemble a été d’insister sur la ligne générale, de chercher à présenter un tout homogène plutôt que de différencier les périodes, ce qui ne pouvait qu’accréditer toujours davantage dans le public la vieille légende de l’Egypte immuable.
Le but de ce petit livre est de réagir contre ces idées erronées, d’étudier successivement toutes les grandes étapes de la civilisation égyptienne, de montrer les progrès réalisés peu à peu malgré les secousses et les changements de régime, en groupant les résultats acquis autour d’un rapide aperçu de l’histoire elle-même, comme aussi d’indiquer la naissance des arts, des industries, des différentes branches de la civilisation égyptienne, leur expansion progressive dans les pays limitrophes, et la part qui leur revient dans le développement de la culture générale.
G. J.
LES SOURCES DE L’HISTOIRE D’ÉGYPTE
Isolée comme est l’Egypte par la mer et les déserts, son développement devait être original. Ce pays favorisé par la nature, avec son climat chaud et son sol d’une fertilité exceptionnelle, toujours renouvelé par les inondations du Nil et livrant généreusement à l’homme tout ce qui peut lui être nécessaire pour vivre, était destiné à devenir un des berceaux de la civilisation; ici l’homme n’avait pas besoin, comme ailleurs, d’efforts répétés et incessants pour s’assurer une maigre subsistance et une existence précaire: il n’avait qu’à se laisser vivre et il lui suffisait d’un léger travail pour réaliser un sérieux progrès de bien-être. Défendue naturellement de trois côtés, par la Méditerranée et les déserts arabique et lybique, l’Egypte n’avait que peu de chose à craindre du côté de ses voisins plus ou moins turbulents et, à l’origine tout au moins, elle n’eut pas, semble-t-il, à subir de ces bouleversements [12] qui arrêtent parfois pour longtemps une civilisation naissante. Ce n’est pas la lutte pour la vie qui est la cause du développement intellectuel et industriel des premiers Egyptiens, mais le besoin instinctif d’augmenter le bien-être dont la nature avait déjà largement pourvu les habitants de ce pays privilégié.
Il ne faut pas songer à établir combien de siècles ou de milliers d’années dura cette période de travail latent, de développement progressif, à laquelle nous appliquons le terme peu précis de préhistorique. Toujours est-il que vers 4.000 avant J.-C, à une époque où la barbarie la plus absolue régnait sur le reste du monde et où seule la Babylonie, autre berceau de la civilisation, et peut-être aussi la Chine, pourraient montrer un état analogue, nous trouvons en Egypte un royaume constitué régulièrement et solidement, une race possédant une langue qui présente déjà certains caractères de décadence et une écriture compliquée mais parfaite en son genre, un peuple sachant utiliser tous les matériaux pour la construction de monuments importants, et déjà très avancé dans la connaissance et l’exercice des arts, un peuple industriel en possession des métaux et pour lequel l’agriculture et l’élevage du bétail n’ont plus de secrets. Une force pareille ne pouvait rester confinée dans un petit pays comme l’Egypte et devait nécessairement rayonner au dehors, les défenses naturelles, mer et déserts, ne pouvant entraver une expansion toute pacifique, et peu à peu le commerce s’établissait, vers le Soudan d’abord, sans doute, puis vers la Palestine et les pays situés plus au nord. Les fouilles récentes pratiquées en Crète montrent l’influence considérable qu’exerça l’Egypte sur les civilisations naissantes de la Grèce et de l’Archipel et cela dès l’Ancien Empire, donc pendant le quatrième millénaire [13] avant J.-C. aussi bien que pendant la période mycénienne; ainsi se confirment les légendes où les Grecs reconnaissaient eux-mêmes le rôle qu’avait joué vis-à-vis de leurs ancêtres directs ce peuple paisible, industrieux, artiste et commerçant.
Il y a cent ans, tout ce qu’on savait de l’Egypte antique, de son histoire et de sa religion aussi bien que de ses mœurs et coutumes, se réduisait aux données fournies par des écrivains étrangers au pays, en particulier par les auteurs classiques, à côté desquels il n’y a guère à signaler que les renseignements disséminés dans les livres de l’Ancien Testament. Parmi les Grecs qui écrivirent sur l’Egypte, le premier rang, tant par la date que par la valeur de son œuvre, appartient sans contredit à Hérodote, qui nous trace un tableau des plus remarquables de l’état du pays à son époque, tableau plein de détails piquants saisis sur le vif par un observateur sûr et avisé, mais mélangés de contes invraisemblables, de racontars de toute sorte, recueillis avec le plus grand sérieux et une inlassable confiance dans les drogmans de son temps, qui étaient sans doute aussi peu instruits et aussi peu scrupuleux que de nos jours. Quoi qu’il en soit, et bien qu’il soit souvent difficile d’y distinguer le vrai du faux, cet ouvrage, qui forme l’ensemble le plus complet que nous aient donné les auteurs anciens sur l’Egypte, était et est encore considéré à juste titre comme la base de tout travail général sur les peuples de la vallée du Nil, et l’auteur de la phrase fameuse: «l’Egypte est un don du Nil» mérite de conserver, en ce qui concerne ce pays aussi, son titre de «père de l’histoire». Pour compléter les renseignements d’ordres si divers que donne Hérodote, on avait encore ceux que fournissent d’autres auteurs moins [14] anciens — et parfois aussi moins dignes de foi — tels que Diodore de Sicile, Pline le Jeune, Strabon et certains historiens de second ordre dont quelques fragments seulement nous sont parvenus. Pour l’écriture sacrée, on pouvait consulter les Hiéroglyphiques d’Horapollon, et, pour la religion, Hermès Trismégiste et surtout le livre de Plutarque sur Isis et Osiris, qui est encore aujourd’hui le document le plus important, le tableau d’ensemble le plus parfait d’un des mythes fameux de l’antiquité orientale. Concernant l’histoire proprement dite enfin, on avait composé, sur la demande des Ptolémées, des ouvrages spéciaux donnant la liste des rois, la longueur de leurs règnes, quelques détails sur les plus importants d’entre eux, en somme une sorte de classification méthodique de l’histoire, basée sur des documents originaux. Telles étaient la liste d’Eratosthène dont quelques fragments nous sont parvenus, recueillis par Apollodore, puis d’après celui-ci par Georges le Syncelle, et surtout les Aegyptiaca de Manéthon. Ce livre, écrit au IIIme siècle avant notre ère, est aujourd’hui perdu, de même que son Livre de Sothis, qui traitait du même sujet, mais surtout au point de vue chronologique: des fragments en ont cependant été recueillis par Josèphe, ceux en particulier qui concernaient le séjour des Juifs en Egypte, tandis que certains auteurs, entre autres l’Africain et Eusèbe, en avaient tiré une sorte de résumé, d’epitome, donnant seulement la liste des dynasties, le nombre d’années pendant lequel elles régnèrent et, pour les plus illustres d’entre elles, les noms des rois et un bref récit de leur carrière. Au temps où l’on ne connaissait l’Egypte que par les auteurs grecs, cette sèche énumération de chiffres et de noms barbares, plus ou moins travestis, ne pouvait guère attirer l’attention des savants qui [15] n’avaient aucun point de comparaison; depuis que nous sommes en possession des monuments originaux, ce petit opuscule, tronqué et mutilé, qui ne nous est parvenu que par ricochet, est devenu une des sources les plus précieuses de l’histoire d’Egypte, car on a pu reconnaître qu’il avait été composé d’après des documents authentiques, des listes comme celle du papyrus de Turin, et que la division en dynasties est parfaitement justifiée. Ce n’est toutefois pas impunément qu’un livre passe entre les mains de tant d’auteurs successifs qui se recopient les uns les autres. C’est par l’entremise de Georges le Syncelle que nous sont parvenus les extraits de l’Africain et d’Eusèbe, aussi les fragments de Manéthon contiennent-ils bien des incorrections, des transpositions, des erreurs de chiffres, et on ne peut en faire usage qu’avec la plus grande circonspection: ainsi les trente dynasties semblent d’après lui se succéder régulièrement, tandis que très probablement il y en eut de collatérales, ce qui peut diminuer, dans des proportions très importantes, la somme totale des années que dura la monarchie égyptienne.
Cette rapide énumération des principaux auteurs grecs et latins qui ont parlé de l’Egypte suffira pour qu’on puisse se rendre compte de la valeur très réelle et en même temps de l’insuffisance de ces documents au point de vue de la connaissance du peuple qui habitait la vallée du Nil dans l’antiquité; quant aux nombreuses et très précieuses données que renferment les livres de l’Ancien Testament sur le séjour des Hébreux en Egypte et les relations des rois de Juda et d’Israël avec les Pharaons, elles sont trop connues pour qu’il soit nécessaire d’y revenir ici.
Voilà donc à quoi se réduisait, il y a un siècle, le bagage scientifique dont on pouvait disposer en ce qui concerne l’Egypte; quelques voyageurs, il est vrai, comme Chardin, Pockoke et d’autres, après avoir parcouru le pays, en avaient publié des descriptions, et parfois même copié les monuments anciens encore visibles, mais les reproductions qu’ils en donnent n’en sont que de grossières caricatures et ne peuvent donner qu’une idée parfaitement fausse de l’art et de l’écriture de l’Egypte antique. Quant aux essais d’interprétation d’hiéroglyphes, comme ceux du savant jésuite le P. Kircher, ce sont des ouvrages de fantaisie pure, fruit d’une imagination trop mystique, et qui, dénués de toute base scientifique sérieuse, ne peuvent plus aujourd’hui qu’attirer la curiosité de quelque bibliophile.
En 1809 commença à paraître, sous le titre de Description de l’Egypte, le résultat des travaux des savants français que Bonaparte avait adjoints à son expédition de 1798 pour étudier à fond les richesses et les mœurs des habitants d’un pays dont il avait l’intention de faire le boulevard de la civilisation européenne. Les circonstances firent, il est vrai, échouer le programme politique du grand conquérant, mais son but scientifique fut rempli au delà de toute espérance, grâce à l’opiniâtreté et à la persévérance de ces hommes qui, travaillant dans les conditions les plus défavorables, réussirent à mener à bien, en deux années à peine, une des œuvres les plus gigantesques qui aient jamais été entreprises dans le domaine de la science. Il s’agissait de relever tout ce qui concernait l’histoire naturelle du pays, zoologie, botanique, minéralogie, les mœurs et coutumes des habitants, les métiers, le commerce, l’agriculture, et une carte au cent millièmes de toute la vallée du Nil, d’Assouan à la mer, carte dont on se [17] sert actuellement encore; quant aux antiquités, tous les monuments existant à cette époque furent relevés avec grand soin, et si on a pu faire aux savants français de la Commission d’Egypte le reproche d’avoir souvent sacrifié la copie des textes hiéroglyphiques à l’exactitude de l’architecture, il faut tenir compte de l’état de la science à ce moment-là et de la difficulté que devait présenter, à des dessinateurs, même très habiles, cette écriture absolument inconnue et l’innombrable quantité de ces inscriptions dans lesquelles il aurait fallu pouvoir faire un choix judicieux, inscriptions que les égyptologues modernes sont loin d’avoir encore toutes publiées. Cet immense ouvrage, avec ses neuf cents planches et ses nombreux volumes de mémoires, est bien oublié aujourd’hui, et l’on est loin d’avoir pour lui la reconnaissance qu’il mérite, car cette publication devait être le point de départ d’études toutes spéciales; on peut même dire qu’elle inaugurait pour la science de l’histoire une ère nouvelle, par la naissance de l’égyptologie.
Parmi les monuments découverts et publiés par les membres de la Commission d’Egypte se trouvait l’inscription trilingue connue sous le nom de pierre de Rosette, avec son texte en hiéroglyphes, en démotique et en grec, qui n’était autre qu’un décret de Ptolémée Epiphane en faveur des temples d’Egypte. L’importance de ce document et le parti qu’on pouvait en tirer furent bien vite reconnus, et plusieurs savants se mirent à l’œuvre, indépendamment les uns des autres, pour arriver à déchiffrer ces deux écritures inconnues. Sylvestre de Sacy et le Suédois Akerblad attaquèrent le texte démotique et finirent par en découvrir le mécanisme; l’Anglais Young se mit au texte hiéroglyphique qui était bien moins complet et présentait de beaucoup [18] plus grandes difficultés; il eut l’intuition de la méthode à suivre, mais ne sut pas la mener jusqu’au bout, tandis qu’un jeune savant français, J.-Fr. Champollion, travaillant de son côté sur le même document avec une ténacité et une perspicacité admirables, arrivait à saisir la clef du système hiéroglyphique. Il établit de façon certaine la valeur, la fonction et le sens de chaque signe, reconnut avec l’aide de la langue copte, l’égyptien d’époque chrétienne, les groupes formant des mots, puis déchiffra les phrases. Accueillie avec une certaine méfiance lors de sa publication en 1822, cette découverte finit par être acceptée et reconnue du monde savant; l’égyptologie était née, et c’était au même homme qu’il appartenait de la développer, en établissant, toujours avec le même esprit de méthode, les bases de la science nouvelle. Ce jeune génie, car on ne peut trouver d’autre mot pour qualifier un homme qui n’eut son égal dans aucune autre branche des sciences historiques, mourut à quarante ans après avoir non seulement ressuscité l’écriture et la langue des anciens Egyptiens, mais encore reconstitué, dans les grandes lignes tout au moins, leur histoire, leur religion, leurs institutions, leurs mœurs, et la géographie ancienne de leur pays. Il restait sans doute encore beaucoup à découvrir, mais la voie était frayée et elle fut suivie, avec une certaine hésitation d’abord, puis avec toujours plus de sûreté, par une pleïade d’hommes de valeur qui sont arrivés à faire de l’égyptologie une science digne de marcher de pair avec ses aînées, celles qui concernent l’antiquité classique en particulier.
Malgré leur nombre, les documents réunis par la Commission d’Egypte étaient très insuffisants, et Champollion, après avoir visité quelques collections publiques ou particulières d’objets rapportés d’Egypte, reconnut [19] qu’il était absolument nécessaire d’aller sur place à la recherche de matériaux nouveaux, car il se sentait capable de faire un choix judicieux des monuments les plus importants et de les copier avec exactitude. Ses vœux furent exaucés et il put encore diriger lui-même l’expédition franco-toscane qui, grâce aux connaissances nouvelles qu’il avait acquises, devait devenir un vrai voyage de découvertes, et lui fournir une ample moisson de matériaux inconnus auparavant. La première publication sérieuse de textes égyptiens originaux ne put être faite qu’après la mort de Champollion.
En 1842, sous les auspices cette fois du gouvernement prussien, une nouvelle expédition, dirigée par Lepsius, partait pour l’Egypte à la recherche de textes historiques; cette mission fit un séjour de près de trois ans dans le pays et en rapporta une récolte encore plus abondante que celle de Champollion. Malgré le format monumental des douze volumes donnant les résultats de ces travaux, on pourrait appeler cet ouvrage, maintenant encore, le livre de chevet de tout égyptologue.
A cette époque, on ne faisait pas encore de recherches sérieuses dans le sol même de la vallée du Nil; seuls quelques particuliers, désireux d’enrichir leurs collections de bibelots égyptiens, pillaient sans merci un certain nombre de tombeaux et de sites antiques, sans profit réel pour la science. Les fouilles méthodiques ne commencèrent qu’en 1850 par la découverte retentissante que fit un jeune savant français, Aug. Mariette, d’un des sanctuaires égyptiens les plus connus et les plus vénérés des anciens, le Sérapéum de Memphis, le tombeau souterrain des bœufs Apis. Encouragé par ce succès qui avait fait de lui une célébrité, Mariette se voua aux recherches dans le sol même de l’Egypte; il [20] obtint du khédive l’autorisation de créer un Service des Antiquités et un musée d’antiquités égyptiennes, et dès lors ses fouilles continuèrent sans interruption d’une extrémité à l’autre de l’ancien royaume des Pharaons, alternant avec le déblaiement des temples enfouis. Des milliers de monuments nouveaux surgirent du sol et celui qui les découvrit cherchait en même temps à les mettre le plus vite possible à la disposition du monde savant par de grandes publications qui rendirent des services inappréciables. Peu à peu, les gouvernements étrangers voulurent aussi avoir leur part à ces travaux si fructueux et entreprirent eux-mêmes des fouilles; des sociétés scientifiques se créèrent dans le même but, et depuis quarante ans environ l’exploration du sol de l’Egypte est poussée avec une activité fébrile, et presque toujours le succès est venu couronner ces efforts.
Pendant ce temps, d’autres savants, comme de Rougé et Chabas en France, Lepsius et Brugsch en Allemagne, Birch en Angleterre, pour ne citer que les principaux d’entre les disparus, et leurs élèves et émules, compulsaient les matériaux et en extrayaient méthodiquement ce qui pouvait être utile à la science; ainsi toutes les branches de l’égyptologie, avançant de front, faisaient d’année en année de sérieux progrès: la langue, la religion, l’histoire, livraient peu à peu leurs secrets. Pour ce qui est de l’histoire, en particulier, les limites de l’inconnu reculaient insensiblement: faute de documents originaux très anciens, Champollion, qui avait établi de façon à peu près définitive les règnes des Pharaons à partir du Nouvel Empire thébain, n’avait guère pu jeter au delà qu’un coup d’œil d’ensemble. Lepsius fut l’initiateur en ce qui concerne la XIIme dynastie, une des époques les plus brillantes de l’histoire d’Egypte, et de Rougé s’avança le premier délibérément dans ce qu’on est [21] convenu d’appeler l’Ancien Empire memphite, l’âge des constructeurs de pyramides. Une barrière qui semblait infranchissable s’élevait au seuil de cette époque, reléguant dans la légende les deux premières dynasties et tout ce qui pouvait les avoir précédées; ce n’est qu’à la fin du XIXe siècle que subitement, à la suite de plusieurs découvertes simultanées, la barrière s’écroula, ouvrant aux regards un champ nouveau qui reculait presque jusqu’à l’infini l’histoire du passé. Les études préhistoriques venaient se confondre avec celles des égyptologues et les compléter, et les recherches poussées dans ce sens, sur un terrain presque inépuisable, devaient donner des résultats autrement plus précis que dans tout autre, pays connu, en ce qui concerne ces périodes du début de la civilisation.
En plus des données des historiens anciens sur l’Egypte nous avons donc maintenant des documents qui proviennent du pays lui-même, documents innombrables mais de valeur très diverse, pouvant se classer en deux séries qu’on pourrait appeler, faute de meilleurs mots, les documents rétrospectifs et les documents contemporains.
Tandis que ces derniers ont une valeur plutôt spéciale et ne se rapportent qu’à l’époque ou même au règne d’où ils émanent, les premiers, peu nombreux il est vrai, mais d’autant plus précieux, sont de vrais résumés d’histoire, datant d’époques très diverses. Ce sont d’abord les listes monumentales, tableaux provenant de temples ou de tombeaux, où l’on voit un roi adresser son hommage à toute la série de ses ancêtres, représentés en général par leur nom seulement, par leur cartouche royal, et rangés dans l’ordre chronologique; ou bien c’est un prêtre donnant la liste des rois au culte funéraire desquels il était commis: telles les [22] deux listes d’Abydos dont l’une est encore en place, l’autre au Musée Britannique, la liste de Saqqarah au Musée du Caire, et la Chambre des Ancêtres de Karnak à la Bibliothèque Nationale de Paris.
Le papyrus royal de Turin, écrit au commencement du Nouvel Empire, avait une importance bien plus considérable encore: il donnait non seulement la liste complète de tous les rois ayant régné sur l’Egypte, y compris les dynasties divines, mais encore le nombre d’années de chaque règne et souvent l’âge du roi à sa [23] mort; en plusieurs endroits il y avait en outre, en guise de récapitulation, la somme totale des années que dura une dynastie. C’est une chronologie complète embrassant deux mille ans d’histoire, et qui devait être absolument intacte et entière au moment de sa découverte, mais dans ce temps là, il y a près de cent ans, on ne prenait pas les mêmes soins qu’aujourd’hui des objets découverts au cours des fouilles; l’on dit que Drovetti, grand collectionneur d’antiquités, ayant trouvé ce papyrus dans des travaux qu’il faisait exécuter dans les tombeaux de Thèbes, et ne pouvant naturellement en soupçonner la valeur, le prit aussitôt sorti de terre, le mit dans un flacon à large col qui se trouvait dans la sacoche de sa selle, et rentra chez lui au galop. Le manuscrit ne put résister à un traitement aussi violent, et à l’arrivée il ne restait plus dans le flacon qu’un tas de fragments de papyrus, plus petits les uns que les autres; c’est dans cet état qu’ils parvinrent, en même temps que le reste de la collection Drovetti, au musée de Turin, où Champollion, qui les retrouva au fond d’une boîte, fut le premier à en signaler l’importance. Grâce à une néfaste négligence, ce monument de tout premier ordre avait perdu beaucoup de sa valeur; néanmoins les fragments qui ont pu être rassemblés et rétablis [24] dans leur ordre primitif donnent, malgré les immenses lacunes provenant de morceaux disparus, des renseignements si importants que le papyrus royal de Turin peut à juste titre être considéré comme la base de toute étude chronologique sur l’Egypte depuis son origine jusqu’à l’époque troublée des Hyksos, entre 2.000 et 1.500 avant notre ère.
Il existait quelque part en Egypte, probablement dans le temple d’Héliopolis, la métropole religieuse qui se trouvait à peu de distance du Caire, un monument d’une importance plus considérable encore que le papyrus de Turin, bien qu’il y fût question des cinq premières dynasties seulement. C’était une grande dalle de pierre sur les deux faces de laquelle étaient gravés, dans de petites cases rangées en longues lignes, tous les événements, importants ou non, qui illustrèrent le règne de chaque roi, depuis la fondation du royaume d’Egypte par Ménès; à chaque année était réservée une case et en regard on avait noté la cote maxima de la crue du [25] Nil. Le jour exact de la mort de chaque roi et celui du couronnement de son successeur étaient scrupuleusement indiqués. Le destin n’a pas voulu que ces annales, les plus vieilles du monde, parvinssent intactes jusqu’à nous; le fragment conservé aujourd’hui au musée de Palerme, et connu sous le nom de pierre de Palerme, constitue peut-être la dixième partie du monument complet. On a retrouvé récemment quelques autres morceaux de plus petites dimensions qui sont entrés dans les collections du musée du Caire, et qui paraissent provenir de duplicatas de ce document; ce fait permet d’espérer qu’une fois ou l’autre on découvrira d’autres fragments qui viendront combler les lacunes encore très considérables de ce texte, le plus important pour l’histoire des premières dynasties.
Cette catégorie de sources historiques d’une importance capitale, est donc très peu abondante; à côté d’elle on possède la multitude innombrable et disparate des documents que j’ai appelés tout à l’heure les documents contemporains, et qui forme l’ensemble le plus hétéroclite qu’on puisse imaginer, depuis les scarabées de faïence jusqu’aux colosses de granit et aux bas-reliefs couvrant des surfaces immenses, depuis le tesson de pot ou le morceau de terre glaise desséchée jusqu’au bijou de l’art le plus exquis, depuis le fier obélisque jusqu’au plus humble chiffon de toile. Ce n’est parfois qu’un nom de roi ou une date de règne, parfois une stèle commémorant une expédition victorieuse ou un décret en faveur d’un temple ou bien la représentation figurée des guerres lointaines, des prisonniers et du butin que le roi vient offrir à ses dieux. Plus rarement nous avons l’histoire complète d’un règne, ainsi le résumé de la vie de Ramsès III qui est annexé à la liste des dons [26] faits par lui aux temples d’Egypte, à la fin du grand papyrus Harris, ou le récit des campagnes de Thoutmès III, que ce roi, le plus puissant peut-être de tous les Pharaons, fit graver sur les murailles du temple de Karnak. Enfin nous possédons certains récits littéraires qui sont souvent de vrais contes fantastiques édifiés sur une base historique, le conte de Khoufou et des magiciens, celui d’Apopi et de Seqnenra, celui de la prise de Joppé, et surtout celui de Sinouhit, récits analogues à ceux qu’Hérodote nous raconte sur la fille de Khéops et sur les voleurs de Rhampsinite.
A côté des monuments royaux, ceux des simples particuliers, grands seigneurs ou fonctionnaires, donnent souvent des généalogies qui permettent de contrôler l’histoire; ils fournissent même parfois, quand il s’agit d’un homme ayant joué un rôle important à la cour, dans l’administration ou dans l’armée, de véritables biographies qui, comme celles d’Ouna, de Herkhouf, d’Ahmès ou d’Anna, sont parmi les documents les plus précieux que nous ait légués l’Egypte antique.
Enfin, dans un ordre d’idées un peu différent, une découverte heureuse, celle des tablettes de Tell-el-Amarna, nous a mis en possession d’une partie considérable de la correspondance diplomatique et administrative de deux rois de la fin de la XVIIIme dynastie, Amenophis III et Amenophis IV, avec leurs vassaux de la Syrie et de la Palestine, ainsi qu’avec les souverains indépendants de pays plus éloignés, comme l’Assyrie et le royaume de Mitanni. Cette correspondance écrite dans la langue de ces pays, en caractères cunéiformes, éclaire d’une lumière très vive tout l’état social et politique de l’Orient, treize siècles environ avant notre ère.
Cette énumération, forcément incomplète, permet de se rendre compte du genre de documents que nous [27] avons à notre disposition; quelque nombreux qu’ils soient, ces monuments ne nous donnent pas sans doute la possibilité de reconstituer l’histoire d’Egypte comme on l’a fait pour la Grèce et pour Rome. Ces peuples sont, il est vrai, plus rapprochés de nous dans le temps, et en outre ils ont l’immense avantage d’avoir eu des historiens. En Egypte rien de semblable, et il ne paraît pas que jamais un Egyptien ait songé à faire la description des événements qui se passaient de son temps et sous ses yeux, à les étudier et à les apprécier par lui-même; comme dans beaucoup de pays d’Orient, l’esprit de l’histoire n’existait pas dans l’Egypte ancienne.
En somme, à part un certain nombre de règnes qui sont un peu mieux connus que les autres, ceux de quelques rois de la XIIme dynastie et du commencement du Nouvel Empire thébain, il nous manque presque tous les détails et un bon nombre de faits généraux, et nous ne pouvons dans ces circonstances songer à reconstituer entièrement l’histoire politique, administrative, diplomatique, militaire et commerciale du pays; nous devons nous contenter d’une histoire générale où quelques grands événements sont reliés par des noms, un squelette d’histoire, auquel il manque encore bien des éléments, mais qui constitue un ensemble des plus remarquables quand on songe qu’il s’étend sur une période de plus de 4.000 ans, entièrement inconnue il y a peu de temps encore.
Malgré les données très précises de Manéthon et des fragments du papyrus de Turin, la chronologie égyptienne ne peut encore être établie de façon certaine, et cela pour deux raisons principales: la première est le fait que dans les époques de trouble il y eut souvent, non pas un seul souverain gouvernant tout le pays, [28] mais deux ou même plusieurs rois règnant chacun sur une partie plus ou moins grande de l’Egypte; les chronographes énumèrent ces dynasties les unes à la suite des autres sans indiquer laquelle aurait dû légitimement occuper le trône des Pharaons, sans même dire qu’il s’agit de dynasties collatérales. Une cause d’erreurs plus grande encore c’est que les Egyptiens ont toujours vécu au jour le jour, qu’ils n’avaient pas d’ère ni de division normale du temps: les années se comptent à nouveau pour chaque règne à partir de l’avènement du roi; aucun lien chronologique n’existe donc entre les divers souverains, de sorte que non seulement la longueur des règnes, mais même l’ordre de succession reste souvent problématique. L’année égyptienne étant de 365 jours, se trouvait tous les quatre ans en retard d’un jour; pour remédier à cet inconvénient, on imagina l’institution des périodes sothiaques, périodes de 1.460 années ordinaires correspondant à 1.461 années réelles, au bout desquelles l’ordre régulier des saisons se trouvait rétabli. Nous ne savons du reste pas de quelle époque date cette réforme purement scientifique qui n’a jamais servi à l’établissement d’une ère, ni si elle est, comme beaucoup le prétendent, fort ancienne, car les astronomes égyptiens observèrent toujours avec beaucoup d’exactitude le lever héliaque de l’étoile Sothis, ou Sirius; pour nous cette réforme prête à des calculs fort compliqués sur la correspondance entre l’année vague et l’année réelle, calculs qui paraissent le plus souvent arbitraires. Il semble plus normal d’admettre, comme certains auteurs modernes, que les Egyptiens, voyant leurs mois et leurs saisons se déplacer peu à peu, les rétablissaient de temps à autre, artificiellement et sans règle fixe. Cette question très complexe est, comme on le voit, loin d’être élucidée: les périodes sothiaques, [29] au lieu de simplifier les calculs chronologiques, n’ont d’autre résultat pour nous que d’y introduire une nouvelle inconnue et peut-être une nouvelle chance d’erreur.
Ces raisons expliquent de façon suffisante les différences parfois considérables qui existent au point de vue des dates entre les divers historiens; les uns allongent démesurément la durée de l’histoire en ajoutant bout à bout toutes les dynasties connues, tandis que d’autres, procédant en sens inverse, la rétrécissent de façon très exagérée. Les premiers placent l’avènement de Ménès, le premier roi d’Egypte, en l’an 5.510 avant J.-C, les autres, qui sont les plus en faveur aujourd’hui, en 3.315: il y a donc un écart de plus de deux mille ans entre ces deux appréciations extrêmes, et c’est très vraisemblablement dans cet intervalle que devrait se placer la vraie date de la fondation de la monarchie égyptienne. Sans avoir la prétention de vouloir trancher la question, je pense qu’en la fixant de façon approximative aux environs de l’an 4.000, on ne doit pas s’éloigner beaucoup de la vérité. Du reste pour tout ce qui est des périodes les plus reculées, il est prudent de s’abstenir de donner des chiffres précis, et préférable d’indiquer, et encore sous toutes réserves, les siècles et non les années. Ce n’est guère que pour le début du Nouvel Empire thébain que les égyptologues tombent à peu près d’accord pour le placer au commencement du XVIme siècle avant notre ère; la certitude absolue n’existe qu’à partir des rois saïtes, au VIIme siècle.
L’Egypte a pour nous une importance bien plus considérable qu’on ne le suppose d’habitude, car c’est là qu’en somme nous devons chercher le berceau de notre civilisation: c’est en effet de la vallée du Nil qu’est [30] sorti le germe qui, dans des contrées moins favorisées de la nature et sous un climat plus rude, devait se développer de façon inattendue, se transformer entièrement et prendre un essor incomparable, tandis que dans son pays d’origine il se modifiait à peine, son développement restant toujours normal et progressif, mais très lent; de là vient cette légende, bien difficile à déraciner aujourd’hui, d’une Egypte immuable comme les pyramides, n’ayant subi aucune variation pendant toute la durée du règne des Pharaons, légende qui repose sur une apparence seulement. Les besoins de l’homme, dans un pays aussi privilégié que l’Egypte, se réduisent à peu de chose; l’habitant des pays chauds est moins actif que celui des contrées où le climat est plus rigoureux, et une fois qu’il a trouvé, sans grandes difficultés, le nécessaire et même un peu de superflu, il est naturel qu’il se laisse aller à son indolence native et qu’il ne tende pas son énergie à chercher des perfectionnements de bien-être dont le besoin absolu ne se fait pas sentir. Il y a progrès néanmoins, et progrès très appréciable, dans des pays comme l’Egypte surtout, où nous pouvons maintenant comparer entre eux une si grande quantité de monuments d’époques très diverses. Nous constatons que chez ce peuple la civilisation, une fois sa voie tracée, la suit sans jamais s’en écarter; les bouleversements politiques n’arrivent même pas à la faire sortir du chemin montant en pente douce sur lequel elle s’est engagée. Ces grandes crises historiques nous permettent cependant de marquer dans l’histoire de la civilisation un certain nombre d’étapes et de discerner mieux, en les groupant par époques, les progrès réalisés au cours des siècles; nous sommes en effet assez documentés maintenant pour pouvoir apprécier de façon certaine et suivre pas à pas ces progrès qui ne [31] sont pas apparents à première vue, mais qui sont beaucoup plus sensibles qu’on ne pouvait se l’imaginer il y a trente ans encore.
Après avoir passé en revue les sources de l’histoire d’Egypte, il reste à donner un aperçu sommaire des documents que nous possédons sur les mœurs des Egyptiens, leur vie publique et privée, leurs institutions, leur industrie, leur commerce, en un mot leur civilisation. Les écrivains classiques nous ont fourni, ici comme pour l’histoire, un bon nombre de renseignements, Hérodote le premier, puis Diodore, Strabon et tous les autres, et ce qu’ils nous disent peut servir, soit à diriger nos recherches, soit à confirmer les données des monuments originaux. De même les études faites par les membres de la Commission d’Egypte et les observations des divers voyageurs du XVIIIme et du commencement du XIXme siècle sur les mœurs et coutumes des Egyptiens avant l’expansion de la civilisation européenne dans la vallée du Nil, nous fournissent de précieux points de comparaison et même souvent l’explication de bien des détails relatifs aux habitudes anciennes, sur lesquelles les monuments sont trop peu explicites.
Au point de vue de la civilisation égyptienne, le nombre de documents originaux est considérable. En première ligne doivent être rangés les tableaux que les particuliers, grands seigneurs et fonctionnaires, faisaient sculpter ou peindre sur les murailles des chambres de leurs tombeaux, où étaient représentées en détail les scènes de la vie de tous les jours: ainsi le double du mort, son moi immatériel, qui continuait à vivre comme un esprit impalpable au fond du tombeau, auprès de la momie, pouvait encore jouir en une certaine mesure de la vie de ce monde en contemplant ces scènes familières: les figurations de la vie suffisaient [32] au délassement d’une ombre, de même que la représentation des aliments pouvait assurer éternellement sa subsistance. Des trois grandes époques de l’histoire, l’Ancien Empire memphite, le Moyen et le Nouvel Empire thébain, un grand nombre de ces tombeaux sont parvenus jusqu’à nous, plus ou moins intacts, les mastabas d’abord avec leurs bas-reliefs, puis les hypogées avec leurs peintures. On y voit, en premier lieu une population rurale, occupée à l’élevage des bestiaux aussi bien qu’aux travaux des champs, labourage, semailles, récolte des céréales, vendanges et jardinage; puis de nombreux tableaux de chasse et de pêche, et, à côté de cela, des représentations de gens de métier, potiers, métallurgistes, orfèvres, chaudronniers, menuisiers, charpentiers, maçons sculpteurs, peintres, corroyeurs, cordonniers; un peu plus loin les délassements, musique, danse et jeux, et à certaines époques, des jeux gymniques, des exercices militaires, des scènes de recrutement. Nous possédons de très nombreux exemples de chacune de ces représentations qui souvent sont exécutées avec une délicatesse et un art remarquables et dont les variantes nous permettent de comprendre les scènes dans leurs moindres détails et de reconstituer l’action avec une certitude presque absolue.
Les fouilles ont mis à jour une grande quantité d’objets de toute espèce qui, pour les périodes très anciennes, suppléent à l’absence des représentations figurées et, pour les autres époques, les complètent. Ce sont des armes de toute sorte, depuis les lames de silex taillé jusqu’au poignard enrichi d’orfèvrerie, des outils d’agriculteurs, d’ouvriers, de gens de métier, puis des bijoux, des vêtements, des meubles, des vases, des instruments de musique, des ustensiles de ménage, bref [33] tout ce qui était nécessaire à la vie, le tout conservé de la façon la plus merveilleuse dans un sol parfaitement à l’abri de l’humidité. Les outils préhistoriques se trouvent le plus souvent à la surface même du sol, à la lisière du désert, tandis que les autres objets, qui appartiennent aux époques historiques, proviennent soit des ruines des villes antiques, soit le plus souvent du fond des tombeaux, où ils avaient été déposés auprès du mort, toujours dans le but de placer autour de celui-ci ce qui pouvait lui être nécessaire pour sa vie d’outre-tombe. A certaines époques, on se contentait de peindre sur les parois de son sarcophage les divers objets qui devaient faire partie du mobilier funéraire, la représentation figurée pouvant remplacer l’objet lui-même.
Les Egyptiens ont énormément écrit et toujours, grâce au climat de leur pays, beaucoup de leurs manuscrits nous sont parvenus, écrits sur des rouleaux de papyrus dans cette écriture cursive que nous avons l’habitude d’appeler hiératique; ce sont des lettres, des comptes, des contrats, des actes judiciaires, des traités de médecine ou de géographie, et surtout des compositions littéraires qui sont pleines de détails de toute sorte sur la vie ordinaire. Ainsi pour ne citer qu’un exemple, cette satire des métiers, où un scribe, afin de mieux faire valoir l’excellence de sa profession, dénigre successivement toutes les autres carrières et fait ressortir avec une ironie souvent mordante la condition pitoyable des gens qui pratiquent les divers métiers.
Toutes ces données d’ordre si divers nous permettent de nous rendre un compte assez exact de ce qu’était la civilisation égyptienne: elles s’enchaînent naturellement avec les données historiques, et ainsi nous pouvons [34] dès maintenant tracer pour chacune des grandes époques un tableau d’ensemble qui doit correspondre de bien près à la réalité, et reconstituer le développement chronologique de la civilisation égyptienne.
L’ÉGYPTE LÉGENDAIRE
Avant d’aborder l’étude de ce qui nous est parvenu de l’Egypte archaïque, ou préhistorique, nous devons rechercher si, aux époques pharaoniques, les habitants du pays avaient conservé un souvenir de ces temps lointains, du début même de leur race, une légende parlant de ces périodes fabuleuses. Les textes ordinaires ne racontent rien de semblable et il est même bien rare qu’on y trouve mentionné le terme de Shesou-Hor, «les suivants d’Horus», qui désigne les rois mythiques prédécesseurs des dynasties historiques. Par contre les listes royales les plus développées, comme celles de Manéthon et du papyrus de Turin, nous ont conservé des données plus précises sur ces souverains antéhistoriques: la nomenclature des premiers d’entre eux, puis un bref aperçu des dynasties qui suivirent, avec le total des années de règne de chacune d’entre elles: ce sont d’abord des dieux, puis des demi-dieux, et enfin des hommes.
A l’origine de l’histoire on a donc, ici comme partout, la légende, mais une légende dont le développement est loin d’avoir été aussi brillant que dans tant d’autres pays, une légende qui est restée la propriété des prêtres et des savants, non celle du peuple égyptien lui-même. N’ayant rien de poétique, cette tradition a pu se conserver plus pure et plus précise, mais on peut se demander si nous devons nous en féliciter, car entre les mains des prêtres, elle allait fatalement tomber dans le domaine théologique et symbolique, et le mythe religieux devait finir par absorber presque complètement le mythe historique, au point qu’il est le plus souvent difficile de délimiter les deux domaines. C’est dans un fatras de récits très plats et ennuyeux, souvent d’un mysticisme fantastique, que nous arrivons à grand’peine à distinguer les traits généraux de l’histoire primitive de l’Egypte.
Les premiers rois furent, au dire de la légende, les grands dieux d’Egypte, suivant le cycle qui avait été établi dans le sanctuaire d’Héliopolis, une des plus anciennes métropoles religieuses du pays. Ce cycle se composait d’une ennéade, c’est-à-dire d’un groupe de neuf dieux et déesses, et fut adopté dès l’Ancien Empire par tous les autres centres religieux de la vallée du Nil, qui se contentèrent de mettre à sa tête leur dieu local. La liste que nous donne Manéthon, et qui doit être d’origine memphite, place donc au premier rang des rois-dieux Héphaistos, Ptah, le grand dieu de Memphis, le démiurge, celui qui forma l’homme du limon de la terre, qui le modela à la main, de même qu’à l’autre bout de l’Egypte, c’était Khnoum d’Eléphantine qui l’avait façonné sur le tour du potier. Cette mention du dieu [37] créateur comme premier roi d’Egypte est une indication très précise du fait que les habitants de la vallée du Nil se considéraient comme autochtones et croyaient que le premier homme avait été créé dans le pays même. Au papyrus de Turin, le premier nom royal a disparu.
Nous ne savons rien de ce règne de Ptah, qui probablement, sitôt son œuvre créatrice terminée, céda la place à son successeur Rà, le Soleil, le grand dieu d’Héliopolis et de la plupart des villes d’Egypte, chargé d’assurer l’existence et le développement de cette humanité primitive. Celui-ci, pendant son long règne, parcourait journellement ses domaines pour les constituer, les organiser et répandre sur ses sujets ses dons et ses bienfaits, mais tous ses efforts ne réussirent pas à lui attirer la reconnaissance de ces êtres primitifs, encore plus qu’à demi sauvages, ni même celle de ses descendants directs, les dieux, qui commençaient à se multiplier autour de lui. Ce roi-dieu était en une certaine mesure un homme, son grand âge l’avait considérablement affaibli, et, suivant les expressions pittoresques d’un texte égyptien, ses os étaient maintenant en argent, ses chairs en or, ses cheveux en lapis-lazuli; sa bouche tremblait, sa bave ruisselait vers la terre, sa salive dégouttait sur le sol. Profitant de cette décrépitude sénile, Isis, déesse de rang inférieur, employa les moyens les plus déloyaux pour lui arracher le talisman le plus précieux qui lui restât, le secret de son nom magique, grâce auquel elle comptait acquérir une puissance supérieure à celle des autres dieux. Les hommes eux-mêmes s’étant mis à conspirer contre leur débonnaire souverain, Rà se décida à faire un exemple, et après avoir [38] consulté le conseil de famille, l’assemblée des dieux, il dépêcha Sekhet, la déesse à tête de lionne, avec ordre de les massacrer sans pitié, ce dont elle s’acquitta consciencieusement. La nuit seule l’arrêta dans sa course meurtrière, et Rà, contemplant le résultat obtenu, fut pris de pitié et résolut d’épargner le reste des humains; pour apaiser la déesse ivre de carnage, il fit mélanger de la bière et du suc de mandragores au sang des hommes et répandre à terre autour d’elle une quantité considérable de ce liquide. A son réveil, Sekhet aperçut ce breuvage, le but, s’adoucit, s’enivra et oublia ses victimes. Rà avait pardonné aux hommes qui se repentaient, mais, fatigué de régner, il abdiqua et choisit une retraite inaccessible sur le corps de la vache Nouït, déesse du ciel, sa fille; depuis lors, chaque jour, la barque qui le porte navigue sur les flancs de l’animal céleste pour se perdre à la nuit dans son corps même et reparaître le lendemain: le roi-dieu est devenu définitivement le dieu-soleil.
On discerne sans peine dans cette légende le souvenir d’un des cataclysmes qui bouleversèrent toute une partie du monde, comme ce déluge dont parlent les textes chaldéens aussi bien que la Bible, qui dévasta la Mésopotamie et les contrées avoisinantes tout au moins. Il était fort naturel que des désastres de cette nature fussent considérés comme le châtiment d’une humanité mauvaise et que, les dieux une fois apaisés, ils pardonnassent aux survivants et fissent avec eux [39] un nouveau pacte, permettant à ces derniers de racheter leurs fautes par des sacrifices au lieu d’avoir à les expier par la mort des coupables. De même que Jahveh avait exigé de Noé un holocauste, Rà de même avant de monter au ciel, avait institué la coutume du sacrifice, première base du culte que les hommes devaient rendre aux dieux.
Nous ne savons que bien peu de chose du règne des deux successeurs immédiats de Rà; il y a d’abord son fils Shou, l’atmosphère, le soutien du ciel, qui finit sa carrière de roi en remontant au séjour des dieux pendant une tempête terrible, puis son petit-fils Qeb, le dieu-terre, sur lequel nous n’avons que des mythes obscurs et d’un intérêt des plus médiocres. Ces deux [40] rois-dieux, dont le rôle est très effacé, semblent représenter une période de transition pendant laquelle l’humanité se reconstitue après un bouleversement comme celui par lequel elle avait passé. C’était au troisième successeur de Rà, monté sur le trône après que Qeb fut rentré dans son palais pour devenir dieu à son tour, c’était à Osiris que devait appartenir la tâche glorieuse de faire passer le genre humain de l’état barbare et sauvage à un état de stabilité relative, de faire franchir, non seulement à l’Egypte, mais même au monde entier, la première grande étape de la civilisation.
Fils aîné de Queb, le dieu-terre, et de Nouït la déesse-ciel Osiris personnifie en même temps la végétation, la nature fertile de l’Egypte et l’eau vivificatrice du Nil. De même que le fleuve répand continuellement [41] la richesse sur l’Egypte, Osiris, à peine sur le trône, met tous ses efforts à améliorer la condition des hommes; ces sauvages qui vivaient isolés, en lutte perpétuelle les uns avec les autres, il les groupe, forme des tribus, des états, fonde des villes; à ces hommes qui trouvaient péniblement une maigre subsistance dans la chasse et les produits naturels du sol, il enseigne l’agriculture, il leur donne les instruments de labour, il leur montre la manière de cultiver les céréales et la vigne, bref il les fixe au sol et leur fournit les moyens, non seulement d’y vivre, mais de s’y développer. A côté de lui, sa sœur Isis, qui est en même temps sa femme, le seconde admirablement dans son œuvre, et mérite que son nom soit resté inséparable de celui de son mari: pendant que celui-ci établit l’état et la cité, elle constitue la famille, en instituant les liens du mariage; elle déshabitue les hommes de l’anthropophagie et leur apprend à moudre le grain entre deux pierres et à en faire du pain; elle leur donne, avec le métier à tisser, les moyens de se vêtir, et emploie pour soulager leurs maux la médecine et la magie. Osiris institua encore le culte des dieux, régla les cérémonies et les liturgies, puis voyant le résultat obtenu par toutes ses innovations, il résolut de répandre ailleurs qu’en Egypte les bienfaits de la civilisation; il remit la régence à Isis et partit à la conquête du monde, conquête toute pacifique où il se soumettait les hommes par la persuasion et la douceur, voyage triomphal semblable à celui du Dionysos grec, à la suite duquel l’ordre et la richesse s’établissaient dans tous les pays.
Le dieu Set, auquel les Grecs ont donné le nom de Typhon, le propre frère d’Osiris, forme avec lui le contraste le plus absolu; on peut même dire qu’il en est l’exacte contre-partie: il représente non plus la terre [42] fertile, mais le désert aride et brûlant, l’esprit barbare et sauvage à côté du génie bienfaisant, la réaction brutale cherchant à renverser les progrès de la civilisation. Tôt ou tard la guerre devait éclater entre deux êtres aussi dissemblables; en effet Set le rouge, jaloux de la gloire bien méritée que s’était acquise son frère jumeau, sans se révolter ouvertement contre lui, combina avec grand soin un piège perfide dans lequel Osiris tomba sans défiance: il l’enferma dans un coffre de bois et le jeta à la mer où il fut dévoré par les poissons, morceau par morceau, puis le meurtrier s’assit sur le trône de son frère, sans que personne songeât, au premier moment, à lui faire opposition.
Accompagnée de quelques dieux qui lui étaient restés fidèles, Thot et Anubis en particulier, Isis s’enfuit et se réfugia dans les îles marécageuses situées à l’extrême nord du Delta, puis elle entreprit de longues et patientes recherches pour retrouver les restes de son mari qu’elle espérait, en magicienne experte, faire revenir à la vie. Peu à peu elle finit par en rassembler tous les morceaux, sauf un, qui avait été dévoré par le poisson oxyrhinque, et réussit à reconstituer son corps; malgré tous ses efforts, elle ne put le rappeler à la vie, mais elle obtint au moins une compensation, celle d’être fécondée par lui et de mettre au monde un fils, qui devait devenir le vengeur de son père et le continuateur de l’œuvre interrompue par le crime de Set. Le petit Horus grandit, soigneusement caché par Isis dans ses marais impénétrables, et son premier soin, dès qu’il eut dépassé l’âge de l’enfance, fut de rendre à son père les derniers devoirs; aidé d’Anubis, il embauma le corps dont il fit la première momie, et institua les rites funéraires qui devaient assurer au mort la vie d’outre-tombe.
Osiris était le premier roi qui eût été atteint par la [43] mort, tandis que ses prédécesseurs étaient devenus dieux, de rois qu’ils étaient, sans cette brutale transition; grâce à la momification et surtout aux cérémonies qu’Horus lui consacra, il put enfin être déifié à son tour et jouir d’une vie nouvelle dans le séjour des morts où il était descendu; comme il avait été roi sur la terre il devint roi dans les enfers qu’il réussit à transformer, de même qu’il avait transformé le monde des vivants; son domaine particulier, les champs d’Ialou et les champs d’Hotpou, devint par ses soins un pays fertile et bien arrosé, au lieu d’être une sombre caverne, où le soleil de nuit vient à peine jeter pendant de fugitifs instants quelques rayons de lumière; c’est dans ce quartier privilégié de l’autre monde qu’Osiris reçoit ses féaux, les morts, qui viennent se présenter devant son tribunal, prémunis contre la damnation éternelle par les rites institués par Horus, et qui peuvent dès lors jouir d’une vie nouvelle, à peu près semblable à celle de la terre.
Tandis qu’il grandissait dans sa retraite, Horus se préparait à la lutte à outrance contre l’usurpateur: dès qu’il se sentit en force, il fondit sur lui avec impétuosité, escorté de ses fidèles, et fut tout de suite favorisé par le succès. Set, battu à plusieurs reprises, eut beau chercher à se sauver en se transformant, ainsi que ses compagnons, en monstres de toute sorte, tels [44] qu’hippopotames ou crocodiles, il allait être anéanti définitivement, quand l’attitude équivoque d’Isis vint lui apporter un secours inespéré. La déesse, prise de pitié au dernier moment pour son ennemi et se souvenant qu’il était son frère, s’opposa à son écrasement, si bien qu’Horus, furieux contre sa mère, lui trancha la tête, ce à quoi, du reste, Thot remédia immédiatement en la remplaçant par une tête de vache. Tout eût été à recommencer entre les deux rivaux si Thot, s’instituant arbitre de la question, n’eût partagé le royaume en deux moitiés, dont il donna l’une à Horus, l’autre à Set.
