The Project Gutenberg eBook of Aphorismes du temps présent This ebook is for the use of anyone anywhere in the United States and most other parts of the world at no cost and with almost no restrictions whatsoever. You may copy it, give it away or re-use it under the terms of the Project Gutenberg License included with this ebook or online at www.gutenberg.org. If you are not located in the United States, you will have to check the laws of the country where you are located before using this eBook. Title: Aphorismes du temps présent Author: Gustave Le Bon Release date: March 8, 2025 [eBook #75555] Language: French Original publication: Paris: Flammarion, 1913 Credits: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by the Polona digital library) *** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK APHORISMES DU TEMPS PRÉSENT *** GUSTAVE LE BON APHORISMES du Temps présent PARIS ERNEST FLAMMARION, ÉDITEUR 26, RUE RACINE 1913 TROISIÈME MILLE Prix: 4 fr. » PRINCIPALES PUBLICATIONS DU Dr GUSTAVE LE BON 1º RECHERCHES EXPÉRIMENTALES La Fumée du Tabac. 2e édition augmentée de nouvelles recherches sur les divers alcaloïdes que la fumée du tabac contient. In-8º. (_Épuisé._) La Vie.--Traité de physiologie humaine. 1 volume in-8º, illustré de 300 gravures. (_Épuisé._) Recherches expérimentales sur l’Asphyxie. (Comptes rendus de l’Académie des Sciences.) Recherches anatomiques et mathématiques sur les lois des variations du volume du crâne. (_Épuisé._) La Méthode graphique et les appareils enregistreurs, contenant la description des nouveaux instruments de l’auteur. 1 vol. in-8º, avec 63 figures. (_Épuisé._) Les Levers photographiques. Exposé des méthodes des levers de cartes et de plans employées par l’auteur pendant ses voyages. 2 vol. in-18. (Gauthier-Villars.) L’Équitation actuelle et ses principes.--Recherches expérimentales. 4e édition. 1 vol. in-8º, avec un atlas de 200 photographies instantanées. (Flammarion.) Mémoires de physique. _Lumière noire. Phosphorescence. Ondes hertziennes. Dissociation de la matière. Énergie intra-atomique_, etc. L’Évolution de la matière. 1 vol. in-18, illustré de 62 figures photographiées au laboratoire de l’auteur. 24e édition. (Flammarion) L’Évolution des forces. 1 vol. in-18, illustré de 40 figures. 13e édition. (Flammarion.) 2º VOYAGES, HISTOIRE, PHILOSOPHIE Voyage aux monts Tatras, avec une carte et un panorama dressés par l’auteur. (Publié par la _Société géographique de Paris_.) Voyage au Népal. (Publié par le _Tour du monde_.) L’Homme et les Sociétés.--Leurs origines et leur histoire. 2 vol. in-8º. (_Épuisé._) Les premières Civilisations de l’Orient. Grand in-4º, illustré de 430 gravures, 2 cartes et 9 photographies. (Flammarion.) La Civilisation des Arabes. Grand in-4º, illustré de 366 gravures, 4 cartes et 11 planches en couleur, d’après les documents de l’auteur. (_Épuisé._) Les Civilisations de l’Inde. Grand in-4º, illustré de 352 photogravures et 2 cartes, d’après les photographies exécutées par l’auteur. 2e édition. (_Épuisé._) Les Monuments de l’Inde. In-folio, illustré de 400 planches, par l’auteur. (_Épuisé._) Les Lois psychologiques de l’évolution des peuples. 1 vol. in-18, 10e édition. (F. Alcan.) Psychologie des foules. 1 vol. in-18, 18e édition. (F. Alcan.) Psychologie du Socialisme. 1 vol. in-8º de la _Bibliothèque de philosophie contemporaine_. 7e édition. (F. Alcan.) Psychologie de l’Éducation. 1 vol. in-18, 14e mille. (Flammarion.) La Psychologie politique. 1 vol. in-18, 9e mille. (Flammarion.) Les Opinions et les Croyances. 1 vol. in-18, 7e mille. (Flammarion.) La Révolution française et la psychologie des révolutions. 1 vol., in-18, 9e mille. (Flammarion.) * * * * * Il existe des traductions en allemand, anglais, italien, russe, polonais, espagnol, portugais, suédois, tchèque, arabe, turc, hindoustani, japonais, etc., de plusieurs des précédents ouvrages. A S. A. R. LE PRINCE GEORGES DE GRÈCE Affectueux Souvenir GUSTAVE LE BON PRÉFACE Ce livre a pour but de condenser en aphorismes quelques-unes des idées disséminées dans mes divers ouvrages. Grâce à sa forme brève, l’aphorisme impressionne l’esprit et se retient facilement. Il constitue, pour ces raisons, un des genres littéraires les plus répandus. La plupart de nos vérités, c’est-à-dire des idées que nous nous faisons des choses, se présentent à l’esprit sous une forme concise. L’expérience humaine fut toujours synthétisée en proverbes et sentences, qui sont les aphorismes des peuples. L’homme pense par aphorismes et se guide avec des aphorismes. L’aphorisme le dispense de longuement réfléchir avant d’agir. Ces avantages ne sont pas sans inconvénients. L’aphorisme représente en effet la conclusion d’une démonstration que le lecteur doit chercher. Quand cette démonstration se devine facilement, l’aphorisme est voisin du truisme; si on ne la saisit pas, l’aphorisme reste incompréhensible. Il semble donc condamné à n’exprimer que des vérités très générales et souvent évidentes. Tel est justement le cas de la plupart des proverbes. Si je n’ai pas hésité à faire figurer dans ce livre certaines propositions dont l’évidence ne s’impose pas tout d’abord, c’est que leur démonstration se trouve dans mes ouvrages. Ce petit volume en est la synthèse. GUSTAVE LE BON Paris, Mars 1913. LIVRE PREMIER La Vie Affective I LE CARACTÈRE ET LA PERSONNALITÉ On ne se conduit pas avec son intelligence mais avec son caractère. * * * * * Le moi se compose d’un agrégat d’éléments ancestraux souvent hétérogènes. Son unité est aussi fictive que celle d’une armée. * * * * * La psychologie de chaque individu est formée de psychologies superposées: psychologie de sa race, de sa famille, de son groupe. Un homme peut rarement se soustraire à cette addition de forces accablantes. * * * * * Les transformations brusques du caractère tiennent à ce que certains événements, font surgir une des nombreuses personnalités qui sommeillent en nous. * * * * * Il est impossible de juger les sentiments d’un être par sa conduite dans un cas déterminé. L’homme d’une circonstance n’est pas celui de toutes les circonstances. * * * * * Pour connaître un homme il faut l’étudier en temps de grandes crises, notamment de révolutions. Alors seulement se révèlent ses diverses possibilités de caractère. * * * * * La constance du caractère représente surtout la constance du milieu. * * * * * Les raisons attribuées par nous à nos actes constituent rarement leurs vrais mobiles. Elles servent surtout à justifier les impulsions sentimentales et mystiques qui nous ont fait agir. * * * * * Les contradictions de la conduite tiennent souvent aux dissemblances de la volonté consciente et de la volonté inconsciente. * * * * * L’intelligence et la volonté inconscientes, étant quelquefois supérieures à l’intelligence et à la volonté conscientes, des hommes raisonnant fort mal peuvent agir très bien. * * * * * Supposer chez les autres des sentiments identiques à ceux qui nous mènent, est se condamner à ne jamais les comprendre. * * * * * Grâce aux suggestions de l’habitude, les hommes savent chaque jour ce qu’il faut dire, faire et penser. * * * * * L’être irrésolu n’est pas guidé par ses véritables désirs, mais par ceux qu’il se suppose au moment où il est forcé d’agir. * * * * * Quand on ne gêne pas par sa volonté, on nuit souvent par son inertie. * * * * * Les héros populaires n’ont pas toujours le caractère qu’on leur attribue, mais ils finissent souvent par le prendre. * * * * * Les œuvres importantes résultent plus rarement d’un grand effort, que d’une accumulation de petits efforts. * * * * * Le proverbe: _Qui peut le plus peut le moins_, n’est pas toujours exact. Les esprits supérieurs réussissent parfois mieux les choses difficiles que les choses faciles. * * * * * La vanité est pour les imbéciles une puissante source de satisfaction. Elle leur permet de substituer aux qualités qu’ils n’acquerront jamais, la conviction de les avoir toujours possédées. * * * * * Nul besoin d’être loué quand on est sûr de soi. Qui recherche la louange doute de sa propre valeur. * * * * * Appartenir à une école, c’est perdre sa personnalité; ne pas appartenir à une école, c’est abdiquer toute possibilité de prestige. * * * * * Les grandes pensées viennent de l’esprit et non du cœur comme on l’a soutenu, mais c’est du cœur qu’elles tirent leur force. * * * * * Le caractère et l’intelligence étant rarement réunis, il faut se résigner à choisir ses amis pour leur caractère et ses relations pour leur intelligence. * * * * * Chez les natures sensibles, l’âme est une mer changeante, sur laquelle la lumière des choses se reflète chaque jour avec des nuances différentes. * * * * * Les grandes supériorités mentales sont un peu comparables aux monstruosités botaniques artificiellement créées. Leur descendance retourne toujours au type moyen de l’espèce. * * * * * On n’est pas maître de ses désirs, on l’est souvent de sa volonté. * * * * * Rien ne résiste à une volonté forte et continue: ni la nature, ni les hommes, ni la fatalité même. * * * * * Une volonté forte a le plus souvent un désir fort pour soutien. Le désir est l’âme de la volonté. II L’AFFECTIF ET LE RATIONNEL Les sentiments sont la base de l’existence. Le jour où le dévouement, la pitié, l’amour, et les illusions qui nous mènent, seraient remplacés par la froide raison, tous les ressorts de l’activité se trouveraient brisés. * * * * * Le rôle de la raison apparut très tard dans l’histoire de notre planète. Pendant des entassements d’âges, les êtres ont vécu et se sont transformés sans elle. * * * * * L’évolution des sentiments est indépendante de la volonté. Nul ne peut aimer ou haïr à son gré. L’homme le plus fort reste sans pouvoir sur la vie de ses éléments affectifs et ne peut qu’en réfréner l’expression. * * * * * Les sentiments, quoique peu variables, changent souvent d’objet. C’est ce qui fait croire à leurs transformations. * * * * * En matière de sentiment, l’illusion crée vite la certitude. * * * * * Les sentiments simulés finissent quelquefois par devenir des sentiments éprouvés. * * * * * La force des évidences sentimentales, est de ne pas tenir compte des évidences rationnelles. * * * * * Les diverses formes de logiques: mystique, sentimentale et rationnelle, n’ayant pas de commune mesure, peuvent se superposer mais non se concilier. * * * * * Les sentiments se combattent avec des sentiments, ou des représentations mentales de sentiments, jamais avec des raisons. * * * * * Ce qu’on fait par orgueil est supérieur à ce qu’on accomplit par devoir. * * * * * Les impulsions sentimentales et mystiques agissent beaucoup plus sur la conduite des hommes, que toutes les démonstrations rationnelles. * * * * * Une idée, dénuée de soutien affectif ou mystique, n’exerce aucune action. Elle est un fantôme sans prestige, sans durée et sans force. * * * * * Les influences affectives, mystiques et collectives sont les grandes régulatrices de l’histoire. * * * * * Démontrer qu’une chose est rationnelle ne prouve pas toujours qu’elle soit raisonnable. III LE PLAISIR ET LA DOULEUR L’homme ne possède que deux certitudes absolues: le plaisir et la douleur. Elles orientent toute sa vie individuelle et sociale. * * * * * Les codes religieux et sociaux n’ont jamais pu trouver d’autres soutiens à leurs prescriptions, que l’attrait du plaisir et la crainte de la douleur: châtiments ou récompenses, paradis ou enfer. * * * * * Les variations possibles de la sensibilité n’étant pas très étendues, les bornes du plaisir et de la douleur sont bientôt atteintes. * * * * * La répétition fréquente des mêmes sensations, engendre un effet physiologique qu’on pourrait qualifier loi de lassitude. Elle oblige les êtres sensibles à varier souvent leurs désirs. * * * * * Les croyants reconnaissent que l’attrait du paradis serait moins vif sans la crainte de l’enfer. * * * * * Le plaisir étant