The Project Gutenberg eBook of Étude sur la Franc-Maçonnerie

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Title: Étude sur la Franc-Maçonnerie

Author: Félix Dupanloup

Release date: January 26, 2025 [eBook #75221]

Language: French

Original publication: Paris: Charles Douniol, 1875

Credits: Laurent Vogel (This file was produced from images generously made available by the Polona digital library)

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ÉTUDE
SUR
LA FRANC-MAÇONNERIE

PAR
Mgr L’ÉVÊQUE D’ORLÉANS

DEUXIÈME ÉDITION

PARIS
CHARLES DOUNIOL ET Cie LIBRAIRES-ÉDITEURS
29, RUE DE TOURNON

1875

PARIS. — IMP. VICTOR GOUPY, 5, RUE GARANCIÈRE.

ÉTUDE
SUR
LA FRANC-MAÇONNERIE

 

Tout le monde connaît, au moins de nom, la Franc-Maçonnerie. Je la connaissais comme tout le monde : mais depuis longtemps déjà je désirais l’étudier de plus près ; et je m’y sentais sollicité par diverses causes, depuis surtout la fameuse circulaire de M. de Persigny. Il est incontestable en effet qu’à dater de cette circulaire, la Franc-Maçonnerie, chez nous, est entrée dans une phase nouvelle. Jusque-là, enveloppée de mystère, elle n’agissait guère que dans l’ombre ; mais à la faveur des hauts encouragements qu’elle reçut alors du gouvernement impérial, elle a fait en France, depuis cette époque, acte de vie publique, et son prosélytisme, toujours ardent quoique circonspect, est devenu plus ardent encore ; elle a publié des livres et des organes périodiques, fondé de nouvelles Loges en grand nombre, recruté des adhérents, levé son drapeau ; et naguère, dans une Loge, un franc-maçon signalait « le rapide envahissement du monde par la doctrine maçonnique[1] ».

[1] Le Monde-Maçonnique, mai 1870, p. 118. — D’après un document, probablement exagéré, publié par le même organe, « il existe en ce moment en France 400,000 francs-maçons. Dans ce nombre les femmes ne sont pas comprises ». — Ibid., p. 212. Le Monde-Maçonnique, qui publie ce document, ne le rectifie pas ; et je lis dans la Constitution maçonnique française, art. 5, que la « Franc-Maçonnerie aspire à embrasser tous les membres de l’humanité ».

Il serait d’ailleurs superflu de nier ses progrès, ou de dissimuler son influence chaque jour croissante, et la part cachée, mais réelle, qui lui revient dans les révolutions contemporaines.

Quand on voit le rôle prépondérant qu’elle joue au lendemain de ces catastrophes qui changent tout à coup profondément l’état politique et social d’un peuple ; quand on considère la part qu’elle prend dans ces soudaines victoires de la violence où elle fournit au parti triomphant des chefs et des soldats, il est difficile de penser qu’elle n’y était pour rien, et l’étude que je viens de faire m’a prouvé, avec la dernière évidence, qu’il se rencontre là pour elle, à tout le moins, des solidarités étranges et de graves responsabilités.

Il est donc impossible qu’une telle institution nous trouve inattentifs, ou que nous hésitions à dire nettement ce que nous croyons ici la vérité.

L’heure est venue, où c’est un devoir pour nous, après nous être éclairés sérieusement nous-mêmes, d’éclairer aussi ceux qui ont besoin de l’être.

Car la Franc-Maçonnerie a des déclarations décevantes, au moyen desquelles elle fait illusion, et qui expliquent jusqu’à un certain point l’entraînement singulier qui porte vers elle tant d’hommes trompés. Toujours en effet on a rencontré dans son sein deux sortes d’adeptes, ceux qui n’en connaissent pas le dernier mot, le but suprême, et les francs-maçons véritables, qui savent très-bien, eux, ce qu’ils font et ce qu’ils veulent.

On m’a souvent posé, à l’occasion de la Franc-Maçonnerie, la question suivante :

La Franc-Maçonnerie est-elle une institution hostile à la Religion ? Est-il permis à un chrétien de se faire franc-maçon ? Peut-on être à la fois franc-maçon et chrétien ?

Il y a quelques années, Mgr de Ketteler, évêque de Mayence, un des plus savants Évêques et des plus larges esprits de l’Allemagne, a été amené aussi à s’occuper de cette question, et il a publié un écrit spécial sous ce titre : Un catholique peut-il être Franc-Maçon ?

Sa réponse sera la mienne ; et après l’étude approfondie que j’ai faite, je dirai comme lui : Non, un catholique, un chrétien, ne peut pas être franc-maçon.

Pourquoi ? Parce que la Franc-Maçonnerie est l’ennemie du Christianisme, et, dans ses profondeurs, une inconciliable ennemie.

J’irai plus loin, et je demanderai : Un homme sérieux, un homme de bon sens peut-il être franc-maçon ?