J’ai cru devoir ne donner qu’un rapide résumé de cette partie de la légende qui en réalité, est beaucoup plus compliquée, étant le résultat d’une combinaison plus ou moins heureuse de deux mythes très différents l’un de l’autre et qui sont sans doute originaires, l’un de la Haute Egypte, l’autre du Delta. Le fils d’Isis et d’Osiris n’est en effet pas le seul à porter le nom d’Horus, et on trouve dans le panthéon égyptien une vingtaine d’Horus, sinon plus, d’origines très diverses. Il s’était formé autour d’un des plus importants d’entre eux, l’Horus d’Edfou, Hor Behoudit, divinité solaire, un mythe spécial qui raconte les péripéties d’une lutte analogue engagée avec un dieu du nord, nommé également Set. Nous avons donc, à côté du récit presque mythologique de la lutte perpétuelle du fleuve fécondant l’Egypte contre les empiètements de l’élément désertique qui peut être vaincu, mais non désarmé, une tradition toute différente qui a pour base les combats entre le sud et le nord, entre la population indigène et une tribu d’origine étrangère, mais de même race, qui cherchait à se fixer dans le pays, ces combats qui durèrent jusqu’au moment où Ménès réunit sous son sceptre toute la vallée du Nil. La conclusion même [45] de l’histoire montre bien cette divergence d’origine, car si selon la légende osirienne, Thot donna à Horus le royaume du nord et à Set celui du sud, c’est justement le contraire que dit celle d’Edfou, où Horus devient roi de la Haute-Egypte, et Set roi du Delta. Cela explique aussi que le dieu Set, résultat d’une combinaison très ancienne de deux divinités absolument différentes d’origine, ait été, aux temps historiques, soit considéré comme un des grands dieux, placé à côté d’Horus et vénéré en conséquence, soit exécré comme un génie du mal, suivant qu’on le rattachait à l’un ou à l’autre des deux mythes.
Horus, le dieu à tête de faucon ou d’épervier, est devenu aux époques historiques le protecteur tout spécial de la royauté égyptienne; le Pharaon se considère comme son descendant direct, comme son remplaçant sur la terre, et pour mieux affirmer cette relation intime avec le dieu, le roi fait toujours précéder le premier de [46] ses noms, dans son protocole officiel, par le nom même du dieu, devenu un titre. Pour s’expliquer cette conception du roi comme nouvel Horus, il faut se reporter à l’organisation primitive de l’Egypte à l’époque préhistorique, à sa division en tribus, qui sera étudiée plus loin; pour le moment, il suffira de rappeler que le plus important de ces groupes ethniques, celui qui assura peu à peu sa prépondérance sur les autres, celui d’où sortirent les premiers rois d’Egypte, était précisément celui qui avait pour emblème le faucon, emblème qui finit par se transformer en dieu Horus. Nous aurions alors simplement dans le mythe de l’Horus d’Edfou le récit légendaire de l’expansion progressive du clan du faucon, mythe qui plus tard se serait greffé, par suite de la similitude des noms, sur l’épilogue de la légende osirienne.
Les compagnons de l’Horus d’Edfou, ses principaux auxiliaires dans ses luttes contre Set, sont nommés les Masniti, — d’un mot qui signifie modeleur, ouvrier en métaux, aussi bien que piquier — qui sont artisans autant que guerriers; le dieu lui-même est armé d’une lance invincible, d’un épieu supérieur aux armes de ses adversaires, et qui lui assure la victoire. Ces données me paraissent être un souvenir de la découverte des métaux ou tout au moins de leur introduction en Egypte; c’est la tribu horienne qui les aurait connus la première et qui, par leur possession, se serait assuré la suprématie sur tout le pays. Dans le mythe parallèle d’Horus fils d’Isis, on ne trouve aucune donnée sur ce sujet.
La liste que donne Manéthon des rois-dieux, s’arrête à Horus fils d’Isis; il se borne à ajouter que la dynastie continua jusqu’à Bidis, personnage qui nous est entièrement inconnu, pendant une somme totale de 13.900 ans. Le papyrus de Turin était plus explicite, il indiquait [47] pour chaque roi les années de son règne, et nous pouvons encore reconnaître, sur les fragments conservés, que Set occupa le trône pendant 200 ans, et Horus pendant 300 ans; puis venait Thot, qui régna 3.126 ans, et auquel succédait la déesse Maït, puis un nouvel Horus, dont la fin du nom est perdue. Avec Thot, le dieu des sciences et des lettres, on ne sort pas du mythe osirien, puisque nous le connaissons comme un des plus fermes soutiens d’Osiris lui-même pendant son règne, comme son assesseur au tribunal des enfers et comme l’arbitre entre Horus et Set, à la fin de la lutte. Ce règne de Thot n’a laissé aucune trace, mais il est à présumer, étant donné le caractère même de ce dieu, qu’il eut à continuer l’œuvre de civilisation et surtout d’organisation et d’administration commencée par Osiris, interrompue par Set et rétablie par Horus. Le nom seul de Maït, déesse de la justice, parèdre de Thot, qui lui succède en qualité de roi d’Egypte, montre clairement qu’il s’agissait toujours de cette œuvre de perfectionnement, moral autant que matériel, de l’humanité.
Après cette période divine, qui est celle de la constitution du pays, il en vient une autre qui paraît n’avoir pas été moins longue, mais qui a un caractère diffèrent: ici on ne trouve plus une série bien nette de rois-dieux ayant chacun sa personnalité marquée, mais des groupes d’êtres dont le rôle nous échappe aussi bien que le nom, et dont les Egyptiens eux-mêmes n’avaient gardé qu’un souvenir vague, des demi-dieux d’abord, puis de simples hommes, qui peuvent se répartir en cinq dynasties, au dire de Manéthon; les fragments de Turin confirment en une certaine mesure son témoignage.
La première de ces dynasties mythiques, qui suivit immédiatement celle des dieux, se composait de demi-dieux qui régnèrent 1.255 ans en tout; les Egyptiens avaient conservé de ces souverains une liste qui était inscrite au papyrus de Turin, mais qui, à part un ou deux signes, a disparu entièrement aujourd’hui; cette liste devait se trouver aussi dans le livre original de Manéthon, mais les copistes ne nous l’ont pas transmise de façon très claire; les Excerpta Barbari en ont conservé le premier nom, celui d’Anubis, et par là nous voyons que cette dynastie de demi-dieux se rattachait directement au cycle osirien, Anubis étant un fils d’Osiris et de Nephthys, son autre sœur, bien que celle-ci fût en réalité la femme de Set.
La liste de neuf dieux, telle que nous la trouvons dans la copie de Georges le Syncelle, paraît très corrompue, et elle contient des répétitions de noms de divinités figurant déjà dans la première dynastie et qui sont extrêmement douteux: on peut reconnaître en effet, à travers les formes grecques de ces noms, Horus fils d’Isis, Anhour, Anubis, Khonsou, Horus d’Edfou, Ammon, Thot, Shou et Ammon-Rà, ce dernier revenant donc deux fois dans la même série. Ce chiffre de neuf dieux nous montre tout au moins que cette dynastie formait, comme la première, une ennéade, calquée sans doute sur la deuxième ennéade des dieux héliopolitains, que nous connaissons très peu.
Ici je crois devoir intervertir l’ordre donné par Manéthon d’après la copie d’Eusèbe, qui place, après trois dynasties de rois-hommes, un groupe de mânes et de demi-dieux ayant régné ensemble pendant 5.813 ans; outre qu’il serait peu naturel de voir des êtres divins ou tout au moins semi-divins succéder à des hommes, nous voyons très clairement dans les fragments de Turin [49] que ce sont ces derniers qui précédèrent immédiatement Ménès. La place normale de ces mânes semble donc être après la première dynastie des demi-dieux. On a reconnu dans ces Nekyes ou mânes les Khouou des textes religieux égyptiens, divinités secondaires qui constituent la troisième ennéade héliopolitaine, d’abord les quatre génies funéraires, les Enfants d’Horus, Amset, Hapi, Douamoutef et Kebhsenouf, puis un autre Horus, Khent-Khiti, et ses quatre fils.
Après les dynasties divines et semi-divines, calquées sur le modèle des trois cycles de dieux héliopolitains, et qui servent en quelque sorte de cadre aux souvenirs relatifs à ces époques très anciennes, Manéthon en énumère trois autres qui sont composées de rois d’une essence plus rapprochée de la nôtre, et considérés sans doute comme de simples hommes: d’abord ce sont des rois dont il n’indique ni l’origine ni le nombre et qui régnèrent en tout 1.817 ans, puis trente rois memphites, pendant 1.790 ans et enfin dix rois thinites, dont les règnes successifs durèrent 350 ans. Au papyrus de Turin, la division de cette période était un peu différente, et dans le fragment qui s’y rapporte, on peut reconnaître qu’il avait parlé de six dynasties au moins; les noms des rois n’étaient pas donnés, mais seulement la mention qu’ils s’étaient succédé de père en fils et que parmi eux se trouvaient sept femmes ayant régné; les chiffres, donnant la somme des années de chaque dynastie, sont trop mutilés pour que nous puissions en tenir compte.
En résumé, toute cette période fabuleuse se divisait en plusieurs époques, celle des dieux cosmogoniques et organisateurs de l’humanité, celle des demi-dieux [50] dont le rôle très effacé a plutôt un caractère transitoire, et enfin celle des hommes-rois; pour les Egyptiens eux-mêmes, les souverains à partir de la IIme dynastie, donc les demi-dieux, les mânes et les hommes formaient un seul grand groupe, celui des Shesou-Hor, ou suivants d’Horus, auxquels Manéthon attribue une durée totale de règne de 11.000 ans, tandis que les dieux eux-mêmes auraient occupé le trône pendant 13.900 ans. Cela donnerait pour tous les rois antérieurs à Ménès une somme de 24.900 ans, chiffre qui paraissait très exagéré à Eusèbe, aussi préférait-il adopter l’explication de Panodore, que ces années n’étaient autres que des années lunaires de 30 jours, des mois, ce qui réduisait donc la durée des rois mythiques à 2.206 ans. Cette interprétation fantaisiste est du reste dénuée de tout fondement, et l’on voit qu’au papyrus de Turin il s’agit bien d’années ordinaires, d’années solaires; si les chiffres ne sont pas ici exactement les mêmes que ceux de Manéthon, ils leur correspondent dans les grandes lignes. La somme totale des règnes est en effet ici de 23.200 ans au lieu de 24.900, et sur des chiffres pareils l’écart n’est pas très considérable; pour la période des Shesou-Hor, le papyrus compte 13.420 ans, chiffre équivalant à peu près à celui que donne Manéthon pour les dieux, et il est possible qu’il y ait eu une interversion dans un des documents qu’il avait entre les mains. La question a du reste peu d’importance pour nous, puisqu’il s’agit de chiffres absolument fantaisistes.
Les Egyptiens avaient donc au sujet de leurs origines une tradition qui nous paraît simple et pleine de renseignements précis, si nous la comparons à celles des autres peuples, souvent remplie de détails charmants et inutiles, de digressions qui nuisent à la clarté [51] de l’ensemble, et font perdre facilement le fil conducteur. Ici c’est une légende pour ainsi dire quintessenciée, prenant le monde à ses débuts, l’humanité à sa création même, la suivant à travers les grandes commotions géologiques qui bouleversèrent la vallée du Nil avant le début de l’histoire. Nous pouvons, en coordonnant ces traditions, suivre les progrès, le travail lent, mais sûr, de la civilisation que les réactions brutales ne peuvent anéantir. Au commencement, ce sont les dieux qui dirigent le mouvement progressif de l’humanité qu’ils ont eux-mêmes mis en branle, puis peu à peu ils s’effacent, passant la main à des êtres moins sublimes, moins éloignés par leur nature même de la race qu’ils ont à gouverner, et enfin à de vrais hommes, arrachés définitivement à la sauvagerie primitive et capables en une certaine mesure, après des milliers d’années d’efforts, de s’affranchir de la tutelle directe des dieux. Ces débuts des hommes furent obscurs et sans doute difficiles, et il fallut encore de longs siècles avant que l’un d’entre eux pût saisir d’une main ferme les rênes du pouvoir et donner à l’Egypte cette puissante organisation qui devait durer plus longtemps que celle d’aucun autre pays. Les rois locaux antérieurs à Ménès n’ont pas laissé de traces dans l’histoire, mais il est possible qu’un certain nombre de leurs noms aient été conservés: en effet, au premier registre de la pierre de Palerme, on voit représentés toute une série de personnages portant la couronne rouge, l’insigne des rois de la Basse Egypte, au-dessus desquels sont gravés quelques signes qui peuvent fort bien être des noms, mais des noms bizarres qui ne ressemblent guère aux noms égyptiens ordinaires. Seka, Khaaou, Taou, Tesh, Neheb, Ouazand, Mekha. Ce serait le seul document précis relatif à la fin de la période légendaire, à ces rois [52] memphites dont parle Manéthon. Quant aux rois de la Haute Egypte, leurs compétiteurs, peut-être devons-nous en reconnaître quelques-uns parmi les monuments d’Abydos qu’on attribue généralement à la Ire dynastie: il s’y trouve en effet quelques noms de rois difficiles à lire et à identifier et qui peuvent appartenir à certains des prédécesseurs immédiats de Ménès.
L’ÉGYPTE ARCHAÏQUE
Les grands travaux exécutés dans la vallée du Nil au cours du siècle dernier avaient amené la découverte d’un tel nombre de monuments datant des époques historiques, édifices, sculptures, peintures, objets d’art, inscriptions, instruments de toute sorte, que l’attention des égyptologues devait nécessairement se concentrer sur ces restes pharaoniques et ne pas aller chercher plus loin des documents dont, malgré leur abondance considérable, on connaissait à peine l’existence et dont surtout on ne pouvait encore soupçonner la valeur. On se contentait de relever les grands monuments apparents, temples ou tombeaux, de fouiller des nécropoles riches et le plus souvent bien connues, on ne se livrait pas encore à une exploration méthodique du pays et l’on n’accordait aucune attention à des objets sans grande apparence, les silex taillés, que dans d’autres contrées on recueille avec tant de soin et qu’ici on ne [54] se donnait même pas la peine de ramasser. Il est vrai cependant que des archéologues, comme Arcelin et le Dr Hamy, au cours d’un voyage dans la vallée du Nil, en avaient réuni un certain nombre et avaient cru pouvoir parler du préhistorique égyptien et d’un âge de la pierre, d’après ces documents qui étaient du reste trop insuffisants pour qu’on pût en tirer des conclusions sérieuses; les égyptologues n’eurent donc pas de peine à leur prouver de la façon la plus péremptoire que ces instruments n’avaient rien de préhistorique: n’avait-on pas, en effet, trouvé des silex taillés dans des tombes de la XIIme dynastie?
La question semblait donc jugée et, si invraisemblable que cela paraisse maintenant, on croyait qu’il n’existait en Egypte aucun monument, aucun objet datant d’une époque antérieure à celle du fabuleux Ménès: les deux premières dynasties humaines n’ayant laissé aucune trace autrement que dans la tradition, à plus forte raison la période qui les précédait devait-elle rester à jamais inconnue. On devait cependant admettre que dans un pays où tout se conserve, comme l’Egypte, il eût été naturel qu’on retrouvât quelque chose au moins des débuts d’une civilisation aussi originale, et on en était venu, pour expliquer en une certaine mesure cette lacune apparente, à émettre l’hypothèse que les ancêtres directs des Egyptiens avaient pu se développer ailleurs, dans le Bahr-bela-mà, par exemple, le fleuve sans eau, une vallée du désert libyque, ou bien dans le pays des Somâlis ou plus loin encore. Par conséquent, et malgré les affirmations catégoriques des Egyptiens d’époque historique, la civilisation égyptienne ne pouvait être autochtone: une lacune insondable devait précéder l’histoire, il ne pouvait être question de paléolithique ni de néolithique, l’Egypte n’avait [55] jamais connu l’âge de la pierre, et tout au plus pouvait-on considérer les premières dynasties comme appartenant à la période du bronze.
On en était là quand, vers 1896, cette théorie simpliste reçut de plusieurs côtés à la fois un choc qui devait non seulement l’ébranler, mais l’enterrer à tout jamais. A ce moment, des fouilles entreprises dans des endroits encore inexplorés vinrent révéler à MM. Petrie et Amélineau l’existence de civilisations très différentes de celles qu’on connaissait, tandis que les recherches plus méthodiques de M. de Morgan l’amenaient à la certitude qu’il s’agissait là d’une révélation inattendue, celle du préhistorique égyptien auquel personne ne voulait croire. Du même coup l’on voyait réapparaître les premiers habitants du pays avec leurs armes de silex, leur céramique très particulière, leurs tombeaux et même leurs villages, et les rois des deux dynasties encore inconnues, avec le métal et les premiers monuments de l’écriture hiéroglyphique. Les preuves étaient si évidentes qu’en peu de temps tous les égyptologues se rallièrent aux nouvelles théories établies par M. de Morgan, les confirmèrent et les complétèrent par d’autres recherches, si bien que maintenant on peut se rendre compte de façon à peu près certaine de ce qu’étaient les plus anciens occupants de la vallée du Nil.
L’époque préhistorique ne se présente pas en Egypte, comme dans nos pays européens, avec des divisions nettement marquées qui sont caractérisées par les procédés employés dans la fabrication des armes et des outils et par la forme même de ces derniers. A peine peut-on faire un groupe distinct pour les instruments les plus anciens et les plus rudimentaires, qui correspondent à peu près comme type et comme taille [56] à notre Chelléen, mais à partir de cette époque très reculée, tous les silex présentent à peu de chose près le même caractère: si nous les comparons aux silex européens, ils pourraient se ranger aussi bien dans les séries paléolithiques que dans le néolithique. Les noms de Moustérien, Solutréen, Magdalénien, qui s’appliquent chez nous à des périodes bien définies, très différentes les unes des autres, ne correspondent à rien en Egypte, et leur emploi n’aurait aucune raison d’être pour tout ce qui concerne les origines de ce pays.
Si donc nous mettons à part une première période, celle du paléolithique proprement dit, une civilisation qui a dû être interrompue brusquement par un cataclysme quelconque, nous trouvons ensuite des séries de monuments préhistoriques qui, malgré leur grande variété, présentent une parfaite homogénéité. Les seules différences que nous pouvons remarquer dans la fabrication des outils de pierre sont de nature purement locale, ainsi les silex du Fayoum ne sont pas les mêmes que ceux de Negadah, pas plus que ceux d’Hélouan ne ressemblent à ceux d’Abydos ou d’autres endroits, mais il n’y a pas lieu de tirer de ce fait des conclusions au point de vue chronologique, car rien ne peut faire croire que les uns soient antérieurs aux autres. Les ateliers employaient des procédés légèrement différents, et surtout des modèles qui variaient d’un endroit à l’autre; les uns, dans les lieux où les habitants se livraient principalement à la chasse ou à la pêche, faisaient surtout des armes, couteaux, pointes de lances, de javelots ou de flèches, tandis que les autres, dans les centres agricoles, fabriquaient plutôt des outils, mais ces différences sont de nature géographique et non historique, et on ne peut en tenir compte pour scinder la période quaternaire en un plus ou moins grand nombre d’époques distinctes.
L’évolution de la céramique, chez les peuples primitifs, suit toujours une marche parallèle à celle des instruments de pierre, et l’on peut, par ce moyen, contrôler les conclusions fournies au point de vue historique par l’étude de la forme et des procédés de fabrication des silex. Il en est de même en Egypte, c’est-à-dire que dans le domaine de la céramique archaïque, on remarque bien un développement, un progrès, mais cette transformation est lente, graduelle, sans secousses. Les anciens modèles cèdent la place à de nouveaux, mais pas de façon brusque; ils coexistent pendant longtemps et se retrouvent les uns à côté des autres dans les mêmes tombes. On peut arriver à constater que tel type est plus ancien que tel autre, on ne peut dire qu’il caractérise une époque ou une phase de la civilisation préhistorique. La céramique égyptienne est du reste tout à fait spéciale et très différente de toutes celles qu’on rencontre en Europe aux époques primitives, aussi n’y retrouve-t-on aucun des caractères spécifiques qui permettent aux préhistoriens de classer ces dernières: les potiers égyptiens avaient poussé cet art à un haut degré de perfection dès les plus anciens temps, et nous leur devons des séries très variées, tant au point de vue de la technique que de la forme et de la décoration.
La céramique, qui est un des éléments les plus importants pour la classification des restes préhistoriques, ne donne donc lieu ici à aucun rapprochement, et nous devons nous en tenir aux données que nous fournissent les armes et les outils de pierre; or nous avons vu que tous ces objets sont en pierre taillée et qu’ils se rattachent, pour les formes comme pour les procédés de taille à nos instruments paléolithiques et néolithiques en silex, tout spécialement aux types du Solutréen et du Moustérien. Ce qui caractérise chez nous la période néolithique, [58] l’âge de la pierre polie, manque absolument en Egypte: on a récolté dans ce pays, pendant ces dernières années, des centaines de mille et peut-être des millions de silex, et dans cette masse énorme on aurait peine à trouver cent haches polies, ou autres outils pouvant rentrer dans la même catégorie. Nous ne constatons cependant aucune solution de continuité entre la période dite préhistorique et celle des débuts de l’histoire, aussi pouvons-nous dire avec certitude que non seulement il n’y a pas de divisions spéciales à établir dans l’époque paléolithique, mais qu’il n’y a même pas lieu de distinguer celle-ci de l’âge néolithique. Si donc nous devions conserver ces deux noms qui ont une certaine valeur pratique pour la classification, il faudrait leur donner, pour tout ce qui concerne l’Egypte, un sens un peu différent de celui qu’ils ont pour l’Europe, réserver le mot paléolithique aux objets les plus anciens, à ceux qui pour la forme et la facture se rapprochent du chelléen, et ranger tout le reste dans l’âge néolithique ou même plutôt énéolithique qui précède immédiatement l’âge historique.
Dans nos pays septentrionaux, où le développement des peuples suivit une marche toute différente, on range encore dans le préhistorique la période des métaux et l’on fait succéder l’âge du cuivre, l’âge du bronze, puis l’âge du fer, à celui de la pierre. Ici il n’y a aucune distinction semblable à établir puisque les dynasties thinites suivent immédiatement l’âge de la pierre, sans aucune transition apparente: les Egyptiens prédynastiques sont déjà en possession des métaux, ou tout au moins du cuivre qu’ils emploient presque sans alliage et qu’ils arrivent peu à peu à travailler avec la plus grande habileté, en même temps qu’ils poussent l’industrie du silex à un degré de perfection qui ne fut atteint en aucun endroit du monde. C’est donc au cours de l’époque [59] précédant immédiatement l’histoire que les Egyptiens apprirent à connaître le cuivre, dont l’usage ne remplaça que très lentement celui de la pierre taillée; c’est aussi tout à fait graduellement que les métallurgistes arrivèrent à doser les alliages grâce auxquels ils devaient obtenir le bronze, très supérieur au cuivre pur. Quant au fer, nous n’avons aucun document qui nous permette de fixer l’époque à laquelle il fut introduit dans la vallée du Nil. Il n’y a donc en Egypte ni âge du cuivre, ni âge du bronze, ni âge du fer, à proprement parler: la première de ces trois divisions se confond avec la période prédynastique, et les deux autres, qui ne sont pas nettement caractérisées, appartiennent à l’époque historique.
Ménès, le fondateur de la monarchie pharaonique, symbolise pour nous le début d’une civilisation nouvelle, l’organisation définitive du pays, et les premiers documents écrits qui paraissent à ce moment-là, montrent bien qu’une ère nouvelle commence. La transformation ne s’opéra cependant pas d’une façon subite dans tous les domaines, elle se fit graduellement, lentement, comme dans les périodes précédentes, car l’Egypte a toujours été et sera sans doute toujours le pays le moins révolutionnaire qu’il y ait au monde. Dans la vie civile surtout, que nous connaissons fort bien, puisque une grande quantité d’objets de toute sorte nous sont parvenus, le progrès est presque insensible, la céramique est à peu près la même qu’auparavant, à peine un peu détrônée par l’usage toujours plus répandu des vases de pierre, et l’on devait continuer pendant de longs siècles encore à fabriquer des armes et des outils en silex, bien qu’on connût déjà fort bien les instruments de métal, dont la supériorité était évidente. Enfin, si les rois et les grands personnages commencent à se faire construire des tombeaux monumentaux et adoptent des coutumes funéraires [60] plus compliquées, les populations rurales continuent à creuser à la limite des sables du désert de petites fosses pour leurs morts, qu’ils ensevelissent accroupis et couchés sur le côté, ou démembrés complètement, avec le même mobilier funéraire que par le passé.
J’ai employé jusqu’ici, pour désigner les âges primitifs de l’Egypte, le mot de préhistorique, mais, en ce qui concerne ce pays, ce mot a une signification trop précise et indique une scission trop nette avec le temps où commence l’histoire proprement dite; or, comme nous l’avons vu, cette scission n’existe pas en Egypte. Le terme d’âge de pierre ne convient pas non plus, puisque l’emploi des instruments de silex est encore constant sous les premières dynasties et se perpétue jusqu’au Moyen Empire. J’adopterai donc dorénavant un terme plus élastique et dont le sens est néanmoins très clair, celui de période archaïque, qu’on emploie maintenant de préférence, et je diviserai cette période en deux groupes comprenant, l’un, les âges les plus anciens, l’éolithique et le paléolithique, l’autre, l’époque beaucoup plus connue, précédant immédiatement les dynasties, et qu’on peut appeler prédynastique.
Les vestiges des tout premiers habitants de l’Egypte sont rares et incertains. La tendance actuelle est de rechercher partout la trace de l’homme tertiaire; à défaut de preuves absolument convaincantes de son existence, comme le serait la découverte d’un squelette dans une couche géologique appartenant à cette période, on voudrait retrouver des indices de son activité sur la terre, aussi a-t-on créé la classe des éolithes, les [61] instruments de l’homme antérieur à l’âge paléolithique. Ces éolithes sont de simples galets de silex ou des éclats accidentels sur lesquels on remarque ou croit remarquer des traces d’usage, et qui auraient été les premiers instruments de l’homme alors qu’il ne savait pas encore tailler la pierre et devait se contenter des éclats naturels, plus ou moins appropriés à ses besoins, qu’il trouvait sur le sol. Ce n’est pas ici le lieu de discuter cette théorie toute générale, qui est encore très sujette à controverse; nous nous bornerons à constater qu’elle a aussi été appliquée à l’Egypte et qu’on a recueilli dans ce pays un certain nombre d’échantillons de ces éolithes qui ont évidemment pu être employés par des hommes encore à l’état de sauvagerie, comme marteaux, grattoirs ou couteaux, bien que rien ne le prouve de façon absolue.
Les silex taillés du type chelléen se retrouvent non seulement en Europe, mais un peu partout, en Palestine, aux Indes, chez les Touaregs; on en rencontre aussi en Egypte, sinon en grande abondance, du moins assez fréquemment. L’objet le plus caractéristique de cette époque est, ici comme dans les autres gisements, le coup-de-poing, un grand galet de silex amygdaloïde, sur lequel on a enlevé par percussion de gros éclats, de manière qu’une des extrémités forme une pointe plus ou moins prononcée, tandis que l’autre reste arrondie et épaisse, et sert de poignée. A côté de cet instrument qui en même temps est une arme dangereuse, on trouve encore des outils plus petits, ayant pu servir de hachettes ou de racloirs; et surtout des pointes ou poinçons, parfois très aigus, du même travail un peu rudimentaire, sans retouches fines.
Ces silex se trouvent soit à la surface du sol, sur les plateaux couronnant les premiers contreforts du désert et au sommet des petits monticules qui sont situés un peu au-dessous, soit dans les alluvions entraînées par les pluies jusque dans la vallée, très rarement dans la zone sablonneuse qui sépare les terres cultivables de la montagne. On en a découvert depuis les environs de la 1re cataracte jusque près du Caire, ainsi que sur les routes qui conduisent à travers le désert vers les oasis, et enfin, ce qui est plus important au point de vue de la date, dans les alluvions très anciennes, contemporaines du commencement de l’époque quaternaire, qui est en effet le moment où l’on place l’âge chelléen. D’après la position où ont été trouvés ces silex, on pourrait conclure que les Egyptiens primitifs habitaient de préférence, non pas dans la vallée même, mais sur les monticules avoisinants et sur la crête des montagnes peu élevées qui bordent le désert. Nulle part on ne voit de [63] traces d’habitations construites; ils devaient donc vivre soit en plein air, soit sous de légers abris en branchages. C’est sur ces plateaux, où les indigènes trouvaient en abondance les rognons de silex qui servaient à la fabrication de leurs outils, qu’ils établissaient leurs ateliers de taille: ainsi le plateau qui sépare la Vallée des Rois du cirque de Deir-el-Bahari, en face de Louxor, où l’on trouve encore en quantité des éclats n’ayant sans doute jamais servi et qui doivent être considérés comme des déchets de fabrication. La réalité est sans doute un peu différente, et si nous ne sommes pas mieux renseignés sur cette population primitive, sur son habitat et ses coutumes funéraires, c’est pour la raison qu’elle est antérieure à un de ces bouleversements géologiques qui dévastèrent et dépeuplèrent une partie du monde et qui sont restés célèbres dans la tradition sous le nom de Déluge. L’Egypte en particulier fut atteinte, la vallée fut entièrement submergée pendant une période dont nous ne pouvons évaluer la durée et toute trace d’occupation humaine fut effacée; les hauts plateaux stériles et le désert émergeaient encore, mais nous ne savons si quelques restes de la population purent s’y maintenir pour former le noyau de la race égyptienne prédynastique, ou si celle-ci vint d’ailleurs quand la région redevint habitable.
Autant cette première période est encore obscure, autant les documents abondent pour celle qui la suit, et qui, précédant immédiatement l’époque historique, est souvent désignée par le nom de prédynastique. Ces [64] documents peuvent se classer en trois catégories, dont les données combinées nous fournissent des renseignements d’ensemble et même de détail sur l’état de la vallée du Nil avant les Pharaons. Ce sont d’abord les objets épars à la surface du sol, les silex, puis les vestiges des établissements humains, monticules de débris où l’on reconnaît la trace des villages primitifs, et enfin les tombeaux qui nous donnent, en plus des renseignements anthropologiques, des lots très considérables de céramique, l’élément le plus important pour la classification générale. Nous prendrons l’un après l’autre chacun de ces points avant d’aborder l’ethnographie proprement dite, l’étude de la race prédynastique et de sa civilisation.
Les couches sédimentaires qui bordent la vallée du Nil sont extrêmement riches en rognons de silex, qui atteignent parfois de très grandes dimensions; sur les plateaux, le sol est couvert de galets de silex, d’agate et de cornaline. Naturellement la qualité de la pierre varie suivant les endroits, mais partout elle se prête à la [65] taille et les premiers habitants du pays avaient sous la main, d’un bout à l’autre du pays, la matière première de laquelle ils pouvaient tirer leurs armes et leurs outils. C’est vers le nord de l’Egypte, au Fayoum en particulier, que le silex est le moins abondant, mais les cailloux du diluvium peuvent le remplacer, et les indigènes en ont tiré un très bon parti.
Quelle que soit la matière employée, qu’il s’agisse du beau silex blond translucide d’Abydos, du silex brun de Louxor ou du grossier galet du Fayoum, le procédé de taille est toujours le même, et ne diffère pas de celui qui a été en usage dans le monde entier. Le nucleus, ou noyau préparé pour l’enlèvement des éclats, s’obtenait d’une façon très simple: on brisait une partie d’un rognon de silex ou d’un galet, de manière à déterminer une surface unie servant de plan de frappe, puis on enlevait des éclats normalement à cette surface, en se [66] servant d’un percuteur, boule de pierre dure employée comme marteau; les premiers éclats, portant une partie de la gangue, étaient mis au rebut, et les suivants employés pour divers usages selon leur forme et leur dimension; ceux qui étaient longs et minces devenaient des couteaux, ceux qui étaient épais et larges, des haches ou des herminettes, les petits donnaient des ciseaux, des poinçons, des pointes de flèches; tous devaient subir de longues et soigneuses retouches. On travaillait ces éclats soit par percussion, soit par pression le long des arêtes au moyen d’un autre silex, et les Egyptiens étaient arrivés très loin dans cet art et modelaient pour ainsi dire leurs silex au moyen de ces petites retouches, de manière à leur donner exactement la forme voulue. A côté de ces instruments, certains éclats, très minces et naturellement tranchants, pouvaient être utilisés, presque sans retouches, comme outils, grattoirs ou couteaux.
On trouve de tout cela dans les gisements de silex égyptiens, sur la bande sablonneuse qui s’étend d’un [67] bout à l’autre du pays, entre les terres arrosées et cultivées et les premiers contreforts de la montagne: d’abord les percuteurs, boules qui ont en général la grosseur d’une pomme et qui portent des traces très évidentes d’usage, puis les nuclei à tous les états, depuis celui qui a été mis au rebut après qu’on en eut détaché quelques éclats seulement, jusqu’à celui qui, complètement épuisé, n’est plus qu’un petit noyau conique à facettes; ensuite les éclats eux-mêmes, les uns, informes ou mal venus, rejetés comme inutilisables, les autres, très tranchants et sans retouches ou retravaillés seulement à une extrémité; enfin les outils brisés au cours de la fabrication par suite d’un accident, et ceux qui portent la trace d’un long emploi ou qui, très usés, ont été retaillés pour pouvoir être employés de nouveau.
Chaque localité, chaque gisement a pour ainsi dire son propre type, ou ses types de silex taillés, et l’on ne peut en tirer des conclusions au point de vue de la classification chronologique; il est possible, probable même, que dans beaucoup de ces endroits, la fabrication se soit continuée sans grande modification, pendant des siècles ou des milliers d’années, comprenant non seulement toute la période archaïque, mais empiétant aussi sur les époques historiques. Nous aurons l’occasion de revenir plus loin sur les différents modèles d’outils et d’armes, sur leurs formes et leur emploi.
Dans les mêmes régions, en bordure de la vallée, à la lisière du désert, on remarque en certains endroits de légères surélévations qui se distinguent à peine du sable environnant par une teinte un peu plus foncée. Quelques coups de pioche suffisent pour constater qu’il y a là quelque chose de tout à fait analogue à ce que dans nos stations préhistoriques européennes, celles du [68] Danemark en particulier, on appelle des Kjoekkenmoeddings, ou «débris de cuisine»; ce sont en effet des vestiges d’établissements humains, datant d’une époque où les populations étaient déjà plus ou moins sédentaires, mais où elles ne savaient pas encore construire de vraies maisons: ces restes sont beaucoup trop importants pour être ceux de simples campements provisoires et passagers, et contiennent des quantités de détritus qui ont dû mettre fort longtemps à s’amonceler. D’un autre côté on ne rencontre pas dans ces monticules de décombres la moindre trace de mur, ni en pierre, ni en briques crues, ni même en terre pilée: les constructions devaient donc être très légères, en bois ou même en branchages, de simples huttes du modèle le plus primitif, suffisantes du reste dans un climat aussi chaud.
Ces amas de détritus ne renferment guère d’objets en bon état, à part quelques outils de silex, mais ils nous livrent des renseignements très importants sur la vie même de ces peuplades de l’Egypte prédynastique; os d’animaux d’après lesquels on peut, en partie, reconstituer la faune de l’Egypte à cette époque, excréments de bestiaux montrant qu’on s’occupait d’élevage, traces de céréales grâce auxquelles nous apprenons qu’on connaissait déjà l’agriculture. Ces documents qui ont si peu d’apparence et paraissent négligeables sont donc extrêmement précieux, puisqu’ils font connaître les occupations ordinaires, la nourriture, la vie privée des premiers Egyptiens.
Si nous ne connaissons qu’un petit nombre de ces restes de villages, dont la plupart ont dû entièrement disparaître ou bien sont trop peu apparents pour qu’on puisse les distinguer, nous avons en revanche une quantité considérable de sépultures appartenant à la même [69] époque. Ces tombes ne sont jamais isolées, mais forment des nécropoles plus ou moins vastes, situées elles aussi au bord du désert, près des terrains cultivés, donc à proximité immédiate des habitations des vivants: en effet, chaque fois que nous reconnaissons l’emplacement d’un kjoekkenmoedding, nous sommes sûrs de trouver à peu de distance, quelques centaines de mètres à peine, un cimetière qui est vraisemblablement celui des habitants du village.
Ces nécropoles d’un type tout spécial ont très longtemps passé inaperçues et elles semblent en effet, au premier abord, fort difficiles à reconnaître. C’est avec le jour frisant du soir ou du matin qu’on peut le mieux distinguer ces groupes de dépressions très légères, à peine perceptibles en plein soleil, qui sont à la surface plus ou moins inégale du terrain le seul indice extérieur des tombeaux archaïques. Les sépultures sont de simples fosses creusées dans les bancs de cailloux roulés qui s’étendent au pied de la montagne et qui forment un terrain suffisamment consistant pour qu’il ne fût pas nécessaire [70] de soutenir, au moyen d’un mur ou d’un enduit, les bords de l’excavation: leur forme générale est irrégulière, à peu près ovale ou même presque ronde, et leur profondeur d’un mètre à deux au plus, tandis que l’ouverture dépasse à peine un mètre cinquante dans sa plus grande dimension. A côté de celles-là il en existait de plus grandes, à peu près rectangulaires et atteignant jusqu’à quatre mètres sur deux, sans que la profondeur en soit augmentée. Après l’ensevelissement, les grandes comme les petites fosses étaient simplement comblées avec du sable et des galets et se confondaient avec le terrain environnant; il n’y a jamais la moindre superstructure, pas même une pierre tombale.
Les dimensions des petites tombes, qui sont de beaucoup les plus nombreuses, ne permettaient pas d’y déposer le mort étendu tout de son long, comme on le fit plus tard pour les momies aux époques historiques; les coutumes funéraires étaient en effet très différentes et nous pouvons distinguer deux stages, deux modes d’ensevelissement qui semblent correspondre à deux périodes. Dans les plus anciennes sépultures, le mort est couché sur le côté gauche, dans la position dite [71] embryonnaire ou assise, c’est-à-dire avec les membres repliés de manière que les mains se trouvent devant la figure, les genoux à la hauteur de la poitrine et les pieds près du bassin. Etant donnée l’orientation des tombeaux, qui du reste n’est pas partout rigoureusement exacte, la tête est généralement au sud la face tournée vers l’ouest.
Le deuxième mode d’inhumation, qui paraît être un peu plus récent, quoique appartenant toujours à la période prédynastique, est beaucoup plus curieux: ici, et la chose a été constatée dans de très nombreuses tombes, le corps était entièrement démembré avant d’être déposé dans la fosse; les os ne sont ni cassés ni coupés, mais ils sont placés pêle-mêle, et souvent il en manque un certain nombre. Il ne s’agit pas d’un dépècement du mort au moment du décès, ni de cannibalisme, comme on pourrait le croire, mais d’une coutume qui se retrouve ailleurs qu’en Egypte, dans tout le bassin de la Méditerranée, en Crète, dans les îles de l’Archipel, au sud de l’Italie, celle de l’inhumation secondaire: on enterrait provisoirement le mort, puis au bout de deux ou trois ans, quand les chairs s’étaient putréfiées et désagrégées, on l’exhumait et on rassemblait [72] les os pour les déposer dans le tombeau définitif. La transition entre ces deux coutumes funéraires, qui paraissent si différentes, est marquée par certaines tombes où le corps est replié et couché sur le côté, mais où la tête est séparée du tronc et posée n’importe où, à côté du bassin, par exemple. Les vertèbres étant intactes, il ne peut être question de décapitation brutale, mais il s’agit sans doute simplement d’inhumations secondaires où l’on n’avait pas pratiqué la désarticulation complète.
Avant de les déposer dans le tombeau, on cousait les corps dans des peaux de gazelle ou bien on les enveloppait dans des nattes de jonc; sur quelques os, on a même relevé des traces de bitume, et nous pouvons sans doute reconnaître dans ce fait la première tentative de momification. Dans les tombes à inhumation secondaire, les cadavres démembrés étaient parfois enfermés dans de très grands vases larges du bas, avec une petite ouverture seulement à la partie supérieure, ou dans de vraies cistes rectangulaires en argile crue. Ailleurs un vase d’une forme toute différente, sorte d’immense coupe très profonde, est posé à l’envers sur le corps replié et le recouvre complètement. Enfin, quelques-unes des grandes tombes renfermaient non pas un seul, mais deux et même trois cadavres, simplement posés les uns sur les autres, et dans les sépultures à inhumation secondaire on rencontre quelquefois deux crânes et un nombre d’os très insuffisant pour former deux corps, ou le contraire.
Si, dans la plupart des nécropoles, les tombes à corps replié sont nettement séparées de celles à corps démembré, il en est d’autres où les divers types de sépulture sont mélangés, aussi ne pouvons-nous savoir avec une certitude absolue si ces deux modes d’inhumation appartiennent à deux races ou à deux époques différentes. Il semble cependant que nous devions adopter la [73] deuxième hypothèse plutôt que la première, bien que les anthropologistes ne soient pas encore arrivés à des résultats très concluants au sujet de la question des races. Les os sont presque toujours bien conservés, et on a recueilli une très grande quantité de crânes en bon état, dont beaucoup même portent encore leurs cheveux, et qui peuvent être l’objet de mensurations très exactes, aussi pouvons-nous avoir l’espoir d’être une fois au clair sur cette question si importante.
Le mobilier funéraire est plus ou moins riche suivant les tombes, et comporte des objets de plusieurs espèces disposés au fond de la fosse, autour du mort. Le choix même de ces objets montre clairement que ces Egyptiens d’avant l’histoire se faisaient déjà des idées très précises sur la vie d’outre-tombe et croyaient à la survivance, sinon de l’âme, du moins de la personnalité des défunts: pour leur assurer la subsistance matérielle, la nourriture, on mettait à côté d’eux des vases contenant des vivres, des grains, des viandes, et sans doute aussi de l’eau ou d’autres liquides dont nous ne retrouvons naturellement plus trace; des armes leur permettaient de lutter contre les ennemis qu’ils pouvaient rencontrer dans l’autre monde, et des ornements de corps, de se parer comme ils le faisaient sur la terre.
Les vivres que le mort emportait avec lui dans la tombe étaient surtout des viandes, et spécialement des têtes et des gigots de gazelle, dont on retrouve fréquemment les os à côté du squelette du défunt; les végétaux sont moins bien conservés, mais on reconnaît encore au fond des vases, et surtout des vases en terre grossière, des traces non équivoques de céréales, d’orge en particulier. Ces renseignements ne font du reste que confirmer ceux que nous donnent les kjoekkenmoeddings.
On ne trouve pas des armes dans tous les tombeaux, et dans ceux qui en contiennent, elles ne sont jamais qu’en petit nombre; généralement même il n’y en a qu’une seule, placée à portée de la main du mort, devant sa figure. Ces armes sont par contre d’une grande beauté et d’une exécution très supérieure à celle des silex qu’on trouve à la surface du sol: ce sont le plus souvent de longues lances droites finement retouchées qui pouvaient servir de poignards, des couteaux légèrement recourbés, au tranchant très affilé, des pointes de lances ou de javelots à double pointe et à tranchant, ou de forme lancéolée, et parfois des pointes de flèches. Les outils tels que racloirs, grattoirs, poinçons, sont très rares dans les tombes, mais, par contre, on trouve des instruments de pêche, comme des harpons, et ce fait permet de supposer que les armes données au mort étaient destinées, non seulement à le mettre à même de réduire par la force les ennemis qui pouvaient se trouver sur son chemin, mais surtout à lui permettre de chasser et de pêcher dans l’autre monde, tant pour assurer sa subsistance que comme délassement.
Les objets d’ornement sont abondants, mais presque toujours très simples, exécutés de façon sommaire dans des matières qui n’ont rien de précieux: ainsi les colliers à plusieurs rangs qui tombaient sur la poitrine étaient composés de perles irrégulières de forme et de grosseur. Ces perles, en terre cuite, en calcaire, en pierres dures, telles que la cornaline, l’agate, le silex, étaient presque toujours travaillées de façon grossière et malhabile; on en trouve aussi qui sont faites de morceaux de coquilles [75] ou de petits oursins fossiles, percés d’un trou. Les bracelets sont plus soignés, ils sont soit en nacre, soit en ivoire, et on les obtenait en sciant la partie inférieure d’une dent d’éléphant à l’endroit où elle est creuse, ou le bas d’une grande coquille univalve de la famille des trochidés; d’autres enfin sont en silex, évidés avec une dextérité qui montre jusqu’à quel point ces populations avaient poussé l’industrie de la pierre taillée. Les femmes portaient des peignes hauts et étroits en ivoire ou en os, dont la partie apparente, au-dessus de la chevelure, était généralement surmontée d’une figure ornementale. Enfin un certain nombre de pendeloques, percées d’un trou, également en os ou en ivoire, parfois en pierre, servaient en même temps d’ornements et d’amulettes.
Dans beaucoup de sépultures on voit à côté de la tête du mort une plaque en schiste vert qui affecte les formes les plus diverses; les unes sont taillées en losange, en rectangle ou en carré, les autres découpées de manière à imiter le profil d’un animal, hippopotame, tortue, poisson, oiseau. La signification de ces objets est encore très incertaine, bien que d’habitude on les considère comme des palettes à broyer le fard vert qu’hommes et femmes se mettaient autour des yeux, à cause d’une petite dépression qui existe en effet sur certaines des plaques en losange et qui contient parfois [76] des traces de couleur verte; la forme étrange donnée à beaucoup de ces plaques, le fait qu’elles sont percées d’un trou de suspension, les décorations animales gravées à la pointe, qui les ornent quelquefois, et surtout l’analogie avec les grandes plaques de schiste d’époque thinite, qui étaient couvertes de sculptures et se trouvaient déposées dans les sanctuaires et non dans les tombes, m’engagent à y voir des talismans ou des sortes de fétiches plutôt que des objets usuels.
C’est sans doute aussi à titre de talisman qu’on déposait parfois dans les tombes des figurines d’hippopotame en argile: le monstre mis ainsi au service du mort pouvait lui rendre bien des services et le protéger de bien des dangers.
C’est également des tombeaux que sont sorties ces séries extraordinairement complètes de vases qui nous permettent d’établir une certaine classification dans la période prédynastique, ou tout au moins de suivre en quelque mesure le développement de la civilisation. Toute cette céramique, qui est particulière à l’Egypte et qu’on ne peut comparer à celle d’aucun autre pays, dénote, dès l’apparition des plus anciens exemplaires, une habileté remarquable et une longue pratique du métier chez les potiers égyptiens: les vases sont absolument réguliers de forme et d’épaisseur et il faut un examen minutieux pour arriver à reconnaître qu’aucun n’a été fait au tour et que tous sont modelés à la main.
Le plus ancien type est celui de la poterie rouge à bord noir, qui est extrêmement fréquent et comprend des vases de plusieurs formes: la coupe profonde, le gobelet, le vase ovoïde à fond plat ou pointu, à large ouverture. Ces vases sont faits en une sorte d’argile très fine mélangée de sable, enduits à l’extérieur d’une légère [77] couche d’hématite et lissés au polissoir, puis cuits dans un feu doux, posés l’ouverture en bas sur les cendres du fourneau; la cuisson faite de cette manière donne une pâte légère et friable; la couverte exposée à une chaleur plus forte près de l’orifice se désoxyde en cet endroit et devient d’un beau noir très brillant, tandis que le reste du vase garde la teinte rouge foncé.
La poterie rouge uniforme est exactement semblable à l’autre comme matière, mais le procédé de cuisson, un peu différent, empêche la formation du bord noir; tout [78] le vase reste alors extérieurement d’une couleur absolument régulière, d’un beau rouge lustré. Ce type de poterie qui est, à peu de chose près, contemporain du type rouge à bords noirs, présente des formes un peu différentes: à côté de l’écuelle creuse et du vase ovoïde, on trouve la bouteille ventrue à fond plat et à col étroit et le petit vase globulaire. A un certain moment, on employa ce genre de céramique pour faire des vases de formes bizarres, les uns aplatis, les autres jumelés, d’autres encore en forme de poisson ou d’oiseau; ce ne fut du reste là qu’une mode qui ne se prolongea que sur une période assez brève.
Un autre dérivé de cette céramique rouge, qui est presque aussi ancien qu’elle mais ne dura pas aussi longtemps, est la céramique rouge à décor blanc. Le fond est toujours d’un beau rouge lustré sur lequel se détache, en lignes blanches mates, une ornementation empruntée au travail de la vannerie, chevrons, lignes pointillées et entre-croisées, et parfois même quelques représentations animales très sommaires. Les formes employées de préférence pour ce genre de poterie sont les coupes profondes, arrondies ou à fond plat, et les vases allongés, renflés à la partie inférieure, parfois très étroits du haut.
La poterie blanche, qui est en réalité plutôt d’un jaune rosé est plus récente et se perpétue jusqu’à l’époque thinite. La pâte en est plus fine, en argile moins mélangée de sable, la cuisson meilleure; quant aux formes elles sont peu variées. Il n’y a en somme guère qu’un type, qui va en se transformant progressivement: les vases les plus anciens sont presque globulaires avec une ouverture très étroite et deux petites saillies serpentant sur la panse et formant anses. Peu à peu, la panse se rétrécit, l’ouverture s’agrandit, les saillies s’allongent et se rejoignent pour former un cordon circulaire en relief et finalement le vase devient cylindrique. Parfois il est décoré de traits rouges entre-croisés.
La classe la plus intéressante de la céramique archaïque est certainement celle des vases décorés de peintures rouges, qui sont semblables comme pâte et comme cuisson à ceux de la catégorie précédente, mais dont la facture est plus soignée et les formes différentes. Ces [80] vases sont globulaires, souvent presque aussi larges que hauts, avec un fond plat, une ouverture assez large et de toutes petites anses percées d’un trou servant à les suspendre; d’autres sont sphéroïdes, un peu aplatis, et munis des mêmes petites anses. Ces derniers, décorés de cercles concentriques ou de points rouges, imitent les vases en pierre dure que nous voyons rarement à cette époque mais que nous retrouverons à la période thinite en grande abondance, tandis que les autres, qui portent de petits traits horizontaux ou des lignes droites ou sinueuses, rappellent plutôt les ouvrages en vannerie. Enfin sur les plus grands de ces vases, on trouve une décoration d’un caractère tout différent, mais toujours tracée en rouge au pinceau, avec une assez grande sûreté de main: ce sont soit des végétaux, des aloès plantés dans des vases, soit des théories d’animaux, autruches ou chèvres sauvages, soit encore des représentations qui paraissent figurer de grands bateaux avec leurs rames, leurs enseignes, leurs superstructures, plutôt que, comme on l’a cru, des villages ou des fermes.
Il faut encore citer deux autres classes de poteries, et d’abord celle des vases en terre brunâtre grossière, façonnés sans grand soin pour les usages de la vie courante, et qui affectent diverses formes; on ne voit guère ces pots et ces cruches que dans les derniers temps de la période archaïque. Quant aux vases en terre noire ou brun foncé, à décor incisé et rempli d’une pâte [81] blanchâtre, dont on ne trouve que de rares exemplaires en Egypte, à cette époque aussi bien que sous l’Ancien et le Nouvel Empire, ils n’ont rien d’égyptien, mais appartiennent à un type connu, répandu surtout dans les pays au nord de la Méditerranée. Il s’agit donc d’objets d’importation dont ni la matière, ni la facture, ni la décoration en lignes droites irrégulières et en points, n’ont de rapport avec quoi que ce soit qui provienne de la vallée du Nil.