éphémère, et le désir durable, les hommes sont plus facilement menés par le désir que par le plaisir. * * * * * Le bonheur est surtout de l’espérance réalisable, mais non réalisée encore. * * * * * L’homme qui, suivant le conseil du bouddhisme, tuerait en lui le désir perdrait toute raison d’agir. * * * * * Le désir établit l’échelle de nos valeurs. L’idéal de chaque peuple est la synthèse de ses désirs. * * * * * Les grands manieurs d’hommes furent toujours des créateurs de désirs. Les réformateurs ne font que substituer un désir à un autre désir. * * * * * La vie paraîtrait trop longue si elle n’était consacrée à poursuivre des bonheurs chimériques, et à regretter ceux qu’on ne peut atteindre. * * * * * L’homme vraiment sage saurait maîtriser toutes les impulsions de son cœur, mais être sage n’est pas toujours être heureux. * * * * * La vue du malheur est antipathique au bonheur. L’amitié ne dure guère entre l’homme heureux et l’homme malheureux. * * * * * L’attraction et la répulsion dirigent l’évolution des mondes. L’amour et la haine, qui en sont des formes, dirigent l’évolution des êtres. * * * * * La véritable durée de la vie ne dépend pas du nombre des jours, mais de la diversité des sensations accumulées pendant ces jours. IV LA PSYCHOLOGIE FÉMININE La femme est trop confinée dans le domaine de l’affectif et du mystique, pour être beaucoup influencée par un raisonnement. * * * * * L’intuition est souvent supérieure à la raison. Elle fait deviner à des femmes, raisonnant mal, des choses incomprises d’hommes raisonnant très bien. * * * * * La femme demeurant plus apte à sentir qu’à raisonner, on n’améliore pas sa destinée en l’obligeant à trop penser. * * * * * Selon les divers ordres d’activité, la femme est inférieure ou supérieure à l’homme. Elle est rarement son égale. * * * * * En matière d’art et de toilette, les femmes n’ont que des goûts suggérés. * * * * * La femme ne pardonne pas à l’homme de deviner ce qu’elle pense, à travers ce qu’elle dit. * * * * * Dominer ou être dominée, il n’y a pas pour l’âme féminine, d’autre alternative. * * * * * L’affectif étant mal exprimable en termes intellectuels, vouloir raisonner sur l’amour c’est forcément déraisonner. * * * * * Les femmes perdraient vite leur empire sur l’homme, si elles pouvaient acquérir la faculté d’être sincères. * * * * * L’homme ne croit guère la femme que quand elle ment. Il la condamne ainsi à souvent mentir. * * * * * L’obstination habituelle des femmes et des diplomates à nier l’évidence, est la principale cause du scepticisme que leurs propos inspirent. * * * * * Les femmes reprochent aux hommes de ne pas les comprendre, mais quels êtres de mentalités différentes se sont jamais compris? * * * * * En amour, quand on demande des paroles, c’est qu’on a peur d’entendre les pensées. * * * * * L’amour élève ou abaisse, il ne nous permet donc pas de rester nous-même. * * * * * La femme est trop peu sortie encore du domaine de l’Instinctif pour ne pas préférer, à la gloire la plus haute, l’amour le plus médiocre. * * * * * L’amour craint le doute, cependant il grandit par le doute et périt souvent par la certitude. * * * * * Les passions modérées sont les plus durables. On arrive vite à ne plus se supporter quand on commence par trop s’aimer. * * * * * L’amour devenu clairvoyant, est bien près de finir. * * * * * Vouloir retenir un amour qui meurt, c’est prétendre ralentir l’écoulement des jours. V LES OPINIONS Nos opinions représentent souvent de petites croyances en voie de formation, et par conséquent non stabilisées encore. * * * * * Une opinion peut avoir des origines affectives, mystiques ou rationnelles. L’origine rationnelle est la plus rare. * * * * * Les opinions de la majorité des hommes ne se fondent pas sur des arguments, mais sur des haines, des sympathies ou des espérances. * * * * * Le milieu crée nos opinions. Les passions et l’intérêt les transforment. * * * * * La plupart des hommes sont incapables de se former une opinion personnelle, mais le groupe social auquel ils appartiennent leur en fournit de toutes faites. * * * * * Peu d’êtres savent voir les choses comme elles sont. Les uns aperçoivent seulement ce qu’ils veulent voir, les autres ce qu’on leur fait voir. * * * * * Il faut un esprit très indépendant, pour se créer cinq ou six opinions personnelles dans le cours de l’existence. * * * * * Si les opinions les moins fondées sont généralement très tenaces, c’est qu’elles ont pour soutien des éléments affectifs et mystiques sur lesquels la raison reste sans prise. * * * * * Un livre peut modifier pendant quelques instants les opinions du lecteur, mais ses idées inconscientes reprennent bientôt leur force. * * * * * L’intolérance des opinions l’emporte sur la tolérance, parce que la première est d’origine affective ou mystique, et la seconde d’origine rationnelle. * * * * * Contester la valeur d’une opinion d’origine affective ou mystique, c’est la fortifier. * * * * * Les foules ne créent pas l’opinion, mais lui donnent sa force. Une opinion populaire devient vite contagieuse. * * * * * Il n’y a guère aujourd’hui de journaux assez indépendants, pour permettre à leurs rédacteurs des opinions personnelles. * * * * * L’absence d’esprit critique favorise beaucoup l’adoption des opinions générales, nécessaires à l’existence d’une société. Un peuple, dont toutes les unités seraient douées d’esprit critique, ne subsisterait pas longtemps. * * * * * La force d’une opinion générale est irrésistible. En la créant on la domine; si on ne sait pas la créer il faut la subir. VI LES MOTS ET LES FORMULES L’affectif, n’ayant pas d’équivalent rationnel, n’est pas exprimable en termes intellectuels. Les mots ne peuvent donc traduire les sentiments avec exactitude. * * * * * Derrière certains mots, se trouve un monde d’idées que ces mots ne sauraient atteindre. * * * * * Plus un mot est d’usage général, plus il revêt de sens différents suivant la mentalité des hommes qui l’emploient. * * * * * L’incompréhension qui domine les relations entre les êtres de races, de situations sociales et de sexes différents, est irréductible, parce que les mêmes mots éveillent chez eux des idées dissemblables. On peut donc dire qu’en réalité, ils ne parlent pas la même langue. * * * * * Les mots qui représentent des idées abstraites, ne sont pas traduisibles avec exactitude dans une langue étrangère. D’un peuple à l’autre, les mêmes mots correspondent à des images mentales différentes. * * * * * L’interprétation diverse de mêmes mots, par des êtres de mentalité dissemblable, a été une cause fréquente des luttes historiques. * * * * * Dans l’art de gouverner figure la nécessité d’utiliser les mots possédant du prestige. Leur action est généralement plus efficace que celle des arguments rationnels. * * * * * Le contenu mystique de certaines formules, leur donne un pouvoir magique redoutable. Des milliers d’hommes se firent tuer pour des paroles qu’ils ne pouvaient comprendre, et d’ailleurs dépourvues de sens rationnel. * * * * * En politique, les choses ont moins d’importance que leurs noms. Déguiser sous des mots bien choisis, les théories les plus absurdes, suffit souvent à les faire accepter. * * * * * Certains mots, certaines formules, sont de puissants évocateurs d’images, mais leur vie est éphémère. Ils s’usent et perdent alors la faculté d’émouvoir. * * * * * Les mots fixés par l’écriture ne peuvent changer que lentement. Leur sens et les images qu’ils évoquent évoluent au contraire rapidement. Un langage ancien ne peut donc représenter que les idées d’autrefois. * * * * * Chez beaucoup d’hommes, la parole précède la pensée. Ils savent seulement ce qu’ils pensent, après avoir entendu ce qu’ils disent. VII LA PERSUASION § 1. La suggestion, la répétition et la contagion. Un traité complet de l’art de persuader pourrait ne contenir que cinq chapitres: Affirmation, Répétition, Prestige, Suggestion, Contagion. * * * * * Persuader n’est pas simplement convaincre, mais faire agir. * * * * * Les raisonnements peuvent convaincre, mais ils ne font pas toujours agir. La suggestion, la répétition et la contagion pénétrant dans l’inconscient, tendent au contraire à se transformer en actes. * * * * * La contagion mentale est le plus sûr agent de propagation des opinions et des croyances. Les convictions politiques ne se fondent guère autrement, on tâche ensuite de leur donner un aspect rationnel pour les justifier. * * * * * Si les observations collectives sont presque toujours erronées, c’est qu’elles représentent souvent l’illusion d’un individu, transmise par voie de contagion. * * * * * Dès que, par suggestion ou contagion, une opinion est fixée dans l’esprit, son absurdité n’apparaît plus, la raison ne peut l’atteindre, elle domine la volonté et la conduite. * * * * * Suffisamment répétées, les théories les plus funestes finissent par s’incorporer dans l’inconscient et devenir mobiles d’action. * * * * * Obtenir par suggestion, vaut toujours mieux qu’obtenir par contrainte. * * * * * L’art des grands meneurs, est de créer chez ceux qu’ils entraînent, des personnalités nouvelles. * * * * * Pour acquérir une autorité momentanée, il suffit généralement de persuader qu’on la possède. * * * * * On domine plus facilement les peuples en excitant leurs passions, qu’en s’occupant de leurs intérêts. * * * * * Pour agir profondément sur les hommes, ce n’est pas leur âme consciente qu’il importe d’influencer, mais leur âme inconsciente. * * * * * Qui sait dompter ou séduire, n’a pas besoin de discourir pour persuader. § 2. Le Prestige. A qui possède le prestige, la force est inutile. * * * * * Le prestige peut remplacer la force, mais la force ne remplace pas le prestige. * * * * * La force contraint à obéir, le prestige enlève jusqu’à l’idée de désobéir. * * * * * Pas d’obéissance volontaire sans respect, pas de respect sans prestige. * * * * * En remplissant l’âme d’étonnement et de respect, le prestige paralyse les facultés critiques et rend la suggestion facile. * * * * * Une erreur, auréolée de prestige, exercera toujours plus d’action qu’une vérité sans prestige. * * * * * Les gouvernements et les peuples qui perdent leur prestige, ont bientôt tout perdu. LIVRE II La Vie Collective I L’AME DES RACES Les races pures n’existent plus que parmi les primitifs. Chez les peuples civilisés, la répétition des croisements et l’identité du milieu ont fini par former des races historiques nouvelles, analogues aux races pures. * * * * * Les caractères psychologiques d’une race historique, sont aussi stables que ses caractères anatomiques. Ils se transmettent par l’hérédité avec régularité et constance. * * * * * Le hasard des conquêtes peut courber sous une seule domination plusieurs peuples différents. Des siècles de croisements et de conditions d’existence identiques, leur sont nécessaires pour acquérir une âme nationale. * * * * * L’histoire d’un peuple est le récit de ses efforts pour stabiliser son âme et sortir ainsi de la barbarie. * * * * * La force d’un peuple réside moins dans la puissance de ses armées, que dans la communauté de sentiments engendrée par la solidité de son âme nationale. L’âme nationale des Romains leur fit dominer le monde. Ils disparurent en la perdant. * * * * * L’évolution régressive étant toujours plus rapide que l’évolution ascendante, les peuples mettent des siècles à acquérir une certaine structure mentale et la perdent parfois très vite. * * * * * Un peuple civilisé représente une foule, dont l’âme a été stabilisée par de lentes accumulations ancestrales. * * * * * L’âme stable de la race tend toujours à lutter contre l’âme instable de la foule et à limiter ses oscillations. Les foules font les révolutions. L’âme de la race en restreint la durée. * * * * * Chaque race historique et chaque phase de la vie de cette race impliquent certaines institutions, certaines