Et je répondrai également : Non.

Puis j’examinerai ce qu’est la Franc-Maçonnerie au point de vue de l’ordre politique et social.

Mais je me hâte de l’ajouter : c’est de la Franc-Maçonnerie véritable que je parlerai, et non pas de ses nombreuses et honnêtes dupes, de ceux dont le Pape Pie IX écrivait, que dans leur erreur, ils pourraient aller jusqu’à croire « que cette société est inoffensive, qu’elle n’a de but que la bienfaisance, et qu’elle ne saurait, par conséquent, être un péril pour l’Église de Dieu ». Laissant donc de côté les surfaces, les accessoires de l’institution, ce qui, sans doute, lui a attiré un certain nombre d’hommes abusés, j’irai au fond, au cœur de la Société, au but même, là où gît entre la Franc-Maçonnerie et la Religion l’antagonisme radical, inaperçu d’un certain nombre, mais non pas de tous.

On a écrit des volumes sur cette institution, on peut en écrire encore. Je dois être plus court et plus simple, et n’étudierai que les points principaux, les grandes lignes qui décident de tout.

Je n’ai donc pas à m’occuper ici des premières origines de la Franc-Maçonnerie, ni des phases successives de son histoire, ni de ses diverses attitudes vis-à-vis des gouvernements, ni de la politique des gouvernements vis-à-vis d’elle. Tout cela peut être objet de controverse, et je ne veux dire ici que des choses en dehors et au-dessus de toute contestation.

Je dois avertir encore que c’est, non pas uniquement, mais principalement de la Franc-Maçonnerie française, et parfois aussi de sa voisine, la Franc-Maçonnerie belge, que je parlerai ;

Et l’Étude dont j’apporte ici le résultat, je l’ai faite aux vraies sources, dans la Franc-Maçonnerie elle-même ;

Dans le texte de sa constitution et de ses statuts ;

Dans les pièces authentiques émanées des Loges ;

Dans les discours tenus au sein des plus célèbres assemblées maçonniques ;

Dans les journaux et revues de la Franc-Maçonnerie ;

Et enfin dans son action extérieure et publique constatée.

Une lumière sortira, je le crois, éclatante et simple, de cette claire exposition[2] :

[2] Beaucoup de ces documents, absolument incontestables, et incontestés, se trouvent dans un très-remarquable ouvrage, publié à Gand par un courageux et éloquent publiciste, M. A. Neut, sous ce titre : La Franc-Maçonnerie soumise au grand jour de la publicité, à l’aide de documents authentiques. 2 vol. in-8o. — J’ai puisé en outre et principalement dans le Monde-Maçonnique, revue mensuelle publiée par les francs-maçons ; puis dans le Rituel de l’Apprenti, par le F∴ Ragon ; dans la Revue-Maçonnique, dans La Franc-Maçonnerie et la Révolution, par le P. Gautrelet, etc.

PREMIÈRE PARTIE
Antagonisme radical de la Franc-Maçonnerie et de la religion.

I
POSITION DE LA QUESTION

Peut-on être à la fois franc-maçon et chrétien ?

Je réponds : Non.

Parce que la Franc-Maçonnerie, dans son esprit véritable, dans son essence même, dans son action dernière, est l’ennemie du Christianisme, et, par son principe fondamental, une inconciliable ennemie.

Je n’ai pas ici à m’étendre sur ce qui peut se dire et se faire de bon ou d’indifférent dans les Loges, et qui suffit à expliquer la présence là, après comme avant 89, d’hommes absolument aveuglés sur le but dernier des véritables initiés. Philanthropie, fraternité, humanité, progrès, ces mots que je lis en tête de la première Revue maçonnique imprimée en France sous le gouvernement de Juillet, pris dans leur vrai sens, loin d’être antichrétiens, appartiennent au contraire à la langue chrétienne : c’est de nous que le monde les a appris ; mais la question est de savoir comment, dans la réalité, la Maçonnerie les entend et les pratique.

L’article 1er de la constitution Maçonnique française, votée en 1865, déclare la Maçonnerie une institution « essentiellement philanthropique ». — Il est notable cependant, et c’est le Monde-Maçonnique lui-même qui le déclare, que « la bienfaisance n’est pas le but, mais seulement un des caractères, et DES MOINS ESSENTIELS, de la Maçonnerie ». Des moins essentiels ; puisque ces Messieurs l’avouent, il ne le faut pas oublier ; mais le but, les caractères essentiels, je le demande encore, quels sont-ils donc ?

Les Maçons disent : le progrès de l’humanité. Mais quel progrès ? Je réponds : un prétendu progrès, sans la Religion, et contre la Religion.