Nous avons vu des vases en terre, de forme globulaire ou sphéroïde dont la décoration prétendait imiter la matière de ces vases en pierre dure que nous trouverons en grande abondance sous les deux premières dynasties. Ces vases de pierre devaient donc nécessairement exister à la période prédynastique, mais ceux qui nous sont parvenus sont en nombre extrêmement restreint. C’étaient sans doute des ustensiles très précieux, et cette raison suffit pour expliquer les imitations peintes. Par contre, les matières moins dures que le porphyre ou le basalte et qui se laissent plus facilement travailler, comme le calcaire et l’albâtre, sont déjà d’un emploi très fréquent, et les indigènes y ont taillé avec habileté des vases cylindriques et des coupes de toutes formes et de toutes dimensions.
Après avoir ainsi passé en revue les nombreux documents que nous possédons maintenant sur la période archaïque, il nous reste à voir quels sont les [82] renseignements utiles que nous pouvons en tirer pour la connaissance des Egyptiens prédynastiques et de l’état de leur civilisation.
Aujourd’hui la vallée du Nil forme une longue et étroite plaine de terres cultivables, bordée des deux côtés par le désert ou la montagne; tout le terrain irrigable est utilisé et uniformisé. Cet état est dû non seulement au Nil fertilisateur, mais encore et surtout à la main des hommes qui, après des siècles de travail, sont arrivés à rendre productif jusque dans ses moindres recoins leur fertile petit pays. Il n’en était pas ainsi aux époques primitives, et l’aspect de la contrée devait être, quoique dans le même cadre, absolument différent. Le Nil avait commencé par serpenter au fond de la vallée, sans cours fixe, coulant alternativement sur un bord ou sur l’autre; ce n’est que peu à peu qu’il se fraya une voie plus régulière au milieu des alluvions qu’il avait lui-même apportées. Le limon qu’il amenait avec lui chaque année se répandait bien sur toute la surface des terres inondées, mais grâce au sable et aux galets qu’il charriait en même temps et qui se déposaient dans le courant même du fleuve, son lit s’élevait graduellement, laissant ainsi en bordure de la vallée des terrains en contre-bas où se formaient de véritables marais remplis à nouveau chaque année par l’inondation; là se développait une végétation luxuriante de plantes d’eau, roseaux, papyrus, lotus, et, sur les bords, de vraies forêts d’arbres de toute espèce. Toute cette zone lacustre entretenait dans le pays, aujourd’hui si sec, une humidité permanente qui devait lui donner un caractère tout différent et le faire ressembler à ce qu’est maintenant le Haut Nil, le Nil des régions tropicales. Le climat du reste n’était pas non plus exactement le [83] même qu’aujourd’hui, il devait être sensiblement plus chaud, car à côté des animaux qui vivent encore en Egypte et de ceux qui s’en sont retirés depuis peu, comme l’hippopotame et le crocodile, on y trouvait encore, à ces époques reculées, l’éléphant, la girafe et l’autruche.
Pour la faune et la flore, l’Egypte, qui n’a plus maintenant que ses cultures et son désert, est un des pays les plus pauvres du monde, mais il n’en était certainement pas de même autrefois, grâce à ces régions fertiles et sauvages en même temps, que l’homme primitif ne pouvait encore utiliser autrement que pour la chasse et la pêche, et où se développaient librement les plantes et les animaux les plus variés.
Comme je l’ai dit plus haut, les anthropologistes sont encore loin d’avoir établi de façon certaine la race à laquelle appartenaient les plus anciens habitants de l’Egypte. Nous pouvons cependant nous en faire une idée approximative: c’était une population brachycéphale et orthognathe au teint clair, aux cheveux lisses, bruns ou châtains, à la taille moyenne, se rapprochant par conséquent beaucoup de la race qui occupait aux époques les plus anciennes tout le bassin de la Méditerranée, et apparentée tout spécialement aux Libyens et aux Berbères. Ainsi on retrouve les mêmes coutumes funéraires, les mêmes modes de sépulture dans l’Egypte primitive et dans les îles grecques, en Grèce et jusqu’en Italie, ce qui peut faire supposer une parenté de race avec les hommes qui habitaient ces contrées avant l’invasion aryenne. On a constaté aussi certains éléments d’origine soudanaise ou plutôt nubienne, même quelques statuettes stéatopyges rappellent le type hottentot, mais ce ne [84] sont là que des exceptions. Il n’y a rien non plus ici des races aryennes ni surtout des Sémites.
Ces populations étaient paisibles et on n’a retrouvé que sur un très petit nombre des crânes étudiés des lésions comme on en verrait certainement beaucoup chez un peuple belliqueux. On a pu constater par contre sur les os des traces de deux maladies, la tuberculose et la syphilis.
Dans les montagnes et les falaises souvent assez élevées qui bordent la vallée du Nil, il n’y a ni cavernes ni abris sous roche où les hommes primitifs aient pu s’établir à demeure. Le climat leur permettait de vivre en plein air et nous avons vu que ceux de l’époque chelléenne semblent s’être tenus de préférence sur les hauteurs, tandis que les hommes de la période dont nous nous occupons avaient des établissements durables à la lisière du désert. Dans ces villages, il n’y a pas trace d’enceinte construite, ce qui fait ressortir le caractère paisible de ces peuplades, ni de maisons en brique ou en pierre, et si nous voulons nous faire une idée de ce qu’étaient les habitations des indigènes, nous pouvons nous reporter à des modèles de petits édifices très anciens qui ont survécu par tradition religieuse dans les sanctuaires de différents dieux: c’étaient soit des huttes en branchages, coniques ou arrondies, comme en ont encore les nègres de l’Afrique centrale, soit des constructions légères en bois, avec un pilier à chaque angle et un toit plat ou légèrement bombé.
Dans les villages, qui s’étendent en général sur une superficie assez peu considérable, les habitants serraient [85] leurs récoltes et gardaient à côté d’eux leurs bestiaux; à en juger par la place occupée, quelques familles seulement devaient constituer la population d’un de ces établissements.
Dans l’antiquité, le costume des Egyptiens a toujours été très sommaire, à plus forte raison a-t-il dû en être de même à une époque si reculée. D’après des représentations un peu plus récentes, datant des dynasties thinites, on voit que les indigènes hommes devaient avoir pour tout vêtement l’objet bizarre qui devint plus tard l’insigne national des Libyens, l’étui phallique, sorte de longue gaine tombant de la ceinture jusque près des genoux. Des peintures de vases nous montrent des femmes vêtues de robes courtes, collantes, descendant à peine aux chevilles; le buste était nu, semble-t-il. Enfin, dans certaines statuettes d’ivoire, on reconnaît des hommes enveloppés d’un grand manteau qui les couvre des épaules aux pieds. Ces vêtements étaient sans doute, à l’origine, en peau, et peut-être, à une époque moins reculée, en étoffe.
Comme parure, on portait, ainsi que nous l’avons vu, des bijoux grossiers, tels que des bracelets en ivoire, en nacre, en silex, des colliers à plusieurs rangs, en [86] perles de pierre ou en coquilles, des pendeloques et des peignes ornés de découpures. Il faut signaler encore les tatouages, ou peintures corporelles dont certaines femmes, peut-être des danseuses, se couvraient tout le corps, et qui figuraient des lignes brisées ou des animaux.
Nous avons vu les tout premiers habitants de l’Egypte déjà en possession d’une arme qui pouvait être redoutable, le coup-de-poing chelléen. Des besoins impérieux contraignent l’homme que la terre non cultivée ne peut nourrir, à faire usage de la force, tant pour se procurer sa subsistance aux dépens des autres êtres vivant à côté de lui, que pour se défendre contre ceux qui, physiquement plus forts, sont pour lui une menace permanente.
Des Egyptiens prédynastiques, beaucoup d’armes nous sont également parvenues, armes de plusieurs catégories qui peuvent être employées indifféremment pour la chasse et pour la guerre. Parmi celles qu’on a coutume d’appeler armes de choc, il faut citer en première ligne celles qui n’ont pu se conserver, vu la matière dont elles sont faites, mais qui ont laissé un souvenir persistant jusqu’aux plus basses époques, les armes de bois, d’abord le long bâton, renflé dans le bas et pouvant servir de massue, puis le vrai casse-tête court et pesant; aux époques historiques ce sont encore ces armes traditionnelles mais hors d’usage, qu’on donne volontiers aux morts dans leurs tombeaux. A [87] côté de ces bâtons on trouve les massues dont la tête de pierre dure, conique ou ovoïde, s’emmanchait sur un bâton court, et enfin les haches, dont nous avons de nombreuses séries, de forme plate, longue, épaisse ou mince, à un seul tranchant, l’autre extrémité étant destinée à se fixer dans une emmanchure de bois dont nous ne connaissons plus la forme. Quant aux haches polies et à celles qui, munies d’un étranglement servant à faciliter l’emmanchure, semblent plutôt une copie des haches de bronze, elles appartiennent probablement à l’époque suivante.
Comme arme de main, nous avons le poignard long et mince, très finement retaillé, qui est parfois une pièce de toute beauté, et enfin comme armes de jet, les innombrables pointes qui, suivant leurs dimensions, appartenaient à des flèches ou à des javelines. Travaillées avec grand soin, ces pointes sont le plus souvent encore remarquablement aiguës et présentent toutes les formes usuelles, pointes à ailerons, à encoches au pédoncule, lancéolées, triangulaires, en croissant; un type cependant qui est particulier à l’Egypte et qui se perpétue assez tard est celui de la flèche à tranchant, destinée à faire une blessure plus large que profonde; ce modèle est aussi employé pour des javelots. Certaines pointes de plus grandes dimensions peuvent avoir appartenu à des lances (v. p. 62–65).
Les indigènes avaient certainement encore, comme leurs successeurs, d’autres moyens de se procurer du gibier, les pièges, les lacets, les filets et peut-être le lasso, instruments qui naturellement n’ont pas laissé de traces. En ce qui concerne la pêche, nous n’avons pas non plus les filets, les nasses et les lignes qui devaient être déjà en usage à cette époque, mais certains silex en forme de croissant peuvent avoir servi d’hameçons pour les gros poissons, qu’on attaquait également avec des harpons en os munis d’une pointe barbelée. Les poissons sont extrêmement nombreux dans le Nil et devaient pulluler dans les marais avoisinants; ils formaient sans doute la base même de la nourriture des premiers Egyptiens, qui mangeaient aussi certains mollusques fluviatiles tels que les unios et les anodontes.
Quant au gibier, nous avons vu qu’il y avait en Egypte non seulement les espèces qui y sont aujourd’hui, mais encore celles de l’Afrique tropicale; ainsi l’homme pouvait chasser l’antilope, le bœuf sauvage et la girafe aussi bien que la gazelle et le bouquetin, l’autruche comme l’oie, le canard et la perdrix, mais ses armes primitives devaient lui être de bien peu de secours vis-à-vis de l’éléphant, du rhinocéros, de l’hippopotame et du crocodile, ou contre le lion et la panthère qui infestaient encore la contrée.
Les animaux sauvages pris vivants à la chasse, conservés d’abord comme en-cas pour le moment où le gibier viendrait à manquer, furent vite domestiqués; l’homme reconnut très tôt les services que ces bêtes pouvaient lui rendre, et non seulement il les nourrit, mais encore les dressa et les utilisa, recueillit leurs œufs ou leur lait. Nous avons dans les kjoekkenmoeddings de la Haute Egypte des traces non équivoques d’élevage, les animaux domestiqués vivant côte à côte avec l’homme dans ces villages primitifs. Comme quadrupèdes, il devait y avoir le bœuf, l’antilope, la gazelle, la chèvre, sans doute l’âne; comme volatiles, l’oie, le canard, la grue, le pigeon, et bien d’autres variétés sans doute.
L’agriculture est partout moins ancienne que l’élevage, et pour l’Egypte nous ne pouvons savoir à quelle époque on commença à travailler le sol, si ce fut à la fin seulement de la période prédynastique ou longtemps avant: les grains trouvés dans les kjoekkenmoeddings ne sont pas datés de façon exacte, et ceux des tombeaux sont difficilement identifiables. Quant aux outils, le sol fertile de l’Egypte, détrempé et ameubli par l’inondation, n’en nécessite pas de très puissants, aussi les houes et les charrues de bois furent-elles en usage pendant toute la période pharaonique; on n’en retrouve naturellement pas trace aux âges plus anciens, mais par contre certains silex plats, sortes d’herminettes de grande dimension, montrent des traces d’usure ne pouvant provenir que du travail de la terre, et ne sont sans doute pas autre chose que des houes. Enfin on retrouve de petits silex plats, dentelés et semblant être des fragments de scies qui, s’emmanchant les uns à côté des autres sur un bois recourbé, formaient des faucilles; cet outil, en usage encore au Moyen Empire, est sans doute d’origine [90] préhistorique, mais nous ne pouvons dire avec certitude si certains des éléments retrouvés datent vraiment de l’époque dont nous nous occupons en ce moment. Il faut encore citer les moulins, pierres plates à surface incurvée où l’on écrasait le grain.
Le moyen de communication qui est de beaucoup le plus pratique dans une vallée longue et étroite comme l’Egypte est sans contredit la voie fluviale, et jusqu’à nos jours c’est le Nil seul qui a été utilisé à cet effet, sauf pour de très courts trajets. Pour les populations primitives surtout, ce mode de locomotion devait avoir de très grands avantages, puisqu’il leur permettait de se transporter d’un point à un autre sans avoir à courir les multiples dangers qui les menaçaient dans un pays encore à moitié sauvage, infesté d’animaux contre lesquels ils n’avaient que des moyens de défense insuffisants. Les premiers bateaux furent très simples: on cueillait des roseaux ou des papyrus qu’on réunissait en bottes et qu’on liait ensemble de manière à former un esquif à fond arrondi, aux extrémités relevées en pointe, et qui, rendu imperméable au moyen d’un enduit quelconque, formait une nacelle légère, insubmersible, résistante et élastique. Ce modèle continua à être employé aux époques historiques, surtout pour la chasse dans les marais.
A côté de cela, les gens du pays possédaient des bateaux de beaucoup plus grandes dimensions, peu profonds et relevés aux deux extrémités, munis de rames et même de voiles carrées.
Les indigènes avaient des rapports certains avec les côtes de la mer Rouge, puisque dans leurs sépultures on trouve des bracelets et des colliers faits en coquilles marines dont l’habitat est précisément dans cette mer. La poterie noire à décor incisé, dont il a été parlé plus haut, montre qu’ils avaient également des relations avec les autres peuples méditerranéens, surtout avec ceux des îles grecques, et que, par conséquent, il y avait déjà à cette époque des hommes osant s’aventurer avec leurs bateaux en pleine mer. Une petite découverte faite en Crète confirme l’existence de ces relations intercontinentales: on a trouvé à Phaestos, sur la côte sud de la Crète, dans les couches les plus profondes d’un gisement néolithique, un gros fragment de défense d’éléphant; or sur le littoral nord de l’Afrique, il n’y a guère que l’Egypte où l’éléphant ait pu vivre et nous avons vu qu’il y vivait en effet. C’est donc d’Egypte, selon toute probabilité, que cet objet fut transporté en Crète, à une époque antérieure à l’histoire.
L’architecture de bois étant seule en usage chez les indigènes de l’époque archaïque, il ne nous en est naturellement rien parvenu; il est cependant probable que ce fut vers la fin de cette période qu’on [92] commença à employer la brique crue, dont l’usage est si répandu sous la Ire dynastie, mais les monuments ne nous permettent pas d’affirmer la chose de manière absolue.
La sculpture ne s’attaque pas encore à autre chose qu’aux petits objets, peignes, pendeloques, ornements, auxquels on cherche à donner une forme humaine ou animale, plaques de schiste qu’on découpe en silhouettes, figurines de danseuses ou d’hippopotames qu’on modèle dans de l’argile et qu’on fait cuire ensuite. Pendant ce temps, des chasseurs à l’affût gravaient des images d’animaux sur les rochers qui les abritaient, d’un trait encore malhabile, mais qui ne manque pas d’un certain caractère pittoresque. Il en est de même pour la peinture sur vases: on remarque dans ces figurations d’animaux, de végétaux, de bateaux, des qualités ornementales qui contrastent avec la naïveté et souvent la barbarie de l’exécution: les dessinateurs savent déjà reconnaître le trait caractéristique de chaque être et de chaque objet, et dans ces croquis enfantins on distingue le germe de ce qui fera plus tard l’originalité de l’art égyptien, à la fois synthétique et décoratif.
Nous avons déjà vu, en fait de gens de métier, les fabricants de silex taillés, les potiers et les tourneurs de vases de pierre, les seuls artisans qui nous aient laissé des traces abondantes de leur activité et dont nous puissions arriver à reconnaître les procédés. Les autres ouvriers se devinent plus qu’ils ne s’affirment, ainsi les charpentiers, que signale la présence de nombreuses herminettes en silex, sorte de haches plates ne pouvant servir qu’au travail du bois; quelques fusaïoles nous révèlent aussi l’origine du travail des matières textiles.
Le cuivre fait son apparition au cours de la période prédynastique, peut-être même à son début, mais les rares outils de métal trouvés dans les sépultures sont encore rudimentaires et montrent que les métallurgistes, qui deviendront si habiles aux âges suivants, en étaient encore aux tâtonnements du début.
Les indigènes de l’Egypte prédynastique ne vivaient plus isolés, mais en société, et si nous ne savons rien de l’institution de la famille, nous connaissons au moins leurs villages où plusieurs familles pouvaient vivre côte à côte, et les nécropoles où ces populations sédentaires réunissaient leurs morts. Certains indices montrent qu’il existait des groupements plus importants, des tribus ayant chacune son insigne, sorte de totem, représentant sans doute la divinité locale. Ces enseignes qui devaient plus tard devenir l’emblème des nomes ou provinces de l’Egypte, servaient de signe de ralliement à des tribus sans doute apparentées à l’origine, mais qui devaient nécessairement entrer en compétition les unes avec les autres, au fur et à mesure qu’elles se développaient; de là des luttes sur lesquelles nous ne sommes renseignés que par la légende, et qui aboutirent à l’établissement de la suprématie du clan d’Horus sur toute la Haute Egypte, et du clan de Set sur le Delta. Ces deux tribus, celle du faucon et celle du quadrupède au museau recourbé et aux longues oreilles droites, étaient-elles autochtones ou étrangères, c’est ce que nous ne saurons sans doute jamais avec certitude, mais il est à présumer qu’elles durent leur supériorité à la connaissance des métaux qui leur donnaient un immense avantage sur des populations n’ayant que des armes de pierre. Quoi qu’il en soit, nous pouvons croire que la période archaïque, très paisible à ses débuts, se termina par [94] de longues luttes qui aboutirent à la fondation des royaumes du Midi et du Nord, royaumes qui rivalisèrent longtemps, jusqu’au moment où l’un d’eux finit par absorber l’autre.
ÉPOQUE THINITE
(De 4000 à 3400 av. J.-C. environ.)
Entre le moment où les indigènes que nous avons appris à connaître habitaient paisiblement la Thébaïde, occupés de chasse et de pêche, d’agriculture et d’élevage, et celui où Ménès constitue son royaume, il n’y a pas de transition marquée, ni dans les monuments de la région d’Abydos, berceau de la nouvelle monarchie, ni dans le reste de la Haute Egypte. Ces deux époques se touchent, semble-t-il, et pourtant il s’est accompli pendant le laps de temps qui les sépare et dont nous ignorons la durée, une transformation profonde qui touche à tous les domaines: une méthode nouvelle de gouvernement est inaugurée, l’écriture est inventée, les [96] constructions de briques remplacent l’architecture de bois, le cuivre et même le bronze deviennent d’un usage courant, tandis que la taille du silex et la fabrication des vases de pierre ont atteint la perfection. Une transformation pareille demande de longs siècles ou bien une intervention étrangère, aussi a-t-on tenté de l’expliquer de diverses manières, sans avoir encore pu sortir du domaine des hypothèses.
En raison de certaines ressemblances très apparentes entre ce qui nous est parvenu de l’Egypte thinite et ce que nous connaissons de la Chaldée primitive, l’écriture hiéroglyphique, l’architecture en briques crues, l’emploi du cylindre comme cachet, la forme de certains vases de pierre, quelques savants ont voulu établir une communauté d’origine. Ils supposent qu’à un moment donné, une tribu puissante venant de Chaldée ou d’un autre pays qui serait aussi le berceau des Chaldéens, aurait pénétré en Egypte par le Sud après avoir traversé la mer Rouge et le désert, aurait soumis la vallée du Nil et répandu dans tout le pays les bienfaits d’une civilisation supérieure à celle qui s’y était développée naturellement. La tribu conquérante, le clan Horien, serait alors une peuplade d’origine sémitique et Horus un dieu sémite, ce qui est bien difficile à admettre, d’autant que, plus on étudie cette époque, plus on constate le caractère vraiment original et purement africain de la civilisation égyptienne.
D’un autre côté, la légende parle de l’expédition d’Horus comme venant du Sud; un texte très ancien donne même le nom de la tribu de laquelle sortait la race royale, la race horienne, et cette tribu est une tribu nubienne. Nous devons donc admettre qu’à un moment donné, peut-être peu avant Ménès, peut-être bien des siècles plus tôt, une tribu méridionale, mais d’une [97] race apparentée à celle qui occupait le pays, vint s’installer dans la vallée du Nil, qu’elle subjugua après un temps plus ou moins long et dont nous ne pouvons évaluer la durée. Ce qui assura la supériorité à ces conquérants, c’est le fait qu’ils connaissaient les métaux, tandis que les indigènes en étaient encore à l’âge de la pierre, mais il est bien peu probable qu’il faille attribuer aux envahisseurs tous les progrès faits par la civilisation égyptienne aux débuts de la période historique, entre autres l’invention de l’écriture.
Presque tout ce qui nous est parvenu jusqu’ici de l’époque prédynastique provient de la Haute Egypte, et nous n’avons pour ainsi dire aucun document sur ce qu’était le Delta pendant cette période. Cette région est cependant incomparablement plus riche que la Haute Egypte, et ses habitants durent nécessairement précéder leurs frères du Sud dans la voie de la civilisation; c’est dans les terres du Delta, plus fertiles et mieux arrosées que toutes les autres, que l’agriculture devait naître et se développer en premier lieu, et la légende nous en a conservé un souvenir très précis: Osiris est un dieu du Delta, dont le centre est à Mendès; Isis est également une déesse de la même région, ainsi que Set, le dieu de la tribu la plus puissante de cette partie du pays.
Le Delta était donc considéré par les Egyptiens eux-mêmes comme le berceau de leur civilisation, à bon droit, semble-t-il. C’est à la nature même du sol, entièrement cultivable, que nous devons de n’en avoir pas retrouvé la moindre trace, car si dans la Haute Egypte les habitations et les nécropoles étaient situées à la lisière du désert, elles ne pouvaient être ici que sur des monticules artificiels aujourd’hui recouverts par les alluvions et cultivés comme le reste du pays. Il existe encore une [98] autre preuve de l’avance que les indigènes du Nord avaient sur ceux du Sud, preuve relative à l’organisation sociale du pays: dans les listes de rois mythiques antérieurs à Ménès, on ne voit que dix rois thinites pendant 350 ans, tandis que les trois dynasties de rois du Nord avaient occupé le trône pendant des milliers d’années.
Il est difficile de se rendre compte comment les rois du Sud réussirent à détrôner leurs voisins plus civilisés du Nord et à réunir tout le pays sous leur sceptre, mais dans l’histoire les exemples sont fréquents d’un peuple riche subjugué par un autre qui lui est très inférieur, et toujours dans ces cas-là nous voyons que le vaincu finit par s’assimiler le vainqueur et par l’absorber: la civilisation, un moment écrasée par la force, reprend au bout de peu de temps son essor, activé par l’infusion d’un sang nouveau. Il en fut de même ici, et comme dans le mythe, Horus ne put achever sa conquête et dut faire un compromis avec ses ennemis. Le Delta se vengeait généreusement d’avoir perdu son autonomie en imposant à son vainqueur une civilisation très supérieure, jusqu’au moment où il pourrait lui-même reprendre les rênes du pouvoir.
Originaires d’un des points les plus méridionaux du territoire égyptien, les chefs de la tribu du faucon, qui avaient étendu leur pouvoir sur les autres tribus de la Haute Egypte, choisirent comme lieu de résidence un endroit plus central, situé plus au nord, en une région où la vallée s’élargit et devient en même temps plus fertile. C’est là que s’éleva la ville de Thinis, qui comme capitale politique de l’Egypte devait être vite supplantée [99] par les villes mieux situées, tandis que sa voisine, Abydos, où les premiers rois creusèrent leurs tombeaux, devenait rapidement la métropole religieuse de la Haute Egypte, le centre du culte funéraire, la ville du dieu des morts.
C’est à leur première capitale que les deux premières dynasties doivent le nom sous lequel on les désigne couramment, celui de dynasties thinites. Pour arriver à connaître leur histoire, nous pouvons maintenant combiner les données des écrivains classiques et celles que fournissent les listes ou les monuments égyptiens postérieurs, avec les renseignements contemporains qui nous ont été livrés par les fouilles récentes; nous avons la liste des rois, les chiffres indiquant la longueur de leurs règnes, mais l’histoire proprement dite, l’enchaînement des événements, nous fait encore défaut. Le relevé officiel, année par année, de la pierre de Palerme, ne nous est pas d’une grande utilité, car par le fait des cassures, nous ne savons auxquels des rois attribuer les événements signalés, qui du reste ne se rapportent le plus souvent qu’à des fêtes religieuses ou à des fondations de temples. De plus, pour des raisons que nous examinerons plus loin, il est souvent difficile d’établir la corrélation entre les noms royaux tels que nous les donnent les listes et ceux qui se trouvent sur les monuments contemporains.
La première dynastie, au dire de Manéthon, compta huit rois et dura 263 ans, la seconde, neuf rois qui occupèrent le trône pendant 302 ans. On peut les placer, approximativement, entre 4.000 et 3.400 avant notre ère.
Dans ces deux groupes de souverains, la seule figure qui se détache sur l’ensemble est celle du premier d’entre eux, Ménès, en égyptien Mena ou Mini, le véritable fondateur de la royauté égyptienne. Nous ignorons [100] comment il s’y prit pour réunir sous son sceptre les deux parties du pays, mais nous savons qu’aussitôt la chose faite, il s’empressa de transporter le siège de son gouvernement à la frontière des deux royaumes, fonda une ville nouvelle, à laquelle il donna son nom, Memphis, Mennofer, et qui par sa position même devait rester bien longtemps la capitale de l’Egypte. Après cela il s’occupa activement de l’organisation de ses nouveaux états: il promulgua des lois, fonda des temples, dirigea des expéditions contre les Libyens qui habitaient aux confins de la vallée du Nil et qui cherchèrent toujours à s’y réinstaller en maîtres. Son long règne, qui dura plus de soixante ans, se termina par une fin tragique sur laquelle nous ne sommes que très vaguement renseignés.
Les successeurs immédiats de Ménès, ceux dont les noms, grécisés par Manéthon, sont Athothis, Kenkenès, Ouenéphès, Ousaphaïs, Miébis, Semempsès et Bienekhès, continuèrent son œuvre, sans qu’aucun d’eux se distinguât de façon particulière: ils s’occupèrent de législation, d’administration intérieure, et réglèrent définitivement le culte des dieux et le rituel des cérémonies; ils construisirent des temples, des palais et d’autres édifices, ils guerroyèrent contre les Libyens et l’un d’eux envoya au Sinaï la première expédition minière dont l’histoire ait gardé le souvenir. Quelques-uns s’occupèrent même de science et composèrent non seulement des ouvrages théologiques, mais aussi des livres de médecine et d’anatomie. Sous les uns, diverses calamités s’abattirent sur le pays, tandis que les autres jouirent d’années prospères et tranquilles.
Les rois de la IIme dynastie, Boethos, Kaiekhos, Binothris et les autres ont une personnalité plus effacée encore, et il est difficile de les identifier avec ceux que les monuments nous font connaître et qui ne peuvent [101] se ranger que dans cette période de l’histoire, Kha-Sekhemouï, Neb-ra, Nenouter, Hotep-Sekhemouï et plusieurs autres encore. Aucun événement important n’est relaté, même sur la pierre de Palerme, où les mentions annuelles se rapportent toutes à des fêtes royales ou religieuses, au dénombrement des bestiaux, à la construction de divers édifices. On s’aperçoit néanmoins, en étudiant les courtes inscriptions laissées par ces rois et en les comparant à celles de la dynastie précédente, qu’il y a quelque chose de changé dans la titulature royale, auparavant très simple. Il s’y introduit à plusieurs reprises un élément nouveau, l’emblème du dieu Set, et ce simple fait montre que le sceptre n’est plus aussi ferme entre les mains des souverains thinites, qu’ils se rapprochent insensiblement, soit par des mariages, soit autrement, des descendants des anciens rois du Nord; si quelques rois se font ensevelir à Abydos, comme leurs ancêtres, les autres commencent à creuser leurs tombeaux à Memphis même, où les traces de leur activité deviennent de plus en plus fréquentes. Cette dynastie, encore nettement thinite, tant par l’origine de ses rois que par le caractère de sa civilisation, représente donc pour nous le commencement de la période de transition pendant laquelle se prépare [102] l’avènement de l’empire memphite; cette période est assez longue, puisqu’elle embrasse encore la IIIme dynastie qui, bien que memphite, se rattache étroitement à celle qui la précède.
Presque tous les monuments, petits ou grands, que nous possédons maintenant, proviennent de la Haute Egypte, en particulier d’Abydos, de Negadah et, un peu plus au sud, d’Hieraconpolis, la ville où était probablement le centre le plus ancien en Egypte du clan d’Horus le Faucon, avant son extension vers le nord. Enfin un certain nombre d’inscriptions et de petits objets ont été trouvés dans les environs de Memphis, mais, comme nous venons de le voir, ceux-ci datent seulement de la fin de l’époque thinite. Nous devons passer en revue tous ces documents avant d’aborder le tableau d’ensemble de la civilisation pendant cette période.
Les princes de Thinis avaient choisi pour y creuser leurs sépultures une large plaine sablonneuse dominée par les montagnes où commence le désert proprement dit, aux environs immédiats de leur première capitale, au lieu qui deviendra plus tard la ville sacrée d’Abydos. Les plus anciennes de ces tombes, celles qui appartiennent aux premiers rois de la Ire dynastie, et même peut-être à quelques-uns de leurs prédécesseurs immédiats, sont de grandes fosses rectangulaires creusées dans le sol du désert, qui ne dépassent guère cinq mètres sur sept de côté, et trois de profondeur environ; des murs en briques crues étaient élevés contre les parois naturelles de la fosse et le tout était recouvert, au niveau du [103] sol sans doute, par un plancher de bois supporté par des piliers, également en bois; une couche de sable devait rendre la tombe invisible.
Avec un plan aussi simple, le tombeau du roi se distinguait à peine de ceux de ses sujets, et nous voyons peu à peu les souverains chercher à donner à leur dernière demeure un caractère plus grandiose. A partir du milieu de la Ire dynastie, les proportions de ces tombeaux augmentent sensiblement, en profondeur autant qu’en longueur et en largeur: on ne se contente plus de murs en briques et d’un plafond de bois, on étend un plancher sur le sol, on lambrisse les parois, et on finit même par dessiner le long des murailles, au moyen de murs de refend, des séries de niches profondes qui ont presque la dimension de petites chambres. Enfin de [104] grands escaliers en briques crues descendent jusqu’au fond de la salle, et autour de celle-ci, dans un fossé moins profond, sont construites des séries de petites chambres servant de magasins pour les provisions funéraires et de sépulture aux gens de l’entourage immédiat du roi. Un petit monticule de sable et de galets recouvrait autrefois le trou, et au sommet une stèle portant en grands caractères le nom du roi signalait de loin l’emplacement de son tombeau.
Deux tombes seulement de rois de la IIme dynastie ont été retrouvées à Abydos, toujours dans la même région, mais ces monuments se distinguent très nettement des autres, par le fait surtout que la chambre funéraire et toutes ses dépendances sont construites dans une seule et même excavation, celle-ci pouvant atteindre des dimensions considérables. Ainsi le tombeau de Kha-Sekhemouï, qui doit être un des derniers rois de la dynastie, est construit sur un plan très allongé et n’a pas moins de 83 mètres de long, avec 58 pièces, parmi lesquelles la chambre funéraire, placée au centre, est à peine plus importante que les autres.
Le monument le plus remarquable de toute la période thinite est situé à Négadah, entre Abydos et Louxor; c’est encore un tombeau, non plus un tombeau souterrain, mais une construction entièrement apparente. En voyant pour la première fois cet édifice qui est encore [105] dans un état de conservation relativement bon, nous crûmes être en présence d’un mastaba de l’Ancien Empire et il fallut les fouilles méthodiques qu’entreprit immédiatement M. de Morgan pour nous prouver que nous avions sous les yeux un monument datant d’un des plus anciens rois de la Ire dynastie; certains savants ont voulu identifier ce souverain à Ménès lui-même, mais la découverte récente d’un fragment des annales de l’Ancien Empire montre qu’il s’agit sans doute de son deuxième successeur, le roi Atet-Kenkenès.
Entièrement construit en briques crues, ce monument, dont la forme générale est rectangulaire, a une longueur totale de 54 mètres, exactement le double de sa largeur; un socle bas l’isole du terrain environnant, et au-dessus de ce soubassement les murs s’élèvent, présentant tout le long des quatre façades une série de petites niches avec les retraits et les saillies que nous retrouverons plus tard dans les stèles de l’Ancien Empire et qui ne font que reproduire les détails décoratifs de l’architecture civile en briques et en bois. Aucune porte ne permet de pénétrer dans l’intérieur, qui se compose d’un noyau central contenant cinq pièces, dont la chambre funéraire, au milieu; après l’ensevelissement, on avait muré les portes de ces chambres, puis on avait édifié tout autour une série de pièces plus petites destinées à servir de magasin, et enfin le mur extérieur avec ses niches, qui devait clore définitivement le tombeau et le présenter aux regards sous la forme d’un immense bloc architectural sans la moindre ouverture: au lieu d’être enterré, comme d’habitude, le mort était emmuré.
Enfin, dans les substructions du temple plus récent d’Hieraconpolis, on a retrouvé un long mur circulaire, en pierres grossièrement assemblées, qui représente sans doute l’enceinte du premier temple bâti en cet endroit [106] sous les dynasties thinites, ainsi que semblent le prouver un montant de porte sculpté au nom du roi Kha-Sekhemouï et d’autres objets de la même époque. On n’a jusqu’ici signalé aucun autre édifice royal, temple ou tombeau de cette période.
Quant aux tombeaux des particuliers, ils sont toujours d’une grande simplicité: la fosse, un peu plus grande qu’autrefois, est rectangulaire ou carrée, ses parois sont en général revêtues de briques crues, et un plafond de bois ou de dalles de pierre recouvre le tout; elle comprend parfois plusieurs chambres. Le mort y est le plus souvent couché sur le côté gauche, la tête au sud, dans la position dite embryonnaire ou assise; on ne rencontre que rarement des exemples de démembrement complet, comme c’est le cas vers la fin de la période précédente, mais on retrouve par contre souvent la petite tombe ovale et la tombe-ciste.
Les tombeaux royaux ne nous sont point parvenus intacts; ils n’étaient pas suffisamment protégés, et les violateurs de sépultures y pénétrèrent; puis des incendies éclatèrent dans ces constructions où le bois entrait [107] pour une grande part, et le mobilier funéraire en souffrit considérablement. D’après ce qui en reste, nous pouvons néanmoins nous faire une idée exacte de ce que ce mobilier devait être à l’origine, de la variété et de la richesse des objets qui le composaient.
Les vases en terre sont de toutes formes et d’une grande abondance; tous servaient à serrer des provisions, grains ou liquides, dont on a encore retrouvé des traces, et étaient amoncelés dans les petites salles annexes du tombeau, qui servaient de magasins; d’immenses jarres, soigneusement fermées au moyen d’une écuelle et d’un bouchon d’argile, et alignées les unes à côté des autres, contenaient du vin, peut-être aussi de l’huile; dans d’autres pièces, des cruches plus petites ou de grandes écuelles renfermaient du blé, de l’orge, des fruits, des viandes. Tous ces vases étaient des objets d’un usage courant, vulgaire même, et non des ustensiles de luxe; ils ne manquent pas d’un certain galbe, d’une élégance de lignes qui se retrouve dans tout objet provenant de l’ancienne Egypte, mais leur facture est sommaire, l’argile employée est grossière, la cuisson souvent défectueuse.
Si la céramique, ravalée à des usages inférieurs, est moins soignée que celle de la période prédynastique, nous remarquons par contre un progrès immense réalisé dans l’industrie des vases de pierre: toute la vaisselle des rois et des gens de qualité se composait en effet [108] d’ustensiles taillés avec une habileté incroyable, qui n’a jamais été égalée plus tard, en aucun endroit et à aucune époque. Les ouvriers travaillent indifféremment le calcaire, l’albâtre et le grès, le granit, la diorite, la diabase et le porphyre, sans que jamais la pierre la plus dure semble constituer pour eux le moindre obstacle. Ils s’attaquent même à l’obsidienne et au cristal de roche et réussissent à en tirer des petits vases et des coupes d’une perfection inouïe. Des instruments dont ils se servaient pour venir à bout de ces chefs-d’œuvre, nous ne connaissons que le plus important, celui qui servait à évider l’intérieur du vase, une sorte de vilebrequin à lame latérale, garni dans le haut d’un lourd contrepoids servant de volant.
Au point de vue de la forme, la variété de ces vases est très grande. Il y a d’abord la coupe, pour laquelle on employait de préférence l’albâtre, le calcaire, le grès, le quartz, et qui servait en même temps d’assiette et d’écuelle. Elle est plate ou plus ou moins profonde, souvent même plus haute que large; son fond est plat ou [109] arrondi, ses parois généralement droites, mais parfois le rebord se retourne légèrement vers l’intérieur. Puis les grandes jarres d’albâtre, imitées du modèle très répandu de la poterie ordinaire, et dont quelques-unes atteignent jusqu’à un mètre de hauteur; les vases globulaires à fond plat et à petites anses, les uns minuscules, les autres de très grandes dimensions; les vases sphéroïdes à rebord aplati et anses de suspension, en granit, diorite ou porphyre, dont la panse est unie ou côtelée et qui sont souvent de pures merveilles; enfin les nombreux vases cylindriques, généralement en albâtre. On pourrait encore mentionner d’autres formes moins courantes, entre autres les vases en forme d’animaux. Tous ces modèles se retrouvent en très grande abondance dans les tombeaux des rois et même dans ceux des particuliers de l’époque. Etant donnée la matière employée, on pourrait encore faire rentrer dans cette catégorie les petites tables d’albâtre, sorte de guéridons formés d’un disque monté sur un pied très bas, qui servaient de tables à manger, et qui deviennent surtout fréquentes à partir de l’Ancien Empire.
La faïence fait sa première apparition avec des vases, des plaquettes et divers fragments en terre vernissée, [110] à couverte d’un vert parfaitement homogène, mais qui peut-être était bleu à l’origine; ce genre de faïence devait continuer à être employé à toutes les époques du royaume pharaonique.
Vu leur fragilité même, beaucoup d’objets qui se trouvaient dans les tombes royales ont disparu ou ne nous sont parvenus qu’à l’état de fragments: ainsi tout ce qui était en bois ou en ivoire, figurines, plaquettes, coffrets incrustés, meubles sculptés souvent ornés de pieds de taureau ou de lion, d’un travail exquis. Un hasard heureux a fait retrouver aussi de belles perles en or et des bracelets en or, améthyste et grenat qui sont aussi bien composés qu’exécutés, et qui dénotent, chez les bijoutiers de ce temps, une pratique du métier déjà très grande.
Les progrès de la taille du silex sont au moins aussi remarquables que ceux de la fabrication des vases en pierre dure. Les grands couteaux recourbés du tombeau de Negadah et les longs éclats retaillés sur une seule face, avec des retouches d’une régularité parfaite, ne sauraient trouver leurs égaux en aucun pays du monde; ces derniers servaient de poignards, et l’un d’eux est enveloppé sur une partie de sa longueur d’une feuille d’or ciselé formant poignée. A côté de ces armes on trouve, toujours dans les tombeaux des rois, un grand nombre de pointes de flèches qui ne leur cèdent en rien pour la beauté de la forme et du travail.
Nous avons déjà vu çà et là, pendant l’époque précédente, des objets de cuivre; à partir des premiers rois thinites, l’usage de ce métal est très répandu. On s’en sert non seulement pour des outils ou des armes, mais aussi pour des vases, grandes coupes creuses, vases globulaires avec anse mobile ou aiguières verseuses à bec recourbé, qui témoignent déjà d’une grande habileté en matière de chaudronnerie; les ouvriers s’entendaient aussi bien à travailler à l’embouti qu’à souder et à river les pièces ensemble.
Parfois encore les tombeaux des particuliers nous livrent de ces plaques de schiste que nous avons signalées dans les sépultures prédynastiques, mais on n’en a rencontré que rarement dans les tombes royales; l’usage de ces objets dans le mobilier funéraire tendait à disparaître, par contre on en employait d’analogues pour le service du culte divin. Ces plaques de schiste d’un nouveau modèle, dont quelques-unes [112] de très grandes dimensions, sont couvertes de sculptures en bas-relief qui ont pour nous non seulement de l’intérêt au point de vue artistique, mais nous donnent encore souvent des renseignements historiques importants. On y voit représentées, sous forme symbolique, une campagne victorieuse, la destruction de cités ennemies, la soumission des vaincus, tandis que sur d’autres on ne remarque que des animaux de toute sorte, en particulier ces espèces de panthères dont le cou d’une longueur très exagérée entoure le godet central qui paraît être la partie la plus importante de la plaque, mais dont nous ne connaissons pas encore le but exact. Quoi qu’il en soit, ces plaques de schiste sculptées, qui sont de véritables œuvres d’art, paraissent être des objets votifs, comme les énormes masses d’armes votives en pierre, couvertes de bas reliefs, qui étaient déposées dans le temple d’Hieraconpolis.
Ces monuments sont en somme les premiers bas-reliefs égyptiens; c’est de la même époque que datent les premières œuvres de la statuaire, qui, bien que souvent un peu lourdes de forme, possèdent déjà la plupart des qualités des statues de l’Ancien Empire. Ces objets sont du reste assez rares: quelques statues de petites dimensions, de rois ou de particuliers, des statuettes d’hommes ou de femmes en ivoire, et des figurines en diverses matières, représentant des animaux.
Parmi tous ces monuments, les plus importants pour nous, et de beaucoup, sont ceux qui portent des inscriptions. Les plus anciens documents écrits appartiennent aux premiers souverains ayant régné sur les deux parties du pays, et l’invention de l’écriture, qui est la caractéristique de l’époque thinite, ne semble pas avoir été de beaucoup antérieure à ces débuts de l’histoire égyptienne. Il ne s’agit pas encore de textes, à proprement parler, mais d’inscriptions très courtes donnant des noms, des titres, et la mention sommaire, au moyen de quelques signes seulement, d’événements importants. En la comparant à celle des époques suivantes, on voit que cette écriture est encore dans son enfance, mais en même temps on peut constater qu’elle a non seulement le caractère pictographique propre à toutes les écritures primitives, mais qu’elle possède déjà tous les éléments phonétiques et alphabétiques qui constituent le système hiéroglyphique. Les signes ne sont pas encore disposés suivant un ordre rigoureux, comme plus tard, mais ils sont déjà dessinés avec une précision remarquable, et ceux qui sont en usage à ce moment-là se modifieront à peine au cours des siècles. L’Egyptien, profondément artiste, avait trouvé, presque sans tâtonnement, semble-t-il, le type d’écriture qui lui convenait [114] et auquel il devait se tenir pendant des milliers d’années.
Les documents écrits de la période thinite appartiennent pour ainsi dire tous au roi lui-même ou à son entourage immédiat. Parmi les monuments royaux, il faut citer en première ligne les grandes stèles de pierre dressées sur les tombeaux et qui ne contenaient que le nom du roi en grands caractères; il en est de même des montants de porte de Kha-Sekhemouï au temple d’Hieraconpolis et des bas-reliefs du Sinaï où le nom accompagne seul la figure de Mersekha massacrant ses ennemis. De petites plaquettes en bois ou en ivoire, destinées à commémorer un événement, une victoire, une cérémonie religieuse ou une inauguration d’édifices, portaient, en plus des représentations figurées et du nom royal, un très court texte explicatif. Enfin, sur la grande plaque de schiste et les massues votives d’Hieraconpolis, il n’y a, à côté des représentations, que le nom du roi, qui se retrouve également, isolé, sur beaucoup de petits objets de toute espèce.
Chaque employé supérieur de l’administration avait son cachet officiel, cylindre gravé en creux, portant son titre et son emploi, à côté du nom du roi; ces cylindres servaient entre autres à sceller les produits dont les fonctionnaires avaient la surveillance, et ils étaient apposés sur les énormes bouchons d’argile fermant les grandes jarres où l’on conservait les provisions destinées au roi mort. Ces empreintes, qui sont le plus souvent encore très nettes, forment l’ensemble le plus important et le plus varié des inscriptions de l’époque thinite. C’est aussi, sans aucun doute, à des officiers royaux et à de grands personnages de la cour qu’appartenaient les nombreuses petites stèles portant simplement leur nom et indiquant la place de leur sépulture dans les dépendances des tombeaux royaux.
Ce n’est pas sous la forme d’un cartouche ovale, comme on a l’habitude de le voir dans tous les monuments depuis l’Ancien Empire, que se présente ici le nom du roi: il est renfermé dans un rectangle terminé dans le bas par un motif architectural et surmonté d’un faucon. Il est nécessaire, pour expliquer cette différence qui peut paraître étrange au premier abord, de jeter un coup d’œil sur la titulature complète des rois d’Egypte, à la bonne époque. A côté d’un nombre très variable d’épithètes pompeuses où la fantaisie des scribes se donne libre carrière, le protocole royal comporte cinq noms différents précédés chacun d’un titre spécial; ainsi la titulature complète d’Amenemhat III, un des derniers rois de la XIIme dynastie (fig. 91), se présente de la façon suivante:
Le premier de ces titres, celui dans lequel le faucon surmonte un édifice où est gravé le nom, représente le nom sacré du roi, son nom d’Horus, celui par lequel il affirme sa descendance divine, sa qualité d’héritier légitime du dieu fondateur de la monarchie. Les deux suivants ont moins d’importance et paraissent rarement isolés en dehors du protocole complet. Quant aux deux derniers, avec les noms renfermés dans des cartouches, ce sont, à l’époque classique, les vrais titres officiels du roi, les seuls employés couramment pour désigner le pharaon: l’un, que nous avons l’habitude d’appeler le prénom, est surmonté du double titre «roi de la Haute et roi de la Basse Egypte»; c’était le nom que se donnait le roi au moment de son couronnement, tandis que son ancien nom de prince royal, son nom de famille en quelque sorte, trouvait place dans le dernier cartouche, avec l’épithète «fils du soleil», qui fait ressortir une fois de plus le caractère divin ou semi-divin de la royauté. Tous ces titres n’ont ni la même origine ni la même ancienneté. Le premier en date est aussi le premier de [117] la série, le nom d’Horus; jamais, sur leurs monuments, les premiers rois de la première dynastie ne sont désignés par un autre nom que celui qui, enfermé dans le rectangle qui figure le palais royal, est surmonté du faucon, image du dieu Horus. Le souverain n’est donc pas appelé à l’origine «le roi d’Egypte un tel» mais «l’Horus un tel»; plus tard, sous la IIme dynastie, certains rois qui étaient sans doute originaires de la Basse Egypte tentèrent, comme le fit Perabsen, de remplacer le faucon par l’animal typhonien Set, et se nommèrent alors «le Set un tel» (fig. 93); d’autres enfin réunirent les deux emblèmes divins, comme Kha-Sekhemouï qui se donne le titre de: «Horus-Set-Kha-Sekhemouï» (fig. 94).
Dès l’origine, cependant, les rois prirent le titre de «maître des diadèmes du Sud et du Nord», titre qui vient se placer à côté du premier, mais n’est pas accompagné d’un nom nouveau. Enfin, à partir du milieu de la Ire dynastie, nous voyons apparaître un second nom tout à fait différent de l’autre, avec le titre de «roi de la Haute et de la Basse Egypte» (fig. 95). Ce nom n’est pas encore enfermé dans un cartouche, comme cela aura lieu plus tard. Quant aux deux autres titres, celui de «Horus d’or», ou de «Horus vainqueur», et celui de «fils du soleil», ils ne paraissent que beaucoup plus tard, dans le courant de l’Ancien Empire.
Dans les listes royales d’époque postérieure, les pharaons, même les plus anciens, sont toujours désignés par leurs noms de rois de la Haute et de la Basse Egypte, jamais par leurs noms d’Horus. Or les monuments de l’époque ne nous donnent la concordance entre les deux noms que pour trois rois de la Ire dynastie: Den-Setouï (Ousaphaïs), Azab-Merbapa (Miebis) et Mersekha-Semempsès. Pour tous les autres rois thinites, nous n’avons que le nom d’Horus, ce qui rend leur [118] assimilation assez difficile; néanmoins, on est arrivé à les grouper de façon assez satisfaisante.
L’organisation de la royauté, l’invention de l’écriture, les débuts de l’architecture, le développement des arts et de l’industrie marquent un progrès immense de l’époque thinite sur la période précédente, une transformation radicale dans l’état général du pays. Après avoir étudié les monuments, il nous reste à passer aux conclusions que nous pouvons en tirer quant à ce nouveau stage de la civilisation.
Le roi est un Horus, donc non seulement un monarque de droit divin ou un représentant du dieu sur la terre, mais un roi-dieu, planant en quelque sorte au-dessus de l’humanité. Tout lui appartient ici-bas, tout gravite autour de lui. Détenteur du pouvoir spirituel aussi bien que du pouvoir temporel, il organise le culte des dieux, ses pères et ses frères, il commence à leur faire construire de vrais temples au lieu des petits édicules en bois entourés d’une enceinte ou des huttes en branchages qui sont encore presque partout les sanctuaires des diverses divinités. Quant à lui-même, il habite des palais dont le cadre qui entoure son nom nous a conservé une image sommaire et, après sa mort, il repose dans un tombeau somptueux, entouré d’un monceau de provisions pour l’éternité. Les membres de sa famille paraissent à peine à côté de lui.
La présence, à côté du roi, dans les grandes cérémonies, des enseignes symboliques du faucon, du chacal, de l’ibis, semble indiquer que les anciennes tribus subsistent [119] toujours, non plus indépendantes, mais devenues vassales de la couronne. Cependant ces emblèmes pourraient aussi être de nature purement religieuse et s’appliquer à des divinités plutôt qu’à des groupements de la population.
Autour du roi se trouvaient une quantité de fonctionnaires, depuis ceux qui étaient attachés à la personne même du souverain, le porte-sandales et le porte-éventail, jusqu’aux chefs artisans qui semblent avoir eu une position privilégiée. Puis venaient tous ceux qui étaient préposés aux domaines royaux, qui surveillaient l’emmagasinage des récoltes et dont les sceaux étaient apposés sur les bouchons des jarres à provisions. Tous ces personnages forment l’entourage immédiat du roi et se font enterrer à côté de lui, parfois même dans les dépendances de la sépulture royale. Comme leur souverain, ils perpétuent le souvenir de leur tombeau par une stèle placée au-dessus, en évidence, stèle où leur nom seul est sommairement gravé sur une pierre à peine dégrossie.