morales, certains arts, certaines philosophies et n’en impliquent pas d’autres. Jamais peuple n’adopta une civilisation étrangère sans la transformer entièrement. * * * * * Prétendre imposer nos institutions, nos coutumes et nos lois aux indigènes d’une colonie, c’est vouloir substituer au passé d’une race le passé d’une autre race. * * * * * Sans rigidité, l’âme ancestrale ne possède aucune permanence. Sans une certaine malléabilité, elle ne saurait s’adapter aux changements de milieux, engendrés par l’évolution de la civilisation, et en conséquence progresser. * * * * * L’hérédité seule peut lutter contre l’hérédité. Les croisements entre individus inégaux désagrègent l’âme ancestrale de la race. Plusieurs nations périrent pour ne l’avoir pas compris. * * * * * Le patriotisme représente la synthèse des aspirations de l’âme nationale. * * * * * Le métis est un homme qui flotte entre les impulsions contraires d’ancêtres, d’intelligence, de moralité et de caractère différents. * * * * * Un peuple de métis est ingouvernable. * * * * * Le passé ne meurt jamais. Il vit en nous-même et constitue le guide le plus sûr de la conduite des individus et des peuples. L’âme des vivants est faite surtout de la pensée des morts. * * * * * Les morts sont souvent terriblement tyranniques. * * * * * Créer des idées qui influenceront les hommes, c’est mettre un peu de soi-même dans la vie de ses descendants. II L’AME DES FOULES Chez les hommes en foule se forme une âme collective, très différente de l’âme individuelle de chacun d’eux. * * * * * L’âme des foules est dominée par une logique particulière inconsciente: la logique collective. * * * * * L’homme faisant partie d’une multitude cesse d’être lui-même. Sa personnalité consciente s’évanouit dans l’âme inconsciente de la foule. Il perd tout esprit critique, toute aptitude à raisonner, et redevient un primitif. Il en a les héroïsmes, les enthousiasmes et les violences. * * * * * * * * * * Excitabilité, fureurs subites, inaptitude au raisonnement, crédulité sans bornes, intolérance excessive, obéissance servile aux meneurs, constituent les caractères principaux des foules. * * * * * Toujours intellectuellement au-dessous de l’homme isolé, une foule peut lui être supérieure ou inférieure dans le domaine des sentiments. Elle devient aussi aisément héroïque que criminelle. * * * * * La foule est un être amorphe, incapable de vouloir et d’agir sans meneur. Son âme semble liée à celle de ce meneur. * * * * * Exagérées dans leurs sentiments, les foules réclament de leurs meneurs la même exagération. * * * * * Il est beaucoup plus facile de suggestionner une collectivité qu’un individu. * * * * * La notion de sa puissance et de son irresponsabilité, donne à la foule une intolérance et un orgueil excessifs. * * * * * La foule est plus susceptible d’héroïsme que de moralité. * * * * * Il faut à la foule un fétiche: personnage, doctrine ou formule. * * * * * L’extrême sensibilité des foules rend leurs sentiments très mobiles. Elles passent facilement de l’adoration à la haine. * * * * * Le mysticisme, qui sature les foules, leur fait attribuer une puissance mystérieuse à la formule politique, ou au héros qui les séduit. * * * * * Confinée dans l’affectif et le mystique, la foule est incapable de voir ce qu’apercevrait clairement l’observateur isolé. Un témoignage collectif est donc le plus souvent erroné. * * * * * La foule ne retient guère des événements que leur côté merveilleux. Les légendes sont plus durables que l’histoire. * * * * * Les foules exigent avant tout des espérances. Privées du sens des possibilités et douées d’une crédulité infinie, elles acceptent les plus invraisemblables promesses. * * * * * Dans les foules, les sentiments les émotions et les croyances, exercent un pouvoir contagieux, contre lequel aucun argument rationnel ne peut lutter. * * * * * L’affirmation, la répétition, la contagion et le prestige constituent les seuls moyens efficaces de persuader les foules. * * * * * Une idée n’est acceptée par les foules que concrétisée en formules brèves et violentes. * * * * * L’altruisme est une vertu collective. L’intérêt personnel, si influent sur les individus, agit peu sur les multitudes. * * * * * Toujours impressionnées par la force, les foules le sont rarement par la bonté. * * * * * Les foules ne respectent que les forts. Le mépris du faible a toujours été leur loi. * * * * * A la liberté, les foules ont généralement préféré l’égalité dans la servitude. * * * * * Quand les freins sociaux, qui contiennent les instincts des multitudes, sont brisés, elles retombent très vite dans la barbarie ancestrale. * * * * * Il est parfois utile à un politicien d’invoquer la sagesse, le bon sens et la modération des multitudes. Les croire douées de telles qualités rend incapable de gouverner. * * * * * Céder une fois à la foule, c’est lui donner conscience de sa force et se condamner à lui céder toujours. * * * * * Le poids du nombre tend chaque jour à se substituer au poids de l’intelligence. Mais si le nombre peut détruire l’intelligence, il est incapable de la remplacer. * * * * * Les foules comprennent rarement quelque chose aux événements qu’elles accomplissent. III L’AME DES ASSEMBLÉES Les grandes assemblées possèdent les principales caractéristiques des foules: Niveau intellectuel médiocre, excitabilité excessive, fureurs subites, intolérance complète, obéissance servile aux meneurs. * * * * * Une foule hétérogène formée d’individus différents, réunis au hasard, n’a qu’une âme transitoire. Une foule homogène: comités politiques, groupements professionnels, congrégations, etc., possède une âme collective que la communauté des intérêts rend assez fixe. * * * * * Bien que soumise aux règles de la psychologie collective, une assemblée politique n’agit pas toujours comme une foule, parce que les groupes rivaux dont elle se compose possèdent des intérêts contraires et ont chacun leurs meneurs. * * * * * L’homme médiocre augmente sa valeur en faisant partie d’un groupe; l’homme supérieur la diminue. * * * * * Certains meneurs violents et possédant du prestige, parviennent quelquefois à transformer tous les groupes d’une réunion, en une seule foule soumise à leur volonté. Les grandes assemblées révolutionnaires fournirent plusieurs exemples de ce phénomène. * * * * * L’âme collective des assemblées les conduit souvent à des votes contraires aux volontés individuelles de leurs membres. L’histoire de la Révolution est incompréhensible sans la connaissance de cette loi. * * * * * On ne peut agir sur les individus d’un groupe qu’en influençant d’abord les meneurs de ce groupe. * * * * * Une minorité brutale et hardie conduira toujours une majorité craintive et irrésolue. * * * * * La peur est un des plus grands mobiles d’action des assemblées politiques. C’est par excès de peur qu’elles manifestent quelquefois un peu de courage. IV LA VIE DES PEUPLES Les principes directeurs capables de guider un peuple n’ont pas besoin d’être nombreux, il suffit qu’ils soient stables et universellement respectés. * * * * * La destinée d’un peuple dépend beaucoup plus de son caractère, que de son intelligence. * * * * * L’âme ancestrale d’un peuple domine toute son évolution. Les bouleversements politiques ne modifient que l’expression de cette âme. * * * * * Garder les institutions du passé, mais les transformer insensiblement, est pour les peuples une grande force. Les Romains jadis, les Anglais de nos jours, sont à peu près les seuls ayant su réaliser cet idéal. * * * * * Un peuple n’essaya jamais de rompre brusquement avec ses aïeux, sans bouleverser profondément le cours de son histoire. * * * * * Le joug formidable des ancêtres écrase l’individu mais fortifie la société. * * * * * Pour un peuple, ne pas avoir de passé, comme les États-Unis, par exemple, est à la fois une force et une faiblesse. * * * * * Un peuple ne pourrait pas plus transmettre à un autre ses institutions, que lui léguer son âme. * * * * * La conquête durable d’un peuple ne se fait pas avec des canons, mais par l’établissement, entre conquérant et conquis, d’une certaine communauté de sentiments, d’intérêts et de pensées. * * * * * Un peuple n’est vraiment fort que si les classes qui le composent possèdent beaucoup d’intérêts communs. L’égoïsme individuel agit alors dans le même sens que l’égoïsme collectif. * * * * * Les divergences politiques chez un peuple, dont l’âme nationale est solidement constituée, s’effacent vite devant de grands intérêts collectifs. * * * * * Les nations latines se fatiguent plus rapidement de la liberté que de la servitude. * * * * * Les peuples qui n’ont pas su acquérir une discipline interne, sont condamnés à subir une discipline externe. * * * * * L’élite d’un peuple crée ses progrès, les individus moyens font sa force. * * * * * Dans la vie d’un peuple l’effort continu est seul efficace. L’effort intermittent peut créer des révolutions; il ne réalise pas de progrès durables. * * * * * Un peuple dont la population augmente rapidement ne saurait rester pacifiste. Il finit par envahir les voisins dont la population demeure stationnaire. * * * * * Les peuples restent toujours saturés de mysticisme. Les lois, les institutions et les gouvernements, représentent pour eux des puissances magiques, capables de changer le cours des choses à leur gré. * * * * * Chez les primitifs, l’homme n’étant pas dégagé des influences collectives, l’âme de l’individu diffère peu de celle de son groupe. * * * * * Une civilisation avancée contient des résidus de toutes les étapes successivement franchies. L’homme des cavernes et les barbares du temps d’Attila y ont des représentants. * * * * * Les barbares de l’avenir ne surgiront pas du dehors, mais de cette armée des inadaptés, que les civilisations en progressant laissent derrière elles. * * * * * Si médiocre que soit un homme d’État, ses facultés de jugement et de prévision sont supérieures à celles d’une réunion de diplomates. Par leur groupement, ces derniers acquièrent la mentalité inférieure des foules. Le sort des peuples réglé par des congrès fut toujours misérable. * * * * * La civilisation d’un peuple est le vêtement extérieur de son âme, l’expression visible des forces invisibles qui le mènent. * * * * * Une civilisation utilise la science, mais ne s’édifie pas sur elle. * * * * * Une foi forte rend un peuple invincible, tant qu’il ne rencontre pas devant lui une foi plus forte. * * * * * En créant des freins sociaux puissants les peuples sortent de la barbarie, en les brisant ils y retournent. * * * * * Les progrès d’un peuple ne sont déterminés ni par les gouvernements ni par les révolutions, mais par la somme des efforts des individus qui le composent. * * * * * Les peuples, comme les espèces vivantes, disparaissent lorsque, trop stabilisés par un long passé, ils sont devenus incapables de s’adapter à de nouvelles conditions d’existence. V LES INSTITUTIONS ET LES LOIS Les hommes en société ne pouvant vivre sans tyrannie, la plus acceptable est encore celle des lois. * * * * * Les peuples étant gouvernés par leur mentalité et non par les institutions qu’on leur impose, les lois doivent être l’expression de cette mentalité. Une loi utile pour un peuple devient souvent nuisible pour un autre. * * * * * Les lois n’ont pas à s’occuper de la logique rationnelle. Elles sont filles de nécessités indépendantes de cette logique. * * * * * Les lois doivent fixer des nécessités et non des passions. Celles édictées sous l’empire d’une passion ne sont jamais durables. * * * * * Les lois stabilisent des coutumes, elles peuvent rarement en créer. * * * * * Une loi qui ne sanctionne pas simplement la coutume, c’est-à-dire l’expérience du passé, ne fait que codifier notre ignorance de l’avenir. * * * * * Les nécessités sociales évoluant plus vite que les codes, la jurisprudence doit compléter et modifier