Mais ici tout d’abord, la Maçonnerie m’arrête, et me dit : La Religion, le Christianisme, mais lisez-donc mes constitutions ! je ne m’en occupe pas. Je suis à côté, je ne suis pas contre. Je respecte la foi religieuse de chacun de mes disciples, et n’exclus personne pour ses croyances. Je suis autre chose que la religion, mais je ne suis pas l’irréligion.

« Respecter toutes les religions, n’en attaquer aucune, ce seront là toujours les règles inviolables de la Maçonnerie » : voilà en effet ce que je trouve sans cesse dans les déclarations officielles ; et l’art. 125 d’un règlement maçonnique porte expressément : « On s’engage à ne jamais traiter dans les loges d’aucune question de controverse religieuse. »

Mais aux déclarations, aux affiches de la Franc-Maçonnerie, j’oppose les déclarations faites, les discours tenus dans les Loges par les chefs des francs-maçons, et qui ont été enfin publiés, d’abord en Belgique, où depuis plus longtemps les Loges jouissent d’une liberté qui leur permet de tout dire ; liberté dont elles n’ont commencé à jouir en France, que depuis la circulaire de M. de Persigny, en 1864[3]. J’écoute donc ; et qu’est-ce que j’entends-là ? Des explosions de haine, des cris de guerre incessants contre le Christianisme, qu’on doit, dit-on, respecter.

[3] La Franc-Maçonnerie, dit le F∴ Félix Pyat, a été longtemps société secrète ; mais le temps est venu où elle doit marcher tête levée, et faire hautement son œuvre : « La société secrète, comme la vestale antique, a gardé constamment le feu sacré à l’abri des coups de vent du despotisme. Mais pour éclairer le monde, le soleil doit sortir du nuage, la vérité du voile, et l’œuvre de la Loge. » — Le Rappel cité par le Monde-Maçonnique, mai 1870, p. 162.

II
DÉCLARATIONS DES LOGES MAÇONNIQUES

Le Christianisme, est-il dit sans cesse dans les Loges, c’est une religion menteuse, bâtarde, répudiée par le bon sens, abrutissante, et qu’il faut anéantir. C’est un fatras de fables, un édifice vermoulu, et qui doit tomber pour faire place au temple maçonnique. Voici quelques textes formels, choisis entre mille :

« Le Catholicisme est une formule usée, répudiée par tout homme qui pense sainement… un édifice vermoulu !… Au bout de dix-huit siècles, la conscience humaine se retrouve en présence de cette religion bâtarde, formulée par les successeurs des apôtres ! »

« Ce n’est point la religion menteuse des faux prêtres du Christ qui guidera nos pas[4]. »

[4] M. Neut, t. I, p. 142.

Ainsi parlait, à l’installation de la loge l’Espérance, le Grand-Orateur de la loge, le F∴ Lacomblé.

Selon cet orateur, les ministres de l’Évangile sont « un parti qui a entrepris d’enchaîner tout progrès, d’étouffer toute lumière, de détruire toute liberté, pour régner avec quiétude sur une population abrutie d’ignorants et d’esclaves ».

« Aujourd’hui », disait-il encore, « que la lumière luit, il faut avoir la force de faire bon marché de tout ce fatras de fables ; dût le flambeau de la raison réduire en cendre tout ce qui reste encore debout de ces vestiges de l’ignorance et de l’obscurantisme[5] ».

[5] Ibid.

Voilà comment parle la Franc-Maçonnerie ; voilà comment elle ne s’occupe pas du Christianisme, et comment elle le respecte, quand elle s’en occupe.

Son thème est précisément celui que répète partout l’impiété ; c’est ce qui est dit à satiété, par exemple, dans ces petits livres dont la Révolution et la Maçonnerie inondent Rome en ce moment, et que j’ai eus sous les yeux.

Son thème, son mot d’ordre est précisément celui de Voltaire : Écrasons l’infâme.

C’est en effet ce que, à l’occasion de son installation, le Vénérable de la loge la Fidélité, à Gand, disait :

« En vain, avec le XVIIIe siècle, nous flattions-nous d’avoir ÉCRASÉ L’INFAME ; l’infâme renaît plus vigoureuse…[6] »

[6] M. Neut, t. I, p. 281.

Tout le monde sait d’ailleurs que la Maçonnerie a reçu Voltaire dans ses loges, et s’est associée à son œuvre ; et la preuve encore que, fidèle aux plus néfastes traditions, elle n’a jamais cessé de combattre avec Voltaire, tantôt sourdement, tantôt à ciel ouvert, mais avec une persévérance infatigable, les institutions catholiques et toute influence chrétienne, c’est ce que proclamait le F∴ Jean Macé, un des francs-maçons les plus considérés dans l’ordre, lorsque, dans un grand dîner maçonnique, à Strasbourg, il portait à Voltaire le toast que voici :

« A la mémoire du F∴ Voltaire !… du F∴ Voltaire, infatigable soldat : toutes les batailles qu’il a livrées, il les a gagnées, M. F., à notre profit[7]. »

[7] Le Monde-Maçonnique, mai 1867, p. 25. — On sait aussi que tous les ateliers maçonniques de Paris, sauf un seul, ont souscrit à la statue de Voltaire.