C’est dans les centres, et particulièrement autour du roi, que nous pouvons suivre le développement de cette civilisation nouvelle: jusqu’à quel point put-elle pénétrer dans la masse même de la population, chez les habitants des campagnes? Les tombeaux de ceux-ci, disséminés le long des coteaux de sable qui bordent la vallée, comme ceux de leurs prédécesseurs, nous montrent à quoi nous en tenir à ce sujet et, somme toute, nous voyons qu’à part quelques modifications de détails, la situation du peuple n’a guère changé. Si les habitants du pays revêtent maintenant leurs tombeaux de briques, ils les creusent toujours aux mêmes endroits et leur donnent [120] à peu près les mêmes dimensions qu’auparavant. Le mobilier funéraire est le même, à peine un peu modernisé quant à la forme des vases; les outils et les armes ne sont pas modifiés et ce n’est encore que rarement qu’on voit paraître des objets de cuivre à côté des silex taillés toujours en usage.
Comme jadis, les habitants des campagnes ne se préoccupaient guère des progrès de l’écriture ou de l’architecture, et vivaient de chasse et de pêche, d’élevage et d’agriculture. Le cuivre fournissait aux pêcheurs un nouvel engin, le petit hameçon, mais il changeait à peine l’armement des chasseurs. L’agriculture était en progrès, sans doute grâce aux efforts de l’administration royale. Le roi possédait-il lui-même des champs de blé et d’orge d’où il tirait ses approvisionnements ou les abandonnait-il aux cultivateurs moyennant une forte redevance en nature, c’est ce dont nous ne pouvons nous rendre compte; peut-être y avait-il des terres de la couronne et des terres privées, comme ce devait être le cas plus tard. En tous cas le roi possédait des jardins spéciaux, enclos de murs, qui étaient l’objet d’une surveillance particulière, et où l’on cultivait entre autres la vigne. Les employés du gouvernement apportaient aussi un soin particulier aux irrigations, notaient avec soin la cote exacte de chaque crue du Nil, et faisaient creuser les premiers canaux.
Les artisans, les gens de métier, vivaient surtout dans les centres, mais les habitants des campagnes fabriquaient eux-mêmes les objets dont ils avaient besoin, en particulier ce qui concernait le vêtement. Pendant que les hommes s’occupaient de chasse, de pêche et des travaux des champs, les femmes se chargeaient de filer et de tisser la toile.
La plupart des matières premières qu’employaient les Egyptiens provenaient du pays même, mais d’autres devaient être cherchées plus loin, souvent à de grandes distances. Ainsi certaines pierres dures, employées pour fabriquer des vases ou des objets d’ornement, ne se trouvent que dans des montagnes situées en plein désert; il en est de même de l’or. Le roi envoyait-il des expéditions pour recueillir ces matières précieuses, ou bien les nomades les apportaient-ils jusqu’en Egypte, il nous est impossible de le savoir. Le cuivre venait de plus loin vers le sud, et des gisements de turquoises, comme ceux du Sinaï, étaient déjà exploités par les Egyptiens; peut-être aussi le commerce extérieur en amenait-il dans le pays des quantités plus ou moins considérables.
L’obsidienne employée en Egypte provient de l’île de Milo, dans l’Archipel, et ce fait montre qu’il continuait à y avoir entre les deux peuples, malgré l’obstacle que leur opposait la mer, des relations suivies; la présence de poterie égéenne dans les tombeaux royaux d’Abydos est une preuve de plus du commerce qui se faisait à cette époque sur la Méditerranée.
La similitude très marquée qui existe entre certains objets de la Chaldée primitive et les monuments de l’Egypte thinite a fait envisager par certains savants la possibilité d’une origine commune des deux races. Cette hypothèse, comme je l’ai dit plus haut, doit sans doute être abandonnée, car la civilisation égyptienne est certainement originale et africaine. Les infiltrations sémites qui ont pu se produire dans la vallée du Nil sont beaucoup moins importantes qu’il ne le paraissait d’abord et il se peut fort bien qu’elles soient dues uniquement à des relations commerciales entre l’Egypte et les pays de l’est et du sud-est, par la mer Rouge. Ainsi des voyageurs, des commerçants peuvent avoir apporté [122] d’Egypte en Chaldée ou de Chaldée en Egypte, des cylindres servant de sceaux, et cette nouveauté ayant été appréciée, la mode s’en sera répandue facilement; rien du reste ne prouve que l’usage du cylindre ait été inventé en Mésopotamie plutôt que dans la vallée du Nil. Il en est de même de certains petits vases à parfums, spécialement de ceux à formes animales.
Quant à la question de l’écriture, qui a été invoquée comme preuve de l’origine commune des deux plus anciennes civilisations de l’Orient, elle n’est pas suffisamment concluante. La première écriture d’un peuple sortant de la barbarie est nécessairement pictographique, aussi peut-elle avoir débuté indépendamment dans les deux pays; en effet les signes hiéroglyphiques qui en Babylonie et en Egypte se ressemblent, n’ont pas la même valeur phonétique, et appartiennent à deux langues très différentes. Là l’écriture primitive se transforme rapidement, devient linéaire, puis cunéiforme, tandis qu’en Egypte elle reste pendant des milliers d’années une écriture hiéroglyphique.
ANCIEN EMPIRE
(De 3400 à 2200 av. J.-C. environ.)
Ce nom d’Ancien Empire, adopté dans un temps où l’on considérait comme légendaires les deux dynasties thinites, s’applique à toute la période où l’Egypte fut gouvernée par des rois du nord, Memphites ou Héliopolitains, période de paix et de prospérité pour le pays qui atteint peu à peu un très haut degré de développement dans tous les domaines. C’est une succession de rois sages et puissants, dont l’autorité n’est pas discutée et dont la politique consiste, non à chercher au dehors des conquêtes et des aventures, mais à augmenter la richesse du pays par ses propres moyens, en utilisant et en développant toutes ses forces naturelles, autant celles du sol que celles de ses habitants.
L’Ancien Empire occupe dans l’histoire un laps de temps de 1200 ans environ, et se place approximativement, puisque nous ne pouvons donner de date exacte [124] et que nous sommes obligés, dans le domaine chronologique, de nous en tenir à des à peu près, entre 3400 et 2200 avant notre ère; quatre dynasties se succèdent, puis vient une chute brusque, une période de luttes intérieures, l’époque féodale, pendant laquelle se prépare l’avènement du Moyen Empire thébain.
Nous avons vu se produire, au cours de la IIme dynastie un certain flottement; le royaume du nord, absorbé par Ménès et ses successeurs, se ressaisit peu à peu et cherche à reprendre les rênes du pouvoir. Après de longs efforts, les princes memphites arrivent à supplanter leurs suzerains et à coiffer eux-mêmes la double couronne; il ne semble pas y avoir eu de révolution ni de luttes sanglantes, la transition est trop lente pour avoir été brutale et c’est sans doute en suite d’une série d’alliances qu’une des familles finit par supplanter l’autre. Les rois memphites se considèrent comme les héritiers directs et légitimes des rois thinites. Loin de renier leurs prédécesseurs, ils continuent leur œuvre et prennent leurs titres sans aucune modification; ils deviennent des Horus et non, comme on pourrait le croire, des Set, et se donnent également les titres de «maître des diadèmes du Sud et du Nord» et de «roi de la Haute et de la Basse Egypte». Ce dernier titre est suivi d’un nom spécial, qui n’est pas encore enfermé dans un cartouche. Rien n’est changé, ni dans l’organisation du pays, ni dans les mœurs; c’est encore la période de transition dans laquelle rentrent également les rois thinites de la IIme dynastie et les rois memphites de la IIIme, si intimement liés malgré la différence de leur origine qu’il est souvent difficile de distinguer sur les monuments contemporains ce qui appartient aux uns plutôt qu’aux autres.
Manéthon donne pour la IIIme dynastie neuf rois avec 214 ans de règne, mais ses transcriptions de noms sont très fantaisistes et il est difficile de les identifier avec les noms des neuf ou dix souverains que nous connaissons d’après les monuments, et qui appartiennent certainement à cette époque. Aucun événement saillant ne marqua le règne de la plupart de ces rois, sauf une invasion libyenne sous le premier de ceux-ci, le Nekherôphès des Grecs, le Babaï des listes, invasion qui se termina, dit-on, par l’apparition d’un phénomène céleste devant lequel les Libyens reculèrent épouvantés, sans combat. Les Egyptiens des époques postérieures avaient cependant conservé très vivant le souvenir de certains de ces souverains, Nebka, Djeser-Teta, Houni, mais surtout du plus important d’entre eux qui est, à n’en pas douter, le vrai fondateur de l’Empire memphite, Tosorthros, celui de Djeser qui porte le nom d’Horus Nouterkha; auteur de livres scientifiques, il s’appliqua surtout à développer l’écriture et l’architecture, et nous pouvons constater le bien-fondé de cette légende car nous avons en effet de lui des constructions très importantes, comme la pyramide à degrés de Saqqarah, le plus ancien de ces immenses monuments funéraires, et, immédiatement après son règne, les premières grandes stèles tombales couvertes de textes. En outre la tradition lui attribuait certaines fondations pieuses, comme l’organisation du culte d’Isis à Philae, que relate tout au long une stèle de basse époque dans l’île de Sehel. Cette figure bien réelle du roi Djeser domine et éclaire toute la IIIme dynastie qui sans elle serait une des plus inconsistantes et des moins connues de toute l’histoire d’Egypte.
Le passage d’une dynastie à l’autre s’opéra sans secousse, naturellement; comme le dit un texte littéraire [126] très ancien: «En ce temps-là, la Majesté du roi Houni arriva au port (c’est-à-dire mourut) et la Majesté du roi Snefrou s’éleva en roi bienfaisant, sur la terre entière»; c’est une famille nouvelle recueillant l’héritage d’une famille parente qui s’éteint. Les huit rois de cette dynastie, qui, toujours d’après Manéthon, occupèrent le trône pendant 284 ans, nous ont laissé des témoins indestructibles de leur puissance, les pyramides, l’effort architectural le plus gigantesque qui ait jamais été tenté.
Avec le premier de ces rois, Snefrou, commence une période de grande prospérité pour l’Egypte; les tombeaux des simples particuliers deviennent de véritables monuments, et lui-même se fait construire deux pyramides. La richesse est très grande dans le pays, conséquence d’une administration sage et prévoyante, et les arts ne tâtonnent plus, ayant atteint l’expression parfaite dont ils ne s’écarteront plus guère. De son [127] œuvre personnelle, nous savons peu de chose, sinon qu’il organisa de façon définitive l’exploitation des mines du Sinaï, fortifiant ainsi la marche orientale de l’Egypte contre les incursions des bandes sémites de la Syrie méridionale.
Son successeur, Khéops ou Khoufou, continua son œuvre et fut plus puissant encore. Le travail colossal nécessité par la construction de sa pyramide avait rendu son nom légendaire, et les Grecs voyaient en lui un tyran qui avait écrasé son peuple de corvées, tandis que les Egyptiens vénéraient son souvenir, que son culte funéraire se perpétuait et qu’il fut toujours considéré comme un des plus grands rois d’Egypte. Il fonda des temples et continua d’encourager les travaux miniers au Sinaï.
Après la mort de Khéops des compétitions s’élevèrent dans sa famille, et son premier successeur, Dadefra (Ratoïses), fut renversé après un règne plus ou moins [128] long, sa pyramide fut rasée, ses statues mises en miettes, sa mémoire effacée presque complètement. Le frère de ce dernier, Khefren ou Khafra, monta alors sur le trône, et si nous ne savons rien de son œuvre pendant son long règne, nous avons du moins de lui des monuments extrêmement remarquables, sa pyramide, le grand sphinx de Giseh et des statues qui sont de pures merveilles. La légende transmise par Hérodote dit que lui aussi fut considéré comme un tyran odieux et que, comme son père Khéops, sa dépouille mortelle fut arrachée de son tombeau et mise en pièces par le peuple révolté, mais cette légende ne repose sur aucune base sérieuse.
Puis vint Menkaoura, le Mycérinus des Grecs, dont la réputation de justice et de piété se perpétua jusqu’à [129] la fin de l’empire pharaonique; lui aussi se fit construire une pyramide et sculpter des statues splendides, et continua l’exploitation des mines du Sinaï. Il fut le dernier grand roi de sa race, ses successeurs nous sont à peine connus, et la IVme dynastie finit sans que nous puissions nous rendre compte de quelle manière; sans doute des rois incapables se virent peu à peu supplanter par des personnages plus énergiques, plus populaires et disposant d’un parti puissant. Un oracle avait prédit à Khéops que sa famille allait disparaître et qu’après quelques générations une race nouvelle, race d’origine divine, issue de Râ lui-même, le dieu-soleil, monterait sur le trône à sa place. S’inclinant devant la volonté divine, Khéops n’avait même pas songé à détruire pendant qu’ils étaient faibles encore, les premiers représentants de cette famille qui devait déposséder la sienne.
Avec l’avènement de ces nouveaux rois, originaires d’Héliopolis — et non d’Eléphantine, comme le dit Manéthon, — qui se considèrent comme engendrés par le dieu-soleil lui-même et adoptent définitivement dans leur protocole le titre jusqu’alors peu employé de «fils de Râ», le caractère théocratique de la royauté s’accuse de plus en plus. C’est le triomphe des prêtres d’Héliopolis, métropole religieuse de la Basse Egypte, les [130] vrais fondateurs de la religion égyptienne, qui en arrivent à grouper autour de leur dieu-soleil tous les dogmes locaux d’origine si disparate, et à constituer un ensemble homogène, acceptable pour tous les Egyptiens. Non contents de cette centralisation religieuse, ils réussissent à mettre la main sur le pouvoir temporel, avec les neuf rois de la Vme dynastie qui, au dire de Manéthon, régnèrent pendant 218 ans, et même après ce temps, ces prêtres du soleil surent garder pendant de longs siècles une influence prépondérante sur le pouvoir civil.
Ouserkaf fut le premier de sa race; sans doute il dut réorganiser l’administration sur de nouvelles bases, et si nous savons peu de choses de lui, nous connaissons mieux ses successeurs qui continuèrent son œuvre. Sahoura d’abord, puis Neferarkara et Shepseskara, plus tard Neouserra-An, Menkaouhor et Dadkara-Assa. Tous sont des monarques puissants et d’une activité qui s’étend d’un bout à l’autre du royaume et même au delà de ses frontières: ils contiennent les hordes libyennes et soudanaises qui cherchent à s’introduire dans le pays, ils envoient dans le sud de la Palestine des expéditions devant leur assurer la suprématie effective sur des voisins instables qui pouvaient devenir menaçants, ils reprennent de façon suivie les exploitations minières du Sinaï, ils entretiennent sur la mer une flotte [131] imposante qui doit servir en même temps à développer le commerce égyptien et à imposer le respect des pharaons dans les pays avoisinants. A l’intérieur, ils construisent des pyramides qui, pour être moins colossales que celles de leurs devanciers, leur sont supérieures au point de vue de la décoration, et des temples monumentaux comme ceux qu’ils dédièrent au soleil dans les environs de leur capitale. D’une manière générale, leur administration, dont nous ne connaissons pas les détails ni même le programme particulier, fut bienfaisante pour le pays dont la prospérité augmente de plus en plus; la paix et l’ordre règnent dans toute la vallée du Nil. Les prêtres exercent une influence considérable et tous les hauts fonctionnaires se rattachent de près ou de loin au sacerdoce; ils semblent du reste avoir travaillé non pas dans un but d’accaparement, mais pour le bien général du pays.
Le dernier roi de la dynastie, Ounas, n’est pas l’un des moins importants et des moins puissants, et il termine dignement la série des princes de sa famille; c’est sans doute parce qu’il n’eut pas de descendants directs que le pouvoir passa après lui en d’autres mains, et non ensuite d’un bouleversement politique.
Les rois memphites qui succèdent directement aux héliopolitains continuent leur œuvre, mais moins brillamment pour commencer, semble-t-il, car nous ne savons presque rien de Teti et d’Ouserkara, les deux premiers souverains d’une famille qui, d’après Manéthon, compta six rois et 203 ans de règne. Après eux vient une courte période de gloire sur laquelle nous sommes admirablement renseignés par de nombreux monuments, et surtout par les biographies de certains hauts fonctionnaires comme Ouna et Herkhouf, période que domine [132] le roi Pepi I, un des plus célèbres parmi les pharaons: son activité est intense, il fait construire et travailler sur tous les points de l’Egypte et son nom se retrouve à Tanis, à l’extrême nord du Delta, aussi bien que sur les rochers de granit de la Ire cataracte, dans les mines du Sinaï comme dans les carrières du Ouadi-Hammamat. Il s’occupe lui-même de l’administration de la justice et des missions spéciales à donner aux plus capables de ses sujets; il multiplie les décrets établissant les droits des grands sanctuaires et instituant des fondations pieuses; il rassemble une armée et des vaisseaux pour écraser les nomades asiatiques redevenus menaçants et envoie des expéditions en Nubie pour assurer la suprématie de l’Egypte sur le Haut Nil.
Ses successeurs voulurent continuer son œuvre, mais son fils aîné Merenra mourut jeune, et son autre fils Pepi II, qui eut un règne de 95 ans, ne se montra pas à [133] la hauteur de la situation, et la déchéance du pouvoir central s’accusa rapidement. Deux ou trois rois réussirent pendant quelque temps encore à maintenir le sceptre entre leurs mains, puis disparurent après des règnes sans gloire, et avec eux prit fin cette suite de familles puissantes et énergiques qui avait amené l’Egypte à un si haut point de civilisation.
Ici commence une période très obscure, pour laquelle Manéthon continue sa classification méthodique: C’est d’abord la VIIme dynastie, qui représente sans doute un court interrègne, avec ses 70 rois ayant régné pendant 70 jours, puis la VIIIme avec 27 rois memphites qui régnèrent 146 ans, rois dont l’histoire nous a à peine conservé quelques noms. Le déclin, ou plutôt la chute du pouvoir royal est donc extraordinairement brusque, surtout si l’on songe que cette chute n’a pas été déterminée par une invasion, une conquête ou une révolution brutale; la cause en est simplement dans le fait que les rois memphites exercèrent un pouvoir tout pacifique et n’eurent jamais à s’appuyer sur une force militaire. Quelques troupes peu nombreuses de mercenaires nubiens suffisaient pour maintenir l’ordre, et quand il s’agissait d’une expédition au dehors, les grands seigneurs amenaient chacun son petit contingent et l’on en formait à la hâte une armée hétéroclite bien suffisante contre les barbares plus mal organisés encore. Nous avons peine à comprendre que des rois aient pu pendant plus de mille ans, sans armée, faire brillante figure et accomplir une œuvre aussi importante que les pharaons de l’Ancien Empire; c’est une preuve remarquable de l’excellence d’un gouvernement sage et droit, et de la puissance morale de tous ces souverains.
Ce système constituait cependant un danger permanent, et il était à prévoir qu’à la première occasion favorable les grands seigneurs locaux qui devaient fournir leurs contingents à la couronne, dans certaines occasions, chercheraient à profiter de cette force qu’ils avaient toujours sous la main, pour se rendre indépendants et pour s’emparer eux-mêmes du pouvoir. La féodalité s’était constituée ainsi peu à peu, guettant le moment où elle pourrait secouer cette autorité morale qui pesait sur les princes des nomes et les réunissait, et c’est probablement déjà à la fin du règne de Pepi II que ceux-ci commencèrent à s’affranchir. Les plus puissants, apparentés sans doute à la famille royale, se proclamèrent rois, groupant autour d’eux des seigneurs de moindre importance, et ainsi les Memphites, les souverains légitimes, ne conservèrent plus que le Delta, tandis qu’à côté d’eux s’élevaient deux nouvelles dynasties, la IXme d’Héracléopolis, comprenant toute la Moyenne Egypte, et la Xme qui est thébaine plutôt qu’héracléopolitaine, comme le voudrait Manéthon, et qui absorba la Haute Egypte. De là des luttes qui durèrent deux siècles au moins, donnant l’avantage tantôt aux uns, tantôt aux autres. Puissamment secondés par les princes de Siout, les rois héracléopolitains, les Khiti, les Kamerira l’emportèrent le plus souvent, mais durent aussi s’effacer parfois devant une campagne heureuse d’une des maisons rivales, comme celle qui permit au memphite Neferkara de s’installer pour un temps à Koptos. Enfin les Thébains, les Antef et les Mentouhotep, finissent par écraser leurs compétiteurs et réalisent à nouveau l’unité politique du pays; c’est une ère nouvelle qui commence, le Moyen Empire qui remplace l’Ancien.
Les restes qui nous sont parvenus de l’Ancien Empire sont autrement importants en nombre, en grandeur et en beauté, que ceux de la période précédente. Les inscriptions sont nombreuses, souvent très développées, et, placées à côté des innombrables représentations figurées, elles nous permettent de pénétrer plus profondément dans la connaissance de la vie des Egyptiens; nous n’en sommes plus réduits à des suppositions, nous les voyons agir, nous les entendons parler, et une rapide revue des monuments découverts nous permettra de nous faire une idée d’ensemble de ce qu’était leur civilisation.
Les progrès de l’architecture furent extrêmement rapides, surtout aux débuts de l’empire memphite; nous avons vu, à la fin de la période précédente, le système de construction en briques et bois, avec couverture en bois; au commencement de la IIIme dynastie, les architectes connaissent la voûte et l’emploient avec succès, puis ils se mettent à la recherche de matériaux plus solides et plus durables que la brique crue, et adoptent la pierre, au moins pour celles de leurs constructions qui avaient pour eux le plus d’importance, les tombeaux et les temples. Tout de suite ils se montrent passés maîtres dans cette technique nouvelle et semblent se jouer des difficultés avec une hardiesse et une aisance incroyables: dès la IVme dynastie, on ne trouve déjà pour ainsi dire plus un édifice religieux ou funéraire en briques. La dimension des matériaux permettant aux architectes de revenir à l’ancien système de couverture plate, ils inventent le pilier et l’architrave qui leur donnent la [136] facilité de couvrir des espaces très considérables; enfin sous la Vme dynastie paraît la colonne proprement dite, avec toutes ses variétés. Les constructeurs ne se bornent pas à assembler leurs matériaux avec une précision et une exactitude remarquables, ils en calculent aussi en une certaine mesure la résistance et s’entendent très bien à répartir également la pression des masses.
Les constructions civiles, palais, maisons, magasins, étaient des édifices légers, en briques, en bois, ou même en terre pilée, qui tous ont disparu sans laisser de traces. En fait d’architecture militaire, nous n’avons guère que des forteresses comme celles d’Elkab et d’Abydos, vastes quadrilatères formés par d’épaisses murailles de briques crues, qui du reste ne sont pas datées de façon certaine.
Quant aux édifices religieux, les rois de l’Ancien Empire en avaient construit un peu partout, et avaient remplacé les petits sanctuaires primitifs par des constructions en pierre déjà très développées comme plan; ces temples furent constamment remaniés, agrandis et embellis au cours des âges, souvent même démolis pour être entièrement reconstruits, aussi ne trouvons-nous [137] plus guère que les arasements ou les fondations des constructions originales, comme c’est le cas à Hieraconpolis, à Abydos et à Memphis, ou encore des débris de murailles couverts de bas-reliefs, comme les fragments de la chapelle de Djeser à Héliopolis. Ce qui reste de ces temples suffit néanmoins pour nous montrer que chacun avait son caractère spécial, approprié aux besoins du culte local, et qu’on n’avait pas encore adopté, comme cela eut lieu plus tard, un type uniforme pour tous les édifices cultuels.
Parmi tous ces modèles divers de temples, le plus original était celui qui était consacré à Râ, le dieu-soleil d’Héliopolis: il consistait en un énorme obélisque, lourd et trapu, monté sur la plateforme d’un grand massif rectangulaire, tous deux en maçonnerie; un escalier ménagé dans l’épaisseur du socle permettait d’atteindre la plateforme. Sur le devant se trouvait un grand autel pour les offrandes, des cours avec bassins destinés à des ablutions, et, dans un coin, une petite chapelle [138] précédée de deux stèles. Autour de tout cet ensemble, un mur de pierre formait une enceinte rectangulaire, et un chemin couvert descendait directement à la vallée, reliant le temple lui-même à un portique monumental. Ici le dieu n’est pas dissimulé au fond d’un sanctuaire accessible à quelques initiés seulement, comme c’est généralement le cas en Egypte; il domine tout le temple de sa masse imposante, car c’est l’obélisque lui-même qui est le symbole du dieu-soleil.
Tous les rois de la Vme dynastie, les fils de Râ, tinrent à honneur de consacrer à leur divin père un sanctuaire semblable, près de leur capitale, à deux pas de leurs pyramides. Nous en connaissons au moins cinq de nom; un seul nous est conservé, en ruines il est vrai, mais en ruines encore très lisibles; c’est celui de Neouserra, mis au jour par une mission allemande, près d’Abousir. Pour donner une idée de ses dimensions, nous dirons que l’enceinte mesure plus de 100 mètres de long. En outre cet étrange sanctuaire était accompagné d’une reproduction monumentale, en briques crues, de la barque solaire, qui n’a pas moins de 28 mètres de long, bateau fantastique qui semble naviguer sur les sables du désert.
Les fouilles exécutées à Abydos par une société anglaise, sous la direction de M. Ed. Naville, ont révélé un temple tout différent et sans doute plus ancien, le sanctuaire souterrain d’Osiris: ici la pièce principale, couverte de dalles de granit supportées par des piliers énormes, sans aucune décoration, consistait en une vaste plateforme isolée du reste du monument par un fossé plein d’eau. Cette disposition si particulière correspondait bien aux nécessités des mystères du grand dieu des morts, avec leurs processions nautiques et leurs illuminations.
Je ne sais trop si c’est parmi les édifices du culte qu’il [139] faut ranger un édifice plus étrange encore, unique en son genre, qui date probablement de la IIIme dynastie et a été découvert par une mission italienne, à Héliopolis même: c’est une construction circulaire embrassant un espace dont le rayon est de 300 mètres, une sorte de gigantesque anneau de 40 mètres d’épaisseur, en briques crues, percé à l’intérieur de cinq nefs longitudinales supportées par des piliers et des piédroits. L’usage de ce monument nous est absolument inconnu.
Pour l’architecture funéraire nous sommes mieux renseignés, étant en possession d’une quantité considérable de tombeaux qui sont le plus souvent dans un état de conservation remarquable, et nous pouvons suivre pas à pas les améliorations, les modifications apportées dans ce genre de constructions faites en vue de l’éternité. Le but des Egyptiens était de s’assurer après la mort un lieu de repos qui fût pour eux le gage et la condition de la vie éternelle, et ils sacrifiaient volontiers le bien-être de leur existence terrestre, étape provisoire, à la perpétuation de leur âme et de leur double; ce but, ils l’obtenaient en partie par la connaissance des formules magiques qui faisaient d’eux les égaux des dieux, en partie aussi en préservant des atteintes du temps et des hommes leur corps physique, qui restait le support de leur être immatériel. Plus le tombeau était profond, plus son entrée était dissimulée et obstruée, plus grandes aussi étaient les chances de conservation pour la momie. L’ombre du mort, son double, son ka, comme disaient les Egyptiens, pouvait alors continuer à vivre dans la tombe, mais il lui fallait l’image des aliments réels pour se nourrir, la représentation des scènes de la vie usuelle pour se délasser ou tout au moins pour s’occuper; à cet effet on prit à un certain moment le parti de sculpter sur certaines parties [140] des monuments funéraires ces figurations si variées qui sont pour nous ce qu’elles étaient sans doute pour les morts, une image fidèle de la vie des anciens Egyptiens.
Les rois sont d’essence divine, par conséquent très au-dessus des hommes, et il est naturel que leurs tombes ne soient pas disposées de la même manière que celles de leurs sujets; nous avons donc dans l’architecture deux groupes, celui des tombes privées et celui des tombes royales, issus de conceptions un peu différentes du sort de l’âme après la mort et qui se développent parallèlement, mais indépendamment l’un de l’autre.
Pour les tombeaux des particuliers, nous avons vu à la fin de l’époque thinite la fosse primitive tapissée de briques et flanquée d’un escalier d’accès. Sous la IIIme dynastie, ce plan se développe encore; on ajoute volontiers quelques petites chambres souterraines pour servir de magasins, et au lieu de ne faire qu’amonceler un tas de terre ou de sable sur la couverture du caveau, on commence à construire un massif de maçonnerie. Dès lors la chambre funéraire s’enfonce plus profondément sous terre, la descenderie en escalier est peu à peu remplacée par un puits vertical. Ces massives constructions extérieures qui sont la caractéristique des tombes privées de l’Ancien Empire, sont de forme allongée, rectangulaire, d’une hauteur moyenne, et les Arabes, les comparant aux bancs de briques sur lesquels ils s’installent, à la porte de leurs maisons, les ont appelés mastabas (bancs), mot qui a passé dans le vocabulaire archéologique.
Les plus anciens de ces mastabas sont en briques crues, et à peine plus grands que les chambres funéraires qu’ils abritent, mais leurs dimensions augmentent rapidement. Sur la face est — car ces tombeaux sont orientés à peu près exactement — se creusent une ou deux niches qui sont censées être les portes de la tombe, par lesquelles l’âme peut rester en quelque sorte en communication avec les vivants et revenir de temps à autre se promener sur terre; c’est là que se font les cérémonies du culte funéraire, là qu’on apporte au défunt les offrandes alimentaires. Nue à l’origine, cette niche s’orne très anciennement déjà de montants et de linteaux en pierre, sur lesquels on grave le nom et les titres du mort avec une courte formule le plaçant sous la protection des dieux; ainsi se forme peu à peu le type de la «fausse-porte», modèle courant de la stèle funéraire sous l’Ancien Empire. Cette niche-stèle ou stèle fausse-porte constitue [143] donc à elle seule une chapelle funéraire en miniature; dès la fin de la IIIme dynastie on accentue son caractère, soit en la dissimulant derrière un mur qui court le long de la façade est du mastaba et forme devant elle un long couloir étroit, soit en la repoussant un peu plus profondément dans l’intérieur du massif de briques, au fond d’une chambre minuscule, chambre qui affecte plus ou moins la forme d’une croix.
A ce moment, c’est-à-dire sous Snefrou, au début de la IVme dynastie, on voit apparaître dans le tombeau deux éléments nouveaux, la table d’offrandes, — dalle de pierre d’une forme particulière placée à terre devant la fausse-porte, sur laquelle on déposait des aliments ou des représentations d’aliments et qui servait au mort de table à manger, — et la cachette aux statues, le serdab, suivant le nom qui lui a été donné par les Arabes et qui est maintenant consacré par l’usage. Ce serdab est une petite pièce aveugle ménagée dans la maçonnerie du mastaba à côté de la chambre à la stèle, mais sans aucune communication avec elle sauf, parfois, une [144] petite fente où l’on peut à peine passer la main; c’est là qu’on entassait, en plus ou moins grand nombre, les statues faites à l’image du défunt, statues qui pouvaient servir de support à son double au cas où la momie elle-même viendrait à être détruite, et permettre à ce corps spirituel de continuer à vivre son existence monotone d’outre-tombe. Pour que ce double pût subsister, il lui fallait en effet un support, un corps matériel sur lequel il pût se poser: une statue, moins fragile que la dépouille mortelle, lui offrait une plus grande garantie de survivance; une fois la momie et les statues détruites, le double s’évanouissait et disparaissait définitivement.
Les sépultures des particuliers, tout au moins celles des grands personnages, se groupent en général autour de celle de leur souverain; ainsi, auprès des grandes pyramides, nous voyons de vraies villes de tombeaux où les mastabas sont alignés régulièrement, séparés par de grandes rues droites. A ce moment-là, sous la IVme dynastie, la prospérité était grande dans le pays; les tombeaux aussi deviennent plus riches et sont mieux [145] aménagés: les mastabas sont maintenant construits en pierre et non plus en briques, les dimensions des chambres augmentent et souvent aussi leur nombre. Les parois de ces chambres offrent une surface assez considérable pour qu’on songe à les utiliser, et l’on commence à les décorer pour que le mort puisse en tirer profit; on y sculpte des listes d’offrandes, des images d’aliments qui peuvent servir à la nourriture du défunt, puis des scènes de la vie courante, grâce auxquelles il pourra, non seulement se délasser, mais se procurer par lui-même les aliments nécessaires. C’est dans ce double but qu’on y représente les semailles, les moissons, les [146] vendanges, l’élevage, la pêche, la chasse, ainsi que les divers métiers qui devaient lui fournir au fur et à mesure tous les objets pouvant lui être nécessaires ou seulement utiles dans l’autre monde, les vêtements, les ustensiles, les meubles, les parfums. Chacune de ces scènes est dominée par la figure du mort surveillant les travailleurs, dont il se distingue par sa taille, souvent triple de la leur, ou même davantage; à côté de lui paraissent sa femme et ses enfants. Sous terre, dans un caveau grossièrement taillé dans le rocher, la momie était étendue tout de son long dans un cercueil de bois, enfermé lui-même, chez les plus riches, dans un grand sarcophage rectangulaire en pierre dont la décoration tout architecturale lui donne l’aspect d’une maison; le mobilier funéraire est des plus sommaires.
Pendant la Vme dynastie, le luxe des mastabas augmente encore; les chambres deviennent plus nombreuses, parfois même une cour découverte s’ouvre au milieu du monument, les salles les plus grandes sont pourvues de piliers ou de colonnes, les bas-reliefs qui parfois sont de la plus parfaite beauté couvrent les murailles, répétant avec beaucoup plus de détails les [147] scènes agricoles et industrielles dont j’ai parlé plus haut, à côté desquelles on en voit d’autres qui représentent des jeux, des danses, des fêtes de famille, voire des opérations chirurgicales; ailleurs, ce sont des files de serviteurs apportant à leur maître les produits du sol, des bateaux prêts à mettre à la voile et mille autres détails pleins de vie et de variété. Jamais dans ces tombeaux on ne voit une représentation d’ordre religieux, ni la figure d’un dieu, ni une scène d’adoration; très rarement un tableau se rapporte aux funérailles: on ne parle pas de la mort, et le propriétaire du tombeau est toujours censé vivant, soit qu’il vaque à ses diverses occupations, soit qu’il soit assis devant une table garnie, entourée d’un monceau de victuailles.
Sous la VIme dynastie, il n’y a aucun changement notable dans les tombeaux des particuliers; la partie accessible du mastaba, celle où les descendants du mort pouvaient venir périodiquement accomplir les cérémonies funéraires et peut-être festoyer auprès de son ombre, comme les Arabes modernes dans les cimetières, cette partie comporte toujours la même décoration, mais certains grands personnages commencent à réserver une portion des parois pour y graver l’histoire de leur vie, leurs hauts faits et l’expression de la satisfaction du roi pour les services rendus. Ces biographies sont pour nous un des plus précieux legs de l’Ancien Empire memphite.
Le mastaba est la tombe-type de l’Ancien Empire, mais dans certaines régions, par suite de la nature même du sol, on commence à employer un autre système de sépulture: pas de construction, les chambres sont creusées dans la montagne et la décoration usuelle s’exécute sur la roche elle-même; une porte communique avec l’extérieur, où la pente du rocher a été plus ou moins ravalée de manière à ménager une petite plateforme, et dans [148] un coin de la dernière chambre, un puits descend verticalement jusqu’au caveau où l’on déposait la momie. C’est la première apparition de la tombe rupestre, de l’hypogée, type qui sera presque seul employé aux époques suivantes.
Les tombeaux royaux diffèrent de ceux des simples particuliers par la forme, par les dimensions et par la disposition intérieure et extérieure. Ici aussi, une évolution s’accomplit, une transformation très marquée pendant le cours de la période memphite.
Les plus anciens de ces tombeaux, ceux de la IIIme dynastie, sont très différents de ceux de la période thinite, presque uniquement souterrains: ils comportent un immense mastaba rectangulaire en briques crues sur la plateforme duquel s’ouvre une descenderie ou un escalier très rapide aboutissant aux chambres funéraires; aucune décoration, ni à l’intérieur ni à l’extérieur, pas même une stèle, semble-t-il. La fameuse pyramide à degrés de Saqqarah, construite par Djeser, un des derniers rois de cette dynastie, n’est pas encore à proprement parler une pyramide, c’est un gigantesque mastaba en pierres, bâti sur un plan rectangulaire et surmonté de toute une série de mastabas plus petits formant comme des étages (fig. 97). Les chambres souterraines sont malheureusement très bouleversées, mais nous voyons d’après un autre monument de l’époque comment on devait procéder à leur construction: une immense fosse [149] rectangulaire était creusée dans le rocher, et une large descenderie y aboutissait du côté nord; au fond de cette excavation on installait le sarcophage de granit, on bâtissait les chambres, puis on la comblait, et alors seulement on pouvait commencer à édifier le mastaba ou la pyramide.
Sous la IVme dynastie, le premier tombeau que se fit construire Snefrou, celui de Meïdoum, tient plus encore du mastaba que de la pyramide, mais ce fut le même roi qui adopta peu après le type définitif de la pyramide à base carrée et à faces triangulaires, avec le monument qu’il édifia dans le désert de Dahchour; les chambres, très petites, sont à peu près au niveau du sol, ensevelies sous l’énorme masse de maçonnerie, et on y accède par un couloir en pente débouchant à mi-hauteur de la face nord du monument.
Les successeurs de Snefrou reprirent ce modèle de monument funéraire et l’adoptèrent pour eux-mêmes [150] sans en modifier les grandes lignes, mais en y apportant des perfectionnements notables; les problèmes techniques les plus difficiles furent résolus avec une précision merveilleuse dans les pyramides de Khéops, Khefren et Mycerinus, qui constituent chacune un chef-d’œuvre de construction, dont les dimensions colossales — la plus grande mesurait plus de 146 m. de hauteur sur 227 m. de côté — ne nuisent pas à la perfection des détails. Un revêtement de calcaire fin et de granit bien poli recouvre la maçonnerie disposée en assises régulières de blocs énormes; au-dessus des chambres, des chambrettes de décharge sont destinées à soulager leur toiture du poids considérable qui aurait pu les écraser; des conduits d’aération traversent le massif tout entier. Chambres et couloirs sont tapissés de blocs gigantesques, soigneusement polis et si admirablement appareillés qu’on ne peut encore maintenant introduire une pointe de couteau dans les joints; en plusieurs points, des herses de granit, placées dans un logement spécial, retombaient après l’inhumation pour obstruer définitivement le couloir dont l’issue à l’extérieur était fermée par un bloc de revêtement semblable aux autres. Au milieu de la face est s’élevait la chapelle, centre du culte funéraire, avec son sanctuaire, sa cour-péristyle, ses vestibules, ses magasins, et au delà, de petites pyramides recouvraient la dépouille mortelle des membres de la famille royale. Un grand mur de pierre, formant une vaste enceinte carrée, entourait cet ensemble et l’isolait du terrain environnant; une allée couverte descendait de la porte de la chambre funéraire vers la vallée, jusqu’à un monument qui servait de portique d’entrée et qui atteignait parfois des dimensions imposantes, comme celui de la pyramide de Khefren, mieux connu sous le nom de temple du Sphinx, avec ses énormes piliers de granit rose et ses murailles d’albâtre.
Les pyramides de la Vme dynastie deviennent progressivement plus petites, et la partie de la construction qui devait rester invisible, l’appareillage de la masse même du monument, est moins soignée, aussi s’est-il produit des tassements qui ont le plus souvent écrasé les appartements funéraires. Par contre la chapelle funéraire, toujours située sur la face est, prend plus d’importance, et son ornementation est l’objet de soins tout particuliers: les lourds piliers carrés sont remplacés par d’élégantes colonnes à chapiteaux palmiformes ou papyriformes; dans les principales pièces, le sol et les soubassements sont faits de grandes dalles de basalte, et, au-dessus, les murailles en beau calcaire fin sont couvertes de bas-reliefs d’une facture très délicate. Ces tableaux représentent les hauts faits du souverain, ses expéditions, l’hommage que lui rendent ses ennemis; on y voit aussi le roi à la pêche ou à la chasse, et l’image des dieux sous la protection spéciale desquels il se place. [152] Quant à la disposition générale, elle est toujours la même; le portique situé au bord de la vallée donne accès à l’allée couverte qui monte directement à la grande cour entourée d’une colonnade, la partie publique du temple funéraire; plus loin les salles des statues, les magasins, et une série de petites chambres conduisent, après plusieurs détours, au sanctuaire où se dresse, contre la pyramide elle-même, la grande stèle fausse-porte par laquelle le double du roi était censé pouvoir sortir de son tombeau et venir bénéficier des offrandes qu’on lui apportait.
Une innovation très importante date du règne d’Ounas, le dernier roi de la Vme dynastie; sans rien modifier à la disposition et à la construction de la pyramide ou de la chapelle funéraire, Ounas, le premier, songea à faire graver sur les parois absolument nues des caveaux souterrains où devait être enfermée sa momie les textes religieux qui pouvaient lui être utiles dans l’autre monde. Ce qui devait survivre à un homme après sa mort, ce n’était guère, croyait-on à cette époque, que son double, son corps spirituel, mais le roi, étant d’une essence supérieure, a en lui quelque chose des dieux dont il descend et qu’il doit aller retrouver quand il quittera la terre; il possède donc une âme divine, mais pour que cette âme puisse s’identifier aux dieux et devenir dieu à son tour, il faut qu’elle soit instruite de sa nature divine et qu’elle soit à même d’en profiter et de se présenter dignement devant ses pairs. Certains textes sacrés peuvent lui rendre ce service: ces textes se trouvent dans les recueils où les prêtres héliopolitains ont rassemblé toutes les vieilles formules magiques ou religieuses du pays, recueil précieux qui nous laisse entrevoir le fond de la pensée égyptienne sur la nature des dieux et sur le monde dans lequel ils vivent, en même temps qu’ils nous renseignent sur les origines de la langue. Ounas [153] puisa donc largement dans ces textes dont il couvrit les parois de la salle qui contenait son sarcophage, et les chambres attenantes; ses successeurs, les rois de la VIme dynastie, y firent des emprunts plus abondants encore et les gravèrent jusque dans les couloirs d’accès. C’est à peu près tout ce qui reste de leurs pyramides qui ne forment plus que d’immenses tas de décombres; les chapelles funéraires ont disparu. Quant aux tombeaux des rois qui les suivirent, ceux de l’époque féodale, ils ne sont pas parvenus jusqu’à nous.
L’idée de la mort, vraie obsession pour les Egyptiens, les avait portés de très bonne heure à rechercher tous les moyens d’éviter un anéantissement complet de leurs personnes; de là le développement incroyable de l’architecture funéraire qui prend dès ses débuts une importance beaucoup plus considérable que l’architecture civile ou même religieuse. De là aussi la naissance de la statuaire qui, à son origine, est absolument indépendante de l’architecture et se développe parallèlement à ce dernier art et avec non moins de succès.
Le Ka ou double, comme il a été dit plus haut, était une sorte de corps spirituel, exactement semblable comme forme au corps matériel de l’homme et capable de survivre à celui-ci pendant un temps illimité, à condition toutefois d’avoir un support qui pût fixer son essence impondérable [154] et lui conserver une certaine consistance. Le support naturel du double était le corps embaumé avec plus ou moins de soin et préservé ainsi de la pourriture; mais cette momie restait néanmoins bien fragile, aussi imagina-t-on de bonne heure de lui donner un remplaçant plus solide pour le cas où elle viendrait à être détruite. On prit donc l’habitude de déposer dans le tombeau, que ce fût celui d’un roi ou celui d’un simple particulier, une image du mort, en bois ou en pierre, faite autant que possible à sa ressemblance, parfois de grandeur naturelle, mais souvent de dimensions plus modestes. Le personnage qu’elle représente est debout, une jambe en avant, agenouillé ou accroupi à la manière des scribes, ou encore assis sur une chaise massive, les pieds joints, les mains sur les genoux. Souvent il est accompagné de sa femme, assise ou debout à côté de lui et même parfois d’un ou deux de ses enfants; ces groupes sont de vraies scènes de famille, d’une intimité charmante.
Les statues memphites, à part les plus anciennes qui sont d’une facture encore un peu malhabile, sont l’œuvre de praticiens parfaitement sûrs de leur métier et capables de donner l’expression voulue à leurs figures, quelle que [155] soit la matière qu’ils ont à travailler, bois, albâtre, calcaire, granit ou diorite. Ce qu’ils cherchent, c’est à rendre fidèlement la nature et à donner en même temps l’impression de vie, de calme et de sérénité; ils ne fixent pas un aspect passager de leur modèle, ils en font en quelque sorte une synthèse; ils ne l’idéalisent pas, ils l’éternisent pour ainsi dire, et avec raison, car leur œuvre ne doit pas être un objet d’admiration pour le monde, mais le support même d’un être vivant enseveli à jamais dans le tombeau, loin des regards des hommes.
Pour donner plus de naturel à ces statues, on les peignait, celles du moins qui ne sont pas taillées dans des matières de grand luxe. Parfois le travail est également soigné de la tête aux pieds, mais il arrive souvent que les membres inférieurs sont un peu négligés au profit du haut du corps sur lequel se reporte toute l’attention du spectateur. La tête est toujours plus poussée que le reste et acquiert une importance toute particulière; les deux yeux, le plus souvent rapportés et formés d’une pierre blanche avec pupille en métal sous une cornée de quartz, dans un sertissage de bronze, donnent à [156] la figure une vie, une expression, un éclat inimitables; ainsi, pour ne citer que les plus remarquables de ces statues, le Sheikh-el-Beled, le groupe de Rahotep et de Nofrit, le scribe du Musée du Caire, celui du Louvre, sont des chefs-d’œuvre qui peuvent rivaliser avec les plus belles productions de l’art de tous les temps et de tous les pays.
C’est l’expression même de la vie qui se dégage des statues des simples particuliers; quant à celles des rois il n’en est pas tout à fait de même. Ici les sculpteurs devaient donner l’impression d’un être supra-terrestre; dans ce but ils suppriment tout mouvement et placent le pharaon sur un trône, assis dans une pose immobile qui a quelque chose d’hiératique, tout en restant parfaitement naturelle. Ils n’ont plus recours aux yeux artificiels et impriment sur les lèvres de leurs modèles ce sourire énigmatique qui les auréole de [157] mystère. Leurs rois, les Khefren et les Mycérinus du Caire, le Dadefra du Louvre, sont empreints de la majesté calme et sereine qui convient à un monarque fils des dieux presque dieu lui-même. En ce qui concerne ces statues et celles des particuliers, la IVme dynastie marque un effort et un progrès incomparables. C’est une des plus belles époques de la statuaire égyptienne, au point de vue de l’art aussi bien que du métier; des statues comme le grand Khefren de diorite au Musée du Caire, montrent qu’on savait triompher des matières les plus dures et les modeler dans les moindres détails avec une délicatesse inouïe, sans jamais nuire à la beauté et à la grandeur de l’ensemble, qui reste une pure merveille, à tous les points de vue.
Un peu plus tard, sous la VIme dynastie sans doute, on commença à employer pour les statues royales le type de l’homme debout. Le premier et le plus bel [158] exemple en est la statue de Pepi Ier accompagné de son fils Merenra, qui est aussi la plus ancienne statue de bronze, où tout au moins à revêtement de bronze que l’on possède (fig. 105 et 106); au lieu d’une fonte pleine ou creuse, procédé employé à des époques moins anciennes pour des monuments de plus petites dimensions, nous avons ici d’épaisses feuilles de métal ajustées et martelées sur une âme de bois; cette statue, actuellement au musée du Caire, est sensiblement plus grande que nature.
Si la sculpture en ronde-bosse est toujours, sous l’Ancien Empire, absolument indépendante de l’architecture, il n’en est pas de même du bas-relief, intimement lié à la construction, et dont le rôle primitif est de constituer la partie décorative d’un monument. L’usage qu’on en faisait, très modéré au début, ne tarda pas à se développer au fur et à mesure que les tombeaux devenaient plus grands; c’est sous la Vme dynastie, époque où non seulement on couvre de bas-reliefs des centaines de mètres carrés de parois dans des tombeaux de dimensions moyennes, mais où on commence aussi à en revêtir les murs intérieurs des temples, que ce mode de sculpture arrive à son apogée, tant au point de vue technique qu’au point de vue artistique.
Pour les Egyptiens, le but du bas-relief est de reproduire avec autant de clarté que d’exactitude, non seulement des figures d’individus isolés, mais des scènes complètes avec de nombreux personnages en pleine action, des animaux et des objets; il s’agit de ne pas sacrifier l’ensemble au détail ni le détail à l’ensemble, et pour cela il faut étudier séparément chacune des figures, les grouper et les équilibrer de façon régulière afin d’obtenir une composition homogène et décorative.
Pour arriver à comprendre le bas-relief égyptien et l’apprécier comme il le mérite, il faut en pénétrer les procédés de composition et faire abstraction de certaines [159] choses qui nous choquent ou tout au moins nous gênent au premier abord parce qu’elles sont contraires à notre conception moderne de l’art. Dans l’art égyptien, il n’y a pour ainsi dire pas trace de perspective, et ce défaut se fait sentir de plusieurs manières: tous les personnages d’une scène sont sur le même plan et ont exactement la même grandeur; les tableaux se développent uniquement en longueur, jamais en profondeur, formant ainsi de longues bandes qui se superposent sans être nécessairement en rapport direct les unes avec les autres. Ce manque de perspective se fait encore mieux sentir dans le dessin même du corps humain: vus toujours de profil, les personnages ont l’œil et la poitrine qui se présentent de [160] face, le ventre de trois quarts, dans une stylisation un peu outrancière mais à laquelle on s’habitue rapidement et qui pour les Egyptiens eux-mêmes avait l’avantage de présenter chaque partie du corps sous son aspect le plus caractéristique. Si ce défaut apparent est dû, à l’origine tout au moins, à une certaine maladresse, il n’en est pas de même du manque d’unité dans les proportions, qui est voulu. Pour indiquer la supériorité du roi sur ses sujets, on le représente d’une taille très supérieure à la leur, et de même, dans les tombes, la figure du mort est toujours trois ou quatre fois plus grande que celles des hommes qui vaquent sous ses yeux à leur office habituel.
Au point de vue technique, les sculpteurs de bas-reliefs sont pour le moins aussi habiles que ceux qui taillent les statues; leur dessin est ferme et net, donnant des contours d’une précision remarquable, quelle que soit la position du sujet. Les animaux qu’ils représentent ont des silhouettes exquises de pureté et de ressemblance. Leur coup de ciseau est parfaitement franc, sans repentirs, sans retouches, et ils modèlent les corps en un relief imperceptible qui leur donne une très grande distinction et beaucoup de délicatesse.