les lois. * * * * * Les institutions politiques ne créent pas les sentiments d’un peuple. Elles sont engendrées par ces sentiments. * * * * * Les institutions imposées à coups de décrets troublent toujours le jeu des facteurs politiques que les nécessités naturelles finiraient par équilibrer. * * * * * Croire, comme les politiciens, à la puissance transformatrice des lois, c’est oublier que derrière les phénomènes visibles, se trouvent toujours des forces invisibles qui les déterminent. * * * * * Si tant de lois accroissent les maux qu’elles prétendaient guérir, c’est qu’en les votant on ignorait leurs incidences. * * * * * Une loi générale, c’est-à-dire non édictée contre un parti, peut être despotique, elle n’est pas arbitraire. * * * * * La tyrannie individuelle est prochaine quand les collectivités se soustraient au joug des lois. * * * * * Un délit généralisé devient bientôt un droit. * * * * * Les lois n’ayant que la force armée pour soutien, ne sauraient durer longtemps. * * * * * On remanie facilement sur le papier les lois d’une nation, on ne refait pas son âme. VI LE DROIT La nature ignore la justice. L’équité est une création de l’homme. * * * * * Le droit ne commence qu’à dater du moment où l’on détient la force nécessaire pour le faire respecter. * * * * * Dès qu’on possède la force, on cesse d’invoquer la justice. * * * * * Le droit et la justice ne jouent aucun rôle dans les relations entre peuples de forces inégales. * * * * * On ne peut opposer le droit à la force, car la force et le droit sont des identités. Le droit est de la force qui dure. VII LA MORALE Les lois morales ne sont pas des entités fictives, mais d’impérieuses nécessités. * * * * * La morale représente la synthèse des besoins sociaux d’une époque. Par le fait seul qu’elle veut subsister, une société est obligée d’avoir un criterium irréductible du bien et du mal. * * * * * Nulle civilisation ne pouvant durer sans morale, les codes n’accumuleront jamais trop de sévérités pour maintenir les prescriptions morales. * * * * * Formule des nécessités d’existence d’une société à un moment donné, la morale évolue avec ces nécessités. * * * * * En droit, comme en morale, certaines nécessités ne sont pas toujours des vérités, mais il est inutile de contester des nécessités. * * * * * Toute morale qui, sous l’influence de l’hérédité, de l’éducation et des codes, n’est pas devenue inconsciente, et par conséquent instinctive, ne constitue pas une sûre morale. * * * * * Les règles morales n’ont de force que lorsqu’il n’y a plus de mérite à les observer. * * * * * Une vertu pratiquée sans effort est une qualité, mais non une vertu. * * * * * Vouloir, avec beaucoup de philosophes, fonder la morale sur la raison pure est une dangereuse illusion. Une morale, dépourvue de supports affectifs ou mystiques, reste sans durée et sans force. * * * * * La morale ne s’apprend qu’en la pratiquant. Elle fait partie, comme les arts, de ces connaissances que ne sauraient enseigner les livres. * * * * * Le milieu et l’exemple sont deux grands générateurs de la morale. * * * * * Il faut quelquefois des siècles à un peuple pour acquérir une morale et peu d’années pour la perdre. * * * * * La morale d’un peuple représente l’échelle de ses valeurs. * * * * * Le minimum possible de morale est celui prescrit par les codes et maintenu par les gendarmes. Dès que ce minimum cesse d’être respecté, l’anarchie commence. * * * * * Au-dessus de la morale indispensable, maintenue par les codes, existe une morale plus haute qui apprend à sacrifier l’intérêt individuel à l’intérêt collectif. Une société peut durer avec la première, elle ne grandit pas sans la seconde. * * * * * On peut considérer comme un grave symptôme de décadence, que la moralité des classes dirigeantes tombe au-dessous de celle des classes dirigées. * * * * * Faute d’un code accepté, la morale internationale n’a jamais réalisé aucun progrès. Elle est restée celle d’une bande de loups: respecter les forts, dévorer les faibles. * * * * * Le même sentiment peut être appelé vice ou vertu suivant son utilité sociale. Étendu à la famille, à la tribu, à la patrie, l’égoïsme individuel devient une vertu. La vanité, défaut individuel, est également une vertu collective. * * * * * Les vertus individuelles deviennent parfois des vices collectifs. La douceur et le pardon des injures, pratiqués par un peuple, attireraient sur lui un universel mépris. * * * * * Possible entre individus, la tolérance ne l’est jamais entre collectivités. * * * * * L’intolérance représente souvent dans la vie des peuples une vertu nécessaire à l’action. * * * * * A en juger par ses résultats, on pourrait difficilement ranger l’humanitarisme parmi les vertus. Il est le plus redoutable ennemi de la morale. Quand l’humanitarisme grandit, la morale fléchit. * * * * * La criminalité d’un pays croît avec le développement de l’humanitarisme. Limitant sans cesse la répression, il réduit l’action inhibitive des châtiments. * * * * * Excuser le mal, c’est le multiplier. * * * * * Dans le domaine moral, l’homme moderne détruit plus vite qu’il ne bâtit. * * * * * La vertu ne pousse pas toujours à l’action. Des vices inférieurs: haine, vengeance, jalousie, amour du pillage, ont été les grands mobiles de l’activité des hommes. Ces sentiments maintiennent l’Europe en armes. * * * * * Les gens vertueux se vengent souvent des contraintes qu’ils s’imposent, par l’ennui qu’ils inspirent. * * * * * L’action désintéressée nous grandit à nos yeux et donne souvent plus de joie que des actes égoïstes. * * * * * Les petits héroïsmes continus sont plus difficiles, que les grands héroïsmes accidentels. * * * * * La peur du jugement des autres, est un des plus sûrs soutiens de la morale. * * * * * Plus un peuple possède de discipline interne et par conséquent de moralité stable, plus il est élevé en civilisation. * * * * * Les peuples disparaissent vite de l’histoire quand leur morale commence à se désagréger. VIII L’IDÉAL Un idéal a toujours des soutiens affectifs et mystiques. Les éléments rationnels qu’on lui superpose n’ont jamais servi à le créer. * * * * * Les révolutions et l’anarchie représentent la rançon de ce phénomène, capital dans l’histoire d’un peuple, un changement d’idéal. * * * * * On ne peut rien sur l’homme dont l’idéal, comme celui des révolutionnaires russes, est de sacrifier sa vie pour une croyance. * * * * * Pas de peuple puissant sans un idéal respecté. Cet idéal le guide, comme une boussole oriente la direction d’un navire. * * * * * Les peuples dont l’idéal est fort et les besoins faibles, triompheront toujours de ceux dont les besoins sont grands et l’idéal médiocre. * * * * * Détruire l’idéal d’un individu, d’une classe, d’un peuple, c’est lui ôter tout ce qui faisait sa cohésion, sa grandeur et ses raisons d’agir. * * * * * Synthèse de l’existence ancestrale, la patrie est un idéal dont le culte a toujours constitué un des plus forts ciments sociaux. * * * * * Consacrer de longs efforts à édifier un idéal, puis autant d’efforts pour le détruire, tel est le cycle de la vie d’un peuple. IX LES DIEUX Il ne faut pas croire à la multiplicité des dieux. Sous des noms divers, les hommes de tous les âges n’ont guère adoré qu’une divinité: l’Espérance. * * * * * L’attribution d’un pouvoir mystérieux à des forces supérieures, concrétisées sous forme d’idoles, de fétiches, de formules, constitue l’esprit mystique. Il domine l’histoire. * * * * * Si l’homme change parfois les noms de ses dieux, il ne s’en est jamais passé. Le mysticisme semble un besoin indestructible de l’esprit. * * * * * La logique mystique peut dominer la logique affective, au point d’annuler l’instinct de la conservation. * * * * * Les héros et les Dieux, condensent en lumineuses synthèses, les obscures aspirations des peuples. * * * * * Une religion traduit la mentalité collective d’un peuple à un moment donné de son histoire. * * * * * Les dieux eux-mêmes évoluent. Les dogmes fixés par les textes restent invariables, mais suivant les peuples et le temps, l’interprétation de ces dogmes se transforme. * * * * * L’esprit religieux est indépendant des dogmes qui l’alimentent. Les Jacobins de la Terreur et les moines de l’Inquisition possédaient une mentalité identique. * * * * * Incapable de vivre sans certitude, l’homme préférera toujours les croyances les moins défendables, aux négations les plus justifiées. * * * * * Si l’athéisme se propageait, il deviendrait une religion aussi intolérante que les anciennes. * * * * * L’intolérance de certains libres penseurs, résulte fréquemment de la religiosité inconsciente dont l’atavisme a rempli leurs âmes. * * * * * La libre pensée ne constitue souvent qu’une croyance, qui dispense de la fatigue de penser. * * * * * Il est toujours imprudent de vouloir raisonner sa foi. * * * * * En donnant aux hommes l’espoir d’une éternité heureuse, les religions ont été beaucoup plus utiles à l’humanité que toutes les philosophies réunies. * * * * * Les religions constituent une force à utiliser; jamais à combattre. * * * * * Si les croyances religieuses ont retardé la connaissance de quelques vérités scientifiques, il est douteux qu’aux phases inférieures de son évolution, l’homme eût beaucoup gagné à leur découverte. * * * * * C’est surtout après avoir détruit ses dieux qu’on en découvre l’utilité. * * * * * La raison crée le progrès, mais les bâtisseurs de croyances mènent l’histoire. Du fond de leurs tombeaux, de grands hallucinés comme Bouddha et Mahomet, courbent encore des millions d’hommes sous l’enchantement de leurs rêves. * * * * * Les peuples survivent rarement à la mort de leurs dieux. X L’ART La naissance des arts a toujours précédé celle de la philosophie et des sciences. Fils de besoins affectifs et mystiques, antérieurs à l’âge de la raison, ils peuvent fleurir aux époques de barbarie. * * * * * Les arts, la musique surtout, sont le langage de l’affectif et du mystique; les mots, celui du rationnel. * * * * * L’artiste est médiocre quand il raisonne au lieu de sentir. * * * * * L’art dérivant des sentiments n’est accessible aux interprétations intellectuelles, que dans ses éléments techniques. * * * * * Comme la politique l’art est guidé par quelques meneurs, suivis d’une foule de menés. * * * * * Le beau, c’est ce qui nous plaît, et ce qui nous plaît se détermine moins par le goût personnel, que par la sensibilité de personnes influentes, dont la contagion mentale impose le jugement. * * * * * Il n’y a pas de lois esthétiques invariables. Les monuments gothiques et les œuvres de certains peintres, très admirés aujourd’hui, furent méprisés pendant longtemps. * * * * * A certaines époques semble se créer une véritable atmosphère de goûts et de sentiments, qui s’impose aux esprits les plus indépendants. * * * * * La contagion mentale est si puissante en art, qu’elle donne aux œuvres d’une époque un air de famille, permettant de reconnaître le moment de leur création. * * * * * L’art subit tellement l’influence du milieu et de la race qu’il n’y a pas dans l’histoire, malgré certaines apparences contraires, de peuple ayant adopté les arts d’un autre sans les transformer. * * * * * Une grande œuvre artistique est inconsciente. Consciente, elle deviendrait personnelle et ne traduirait plus les sentiments et les idées d’une époque. * * * * * Évoquant des idées indécises, accompagnées de sensations fortes, la musique agit facilement sur les êtres d’intelligence faible mais de sensibilité vive. On a dit avec raison, qu’elle est l’art des femmes et des foules. * * * * * L’homme, confiné par la nature dans l’éphémère, rêve d’éternité. En élevant des temples et des statues, il se donne l’illusion de créer des choses qu’on ne verra pas périr. * * * * * Le véritable artiste crée, même en copiant. XI LES RITES ET LES SYMBOLES Les rites et les symboles: cérémonies, drapeaux, fêtes