Selon le F∴ Jean-Macé, les religions révélées sont un boulet que l’humanité traîne au pied ; mais, heureusement, dit-il, la Maçonnerie est là pour remplacer les croyances qui s’en vont[8].

[8] Le Monde-Maçonnique, mai 1870, p. 118.

Écoutons maintenant le dernier grand-maître de la Maçonnerie française, le F∴ Babaud-Laribière, nommé il y a trois ans préfet des Pyrénées-Orientales, et mort dans cette charge : La Maçonnerie, dit-il, est supérieure à tous les dogmes. — Antérieure et supérieure aux religions, c’est elle, suivant un autre frère, qui doit donner l’impulsion au monde[9].

[9] Ibid., 139. — Ibid. Novembre 1866, p. 132.

Et en effet, disait, dans un autre discours, le même Babaud-Laribière : « Les dogmes périssent fatalement. » Il déclarait donc le dogme catholique mort, Rome, sa capitale, une ville morte, et il posait nettement la Maçonnerie en adversaire irréconciliable du catholicisme : « Quelle est la doctrine fondamentale de nos adversaires ? Un dogme immuable. Quelle est leur capitale ? Une ville morte. » Et après cette insolence à l’endroit du Catholicisme, il proclamait Paris la capitale de la Maçonnerie et le Vatican du genre humain : « La Maçonnerie, au contraire, a établi son Vatican ici même, dans ce Paris, où les idées bouillonnent et se purifient comme dans la fournaise[10]. » Cela était dit et applaudi dans une assemblée générale du Grand-Orient.

[10] Ibid. Juillet 1869, p. 171.

C’est donc la Maçonnerie qui doit remplacer le Christianisme :

Et elle le peut, si elle le veut. « ORGANISÉE COMME ELLE L’EST, disait le F∴ Félix Pyat, la Maçonnerie PEUT, SI ELLE VEUT, REMPLACER L’ÉGLISE CHRÉTIENNE[11]. »

[11] Le Rappel, cité par le Monde-Maçonnique.

Telles sont les déclarations de ces Messieurs.

Mais continuons : la haine du Christianisme s’accentue de plus en plus et arrive, si je le puis dire, à son paroxysme :

« Il faut de l’énergie pour porter ainsi le scalpel dans le sanctuaire de cette foi aveugle que nous avons puisée au sein de NOS MÈRES… NON, LE DIEU RÉVÉLATEUR N’EST PAS[12] ! »

[12] M. Neut, t. I, p. 144.

Et à Gand, le vénérable de la Fidélité, disait :

« Il faut élever AUTEL CONTRE AUTEL, enseignement contre enseignement…

« Nous devons combattre ; mais combattre avec la certitude de la victoire. »

Puis il ajoutait :

« A eux (aux prêtres du Christ) la morale facile et PERVERSE ! à eux le fanatisme ! A nous la morale pure, le désintéressement, le dévoûment ! »

« La Maçonnerie rejette les fantasmagories idolâtres… La Maçonnerie est au-dessus des religions[13]. »

[13] Discours prononcé par le F∴ Frantz Faider, à l’occasion de son installation comme vénérable de la loge la Fidélité, de Gand. — A. Neut, t. I, pag. 280 et seq.

Enfin : « Nous sommes NOS PROPRES DIEUX[14] ! »

[14] Ibid.

Et la Vente suprême du carbonarisme, qui a eu de si intimes affinités avec la Maçonnerie, disait nettement :

« Notre but final est celui de Voltaire et de la Révolution française : L’ANÉANTISSEMENT A TOUT JAMAIS DU CATHOLICISME, ET MÊME DE L’IDÉE CHRÉTIENNE[15]. »

[15] Instruction secrète adressée à toutes les Ventes par la Vente suprême. — L’Église en face de la Révolution, t. II, p. 82.

Ceux qui croient qu’on peut être à la fois chrétien et franc-maçon, doivent commencer à voir que cela est difficile.

Mais la Maçonnerie ne s’en tient pas aux paroles qui retentissent dans ses Loges, et la guerre qu’elle fait au dehors à la Religion est aussi acharnée que sa haine.

III
QUELQUES TRAITS DE LA GUERRE FAITE A LA RELIGION PAR LA FRANC-MAÇONNERIE

De cette guerre, qui est le fond, la pensée dernière de la Maçonnerie, je ne veux citer ici que trois faits, mais qui ne peuvent laisser subsister aucun doute sur le véritable esprit maçonnique.