La composition est toujours claire et bien ordonnée, équilibrée de manière à donner à l’ensemble un caractère décoratif; les vides qui se présentent naturellement entre les figures et au-dessus d’elles sont remplis au moyen de courtes inscriptions hiéroglyphiques qui expliquent la scène, en même temps qu’elles ajoutent à l’homogénéité du monument.
Les sculpteurs de bas-reliefs n’étaient pas des artistes créateurs, mais de simples artisans bien au courant de leur métier et doués souvent d’une réelle originalité. Ils avaient à leur disposition un certain nombre de modèles [161] pour toutes les scènes qu’ils pouvaient avoir à représenter et n’avaient plus qu’à les adapter à la place dont ils disposaient, à les augmenter ou à les diminuer en supprimant ou en ajoutant des personnages; ils pouvaient ainsi, sans sortir du cadre traditionnel, donner libre cours à leur imagination et enrichir leurs tableaux de figures originales et nouvelles. Pour une scène donnée, le motif est toujours le même, l’interprétation toujours différente, et c’est ce qui donne un charme tout particulier à ces successions de tableaux qui couvrent les parois des tombeaux comme une gigantesque tapisserie, harmonieuse dans l’ensemble et dans le détail.
La polychromie était de règle pour la statuaire; il en était de même pour les bas-reliefs qui devaient tous être peints de couleurs vives. Dans les tombeaux très anciens, comme ceux de l’époque de Snefrou, qui sont encore construits en briques, des peintures sur enduit remplacent les bas-reliefs, reproduisant en teintes plates les mêmes scènes que nous avons l’habitude de voir sculptées et enluminées dans les autres tombes de l’Ancien Empire. La manière primitive de décorer ces monuments était donc, à n’en pas douter, la peinture, et le bas-relief coloré n’est que le développement normal de celle-ci, résultant du besoin de la rendre plus durable en la reportant sur pierre et en dégageant du fond chaque figure, chaque objet représenté; le bas-relief, avant de devenir un art en soi, n’était que le support de la peinture. Rien de plus naturel dès lors que de retrouver dans les scènes peintes les mêmes compositions que dans les reliefs, avec les mêmes variantes d’interprétation. Les procédés sont très simples: les couleurs minérales délayées dans de l’eau, additionnée d’une [162] sorte de gomme, sont étendues en teintes plates sur un enduit sec, au moyen d’un pinceau; un trait plus foncé sertit les figures; les détails étaient ajoutés après coup quand ils étaient plus foncés, réservés quand ils étaient blancs. Les peintures de Dahchour et de Meïdoum, qui datent du commencement de la IVme dynastie, nous montrent les artistes égyptiens déjà en pleine possession de leur métier, et il est certains de leurs panneaux qui sont pleins de vie, de mouvement et de délicatesse. Pendant un certain temps on négligea complètement la peinture pour la sculpture, et nous ne trouvons des tombeaux peints sur enduit qu’en province, presque jamais dans la capitale; ce n’est que plus tard, sous le Moyen et le Nouvel Empire, que cet art reprendra un nouvel essor et accaparera de nouveau la décoration intérieure des sépultures.
Depuis quatre ou cinq mille ans, les tombeaux de l’Ancien Empire résistent victorieusement aux atteintes du temps et ils sont arrivés jusqu’à nous avec leur décoration peinte ou sculptée, dans un état de conservation très satisfaisant. Les violateurs de sépultures ne les ont cependant point épargnés; dans l’antiquité déjà [163] ils les ont visités, ils sont descendus dans tous les caveaux funéraires, dans ceux des rois comme dans ceux des simples particuliers, franchissant les obstacles les plus sérieux, et ont pillé consciencieusement tout le mobilier funéraire. Seules les statues de serdab qui ne pouvaient avoir aucune valeur pour eux furent laissées dans leur cachette, ainsi que les tables d’offrandes, grandes dalles sculptées devant la stèle fausse-porte. Les meubles, les armes, les outils, les vêtements, les bijoux, tous les objets usuels, en un mot, ont disparu et nous ne les connaissons que par les représentations des reliefs et des peintures, représentations qui du reste sont souvent très suffisantes. Les seuls objets qui nous soient parvenus sont des vases en pierre ou en terre qui ne présentent pas avec ceux de la période précédente des divergences très marquées.
Depuis les dynasties thinites, époque où on ne l’employait qu’avec parcimonie, l’écriture a fait d’immenses progrès; elle est définitivement constituée, régularisée et ordonnée. C’est un instrument parfait en son genre, bien qu’un peu compliqué, capable d’exprimer toutes les nuances de la pensée, dans tous les domaines, et qui a en même temps un caractère décoratif très marqué permettant de l’employer à l’ornementation des monuments, soit isolément, soit à côté des représentations figurées, pour les compléter, les équilibrer et les expliquer. Quelques lignes d’hiéroglyphes, sur un objet quelconque, suffisent à faire de lui un objet d’art, tant cette écriture est belle par elle-même.
L’écriture hiéroglyphique, en même temps utilitaire et ornementale, avec ses combinaisons de caractères alphabétiques, syllabiques et idéographiques, paraît à peu près sur tous les monuments de l’Ancien Empire, [164] dans les tombeaux en particulier où nous l’avons vue se mêler aux bas-reliefs, s’incorporer à eux. Ce sont en général de courtes phrases, mises dans la bouche des personnages représentés dans la scène; ainsi il n’est pas rare de voir un ouvrier dire à son voisin: «tâche de te dépêcher» ou: «fais attention à ce que tu fais»; un moissonneur boit à même une cruche de bière en s’écriant: «ah! que c’est bon!» ailleurs c’est la chanson des laboureurs qui travaillent dans le terrain encore inondé: «Le piocheur est dans l’eau, parmi les poissons; il cause avec le silure, il échange des saluts avec l’oxyrhinque.» En d’autres parties de la tombe, à l’entrée, et surtout sur la stèle fausse-porte, on trouve le nom du mort, avec ses titres et de courtes formules adressées à divers dieux comme Osiris et Anubis, et plus loin la grande liste d’offrandes disposée en tableau. Dans les souterrains des tombes royales on voit, à partir d’un certain moment, les longs textes religieux se dérouler en colonnes serrées, et couvrir d’immenses surfaces de parois. J’ai déjà parlé des inscriptions historiques ou plutôt biographiques où un haut fonctionnaire raconte les péripéties de sa carrière et qui sont si précieuses pour nous; il faut encore signaler certains textes officiels, gravés sur pierre, des décrets du roi [165] en faveur de certains temples, instituant des privilèges spéciaux, et nous aurons une idée générale de ce qu’il y avait sous l’Ancien Empire en fait d’inscriptions monumentales.
Pour des compositions de longue haleine, des ouvrages scientifiques, médicaux, théologiques ou littéraires et sans doute aussi déjà pour la correspondance, on employait une autre matière que la pierre et une autre écriture que les hiéroglyphes. Les tiges de papyrus décortiquées, développées et écrasées, fournissaient des feuilles qui étaient pour les Egyptiens ce qu’est pour nous le papier, feuilles qu’on réunissait bout à bout pour en faire de longs rouleaux; au moyen d’un roseau taillé en pointe ou en pinceau, on y écrivait à l’encre en caractères cursifs qui sont une abréviation des hiéroglyphes et auxquels nous donnons le nom d’écriture hiératique. Cette écriture est disposée soit en colonnes verticales, soit en lignes horizontales écrites de droite à gauche. Vu la fragilité de la matière employée, il ne nous est parvenu que bien peu de manuscrits de l’Ancien Empire, assez toutefois pour que nous puissions juger que la méthode employée ne différait en rien de celle des époques postérieures.
Bien que fils des dieux et dieu lui-même, le roi d’Egypte n’est pas, comme dans beaucoup de monarchies orientales, un despote paresseux et cruel, invisible au fond de son palais; il ne se borne pas non plus à donner tous ses soins à ce qui doit être la grande œuvre monumentale de son règne, la construction de son tombeau. Il s’occupe activement et personnellement de son pays et de son peuple, il dirige lui-même toute [166] l’administration, choisit les fonctionnaires, récompense les plus méritants, rend la justice. Il exerce sur ses sujets une activité bienveillante et semble être vraiment, pour l’Ancien Empire tout au moins, le «dieu bon», selon une des épithètes qu’on lui décerne le plus fréquemment. A côté de cela il trouve encore le temps de s’occuper de science et de composer lui-même des ouvrages de médecine ou de théologie. A l’exemple de leur père, les princes ne restent pas inactifs, ils font l’apprentissage du pouvoir en occupant dès leur jeune âge des postes importants dans l’administration.
La maison du roi se compose d’une foule d’officiers de toute sorte, préposés les uns à la toilette, aux vêtements, aux parfums, les autres à la nourriture ou à la boisson, et de prêtres spéciaux attachés à la personne royale, ainsi que d’une garde du corps.
Le roi n’est pas seul à assumer le pouvoir, il a sous ses ordres une administration compliquée et d’origine très ancienne; les fonctionnaires sont nombreux et se présentent à nous chacun avec une série de titres dont nous ne parvenons pas à découvrir l’exacte signification, mais qui montrent qu’un individu pouvait cumuler des charges de natures très diverses, religieuses, militaires, civiles et judiciaires. Ceux de ces personnages que nous connaissons le mieux sont naturellement ceux qui entouraient le roi de plus près et dont les tombeaux sont voisins du sien, les vizirs, les grands juges, les grands prêtres, les fonctionnaires de l’administration centrale. A côté et au-dessous d’eux il y avait la foule des fonctionnaires provinciaux. L’ancienne division politique du pays en clans ou tribus avait donné naissance, une fois l’œuvre d’unification accomplie, à un certain nombre de provinces ou nomes qui eurent chacun son administration propre, sous le contrôle du [167] pouvoir central. Sous des rois dont l’autorité s’exerce sans contestation, cette organisation intérieure doit avoir ses avantages, mais si le sceptre tombe en des mains plus faibles elle ne peut que favoriser le démembrement du pays; nous avons vu que c’est en effet ce qui arriva: la naissance et le développement progressif de la féodalité, puis les rivalités des familles les plus puissantes et les luttes intestines, amenèrent la fin de l’Ancien Empire.
Le haut gouvernement des nomes était donc un pouvoir féodal, très probablement entre les mains des descendants directs des anciens chefs de tribus. Quant à l’administration proprement dite, elle n’était pas le privilège d’une caste spéciale, mais était ouverte à tous; il suffisait d’avoir une bonne instruction, d’être scribe, de se montrer intelligent et habile, pour pouvoir atteindre à n’importe quelle fonction. Nous avons l’exemple de personnages d’humble extraction commençant par les charges les plus modestes pour monter progressivement aux plus hautes positions du royaume.
Les prêtres pouvaient cumuler des fonctions civiles et des charges sacerdotales; ils pouvaient aussi, semble-t-il, se recruter parmi toutes les classes de la population et ne formaient pas une caste à part. Le roi était de droit souverain pontife de tout le pays et les grands seigneurs héréditaires étaient en même temps les grands prêtres des sacerdoces de leurs nomes.
Nous avons donc, dans l’Egypte de l’Ancien Empire, un mélange extrêmement curieux de tous les modes de gouvernement: en haut, une monarchie absolue et théocratique, au-dessous une aristocratie héréditaire, féodale et terrienne, et enfin, tant pour les provinces [168] que pour l’ensemble du pays, une administration accessible à tous, tenant en même temps de la démocratie et du mandarinat et ayant un caractère sacerdotal très marqué. Comment fonctionnaient tous ces rouages qui nous paraissent si peu compatibles les uns avec les autres? Nous ne pouvons nous en rendre compte d’une manière très précise, mais les résultats montrent que ce système de gouvernement n’était pas mauvais puisque non seulement il subsista pendant les longs siècles que dura l’empire memphite, mais encore fut repris au Moyen et au Nouvel Empire avec certaines modifications.
Les objets remontant à l’Ancien Empire sont si peu nombreux qu’il ne faut pas s’étonner si l’on n’en retrouve pas qui portent la marque d’une importation étrangère. Les relations commerciales avec les pays environnants, par terre comme par mer, ne s’étaient cependant pas interrompues, bien au contraire; on consommait beaucoup d’encens en Egypte, surtout pour les besoins du culte; or l’encens ne pouvant provenir que du sud de l’Arabie, de la côte des Somalis, du pays de Pount, comme on appelait ces régions, il devait donc arriver en Egypte par la Mer Rouge. Les mines du Sinaï ne sont pas assez riches en cuivre pour avoir pu fournir tout celui qu’on employait sous l’Ancien Empire, aussi est-il des plus probable que déjà à ce moment-là on le faisait venir de Chypre, comme aux époques suivantes. Le commerce, plus facile encore avec la Syrie, était sans doute plus développé de ce côté-là. Les pharaons avaient du reste sur cette contrée, ou du moins sur sa partie méridionale, certaines prétentions de suzeraineté, et nous les avons vus y envoyer à diverses reprises des expéditions armées. Le plus souvent ces expéditions [169] remportaient des succès sur les indigènes et ramenaient un riche butin, pris par la force ou acquis par voie d’échange, mais parfois aussi elles échouaient piteusement, et se faisaient massacrer dans un guet-apens.
Le Soudan et la Nubie n’étaient pas encore soumis, mais le gouvernement égyptien, qui recrutait des mercenaires parmi les tribus de ces régions, les considérait un peu comme des vassales et leur envoyait souvent de petites expéditions à demi militaires, à demi commerciales, chargées de recueillir l’allégeance des chefs et si possible un tribut, d’assurer la sécurité des routes et le respect du nom de l’Egypte, et de faire aboutir des opérations fructueuses par voie d’échange. Ces expéditions étaient le plus souvent dirigées par les gouverneurs du sud, les résidents égyptiens à Eléphantine, qui avaient la garde de la frontière: ces hauts fonctionnaires s’appliquèrent à laisser à la postérité le récit plus ou moins détaillé de leurs diverses missions. Ainsi nous voyons Herkhouf s’acquérir la faveur du roi pour lui avoir ramené du centre de l’Afrique un nain qui devait le divertir par ses danses bizarres: ce roi était Pepi II, alors encore un tout petit enfant.
Du haut en bas de l’échelle sociale, l’organisation de la famille a un caractère tout patriarcal, empreint de liberté, de bienveillance et d’intimité. Il suffit de jeter les yeux sur les nombreux groupes familiaux, bas-reliefs ou statues, pour juger des relations tendres qu’avaient entre eux époux, parents et enfants: on voit souvent la femme assise sur le même siège que son mari, ou debout à côté de lui, passant le bras autour de son cou tandis qu’il l’enlace étroitement et que les enfants se pressent autour d’eux. L’homme est le chef incontesté de la famille, il la dirige, la protège, la groupe autour de lui, sa [170] vie durant; quant à la femme, elle jouit d’une position très privilégiée, en regard des autres femmes d’Orient: elle n’est pas enfermée dans un harem, elle est absolument libre de ses mouvements et de ses actions, elle accompagne partout son mari comme une égale, non comme une inférieure, elle exerce une autorité morale toute spéciale sur les enfants. Parmi ceux-ci, les filles ont les mêmes droits que les fils à l’héritage paternel.
Dès l’Ancien Empire, l’Egyptien est certainement monogame; à peine trouve-t-on un ou deux grands personnages ayant à côté de leur femme légitime une concubine, dont les enfants ont du reste à peu près les mêmes droits que leurs frères. Seul le roi a en général plusieurs femmes dont l’une, «la grande épouse royale» a le pas sur les autres, étant sans doute de plus haute naissance, parfois même de race royale. Pour conserver aussi pur que possible le sang divin qui coule dans ses veines, le roi doit de préférence prendre une femme du même sang que lui, donc une proche parente. Sous le Nouvel Empire nous voyons le plus souvent le pharaon épouser sa sœur, parfois même sa fille; il en était sans doute de même pour les rois memphites. Ces unions qui nous paraissent monstrueuses n’avaient rien que de très naturel pour les Egyptiens, pour qui la pureté de la race avait une importance capitale.
Vu le climat de l’Egypte, les habitants de ce pays n’ont jamais éprouvé le besoin de s’habiller chaudement; le costume en usage sous l’Ancien Empire est particulièrement sommaire. Les hommes portent tous le pagne, plus ou moins grand suivant leur condition: pour les gens de bas étage, les mariniers par exemple, il se réduit à une ceinture garnie par devant de [171] quelques petites lanières formant tablier, pour d’autres ouvriers c’est un morceau d’étoffe passant entre les jambes et fixé également à une ceinture. Le modèle ordinaire est composé d’une longue pièce de toile blanche enroulée étroitement autour de la partie moyenne du corps, soutenue par une ceinture et descendant presque jusqu’aux genoux. Chez les grands personnages ce vêtement prend plus d’importance: il n’est pas plus long, mais beaucoup plus ample, et la partie de devant, gaufrée à petits plis et empesée, forme une sorte de grand tablier triangulaire. En outre, les notables ont le plus souvent aux pieds des sandales, simples semelles plates, et autour du cou un large collier descendant sur la poitrine et composé généralement de perles en verroterie, parfois aussi de perles d’or. La tête est entièrement rasée, cheveux, barbe et moustaches, et, pour sortir, les grands personnages se coiffent d’une perruque plus ou moins volumineuse suivant la mode du jour, tandis que chez les gens du peuple cette perruque paraît n’être plus qu’une simple calotte [172] feutrée, épousant les formes du crâne. Souvent une petite barbe postiche se fixe sous le menton des notables. Jamais on ne voit de manteau sur les épaules des particuliers; seul le roi, dans certaines cérémonies, porte un vêtement de forme particulière, très ample, sans manches, descendant du cou jusqu’aux genoux.
Les femmes sont vêtues d’une robe absolument collante descendant de la naissance des seins jusqu’au bas des mollets; des bretelles la retiennent aux épaules. La gorge est couverte d’un large collier, et des anneaux de différentes formes ornent les bras et les chevilles. La chevelure, très abondante, retombe sur les épaules en une multitude de petites tresses; parfois un riche bandeau enserre cette coiffure au-dessus du front.
La toilette était chose importante pour les Egyptiens; ils se lavaient soigneusement, se faisaient oindre le corps d’huiles et de parfums. Les gens riches avaient des serviteurs qui les massaient et leur servaient de manicures, de pédicures, et sans doute aussi de coiffeurs. Avant et après le repas, on se lavait les mains et la [173] bouche, comme cela se fait encore aujourd’hui en Orient.
Les Egyptiens avaient l’habitude de s’accroupir à terre, sur des nattes, pour toutes les occupations sédentaires; c’était la position ordinaire des artisans à leur travail et des scribes en train d’écrire. Par contre, pour manger, ils s’asseyaient sur des chaises, des fauteuils ou même des divans à deux places, devant de petits guéridons ronds, hauts sur pied, où s’empilaient les victuailles. Ils couchaient dans des lits garnis de plusieurs matelas, de couvertures et de chevets en guise d’oreiller, lits à quatre pieds, assez élevés pour qu’on dût y monter à l’aide d’un petit escabeau. Le mobilier comportait encore un certain nombre de coffres de diverses dimensions, où l’on serrait le linge et les ustensiles de toute sorte. En ce qui concerne les habitations, nous n’avons guère de renseignements pour l’Ancien Empire; ce devaient être des constructions légères, en partie en briques crues ou en terre pilée, en partie en bois, avec des jours qu’on pouvait fermer, au moyen de tentures multicolores ou de nattes; comme plafond, des solives de bois de palmier, se touchant, supportaient une terrasse en terre battue.
Les grands marais remplis de poissons et d’oiseaux de toute sorte qui bordaient la vallée du Nil, fournissaient aux seigneurs égyptiens, grands amateurs de chasse et de pêche, un terrain incomparable. Ils s’y rendaient avec leurs gens qui sur place préparaient des nacelles légères en faisceaux de tiges de papyrus, dans lesquelles tout ce monde s’embarquait, pénétrant dans les fourrés marécageux. Le maître tenait d’une main des oiseaux captifs dont les cris servaient d’appeaux, tandis que de l’autre il brandissait son boumerang et le lançait adroitement sur le gibier, abattant l’un après l’autre le [174] héron, l’oie, le canard, la grue, que ses gens allaient chercher dans les roseaux; puis il saisissait un harpon à double lame barbelée avec lequel il transperçait d’une main sûre les gros poissons passant à sa portée, qu’il relevait tout ruisselants d’eau. Cette arme puissante lui servait aussi à se défendre contre l’hippopotame qui aurait pu venir troubler sa promenade.
Aux confins du désert, la chasse était plus fructueuse, mais plus difficile et plus dangereuse aussi; on y rencontrait la gazelle, l’antilope, le bœuf sauvage ainsi que le lion et la panthère. Le seigneur égyptien s’y aventurait rarement, mais il y envoyait certains de ses hommes, chasseurs de profession [175] qui, accompagnés de leurs grands chiens, poursuivaient le gibier et l’attaquaient avec leurs flèches ou au lasso.
Il ne suffisait pas d’approvisionner le garde-manger, il fallait se constituer une réserve vivante d’aliments et remplir la basse-cour. A cette fin, au moment du passage des oiseaux migrateurs, on disposait sur des étangs de grands filets tendus sur des cadres en bois et on attirait le gibier au moyen d’appâts ou d’appeaux; une fois que le vol s’était posé sur l’étang, un surveillant caché tout près de là donnait un signal, d’autres hommes tiraient vivement sur une corde, le filet se refermait sur les volatiles qu’on sortait avec précaution et qu’on enfermait dans des cages pour les porter dans de grandes volières grillées et munies de bassins d’eau, où on pouvait les conserver et les engraisser.
Le Nil et ses dérivés fourmillent de poissons, dont la chair a été de tous temps une grande ressource pour les habitants du pays; ceux-ci employaient pour les prendre des moyens qui sont de tous les temps et de tous les pays, des engins qu’ils avaient perfectionnés et dont ils savaient tirer parti: d’abord la ligne, une ligne à main hérissée d’hameçons à son extrémité, mais [177] sans canne ni flotteur, puis le petit filet à manche, le troubleau, puis les nasses, les grandes bouteilles en osier qu’on déposait au fond de l’eau et qu’on relevait de temps en temps. La pêche la plus productive était fournie par la seine, le grand filet droit muni de plombs et de flotteurs, qu’on traînait à grand renfort de bras dans des cours d’eau ou des étangs, de manière à ramasser tout le poisson. Sitôt sortis de l’eau, les poissons étaient ouverts, vidés, salés et étendus ou suspendus au soleil pour être séchés.
Le nombre des animaux ainsi domestiqués s’accroissait sans cesse tant par la reproduction naturelle que par l’apport de nouveaux individus pris à la chasse. Nous venons de voir les oiseaux élevés en basse-cour, nourris de grains ou engraissés au moyen de boulettes qu’on leur introduisait de force dans le bec. On employait le même procédé pour certains bestiaux de choix élevés à part des autres dans des fermes, bœufs ou antilopes qu’on empâtait ainsi avec des aliments fabriqués au fur et à mesure, parfois même des hyènes qu’on était obligé d’attacher par les pattes et de renverser sur le dos pour leur faire avaler des oies rôties; il semble en effet, quelque bizarre que cela puisse nous paraître, que sous l’Ancien Empire les Egyptiens, pour varier leurs menus, mangeaient parfois de la chair d’hyène.
La grande masse du bétail vivait presque en liberté sous la garde de bergers dans les terrains situés au delà [178] des cultures, qui n’avaient pas encore, comme aujourd’hui, absorbé tout le sol de la vallée; ces animaux étaient presque sauvages, il fallait lier les jambes des vaches pour les traire, et quant aux bœufs et taureaux, lorsqu’il s’agissait de les capturer, on devait employer le lasso. De temps à autres, les propriétaires allaient sur place inspecter leurs bestiaux ou se les faisaient amener par troupes, pour en faire le compte. Le gouvernement faisait de son côté procéder tous les deux ans au dénombrement général des bestiaux, sur lesquels le roi prélevait sans doute une forte dîme; cette opération était [179] même considérée comme des plus importantes, car elle servait de base aux calculs chronologiques: on ne disait pas, à cette époque, «l’an 6 de tel roi», mais «l’année qui suit le 3e compte de bestiaux de tel règne». A côté des bœufs et des vaches, il y avait encore dans ces domaines ruraux du petit bétail, des chèvres et des moutons; quant aux ânes, qu’on réunissait aussi en troupeaux, comme on les employait fréquemment à toutes sortes de travaux, il est probable qu’on les gardait à proximité des habitations plutôt que dans les pâturages.
A côté de l’élevage, l’agriculture était en plein développement, et les tableaux qui représentent des scènes de la vie des champs sont nombreux dans les bas-reliefs des mastabas. La crue du Nil était soigneusement observée et enregistrée dans les documents officiels; c’est donc qu’on avait reconnu l’importance des irrigations, desquelles dépend la fertilité du pays. Il est très probable que c’est de cette période que datent les premiers de ces canaux qui apportent l’eau sur tous les points de la vallée, et les digues qui la retiennent pour laisser déposer le limon.
La principale culture est celle des céréales. Nous voyons les laboureurs retourner le sol à l’aide de charrues très simples, à soc de bois, attelées de deux bœufs, car il n’est pas nécessaire de travailler très profondément cette terre meuble et grasse. Derrière eux viennent les semeurs, jetant le grain à la volée, et immédiatement après, on amène des troupeaux de chèvres et de moutons qui, pressés par des ouvriers munis de courbaches, piétinent le champ ensemencé pour faire pénétrer le grain. La moisson se fait au moyen de faucilles de bronze ou de bois armées de lames de silex, avec lesquelles on scie la tige à mi-hauteur; on lie les javelles en gerbe pour les charger sur des ânes qui bon gré mal gré les transportent près de l’aire où on les empile en hautes meules. Plus tard, quand la récolte est sèche, [181] vient le dépiquage: les gerbes sont déliées, étendues sur l’aire et foulées aux pieds par des bœufs ou des ânes, et ce procédé a le double avantage de faire sortir le grain et de hacher la paille qui, comme partout en Orient, sert de fourrage. Les vanneuses ensuite jettent en l’air le grain et le passent au crible, et enfin on mesure la récolte au boisseau et on l’enferme dans les greniers.
La vigne se cultive en berceaux, dans des jardins; au moment de la vendange, des hommes cueillent le raisin mûr, le mettent dans de grands paniers et le portent tout à côté, sur le pressoir, sorte de grande auge surélevée où la récolte est foulée aux pieds par d’autres ouvriers. Le résidu est ensuite mis dans de grands sacs de forte toile, à chaque extrémité desquels est passé un bâton, et on arrive encore [182] à extraire une bonne quantité de jus en tordant énergiquement ce pressoir rudimentaire, opération qui nécessite une pittoresque gymnastique de la part des cinq pressureurs. Enfin le moût est porté au cellier, dans de grandes jarres qu’on ferme et qu’on scelle soigneusement.
Les autres genres de culture, comme la récolte des figues que des hommes ou parfois des singes vont cueillir dans les arbres, ou celle du lin, qui se pratique par arrachage de la tige et non plus à la faucille, sont plus rarement représentées. Enfin quelques scènes de jardinage montrent des ouvriers arrosant soigneusement des carrés de légumes.
Les Egyptiens n’employaient pour leurs vêtements que de la toile de lin, et déjà au début de la IVme dynastie ils étaient passés maîtres dans l’art de filer et de tisser. Parmi les rares échantillons d’étoffes de l’Ancien Empire qui nous sont parvenus, il y a surtout des toiles fines, très fines même; certaines bandelettes de momies royales sont faites au moyen de fil incomparablement plus fin que celui de n’importe quel tissu moderne (un kilo de ce fil représenterait 12 à 18.000 mètres de longueur, selon les calculs des spécialistes). Pour d’autres usages, en particulier pour la fabrication de portières et tentures, on employait des étoffes multicolores [183] plus épaisses, où le tisserand, précurseur des fabricants de tapis orientaux, obtenait par la disposition de ses fils de couleur des compositions ornementales simples, mais du meilleur goût.
Les vanniers faisaient déjà de ces paniers de toute forme qui sont aujourd’hui une spécialité du Soudan égyptien, ouvrages de sparterie très soignés et très fins, aux brins de couleurs heureusement alternés et qui sont en même temps d’une solidité à toute épreuve. Les gens du peuple étaient très habiles à ces sortes de travaux, ainsi les pâtres, tout en surveillant leurs troupeaux, tressaient avec des joncs et d’autres herbes les nattes dont ils faisaient usage, nattes si souples qu’elles se roulaient comme des couvertures et se portaient aisément en bandoulière.
Dans d’autres tableaux nous voyons des cordiers tordant ou tournant leurs cordes, des cordonniers assouplissant le cuir, le taillant et le cousant, des menuisiers travaillant à des meubles de toute sorte avec la scie, le maillet, le ciseau, l’herminette et le perçoir à archet. Plus loin ce sont des sculpteurs et des peintres, des fabricants de vases de pierre et des chaudronniers [184] dont nous avons déjà passé en revue les œuvres, et enfin des bijoutiers pesant, fondant et coulant l’or, calibrant et assemblant les pierres fines.
On peut dire que les transports, sous l’Ancien Empire, se faisaient uniquement par la voie fluviale. Sur terre, le seul moyen de locomotion était la marche; les ânes servaient seulement de bêtes de somme, et il est extrêmement rare que les hommes aient songé à monter sur leur dos. Quant à la litière ou chaise à porteurs, c’était là un luxe que seuls les grands seigneurs pouvaient s’offrir, quand ils allaient inspecter leurs domaines. Sur l’eau, nous avons déjà vu [185] les petites nacelles en papyrus employées pour la chasse et la pêche; les autres bateaux construits en bois étaient très variés de forme, qu’il s’agît des lourds et solides bachots, munis de rames et de gouvernails, destinés à faire de petits trajets et à transporter des marchandises ou des bestiaux, ou bien des bateaux à rames et à voiles, qui dénotent déjà une grande habitude de la navigation. Dès le début de la IVe dynastie, on employait de façon constante, pour remonter le Nil, de longs bateaux aux extrémités légèrement relevées, portant un gros mât formé de deux madriers qui s’assujettissent dans les deux bordages et ne se réunissent qu’à leur partie supérieure; une vergue se hisse au sommet de ce mât, supportant une voile trapézoïde d’un modèle spécial commandée par deux bras, gros cordages dont un homme assis à la poupe tient les extrémités. Des gouvernails en forme de rames, en plus ou moins grand [186] nombre suivant les dimensions du bateau, servent à donner la direction. Un toit léger, courant au-dessus du pont, fournit aux passagers un abri suffisant. Pour descendre le fleuve, on pliait la voile, on abattait le mât et le bateau suivait le fil du courant, actionné en outre par les rames. Plus tard, vers la fin de l’Ancien Empire, on voit paraître un nouveau modèle de barque, la grande nef pontée, au mât simple portant une voile carrée soutenue par deux vergues; le mode de navigation ne change du reste pas pour cela, et on continue, comme de nos jours encore, à remonter le fleuve à la voile, à le redescendre à la rame.
Les vaisseaux de mer, plus grands et plus forts sans doute que ceux du Nil, en diffèrent à peine quant à la forme générale; les mâts, les voiles, les gouvernails, les rames sont les mêmes, mais il n’y a aucune superstructure, et un énorme câble, allant de la proue à la poupe, assure la solidité de la charpente.
Pour avoir un tableau complet de l’état de l’Egypte à cette époque, il faudrait approfondir encore bien des points sur lesquels nous sommes peu documentés, ainsi la question très importante du commerce qui, faute de numéraire, se faisait de gré à gré, par échange, suivant entente entre les contractants, sans que nous sachions [187] s’il y avait des boutiques ou seulement des marchés périodiques dans les centres. Nous sommes aussi assez mal renseignés sur l’exploitation des mines et des carrières et sur le transport des gros matériaux, qui se faisait à bras d’hommes, sur traîneaux, de la montagne au fleuve. Cette esquisse sommaire, suffisante pour le moment, nous permettra de nous rendre compte de ce qu’était, dans ses grandes lignes tout au moins, la civilisation de l’Egypte sous les rois memphites et héliopolitains, période qui est la base même de toute la civilisation pharaonique. Pour les époques suivantes nous pourrons nous contenter de signaler les transformations, les perfectionnements apportés au cours des siècles à cet état de choses, par suite du travail intérieur ou des importations étrangères.
MOYEN EMPIRE
(2200 à 1500 avant J.-C. environ.)
Une période de troubles intérieurs comme celle qui termina l’Ancien Empire ne pouvait se prolonger indéfiniment et devait aboutir à une restauration de la monarchie sur des bases un peu différentes. Nous avons vu les derniers rois memphites, qui ne disposaient pas d’une force militaire sérieuse et qui sans doute n’avaient plus l’autorité morale de leurs prédécesseurs, s’effacer peu à peu devant leurs compétiteurs, les princes héracléopolitains; ceux-ci n’avaient cependant pas réussi, malgré l’énergique appui de leurs vassaux, les dynastes de Siout, à s’installer définitivement sur le trône d’Egypte, ni même à laisser un nom durable. Pendant ce temps [190] s’élevait dans le sud, dans une province qui jusqu’alors n’avait joué aucun rôle, celle de Thèbes, une famille nouvelle, au sang moins pur, mélangé d’éléments soudanais, famille énergique poursuivant de père en fils, avec opiniâtreté, un seul but, la restauration, à son profit, de l’unité du royaume égyptien. Ces seigneurs qui portent tous le nom d’Antef ou de Mentouhotep, commencèrent petitement: les plus anciens n’ont que leur titre de monarque puis peu à peu ils s’arrogent le droit d’inscrire leur nom dans un cartouche, ils se qualifient de rois de la Haute Egypte et finissent par prendre la titulature complète des rois légitimes. Les premiers n’étendaient leur domination que sur la moitié méridionale de la Haute Egypte, mais en même temps ils avaient soumis la Nubie jusqu’à la deuxième cataracte au moins; les derniers régnèrent sur toute la vallée du Nil et poussèrent même plus loin, puisqu’ils entreprirent des expéditions du côté du Sinaï et de la Syrie méridionale.
L’ordre de succession de ces rois, qui forment la XIme dynastie, n’est pas très clair; leur chronologie l’est encore moins: le papyrus de Turin donne six rois ayant régné pendant plus de 160 ans, tandis que d’après Manéthon il y aurait eu 16 rois et 43 ans de règne; il y a dans ces chiffres des erreurs évidentes, puisque nous savons d’autre part que certains de ces rois régnèrent au moins 50 ans; on peut donc supposer que le papyrus ne nomme que les derniers rois de la série, ceux qui [191] pouvaient être considérés comme souverains légitimes, tandis que Manéthon indique le nombre total des princes de la famille, et la somme des années de règne des deux derniers seulement, ceux qui gouvernèrent sans aucun doute tout le pays. Comme date, nous pouvons placer cette XIme dynastie thébaine, de façon tout à fait approximative du reste, aux environs de l’an 2.200 avant J.-C.
Nous ne savons dans quelles conditions le dernier roi de cette dynastie, Mentouhotep V Seankhkara, céda la place de gré ou de force à un homme du nom d’Amenemhat, qui avait été grand-vizir sous un règne précédent et qui était sans doute apparenté de près ou de loin à la famille royale. Usurpateur ou non, le nouveau roi trouva devant lui de nombreux adversaires qu’il finit par réduire, comme il sut plus tard déjouer un complot des gens du palais qui en voulaient à sa vie. Amenemhat I était non seulement un homme d’action, il était aussi un organisateur de premier ordre, à en juger par l’œuvre accomplie pendant les 30 ans que dura son règne. Il supprime définitivement le régime féodal, l’autonomie des petits princes locaux sur lesquels ses prédécesseurs avaient dû s’appuyer pour gouverner, il reconstitue l’unité de l’Egypte sous un seul sceptre, fait régner l’ordre et la paix dans tout le pays, recule ses frontières grâce à des expéditions [192] heureuses, et fonde une dynastie qui devait régner 213 ans en tout, et être une des plus brillantes qui aient occupé le trône de l’Egypte.
La XIIme dynastie est donc d’origine thébaine, mais son centre politique fut toujours celui qu’avait choisi le fondateur de la monarchie égyptienne, Memphis, abandonnée depuis quelques siècles. C’est dans les environs immédiats de l’antique capitale que les nouveaux rois établirent leur résidence et qu’ils construisirent leurs tombeaux. Les sept rois qui se succèdent de père en fils portent tous, soit le nom d’Amenemhat, qui est celui du fondateur de la dynastie, soit celui de Senousrit, qu’on lisait autrefois Ousertesen et qui est en réalité l’origine du nom grec de Sesostris, ce héros plus légendaire que réel sur la personne duquel se groupèrent aux basses époques tous les hauts faits des rois du temps passé dont on avait conservé le souvenir.
Les vrais Sésostris, ceux de l’histoire, sont du reste aussi des guerriers et des conquérants, mais leur activité est surtout dirigée vers le sud. Les plus célèbres d’entre eux, Senousrit I et Senousrit III parachevèrent l’œuvre entreprise par Amenemhat I, la conquête de la Nubie: ils étendent l’autorité effective de l’Egypte jusqu’à la 2e cataracte, c’est-à-dire reculent d’au moins 400 kilomètres les frontières de leur royaume. [193] La Nubie est devenue une province égyptienne, administrée par des fonctionnaires spéciaux, avec de petites garnisons cantonnées dans les points faibles du pays, où s’élèvent d’importantes forteresses, celles de Semneh et de Koummeh en particulier, qui gardent les deux rives de la cataracte, frontière extrême de la nouvelle province.
Les Pharaons de la XIIme dynastie, bien que très occupés du côté du Soudan, ne négligent pas pour cela les autres contrées limitrophes; les Libyens aussi bien que les Syriens habitant les confins de l’Egypte sont refoulés ou assujettis, et la domination effective du roi s’étend sur les Oasis, le Sinaï et les contrées désertiques où les travaux dans les carrières et dans les mines peuvent s’effectuer en toute tranquillité.
Le dernier grand roi de la dynastie, Amenemhat III, attacha son nom à une œuvre gigantesque, la création dans le Fayoum, — petit territoire en contre-bas de la vallée du Nil, du côté ouest, — d’un immense réservoir destiné à régulariser les irrigations des environs de Memphis et de la Basse Egypte. C’est le fameux lac Moeris mentionné par Hérodote et les autres auteurs classiques, qui parlent en même temps avec admiration du Labyrinthe, le palais construit sur ses bords. Quelle est dans ces récits la proportion exacte de fable et de réalité, c’est ce qui n’a pu être encore établi; toujours est-il que [194] maintenant on ne voit plus, de ce qui devait être jadis le lac Moeris, qu’un lac naturel sans écoulement, le Birket-Karoun, et au lieu du Labyrinthe, des ruines de villes, très étendues, mais qui n’ont rien de monumental, deux pyramides, des colosses, un obélisque; ces restes de constructions montrent bien l’importance des travaux entrepris par Amenemhat III dans ce coin de pays, travaux qui furent, sinon aussi merveilleux que se l’imaginaient les Grecs, du moins considérables.
Deux règnes très courts et sans éclat, ceux d’Amenemhat IV et de la reine Sebeknefrou clôturent cette période si glorieuse et si brillante pendant laquelle l’Egypte avait atteint un degré de puissance très supérieur à celui auquel elle était arrivée sous les plus grands rois de l’Ancien Empire. Nous ne savons quelles sont les circonstances qui amenèrent la chute de la XIIme dynastie, soit que la race se soit éteinte naturellement, soit que ces deux derniers souverains aient fait preuve d’incapacité et se soient laissés supplanter par des compétiteurs puissants. Avec eux cesse, pour un temps du moins, l’unité de l’Egypte, et nous nous trouvons en présence de deux familles rivales, l’une de Thèbes, l’autre de Xoïs dans le Delta, qui forment la XIIIme et la XIVme dynastie; il semble qu’à un moment donné cette dernière dynastie ait été considérée comme seule légitime, mais d’un autre côté la puissance des rois thébains de la XIIIme a certainement été plus grande. Du reste ces deux séries de rois sont si enchevêtrées qu’on a peine à les distinguer l’une de l’autre: les monuments de cette époque donnent bien des noms de rois, rarement des dates, et jamais aucun détail sur le règne des divers souverains ni sur l’ordre de succession; le papyrus de Turin donnait une longue liste, malheureusement très [195] fragmentée aujourd’hui, et ne paraît pas avoir établi de distinction entre ces deux dynasties; les autres listes royales ne mentionnent que très peu de noms de cette époque. Enfin Manéthon ne cite pas un seul nom, mais donne à la XIIIme dynastie 60 rois et 453 ans de règne, et à la XIVme, 76 rois et 184 ans, chiffres qui sont peut-être exagérés quant au nombre d’années, mais qui paraissent correspondre à la réalité, en ce qui concerne le nombre de rois qui occupèrent le trône.
Nous sommes donc peu renseignés sur cette période, et c’est à peine s’il convient de rappeler le souvenir des Neferhotep et des Sebekhotep, les quelques souverains qui nous paraissent être les figures les plus marquantes de la série et dont les règnes sont plus longs que ceux des autres et les monuments que nous avons d’eux plus abondants et plus importants. L’examen des noms mêmes de tous ces rois montre clairement que ces deux dynasties ne se composent pas seulement de deux familles homogènes, mais de groupes très différents d’origine ou d’individus isolés qui se succèdent sans lien apparent, et ne sont même sans doute pas tous de vrais Egyptiens; ainsi l’un d’eux s’appelle Nehasi, «le nègre», et d’autres, comme Khendi et Khenzer, à en juger par leurs noms, pourraient être d’origine babylonienne.
C’est précisément à cette époque, où l’Egypte n’était plus suffisamment puissante pour résister aux ennemis du dehors, que surgirent les Hyksos ou rois pasteurs, [196] chefs de bandes ou de tribus sémites, originaires sans doute de Palestine ou de Syrie, qui pénétrèrent dans la vallée du Nil par la frontière nord-est, entre Péluse et Suez, s’établirent et se fortifièrent dans le Delta, rayonnèrent de là dans tout le pays, y établirent une autorité durable et s’arrogèrent même le titre officiel de rois d’Egypte. Cette invasion est en somme le résultat d’une de ces poussées des peuples d’Orient vers l’Occident qui sont si fréquentes dans l’histoire et qui chaque fois amenèrent des perturbations considérables; celle-ci fut déterminée par la descente des Elamites en Mésopotamie, qui provoqua également le départ d’Abraham pour la Palestine.
La domination des rois pasteurs dura longtemps et s’exerça, suivant les monuments, plus ou moins loin vers le sud, contrebalancée seulement par un petit noyau qu’on pourrait qualifier de nationaliste et qui se groupait dans la Thébaïde, autour des derniers rois de la XIIIme dynastie, puis des princes qui fondent la XVIIme et préparent la revanche qui doit inaugurer le Nouvel Empire. Ces étrangers s’étaient rapidement égyptianisés; ils avaient adopté les coutumes de leurs sujets plus civilisés qu’eux et cherchèrent à gouverner comme les anciens rois autochtones, mais ils ne réussirent pas à laisser une trace vraiment durable de leur passage au pouvoir. Nous ne connaissons aucun édifice important qui puisse avoir été construit par eux, à part peut-être les murs d’enceinte en briques de leur capitale, la ville fortifiée d’Avaris, à l’est du Delta, et [197] leurs noms ne nous sont parvenus que sur quelques petits objets ou sur des statues antérieures qu’ils s’étaient appropriées. Ils encouragèrent les sciences et la littérature, ainsi que nous l’apprennent certains papyrus, mais d’un autre côté, il est bien probable que c’est aux premiers de ces rois qu’il faut attribuer le pillage systématique des tombeaux royaux antérieurs.
Enfin il s’éleva une nouvelle race de princes thébains qui, d’abord vassaux des rois Hyksos, prirent en main la tâche de délivrer leur pays de la domination étrangère. Leurs talents militaires, leur valeur personnelle et sans doute surtout un mouvement intense du pays entier, révolté contre ses oppresseurs, amenèrent rapidement la chute du royaume des pasteurs. Refoulés de la Haute Egypte d’abord, puis du Delta même, il ne resta bientôt plus aux pharaons sémites qu’un petit canton aux confins du désert et leur retraite fortifiée d’Avaris, où ils tinrent bon pendant un siècle encore. Cette période de lutte à outrance qui coûta la vie à certains rois thébains, morts en pleine bataille, et qui termine ce que nous avons coutume d’appeler le Moyen Empire, est une période héroïque et glorieuse et les noms de ces rois qui affranchirent leur pays du joug étranger, les Seknenra, les Kamès, les Ahmès, mériteraient une place d’honneur dans l’histoire, si par malheur [198] nous n’étions si peu renseignés sur leur vie et leur œuvre dont nous ne faisons guère qu’entrevoir les résultats.
Telle est, dans ses grandes lignes, l’histoire du Moyen Empire thébain, joint à la domination des Hyksos; sa chronologie est difficile à établir et donne lieu encore aujourd’hui à des opinions très divergentes, car si nous connaissons presque à un jour près la durée de la XIIme dynastie, il n’en est pas de même pour les suivantes, qui régnèrent sans doute collatéralement sur diverses parties du pays. Nous avons déjà vu que Manéthon donne à la XIIIme dynastie thébaine 453 ans et à la XIVme dynastie xoïte, 184 ans; il range les rois Hyksos dans deux dynasties distinctes, la XVme et la XVIme, qui auraient régné, la première 284 ans avec ses six rois qu’on retrouve sans peine sur les monuments contemporains, les Salatis, les Bnôn, les Jannias et les Apophis, et l’autre 511 ans avec 32 rois parfaitement inconnus. Enfin, toujours pour Manéthon, la XVIIme dynastie, celle de la revanche, aurait eu deux séries de rois, les uns hyksos, les autres thébains, ayant occupé les trônes d’Egypte pendant 151 ans jusqu’à l’expulsion définitive des Sémites. Si l’on met bout à bout tous ces chiffres, on obtient pour l’intervalle qui sépare la XIIme dynastie du Nouvel Empire la somme fantastique de 1.583 ans, qui paraît absolument inadmissible, surtout si l’on songe que dans un pays comme l’Egypte, où presque tout se conserve, une période [199] aussi longue, même troublée, nous aurait transmis des séries de documents autrement plus importantes que celles qui nous sont parvenues. D’un autre côté, une théorie récente, très en vogue aujourd’hui, et basée sur deux dates astronomiques qu’on voudrait attribuer, l’une à un roi de la XIIme dynastie, l’autre au premier souverain de la XVIIIme, réduit cet intervalle à 200 ans environ. Cette théorie me paraît encore plus insoutenable que la précédente, car je ne vois pas le moyen de faire tenir dans un espace de deux siècles un nombre de 150 ou 200 rois au minimum, dont certains régnèrent, nous le savons pertinemment, 40 et même 50 ans. La vérité est très probablement entre ces deux théories extrêmes, et je suis tenté de me rattacher, au moins dans ses grandes lignes, au système proposé par un égyptologue norvégien, M. Lieblein, système qui peut se résumer somme suit: l’invasion hyksos a lieu à la fin de la XIIme dynastie et entraîne sa chute, après quoi une nouvelle famille thébaine, la XIIIme, prend possession du trône; pendant ce temps les chefs pasteurs, maîtres de la plus grande partie du pays, mais se sentant inférieurs comme civilisation et n’osant encore se mettre personnellement à la tête du gouvernement, intronisent d’abord des princes autochtones qui ne sont autres que leurs créatures et leurs vassaux et qui constituent la XIVme dynastie xoïte. Après ce laps de temps, se sentant suffisamment égyptianisés, ils prennent eux-mêmes les rênes du pouvoir: c’est la XVme dynastie; quant à la XVIme elle n’existe pas en réalité, c’est une dynastie purement fictive, qui représente seulement la somme de la domination des Hyksos jusqu’au moment où ces rois furent refoulés dans Avaris. La XVIIme dynastie, avec sa double série de rois, caractérise le siècle de l’expulsion. Ainsi, puisque la XIVme et la XVme dynasties sont contemporaines [200] de la XIIIme, et que la XVIme doit être supprimée, comme faisant double emploi, nous n’avons plus qu’à additionner les chiffres que donne Manéthon pour la XIVme, la XVme et la XVIIme, ce qui donne, pour toute la période hyksos, 619 ans en tout. Il faudrait donc placer la XIIme dynastie entre 2.300 et 2.100 environ, et l’époque des rois pasteurs et de leurs compétiteurs égyptiens irait de 2100 à 1500 avant notre ère. Je me contente de signaler ce résultat, non comme absolument certain, mais comme assez satisfaisant.
Si nous voulons nous faire une idée de ce qu’était la civilisation égyptienne sous le Moyen Empire et des progrès qu’elle avait pu réaliser depuis la période précédente, nous nous trouvons tout d’abord, de même qu’en ce qui concerne l’histoire proprement dite, en présence de documents extrêmement abondants appartenant à la fin de la XIme et à toute la XIIme dynastie, puis d’une époque singulièrement silencieuse, celle des luttes intestines suscitées par la présence des Hyksos. Ce fait n’a rien que de très naturel et nous obligera, par conséquent, à ne tenir compte dans ce tableau d’ensemble, que des monuments appartenant à la période de gloire du premier empire thébain, de ceux qui se rattachent aux règnes des Amenemhat et des Senousrit, ainsi que de leurs prédécesseurs immédiats.
Il ne reste pour ainsi dire rien des constructions religieuses édifiées par les rois de la XIIme dynastie; les unes ont pu être détruites par les Hyksos, tandis que les autres, les plus nombreuses, ont été reprises par les rois de la XVIIIme dynastie, agrandies et si bien remaniées, que dans les temples colossaux du Nouvel Empire [201] on ne retrouve qu’à grand’peine les traces du petit sanctuaire plus ancien qui en formait le noyau; seules, avec quelques bas-reliefs, les colonnes ont survécu, de belles colonnes monolithes en granit qui présentent, à peu de chose près, les mêmes caractères artistiques que celles de l’Ancien Empire, à quelque ordre qu’elles appartiennent, lotiforme, palmiforme ou papyriforme. Des statues souvent colossales et des sphinx ornaient aussi ces temples; on les trouve réemployés dans les constructions ultérieures et portant bien souvent non [202] pas le nom du roi qui les fit sculpter, mais les cartouches de celui qui se les appropria après coup, suivant un procédé qui paraissait tout naturel aux Egyptiens et que nous n’hésitons pas à qualifier d’usurpation.
Le grand monument qu’un des Mentouhotep de la XIme dynastie fit construire au fond du cirque de Deir-el-Bahari et qui a été découvert et déblayé ces dernières années par M. Naville, est un temple funéraire qui n’était pas voué au culte des dieux, aussi ne fut-il guère remanié aux époques ultérieures. C’est un édifice en terrasses avec rampe d’accès, adossé à la montagne; des colonnades de piliers carrés entourent un massif central qui était peut-être surmonté d’une pyramide, et derrière lequel se trouvaient les naos consacrés aux princesses royales; au fond du sanctuaire aujourd’hui détruit, un long couloir s’enfonçait dans le rocher et aboutissait à une petite chambre qui contenait un grand naos d’albâtre, destiné probablement à recevoir une statue de roi.