nationales, usages mondains, dominent la volonté individuelle. Ils constituent les plus sûrs soutiens de la vie religieuse et sociale. * * * * * Nulle place dans une société, pour qui prétend s’affranchir des rites et mépriser les symboles. * * * * * C’est seulement sous l’influence des rites et des symboles que les croyances individuelles prennent un caractère collectif. * * * * * La justice privée de rites et de symboles ne serait plus la justice. * * * * * Une croyance religieuse ou politique se fonde sur la foi, mais sans les rites et les symboles elle ne saurait durer. * * * * * La force des rites est telle, qu’ils survivent longtemps à la foi qui les avait fait naître. * * * * * L’homme le plus indépendant, le libre penseur le plus sceptique, soumettent volontairement leur existence à des rites politiques, mondains ou sociaux qui leur ôtent toute liberté réelle. * * * * * Les rites évitent à l’homme l’incertitude. Grâce à eux, il sait, sans réfléchir, ce qui doit être dit et fait en toutes circonstances. * * * * * Les rites et les symboles fondamentaux d’un peuple sont la création de ses morts. LIVRE III La Vie Rationnelle I LA CROYANCE ET LA CONNAISSANCE La croyance et la connaissance constituent deux modes d’activité mentale, d’origines différentes. * * * * * La connaissance est toujours consciente et rationnelle, la croyance irrationnelle et inconsciente. * * * * * La croyance a pour caractéristique fondamentale de n’être modifiable ni par l’observation, ni par la raison, ni par l’expérience. * * * * * La découverte de la plus modeste connaissance scientifique exige un énorme labeur, l’acquisition d’une croyance n’en demande aucun. * * * * * La connaissance se répand par les livres, les croyances par les apôtres. * * * * * La connaissance constitue le grand facteur des progrès matériels de la civilisation. Les croyances orientent les idées, les sentiments, et par conséquent la conduite. * * * * * La connaissance établit des vérités, la croyance incarne nos désirs; c’est pourquoi l’homme préféra toujours la croyance à la connaissance. * * * * * Les religions donnent aux illusions, nées de nos désirs, une apparence de réalité. La science seule crée des réalités indépendantes de ces désirs. * * * * * Une croyance politique, religieuse ou sociale, est un acte de foi inconscient. Lorsque le raisonnement essaie de la justifier, elle est déjà formée. * * * * * La grande force des croyances, est de donner des espérances et des représentations mentales impliquant le bonheur. * * * * * On ne citerait pas dans l’histoire, une croyance politique ou religieuse réduite par réfutation rationnelle. La raison se brise toujours contre le mur de la croyance. * * * * * Une croyance se subit et ne se discute pas. Quand on la discute, c’est que, fort ébranlée déjà, elle est près de disparaître. * * * * * On rencontre difficilement un homme acceptant d’exposer sa vie pour une vérité rationnelle. On en trouve aisément dix mille prêts à se faire tuer pour une croyance. * * * * * Les hommes de chaque âge vivent sur un petit nombre de croyances politiques, religieuses et sociales, que le temps seul, ou l’acquisition d’une nouvelle croyance, peut transformer. * * * * * Créer une croyance, c’est créer une nouvelle conscience, génératrice d’une nouvelle conduite. * * * * * Le moindre changement dans les croyances d’un peuple modifie sa destinée. * * * * * Lorsqu’une question soulève des opinions violemment contradictoires, on peut assurer qu’elle appartient au cycle de la croyance et non à celui de la connaissance. * * * * * Dans les persécutions politiques antireligieuses, ce n’est pas la raison qui se dresse contre une croyance, mais deux croyances contraires qui se trouvent en lutte. * * * * * Les divergences d’origine rationnelle se supportent facilement, les antagonismes de croyances ne se tolèrent pas. Les luttes religieuses ou politiques seront toujours violentes. * * * * * L’intolérance est la compagne nécessaire des convictions fortes. Entre sectateurs de croyances voisines, elle est beaucoup plus accentuée qu’entre défenseurs de dogmes sans parenté. * * * * * C’est surtout dans le domaine des croyances, que l’esprit humain cherche des certitudes. * * * * * L’hypothèse est une croyance souvent prise pour une connaissance. * * * * * Les phénomènes qui se passent dans le champ de la croyance n’étant pas scientifiquement vérifiables, la crédulité du savant y peut égaler celle de l’ignorant. * * * * * Les choses rationnellement contradictoires se concilient parfaitement dans l’esprit hypnotisé par une croyance. * * * * * Une croyance n’étant ni rationnelle ni volontaire, aucune des absurdités qu’elle enseigne ne saurait nuire à sa propagation. * * * * * Ne pas croire les choses possibles, c’est les rendre impossibles. Une des forces de la foi est d’ignorer l’impossible. * * * * * Une croyance forte crée des volontés fortes, auxquelles ne résistent jamais les volontés faibles. * * * * * L’homme eut toujours besoin de croyances pour orienter sa pensée et guider sa conduite. Ni la philosophie, ni la science n’ont pu jusqu’ici les remplacer. * * * * * Les croyances ont fait surgir du néant des œuvres d’art, qu’aucune pensée rationnelle n’aurait pu en faire sortir. * * * * * Malgré leur faible valeur rationnelle, les croyances mènent les peuples. Elles les empêchent d’être une poussière de barbares, sans cohésion et sans force. II L’INSTRUCTION ET L’ÉDUCATION L’éducation est l’art de faire passer le conscient dans l’inconscient. * * * * * Bien éduqué, l’inconscient est notre esclave et travaille pour nous. Mal éduqué, il devient notre maître et agit contre nous. * * * * * La valeur de l’homme ne se mesure pas, comme le croient les maîtres de notre université, au niveau de son instruction mais à celui de son caractère. * * * * * La force du caractère, et non l’instruction, donne à l’homme une armature interne résistante. Privé de cette armature, il devient le jouet de toutes les circonstances. * * * * * Une des plus graves erreurs latines est de croire au parallélisme de l’instruction, de la moralité et de l’intelligence. * * * * * Instruire n’est pas éduquer. L’instruction enrichit la mémoire. L’éducation crée chez l’homme des réflexes utiles et lui apprend à dominer les réflexes nuisibles. * * * * * Quelques années suffisent pour instruire un barbare. Il faut parfois des siècles pour l’éduquer. * * * * * Développer chez l’homme la réflexion, le jugement, l’énergie, et le sang-froid, serait autrement nécessaire que de lui imposer l’insipide phraséologie, qui constitue l’enseignement scolaire. * * * * * Confiner l’esprit dans l’artificiel et le rendre incapable d’observation, est le plus sûr résultat des méthodes ne montrant le monde qu’à travers les livres. * * * * * La science élève ou abaisse, suivant le terrain mental qui la reçoit. La culture supérieure n’est utilisable que par des cerveaux supérieurs. * * * * * Une trop haute instruction, imposée à des êtres de mentalité inférieure, fausse tous leurs jugements. A demi rationalisés, ils perdent les qualités intuitives du primitif et deviennent des métis intellectuels. * * * * * Les expériences, répétées sur des milliers d’indigènes des colonies, montrent combien une instruction mal adaptée, abaisse l’intelligence, la moralité et le caractère. * * * * * Rien de plus dangereux que les idées générales dégagées de leurs racines. Elles conduisent toujours au simplisme et à l’incompréhension. * * * * * Il faut d’abord de grands efforts pour établir d’utiles habitudes dans l’inconscient, mais une fois fixées elles permettent de se guider sans efforts. * * * * * Canalisée par une bonne méthode, l’intelligence la plus faible arrive à progresser. * * * * * Acquérir une méthode, c’est posséder l’art d’économiser le temps et, par suite, d’en prolonger la durée. * * * * * Vouloir enseigner trop de choses empêche l’élève d’en apprendre aucune. Ce principe fondamental est entièrement méconnu de notre Université. * * * * * L’éducateur devrait savoir déterminer les aptitudes de chaque élève, qui peuvent être utilement développées. Quand le hasard seul détermine le choix des études et des carrières, le rendement de l’homme est médiocre. * * * * * Une des grandes illusions de la démocratie est de s’imaginer que l’instruction égalise les hommes. Elle ne sert souvent qu’à les différencier davantage. * * * * * Les concours mnémoniques créent des inégalités sociales plus profondes que celles de l’ancien régime, et souvent moins justifiées. * * * * * Notre système d’éducation classique a fini par créer une aristocratie de la mémoire, n’ayant aucun rapport avec celle du jugement et de l’intelligence. * * * * * L’instruction peut être mnémonique ou expérimentale. La première forme les beaux parleurs, la seconde les hommes d’action. * * * * * Conservée presque exclusivement par les peuples latins, l’instruction mnémonique est une des grandes causes de leur faiblesse. Elle a pour résultat de confier les plus importantes fonctions sociales à des individualités souvent fort médiocres. * * * * * Le choix d’un système d’éducation, à plus d’importance pour un peuple, que celui de son gouvernement. III LES ÉLITES La force d’une nation ne se mesure pas au chiffre de sa population, mais à la valeur de ses élites. * * * * * Créées par les élites, les civilisations ne progressent que par elles. Privé de ses élites, un pays tomberait bientôt dans la misère et l’anarchie. * * * * * Le peuple est le grand réservoir d’énergie d’un pays, mais cette énergie n’est utilisable que canalisée par une élite. * * * * * Les inventions de génie sont toujours personnelles. Elles s’épanouissent en devenant collectives. * * * * * Des hommes d’élite réunis en groupe ne constituent plus une élite. Pour garder son niveau, l’esprit supérieur doit rester solitaire. * * * * * Les aristocraties ont pris des formes diverses: naissance, talent ou fortune. Le monde ne s’en est jamais passé. * * * * * L’aristocratie intellectuelle devrait paraître aussi peu équitable aux foules égalitaires que l’ancienne noblesse. La naissance seule en effet, confère les qualités intellectuelles, comme jadis elle conférait les privilèges. * * * * * La lutte des aveugles multitudes contre les élites dont elles vivent est une des continuités de l’histoire. Le triomphe du nombre a marqué la fin de plusieurs civilisations. * * * * * Les grandes civilisations n’ont pu prospérer, qu’en sachant dominer leurs éléments inférieurs. * * * * * L’élite crée, la plèbe détruit. IV LES CONCEPTIONS PHILOSOPHIQUES La raison est beaucoup plus constructive qu’explicative. Elle a changé la face du monde mais n’a rien dit encore, des puissances secrètes qui font évoluer un brin d’herbe. * * * * * La logique de l’univers diffère trop de notre logique pour que nous puissions espérer en pénétrer les secrets. * * * * * Si on appelait miracle tout ce qui est incompréhensible, la vie d’un être quelconque devrait être considérée comme un perpétuel miracle. * * * * * Les forces mystérieuses qui font naître, grandir et mourir les êtres, sont si éloignées de notre raison, que la science renonce aujourd’hui à les expliquer. * * * * * La moindre cellule vivante porte en elle un immense passé et un mystérieux avenir. * * * * * Le monde est-il créé ou incréé, réel ou irréel, l’espèce humaine durable ou éphémère? La philosophie, qui répondait jadis à ces questions, renonce maintenant à les résoudre. * * * * * Certains problèmes redoutables: d’où venons-nous? où allons-nous? ne doivent pas être trop discutés, afin de leur laisser un nuage de doute qui n’efface pas toute espérance. * * * * * Des trois conceptions possibles de la vie: optimiste, pessimiste, résignée, la dernière est peut-être la plus sage, mais aussi la moins génératrice d’action. * * * * * Se révolter ou s’adapter, il n’y a guère d’autre choix dans la