Je le demande d’abord : n’est-ce pas une profonde pensée de guerre qui, naguère, en 1869, faisait à la fois surgir, à Bruxelles, à Naples, à Paris ces Convents (c’est le style des francs-maçons), ces Convents ou conciles maçonniques, EN FACE du Concile œcuménique ? et tout récemment encore ce convent qui essayait de se réunir à Rome même ?

On se souvient que le Convent de Paris, était annoncé par une circulaire du Grand-Maître de l’Ordre, le général Mellinet, qui avait été en même temps, sous l’Empire, commandant en chef la garde nationale de Paris.

Voici cette circulaire :

« TT∴ CC∴ FF∴ (cela veut dire : Très-chers frères).

« L’Assemblée générale du Grand-Orient de France, dans sa dernière session, a été saisie de la proposition suivante :

« Les soussignés, considérant que, dans les circonstances présentes, EN FACE du Concile Œcuménique qui va s’ouvrir, il importe à la Franc-Maçonnerie d’AFFIRMER solennellement ses grands principes, etc.

« Invitent le T∴ H∴ (très-haut) grand-maître et le conseil de l’Ordre à convoquer, le 8 décembre prochain, un Convent extraordinaire des délégués des Ateliers de l’Obédience, de ceux des autres rites et des Orients étrangers, pour élaborer et voter un manifeste qui soit l’expression de cette affirmation. »

(Suivent les signatures.)

Le Grand-Maître de l’Ordre,

Signé : MELLINET.

Je ne veux remarquer ici qu’une chose, c’est dans quelle pensée ce Convent était projeté : il s’agissait d’y élaborer et d’y voter UN MANIFESTE SOLENNEL, qui fut, quoi ? Une affirmation de principes, qu’il importait, disait-on, de poser EN FACE du Concile œcuménique. Pouvait-on déclarer d’une manière plus expresse l’antagonisme flagrant entre la Franc-Maçonnerie et l’Église catholique ?

Et s’il était possible de conserver ici un doute quelconque ne suffirait-il pas, pour lever ce doute, de rappeler une lettre publiée alors par M. Michelet, et dans laquelle, selon M. Michelet, « les manifestations, — qu’il importait à la Franc-Maçonnerie de faire, « EN FACE du Concile œcuménique », — seraient « LE VRAI CONCILE QUI JUGERAIT LE FAUX[16] ».

[16] Lettre du 24 octobre 1869, publiée par tous les journaux.


Le second fait où se révèle la guerre que la Maçonnerie a déclarée au Christianisme, ce sont les attaques sorties des Loges maçonniques contre les institutions religieuses du Christianisme, institutions qu’il faut écraser et EXTIRPER MÊME PAR LA FORCE : « L’HYDRE MONACALE », c’est ainsi que le Vénérable de la Loge des Trois Amis les désignait ; et un autre Vénérable reprenant, dans son discours d’installation à son vénéralat, cette heureuse expression : « L’HYDRE MONACALE, s’écriait-il, si souvent écrasée, nous menace de nouveau de ses têtes hideuses[17]. »

[17] M. Neut, t. I, p. 280.

Et un autre, au milieu d’applaudissement frénétiques, ajoutait :

« Nous avons le droit et le devoir de nous en occuper et il faudra bien que le pays entier finisse par en faire justice, DÛT-IL MÊME EMPLOYER LA FORCE POUR SE GUÉRIR DE CETTE LÈPRE ! (Bravos)[18]. »

[18] Discours du frère Bourlard au Grand-Orient de Belgique, le 26 juin 1864. — Neut, t. I, p. 307.


Et que dire, maintenant, de ces confréries maçonniques, où l’on s’engage formellement à ne vouloir ni baptême, ni mariage religieux ; ni prêtre au lit des malades ; où l’on va jusqu’à donner mandat aux confrères d’intervenir, par l’ingérence la plus odieuse, à la dernière heure, entre le mourant et sa famille ; où l’adepte de la Franc-Maçonnerie s’enlève ainsi à lui-même, par ces engagements sacriléges, tout retour possible de la conscience !

Où donc est née cette horrible secte des solidaires, qui semble s’être donné mission d’immoler l’espérance entre ce qu’elle appelle l’inconnu éternel qui précède la naissance, et le néant éternel qui suit la mort ? Dans les Loges maçonniques de Belgique, d’où elle passa promptement dans les Loges maçonniques de France. Bientôt, en effet, une Loge de Paris, l’Avenir, à l’imitation des francs-maçons belges, créait également dans son sein un comité, une confrérie de ce genre. Voici le dixième article de ses statuts :

« Art. 10. — Le libre penseur pouvant être empêché, au moment de la mort, par des influences étrangères (les influences de la famille !), de remplir SES OBLIGATIONS VIS-A-VIS DU COMITÉ, remettra à trois de ses frères, pour faciliter leur mission en ce cas, UN MANDAT, fait au moins en triple ampliation, donnant plein droit aux frères de protester hautement, dans le cas où, pour quelque raison que ce soit, on ne tiendrait pas compte de sa volonté formelle d’être enterré en dehors de toute espèce de rite religieux[19]. »

[19] Cité dans le Monde-Maçonnique, t. IX.