Les autres souverains de la XIme dynastie n’avaient que des tombeaux de petites dimensions, assez semblables [203] à ceux des simples particuliers; les grands rois de la XIIme adoptèrent le mode de sépulture de leurs prédécesseurs de l’Ancien Empire, la pyramide, sans toutefois chercher à édifier des monuments aussi colossaux. A Licht et à Dahchour, de même qu’à Hawara et à Illahoun, un revêtement très soigné, en calcaire et même par places en granit, recouvre, ou plutôt recouvrait, puisqu’il a en partie disparu, une maçonnerie plutôt défectueuse en pierre ou en briques; les chambres funéraires sont non plus dans la pyramide même, mais à une grande profondeur au-dessous de celle-ci, et les couloirs habilement dissimulés n’ont pas empêché ces tombeaux d’être entièrement pillés. A côté du monument royal, des caveaux étaient réservés aux reines et aux princesses, caveaux d’où sont sortis les trésors inestimables qui ont été trouvés il y a quelques années par le Service des Antiquités de l’Egypte. Du côté est s’élevait la chapelle funéraire, du type déjà connu, avec ses vestibules, sa cour centrale, son sanctuaire et ses magasins; un grand mur encerclait le tout.
Les fonctionnaires continuent à se faire ensevelir à côté de leur souverain, mais leurs mastabas ne sont plus comparables à ceux de la période précédente. Ce sont de simples massifs de maçonnerie de petites dimensions, ornés d’une stèle sur la face est; la chambre funéraire se trouve immédiatement au-dessous, et on y accède par un puits foré au nord du monument extérieur.
Les tombeaux des seigneurs provinciaux et des princes des nomes de la Haute Egypte sont autrement plus originaux et plus intéressants pour nous, puisque certains d’entre eux, ceux de Bersheh et surtout ceux de Beni Hassan nous fournissent la plus merveilleuse série de documents figurés concernant la vie publique et privée de l’époque. Ces monuments appartiennent à la [204] classe des hypogées ou tombeaux rupestres, comme nous en avons déjà vu quelques-uns sous l’Ancien Empire; ils sont entièrement creusés dans le rocher, à flanc de coteau, et les colonnes qui soutiennent le plafond ne sont pas rapportées, mais ménagées dans la masse même, au cours du travail d’excavation. Ces hypogées sont précédés d’un portique largement ouvert du côté de la plaine du Nil, soutenu par deux de ces piliers droits, sans chapiteau, aux arêtes abattues, qu’on a pris longtemps, à cause de leur fût cannelé et de leur petit abaque plat, pour la forme la plus ancienne de la colonne dorique; de là le nom de «colonnes protodoriques» qui leur est resté. Une porte s’ouvre sur une salle carrée de grandes dimensions, au plafond soutenu [205] par quatre colonnes ou davantage, et au fond de laquelle s’ouvre une niche profonde, servant en quelque sorte de sanctuaire; un puits descend au caveau funéraire. Les parois sont entièrement couvertes de peintures sur enduit, plus complètes encore que les tableaux sculptés dans les mastabas. Elles retracent avec une vie et un naturel souvent admirables, les scènes les plus diverses de la vie des champs comme de celle des gens de métier.
Les personnages de moindre importance, qui ne pouvaient avoir une sépulture aussi complète, se contentaient d’un simple caveau souterrain, au fond d’un puits, et arrivaient à entasser dans cet étroit espace tout ce qui pouvait leur être [206] utile pour la vie de l’au-delà. L’art de la momification en était encore à peu près au même point qu’à la période memphite, et l’on se contentait sans doute de dessécher les corps au moyen d’alun ou de natron, car de tous ceux qui nous sont parvenus, il ne reste guère que les os. Le mort ainsi préparé, on l’enveloppait d’un épais maillot de linges, de linceuls et de bandelettes; on plaçait parfois sur le haut du corps un masque en cartonnage peint, et on le couchait sur le côté, la tête appuyée sur un chevet, au fond d’un sarcophage rectangulaire en bois, aux parois épaisses, couvertes de peintures au dehors comme au dedans, et [207] muni d’un couvercle plat ou bombé. La décoration extérieure consiste le plus souvent en bandes de grands hiéroglyphes entre lesquelles on peignait parfois toute une ornementation architecturale montrant que le sarcophage [208] était considéré comme une maison, donc comme l’habitation même du mort, une maison d’un modèle archaïque, construite en bois avec des stores en nattes de couleur pour fermer les baies. A l’intérieur, on inscrivait de longs textes funéraires analogues à ceux des pyramides et destinés à assurer au défunt la sécurité dans le monde des enfers; au-dessus de ces textes court une large frise où sont peints les objets qui devraient en réalité figurer dans le mobilier funéraire: pièces de costume, coiffures, bijoux, armes, sceptres, outils, vases, meubles, toujours suivant le principe que la figuration d’un objet suffit pour remplacer l’objet lui-même quand il s’agit d’une ombre, du double immatériel d’un homme. Il arrive aussi qu’on voie déjà paraître, à l’intérieur du grand sarcophage, le cercueil anthropoïde qui renferme la momie elle-même et qui devient le modèle courant du sarcophage au Nouvel Empire; ce type de cercueil n’est que le développement normal du masque funéraire habituel.
Quant au mobilier funéraire proprement dit, il est en général modeste. Dans les tombeaux des princesses de la famille royale, on ne trouve guère que la série des vases à onguents et à parfums, des sceptres et une certaine quantité de bijoux, merveilles d’art et de goût, qui sont parmi les plus belles choses que l’antiquité [209] égyptienne nous ait livrées. Chez les particuliers il y a d’abord la caisse carrée, absolument indispensable du sarcophage, faite sur le même modèle que lui, et contenant les quatre vases canopes, où l’on enfermait les viscères du mort, puis quelques vases grossiers ayant contenu des victuailles, enfin des imitations d’armes et des groupes de bois stuqué et peint, représentant des scènes de la vie familière. Ces scènes sont les mêmes qu’on voit figurer ailleurs, en bas-relief ou en peinture, sur les parois des mastabas et des tombeaux rupestres, mais traitées avec plus de naturel et de naïveté: nous y voyons représentés des cuisiniers, des porteurs et des porteuses d’offrandes, la fabrication du pain et de la bière, et surtout des bateaux, reproduction des grandes barques de l’époque avec leur gréement complet et leur équipage. Malgré leur facture souvent un peu grossière, ces petits monuments sont peut-être l’image la plus parfaite, en tous cas la plus expressive, de la vie des anciens Egyptiens.
La cachette aux statues, le serdab, n’existe plus dans la tombe du Moyen Empire, et s’il se trouve encore dans le tombeau une statue du mort, celle-ci n’est plus que très rarement en pierre, mais presque toujours en bois et souvent de très petite dimension. Il y a ici évidemment une évolution dans les idées funéraires: la notion du ka, du double qui pour subsister a besoin d’un support à défaut du corps lui-même, existe toujours, mais tend à se transformer; il semble qu’elle se spiritualise en quelque sorte et qu’une petite image du mort, image souvent informe, lui suffise, et cela plutôt par tradition que par besoin réel. C’est à ce moment qu’on voit apparaître les premières statuettes mummiformes représentant le défunt, prototypes des innombrables statuettes funéraires ou oushabtis du Nouvel Empire.
Pour les morts d’une classe moins élevée, ceux qu’on ensevelissait à même le sol, on avait en certaines régions la coutume de poser au-dessus de la tombe une petite maison en terre cuite, reproduction en miniature de l’habitation des vivants, et qui devait servir de domicile à l’âme: privée de ce pied-à-terre si sommaire, cette âme eût risqué d’errer sans trêve à l’aventure et de disparaître misérablement.
Les constructions civiles, palais, maisons, magasins, faites en briques et en bois, et n’ayant aucune prétention à la durée, ont disparu presque partout en Egypte; nous sommes un peu plus favorisés cependant pour le Moyen Empire que pour les autres époques, puisqu’on a retrouvé au Fayoum des restes importants d’agglomérations de maisons, vraies villes composées de petites habitations en briques, serrées les unes contre les autres et séparées par de longues rues droites; c’est là sans doute qu’habitaient des ouvriers et des employés dont les papiers, restés cachés dans le coin des chambres, sont parvenus jusqu’à nous: ces précieux documents sur papyrus contenaient des écrits de toute sorte, mais surtout des lettres et des comptes.
Pour ce qui est de l’architecture militaire, de hautes et massives forteresses en briques crues remplacent les simples enceintes formées d’une épaisse muraille, en usage sous l’Ancien Empire. Nous avons, à la frontière méridionale de la Nubie, deux bons exemples de ces constructions, qui dominent de très haut le terrain environnant et qui devaient opposer une très grande résistance à l’escalade et à la sape. Le progrès réalisé dans ce domaine est très naturel et cela n’a rien d’étonnant, puisque la monarchie égyptienne, à cette époque, a un caractère militaire très prononcé et se distingue en cela très nettement de celle de la période précédente.
La statuaire du Moyen Empire continue à suivre, presque sans s’en écarter, les traditions des dynasties [213] memphites; ses procédés sont identiques, et c’est à peine si nous pouvons signaler un peu plus de fini dans les parties qui étaient autrefois laissées le plus souvent à l’état d’ébauches, les jambes et les pieds. Ce sont toujours les mêmes formes, les mêmes attitudes, avec plus de délicatesse peut-être, mais moins de puissance; on recherche moins la ressemblance exacte, réaliste, de la figure à reproduire, qu’une sorte de portrait idéalisé qui n’a plus sans doute que les caractères généraux de l’original: ainsi dans les dix statues de Senousrit I découvertes à Licht, statues identiques de dimension et de matière, sorties ensemble d’un même atelier, toutes les têtes, qui à première vue paraissent semblables, sont dans le détail très différentes les unes des autres et cependant les traits d’ensemble restent les mêmes et se retrouvent aussi dans les autres statues du même souverain.
Sous le Moyen Empire les statues sont beaucoup moins abondantes que sous l’Ancien, car les particuliers, quelle que fût leur position, n’en déposaient plus guère dans leur tombeau. Encore ces statues sont-elles presque uniquement en bois, les unes de grandeur naturelle, d’autres très petites. Seuls les très hauts personnages avaient le droit de placer dans les temples une image faite à leur ressemblance; les rois par contre y dressaient souvent des statues colossales en granit, dont plusieurs sont parvenues jusqu’à nous, ainsi que les sphinx, également en granit, qui bordaient les avenues de ces temples, sphinx dont la tête était toujours un portrait plus ou moins fidèle du roi régnant. D’autres statues, moins grandes, ornaient les parties apparentes des tombeaux royaux et parfois même on déposait une statue du ka ou du double dans le caveau funéraire, près du sarcophage, comme dans les tombeaux des simples particuliers. Telle la statue de bois du jeune roi Hor Aouabra, qui fut probablement co-régent de son père Amenemhat III, monument délicieux de travail, d’expression et de sentiment, qui restera un des joyaux de l’art égyptien.
Il n’y a pas non plus de grandes modifications à signaler dans la manière de traiter le bas-relief; un dessin ferme et pur, un relief peu marqué, un modelé très délicat, souvent à peine perceptible, sont les caractères généraux de cette branche de la sculpture qui, comme la [215] statuaire, est toujours empreinte d’une grande distinction et d’une remarquable noblesse d’allure.
Nous avons vu, en parlant de l’Ancien Empire, que toute sculpture devait être peinte, au moins en principe. La simple peinture sur enduit, qui ne se distinguait pas à première vue du bas-relief polychrome, était soumise aux mêmes lois que ce dernier quant à la disposition [216] générale et la composition, mais constituait un moyen d’expression singulièrement plus rapide et économique. Pour les peintres du Moyen Empire, le souci de la perfection artistique ne passe qu’en seconde ligne: ils donnent libre cours à leur fantaisie, toujours maintenue, il est vrai, par une certaine routine, dans le même procédé d’exécution, et ils s’appliquent avant tout à rendre aussi vivant que possible le sujet qu’ils ont à traiter.
La céramique ne présente aucun caractère spécial; de plus en plus les vases en terre sont réservés aux usages vulgaires, et leur facture est généralement peu soignée. Par contre les nombreux petits vases en pierre dure qu’on continue à fabriquer et qui sont destinés à contenir des parfums ou des onguents sont d’un travail extrêmement remarquable. Les matières les plus précieuses sont employées pour cela: l’obsidienne, le lapis-lazuli et la cornaline, aussi bien que l’albâtre, qui continue à être d’un usage courant. [217] L’usage des vases de bronze persiste aussi, comme par le passé.
Dans la bijouterie et la joaillerie, les orfèvres de la XIIme dynastie sont arrivés à un degré de perfection qui ne sera plus dépassé et qui fait encore l’admiration de tous les spécialistes; ils taillent et calibrent les pierres avec la plus grande précision, fondent et cisèlent les métaux, emploient le filigrane. Mais leur triomphe incontestable est le bijou ciselé, ajouré et champlevé, avec incrustations de pierres telles que le lapis, la turquoise et la cornaline. La composition du bijou est toujours digne de son exécution, qu’il s’agisse d’un minuscule hiéroglyphe servant d’élément de collier, d’un pectoral pouvant être considéré comme un vrai bas-relief historique en miniature, d’une garde de poignard ou d’un diadème représentant une couronne de fleurs naturelles.
La première monarchie thébaine a un caractère très différent de celui des dynasties memphites, qui était, comme nous l’avons vu, essentiellement pacifique; de [218] simples nomarques qu’ils étaient, les princes de Thèbes avaient acquis le pouvoir suprême au prix de longues luttes. Il était donc bien naturel qu’ils continuassent à faire de l’armée leur principal soutien et que, pour ne pas la laisser inactive, ils l’employassent à pacifier les contrées avoisinantes et à étendre les frontières de l’Egypte. Les rois de la XIIme dynastie ne sont pas, à proprement parler, des conquérants, mais des souverains dont le but est d’assurer le tranquille développement de leur pays en tenant en respect leurs voisins, nomades plus ou moins sauvages et toujours disposés à faire des incursions dans la riche vallée du Nil, et en créant sur le point le plus facilement accessible, le sud, une marche bien fortifiée. Sitôt que cette activité militaire se ralentit, comme cela semble avoir été le cas sous Amenemhat III et ses successeurs, les barbares, qui sont ici les Hyksos, fondent sur le pays et le soumettent, en partie du moins. Il faudra de longs siècles aux vrais Egyptiens pour les chasser et reprendre le pouvoir, et ce nouvel apprentissage de la guerre sera [219] cause de l’avènement des grands conquérants de la XVIIIme dynastie.
Pour assurer la transmission régulière des pouvoirs royaux de père en fils et éviter les compétitions possibles, Amenemhat I, dans les dernières années de son règne, associa au trône son fils Senousrit I qui fut chargé de diriger l’armée et les expéditions en dehors de l’Egypte, tandis que le vieux souverain continuait à s’occuper de la politique intérieure. Tous les rois de la XIIme dynastie suivirent cet exemple et prirent à un moment donné leur héritier présomptif comme co-régent.
Le système féodal ne disparut pas dès l’avènement de la XIIme dynastie; les princes des nomes, reconnaissant l’autorité supérieure et la suzeraineté du roi, continuèrent à administrer comme auparavant leur province, sur laquelle ils avaient des droits très étendus: le peuple des campagnes, fellahs ou paysans, fournissait les soldats et pouvait être réquisitionné pour toutes sortes de corvées, spécialement pour les gros transports et les constructions; de lourdes redevances pesaient sur eux, aussi bien sur les paysans soi-disant libres, que sur les serfs et les tenanciers des domaines princiers. Les habitants des villes jouissaient d’une plus grande liberté, tout en étant aussi sous l’autorité directe du nomarque; dans ces cités se groupaient les artisans, les scribes et les fonctionnaires de toute sorte, tous gens d’une classe très supérieure au menu peuple des campagnes. Une légion d’employés, inspecteurs, percepteurs, chacun ayant sa charge nettement délimitée, veillait au bon fonctionnement de ces petits états, dont le prince payait au roi une redevance régulière et lui fournissait des troupes exercées, sur une simple réquisition; [220] il avait sans doute à ses côtés un représentant du souverain. Quant au pouvoir judiciaire, il était presque entièrement entre les mains du pouvoir central.
Cependant cet ordre de choses ne devait pas durer et la centralisation s’opérait peu à peu. Vers la fin de la dynastie, les nomarques disparaissent ou tout au moins leur rôle est si effacé qu’on ne les voit plus paraître. Par contre le nombre des fonctionnaires royaux augmente considérablement; ce sont eux maintenant qui sont chargés non seulement de la justice, mais de toute l’administration civile et militaire, qui perçoivent les redevances, tiennent constamment à jour les registres de la population, du bétail et du cadastre, institution nécessaire dans un pays comme l’Egypte, soumis aux empiétements d’un fleuve dont le cours n’est pas encore définitivement fixé.
Nous avons vu la conquête de la Nubie, l’occupation des Oasis, la pacification des contrées désertiques bordant l’Egypte et les campagnes en Syrie; toutes ces opérations, qui furent la préoccupation constante des rois de la XIIme dynastie, avaient eu pour résultat le développement du commerce, favorisé par la tranquillité et la sécurité régnant aux abords de l’Egypte. Les produits du Soudan et de la Syrie arrivent donc dans la vallée du Nil, par caravanes, plus facilement que jamais; de plus, les expéditions au pays de Pount, au pays des Somalis, d’où l’on tirait l’encens, l’ivoire et d’autres objets précieux, paraissent être devenues plus fréquentes, tant par eau, le long des côtes de la Mer Rouge, que par la voie de terre, par le Soudan et l’Abyssinie. Il en est de même pour les relations avec les îles grecques: la poterie dite de Kamarès, qui provient certainement de ces régions se retrouve parfois dans des tombes de la [221] XIIme dynastie, et réciproquement on rencontre souvent en Crète, en Grèce et jusqu’en Etrurie des objets appartenant au premier empire thébain.
Les marchandises importées en Egypte étaient surtout des matières premières, et tout particulièrement les métaux, comme par le passé; en échange, les Egyptiens livraient à leurs voisins toute sorte d’objets ouvrés, et aussi du grain. Nous savons par les récits bibliques que la vallée du Nil était un peu le grenier du monde oriental, et que dans les années de disette ce n’était guère que là qu’on pouvait aller s’approvisionner. C’est en effet sous le Moyen Empire que durent vivre les patriarches qui, après avoir mené la vie des nomades en Palestine, finirent par se fixer dans un petit district du Delta. Abraham dut venir en Egypte pendant le règne de la XIIme dynastie, et c’est presque un tableau de son arrivée avec sa famille et ses serviteurs, que cette peinture célèbre de Beni Hassan, où l’on voit des fonctionnaires égyptiens amener à leur prince une tribu de nomades sémites, avec leurs lourds costumes bariolés, leurs bestiaux, leurs armes et leurs bagages et apportant avec eux de l’antimoine et d’autres produits qu’ils cherchent sans doute à échanger. L’arrivée [222] de Joseph en Egypte, son élévation aux plus hautes dignités et l’installation de sa famille au pays de Goshen ou Kesem, dans les environs de la ville fortifiée d’Avaris, doivent se placer sous un des rois hyksos, nous ne pouvons savoir au juste lequel. Les noms égyptiens que donne le texte hébreu peuvent être rapprochés de certains noms qui étaient en effet employés sous le Moyen Empire et ne sont pas sans doute, comme on l’a cru pendant longtemps, la transcription de noms saïtes, ce qui forcerait à reporter la composition même du récit biblique à une très basse époque. Toute cette série de récits constitue pour nous un précieux document pour la connaissance des relations entre les Egyptiens et leurs voisins.
Il n’y a pas lieu de revenir sur l’organisation de la famille, pas plus que sur les conditions de la vie privée qui continuent à être les mêmes, à peu de chose près, que sous l’Ancien Empire. La nourriture aussi est la même, ainsi que la manière de manger, et on attache toujours autant d’importance aux soins de propreté. Une petite différence se remarque dans le costume des hommes, car si les gens du peuple continuent à porter le petit pagne court, celui des personnages de qualité s’allonge et forme une sorte de jupon plus ou moins ample, descendant jusqu’aux mollets ou même jusqu’aux chevilles; le grand manteau est d’un usage fréquent, comme si le climat s’était refroidi, ce qui est du reste peu probable.
Nous connaissons les villes où habitaient les ouvriers et qui ont été retrouvées au Fayoum, avec leurs petites maisons serrées les unes contre les autres, avec leurs étroites rues droites; nous avons aussi des modèles en terre cuite des maisons où vivaient les gens d’une classe [223] un peu supérieure: une cour entourée d’un mur, au milieu de laquelle se trouvait un étang, précédait l’habitation, qui était elle-même de dimensions assez restreintes; un péristyle à colonnes s’ouvrait largement sur la cour, et les chambres se trouvaient au fond, derrière cette galerie. L’escalier extérieur montait à la terrasse où aboutissaient les grandes bouches à air destinées à la ventilation des appartements et sur laquelle [224] parfois de petites chambres étaient construites (fig. 176). Il ne nous est resté aucune trace des palais royaux ni de ceux des grands seigneurs.
Les procédés de pêche et de chasse, de même que les engins employés, sont les mêmes que sous l’Ancien Empire: le filet, la ligne et le harpon pour la pêche, le lasso, l’arc, le boumerang, le filet et le piège simple pour la chasse. Il faut cependant signaler le fait que les grands seigneurs se constituaient des réserves de gros gibier, de vrais parcs de chasse enclos de palissades et de treillages, où ils pouvaient à leur gré et sans avoir la difficulté d’aller les chercher au loin dans le désert, abattre à coups de flèches les bœufs sauvages, les lions, les antilopes ou les autruches.
L’agriculture étant une des principales ressources du pays, est toujours l’objet d’une attention spéciale de la part du gouvernement; la quantité des terrains cultivables augmente aux dépens des pâturages, grâce à une méthode d’irrigation toujours en voie de développement. Nous ne savons pas quels canaux furent creusés à cette époque, mais nous voyons des rois comme Amenemhat III entreprendre des travaux considérables tels que le lac Mœris qui était très vraisemblablement destiné, ainsi que l’affirment les Grecs, à régulariser les irrigations dans la partie la plus fertile du pays. Le même souverain fit établir un nilomètre sur les rochers de la deuxième cataracte, à l’extrême frontière de ses états, pour surveiller l’inondation et en prévoir d’avance les conséquences pour l’Egypte. Grâce à tous ces efforts et bien que l’outillage ne se fût guère amélioré, le rendement des terres augmentait dans de grandes proportions et l’Egypte devenait le plus grand magasin de grain de l’Orient.
L’élevage tend à diminuer, et l’on ne trouve plus guère que dans certains cantons où le sol est moins fertile qu’ailleurs et moins apte à la culture, les immenses troupeaux de bétail à demi sauvage. Il était réservé aux Hyksos d’introduire dans la faune domestique du pays un nouvel animal, le cheval, innovation qui devait, comme nous le verrons, avoir les conséquences les plus importantes pour l’Egypte.
L’augmentation des produits du sol devait nécessairement amener le développement du commerce intérieur et, partant, de la navigation fluviale, qui était aussi l’objet de la sollicitude du gouvernement, puisque nous voyons un des rois faire exécuter de grands travaux pour rendre navigable la première cataracte en y creusant un chenal suffisamment profond. Les bateaux employés d’ordinaire sont les grandes barques pontées à voile carrée, dont le modèle date de la fin de l’Ancien Empire. Quant à la navigation sur la Méditerranée et [226] la mer Rouge, les documents que nous possédons sont insuffisants pour pouvoir en faire une étude sérieuse, au moins en ce qui concerne le Moyen Empire. Il est cependant probable qu’on employait pour cela des bateaux plus grands et plus forts, mais du même modèle que ceux du Nil.
Les scènes figurées, en bois stuqué, déposées au fond des caveaux funéraires, de même que les tableaux peints dans les tombes, nous montrent que, comme sous l’Ancien Empire, la population de l’Egypte ne s’adonnait pas exclusivement à l’agriculture, mais que l’industrie y était aussi en honneur. Les procédés employés sont toujours à peu près les mêmes procédés simples tels qu’on les retrouve chez tous les peuples jeunes, où l’on ne se livre pas à la grande industrie et où l’on ne fabrique les objets qu’au fur et à mesure des besoins.
On remarque entre autres de nombreuses représentations de la fabrication des étoffes: dans le gynécée même des grands seigneurs, des femmes sont occupées à [227] filer le lin tandis que d’autres se livrent au tissage; les métiers employés par ces femmes sont de formes diverses, suivant le genre d’étoffes qu’elles doivent faire, et ces métiers, d’un mécanisme simple et pratique, leur permettaient de tisser des toiles d’une finesse et d’une régularité remarquables, qu’on a retrouvées en grande quantité dans les tombeaux.
De l’Ancien Empire, il ne nous est parvenu aucune œuvre qu’on puisse qualifier de littéraire: les textes des pyramides sont de nature purement religieuse et magique, et les inscriptions tombales comme les biographies [228] sont des récits très simples qui ne témoignent d’aucune recherche de style ou de composition. L’époque suivante nous a, par contre, fourni une longue série d’ouvrages qui, s’ils ne sont pas très étendus, ont du moins un caractère littéraire très marqué. Ces écrits sont de toute sorte, de vrais poèmes comme le chant du harpiste ou le dialogue d’un désespéré avec son âme, des contes comme l’histoire de Sinouhit et celle du roi Khéops et des magiciens, des morceaux d’éloquence comme la plaidoirie du paysan, des traités de morale comme les préceptes de Kaqemna et de Ptahhotep. A côté de cela on trouve encore de nombreux livres religieux ou magiques, des livres de médecine et des traités scientifiques. Tous ces ouvrages sont composés dans une langue très belle et très pure, encore exempte de tout élément étranger, avec une recherche de style marquée, des phrases simples et claires dans lesquelles on voit que les scribes égyptiens affectionnaient l’allitération et le jeu de mots, tout en employant toujours le mot propre. Ces papyrus, qui nous sont parvenus en très bon état de conservation, ne constituent pas un des moindres titres de gloire du Moyen Empire et c’est avec raison qu’on a pu dire de cette période qu’elle est l’époque classique de la littérature égyptienne.
NOUVEL EMPIRE
(1500 à 332 avant J.-C.)
La prise de la forteresse d’Avaris, le dernier retranchement des rois hyksos dans le Delta, et l’expulsion définitive des souverains sémites marque la date la plus importante peut-être de toute l’histoire d’Egypte. Le grand mouvement national, après des siècles de luttes stériles, avait enfin trouvé dans les princes de la XVIIme dynastie des chefs capables de le mener à bien; leur triomphe inaugure une ère de gloire et de puissance telle que l’Egypte n’en avait jamais connu auparavant, et qui est l’apogée de l’empire pharaonique. Cette date, [230] plusieurs historiens l’indiquent avec précision, mais leurs données sont loin de s’accorder, aussi me paraît-il plus prudent de donner ici encore des chiffres approximatifs et de placer l’expulsion des Hyksos et le début de la XVIIIme dynastie aux environs de l’an 1500.
Il n’y a aucune solution de continuité, pas même un changement de famille régnante, entre la XVIIme et la XVIIIme dynastie; seule l’expulsion des Hyksos en marque la séparation, et le roi qui réussit à parachever la libération du sol égyptien, Ahmès, est en même temps le dernier souverain de la XVIIme et le premier de la XVIIIme. Les fragments de Manéthon qui indiquent comme composant cette dernière dynastie 15 rois ayant régné 259 ans en tout, non compris Ahmès, considéré ici comme appartenant au groupe précédent, contiennent diverses confusions dans les noms de rois; plusieurs de ces souverains sont dédoublés tandis que d’autres sont réunis sous un seul nom, mais les chiffres que donne Manéthon correspondent assez bien aux indications des monuments et leur total peut être considéré comme conforme à la réalité. La XVIIIme dynastie se placerait donc, approximativement, et avec un écart possible de 50 ans au plus, entre 1500 et 1200 avant J.-C. Ahmès ne se borna pas à chasser les Hyksos d’Egypte; il les poursuivit jusque dans la Syrie méridionale et leur infligea une nouvelle défaite en s’emparant de la ville dans laquelle ils s’étaient réfugiés, et sans doute les extermina définitivement, car ils ne reparaissent plus dans l’histoire.
L’empire une fois reconquis, il s’agissait de le réorganiser, car les préoccupations militaires avaient sans doute absorbé, pendant le siècle qui venait de s’écouler, toute l’activité des rois nationaux. Ce fut la tâche du [231] fils et successeur d’Ahmès, Aménophis I, qui s’en acquitta, pendant son court règne de 13 ans, à la satisfaction universelle, puisque après sa mort il fut divinisé non seulement de façon officielle, comme tous les rois, mais par le peuple même de sa capitale: lui et sa femme Ahmès Nofritari sont considérés comme les patrons de la nécropole thébaine pendant tout le début du Nouvel Empire. Autant que nous pouvons en juger, ses successeurs continuèrent son œuvre et mirent tous leurs soins à augmenter le bien-être du pays.
Pendant ces longues luttes, l’Egypte était devenue une vraie puissance militaire; elle possédait une armée bien exercée qu’on ne pouvait laisser dans l’inaction. Cette armée n’était plus tout à fait la même que jadis, elle possédait un élément nouveau, la charrerie, et les Egyptiens avaient rapidement perfectionné cette arme, dont ils devaient la connaissance aux rois hyksos, et qui était déjà depuis longtemps en usage chez les Syriens. Les soldats qui montaient ces chars attelés de deux chevaux combattaient de loin avec leurs flèches et leurs javelines, et le choc de leurs escadrons compacts pouvait décider du sort des batailles. L’infanterie était aussi mieux armée, le métal ayant partout remplacé le silex des anciens temps, et beaucoup de soldats n’étaient plus à moitié nus comme autrefois, mais vêtus de cottes [232] capitonnées et de bonnets rembourrés qui les préservaient dans une certaine mesure.
Aménophis I avait déjà employé son armée pour de petites expéditions de frontières contre les Libyens et les nègres, mais ce fut son fils Thoutmès I qui inaugura l’ère des grandes conquêtes; il envahit la Syrie et la soumit en grande partie, jusqu’à l’Euphrate, où il posa des stèles-frontières, puis il poussa avec ses armées très loin dans le Soudan, sans négliger pour cela d’entreprendre dans l’Egypte même des travaux importants. A sa mort, après une vingtaine d’années de règne, il ne laissait pour lui succéder qu’un fils né d’une femme qui n’était pas de souche royale, Thoutmès II, qui pour légitimer en quelque sorte son accession au trône, dut épouser sa demi-sœur Hatshepsou, en qui coulait un sang plus pur. Il continua l’œuvre de son père, mais n’eut qu’un règne très court. Après lui la couronne revenait à son très jeune fils Thoutmès III, né aussi d’une femme de race non royale; sa tante Hatshepsou profita de sa minorité pour s’emparer de la régence, régna d’abord en son nom et à côté de lui, puis le relégua dans l’ombre et s’arrogea le titre de roi d’Egypte.
Sauf une grande expédition maritime au pays de Pount, expédition qui a du reste un caractère nettement commercial et politique et aucunement militaire, Hatshepsou concentra toute son activité sur l’Egypte elle-même, qu’elle administra sagement, avec [233] le concours de ministres d’une réelle valeur, s’appliquant à faire disparaître les dernières traces du néfaste passage des rois hyksos. Elle restaura des temples et en construisit d’autres, comme celui de Deir el Bahari, qui était consacré à son culte funéraire et qui, étant une des œuvres artistiques les plus remarquables de la dynastie, perpétue, aussi bien que le grand obélisque de Karnak, le souvenir de cette reine qui sut mener à bien l’œuvre intérieure des rois ses prédécesseurs, la réorganisation du pays.
Thoutmès III étant arrivé à l’âge de raison, la régente, le «roi Hatshepsou», comme elle s’appelait elle-même, lui fit épouser sa propre fille, mais sans lui laisser pour cela la place à laquelle il aurait eu droit; il était donc assez naturel qu’il conçut envers elle des sentiments de rancune et que plus tard, quand il fut enfin maître du pouvoir, il cherchât à diminuer ou même à faire disparaître le souvenir de son illustre tante. Ce fait très simple a fait naître de longues contestations parmi les égyptologues au sujet de l’ordre de succession des premiers rois de la XVIIIme dynastie, et aujourd’hui les discussions sur ce point n’ont pas encore cessé.
Après 22 ans pendant lesquels Hatshepsou avait assumé les charges et les bénéfices du pouvoir, Thoutmès III [234] devait encore régner seul pendant 48 ans; c’est non seulement un des plus longs règnes qu’enregistre l’histoire d’Egypte, c’est encore le plus glorieux. Profitant de quelques années où le joug égyptien avait pesé sur eux avec moins de force, les princes syriens avaient sans doute reconquis en partie leur indépendance; aussitôt sur le trône, Thoutmès prit en personne le commandement de son armée, envahit la Palestine et la Syrie et commença par une série de victoires cette suite de campagnes qui durent recommencer chaque printemps, pendant près de vingt ans, jusqu’au moment où l’autorité du pharaon fut établie de façon absolument effective sur l’Asie antérieure jusqu’à l’Euphrate tout au moins. Les fils des princes, emmenés comme otages, étaient une garantie de la fidélité de leurs pères et de la rentrée régulière des tributs; du côté de la Nubie il ne paraît pas y avoir eu de difficultés et les peuplades nègres payaient régulièrement leurs redevances; Chypre, les îles grecques et le pays de Pount envoyaient aussi leurs produits, peut-être pour faire acte de vassalité, comme le disent les Egyptiens, mais plus probablement pour en faire le commerce et obtenir des échanges. Jamais l’Egypte n’avait été si puissante et si florissante; Thoutmès III puisa largement à ce trésor qui se renouvelait sans cesse et s’en servit pour entreprendre des constructions importantes sur tous les points de ses états, depuis le fond du Soudan et les Oasis jusqu’aux [235] confins de la Syrie, mais surtout dans sa capitale, Thèbes, qu’il tint à honneur d’embellir et de développer. C’est dans le temple d’Amon à Karnak, entre autres, considérablement agrandi par lui, qu’il grava le récit de toutes ses campagnes, cette source si précieuse pour l’histoire, en même temps que l’image de la plupart de ses ancêtres. Toute la fin de son règne fut consacrée à l’accomplissement de ces travaux pacifiques.
Aménophis II, son fils, puis Thoutmès IV, son petit-fils, lui succédèrent sans égaler sa gloire; leurs règnes, de peu de durée, n’offrent aucun événement mémorable: quelques expéditions en Syrie pour réprimer des révoltes locales et introniser de nouveaux vassaux, ainsi que des constructions de peu d’importance, comparées à celles de leur illustre père et aïeul.
C’est encore une grande figure que celle d’Aménophis III, fils de Thoutmès IV, qui régna 37 ans, fut un habile diplomate, un politique et un organisateur de grand talent, en même temps qu’un constructeur infatigable, un guerrier et un chasseur ne redoutant aucun danger. Il n’étendit pas les conquêtes de ses ancêtres, mais sut maintenir ses vassaux dans l’obéissance et il ne semble pas qu’il y ait eu de son temps la moindre tentative de révolte. Les gouverneurs locaux, [236] qui sont en général des indigènes, envoient à la cour leurs rapports réguliers, et les rois voisins de l’Assyrie, de Babylone et de Mitanni cherchent à entrer en faveur auprès du puissant pharaon, ainsi qu’en témoignent les fameuses tablettes de Tell el Amarna, les archives de la politique étrangère à cette époque. Les constructions monumentales deviennent de plus en plus nombreuses, et les plus beaux temples d’Egypte datent presque tous de ce règne, qui, au point de vue artistique, a une importance capitale. Dans son œuvre si complexe, Aménophis III était admirablement secondé par son ministre, un homme qui mérita d’être plus tard divinisé, Amenophis fils de Paapis.
Le personnage le plus énigmatique de toute l’histoire d’Egypte est le fils et successeur de ce grand roi, celui qui commença par porter le nom d’Aménophis IV; sa mère, la reine Thii, une Egyptienne de basse ou tout au moins de moyenne naissance, avait déjà réussi à prendre à la cour de son mari une place très importante et tout à fait inaccoutumée, et nous devons sans doute attribuer à son influence la réforme religieuse qui caractérise ce règne et qui devait amener une perturbation profonde dans toute l’Egypte et le déclin [237] rapide de cette glorieuse dynastie. La principale cause de cette révolution profonde bien qu’éphémère, était la raison politique: le clergé d’Amon, dieu de Thèbes, bien plus favorisé par les grands conquérants que ceux des autres sanctuaires du pays, était devenu singulièrement fort, et sa puissance pouvait contre-balancer celle des rois, ce qui arriva du reste quelques siècles plus tard. Désireux de se débarrasser du pouvoir de plus en plus menaçant des grands prêtres d’Amon, et obéissant peut-être aussi à une certaine tendance mystique de son caractère, Aménophis IV imagina un moyen radical: il supprima purement et simplement le dieu de ses pères, devenu gênant. Détruire les immenses sanctuaires construits par ses ancêtres eût été au-dessus de ses forces, aussi se contenta-t-il de les fermer, d’en chasser les prêtres, et de faire marteler le nom d’Amon dans toutes les inscriptions, fût-ce même dans le cartouche de son père ou dans le sien propre. Puis il abandonna Thèbes avec toute sa cour, et fonda dans la Moyenne Egypte une ville nouvelle, sous les auspices du nouveau dieu qu’il venait d’inventer et qui devait remplacer tous les dieux d’Egypte, Aten, le disque solaire, ou plutôt le dieu tout-puissant qui se manifeste par l’intermédiaire du soleil. Ce monothéisme en même temps teinté mysticisme et de matérialisme correspondait trop peu aux idées égyptiennes du temps pour pouvoir durer, mais il offre un intérêt tout particulier, puisque nous n’avons dans toute l’antiquité classique et orientale, aucun autre exemple d’une réforme religieuse analogue. L’idée première de ce culte n’est cependant pas absolument originale mais dérive du culte d’un des plus anciens dieux égyptiens, Rà d’Héliopolis, le Soleil; il y a donc probablement aussi dans la réforme d’Aménophis IV, une réaction des anciens [238] dieux, ou tout au moins de leur sacerdoce, contre le nouveau venu qui les avait supplantés tous, Amon le dieu de Thèbes et des dynasties thébaines.
En même temps qu’il changeait de religion, le roi prenait un nouveau nom, Khounaten, «la splendeur du disque solaire». Sa nouvelle capitale de Khout-aten, [239] «l’horizon du disque», avec ses grands palais, son temple d’Aten, ses villas dont on a retrouvé les ruines, devait avoir un aspect tout particulier, grâce à la nouvelle tendance artistique qui se manifestait chez les sculpteurs et les peintres et qui était due sans doute à l’inspiration du roi lui-même, réagissant jusque dans ce domaine contre les habitudes et la routine. Les artistes égyptiens de l’époque cherchent à faire disparaître de leurs œuvres cette sorte de raideur et de solennité qui de nos jours inspire encore à première vue, à ceux qui ne sont pas initiés à l’art égyptien, un sentiment d’étonnement et même de répulsion; ils serrent de plus près la nature dans la ligne comme dans le mouvement, et dans leur inexpérience de ce nouveau mode d’expression, ils en arrivent parfois à des exagérations qui produisent une impression étrange. Ainsi la figure même du roi est représentée avec le crâne démesurément long, le nez et le menton proéminents, le cou mince, la poitrine étroite, le ventre et les cuisses énormes; les membres de sa famille, les courtisans eux-mêmes imitent dans leurs portraits ces formes étranges et on pourrait croire, à voir ce type nouveau si répandu, que toute la population de l’Egypte s’est modifiée d’un jour à l’autre. Il y a [240] à côté de cela des scènes si parfaites de sentiment et d’intimité, des décorations peintes d’une variété si merveilleuse, que nous sommes obligés de reconnaître dans ces représentants d’un art nouveau des artistes qui sont au moins égaux, peut-être même supérieurs à leurs devanciers.
L’intimité, ou tout au moins l’apparence d’intimité qui règne entre les membres de la famille royale est une des choses qui contribuent peut-être le plus à nous donner de la sympathie pour cet étrange souverain qui prenait en tout le contre-pied de ses devanciers. Qu’il sorte en voiture, la reine et les six princesses l’escortent; qu’il reçoive des ambassadeurs étrangers, qu’il distribue des récompenses à ses sujets, qu’il officie dans le temple d’Aten, toujours sa femme et ses filles se tiennent à côté de lui, le caressant ou l’enlaçant tendrement.
Très occupé par cette transformation radicale du pays, suivant ses doctrines et [241] ses théories nouvelles, Khounaten n’eut pas le loisir de surveiller activement ses possessions asiatiques; il eût fallu y envoyer fréquemment des expéditions armées pour contenir les éléments toujours plus ou moins en effervescence de ces populations auxquelles on avait laissé une autonomie presque complète, et c’est justement ce qui ne fut pas fait. Dans les lettres des gouverneurs de ces pays, qui se trouvent parmi les tablettes de Tell el Amarna, nous voyons sans cesse des demandes de secours contre les insurgés qui deviennent de jour en jour plus forts, et les rois étrangers parlent à Khounaten sur un ton moins humble et moins respectueux que dix ans plus tôt, à son père. Le lien se relâchait peu à peu, l’empire si puissamment organisé commençait à s’effriter, par suite du caprice d’un homme qui se croyait sans doute un génie, mais qui n’avait pas compris qu’une transformation intégrale comme la sienne serait fatalement préjudiciable au pays.
Nous ne savons pas exactement combien de temps régna Khounaten, mais sa réforme ne lui survécut que peu d’années; ses deux successeurs immédiats, qui étaient ses gendres, commencèrent par suivre la même voie que lui, puis le second d’entre eux, auquel une découverte retentissante vient de donner une renommée mondiale, fut forcé d’en revenir à la tradition séculaire de [242] l’Egypte, rouvrit les sanctuaires de Thèbes et changea son nom de Toutankhaten en celui de Toutankhamon. Aucun fait saillant n’illustra ces règnes, pas plus que celui d’Aï qui vint ensuite. La grande tâche de la réorganisation devait incomber à un autre, à un homme qui occupait depuis longtemps une haute position dans le pays, qui devait appartenir de près ou de loin à la famille royale, et qui monta sur le trône sous le nom d’Horemheb. Il fit des expéditions en Nubie pour rétablir dans les pays du sud le prestige de l’Egypte, fit des constructions en maints endroits et embellit les sanctuaires désertés pendant un temps, mais surtout il rétablit en tous points l’ancien ordre de choses et promulgua une série de lois pour réprimer la violence et l’arbitraire, et assurer la protection des faibles. C’est avec cette noble figure que se termine la XVIIIme dynastie.
Le successeur d’Horemheb, Ramsès I, un ancien grand vizir qui n’était sans doute pas apparenté à la famille royale, ne fit qu’une très courte apparition sur le trône, vers 1250 probablement. Son fils Séti I est à tous les points de vue un des plus grands parmi les pharaons. Il consacra toutes les premières années d’un règne dont nous ignorons la longueur, et qui dura peut-être un demi-siècle, à reprendre les colonies asiatiques que [243] possédait l’Egypte avant la crise des rois hérétiques. Horemheb avait déjà rétabli son autorité sur la Nubie, et il lui suffit d’une très brève campagne dans ce pays pour bien marquer sa puissance, puis il se jeta avec toutes ses forces sur la Syrie, qu’il traversa triomphalement du sud au nord, écrasant à plusieurs reprises les indigènes qui avaient repris leur indépendance, et il atteignit les confins du pays des Hittites en Asie Mineure et des royaumes de Babylonie et d’Assyrie, sur le Haut Euphrate. Une expédition contre les tribus libyennes du désert enleva à celles-ci toute velléité de faire des incursions dans la vallée du Nil. L’Egypte avait en apparence, et pour un temps du moins, reconquis toute sa puissance, et Séti pouvait s’occuper en paix de travaux intérieurs; il nous est parvenu des témoins très remarquables de [244] cette activité parmi lesquels figurent son tombeau, le temple d’Abydos et surtout la grande salle hypostyle de Karnak, sur les parois extérieures de laquelle il fit sculpter en tableaux immenses les péripéties de ses campagnes.
De tous les anciens rois d’Egypte, le seul dont l’humanité ait conservé un souvenir vivant est Ramsès II, fils de Séti I, qu’on confond volontiers avec le légendaire Sesostris, et qui jouit en somme d’une réputation très supérieure à son œuvre. Il eut un très long règne, construisit beaucoup, et, en plus de cela, il s’appropria sans le moindre scrupule tous les monuments de ses prédécesseurs, effaçant même parfois leurs cartouches pour y mettre le sien, aussi n’y a-t-il guère de site antique en Egypte où l’on ne trouve son nom. Dès le début de son règne il eut à lutter, dans les provinces asiatiques de son empire, contre un royaume devenu progressivement très puissant et qui occupait une grande partie de l’Asie Mineure, celui des Hittites. Il sut habilement jouer d’un succès qu’il remporta dans sa première campagne et où sa valeur personnelle avait décidé de la victoire; sur la façade de tous ses temples, il fit sculpter cet épisode accompagné d’un poème dithyrambique, le fameux poème de Pentaour, et acquit ainsi une auréole de gloire qui est, sinon imméritée, du moins un peu surfaite. En effet, son succès ne devait pas être décisif, et nous [245] voyons Ramsès, quelques années plus tard, conclure avec ces mêmes rois hittites un traité dont il fait de nouveau très grand état et qui, à tout prendre, met sur un pied d’égalité les deux parties contractantes au lieu d’assurer la supériorité de l’Egypte. Ramsès sut du reste, semble-t-il, maintenir l’intégrité de ses états, et l’orage qui s’approchait de ses frontières n’éclata qu’après sa mort.
Un grand mouvement se préparait en effet contre l’Egypte; avec l’appui des tribus libyennes cantonnées dans le désert, dans la Cyrénaïque et peut-être plus loin encore, du côté de la Tunisie, certains peuples du nord, venant des îles grecques et de la côte d’Asie Mineure, traversèrent la mer, débarquèrent et tentèrent d’envahir la vallée du Nil, dont le souverain était en ce moment Menephtah, le soi-disant pharaon de l’Exode. Ce roi était le trentième fils de Ramsès II, auquel il succéda étant lui-même déjà presque un vieillard, inhabile à conduire des armées. Les généraux auxquels il délégua ses pouvoirs se comportèrent vaillamment et repoussèrent l’invasion; plus tard, ils firent une campagne victorieuse en Syrie, pays également menacé par les ennemis de l’Egypte, et qui n’était sans doute déjà plus vassal des pharaons, à en juger par les termes que Menephtah emploie en parlant des habitants de la contrée, qu’il ne considère plus comme des sujets ou des rebelles, mais [246] comme des adversaires indépendants. Pendant quelques siècles, la monarchie égyptienne avait fait de brillantes conquêtes et les avait défendues âprement, mais elle n’avait pas le caractère d’une puissance expansive et ses colonies asiatiques lui échappèrent sans que nous puissions bien nous rendre compte de quelle façon. Désormais l’Egypte sera réduite à son territoire africain, et si quelques rois, d’un esprit plus aventureux, veulent plus tard tenter des expéditions lointaines, leurs succès ne seront jamais que momentanés et n’auront aucun lendemain.
Ces victoires devaient être les derniers moments de gloire de la XIXme dynastie, et la fin du règne de Menephtah se perd dans l’oubli; ses successeurs, Seti II, Amenmesès, Taousert, Siphtah ne sont guère pour nous que des noms, des êtres sans consistance historique. Peu à peu, sous eux, l’Egypte était tombée en pleine anarchie; des hordes syriennes s’étaient abattues sur le pays et le rançonnaient sans pitié. La décadence était complète au XIme siècle avant notre ère.
L’Egypte devait secouer cependant encore une fois le joug des barbares, grâce à la valeur et à l’opiniâtreté de Setnekht et de Ramsès III, les fondateurs de la [247] XXme dynastie; Setnekht, un parent sans doute des rois de la XIXme, rétablit l’ordre dans le pays même, mais mourut après un très court règne, laissant le trône à son fils Ramsès III. La coalition des peuples de la mer et des Libyens, dissoute par la victoire de Menephtah, s’était reformée et devenait de nouveau menaçante; c’était une vraie émigration de nations entières qui se dirigeaient vers l’Egypte en suivant la côte de la Syrie et de la Palestine; Ramsès les attendait près de la frontière et les défit une première fois, mais ils revinrent à la charge trois ans après et, dans la même journée, leur flotte fut anéantie par celle du roi d’Egypte et leur armée repoussée définitivement; cette fois-ci, les Libyens s’étaient mis aussi en campagne et, Ramsès, immédiatement après sa victoire dans l’est, se retourna contre eux et leur infligea à eux aussi une défaite retentissante. Il n’avait plus rien à craindre du dehors et fut assez sage pour ne pas passer de la défensive à une politique offensive; il se consacra donc exclusivement au bien-être et au développement de son pays, où la paix et la sécurité régnaient de nouveau. Il édifia des monuments splendides, comme ceux de Medinet-Habou, protégea le [248] commerce et l’industrie et combla les temples de richesses. Grâce au grand papyrus Harris, qui contient l’énumération de ses dons et un résumé historique de son œuvre, nous sommes admirablement renseignés sur son règne. Ramsès III cherchait en tout à imiter son illustre ancêtre et homonyme Ramsès II; si son règne fut de moitié plus court, trente-trois ans à peine, l’œuvre qu’il accomplit pendant ce temps est supérieure, semble-t-il, à celle de son célèbre modèle, et elle eût été vraiment durable s’il avait eu des successeurs dignes de lui; malheureusement ceux-ci se montrèrent aussi incapables que les successeurs de Ramsès II et la XXme dynastie finit comme la XIXme, tristement et sans gloire. Les neuf rois qui se succèdent à des intervalles plus ou moins longs et qui portent tous le nom glorieux de Ramsès sont comme les rois fainéants entre les mains des maires du palais, des fantoches sans valeur personnelle, absolument dépendants des prêtres d’Amon; ceux-ci avaient repris la place prépondérante que Khounaten avait cherché à leur enlever, cependant les rois représentaient encore le lien traditionnel qui assurait [249] l’unité de l’Egypte, menacée de tous côtés par des ambitieux désireux de s’arroger une partie du pouvoir suprême.