vie. * * * * * En ôtant l’éternité à la matière, la science a détruit une des dernières idoles de la philosophie. * * * * * La philosophie réelle du monde se fait à côté des philosophes et en dehors d’eux. * * * * * Les systèmes philosophiques pourront disparaître, mais il restera toujours une façon philosophique d’envisager les phénomènes. * * * * * Le dernier mot de la philosophie est de comprendre qu’on ne peut pas encore comprendre. * * * * * Chaque phénomène a son mystère. Le mystère est l’âme ignorée des choses. V LES PRINCIPES SCIENTIFIQUES La science est en réalité une révolte de l’homme contre la nature, un effort pour se soustraire aux forces aveugles qui l’oppriment. * * * * * Les asservissements, imposés à l’homme par la nature, constituaient autrefois d’inexorables fatalités. En apprenant à désagréger ces fatalités, la science leur ôte de plus en plus le caractère de nécessités. * * * * * Déterminisme et fatalisme sent choses fort différentes. Découvrir le déterminisme d’un phénomène, fait souvent disparaître sa fatalité. * * * * * L’harmonie, supposée préétablie de l’univers, n’est due sans doute qu’à l’équilibre inévitable des forces qui le composent. * * * * * Les lois scientifiques les plus précises, ne sont valables que pour une portion limitée du temps et de l’espace. * * * * * Chaque science dérive d’un petit nombre de principes. Celui de l’invariabilité de la masse soutient tout l’édifice de la chimie. Sur celui de la conservation de l’énergie reposent la physique et la mécanique. * * * * * Les deux grandes constantes de l’univers sont la résistance et le mouvement. La première est constituée par l’inertie, la seconde par l’énergie. * * * * * Les formes diverses de l’énergie, aussi bien que les phénomènes de la vie, résultent de perturbations d’équilibre, constituées le plus souvent par des dénivellations. * * * * * Dans la constatation des phénomènes, la science avance rapidement. Dans leur explication, elle reste depuis longtemps stationnaire. * * * * * Le terrain de la science est sûr, mais il ne représente qu’un îlot perdu dans l’océan illimité des choses inconnues. * * * * * Les progrès scientifiques ne font que déplacer dans l’infini les barrières qui nous séparent de l’inaccessible. * * * * * Le matérialisme a prétendu se substituer aux religions, mais aujourd’hui la matière est devenue aussi mystérieuse, que les dieux qu’elle devait remplacer. * * * * * La précision des formules scientifiques cache souvent l’incertitude des principes. * * * * * Une des supériorités du savant sur l’ignorant est de sentir où commence le mystère. * * * * * Dès qu’une théorie scientifique arrive à la fixité, elle retarde tout progrès. * * * * * La science crée plus de mystères qu’elle n’en éclaircit. VI LA MATIÈRE[1] [1] Les propositions qui vont suivre étaient très neuves quand je les formulai pour la première fois. Elles représentent les résultats de recherches expérimentales, poursuivies pendant près de dix ans, et exposées dans dix-huit mémoires que résument mes deux ouvrages: _L’Évolution de la Matière_ et _L’Évolution des Forces_. J’interrompis ces recherches le jour où elles devinrent trop onéreuses et me résignai à retourner aux études psychologiques. La matière supposée jadis indestructible s’évanouit lentement par la dissociation continue des atomes qui la composent. * * * * * Certains produits de la dématérialisation de la matière constituent par leurs propriétés, des intermédiaires entre les corps pondérables et l’éther impondérable, mondes profondément séparés par la science jusqu’ici. * * * * * La matière, jadis envisagée comme inerte et ne pouvant que restituer une énergie préalablement fournie, est au contraire un colossal réservoir d’énergie--l’énergie intra-atomique--capable d’être spontanément dépensée. * * * * * C’est de l’énergie intra-atomique, libérée pendant la dissociation de la matière, que résultent la plupart des forces de l’univers, l’électricité et la chaleur solaire notamment. * * * * * La force et la matière sont deux aspects d’une même chose. La matière représente une forme relativement stable de l’énergie intra-atomique. La chaleur, la lumière, l’électricité, etc., représentent des formes instables de la même énergie. * * * * * Dissocier les atomes, ou en d’autres termes dématérialiser la matière, c’est simplement transmuer la forme stable d’énergie nommée matière, en ces formes instables, connues sous les noms d’électricité, lumière, chaleur, etc. * * * * * Les équilibres des forces colossales condensées dans les atomes leur donnent une stabilité très grande. Il suffit cependant de troubler ces équilibres, par un réactif approprié, pour que la désagrégation des atomes commence. C’est ainsi que certains rayons lumineux dissocient facilement les parties superficielles d’un corps quelconque. * * * * * La lumière, l’électricité et la plupart des forces connues, résultant de la dématérialisation de la matière, un corps en rayonnant perd, par le fait seul de ce rayonnement, une partie de sa masse. S’il pouvait rayonner toute son énergie, il s’évanouirait entièrement dans l’éther. * * * * * La matière se transmue en des formes diverses d’énergie, mais c’est uniquement sans doute à l’origine des choses, que l’énergie put se condenser sous forme de matière. * * * * * La loi d’évolution, applicable aux êtres vivants, l’est également aux corps simples. Les espèces chimiques, pas plus que les espèces vivantes, ne sont invariables. VII LA VÉRITÉ ET L’ERREUR Le besoin de certitude a toujours été plus fort que le besoin de vérité. * * * * * La valeur pratique d’une vérité se mesure au degré de croyance qu’elle inspire. * * * * * Les apparences de certitude exercent sur les âmes autant d’action que les véritables certitudes. * * * * * Parfois peu difficile sur le choix de ses vérités, l’homme supporte toujours mal qu’on les combatte. * * * * * La logique affective et la logique mystique ne servent pas à découvrir des réalités mais à cacher celles qu’on redoute. * * * * * Revêtir l’erreur d’une forme séduisante, suffit souvent pour la faire accepter comme vérité. * * * * * Les vérités formulées mettent parfois longtemps à se transformer en vérités acceptées. * * * * * C’est nuire à la découverte de la vérité que de l’apprécier, comme les pragmatistes, d’après son degré d’utilité. * * * * * La vérité n’est ni une entité, ni une commodité, ni une utilité, mais une nécessité. * * * * * Avant la science, l’homme ne connaissait guère que des vérités subjectives; le rôle des savants fut de créer des vérités impersonnelles. * * * * * Dans notre univers, les choses s’enchaînent mais ne se fixent pas. * * * * * Il n’y a pas plus de vérité définitive pour l’homme, qu’il n’y a d’être définitif pour la nature. * * * * * Une vérité, comme un organisme vivant, n’est explicable que par la connaissance de ses états antérieurs. * * * * * Les êtres et les choses se modifient sans cesse. Aux réalités qui s’écoulent correspondent des vérités suivant la même marche. * * * * * Une vérité est une étape provisoire sur une route qui n’a pas de fin. * * * * * Il y a des vérités absolues dans le temps mais non dans l’éternité. * * * * * Les siècles finissent par transformer en erreurs la plupart de nos vérités. * * * * * Les vérités changent d’aspect suivant les mentalités qui les reçoivent. * * * * * Présentée sous forme mathématique, l’erreur acquiert un grand prestige. Le sceptique le plus endurci, attribue volontiers aux équations de mystérieuses vertus. * * * * * Beaucoup d’hommes se passent facilement de vérités, aucun n’est assez fort pour se passer d’illusions. * * * * * Une illusion tenue pour vraie agit comme une réalité. * * * * * Perdre une illusion n’est pas toujours acquérir une certitude. * * * * * C’est en poursuivant des illusions, que l’homme a souvent réalisé des progrès qu’il ne cherchait pas. * * * * * En devenant collective une illusion individuelle acquiert la force d’une vérité. * * * * * L’erreur a peut-être rendu plus de services au monde que la vérité. VIII LA LÉGENDE ET L’HISTOIRE L’Histoire se déroule en dehors de la raison et souvent même contre toute raison. * * * * * Beaucoup d’événements restent incompris tant qu’on leur suppose des causes rationnelles. * * * * * Un historien n’a pas à s’occuper de la qualité rationnelle des croyances, mais seulement du degré de domination qu’elles ont exercé sur les âmes. * * * * * La vie mentale de chaque génération dérivant des générations précédentes, la trame de l’histoire future est en partie tissée par le présent. * * * * * La légende est généralement plus vraie que l’histoire. La première traduit les sentiments réels des peuples. La seconde raconte des événements déformés par la mentalité de leurs narrateurs. * * * * * Il n’est possible d’écrire l’histoire que si, n’étant attaché à aucun parti, on se trouve dégagé des passions qui sont l’âme des partis. * * * * * Les conflits psychologiques mènent l’histoire. Les grands bouleversements dérivent beaucoup plus des luttes de croyances que des oppositions d’intérêts. * * * * * L’histoire fut presque toujours dominée par le mystique et l’affectif et rarement par le rationnel. L’Irréel a été le vrai moteur du monde. LIVRE IV La Pensée et l’Action I L’ACTION L’intelligence fait penser. La croyance fait agir. * * * * * Si l’homme avait commencé par penser au lieu d’agir, le cycle de son histoire serait clos depuis longtemps. * * * * * Illusoires ou réelles les certitudes sont génératrices d’action. L’homme privé de certitudes serait comme un vaisseau sans gouvernail, une machine sans moteur. * * * * * L’absurde et l’impossible n’ont jamais empêché une croyance suffisamment forte, de faire agir. * * * * * L’action seule révèle la nature de notre intelligence et la valeur de notre caractère. * * * * * Réfléchir est utile, mais agir sans trop réfléchir est parfois nécessaire. Les grands héroïsmes sont généralement dus à des hommes ayant peu réfléchi. * * * * * Les pensées, comme tous les phénomènes de la vie, résultent d’équilibres instables, sans cesse en voie de transformation. * * * * * Les livres font rarement évoluer les idées générales. Ils se bornent le plus souvent à enregistrer leurs transformations. * * * * * Nos actes portent en eux un cortège de conséquences nécessaires. Nous nommons fatalité l’enchaînement logique de ces conséquences. * * * * * Savoir ce qu’on doit faire, n’est pas du tout savoir ce qu’on fera. II LES ILLUSIONS DÉMOCRATIQUES La démocratie, qui se croit d’origine rationnelle, tire en réalité sa force d’éléments affectifs et mystiques indépendants de la raison. * * * * * Le mot démocratie correspond, dans les classes populaires et chez les lettrés, à des idées fort différentes. * * * * * Dominée par le besoin d’égalité, la démocratie populaire repousse la fraternité entre classes et ne manifeste aucun souci de la liberté. La démocratie des intellectuels est au contraire avide de liberté et très peu d’égalité. * * * * * Le vrai démocrate est un être collectif, n’ayant d’autre individualité que celle de son groupe. * * * * * Contrairement aux idées démocratiques, la psychologie enseigne que l’entité collective, nommée Peuple, est très inférieure à l’homme isolé. * * * * * Les empiètements successifs de la classe ouvrière rappellent ceux de la noblesse et du clergé, contre lesquels les anciens rois eurent tant de peine à lutter. * * * * * La haine du despotisme et l’amour de la liberté, furent toujours proclamés chez des peuples supportant fort bien le despotisme et très mal la liberté. * * * * * Les principes démocratiques font partie de ces idées, volontiers imposées aux autres, mais rarement acceptées pour soi. * * * * * Plus les lois proclament l’égalité, plus se développe le besoin des signes extérieurs d’inégalité. * * * * * Le démocratique besoin de paraître est le plus coûteux et le moins profitable des