Et ils appellent cela le libre-mourir ! Ils enchaînent ainsi d’avance la volonté de leur adepte ! Ils instituent, sur eux-mêmes, et au sein de leur famille, cette révoltante intrusion, telle, que des francs-maçons, munis d’un mandat en triple ampliation, viendront là, dire à un père, à une mère, à une femme, à des enfants : « Ce mourant, ce mort nous appartient ! Retirez-vous ! »

C’est donc le comité franc-maçon, lui seul, qui veillera au chevet des mourants ; et il n’y aura plus, à sa dernière heure, pour le franc-maçon, ni père, ni mère, ni femme, ni enfant, ni frère, ni sœur, ni lien quelconque de la famille et de la religion ; plus rien que ce comité et sa tyrannie !

La Franc-Maçonnerie officielle, il est vrai, s’est émue en France de cette publique monstruosité, tolérée pendant trop longtemps. Pour des raisons d’ordre et de prudence, le Grand-Maître a voulu voir là une atteinte aux principes maçonniques, et il a suspendu pendant six mois la loge l’Avenir. Mais combien de fois, dans combien de loges et de journaux maçonniques, les principes de la loge l’Avenir et des solidaires n’ont-ils pas été proclamés ?

Ce que les journaux francs-maçons, tel que le Monde-Maçonnique, exaltent le plus, c’est l’athéisme au lit des mourants ; ce sont ces morts sans Dieu, ces départs pour l’éternité sans aucunes consolations religieuses, ces funérailles sans aucunes prières : voilà ce que ce journal appelle « mourir sans faiblesse[20] ». Dans une seule de ses chroniques, je vois relatés et préconisés jusqu’à cinq morts et cinq enterrements solidaires, dont deux de femmes ![21]. Et voici en quels termes : « Il est mort sans l’assistance des prêtres d’aucune religion… Il est mort fidèle à ses principes, et a été enterré sans prêtres… Inutile d’ajouter que les funérailles de Mme F… ont été purement civiles… » Et une autre fois : « Deux mille maçons suivaient le convoi de Mme S. C… »

[20] Le Monde-Maçonnique, novembre 1866.

[21] Ibid., décembre 1867, p. 496, et septembre 1868, p. 296.

Ailleurs, dans la même Revue, je lis : « Dès 1868, le frère Bremond, trésorier de la Loge l’Écho du Grand-Orient, avait remis au vénérable de la Loge une lettre où il déclarait : « Je désire être enterré civilement ET maçonniquement[22]. »

[22] Ibid., juillet 1873, p. 158.

Aussi, ne suis-je pas surpris de lire dans le même Monde-Maçonnique, que la R∴ L∴ l’École Mutuelle, loge infatigable, dit cette Revue, et qui a pour premier Sur∴ (surveillant) le F∴ Tirard, que cette Loge, dis-je, a mis à l’ordre du jour des questions à étudier par elle, celle-ci :

« De l’organisation des enterrements civils ET maçonniques[23]. »

[23] Ibid., mai 1866, p. 30.

Naturellement aussi le Monde-Maçonnique ne pouvait qu’applaudir à ces vers de M. Laurent-Pichat :

Que j’aie été fourmi, que j’aie été géant,
S’il faut que je descende à la nuit du néant,
J’y descendrai sans peur…
Pas de cierges rangés au chœur en promenoir !
Pas de prêtres autour d’un catafalque noir !
Sur les murs de l’Église en deuil, pas de croix blanches[24] !

[24] Ibid., tom. XI, p. 197.

Et quelles impiétés, hélas ! et, je dois l’ajouter, quelles pauvretés, ne débitent pas d’ordinaire en ces occasions les orateurs des loges !

Ainsi, aux funérailles du F∴ Bremond, dont nous parlions tout à l’heure, le F∴ Pinchenat s’écriait : « L’homme meurt, mais les idées ne meurent pas… Pauvre cher frère, tu revivras en nous !… »[25]

[25] Ibid., juillet 1873, p. 162.

Grande consolation, pour ce pauvre frère Bremond, de revivre ainsi dans le cher frère Pinchenat !

Qu’on ne parle donc plus de cette tolérance et de ce respect pour la Religion, inscrits, faut-il dire si hypocritement, au frontispice de la constitution maçonnique !

IV
LA FRANC-MAÇONNERIE ET L’EXISTENCE DE DIEU

Serrons de plus près encore la question, et pour mieux montrer l’incompatibilité absolue du principe fondamental de la maçonnerie avec le Christianisme, voyons comment ils l’entendent, et jusqu’où ils sont, en fin de compte, obligés de le pousser : jusqu’à l’athéisme.