La dislocation du pays commença en effet dès la disparition du dernier de ces princes, Ramsès XII, détrôné sans doute par le grand prêtre Hrihor, qui tenait depuis longtemps les rênes du pouvoir et voulait porter lui-même la couronne. Une ère nouvelle commence, celle du morcellement de l’Egypte, assez semblable en principe à la période féodale qui sépare l’Ancien du Moyen Empire, à cette différence près que ces roitelets vivent le plus souvent en bonne harmonie les uns avec les autres, s’unissent par des mariages et se repassent sans dispute la prééminence, suivant que l’une ou l’autre des familles a plus de puissance sur le moment. Il semble que l’Egypte soit épuisée par son effort politique et militaire et qu’elle se recueille, attendant des jours meilleurs qui du reste ne pourront être aussi glorieux que par le passé; pendant le début de cette période qui reste encore confuse, bien qu’elle nous ait transmis une foule de documents, aucun ennemi sérieux, venant du dehors, ne menace l’Egypte, mais aucun roi ne domine les autres par ses actes ou par ses capacités. Cette époque est une époque de médiocrité à tous les points de vue, pendant laquelle la civilisation, comme les arts, végète sans se développer, et qui dura de trois à quatre siècles. Il faudrait pouvoir en donner un vaste tableau d’ensemble, chose qui n’est pas encore possible, les éléments étant insuffisants, et nous devons nous borner à suivre la classification de Manéthon en dynasties; chacune de ces dynasties semble d’après lui former un tout indépendant, tandis qu’en réalité elle est intimement liée aux autres, dans un enchevêtrement bien difficile à débrouiller.
Avec Hrihor, les grands prêtres d’Amon s’étaient, comme cela devait fatalement arriver, élevés sur le trône d’Egypte, mais à peine y furent-ils qu’ils se trouvèrent en face de compétiteurs qui n’étaient point négligeables: ceux-ci, moins puissants peut-être que les rois-prêtres qui occupaient Thèbes, avaient pour eux leur naissance, étant parents très rapprochés des souverains déchus. Leur centre était à Tanis, à l’extrême nord-est du Delta, une ville à laquelle Ramsès II avait donné une grande importance comme boulevard de l’Egypte du côté de la Syrie. Ces rois, Smendès, Si-Amon, les Psousennès, firent avec ceux de Thèbes une sorte de compromis et vécurent en bons termes avec Hrihor comme avec ses descendants, les Pânkhi, les Pinodjem, les Masaherta, dont plusieurs du reste se contentèrent de leur titre de grand pontife tandis que d’autres revendiquaient le cartouche royal. La XXIme dynastie est donc double, mi-partie tanite, mi-partie thébaine.
La force militaire des grands conquérants, dès la XVIIIme dynastie, réside pour une bonne part dans les troupes mercenaires qu’ils prenaient à leur service, nègres, Shardanes et Libyens, races qui toutes étaient plus belliqueuses que les Egyptiens. Parmi tous ces étrangers défenseurs de l’Egypte, la tribu libyenne des Mashaouash prit rapidement une place prépondérante, et ses chefs une haute position à la cour, puisqu’ils entrèrent même par des mariages dans la famille royale; un descendant de ces chefs, résidant à Bubastis dans la Basse Egypte, Sheshonq, prit lui aussi le titre de roi de la Haute et de la Basse Egypte, peut-être au moment même où Hrihor et Smendès se proclamaient rois chacun de son côté. Cette dynastie bubastite qui compte dans ses rangs des Sheshonq, des [251] Osorkon, des Takelot, des Nimrod, fut généralement plus puissante que les autres familles régnantes et nous a laissé beaucoup plus de monuments, entre autres ceux dont elle dota sa capitale de Bubastis; souvent même ces rois occupèrent Thèbes, y installèrent des grands prêtres pris dans leur famille et firent des travaux importants dans le grand temple d’Amon; cependant nous ne voyons pas qu’il y ait jamais eu de luttes violentes entre eux et les autres dynasties collatérales. Le fondateur de la dynastie, Sheshonq I, manifesta des velléités conquérantes et fit campagne en Judée: c’est le Sisak de la Bible, qui vainquit Roboam et pilla Jérusalem. Certains de ses successeurs, comme Osorkon I, le Zerakh de la Bible, eurent aussi maille à partir avec les Juifs, mais à part cela leurs règnes ne renferment aucun événement vraiment digne de mémoire.
Quand la première famille de rois tanites, la XXIme dynastie, s’éteignit, une autre famille de même origine prit possession de son trône, mais ne laissa dans l’histoire qu’une trace insignifiante. Elle régna donc pendant les derniers temps de la XXIIme dynastie bubastite. A cette époque se place un événement important, la conquête de l’Egypte entière par le roi éthiopien Piânkhi Meri-Amon. Ce prince, qui descendait des anciens rois d’Egypte et qui se considérait comme leur légitime successeur, rêvait d’une restauration du royaume des [252] pharaons tel qu’il était à la grande époque. Il descendit le Nil avec une flotte et une armée, s’empara successivement de toutes les villes et de toutes les places fortes d’Egypte, malgré la résistance opiniâtre des derniers rois de la XXIIme et de la XXIIIme dynastie, Nimrod et Osorkon, de Tafnekht, roi de Saïs et d’une série de petits roitelets, qui tous durent finir par se soumettre et le reconnaître comme leur suzerain. Il rendit lui-même solennellement hommage aux dieux de l’Egypte, mais ne s’attarda pas dans le pays et remonta dans sa patrie, à Napata, au fond du Soudan.
Le plus opiniâtre des adversaires de Piânkhi, Tafnekht, roi de Saïs, s’arrogeait déjà, comme du reste les autres princes ses contemporains, le protocole complet des rois d’Egypte. Son fils et successeur, Bokenranf (Bocchoris), eut un pouvoir plus étendu et régna même quelques années sur le pays entier, constituant à lui seul l’éphémère XXIVme dynastie saïte. C’était un sage et un législateur, sur le compte duquel la postérité racontait mainte anecdote. Comme guerrier, il tenta, en Syrie, de s’opposer à la marche victorieuse de Sargon, roi d’Assyrie, mais fut battu et dut s’estimer heureux que son royaume n’eût pas à subir l’invasion. Peu après il fut attaqué, vaincu et mis à mort par le roi éthiopien qui régnait encore à Thèbes, Sabacon.
Piânkhi en effet, en rentrant en Ethiopie, avait laissé le royaume reconquis par lui aux mains de membres de sa famille qui résidèrent à Thèbes, mais qui n’eurent qu’une autorité très limitée jusqu’au jour où l’un d’entre eux, Sabacon, se trouva maître de nouveau de tout le pays par sa victoire sur Bocchoris. L’unité des deux royaumes pharaoniques semblait reconstituée, mais elle ne devait pas être de longue durée. Un ennemi nouveau, plus redoutable que tous ceux qu’avait jusque-là connus l’Egypte, le roi d’Assyrie, qui était déjà maître d’une bonne partie de la Syrie, s’avançait progressivement. La politique que suivirent à son égard les rois éthiopiens de la XXVme dynastie, et du reste aussi les autres princes égyptiens, ne fut pas très franche et varia presque d’une année à l’autre. Sabacon commença prudemment par payer tribut à ce puissant rival; son fils Shabatoka prit le parti contraire, marcha contre Sennakhérib, fut complètement battu, et l’Egypte n’évita l’invasion que grâce au mystérieux événement relaté par la Bible et par Hérodote, cette peste qui anéantit en une nuit l’armée assyrienne dans les environs de Jérusalem, à Lakish, en l’an 701. Peu après, Shabatoka fut détrôné et tué par son suzerain, le nouveau roi d’Ethiopie Taharqa, qui s’installa à sa place comme pharaon, et donna à l’Egypte quelques années de prospérité; ayant noué des intrigues avec les peuples syriens, il s’attira la colère d’Asarhaddon, roi d’Assyrie, qui cette fois pénétra en Egypte, le vainquit, pilla Memphis et reçut l’hommage des princes du Delta, auprès desquels il établit des gouverneurs, en 670. Taharqa revint à la charge un peu plus tard, mais cette fois les armées d’Assourbanipal, qui venait de succéder à son père, pénétrèrent jusqu’à Thèbes et firent peser un joug plus lourd sur les princes de la Basse Egypte [254] qui avaient profité de l’occasion pour se révolter de nouveau. Le successeur de Taharqa, Tanoutamon, tenta une fois encore de repousser les Assyriens, reprit le pays jusqu’au Delta, puis finit aussi par être refoulé au delà de la cataracte, après que Thèbes eut été mise à sac. Ceci se passait en 662; la domination assyrienne ne devait plus durer que peu de temps, mais aucun roi éthiopien ne devait plus porter la double couronne d’Egypte.
Parmi tous les princes et roitelets qui se partageaient le Delta et formaient ce que les Grecs appelaient la dodécarchie, ceux de Saïs avaient depuis Bocchoris une place dominante et prenaient toujours la tête du mouvement, que ce mouvement fût dirigé contre les Ethiopiens ou contre les Assyriens. Néchao, le véritable fondateur de cette nouvelle dynastie saïte la XXVIme, avait déjà été reconnu par Asarhaddon, mais ce fut son fils Psammétique qui, profitant de la retraite définitive de Taharqa et de l’éloignement d’Assourbanipal, alors très occupé par sa guerre contre l’Elam, arriva en un temps relativement court à affranchir son pays de la domination étrangère, à en reconstituer l’unité et à lui assurer de nouveau de longues années de prospérité et de gloire, comme dans les beaux temps d’autrefois.
Ainsi que nous l’apprennent les historiens grecs, c’est en s’appuyant sur des mercenaires ioniens et cariens que Psammétique I put obtenir ce résultat et réunir tout le pouvoir dans sa main; certains soldats égyptiens, blessés de cette préférence non déguisée qu’il accordait [255] aux soldats étrangers, l’abandonnèrent et s’expatrièrent, mais les autres furent vite enrégimentés de nouveau. La puissance militaire de l’Egypte était reconstituée, et le nouveau roi chercha d’abord à expérimenter sa force en faisant des incursions en Syrie, puis adopta un autre système, celui de fortifier ses frontières au nord-est et au sud pour pouvoir s’occuper activement de réorganiser son royaume; son long règne lui permit de mener à bien cette besogne.
Le royaume d’Assyrie avait disparu, aussi le fils de Psammétique, Néchao II voulut-il reprendre la vieille politique syrienne des pharaons conquérants; son expédition fut d’abord couronnée de succès, mais après une défaite terrible qui lui fut infligée à Carchemis par le roi de Babylone, Nabuchodonosor, il dut se replier sur l’Egypte où son vainqueur n’osa le poursuivre et il se voua, à son tour, au développement intérieur de son royaume. Il s’occupa aussi activement de sa marine, et c’est sur son ordre qu’eut lieu le fameux périple, le voyage d’une flotte égyptienne autour de l’Afrique, partant de la mer Rouge pour revenir par la Méditerranée.
Psammétique II, puis Apriès, continuèrent l’œuvre de leurs devanciers jusqu’au moment où ce dernier, après une expédition désastreuse contre les Libyens, eut suscité une vraie révolution populaire qui le renversa et le remplaça sur le trône par Amasis, un de ses généraux, sans doute son parent. Nabuchodonosor profita de cette [256] crise pour enlever à l’Egypte tout ce qu’elle pouvait encore posséder en Syrie, mais n’osa pas tenter de pénétrer dans la vallée du Nil, et Amasis, s’appuyant de plus en plus sur les Grecs, continua l’œuvre civilisatrice commencée avant lui; c’est grâce à lui surtout que s’élevèrent sur le sol égyptien des villes purement grecques comme Naucratis, et que le commerce et l’industrie helléniques y prospérèrent, faisant pénétrer peu à peu un nouvel esprit dans cette vieille civilisation, aussi la figure d’Amasis est-elle restée très vivante chez les Grecs, et une foule d’histoires sont venues se greffer sur son nom, qu’elles popularisent encore en ce jour. Jamais l’Egypte, paraît-il, n’avait été si riche et si prospère que sous son habile gouvernement; il l’avait rendue si forte que Cyrus lui-même n’osa pas l’attaquer. Ce dernier lui ayant, dit-on, demandé sa fille en mariage, Amasis lui aurait envoyé la fille du pharaon détrôné Apriès; cette tromperie devint plus tard le prétexte des revendications de Cambyse au trône d’Egypte et de l’envahissement de la vallée du Nil, dès que le faible Psammétique III eut remplacé au pouvoir son père Amasis.
La XXVIme dynastie, ou, comme nous l’appelons aussi pour bien la distinguer du Nouvel Empire thébain avec lequel elle n’a plus aucun rapport, l’époque [257] saïte, présente un caractère tout particulier qu’on peut qualifier d’un seul mot, celui de renaissance. Longtemps contenue, l’Egypte s’épanouit de nouveau; dans tous les domaines, elle cherche à retrouver ce qui a fait autrefois sa grandeur et sa force. Elle reprend la vieille tradition à laquelle elle insuffle un peu de cet esprit nouveau qui commence à se manifester grâce au contact permanent avec des peuples plus jeunes. Trop tôt coupé par l’invasion persane, ce grand effort qui se manifeste aussi bien au point de vue politique que dans le domaine de l’art, n’eut pas le temps de donner tout ce qu’on eût été en droit d’en attendre.
L’histoire de la conquête de l’Egypte par Cambyse et des rois ses successeurs, est trop connue pour qu’il y ait lieu d’y revenir ici. La vallée du Nil est désormais englobée dans l’empire perse, et il est à remarquer qu’elle ne fut jamais administrée comme les autres provinces ou satrapies, mais qu’elle bénéficia de certains privilèges et conserva, nominalement au moins, son ancienne organisation. Le grand roi se considérait comme le légitime successeur des pharaons, il enfermait son nom dans un cartouche, se donnait les titres de roi de la Haute et de la Basse Egypte et même celui d’Horus, adorait officiellement tous les dieux égyptiens et leur dressait des temples, mais toutes ces prévenances ne suffirent pas à lui gagner le cœur de ses nouveaux sujets qui aspiraient à la liberté et cherchèrent maintes fois à la reconquérir.
Les premières révoltes furent réprimées, mais enfin sous Darius II Ochus, en 405, les Egyptiens secouèrent le joug et substituèrent à la XXVIIme dynastie perse une série de dynasties indigènes, la XXVIIIme d’abord, qui ne compte qu’un seul roi, Amyrtée, [258] d’origine saïte, puis la XXIXme, de Mendès, qui avec Nepherites et Hakoris acheva la délivrance. Des luttes intestines marquèrent seules les courts règnes de leurs successeurs qui furent détrônés en 379 par un prince originaire de Sebennytos, Nekhthorheb ou Nectanébo I, le fondateur de la XXXme dynastie. Ce roi, puis ses successeurs Téos et Nectanébo II, tout en travaillant activement au bien-être intérieur du pays, eurent continuellement à lutter contre les Perses qui voulaient reconquérir leur province perdue. Pendant des années, avec le secours des mercenaires grecs, ils bataillèrent avec héroïsme, mais ils finirent par être écrasés sous le nombre, et en 342, le dernier roi égyptien s’enfuyait en Ethiopie; l’antique monarchie avait jeté son dernier éclat.
Les Perses saccagèrent consciencieusement le pays qui, au cours de la XXXme dynastie, s’était remis à prospérer, mais ils ne devaient jouir de leur triomphe que dix ans à peine et quand Alexandre parut, il fut salué comme un sauveur. C’était une Egypte toute nouvelle qui commençait, l’Egypte grecque, désormais intimement liée à l’histoire du monde méditerranéen, de ce monde à la civilisation duquel elle avait si largement contribué.
Je dois ajouter encore un mot sur l’événement de l’histoire d’Egypte qui nous est le plus familier, l’Exode des Hébreux; pour les Egyptiens eux-mêmes, le fait n’était ni glorieux ni important, aussi ne faut-il pas s’étonner qu’ils n’en font pas la moindre mention; dans les livres de Moïse, le roi sous lequel eut lieu l’Exode n’est pas nommé, aussi la date ne peut-elle être fixée de façon certaine. L’opinion traditionnelle, presque universellement acceptée aujourd’hui, est que la persécution des Juifs eut lieu à partir de Ramsès II et la sortie d’Egypte sous Menephtah; cependant dans la stèle racontant son triomphe en Syrie, en l’an 5, ce dernier roi parle d’Israël — le mot est écrit en toutes lettres — comme étant fixé dans ce pays, et fortement atteint par la victoire égyptienne. Il est bien difficile de concilier ce fait précis avec la tradition. Une solution qui est à mon avis plus plausible est celle de M. Lieblein qui reporte l’Exode vers la fin de la XVIIIme dynastie: Thoutmès III serait le pharaon de l’oppression et les Juifs auraient quitté l’Egypte sous Amenophis III; deux cents ans plus tard, sous Menephtah, ils devaient donc être installés en Palestine. Ce système a l’avantage d’expliquer la présence sur les frontières de la Palestine, sous Amenophis IV, de tribus belliqueuses et envahissantes que les lettres des gouverneurs appellent les Khabirou. Ces Khabirou seraient simplement les Hébreux qui, sous la conduite de Josué, commençaient la conquête de la terre promise.
La masse énorme de monuments du Nouvel Empire qui nous sont parvenus appartiennent presque tous à la période thébaine, tandis que celle des rois du [260] Delta est à peine représentée jusqu’à la XXVIme dynastie, l’époque saïte, qui présente un caractère un peu différent. Ce sera donc surtout d’après les documents thébains, de la XVIIIme à la XXme dynastie, que nous étudierons maintenant la différence qui existe entre le Nouvel Empire et les deux grandes périodes qui le précédèrent.
En Orient, chaque roi nouveau se construit généralement une résidence qui n’est pas destinée à durer beaucoup plus longtemps que lui. En Egypte, les palais étaient des constructions légères en briques et bois, couvrant un vaste espace, avec cours centrales, grandes pièces à colonnes et chambres plus petites, bien aérées, dont la disposition devait varier constamment; l’ornementation, qui se faisait sur stuc, était souvent très riche; ainsi, dans les grandes salles d’apparat, le sol, était couvert d’un enduit entièrement peint, représentant un étang plein de poissons, entouré de touffes de plantes et de buissons couverts de fleurs sur lesquels volent des multitudes d’oiseaux, thème décoratif traité avec la fantaisie la plus charmante.
De même que leurs princes, les gens aisés cherchaient à avoir des maisons fraîches et bien aérées, sortes de villas à un ou deux étages placées au milieu de beaux jardins pleins d’arbres fruitiers et qui, avec leurs pièces d’eau et la régularité de leur disposition, font parfois penser aux jardins à la française. Les communs, greniers et pressoir, sont à côté de la maison.
L’Egypte n’ayant pas d’invasion à craindre sous les rois thébains ne fit aucune construction militaire; ce n’est que sous les Saïtes que nous trouvons à la frontière des forteresses comme celle de Daphnae, destinée à la garnison grecque, énorme massif de maçonnerie qui rappelle beaucoup les forts du Moyen Empire. Les monuments nous font par contre connaître les fortifications syriennes avec leurs terrasses et leurs créneaux, et Ramsès III eut même la fantaisie de construire [262] en avant de son temple de Medinet-Habou, en souvenir de ses campagnes, un vrai fort syrien qui est aujourd’hui admirablement conservé.
Les temples égyptiens du Nouvel Empire sont très nombreux et le plus souvent de dimensions colossales; les dispositions de détails varient de l’un à l’autre, mais le plan d’ensemble est toujours le même, et comporte trois parties principales placées l’une derrière l’autre et donnant au monument la forme d’un rectangle à peu près deux fois plus long que large. En avant est une cour souvent entourée d’une colonnade et précédée d’un double pylone très élevé, flanquant les deux côtés de la porte centrale; puis vient la salle, ou les salles hypostyles où se faisaient les cérémonies publiques du culte, et enfin le sanctuaire, isolé par un couloir sur lequel s’ouvrent encore une série de pièces secondaires destinées [263] à servir de magasins ou de trésors. Dans ce sanctuaire on conservait l’image sainte du dieu, enfermée dans un riche naos ou placée sur une barque qu’on apportait devant la foule pendant les grandes cérémonies. Devant le pylone se dressaient deux obélisques, de hauts mâts portant des banderoles, et souvent des statues colossales de rois; parfois une avenue bordée de sphinx y aboutissait; des statues en plus ou moins grand nombre étaient déposées dans toutes les parties du temple.
Une riche décoration traitée en bas-relief ou en creux, et le plus souvent rehaussée de couleur, couvre toutes les parois, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur; à l’intérieur, c’est-à-dire dans les salles hypostyles aussi bien que dans les pièces accessibles aux prêtres seuls, ce sont des scènes d’adoration, d’offrandes ou de cérémonies cultuelles, tandis que dans les cours, sur les pylones et sur les murs extérieurs, les rois faisaient de préférence représenter leurs hauts faits guerriers et l’écrasement de leurs ennemis, avec des inscriptions historiques, visibles ainsi pour tout le monde.
Au point de vue construction, la maçonnerie est très soignée, formée de grands blocs de calcaire ou de grès, parfois même de granit, posés sur le sol presque sans fondations; les colonnes sont également en matériaux appareillés et non plus monolithes, ce qui permet de leur donner de beaucoup plus grandes dimensions.
Les temples des dieux présentent souvent un tout extrêmement complexe, provenant des adjonctions que les rois ont successivement apportées au plan primitif; la chose est surtout évidente pour le grand temple d’Amon à Karnak, dont l’ensemble mesure 400 mètres de longueur, et où presque tous les rois du Nouvel Empire ont tenu à laisser une trace de leur activité. Par contre les temples funéraires, bâtis par un seul souverain et pour lui seul, qui sont construits suivant le même principe et sur le même plan que ceux des dieux, sont beaucoup plus simples. Ces temples funéraires situés dans la vallée, très loin des tombeaux eux-mêmes, qui sont creusés dans la montagne, remplacent les anciennes chapelles funéraires dépendant des pyramides, dont les dimensions étaient plus restreintes et le plan très différent; il y a donc dans ce domaine un changement très important à signaler, qui provient d’une évolution dans les idées relatives à la vie future. Le seul temple funéraire qui s’écarte du modèle ordinaire est le plus ancien, celui de Hatshepsou à Deir-el-Bahari, avec ses terrasses, ses colonnades et son sanctuaire creusé dans la montagne, sa décoration est du reste, comme celle des autres temples, composée de scènes religieuses et de représentations des événements saillants du règne.
Le culte ne se pratiquait pas de la même manière dans tous les temples, mais il consistait toujours en un certain nombre de cérémonies analogues; la principale, celle du culte journalier, était présidée en principe par [269] le roi lui-même, grand prêtre de tous les dieux d’Egypte, en réalité par un prêtre auquel il déléguait ses pouvoirs. L’officiant commençait par se purifier dans la cour du temple, revêtait les ornements sacrés, s’avançait en grande pompe vers le sanctuaire où il ouvrait la châsse divine; il se prosternait devant le dieu, l’adorait, pratiquait les rites qui devaient faire descendre l’âme de la divinité dans la statue, l’encensait, l’oignait, lui présentait des victuailles diverses, en entremêlant tous ces gestes rituels d’hymnes et de formules magiques; puis il prenait congé du dieu et refermait le naos. Dans les grandes solennités, le dieu, monté sur sa barque et porté sur les épaules des prêtres, sortait et se présentait au peuple massé dans les salles hypostyles et les cours, faisait le tour du temple ou allait voguer sur le [270] lac sacré; parfois même, toujours accompagné d’un cortège solennel, il s’en allait passer quelques jours dans un autre de ses sanctuaires, ou faire une courte visite de cérémonie à l’un des dieux ses voisins, ses parents ou ses amis.
Le changement qui s’était accompli dans les coutumes funéraires est plus sensible encore dans les tombeaux mêmes des rois; c’est sans doute ensuite du pillage systématique des tombes, commis sous les Hyksos, qu’on éprouva le besoin de changer le mode de sépulture et de rendre la dernière retraite des rois aussi inaccessible et aussi secrète que possible. On choisit dans ce but une vallée isolée et sauvage dans la montagne de Thèbes et on y creusa ces tombeaux qui sont une des choses les plus impressionnantes que l’Egypte nous ait léguées, vastes syringes descendant tout droit dans le flanc de la montagne, recoupées de salles de diverses grandeurs avant d’arriver à la chambre funéraire, au milieu de laquelle se dresse un énorme sarcophage de granit. Les parois sont couvertes d’inscriptions et de scènes en relief peint, d’une fraîcheur et d’un travail admirables, toutes relatives aux cérémonies funéraires et à la vie de l’autre monde, et représentant les êtres fantastiques que le mort devait rencontrer dans les enfers. Une fois l’ensevelissement terminé, on fermait [271] l’entrée du tombeau et on la dissimulait aussi soigneusement que possible avec des éboulis de roches, ce qui n’empêcha pas les violateurs de sépultures d’y pénétrer et de faire main basse sur les richesses amoncelées autour des rois défunts; à un moment donné, sous la XXIme dynastie, on recueillit pieusement ce qui restait des momies royales et de leur mobilier pour les enfermer pêle-mêle dans une nouvelle cachette qui les a gardées jusqu’à nos jours, et n’a livré son précieux dépôt qu’à des savants capables d’en faire le meilleur usage scientifique: c’est ainsi que nous possédons maintenant les corps, admirablement embaumés, de presque tous les grands rois de la deuxième époque thébaine.
Les tombeaux des simples particuliers sont presque tous des hypogées creusés dans le flanc de la montagne, [272] et le type mastaba est pour ainsi dire complètement abandonné; les dimensions sont très variables, suivant la position sociale et la richesse du propriétaire. Quant à la décoration, elle est parfois sculptée, mais plus souvent peinte sur enduit, vu la mauvaise qualité de la pierre dans la montagne de Thèbes où la plupart de ces tombes sont creusées; cette décoration comporte, non pas seulement comme autrefois des scènes de la vie usuelle, qui sont placées dans la première chambre et traitées avec une liberté et une fantaisie plus grande encore que dans les mastabas de l’Ancien Empire, mais aussi, dans la salle du fond, des figurations relatives aux funérailles et aux cérémonies accomplies à cette occasion. C’est là une innovation très caractéristique, correspondant à celle que nous avons déjà signalée pour les tombes royales. A l’ancienne théorie du Ka, du double vivant au fond du tombeau, tend de plus en plus à se substituer celle de l’âme divine qui peut, après la mort, entrer dans le séjour des dieux; autrefois les rois seuls avaient ce privilège, maintenant les simples mortels veulent le partager avec eux. C’est comme un mouvement de démocratisation qui se fait jour peu à peu dans les domaines les plus abstraits et jusqu’alors les plus réservés de la spéculation philosophique au sujet de la vie d’outre-tombe.
Au fond de l’hypogée s’ouvre un puits vertical qui descend au caveau funéraire, grossièrement taillé dans le rocher, où reposait la momie embaumée de façon plus soignée qu’aux périodes antérieures, bien enveloppée dans ses bandelettes et ses linceuls et couchée dans le cercueil anthropoïde plus ou moins richement décoré de scènes funéraires ou religieuses. Parfois ce cercueil est placé dans un autre cercueil de même forme, parfois même un grand sarcophage rectangulaire, également en bois peint, les renferme tous deux. La mode du masque en cartonnage a disparu, mais souvent cet accessoire est remplacé par une planchette [274] ayant la forme du couvercle du cercueil et posée directement sur la momie. Sur le sarcophage même, il n’y a plus que peu de textes; par contre les grandes compositions ayant pour but d’assurer aux défunts la vie d’outre-tombe, comme celles que nous appelons Livre des Morts et Livre de l’Am-Douat, sont écrites sur des rouleaux de papyrus placés, soit sur la momie elle-même, soit auprès d’elle, dans une statuette de bois.
Dans le caveau, on trouve encore le coffret contenant les quatre vases canopes où sont les viscères embaumés du mort, puis une caisse où sont empilées en plus ou moins grand nombre les statuettes funéraires ou oushabtis, statuettes mummiformes en pierre, en bois ou en terre émaillée destinées à remplacer les statues de serviteurs de l’époque précédente et les statues du mort lui-même. A côté de ces objets vient s’entasser tout le mobilier funéraire: lits, chaises, fauteuils, coffrets, vases pleins de parfums, vêtements, linges de toute sorte, perruques et ustensiles de toilette, aliments divers, viandes, légumes et fruits: il y a peu d’années, on a retrouvé une série complète de ces objets dans une tombe de peu d’apparence, celle de l’ingénieur Kha et de sa femme Merit, le tout dans un état de conservation si remarquable qu’en se promenant dans la salle du musée de Turin où ces objets sont installés, on est comme transporté à plus de 3000 ans en arrière et l’on sent vivre encore autour de soi l’esprit de ces deux morts. Il en est de même pour le mobilier, bien plus luxueux, des beaux-parents d’Amenophis III, Youaa et Touâa, et surtout pour celui que contenait encore le tombeau du roi Toutankhamon, et qui dépasse comme richesse et comme splendeur tout ce qu’il était possible d’imaginer.
C’est à Thèbes même, sur la rive gauche du fleuve, que se trouvent les plus nombreux tombeaux du Nouvel [275] Empire. Ceux qu’on rencontre ailleurs que dans la capitale ne présentent pas de divergences bien caractéristiques; il faut citer en particulier les tombes de Tell el Amarna, restes de l’époque des rois hérétiques, creusées aussi dans le rocher et décorées de bas-reliefs d’un style si particulier.
A l’époque saïte on trouve non seulement le tombeau rupestre avec de nombreuses salles, mais un nouveau modèle, celui de la chambre funéraire unique, voûtée et décorée exclusivement de textes religieux; cette chambre est construite au fond d’un immense puits de plus de 30 mètres de profondeur, soigneusement comblé après les travaux, avec puits plus petit situé à côté et permettant l’accès du tombeau au moment des funérailles. Nous ne connaissons aucun tombeau royal de cette époque.
Pendant cette période où l’on cherchait dans tous les domaines à revenir aux anciennes coutumes, les grands sarcophages de pierre redeviennent à la mode, mais ils sont généralement de forme anthropoïde et couverts d’inscriptions. Les momies sont, à peu de chose près, semblables à celles de l’époque thébaine, mais on recommence à les coiffer d’un masque en cartonnage à figure humaine; ce n’est que plus tard, sous la domination des Grecs et des Romains, qu’on en vint à orner le maillot des momies d’un buste en plâtre colorié ou d’un panneau de bois peint à la cire représentant le portrait du mort et fixé au moyen des derniers tours de bandelettes.
Il n’est pas besoin d’une longue expérience pour distinguer les œuvres de la statuaire du Nouvel Empire de celles des époques antérieures, bien que la pose du modèle et les lignes générales soient toujours à peu près [276] semblables. En plus des différences de costume qui sont très appréciables, le style lui-même n’est plus exactement le même: alors que les sculpteurs de l’Ancien et même du Moyen Empire s’appliquaient avant tout à reproduire avec certitude la physionomie, l’expression même de leur modèle, dans la mesure de leurs moyens, et souvent aux dépens du reste du corps, ceux du Nouvel Empire ont une tendance moins réaliste et cherchent surtout la grâce et l’élégance; les figures s’uniformisent et n’ont plus un caractère aussi personnel, mais le corps entier est traité avec le même soin que la tête, avec un souci beaucoup plus marqué du modelé. Cette tendance est une tendance générale, qui n’exclut pas un certain nombre d’œuvres isolées, manifestations artistiques très personnelles et de premier ordre. Le réalisme qui se fait jour à l’époque des rois hérétiques est un peu un réalisme de convention, puisque c’est la figure du roi qui reste le type dont les figures de ses sujets doivent se rapprocher autant que possible.
Nous possédons des statues royales extrêmement nombreuses, surtout depuis que la cachette du temple de Karnak nous en a livré plusieurs centaines. Presque toutes étaient à l’origine déposées dans les temples et contribuaient à l’ornementation de ceux-ci; elles représentaient alors le double du roi qui pouvait, en assistant régulièrement aux cérémonies du culte, prendre sa part des offrandes présentées au dieu: en échange du don de [277] sa statue que le roi faisait au dieu, celui-ci avait la charge de le nourrir dans l’autre monde. D’autres statues étaient sans doute déposées dans les tombeaux pour jouer le rôle de support du Ka, rôle que nous avons étudié plus haut. Il y avait des statues de toutes les tailles, depuis la statuette de bronze de quelques centimètres de haut, jusqu’aux colosses placés à la porte des temples, devant les pylones, qui peuvent atteindre 20 mètres de hauteur; mais les plus fréquentes sont celles qui sont à peu près de grandeur naturelle. La matière aussi est très diverse: le bois, le métal, les pierres de toute sorte et jusqu’à la brique recouverte d’enduit. La position la plus fréquemment employée est la position classique du roi assis sur un trône, les mains sur ses genoux; à côté de cela, on trouve le roi debout, marchant ou tenant des enseignes divines, le roi agenouillé présentant des [278] vases d’offrandes, le roi prosterné, bref le roi dans toutes les positions qu’il a l’habitude de prendre, soit en présence de ses sujets, soit quand il célèbre le culte divin.
Quelques grands personnages avaient le privilège de déposer, comme les rois, leur propre statue dans un temple. Quant à l’usage qui consistait à placer dans les tombeaux des statues du mort destinées à servir de support à son double, il tend de plus en plus à disparaître; on trouve bien encore des groupes taillés à même la roche du tombeau, représentant le mari et la femme assis côte à côte, ou des statuettes de bois finement sculptées, mais pas de façon constante. Nous avons déjà vu, à propos des tombeaux eux-mêmes, qu’il s’était produit une évolution très marquée dans les doctrines relatives à la vie de l’au-delà, et cette évolution est encore plus sensible ici; la doctrine du Ka ou du double, remplacée par celle de l’âme, passe graduellement au second plan. Cette âme ne vit pas dans le tombeau, elle entre dans le royaume d’Osiris, dans ce canton riant et fertile de l’autre monde qu’on appelle les champs d’Ialou, et les statuettes funéraires ou oushabtis, déjà mentionnées plus haut, sont des espèces de serviteurs magiques qui [279] doivent lui assurer la nourriture en cultivant pour elle les champs divins.
Après la grande époque thébaine, soit de la XXIme à la XXVme dynastie, la statuaire se fait de plus en plus rare, mais les quelques exemples qui nous en sont parvenus, en général de petites dimensions, nous montrent un progrès constant dans la recherche patiente qui aboutira à ce remarquable épanouissement de l’art sous les rois saïtes, la renaissance du réalisme antique, mais d’un réalisme épuré, plein d’élégance et de souplesse, ayant à son service une technique des plus perfectionnée.
C’est aussi surtout à partir de l’époque saïte que se développe une branche nouvelle de la statuaire: jusqu’alors le métal, et surtout le bronze, était rarement employé par les sculpteurs; ils en usent maintenant de préférence à toute autre matière, pour modeler des statuettes de divinités qui nous sont parvenues en quantité innombrables, témoignant ainsi d’une nouvelle transformation dans le domaine religieux. Chacun sans doute voulait avoir dans sa maison l’image de la divinité à laquelle il vouait un culte spécial, ce qui n’était pas le cas aux époques antérieures. On faisait aussi parfois des statuettes de rois ou de particuliers en bronze, mais en bronze incrusté d’argent, et cela déjà sous les dynasties qui précédèrent les saïtes.
Dans les bas-reliefs qui couvrent les parois de certains tombeaux, le haut des stèles et divers autres monuments, on retrouve la même recherche d’élégance et de grâce, la même perfection du modelé, qualités réelles mais qui rendent ces bas-reliefs un peu moins puissants que ceux des périodes antérieures, parfois moins expressifs. Dans les temples, où la surface à couvrir était immense, la décoration est traitée généralement d’une façon plus large, souvent plus sommaire, en relief à l’intérieur du monument, en creux ou en relief dans le creux sur les façades extérieures, en raison de la vive lumière et suivant une méthode exclusivement égyptienne.
De plus en plus la peinture tend à redevenir ce qu’elle était à l’origine, un art indépendant, et à s’affranchir de la tutelle du bas-relief dont elle est en réalité la sœur aînée. Les peintres ont plus souvent l’occasion d’exercer leur talent, maintenant que les tombeaux [281] sont généralement creusés dans une roche friable, qui ne permet pas l’emploi de la sculpture pour la décoration; ils ont acquis une sûreté de main remarquable, et se laissent aller plus librement à leur imagination et à leur fantaisie. Les scènes présentent toujours les mêmes sujets, mais la manière de les traiter est plus personnelle, la recherche du motif pittoresque plus fréquente; on [282] continue néanmoins, pour les principales figures tout au moins, à procéder par teintes plates, simples, sans ombres, avec un léger sertissage noir ou rouge; les détails sont faits en surcharge. Les motifs végétaux abondent, qu’il s’agisse de bouquets ou de guirlandes faisant partie des scènes elles-mêmes, de plantes agrémentant le paysage ou de frises courant au haut des parois. Sur les plafonds, des motifs réguliers reproduisent les modèles employés pour les étoffes ou la vannerie en couleur.
C’est aussi la peinture qui contribue pour la plus large part à la décoration des édifices civils, ainsi ces palais de Tell el Amarna et de Medinet Habou, dont il ne reste que les dallages en stuc, où sont peints avec une verve charmante des étangs entourés de buissons où s’ébattent des animaux de tout genre. (Fig. 218).
Quant aux scènes peintes sur les très nombreux sarcophages de l’époque, elles n’ont pas à proprement parler un caractère artistique. Par contre les enluminures [283] des papyrus funéraires, Livre des Morts ou compositions mythologiques, sont souvent d’une réelle beauté.
Les progrès continuent à s’affirmer pour tout ce qui rentre de près ou de loin dans la catégorie des arts industriels, sauf cependant en ce qui concerne les bijoux et les vases en pierre: le trésor d’Aahhotep et les autres objets de parure du musée du Caire, même les splendides pièces du Serapeum, aujourd’hui au Louvre, ne sont pas comparables, pour la perfection du travail, aux bijoux de Dahchour, de la XIIme dynastie; les procédés sont cependant les mêmes, sauf que dans l’incrustation, les pierres sont toujours remplacées par des émaux et que la ciselure est aussi moins fine et moins délicate.
Les vases de pierre sont beaucoup moins nombreux qu’autrefois, et l’on se contente le plus souvent de déposer dans les tombes de faux vases en bois peint de manière à imiter les pierres les plus rares; il ne nous est guère parvenu que des vases d’albâtre, très beaux du reste de forme et de facture. Par contre les vases en métal [284] sont de plus en plus en faveur, et surtout les vases d’apparat en or et en argent, aux formes les plus variées, importées en Egypte de Syrie, de Phénicie, de Crète et des îles grecques; les peintures et les bas-reliefs nous permettent d’apprécier ces merveilles d’orfèvrerie.
L’industrie de l’émail prend au Nouvel Empire un développement inattendu; très habiles à manier cette matière, les ouvriers égyptiens en font des vases de formes diverses, de ce beau bleu profond qui est presque inimitable des statuettes funéraires, et plus tard quantité de petites figurines de divinités, sans parler des innombrables perles et autres objets de parure; enfin ils appliquent les émaux polychromes à la décoration de certains édifices. C’est de cette époque aussi que date l’invention du verre, non pas encore du verre soufflé, mais du verre multicolore fondu, dont on faisait de charmants petits vases, à décoration ondulée; ces vases étaient non seulement employés dans le pays même, mais servaient surtout d’objets d’exportation et ont été retrouvés un peu partout dans les pays méditerranéens. Il est reconnu maintenant que cette importante invention, attribuée autrefois à tort aux Phéniciens, doit être restituée aux Egyptiens.
Les meubles sont généralement simples de lignes et de formes, sobres d’ornementation, exactement appropriés à leur destination. Il en est cependant de plus soignés de travail, qui ont appartenu à des rois ou à des princes, et qui peuvent être considérés comme de véritables œuvres d’art; ce sont des fauteuils, des lits, des coffrets, même des chariots dans lesquels n’entre pas seulement le travail de l’ébéniste, mais aussi celui du stuqueur, qui les couvre de délicats bas-reliefs en gesso, et celui de l’ouvrier en cuir qui les orne de panneaux en cuir repoussé ou incrusté de diverses couleurs.
Enfin les plus charmants peut-être des objets d’art sont de simples ustensiles de toilette en bois sculpté ou ajouré, parfois en ivoire, cuillères à parfums, pots à fard, œuvres d’une fantaisie toute personnelle, donnant la mesure de ce à quoi pouvaient arriver les ouvriers d’art égyptiens.
Qu’il soit tout-puissant et maître d’un immense empire, ou réduit à une seule petite province, le roi est toujours pour ses sujets un être d’extraction divine dont [286] l’autorité n’est pas contestable. Cette autorité repose sur la pureté du sang royal, et nous voyons la plupart des rois du Nouvel Empire attacher plus de prix encore que leurs prédécesseurs à cette question, et épouser de préférence une demi-sœur, née d’une mère plus noble que la leur, pour diminuer la quantité de sang vulgaire qui s’était introduit dans leur race; parfois même un dieu se chargeait d’infuser lui-même à l’enfant royal un sang divin plus pur encore, comme cela eut lieu pour Aménophis III. Quand un usurpateur montait sur le trône, il se hâtait d’épouser une princesse de lignée royale et légitimait ainsi en quelque sorte son accession à la couronne. Lors du morcellement de l’Empire, les roitelets qui se partagèrent le pouvoir se rattachaient tous plus ou moins à la vieille race pharaonique et avaient des droits sensiblement égaux, mais il était curieux de constater que le sang royal le plus pur se conservait non plus chez des Egyptiens, mais chez des nègres, comme Piânkhi l’Ethiopien et sa famille.
La reine, ou plutôt la favorite, puisque souvent les rois eurent plusieurs femmes, avait à côté de son époux une place très importante et souvent une grosse influence; il arriva même à certaines d’entre elles de monter sur le trône en qualité de roi d’Egypte.
Au moment où les rois de la XVIIIme dynastie réunissent de nouveau toutes les parties du pays sous leur sceptre, la féodalité a entièrement disparu et l’administration est centralisée entre les mains d’un grand vizir et d’un nombre considérable de fonctionnaires subalternes; le roi garde du reste la haute main dans le gouvernement et tout se fait en son nom, qu’il s’agisse de travaux publics, de finances, d’affaires étrangères ou de commerce. La justice, comme autrefois, est entre les mains d’une magistrature spéciale, et les provinces asiatiques sont gouvernées par des indigènes sous la surveillance d’officiers égyptiens, tandis que la Nubie est administrée par un vice-roi nommé par le pharaon et qui est souvent un de ses fils.
Nous avons vu l’influence grandissante du clergé d’Amon, arrêtée un moment par la réforme de Khounaten, reprendre de plus belle, et les grands prêtres se saisir successivement du pouvoir effectif, puis d’une partie du pouvoir nominal. A partir de ce moment le pontificat cesse d’être entre les mains d’une seule famille et chaque fois qu’une des dynasties rivales prend la prédominance sur les autres, elle installe sur le trône d’Amon un prince de sa race qui est plutôt un gouverneur de la Haute Egypte qu’un grand prêtre. Enfin les rois éthiopiens suppriment cette dignité et installent à Thèbes une grande prêtresse d’Amon, princesse de la famille royale; les rois saïtes ne font que confirmer cette charge en la confisquant au profit de leurs filles, afin que cet état dans l’Etat demeure une force pour la couronne et non pas une menace.
L’extension des frontières de l’Egypte vers le nord et le sud devait nécessairement favoriser le commerce qui prend un développement considérable dès le début [288] du Nouvel Empire. Les produits étrangers affluent dans la vallée du Nil, tant sous la forme de tributs livrés au roi lui-même, que sous celle de marchandises d’échange, et là encore il semble que tout se fasse par l’entremise du gouvernement. Ce ne sont pas seulement les pays soumis à la suzeraineté de l’Egypte, comme la Syrie, la Phénicie, la Palestine, la Nubie, qui y envoient leurs produits, mais des contrées absolument indépendantes, comme Chypre, la Crète, les îles grecques, le Soudan, le pays de Pount, grâce à des expéditions maritimes qui avaient toujours un caractère officiel, l’Etat disposant seul de moyens suffisants pour faire marcher le trafic extérieur; ainsi l’on peut dire, presque avec certitude, que le gouvernement s’était réservé le commerce international, ne laissant aux particuliers que le commerce intérieur. A cet effet, des lois protégeaient les industries locales et il était interdit aux ouvriers spécialistes de passer à l’étranger. L’évaluation des marchandises se faisait en or ou en argent, au poids, et on se servait pour les échanges d’anneaux de métal qui, n’étant pas poinçonnés par l’Etat, devaient être pesés à [289] nouveau chaque fois; le plus souvent, du reste, on procédait simplement par échange de denrées, après entente.
Quant à la nature des marchandises importées, c’étaient surtout, comme autrefois, des matières premières, métaux, bois précieux, ivoire, peaux et plumes, encens, et aussi des matières ouvrées, entre autres ces merveilleux vases d’orfèvrerie dont nous avons déjà parlé. En échange, on donnait de la verrerie, des émaux, sans doute des bijoux, en un mot tous les produits de l’industrie égyptienne, mais surtout des grains.
Il n’y a pas de transformation notable à enregistrer dans les conditions de la vie ordinaire, qu’il s’agisse des grands personnages ou des gens du commun; de même les habitations n’ont guère varié. Par contre le costume subit un changement important: les gens du peuple ont bien toujours le pagne simple enroulé autour des hanches, mais tout individu appartenant à une classe un peu plus élevée porte par-dessus ce pagne une ample robe en toile fine, parfois presque transparente, dont la forme et la coupe sont variables. De même les femmes ne portent plus volontiers la robe courte et étroite des anciens temps, mais un vêtement analogue à celui des hommes, un peu plus collant néanmoins sur le buste, élargi du bas et tombant jusqu’à terre; les manches sont parfois très courtes, parfois longues et larges. L’un et l’autre sexe porte la perruque, des bijoux aux couleurs vives, colliers, bracelets et périscélides, et aux pieds de longues sandales en papyrus ou en cuir. Le costume royal est sensiblement le même, bien qu’un peu plus riche, que celui des sujets.
Les rois hyksos avaient amené de Syrie en Egypte le cheval, et cet animal qui s’était rapidement acclimaté [290] dans le pays, offrait aux Egyptiens du Nouvel Empire un mode de locomotion nouveau; jamais ils ne songèrent à le monter, semble-t-il, mais ils l’attelaient à de légers chariots à deux roues avec lesquels les grands personnages faisaient leurs tournées dans le pays. C’est cependant surtout au point de vue militaire que l’introduction du cheval eut pour les Egyptiens une grande importance, puisque désormais la charrerie joua dans leurs armées le principal rôle et qu’elle fut pour beaucoup dans la conquête de la Syrie. La méthode de combat subit donc une transformation: avant le choc qui devait amener la fin d’une bataille, la charge des escadrons de chars, les soldats qui montaient ces chars combattaient de loin avec leurs grands arcs; c’est même la raison pour laquelle l’arc était devenu l’arme favorite des rois.
L’infanterie est toujours composée en partie d’Egyptiens, en partie de mercenaires étrangers qui sont sa véritable force, que ce soient, comme sous les Thébains, des Soudanais, des Shardanes ou des Libyens, ou, comme plus tard sous les Saïtes, des Grecs. Cette armée royale, déjà instituée sous le Moyen Empire, a été complètement réorganisée en corps d’armées bien distincts sous un commandement commun, mieux équipée et mieux [291] armée et surtout bien exercée. Après une campagne officiers et soldats recevaient leur part du butin, souvent en captifs qui étaient employés à la culture de terres mises par le gouvernement à la disposition des soldats, et ces captifs, qui n’étaient pas de véritables esclaves, se mêlaient rapidement à la population indigène. Le roi décernait aussi, pour récompenser les hauts faits de guerre, de véritables décorations et autres distinctions honorifiques.
Les rois d’Egypte avaient sous le Nouvel Empire une vraie marine de guerre que nous voyons parfois jouer le rôle décisif dans une bataille, mais c’était surtout la marine marchande qui, avec l’extension du commerce, tendait à prendre toujours plus de développement. Les navires destinés à la mer étaient semblables de forme et de gréement à ceux employés sur le Nil, mais plus grands et plus solidement construits; ils remontaient du reste le fleuve, même jusqu’à Thèbes, et ainsi nous voyons sous Hatshepsou les mêmes [292] bateaux charger des marchandises dans le pays de Pount, au sud de la mer Rouge, et les débarquer dans le port de la capitale: un canal souvent ensablé et aujourd’hui disparu, faisait alors communiquer un des bras du Nil, dans le Delta, avec le fond du golfe de Suez. Enfin les marins égyptiens donnent la mesure de leur audace et de leurs capacités quand, sous Néchao, ils s’embarquent pour leur grand voyage de découverte autour de l’Afrique, la première en date de toutes les grandes expéditions maritimes.
Le travail de la terre continue à faire de grands progrès; l’outillage se perfectionne, on emploie maintenant des faucilles en métal et des charrues plus puissantes; partout autour des villas on voit de beaux jardins, pleins d’arbres fruitiers, de vignes et d’arbres d’agrément. Partout on défriche pour les livrer à la culture les terrains qui n’étaient autrefois que des pâturages, et cela naturellement aux dépens de l’élevage, qui diminue dans de fortes proportions. On ne voit plus que rarement de ces scènes si fréquentes sous l’Ancien Empire, qui représentent des troupeaux d’animaux à demi sauvages sous la garde de quelques pâtres, et les grandes inspections [293] du bétail sont à peine mentionnées; on n’emploie plus pour piétiner le terrain nouvellement ensemencé des troupeaux entiers de chèvres ou de moutons, mais seulement quelques porcs qu’on devait élever dans les fermes et non plus en pleine campagne; l’âne n’est plus que rarement employé aux travaux des champs, et ce sont généralement les hommes eux-mêmes qui transportent les récoltes; le dépiquage du grain pour lequel les quelques bœufs, qui à d’autres époques de l’année tirent la charrue, suffisent parfaitement, se fait d’une façon un peu différente. L’Egypte, consciente de son rôle commercial dans le monde oriental, qui est de l’approvisionner de grains, consacre toutes ses forces à développer la culture au moyen de la main d’œuvre humaine, quitte à réduire au strict nécessaire tout ce qui a rapport à l’élevage. Seule la race chevaline, nouvellement introduite dans le pays, est l’objet de soins tout spéciaux, sous le contrôle royal, et prospère si bien qu’on finit même, à certains moments, par venir de Syrie chercher des chevaux en Egypte. Quant à la question du chameau, elle n’est pas encore définitivement tranchée; il semble néanmoins que si les Egyptiens l’ont connu, ils ne l’ont jamais utilisé eux-mêmes, et que son acclimatation définitive dans le pays, où il rend maintenant comme bête de somme des services inappréciables, ne date que de la conquête musulmane.
Le défrichement progressif de la vallée du Nil avait fait disparaître non seulement les pâturages, mais aussi les fourrés et les marécages qui étaient pour les premiers Egyptiens de si beaux terrains de chasse et de pêche. Avec les mêmes engins qu’autrefois, on ne pouvait plus guère prendre du poisson que dans le fleuve et les canaux, et il ne se trouvait plus que peu de ces étangs où les [294] oiseaux migrateurs venaient se prendre dans les grands filets; même les parcs de chasse des grands seigneurs avaient presque tous disparu. Quand les rois chercheurs d’aventures voulaient s’offrir les émotions d’une chasse mouvementée, ils profitaient de leurs campagnes pour aller au loin, jusque sur les bords de l’Euphrate, où ils trouvaient encore quelques éléphants, des lions qu’ils abattaient par centaines et du gros gibier de toute sorte.