besoins. * * * * * La soif d’égalité n’est souvent qu’une forme avouable du désir d’avoir des inférieurs et pas de supérieurs. * * * * * La notion artificielle d’égalité a fait naître la haine de toutes les supériorités qui constituent la grandeur d’un pays. * * * * * Les démocraties arriveront à remplacer les guerres intermittentes entre peuples, par des luttes continues entre classes. * * * * * La nature ne connaît pas l’égalité. Elle n’a réalisé ses progrès que par des inégalités croissantes. * * * * * Loin de tendre à l’égalisation des hommes, la civilisation les différencie chaque jour davantage. * * * * * En lui attribuant des pouvoirs imaginaires, la démocratie a fini par faire de la science un faux dieu. III LES ILLUSIONS SOCIALISTES Le socialisme, forme ultime du principe d’égalité, est un état mental bien plus qu’une doctrine. * * * * * Démocratie et socialisme sont, malgré les apparences, séparés par de profonds abîmes. * * * * * Le socialisme qui prêche le nivellement des conditions, est en opposition évidente avec la démocratie des intellectuels, qui prétend faire triompher les plus capables. * * * * * L’imprécision des doctrines socialistes est un élément de leur succès. Il importe pour un dogme de ne se préciser qu’après avoir triomphé. * * * * * Les progrès du socialisme tiennent surtout à ce qu’il est une forme de l’Étatisme, idéal de tous les partis politiques en France. * * * * * La dureté de certains capitalistes et la faiblesse de leur moralité, créent beaucoup d’adeptes au socialisme. * * * * * Quand l’État prétend trop protéger les citoyens, ils perdent l’habitude de se protéger eux-mêmes et par conséquent toute initiative. * * * * * Les croyances n’impliquant pas de désillusions, placent leur paradis dans des régions inaccessibles. La faiblesse du socialisme est de situer le sien ici-bas. * * * * * Le bonheur mesquin, l’égalité dans la servitude, que promet le socialisme, n’est pas un idéal assez fort pour passionner longtemps les peuples. * * * * * Par le seul fait de leurs progrès, les civilisations modernes créent une masse croissante d’inadaptés toujours prêts à lutter contre elles. Ils forment la majorité des socialistes. * * * * * La richesse, édifiée jadis sur l’immobilisation du capital, dépend aujourd’hui de la rapidité de sa circulation, et par conséquent de l’intelligence qui le manie. * * * * * Le socialisme serait un asservissement universel. Le syndicalisme serait aussi un asservissement, mais, limité aux intérêts de chaque groupement professionnel, il permettrait à l’individu de se défendre contre le despotisme de l’État. * * * * * La plupart des progrès de l’esprit humain sont dus à certains facteurs: initiatives individuelles, risques, concurrence, etc., que le socialisme voudrait détruire. * * * * * Substituer l’initiative et la responsabilité collectives, à l’initiative et à la responsabilité individuelles, c’est faire descendre l’homme très bas sur l’échelle des valeurs humaines. * * * * * Certains groupements sociaux représentent une absorption de l’âme individuelle dans l’âme collective, et par conséquent un retour à des phases inférieures d’évolution. * * * * * C’est en s’évadant de l’égalité des premiers âges, à laquelle le socialisme veut nous ramener, que l’homme put s’élever de la sauvagerie à la civilisation. IV LE PACIFISME ET LA GUERRE Vivre c’est lutter. La lutte est une loi universelle. Des êtres non combatifs n’auraient réalisé aucun progrès. * * * * * Si la nature n’avait pas été impitoyable pour les faibles, le monde serait peuplé de monstres, et aucune civilisation n’aurait pu éclore. * * * * * Les peuples possédant beaucoup de canons ont seuls le droit et le pouvoir d’être pacifistes. * * * * * Une minutieuse préparation, une foi forte, une haine de l’ennemi très vive, seront toujours les grands éléments du succès des batailles. * * * * * Reculer devant l’effort qu’on croit inutile, est renoncer d’avance à tout succès. * * * * * Une armée, composée d’individus qui discutent, serait facilement vaincue par une armée de barbares, incapables de raisonnement, mais prêts à obéir sans discussion. * * * * * Craindre d’être vaincu augmente les chances de l’être. Persuader une armée de sa supériorité, double son courage et ses chances de victoire. * * * * * Le courage individuel est beaucoup plus rare que le courage collectif. * * * * * Les amitiés entre individus peuvent n’avoir que la sympathie pour mobile. Les alliances entre collectivités ont uniquement des intérêts matériels pour bases, et s’évanouissent quand ces intérêts disparaissent. * * * * * Les intérêts économiques des peuples leur font souhaiter la paix, mais les divergences de sentiments et de croyances, les poussent toujours à la guerre. * * * * * Un peuple, vraiment pacifiste, disparaîtrait vite de l’histoire. V LES RÉVOLUTIONS Les seules révolutions durables sont celles de la pensée. * * * * * Les révolutions scientifiques dérivent uniquement d’éléments rationnels, les révolutions politiques et religieuses d’éléments affectifs, mystiques et collectifs. * * * * * Les révolutions scientifiques transforment beaucoup plus profondément la vie sociale que les révolutions politiques. * * * * * Souvent rationnelle à ses débuts, une révolution politique ne se propage que par des influences affectives, collectives et mystiques étrangères à toute raison. * * * * * Les révolutions, comme les guerres, représentent l’extériorisation de conflits entre forces psychologiques. * * * * * Une révolution ne constitue pas toujours un phénomène qui finit suivi d’un autre qui commence, mais un phénomène continu ayant accéléré son évolution. * * * * * Un peuple trop conservateur est fatalement voué aux révolutions violentes. Incapable d’évoluer, il est obligé de se transformer brusquement. * * * * * L’être vraiment malheureux est celui à qui on persuade que son état est misérable. Ainsi procèdent les meneurs pour faire les révolutions. * * * * * Les meneurs des révolutions se croient toujours guidés par la raison. Ils obéissent en réalité à des forces affectives, mystiques et collectives qu’ils ne soupçonnent pas. * * * * * La contagion mentale est le plus puissant facteur de propagation d’un mouvement révolutionnaire. * * * * * La multitude est l’aboutissant d’une révolution, mais n’en constitue pas le point de départ. * * * * * Idées, meneurs, armée et foule sont les éléments fondamentaux des révolutions. * * * * * Toute révolution populaire qui réussit est un retour momentané à la barbarie. Elle constitue le triomphe de l’instinctif sur le rationnel, le rejet des contraintes sociales qui différencient le civilisé du barbare. * * * * * Les révolutions ne sauraient détruire une structure mentale édifiée par un long passé. Elles ne changent guère que des façades. * * * * * Les révolutions n’ont généralement pour résultat immédiat, qu’un déplacement de servitude. * * * * * Les grandes réformes sociales ne sont pas l’œuvre des révolutions. Elles s’opèrent, comme les bouleversements géologiques, par une lente accumulation de petites causes. * * * * * La majorité des hommes demande à être dirigée et non à se révolter. * * * * * Rarement un peuple comprend quelque chose aux révolutions accomplies avec son concours. * * * * * Quand un peuple finit par comprendre pourquoi il a subi une révolution, elle est généralement terminée depuis longtemps. * * * * * Un monarque se renverse facilement, mais les principes qu’il représentait survivent à sa chute. La plupart des révolutions sont suivies de restaurations. * * * * * Dès que l’armée d’un pays commence à se désagréger, une révolution est proche. La royauté périt en France, le jour où des troupes indisciplinées refusèrent de défendre leur roi. * * * * * Chez certains hommes, l’esprit révolutionnaire est un état mental, indépendant de l’objet sur lequel il s’exerce. Aucune concession ne pourrait donc l’apaiser. * * * * * Les révolutions qui commencent, résultent le plus souvent de croyances qui finissent. VI LES GOUVERNEMENTS POPULAIRES Ce qu’on appelle gouvernement populaire est, en réalité, une petite oligarchie de meneurs. * * * * * La grande illusion des politiciens est de considérer le peuple comme une sorte de divinité infaillible, n’ayant pas à rendre compte de ses actes. * * * * * Se guider d’après des opinions fausses, mais populaires, est une condition d’existence de tous les gouvernements démocratiques. * * * * * La surenchère, l’humanitarisme et la peur, furent toujours les grands facteurs de conduite des gouvernements démocratiques. * * * * * Un gouvernement populaire est dominé par trop de passions pour rester équitable et tolérant. Il ne se maintient qu’en devenant de plus en plus despotique. * * * * * Limité par la crainte des responsabilités, le despotisme individuel est moins oppressif qu’un despotisme collectif, toujours irresponsable. * * * * * Une tyrannie individuelle se renverse aisément. Contre une tyrannie collective les opprimés sont sans force. * * * * * Ce qu’on déteste dans une tyrannie, n’est pas toujours la tyrannie elle-même, mais les individus qui l’exercent. * * * * * Les tyrannies les plus dures sont facilement acceptées dès qu’elles deviennent anonymes. * * * * * Pas de gouvernement populaire possible sans prépondérance de la mentalité jacobine. * * * * * Esprit borné, passions fortes, mysticisme intense, incapacité à raisonner juste, sont les principales composantes de l’âme jacobine. * * * * * Le jacobin n’est pas un rationaliste, mais un croyant. Loin d’édifier sa croyance sur la raison, il tâche de mouler la raison sur sa croyance. * * * * * Au point de vue politique, certains peuples se divisent en jacobins, qui ne comprennent rien aux influences du passé, et en conservateurs, qui n’aperçoivent pas les nécessités du présent. * * * * * Une politique de groupe est toujours d’ordre inférieur. Les gouvernements populaires ne peuvent en avoir d’autre. * * * * * Si les nécessités économiques ne réfrénaient pas les volontés passionnelles des gouvernements populaires, ils se détruiraient par leurs propres mains. * * * * * La première phase d’évolution d’une démocratie triomphante est de détruire les anciennes aristocraties, la seconde d’en créer de nouvelles. * * * * * Les crimes des rois sont peu de chose auprès des crimes des peuples. * * * * * L’État moderne a hérité aux yeux des multitudes de la puissance mystique attribuée aux rois, lorsqu’ils incarnaient la volonté divine. * * * * * Dans les gouvernements populaires, le fantôme de la peur joue un rôle prépondérant. La peur de l’armée, de l’Église, des ouvriers, des fonctionnaires, a dicté depuis vingt ans, la plupart de nos lois. * * * * * Dans un gouvernement démocratique dont les ministres changent rapidement, le pouvoir réel appartient aux administrations. Chaque ministre croit les gouverner, il est en réalité gouverné par elles. * * * * * Plus un gouvernement s’affaiblit, plus le pouvoir de la caste administrative grandit. * * * * * Un peuple tombe vite dans l’anarchie, lorsque la souveraineté passe de la loi à la multitude. * * * * * L’instabilité des gouvernements populaires limite seule leur tyrannie. Les partis en lutte se succédant rapidement au pouvoir, le despotisme de chacun est forcément éphémère. * * * * * Quand les démocraties ne se transforment pas en dictatures militaires, elles finissent par la ploutocratie, forme très oppressive du despotisme. * * * * * Le vrai régime politique d’un peuple n’est révélé, ni par sa constitution, ni par ses lois. Il se découvre seulement en recherchant l’étendue respective du rôle de l’État et des citoyens, dans les affaires publiques et privées. * * * * * Les gouvernements démocratiques considèrent la fermeture des églises comme moins nuisible que celle des cabarets. Ils découvriront sûrement un jour, que la fermeture des églises est plus dangereuse. * * * * * Un peuple