Oui, le principe de la liberté de conscience absolue et illimitée que proclame la Maçonnerie, ne lui permet point de professer, sans inconséquence, je ne dis pas seulement le Christianisme, mais même l’existence de Dieu, ce dogme que certains Maçons ont cru primordial en Maçonnerie. En principe, la Franc-Maçonnerie est une société sans foi d’aucune sorte, sans aucune croyance, même en Dieu.

C’est ce que de récents débats dans son sein ont démontré jusqu’à l’évidence, et ce que l’impérieuse logique proclame encore plus haut.

Disons quelque chose de ces débats.

Un historien, franc-maçon, membre aujourd’hui de l’Assemblée nationale, M. Henri Martin, avait eu le malheur d’écrire, en octobre 1866, dans le Siècle, les lignes suivantes :

« La Franc-Maçonnerie est une société THÉISTE, recevant dans son sein les hommes de toute religion, à condition qu’ils professent le principe de la liberté religieuse. »

« Son but, ajoutait M. Henri Martin, est le bien des hommes et le progrès du monde ; et ses associés sont les ouvriers de Dieu dans cette œuvre. La Franc-Maçonnerie est cela ou n’est rien : effacer du programme maçonnique le grand architecte de l’univers, c’est effacer la Franc-Maçonnerie elle-même. Otez l’architecte, il n’y a plus ni temple ni maçons…

« Les orthodoxes de la Maçonnerie sont dans leur droit en refusant le titre de maçons à ceux qui rejettent l’architecte, et abattent le temple. »

Ces paroles soulevèrent une tempête dans la Maçonnerie ; de tous côtés des maçons se levèrent, indignés qu’on eût pu présenter la Franc-Maçonnerie comme une société théiste, croyant à Dieu, à l’architecte de l’univers, et ils firent entendre les plus énergiques protestations.

Un orateur d’une des Loges parisiennes, le F∴ Henri Brisson, qui est, lui aussi, membre de l’Assemblée nationale, accusa M. Henri Martin d’avoir, en proclamant la Franc-Maçonnerie une société théiste, et croyant en Dieu, parlé « un langage de SECTAIRE INTOLÉRANT ». M. H. Martin n’a pas compris le principe fondamental de la Maçonnerie. « Si la reconnaissance de ce grand architecte était, comme M. H. Martin le dit par erreur, primordiale en maçonnerie, il n’y aurait chez les maçons ni liberté de conscience, ni liberté d’opinions[26]. »

[26] Le Temps, 4 novembre 1866.

Deux autres francs-maçons qui, à cette époque, étaient membres du Conseil de l’ordre, le F∴ Caubet, et le F∴ Massol, élu récemment membre du Conseil municipal de Paris, déclarèrent que si la Franc-Maçonnerie professait la croyance en Dieu, « la Maçonnerie ne serait qu’une secte religieuse, ayant, comme toutes les sectes, ses dogmes, son orthodoxie, sa profession de foi ».

Et ils citèrent à l’appui de leur argumentation « un rapport émanant d’une COMMISSION GÉNÉRALE maçonnique de 1863, dont les CONCLUSIONS furent adoptées ». Ce rapport disait :

« La Maçonnerie est une institution soustraite à tout joug d’Église et de sacerdoce, à tous les caprices des révélations, et à toutes les hypothèses des mystiques[27]. »

[27] Le Monde-Maçonnique, novembre 1866, p. 439-441.

Les hypothèses des mystiques, on sait que cela signifie simplement l’existence de Dieu, déclarée maintes fois par le F∴ Massol, par les partisans de la morale indépendante, par les positivistes et les Francs-Maçons, une hypothèse invérifiable.

Ainsi donc, le rapport adopté par l’ASSEMBLÉE GÉNÉRALE Maçonnique de 1863 le déclare expressément : la Maçonnerie est une institution affranchie du joug non-seulement des croyances révélées, mais même de la simple croyance en Dieu.

M. Henri Martin semblait cependant avoir d’autant plus raison de présenter la Franc-Maçonnerie comme une société théiste, que toutes ses planches, (c’est-à-dire ses pièces officielles,) devaient porter en tête la formule séculaire : A la gloire du grand architecte de l’univers ; et que, de plus, la question semblait avoir été jugée en faveur du théisme l’année précédente même, dans le grand convent maçonnique de 1865.

Ce convent avait pour objet une œuvre capitale, l’élaboration d’une nouvelle constitution pour la Maçonnerie française. C’est à cette occasion que s’agitait avec une nouvelle ardeur la question déjà soulevée au sein de la Maçonnerie, à savoir si elle continuerait à maintenir en tête de ses planches ses vieilles formules. Pendant que les Loges élaboraient la nouvelle constitution, sur 151 projets qui arrivèrent au Grand-Orient de Paris, 60 réclamèrent l’abolition absolue de toutes formules affirmant l’existence de Dieu.