A côté de l’agriculture, l’industrie continue à se perfectionner et nous avons de nombreux tableaux qui nous montrent les ouvriers occupés à leurs travaux ordinaires, que ce soient des ouvriers d’art ou des gens de métier, tels que briquetiers, maçons, sculpteurs, peintres, bijoutiers, joailliers, menuisiers, ébénistes, corroyeurs, cordonniers, cordiers, chaudronniers, armuriers, forgerons, et d’autres encore. Leur outillage est toujours aussi simple qu’aux périodes précédentes, presque rudimentaire, sauf que les couteaux, ciseaux et poinçons de pierre ont définitivement disparu pour faire place à des instruments de métal, généralement en bronze, parfois en fer.
La conquête de la Syrie et les relations constantes qui s’étaient établies de ce fait avec l’Asie antérieure, [295] avaient exercé sur l’Egypte même une influence considérable qui se remarque tout particulièrement dans la langue. Un grand nombre de vocables nouveaux, empruntés aux idiomes sémitiques, sont introduits dans le langage courant, soit pour exprimer des idées nouvelles ou nommer des objets inconnus auparavant, soit pour remplacer, sans raison apparente, de vieux mots égyptiens. Il est de bon ton, pour un scribe, d’émailler ses lettres ou ses compositions littéraires du plus grand nombre possible de mots d’origine étrangère. C’est de ces langues sémitiques, plus répandues que l’égyptien, qu’on se servait pour les relations extérieures, et toute la correspondance du roi d’Egypte avec ses vassaux syriens se faisait dans l’idiome même de ces peuplades, que sans doute beaucoup de gens à la cour comprenaient parfaitement.
Les textes du Nouvel Empire qui nous sont parvenus sont donc composés dans une langue moins pure que ceux de l’époque précédente, mais ils sont aussi, sinon plus variés, et beaucoup plus abondants. Ce sont d’abord les écrits historiques ou officiels, les récits biographiques, les comptes rendus d’une campagne ou d’une conquête, les décrets et les actes royaux, les odes dithyrambiques à la louange d’un souverain, puis les ouvrages [296] plus spécialement littéraires, contes, poésies, recueils de modèles de lettres dans lesquels les jeunes scribes apprenaient leur métier, livres de morale, hymnes en l’honneur du roi ou des dieux, dont plusieurs ont trouvé place dans la grande compilation à laquelle nous avons donné le nom de Livre des Morts et qui contient du reste surtout des morceaux plus anciens. Après cela vient encore la littérature épistolaire proprement dite, les procès-verbaux judiciaires, les écrits scientifiques et médicaux et les innombrables compositions magiques, religieuses ou mythologiques.
Certains de ces textes sont gravés ou peints sur les murailles des temples, sur les stèles, sur les parois des tombeaux; d’autres, les plus nombreux, sont écrits en hiératique, c’est-à-dire en cursive, sur des rouleaux ou des feuilles de papyrus ou même parfois sur des tessons de vases ou des morceaux de pierre, auxquels nous donnons le nom d’ostraca. Les ouvrages religieux étaient déposés dans le tombeau, à côté du mort, pour lui servir de viatique dans l’autre monde, et parfois l’on y joignait aussi des textes littéraires pouvant lui offrir un délassement dans sa vie d’outre-tombe, mais la plupart des papyrus ont été retrouvés roulés et cachés dans des vases, au milieu des ruines de maisons anciennes; c’était la manière de conserver les livres qui étaient toujours en petit nombre chez les particuliers. Nous ne savons s’il existait dans le palais du roi ou ailleurs, de vraies bibliothèques où l’on [297] conservait les ouvrages de prix, avant l’époque où les Ptolémées réunirent dans celle d’Alexandrie tout ce qu’ils purent récolter de manuscrits anciens, les égyptiens sans doute aussi bien que les grecs. Le geste fanatique du calife Omar nous a privés d’une source inestimable de documents.
Jusqu’au Nouvel Empire, les seuls modes d’écriture étaient les hiéroglyphes, et l’hiératique qui devient de plus en plus cursif; à partir de l’époque saïte, les scribes, à force de chercher à simplifier leur calligraphie, en arrivent à tracer des signes qui ne rappellent plus que vaguement les hiéroglyphes d’où ils sont dérivés, ni même l’élégant hiératique de la bonne époque. Il s’agit d’un nouveau genre d’écriture, auquel on a donné le nom de démotique et qui finit par être le seul employé à partir des rois perses, pour les lettres, les contrats, les manuscrits de toute sorte, bref pour tout ce qui n’est pas destiné à revêtir un caractère monumental. Ce passage de l’hiératique au démotique correspond exactement à la fin de l’autonomie de l’Egypte.
C’est ce moment-là, quand des rois étrangers viennent définitivement remplacer sur le trône des Pharaons les dynasties indigènes, que nous pouvons considérer comme la fin de la civilisation égyptienne; [298] celle-ci végétera bien encore pendant quelques siècles, elle donnera même dans certains domaines comme l’architecture par exemple, des manifestations originales et vraiment égyptiennes, mais elle ne prospérera plus et dégénérera rapidement. Cette vieille civilisation qui pendant tant de siècles a rayonné sur le monde ancien, lui donnant généreusement tout ce qu’il y avait de bon en elle, est submergée à son tour par les civilisations nouvelles; l’infusion d’un sang jeune se fit sans doute à trop haute dose et, loin de la renouveler, ne put qu’accélérer sa ruine. Désormais l’Egypte ne sera plus qu’une province du monde hellénique, puis du monde romain, au point de vue de la civilisation aussi bien que de la politique.
Les chiffres indiquent les pages: les chiffres entre parenthèses les gravures.
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Liste des principaux ouvrages concernant les divers domaines de l’Egyptologie. Les titres précédés d’un astérique sont ceux des livres qu’on peut se procurer le plus facilement.
A. OUVRAGES GÉNÉRAUX | |
I. HISTOIRE | |
*FR. W. VON BISSING. Geschichte Aegyptens im Umriss. | Berlin 1904. |
*J. H. BREASTED. A History of Egypt. | New-York 1905. |
H. BRUGSCH. Geschichte Aegyptens unter den Pharaonen. | Leipzig 1877. |
*E. A. WALLIS BUDGE. A History of Egypt. 8 vol. (Books on Egypt and Chaldaea IX-XVI.) | Londres 1902. |
FR. LENORMANT. Histoire Ancienne de l’Orient. T. II et III. Les Egyptiens (9e édit.). | Paris 1887. |
*J. LIEBLEIN. Recherches sur l’histoire et la civilisation de l’ancienne Egypte. | Leipzig 1910–11. |
— Recherches sur la chronologie égyptienne. | Christiania 1873. |
F. J. LAUTH. Aus Aegyptens Vorzeit. | Berlin 1881. |
G. MASPERO. Histoire ancienne des peuples de l’Orient classique. 3 vol. | Paris 1895–99. |
— Histoire ancienne des peuples de l’Orient. 1 vol. 6e édit. | Paris 1904. |
ED. MEYER. Geschichte des Altertums I et II. (En cours de publication.) | Stuttgart 1909. |
— Histoire de l’Antiquité. I-VIII. (En cours de publ.) | Paris 1912. |
— Aegyptische Chronologie. | Berlin 1904. |
*W. FL. PETRIE. A History of Egypt. 3 vol. | Londres 1899–1905. |
G. F. UNGER. Chronologie des Manetho. | Berlin 1867. |
A. WIEDMANN. Aegyptische Geschichte. | Gotha 1884. |
LISTES ROYALES [314] | |
E. BRUGSCH et U. BOURIANT. Le Livre des rois. | Le Caire 1887. |
E. A. WALLIS BUDGE. The Book of the Kings of Egypt. 3 vol. | Londres 1908. |
H. GAUTHIER. Le Livre des rois d’Egypte. 5 vol. (Mém. de l’Inst. fr. d’Arch. orient. du Caire, t. XVII-XXI.) | Le Caire 1907–1918. |
C. R. LEPSIUS. Königsbuch der alten Aegypter. 2 vol. | Berlin 1858. |
2. GÉOGRAPHIE | |
E. AMÉLINEAU. La géographie de l’Egypte à l’époque copte. | Paris 1893. |
*K. BÆDEKER (G. STEINDORFF). Egypte et Soudan. (3e édit. franç.) | Leipzig 1898. |
*G. BENEDITE. Egypte (Guide Joanne.) | Paris 1900–1905. |
H. BRUGSCH. Geographische Inschriften altägyptischer Denkmäler. 3 vol. | Leipzig 1857–1860. |
— Dictionnaire géographique de l’ancienne Egypte. | Leipzig 1879. |
J. F. CHAMPOLLION. L’Egypte sous les Pharaons. 2 vol. | Paris 1814. |
J. DUMICHEN. Geographie des alten Aegyptens (dans MEYER. Gesch. Aeg. 1re edit.) | Berlin 1887. |
— Zur Geographie des alten Aegyptens. | Leipzig 1894. |
J. DE ROUGÉ. Géographie ancienne de la Basse Egypte. | Leipzig 1894. |
An atlas of ancient Egypt. (Publ. of the Egypt Exploration Fund.) | Londres 1894. |
E. SCHIAPARELLI. La Geografia dell’Africa orientale. | Rome 1916. |
3. RELATIONS EXTÉRIEURES | |
F. W. VON BISSING. Der Anteil der aegyptischen Kunst am Kunstleben der Völker. | Munich 1912. |
W. M. MULLER. Asien und Europa nach aegyptischen Denkmälern. | Leipzig 1893. |
— Egyptological Researches (2 vol.). | Washington 1906–1910. |
*W. M. FL. PETRIE. Egypt and Israel. | Londres 1911. |
R. WEILL. Recueil des inscriptions égyptiennes du Sinaï. | Paris 1904. |
4. CIVILISATION | |
H. BRUGSCH. Die Aegyptologie. | Leipzig 1891. |
F. CHABAS. Etudes sur l’Antiquité historique. (3e édit.) | Paris 1873. |
*AD. ERMAN-RANCKE. Aegypten und aegyptisches Leben im Altertum (2e édit.). | Tübingen 1923. |
*V. LORET. L’Egypte au temps des Pharaons. | Paris 1889. |
*G. MASPERO. Lectures historiques. | Paris 1890. |
J. ROSELLINI. I Monumenti dell’Egitto e della Nubia. (Vol. IV-VIII. Monumenti civili.). | Pise 1843–36. |
*H. SCHNEIDER. Kultur und Denken der alten Aegypter. | Leipzig 1909. |
[315] J. GARDNER WILKINSON. The Manners and Customs of the ancient Egyptians. (4e éd. par S. BIRCH.) 3 vol. | Londres 1878. |
A. WIEDEMANN. Herodots zweites Buch. | Leipzig 1890. |
W. WRESZINSKI. Atlas zur altägyptischen Kulturgeschichte. | Leipzig 1914. |
5. ART | |
F. W. VON BISSING. Denkmäler aegyptischer Sculptur. 1 vol. et 2 atlas. | Leipzig 1908–13. |
L. BORCHARDT. Die aegyptische Pflanzensäule. | Berlin 1897. |
J. CAPART. L’art égyptien. 2 vol. de planches. | Bruxelles 1909–11. |
— Leçons sur l’art égyptien. | Bruxelles 1920. |
A. CHOISY. L’art de bâtir chez les Egyptiens. | Paris 1904. |
G. FOUCART. Histoire de l’ordre lotiforme. | Paris 1897. |
G. JÉQUIER. Décoration égyptienne. | Paris 1911. |
— Les temples memphites et thébains. | Paris 1921. |
— Les temples ramessides et saïtes. | Paris 1923. |
— Les temples ptolémaïques et romains. | (sous presse). |
*G. MASPERO. L’archéologie égyptienne. | Paris 1887. |
*— Egypte (collection «Ars una»). | Paris 1912. |
G. PERROT ET CH. CHIPIEZ. Histoire de l’Art dans l’Antiquité. I Egypte. | Paris 1882. |
*W. M. FL. PETRIE. Egyptian Decorative Art. | Londres 1895. |
*— Arts and Crafts of ancient Egypt. | Edimbourg 1909. |
*H. SCHAFER. Von ägyptischer Kunst. 2 vol. | Leipzig 1920. |
*W. SPIEGELBERG. Geschichte der aegyptischen Kunst. | Leipzig 1903. |
6. ÉCRITURE | |
HIÉROGLYPHES | |
PH. BERGER. Histoire de l’écriture dans l’antiquité, p. 90–104. | Paris 1891. |
F. LL. GRIFFITH. Beni Hasan III. | Londres 1896. |
— Hieroglyphs. | Londres 1898. |
— The Mastaba of Ptahhetep and Akhethetep. I. | Londres 1900. |
M. A. MURRAY. Saqqara Mastabas I. | Londres 1905. |
HIÉRATIQUE | |
AD. ERMAN. Die Märchen des Papyrus Westcar, t. II. | Berlin 1890. |
S. LEVI. Raccolta dei Signi ieratici egizi. | Turin 1882. |
G. MOLLER. Hieratische Palaeographie. 3 vol. | Leipzig 1909–1913. |
DÉMOTIQUE | |
H. BRUGSCH. Grammaire démotique. | Paris 1855. |
7. LANGUE [316] | |
GRAMMAIRE | |
H. BRUGSCH. Hieroglyphische Grammatik. | Leipzig 1872. |
J. F. CHAMPOLLION. Grammaire égyptienne. | Paris 1836. |
E. DRIOTON. Cours de grammaire égyptienne. | Nancy 1922. |
AD. ERMAN. Aegyptische Grammatik (3e éd.) | Berlin 1911. |
V. LORET. Manuel de la langue égyptienne. | Paris 1889. |
E. DE ROUGÉ. Chrestomathie égyptienne, 4 vol. | Paris 1867–76. |
K. SETHE. Das aegyptische Verbum. 3 vol. | Leipzig 1899. |
DICTIONNAIRE | |
H. BRUGSCH. Hieroglyphisch-demotisches Wörterbuch. Vol. I-IV et suppl. Vol. V-VII. | Leipzig 1867–82. |
AD. ERMAN, H. GRAPOW. Aegyptisches Handwörterbuch. | Berlin 1904. |
S. LEVI. Vocabolario geroglifico-copto-ebraico. Vol. I-IV et suppl. Vol. VII-VIII. | Turin 1887–94. |
P. PIERRET. Vocabulaire hiéroglyphique. | Paris 1875. |
8. LITTÉRATURE | |
*J. BREASTED. Ancient Records of Egypt, 5 vol. | Chicago 1906–07. |
G. MASPERO. Etudes égyptiennes. Vol. I. | Paris 1879. |
— Du genre épistolaire chez les Egyptiens. | Paris 1872. |
*— Les Contes populaires de l’Egypte ancienne. (4e édit.). | Paris 1911. |
W. M. MULLER. Die Liebespoesie der alten Aegypter. | Leipzig 1899. |
Records of the Past. Vol. II, IV, VI, VIII, X, XII. | Londres 1874–81. |
9. RELIGION | |
H. BRUGSCH. Religion und Mythologie der alten Aegypter. | Leipzig 1888. |
E. A. WALLIS BUDGE. The Gods of the Egyptians (2 vol.). | Londres 1904. |
— Osiris and the Egyptian Resurrection (2 vol.). | Londres 1911. |
*AD. ERMAN. Die aegyptische Religion. | Berlin 1905. |
G. MASPERO. Etudes de Mythologie et d’Archéologie égyptiennes. (Vol. I-VI. Bibliothèque Egyptologique, t. I, II, VIII, IX, XXVII, XXVIII.) | Paris 1893–1912. |
*ED. NAVILLE. La Religion des Anciens Egyptiens (Annales du Musée Guimet. Bibl. de Vulgarisation t. XXIII.) | Paris 1906. |
*W. M. FL. PETRIE. Religion and Conscience in Egypt. | Londres 1898. |
*Personal Religion in Egypt before Christianity. | Londres 1909. |
P. PIERRET. Essai sur la Mythologie égyptienne. | Paris 1879. |
*G. STEINDORF. The Religion of the ancient Egyptians. | New-York 1905. |
V. VON STRAUSS UND TORNEY. Der altaegyptische Götterglaube. 2 vol. | Heidelberg 1889. |
*A. WIEDEMANN. Die Religion der alten Aegypter. | Münster 1890. |
RITES [317] | |
*E. A. W. BUDGE. The Liturgy of funerary offerings (Books on Egypt and Chaldaea. Vol. XXV). | Londres 1909. |
*— The Book of Opening the Mouth. 2 vol. (ibid. Vol. XXVI et XXVII). | Londres 1909. |
H. KEES. Der Opfertanz des aegyptischen Königs. | Leipzig 1912. |
E. LEFÉBURE. Rites égyptiens. (Publ. de l’Ecole des Lettres d’Alger. IV.) | Paris 1890. |
*A. MORET. Du caractère religieux de la royauté pharaonique. (Annales du Musée Guimet. Bibl. d’Etudes, t. XV.). | Paris 1902. |
*— Le Rituel du Culte divin journalier en Egypte (ibid. t. XIV). | Paris 1902. |
E. SCHIAPARELLI. Il Libro dei Funerali degli antichi Egiziani, 3 vol. et atlas de planches. | Turin 1882. |
G. MASPERO. Le rituel du sacrifice funéraire. Bibliothèque égyptologique I. p. 283–324. | Paris 1893. |
TEXTES ANCIENS | |
1. Livre des pyramides. | |
G. MASPERO. Les Inscriptions des Pyramides de Saqqarah. (Extrait du Recueil de Travaux.) | Paris 1894. |
K. SETHE. Die altaegyptischen Pyramidentexte. (En cours de publication. 4 vol. parus.) | Leipzig 1908. sq. |
2. Textes funéraires du Moyen Empire. | |
P. LACAU. Textes religieux. (Parait dans le Recueil de travaux. Vol. XXVI et suiv.) | Paris 1904 sq. |
R. LEPSIUS. Aelteste Texte des Todtenbuchs. | Berlin 1867. |
3. Livre des morts. | |
*E. A. WALLIS BUDGE. The Book of the Dead. 3 vol. (Texte, traduction et index.) | Londres 1898. |
*P. LE PAGE RENOUF. The Book of the Dead. Translation and commentary (Life-Work, vol. IV.) | Paris 1907. |
R. LEPSIUS. Das Todtenbuch der Aegypter. | Leipzig 1842. |
ED. SAVILLE. Das aegyptische Totenbuch der XVIII-XX. Dyn. 3 vol. | Berlin 1886. |
G. MASPERO. Le livre des morts. Bibliothèque égyptol. I. p. 325–387. | Paris 1893. |
*P. PIERRET. Le Livre des morts. (2e édit.) trad. | Paris 1907. |
W. PLEYTE. Chapitres supplémentaires du Livre des morts. 3 vol. | Leide 1881. |
*E. DE ROUGÉ. Etudes sur le Rituel funéraire des anciens Egyptiens. Bibl. égyptol. XXIII. | Paris 1910. |
4. Livre de l’Am.-Douat. [318] | |
G. JÉQUIER. Le livre de ce qu’il y a dans l’Hadès. | Paris 1894. |
R. V. LANZONE. Le domicile des Esprits. | Paris 1879. |
E. LEFÉBURE. Le Tombeau de Seti Ier (Mém. de la Mission franç. au Caire, t. II.) | Paris 1886. |
G. MASPERO. Les Hypogées royaux de Thèbes. (Bibliothèque égyptol. II, p. 1–181.) | Paris 1893. |
5. Ouvrages divers. | |
E. VON BERGMANN. Das Buch vom Durchwandeln der Ewigkeit. | Vienne 1877. |
E. CHASSINAT. Le livre de protéger la barque divine. (Recueil de travaux XVI. p. 105–122.) | Paris 1894. |
— Etude sur quelques textes de provenance thébaine. (Bulletin de l’Inst. fr. d’arch. or. du Caire, III. 129–163.) | Le Caire 1903. |
J. DE HORRACK. Les lamentations d’Isis et de Nephthys. | Paris 1866. |
— Le livre des respirations. | Paris 1877. |
H. JUNKER. Die Stundenwachen in den Osiris-Mysterien. | Vienne 1910. |
— Die Onurislegende. | Vienne 1917. |
J. LIEBLEIN. Le livre égyptien «Que mon nom fleurisse». | Leipzig 1895. |
E. GRÉBAUT. Hymne à Ammon-Râ. | Paris 1874. |
H. KEES. Der Opfertanz des aegyptischen Königs. | Leipzig 1912. |
V. LORET. Les fêtes d’Osiris au mois de Khoïak. (Recueil de travaux III-V.) | Paris 1882–84. |
G. MASPERO. Hymne au Nil. | Le Caire 1912. |
E. NAVILLE. Textes relatifs au Mythe d’Horus. | Leipzig 1870. |
— La Litanie du Soleil. | Leipzig 1875. |
— La destruction des hommes par les dieux. (Transaction of the Soc. of Bibl. Arch. IV et VIII.) | Londres 1875–85. |
6. Textes magiques. | |
F. CHABAS. Le papyrus magique Harris. | Chalon 1860. |
AD. ERMAN. Zaubersprüche für Mutter und Kind. | Berlin 1901. |
G. DARESSY. Textes et dessins magiques. (Catal. gén. du Musée du Caire.) | Le Caire 1903. |
W. GOLENISCHEFF. Die Metternichstele. | Leipzig 1877. |
10. PUBLICATIONS DE TEXTES | |
MONUMENTS | |
H. BRUGSCH. Recueil de monuments égyptiens. 6 vol. | Leipzig 1861–83. |
— Thésaurus inscriptionum aegyptiacarum. 6 vol. | Leipzig 1883–91. |
J. F. CHAMPOLLION. Monuments de l’Egypte et de la Nubie. 4 vol. de planches et 2 vol. de texte. | Paris 1835 sq. |
J. DUMICHEN. Historische Inschriften altägyptischer Denkmäler. 2 vol. | Leipzig 1867. |
[319] — Altägyptische Kalenderinschriften. | Leipzig 1866. |
— Altägyptische Tempelinschriften. 2 vol. | Leipzig 1867. |
R. LEPSIUS. Denkmaler aus Aegypten und Aethiopien. Planches 12 vol. Texte 5 vol. | Berlin 1840 sq. |
J. ROSELLINI. Monumenti dell’Egitto e della Nubia. Planches 3 vol. Texte 9 vol. | Pise 1832–44. |
R. DE ROUGÉ. Inscriptions hiéroglyphiques copiées en Egypte. 4 vol. | Paris 1877–79. |
Description de l’Egypte. 1re édit. Planches. 14 vol. Texte. 9 vol. | Paris 1809 sq. |
2e édit. Planches 11 vol. Texte 26 vol. | Paris 1821 sq. |
Urkunden des aegyptischen Altertums. En cours de publication. | Leipzig 1903 sq. |
Archaelogical Survey of Egypt. 24 vol. parus. | Londres 1890 sq. |
FOUILLES | |
Egypt Exploration Fund. 37 vol. parus. | Londres 1883 sq. |
Egypt Research Account. British school of Archaeology. 18 vol. parus. | Londres 1898 sq. |
Deutsche Orient Gesellschaft. | Leipzig 1908 sq. |
Services des Antiquités de l’Egypte. (Comptes rendus de fouilles). | Le Caire 1894 sq. |
W. M. FLINDERS PETRIE. Publications diverses. | Londres 1896 sq. |
MUSÉES | |
Catalogue général des antiquités égyptiennes du Musée du Caire. 59 vol. parus depuis 1901. | |
Beschreibung der aegyptischen Sammlung .... in Leiden. 11 vol. parus depuis 1907. | |
Aegyptische Inschriften aus den Kg. Museen zu Berlin. 2 vol. parus depuis 1901. | |
C. LEEMANS. Monuments égyptiens du Musée d’Antiquités des Pays-Bas à Leide. | Leide 1832 sq. |
P. PIERRET. Recueil d’inscriptions inédites du Musée égyptien du Louvre. 2 vol. | Paris 1874–78. |
E. SCHIAPARELLI. Museo archeologico di Firenze.—Antichita Egizie. | Rome 1887. |
PAPYRUS | |
Select papyri in the hieratic character from the British Museum. | Londres 1841–60. |
Hieratische Papyrus aus den kg. Museum zu Berlin. 5 vol. parus. | Leipzig 1901 sq. |
S. BIRCH. Inscriptions in the hieratic and demotic character (British Museum). | Londres 1868. |
— Facsimile of an egyptian hieratic papyrus of the reign of Ramses III. | Londres 1876. |
[320] TH. DEVÉRIA. Le papyrus judiciaire de Turin et les papyrus Lee et Rollin (Bibliothèque égyptologique V). | Paris 1897. |
G. EBERS. Papyros Ebers. 2 vol. | Leipzig 1875. |
A. EISENLOHR. Ein mathematisches Handbuch der alten Aegypter. 2 vol. | Leipzig 1877. |
AD. ERMAN. Die Märchen des Papyrus Westcar (2 vol.). | Berlin 1890. |
— Gespräch eines Lebensmüden mit seiner Seele. | Berlin 1896. |
A. GARDINER. Egyptian hieratic texts. (En cours de publication.) | Leipzig 1911 sq. |
— Admonitions of an aegyptian Sage. | Leipzig 1909. |
F. LL. GRIFFITH. Hieratic papyri from Kahun and Gurob. | Londres 1898. |
G. JÉQUIER. Le Papyrus Prisse et ses variantes. | Paris 1910. |
A. MARIETTE. Les papyrus égyptiens du Musée de Boulaq. | Paris 1872–77. |
W. PLEYTE et F. ROSSI. Les papyrus de Turin. 2 vol. | Leide 1869–76. |
G. REISNER. The Hearst medical papyrus. | Leipzig 1905. |
W. WRESZINSKI. Der grosse medizinische Papyrus des Berliner Museums. | Leipzig 1909. |
11. MÉMOIRES EN SÉRIES | |
Mémoires publiés par les membres de la Mission archéologique française au Caire. (16 vol.). | Paris 1884–1897. |
Mémoires publiés par les membres de l’Institut français d’archéologie orientale du Caire (45 vol. parus). | Le Caire 1902 sq. |
Bibliothèque égyptologique, contenant les œuvres des égyptologues français (25 volumes parus). | Paris 1893 sq. |
Untersuchungen zur Geschichte und Altertumskunde Aegyptens. (6 vol. parus.). | Leipzig 1896 sq. |
Recueil d’Etudes égyptologiques dédiées à la mémoire de J.-F. Champollion. | Paris 1922. |
12. PÉRIODIQUES | |
Ancient Egypt. | Londres dès 1914. |
Annales du Service des Antiquités de l’Egypte. | Le Caire dès 1900. |
Bulletin de l’Institut français d’archéologie orientale. | Le Caire dès 1901. |
Journal of Aegyptian archeology. | Londres dès 1914. |
Mélanges d’archéologie égyptienne et assyrienne. (Vol. I-III.) | Paris 1872–77. |
Recueil de travaux relatifs à la philologie et à l’archéologie égyptiennes et assyriennes. | Paris dès 1870. |
Revue égyptologique. | Paris dès 1880. |
Society of Biblical Archaeology. Transactions I-IX. Londres 1872–93. Proceedings I-XL. | Londres 1879–1918. |
Sphinx. Revue critique. (Vol. I-XXI.) | Upsala 1897–1918. |
Zeitschrift für aegyptische Sprache und Altertumskunde. | Leipzig dès 1863. |
B. OUVRAGES SPÉCIAUX [321] | |
1. ÉPOQUES PRÉDYNASTIQUE ET THINITE | |
E. AMÉLINEAU. Les nouvelles fouilles d’Abydos. 4 vol. | Paris 1899 sq. |
— Le tombeau d’Osiris. | Paris 1899. |
E. AYRTON. Predynastic cemetery at El Mahasna. | Londres 1911. |
J. CAPART. Les débuts de l’art en Egypte. | Bruxelles 1909. |
J. GARSTANG. Mahasna and Bet-Khallaf. | Londres 1902. |
J. DE MORGAN. Recherches sur les Origines de l’Egypte. 2 vol. | Paris 1896–97. |
W. M. FL. PETRIE, J. E. QUIBELL. Nagada and Ballas. | Londres 1896. |
FL. PETRIE. The Royal Tombs of the earliest dyn. 2 vol. | Londres 1900–01. |
— Diospolis parva. | Londres 1901. |
— Abydos. 2 vol. | Londres 1902–03. |
J. E. QUIBELL. Hieraconpolis. 2 vol. | Londres 1900 sq. |
— Archaïc objects (catal. gén. du Caire). | Le Caire 1905. |
D. RANDALL-MACIVER. El-Amrah and Abydos. | Londres 1902. |
G. REISNER. The early dynastie cemeteries of Naga-ed-Dêr. | Leipzig 1908. |
K. SETHE. Beitrage zur ältesten Geschichte Aegyptens. | Leipzig 1905. |
R. WEIL. Des monuments et de l’histoire des IIe et IIIe dynasties égyptiennes. | Paris 1908. |
2. ANCIEN EMPIRE | |
F. W. VON BISSING. Die Mastaba des Gem-ni-kai. 2 vol. | Berlin 1905 sq. |
— Das Rè-Heiligtum des Königs Ne-Woser-Rè. 2 vol. | Berlin 1905 sq. |
L. BORCHARDT. Das Grabdenkmal des Königs Ne-User-Re. | Berlin 1907. |
— Das Grabdenkmal des Königs Nefer-ir-ke-Re. | Berlin 1909. |
— Das Grabdenkmal des Königs Sa-hu-Re. 2 vol. | Berlin 1910–13. |
J. CAPART. Une rue de tombeaux à Saqqarah. 2 vol. | Bruxelles 1907. |
N. DE G. DAVIES. Ptahhetep and Akhethetep. 2 vol. | Londres 1900. |
— The Rock-tombs of Sheikh-Said. | Londres 1901. |
— The Rock-tombs of Deir-el-Gebrawi. 2 vol. | Londres 1902. |
A. MARIETTE. Les Mastabas de l’Ancien Empire. | Paris 1889. |
M. A. MURRAY. Saqqara Mastaba I. | Londres 1904. |
W. M. FL. PETRIE. Medum. | Londres 1893. |
— Deshasheh. | Londres 1898. |
E. DE ROUGÉ. Recherches sur les monuments qu’on peut attribuer aux six premières dynasties de Manéthon. | Paris 1866. |
3. MOYEN EMPIRE | |
E. CHASSINAT et CH. PALANQUE. Une campagne de fouilles dans la nécropole d’Assiout. | Le Caire 1911. |
N. DE G. DAVIES, A. GARDINER. The tomb of Antefoker. | Londres 1920. |
J. GARSTANG. The Burial Customs of Ancient Egypt. | Londres 1907. |
J. E. GAUTIER, G. JEQUIER. Mémoire sur les fouilles de Licht. | Caire 1902. |
[322] F. LL. GRIFFITH. The Inscriptions of Siut and Der-Rifeh. | Londres 1889. |
P. LACAU. Sarcophages antérieurs au Nouvel Empire thébain (2 vol.). | Le Caire 1904. |
H. O. LANGE et H. SCHAEFER. Grab und Denksteine des Mittleren Reichs. 4 vol. | Berlin dès 1902. |
A. C. MACE, H. E. WINLOCK. The Tomb of Senebtisi at Lisht. | New-York 1916. |
J. DE MORGAN. Fouilles à Dahchour. 2 vol. | Vienne 1895–1903. |
ED. NAVILLE. The XIth dynasty Temple at Deir-el-Bahari. 3 vol. | Londres 1907 sq. |
P. E. NEWBERRY. Beni Hasan. 4 vol. | Londres 1892 sq. |
— El Bersheh. 2 vol. | Londres 1894 sq. |
H. SCHÆFER. Priestergräber .... vom Totentempel des Ne-User-Rè. | Leipzig 1908. |
G. STEINDORFF. Grabfunde des Mittleren Reichs. 2 vol. | Berlin 1896 sq. |
4. NOUVEL EMPIRE | |
N. DE G. DAVIES. The Rock-tombs of El-Amarna (6 vol.). | Londres 1903 sq. |
— GARDINER. The tomb of Amenemhèt. | Londres 1915. |
— The Tomb of Nakht at Thèbes. | New-York 1917. |
P. LACAU. Stèles du Nouvel Empire. | Le Caire 1909. |
A. MARIETTE. Abydos I. | Paris 1880. |
— Karnak. | Leipzig 1875. |
ED. NAVILLE. The Temple of Deir-el-Bahari. 7 vol. | Londres 1900. |
P. E. NEWBERRY. The life of Rekmara. | Londres 1900. |
Mis OF NORTHAMPTON, W. SPIEGELBERG, P. NEWBERRY. Excavations in the Theban necropolis. | Londres 1908. |
K. SETHE. Urkunden der XVIIIe dynastie. 4 vol. | Leipzig 1906 sq. |
Mém. de la Mission archéologique française au Caire, t. V. | Paris 1894. |
Pages | ||
Le «Sheikh-el-beled» statue en bois de l’Ancien Empire | (frontispice). | |
1. | Quelques lignes de la Pierre de Rosette | 11 |
2. | La table royale d’Abydos | 22 |
3. | Fragments du papyrus royal de Turin | 22 |
4. | Partie supérieure de la Pierre de Palerme | 24 |
5. | Panneau de la Salle des Ancêtres de Karnak | 34 |
6. | Rà dans la barque solaire | 35 |
7. | Ptah | 37 |
8. | Sekhet | 38 |
9. | Nouït portant la barque solaire: Shou et Qeb; Thot | 39 |
10. | Osiris et Isis | 41 |
11. | Anubis embaumeur | 43 |
12. | Set et Horus réunissant les deux parties du pays sous l’autorité du roi | 44 |
13. | Les Enfants d’Horus | 52 |
14. | Poignard en silex | 53 |
15–18. | Instruments paléolithiques | 61 |
19–21. | Haches et herminette en silex | 64 |
22–25. | Couteaux et grattoirs en silex | 65 |
26–29. | Pointes de flèches en silex | 66 |
30. | Tombeau prédynastique | 69 |
31. | Tombeau prédynastique | 70 |
32. | Tombeau prédynastique | 71 |
33. | Couteau en silex | 74 |
34–36. | Plaques de schiste | 75 |
37–41. | Vases rouges à bord noir | 76 [324] |
42–46. | Poterie rouge | 77 |
47–49. | Vases rouges à décor blanc | 78 |
50–51. | Vases à cordon | 79 |
52–54. | Vases peints | 79 |
55. | Vase peint | 79 |
56–57. | Poterie grossière | 80 |
58. | Sanctuaire primitif | 84 |
59. | Figurines d’ivoire d’époque archaïque | 85 |
60. | Bracelet en silex | 86 |
61. | Peigne en os | 86 |
62–63. | Massues | 87 |
64. | Harpon en os | 88 |
65. | Modèle de nacelle en terre cuite | 90 |
66. | Barque préhistorique. Graffito | 91 |
67. | Hippopotame en terre cuite | 94 |
68. | Vue perspective du tombeau de Negadah | 95 |
69. | Tête de Kha-Sekhemouï | 102 |
70. | Plan d’un tombeau royal à Abydos | 103 |
71. | Stèle royale d’Abydos | 104 |
72. | Tombe d’époque thinite | 106 |
73. | Jarre en terre | 107 |
74–75. | Vases cylindriques en terre | 107 |
76–79. | Coupes en pierre dure | 108 |
80–81. | Vases de pierre | 109 |
82–83. | Bracelets de la Ire dynastie | 110 |
84. | Poignard en silex à poignée d’or | 111 |
85–86. | Pointes de flèches | 111 |
87. | Plaque de schiste | 111 |
88. | Statue archaïque, Turin | 112 |
89. | Tablette en ébène | 114 |
90. | Empreinte de cylindre | 114 |
91. | Protocole du roi Amenemhat III | 115 |
92. | Noms de rois de la Ire dynastie | 117 |
93. | Nom du roi Perabsen | 117 |
94. | Nom du roi Kha-Sekhemouï | 117 |
95. | Nom du roi Den-Setouï | 117 |
96. | Chien en ivoire | 122 |
97. | La pyramide à degrés de Saqqarah | 123 |
98. | Bas-relief de Snefrou au Sinaï | 126 |
99. | Khéops | 127 |
100. | Dadefra | 127 |
101. | Khefren | 127 |
102. | La grande pyramide et le sphinx de Gizeh | 128 |
103. | Mycérinus | 128 |
104. | Neouserra | 130 |
105. | Pepi I | 132 [325] |
106. | Merenra | 132 |
107. | Colonne palmiforme | 136 |
108. | Colonne papyriforme | 136 |
109. | Colonne lotiforme | 136 |
110. | Le temple du Soleil à Abousir | 137 |
111. | Plan d’un mastaba de la IVme dynastie | 140 |
112. | Fausse-porte de Nefer-Seshem-Ptah | 141 |
113. | Fausse-porte de la Vme dynastie | 143 |
114–115. | Tables d’offrandes de l’Ancien Empire | 143 |
116. | Mastabas près de la grande pyramide | 144 |
117. | Sarcophage de Khoufou-Ankh | 144 |
118. | Plan du tombeau de Ti | 146 |
119. | Pyramide de Moïdoum | 149 |
120. | Coupe de la pyramide de Khéops | 149 |
121. | Chapelle funéraire de Sahoura | 151 |
122. | Statue de Ra-Nofer | 153 |
123. | Scribe agenouillé | 154 |
124. | Groupe de l’Ancien Empire | 155 |
125. | Tête du Sheikh-el-Beled | 156 |
126. | Tête du scribe accroupi (Musée du Caire) | 156 |
127. | Statue de Khefren | 157 |
128. | Bas relief du Mastaba de Ptahhotep à Saqqarah | 158 |
129. | Peinture d’un tombeau de Meïdoum | 162 |
130. | Panneau de Hosi | 163 |
131. | Costumes de l’Ancien Empire | 172 |
132. | Ptahhotep à sa toilette | 172 |
133. | Chasse et pêche au marais | 174 |
134. | Chasse au lasso | 174 |
135. | Chasse au filet | 175 |
136. | Scènes de pêche | 175 |
137. | Basse-cour | 177 |
138. | Engraissage des bœufs | 179 |
139. | Antilopes. Engraissage des hyènes | 179 |
140. | Labourage et semailles | 179 |
141. | Scène de moisson | 180 |
142. | Dépiquage du grain | 180 |
143. | Foulage et pressurage du raisin | 181 |
144. | Récolte du lin | 182 |
145. | Tressage de nattes | 182 |
146. | Menuisiers | 183 |
147. | Orfèvres et Joailliers | 184 |
148. | Litière | 186 |
149. | Fabrication de nacelles | 186 |
150. | Barque (IVme dynastie) | 186 |
151. | Scène de marché | 186 |
152. | Forage de vases de pierre | 187 [326] |
153. | Sphinx du Moyen Empire | 189 |
154. | Mentouhotep IV (?) | 190 |
155. | Senousrit I | 192 |
156. | Senousrit III | 192 |
157. | Amenemhat III | 193 |
158. | Neferhotep | 195 |
159. | Tête d’un roi hyksos | 196 |
160. | Poignard d’Apepi | 198 |
161. | Tête de la momie de Seqnenra | 200 |
162. | Reconstitution du monument de Mentouhotep II | 202 |
163. | Pyramide de Senousrit III à Dahchour | 202 |
164. | Façade de tombeau à Beni Hassan | 203 |
165. | Tombeau de Beni Hassan | 205 |
166. | Masque de momie | 205 |
167. | Momie du Moyen Empire | 208 |
168. | Sarcophage du Moyen Empire | 208 |
169. | Intérieur d’un sarcophage | 208 |
170. | Sarcophage anthropoïde | 208 |
171. | Canope du Moyen Empire | 209 |
172. | Statuette de serviteur | 209 |
173. | Modèle de barque | 210 |
174. | Statuette de bois | 211 |
175. | Oushabti du Moyen Empire | 211 |
176. | Modèle de maison en terre cuite | 212 |
177. | Attaque d’une forteresse | 212 |
178. | Statues de Senousrit I. Licht | 213 |
179. | Statue du roi Hor | 214 |
180. | Bas-relief de Koptos | 216 |
181. | Vase en cornaline | 217 |
182. | Vase en lapis-lazuli | 217 |
183. | Pectoral de Senousrit II | 217 |
184. | Couronne en or | 217 |
185. | Groupes de soldats d’un prince de Siout | 219 |
186. | Nomades sémites | 221 |
187. | Parc de chasse | 224 |
188. | Barque à voile carrée | 225 |
189. | Menuisiers | 226 |
190. | Femmes filant et tissant | 227 |
191. | Une page du papyrus Prisse | 228 |
192. | Bijou de la XIIme dynastie | 228 |
193. | Panneau du char triomphal de Thoutmès IV | 229 |
194. | Aménophis I, Turin | 230 |
195. | Tête de la momie de Thoutmès I | 232 |
196. | Thoutmès III | 233 |
197. | Tête de la momie de Thoutmès IV | 235 |
198. | Sphinx d’Aménophis III | 235 [327] |
199. | Buste de Khounaten | 236 |
200. | Adoration d’Aten. Tell el Amarna | 236 |
201. | Peinture de Tell el Amarna | 240 |
202. | Tablette de Tell el Amarna | 240 |
203. | Toutankhamon | 240 |
204. | Horemheb | 241 |
205. | Tête de la momie de Séti I | 244 |
206. | Campagnes de Séti I (Temple de Karnak) | 244 |
207. | Tête de la momie de Ramsès II | 244 |
208. | Tête de la momie de Menephtah | 245 |
209. | Tête de la momie de Ramsès III | 246 |
210. | Bataille contre les Philistins | 246 |
211. | Bataille navale sous Ramsès III | 246 |
212. | Osorkon I | 251 |
213. | Rois et princes faisant leur soumission à Piânkhi | 252 |
214. | Psammétique I | 254 |
215. | Apriès | 255 |
216. | Amasis | 256 |
217. | Nectanébo I | 257 |
218. | Fragment d’un dallage peint | 260 |
219. | Maison et jardin | 261 |
220. | Pavillon de Ramsès III à Medinet-Habou | 263 |
221. | Plan du temple de Khonsou à Karnak | 263 |
222. | Pylone du temple de Louxor | 264 |
223. | Temple de Khonsou à Karnak | 264 |
224. | Cour du temple de Louxor (Aménophis III) | 265 |
225. | Cour du temple de Medinet-Habou (Ramsès III) | 265 |
226. | Salle hypostyle de Karnak (Séti I) | 266 |
227. | Salle hypostyle du Ramesseum (Ramsès II) | 266 |
228. | Bas-relief du temple de Karnak (Séti I) | 267 |
229. | Bas-relief du temple de Séti I à Abydos | 267 |
230. | Barque sacrée d’Amon à Abydos | 268 |
231. | Plan du tombeau de Ramsès IV | 271 |
232. | Tombeau d’un particulier | 271 |
233. | Momie de Siphtah | 272 |
234. | Sarcophage, cercueils, caisse à canopes | 274 |
235. | Statue de Ramsès II, à Turin | 276 |
236. | Ramsès II présentant une offrande | 276 |
237. | Statuette en bois du musée de Turin | 278 |
238. | Oushabtis du Nouvel Empire | 279 |
239. | Groupe d’époque saïte | 279 |
240. | La reine Karomama. Bronze incrusté | 280 |
241. | Bas-relief du tombeau de Kha-m-ha | 282 |
242. | Bas-relief d’un tombeau de Tell el Amarna | 282 |
243. | Cueillette des raisins | 282 |
244. | Bijou de la XIXme dynastie | 283 [328] |
245. | Vases d’albâtre. (XVIIIme dynastie) | 284 |
246. | Fauteuil en bois doré | 285 |
247. | Cuillère à parfums | 286 |
248. | Syriens apportant des vases | 289 |
249. | Soldats égyptiens | 290 |
250. | Vaisseaux de l’expédition de Hatshepsou au pays de Pount | 292 |
251. | Scènes de labour et de semailles | 293 |
252. | Atelier de chaudronnerie | 294 |
253. | Atelier de cordonniers | 295 |
254. | Ostracon hiératique | 296 |
255. | Fragment d’un contrat démotique | 297 |
256. | Aménophis fils de Paapis | 298 |
257. | Repas et danseuses | 299 |
258. | Tête de femme (XVIIIme dynastie) | 312 |
259. | Moissonneurs portant la récolte | 313 |
260. | Vanneurs | 322 |
261. | Haches d’Ahmès I | 323 |
262. | Coffret à oushabtis. Turin | 328 |
263. | Frise peinte dans un tombeau de la XVIIIme dyn. | 329 |
264. | Buste de princesse (XIXme dynastie) | 332 |
La vignette de la couverture représente un sphinx de Thoutmès III, au Musée du Caire, d’après une photographie de E. Brugsch-Pacha.
Pages | |
Préface | 9 |
Chap. I. LES SOURCES DE L’HISTOIRE D’ÉGYPTE | 11 |
Sources classiques | 13 |
La Description de l’Egypte | 16 |
Déchiffrement des hiéroglyphes | 17 |
Progrès de l’égyptologie | 19 |
Listes royales | 21 |
Documents historiques divers | 25 |
Chronologie | 27 |
La civilisation égyptienne | 29 |
Chap. II. L’ÉGYPTE LÉGENDAIRE | 35 |
A. Les dynasties divines | 36 |
Les dieux cosmiques | 36 |
Osiris et son cycle | 40 |
B. Les dynasties des demi-dieux et des mânes | 47 |
C. La chronologie légendaire | 49 |
Chap. III. L’ÉGYPTE ARCHAIQUE | 53 |
I. Paléolithique | 60 |
II. Prédynastique | 63 |
A. Monuments | 63 |
Silex | 64 |
Villages | 67 |
Tombeaux | 68 |
Mobilier funéraire | 73[330] |
Céramique | 76 |
B. Civilisation | 81 |
Le pays | 82 |
La race | 83 |
Habitations | 84 |
Costume et parure | 85 |
Chasse et pêche | 86 |
Elevage. Agriculture | 89 |
Navigation | 90 |
Commerce extérieur | 91 |
Arts et métiers | 91 |
Organisation sociale et politique | 93 |
Chap. IV. ÉPOQUE THINITE (De 4000 à 3400 av. J.-C. env.) | 95 |
A. Histoire et tradition | 98 |
B. Monuments | 102 |
Tombeaux | 102 |
Mobilier funéraire | 106 |
Inscriptions | 113 |
C. Civilisation | 118 |
Royauté | 118 |
Tribus | 118 |
Fonctionnaires | 119 |
Peuple | 119 |
Commerce extérieur | 121 |
Chap. V. ANCIEN EMPIRE (De 3400 à 2200 av. J.-C. env.) | 123 |
A. Histoire | 123 |
IIIme dynastie | 124 |
IVme dynastie | 125 |
Vme dynastie | 129 |
VIme dynastie | 131 |
La fin de l’empire memphite | 133 |
B. Monuments | 135 |
Architecture | 135 |
Temples | 136 |
Mastabas | 139 |
Pyramides | 148 |
Sculpture | 153 |
Peinture | 161 |
Objets usuels | 162 |
Inscriptions | 163 |
C. Civilisation | 165 |
Royauté et gouvernement | 165 |
Relations extérieures | 168 |
Famille | 169 |
Vêtement | 170 |
Mobilier. Habitation | 173[331] |
Chasse et pêche | 173 |
Elevage | 177 |
Agriculture | 179 |
Métiers | 182 |
Navigation | 184 |
Chap. VI. MOYEN EMPIRE (De 2200 à 1500 av. J.-C. env.) | 189 |
A. Histoire | 189 |
XIme dynastie | 189 |
XIIme dynastie | 191 |
XIIIme et XIVme dynasties | 194 |
Les Hyksos | 195 |
XVIIme dynastie | 197 |
Chronologie | 198 |
B. Monuments | 200 |
Architecture | 200 |
Sculpture | 212 |
Peinture | 215 |
Arts industriels | 216 |
C. Civilisation | 217 |
Royauté | 217 |
Gouvernement | 219 |
Relations extérieures | 220 |
Vie privée | 222 |
Chasse et pêche | 224 |
Agriculture et élevage | 224 |
Navigation | 225 |
Industrie | 226 |
Littérature | 227 |
Chap. VII. NOUVEL EMPIRE (De 1500 à 332 av. J.-C.) | 229 |
A. Histoire | 229 |
XVIIIme dynastie | 230 |
Les rois hérétiques | 236 |
XIXme dynastie | 242 |
XXme dynastie | 246 |
XXIme dynastie | 250 |
XXIIme dynastie | 250 |
XXIIIme dynastie | 251 |
XXIVme dynastie | 252 |
XXVme dynastie | 253 |
XXVIme dynastie | 254 |
Epoque perse (dynasties XXVII à XXX) | 257 |
L’Exode des Hébreux | 259 |
B. Monuments | 259 |
Architecture | 260 |
Temples | 262 |
Tombeaux | 270[332] |
Sculpture | 275 |
Peinture | 280 |
Arts industriels | 283 |
C. Civilisation | 285 |
Royauté | 285 |
Gouvernement | 287 |
Relations extérieures. Commerce | 287 |
Vie civile. Vêtement | 289 |
Armée | 289 |
Marine | 291 |
Agriculture. Elevage | 292 |
Pêche et chasse | 293 |
Industrie | 294 |
Langue et littérature | 294 |
INDEX | 299 |
BIBLIOGRAPHIE | 313 |
TABLE DES GRAVURES | 323 |
ACHEVÉ D’IMPRIMER
LE DIX FÉVRIER MIL NEUF CENT VINGT-CINQ
PAR LA
SOCIÉTÉ D’IMPRIMERIE D’AMBILLY S. A.
A ANNEMASSE (HAUTE-SAVOIE)
POUR LA LIBRAIRIE PAYOT — PARIS
— Note de transcription détaillée —
Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L’orthographe d’origine a été conservée et n’a pas été harmonisée. En particulier:
En revanche, la ponctuation dans les notes et la bibliographie a été harmonisée afin d’en améliorer la présentation.
Certaines images ont été déplacées de quelques lignes par rapport au livre original afin de les joindre au paragraphe qui les concerne. Leur numéro de page dans la table des gravures a été modifié en conséquence.
Malgré des recherches, il n’a pas été possible de trouver une image utilisable de la vignette de la couverture représentant un sphinx de Thoutmès III, mentionnée à la fin de la table des gravures. Il est toutefois possible de la trouver sur certains sites de ventes aux enchères ou de vente de livres en cherchant le titre de ce livre. Toutes les éditions de 1913, 1923, 1925 et 1930 ont la même couverture.
Les numéros des pages blanches ont été supprimés.
Un index alphabétique à été ajouté dans la section Index pour le confort du lecteur.