qui réclame sans cesse l’égalité est bien près d’accepter la servitude. VII LA PSYCHOLOGIE POLITIQUE Les problèmes politiques modernes peuvent se comparer à ceux du sphinx de la légende antique. Il faut les résoudre ou être dévoré. * * * * * Sans la connaissance de la psychologie des races, des peuples, des individus et des foules, la politique ne saurait être comprise. * * * * * Une société est un agrégat de forces contraires, qu’il faut maintenir en équilibre. Avec la rupture de cet équilibre, l’anarchie commence. * * * * * Toute la politique se ramène à ces deux règles, savoir et prévoir. * * * * * Un gouvernement n’est pas le créateur d’une époque, mais sa création. * * * * * Atomes physiques, cellules vivantes, unités humaines, restent une vaine poussière, tant que des forces directrices ne canalisent pas leurs actions. * * * * * La vraie puissance d’un gouvernement réside moins dans sa force, que dans la soumission volontaire de ceux qui lui obéissent. * * * * * La tyrannie individuelle et la tyrannie collective sont les seules formes de gouvernement découvertes, depuis l’origine de l’histoire. La seconde fut toujours la plus dure. * * * * * Les incidences des mesures politiques ne pouvant se prévoir, la manie des grandes réformes est fort dangereuse pour un peuple. * * * * * Un événement politique ne germe pas spontanément. Il est l’épanouissement de toute une série de causes antérieures. * * * * * Juger un événement inévitable, c’est en faire une fatalité. * * * * * En politique comme dans la vie, le succès appartient généralement aux convaincus et rarement aux sceptiques. * * * * * Dès qu’une classe n’est plus sûre de ses droits, noblesse autrefois, bourgeoisie de nos jours, elle les perd bientôt. * * * * * Dans la vie politique, comme dans la vie individuelle, les préoccupations formulées sont beaucoup moins importantes que celles qui ne se formulent pas. * * * * * Déplacer une tyrannie n’est pas créer une liberté. * * * * * Le danger de l’autocratie ne réside pas dans l’autocrate, mais dans les milliers d’individus se partageant son pouvoir et l’exerçant chacun comme un petit despote. * * * * * La confusion des pouvoirs suit toujours la confusion des esprits. * * * * * De même que les croyances religieuses, les idées politiques ne doivent pas être jugées d’après leur valeur rationnelle, mais d’après l’action qu’elles exercent. * * * * * Beaucoup d’erreurs politiques dérivent d’idées théoriquement rationnelles. * * * * * En politique, il est moins dangereux de manquer d’idées directrices que d’en avoir de fausses. * * * * * Les gouvernements périssent beaucoup plus par leurs fautes, que par les attaques de leurs ennemis. * * * * * Le despotisme des vivants serait parfois sans limite, s’il n’était contenu par le despotisme des morts. VIII L’ART DE GOUVERNER Il n’y a pas de société possible sans principe d’autorité, de même qu’il n’y a pas de fleuve sans rives pour l’endiguer. * * * * * Le plus sûr moyen de détruire le principe d’autorité est de parler à chacun de ses droits et jamais de ses devoirs. Tous les hommes sont prêts à exercer les premiers, très peu se préoccupent des seconds. * * * * * On ne gouverne pas un peuple en tenant compte seulement de ses besoins matériels, mais aussi de ses rêves. * * * * * Les puissances morales ne se combattent ni avec des lois, ni avec des armées. * * * * * Pour manier les hommes, il ne faut pas oublier, que leur moi affectif et leur moi intellectuel, n’ont pas d’évolution parallèle et ne s’influencent guère. * * * * * Utiliser les impulsions affectives et mystiques des peuples comme moyen d’action en tâchant de leur donner une orientation rationnelle, est un des secrets de l’art de gouverner. * * * * * Une idée nouvelle a besoin d’appuis pour se faire accepter. Devenue forte, elle sert d’appui. * * * * * On ne doit jamais partager les passions des hommes qu’on dirige, mais il faut les connaître. * * * * * Impossible de gouverner un peuple si l’on oublie que des croyances, jugées absurdes par la raison, sont parfois plus puissantes que des vérités démontrées. * * * * * Il est fort dangereux d’avoir la foi pour ennemie. Un gouvernement qui persécute une croyance religieuse s’expose à périr par cette croyance. * * * * * En ne se plaçant même qu’au point de vue de l’utilité pure, un gouvernement doit éviter les persécutions. Elles sont toujours plus utiles aux doctrines persécutées, qu’à leurs persécuteurs. * * * * * Le rôle du savant est de détruire les chimères, celui de l’homme d’État de s’en servir. * * * * * Quand un gouvernement demande à suivre l’opinion au lieu de l’orienter, il cesse d’être le maître. * * * * * Un pouvoir discuté n’est bientôt plus un pouvoir respecté. * * * * * Une responsabilité morcelée devient vite de l’irresponsabilité. * * * * * Gouverner exclusivement au profit d’une classe, c’est accroître indéfiniment les exigences de cette classe, et se condamner à l’avoir bientôt pour ennemie. * * * * * Un des éléments de l’art de gouverner consiste à conquérir les meneurs des majorités, ou à leur en opposer d’autres. * * * * * Les meneurs ne se combattent qu’avec des meneurs. * * * * * On peut désagréger facilement l’âme transitoire d’une foule, on demeure impuissant contre l’âme permanente d’une race. * * * * * Temporiser pour avoir le temps de se préparer, comme le conseillait Machiavel, est très sage. Temporiser, pour laisser au hasard le soin d’arranger les événements, est fort dangereux. * * * * * Le mécontentement fut toujours générateur d’effort, l’homme trop content de son sort ne poursuit aucun progrès. * * * * * Un gouvernement doit élever des barrières morales avant qu’elle soient indispensables. Au moment où elles le deviennent, il est trop tard pour les construire. * * * * * Dès qu’on entrevoit la nécessité de céder, il ne faut pas attendre le moment où il sera impossible de ne pas céder. * * * * * L’humanitarisme et la peur font partie des facteurs de dissociation des peuples. Ces sentiments sont sans excuse pour qui prétend gouverner. * * * * * Céder toujours aux menaces et aux violences, c’est faire naître dans l’âme populaire l’idée qu’il suffit de menacer, et au besoin de saccager, pour être obéi. * * * * * Les concessions n’empêchent pas les batailles devenues nécessaires. Elles les rendent plus coûteuses et plus dures. * * * * * Une répression énergique momentanée est beaucoup plus efficace qu’une répression faible et continue. * * * * * La terreur n’est un procédé psychologique utile, qu’à la condition de ne pas durer. * * * * * Un gouvernement qui pactise sans cesse avec l’émeute périt par l’émeute. * * * * * Quand on ne peut pas gouverner un peuple avec des idées vraies, il faut se résigner à le gouverner avec des idées tenues pour vraies. * * * * * Les grands courants sociaux ne se remontent pas. La sagesse consiste à les dévier lentement. * * * * * L’homme supérieur sait utiliser la fatalité, comme le marin utilise le vent, quelle que soit sa direction. * * * * * Chaque événement visible a derrière lui des forces invisibles qui le déterminent. Qui ne sait les découvrir ignore l’art de gouverner. * * * * * Une politique, ne tenant compte que de l’heure présente, est toujours d’ordre inférieur. * * * * * Le bon sens et le caractère sont souvent plus utiles que le génie à un homme d’Etat. * * * * * Une société ne dure pas sans pensées fixes, l’individu ne progresse pas sans pensées mobiles. * * * * * L’avenir étant toujours chargé de passé, pour prévoir, c’est-à-dire voir en avant, il faut d’abord regarder en arrière. * * * * * Prévoir est utile, prévenir l’est davantage. Prévoir, élimine les surprises de l’avenir. Prévenir, empêche leur action. * * * * * Un homme d’État sans prévoyance est un créateur de fatalités désastreuses. TABLES DES MATIÈRES Pages Préface 1 LIVRE PREMIER LA VIE AFFECTIVE I. Le Caractère et la Personnalité 3 II. L’Affectif et le Rationnel 11 III. Le Plaisir et la Douleur 15 IV. La Psychologie féminine 19 V. Les Opinions 25 VI. Les Mots et les Formules 29 VII. La Persuasion 33 LIVRE II LA VIE COLLECTIVE I. L’Ame des Races 41 II. L’Ame des Foules 47 III. L’Ame des Assemblées 55 IV. La Vie des Peuples 59 V. Les Institutions et les Lois 67 VI. Le Droit 71 VII. La Morale 73 VIII. L’Idéal 81 IX. Les Dieux 85 X. L’Art 91 XI. Les Rites et les Symboles 95 LIVRE III LA VIE RATIONNELLE I. La Croyance et la Connaissance 101 II. L’Instruction et l’Éducation 109 III. Les Élites 117 IV. Les Conceptions philosophiques 121 V. Les Principes scientifiques 125 VI. La Matière 129 VII. La Vérité et l’Erreur 133 VIII. La Légende et l’Histoire 139 LIVRE IV LA PENSÉE ET L’ACTION I. L’Action 145 II. Les Illusions démocratiques 149 III. Les Illusions socialistes 155 IV. Le Pacifisme et la Guerre 161 V. Les Révolutions 165 VI. Les Gouvernements populaires 171 VII. La Psychologie politique 179 VIII. L’Art de gouverner 185 *** END OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK APHORISMES DU TEMPS PRÉSENT *** Updated editions will replace the previous one—the old editions will be renamed. Creating the works from print editions not protected by U.S. copyright law means that no one owns a United States copyright in these works, so the Foundation (and you!) can copy and distribute it in the United States without permission and without paying copyright royalties. Special rules, set forth in the General Terms of Use part of this license, apply to copying and distributing Project Gutenberg™ electronic works to protect the PROJECT GUTENBERG™ concept and trademark. Project Gutenberg is a registered trademark, and may not be used if you charge for an eBook, except by following the terms of the trademark license, including paying royalties for use of the Project Gutenberg trademark. If you do not charge anything for copies of this eBook, complying with the trademark license is very easy. 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It exists because of the efforts of hundreds of volunteers and donations from people in all walks of life. Volunteers and financial support to provide volunteers with the assistance they need are critical to reaching Project Gutenberg™’s goals and ensuring that the Project Gutenberg™ collection will remain freely available for generations to come. In 2001, the Project Gutenberg Literary Archive Foundation was created to provide a secure and permanent future for Project Gutenberg™ and future generations. To learn more about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation and how your efforts and donations can help, see Sections 3 and 4 and the Foundation information page at www.gutenberg.org. Section 3. Information about the Project Gutenberg Literary Archive Foundation The Project Gutenberg Literary Archive Foundation is a non-profit 501(c)(3) educational corporation organized under the laws of the state of Mississippi and granted tax exempt status by the Internal Revenue Service. The Foundation’s EIN or federal tax identification number is 64-6221541. Contributions to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation are tax deductible to the full extent permitted by U.S. federal laws and your state’s laws. The Foundation’s business office is located at 809 North 1500 West, Salt Lake City, UT 84116, (801) 596-1887. Email contact links and up to date contact information can be found at the Foundation’s website and official page at www.gutenberg.org/contact Section 4. Information about Donations to the Project Gutenberg Literary Archive Foundation Project Gutenberg™ depends upon and cannot survive without widespread public support and donations to carry out its mission of increasing the number of public domain and licensed works that can be freely distributed in machine-readable form accessible by the widest array of equipment including outdated equipment. 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