Néanmoins, après les plus vifs débats au sein du convent, la formule fut conservée.

Mais, hélas ! si la vieille formule se trouvait maintenue, la logique était contre elle ; car, logiquement, cette abstraction de toute croyance, proclamée par la constitution maçonnique comme sa base fondamentale, ne lui permet pas, sans inconséquence, de prescrire comme obligatoire une formule où l’existence de Dieu est proclamée.

Aussi de nombreuses protestations se firent-elles entendre au sein des Loges.

Je lis, en effet, dans le Monde-Maçonnique :

« Dans sa séance du 26 octobre, la première section de la grande Loge centrale (rite écossais), composée des députés élus par chacune des Loges de cette obédience, a déclaré que, dans sa pensée, la Maçonnerie n’avait pas à affirmer Dieu[28]. »

[28] Le Monde-Maçonnique, novembre 1866, p. 412.

La question revint donc à l’assemblée générale du Grand-Orient, présidée par le Grand-Maître, général Mellinet, le 13 juin 1867. Le débat fut plus vif encore que la première fois : et en effet : « La question, disait le Monde-Maçonnique, tient à l’existence même de la Maçonnerie, à ce qui constitue sa raison d’être, à ce qui est comme la moelle de ses os[29]. »

[29] Avril 1867, p. 50.

« Ils disent », s’écriait avec indignation le même journal, « ils disent : « Nous sommes déistes. La Franc-Maçonnerie est la fille aînée du déisme. »

« La Maçonnerie souscrira-t-elle à cette proposition ? Nous verrons bien ! Nous verrons si elle est capable de SE COUVRIR DE HONTE, elle qui a proclamé si haut la tolérance UNIVERSELLE[30]. »

[30] Ibid., août 1866, p. 220.

Nous avons sous les yeux les curieux débats qui eurent lieu dans cette assemblée générale maçonnique, à laquelle assistaient « deux cent soixante-neuf délégués représentant cent quatre-vingt-trois ateliers ». Les adversaires de la formule soutinrent : que « la Maçonnerie devait donner une définition de Dieu, ou ne plus en parler, car admettre tous les dieux, c’est une négation » ; que « la morale n’a pas besoin de s’appuyer sur Dieu » ; que la Maçonnerie « en affirmant cette idée de Dieu, passerait à l’état d’église[31] ».

[31] Le Monde-Maçonnique, juillet 1867.

Nonobstant cette logique, la tactique l’emporta. L’enseigne fut maintenue. Mais, au fond, que signifie ce vote ? Et, pour qui entend les choses de la franc-maçonnerie, y a-t-il rien de plus vide ? Annulée par cette tolérance maçonnique, qui admettant tous les dieux, n’est qu’une négation, c’est-à-dire l’athéisme, selon l’expression nette du F∴ Pelletan, l’enseigne peut-elle être prise au sérieux ? « Est-ce que », comme l’expliquait au Convent maçonnique un autre F∴, le F∴ Garisson, « est-ce que Proudhon, un des plus grands esprits de ce siècle, n’a pas été reçu maçon ? Est-ce que les jeunes gens du Congrès de Liége n’ont pas été reçus maçons ? Si, certainement ; nous leur avons tendu la main et nous leur avons dit : Travaillez avec nous ! » (Applaudissement)[32].

[32] Ibid.

Oui, tout cela était vrai : oui, Proudhon fut reçu franc-maçon, l’homme qui a dit : « Dieu, c’est le mal » ; et qui, à cette question : « Que doit-on à Dieu ? » répondit : « La guerre ! »

Et les jeunes gens du Congrès de Liége, qui poussèrent, on s’en souvient, ces cris sauvages : « Haine à Dieu ! Guerre à Dieu ! Il faut crever le ciel comme une voûte de papier ! » ces jeunes gens furent reconnus d’excellents auxiliaires de la Maçonnerie, qui leur a tendu la main.

Au surplus, les Francs-Maçons conséquents n’ont pas cessé de protester contre la formule, et espèrent bien arriver à la faire disparaître des règlements. « Nos contradicteurs », écrivait le Monde-Maçonnique, dans le numéro même où il relatait ce vote, « n’ont acquis que le droit d’être intolérants ». Et la maçonnerie n’en reste pas moins « le temple universel éternellement ouvert AUX ATHÉES aussi bien qu’aux PANTHÉISTES, etc.[33] »

[33] Ibid.

Et si l’on veut savoir d’ailleurs ce qui se cache sous la formule, pour ceux qui l’adoptent, c’est l’anéantissement de tous les cultes : qu’on lise, dans le Rituel de l’apprenti maçon le commentaire qu’en donne le vénérable, à l’Apprenti récipiendaire :

« Le déisme est la croyance en Dieu, sans révélation ni culte, c’est la religion de l’avenir, destinée à remplacer les cultes ; etc.[34] »

[34] Manuel de l’Apprenti maçon, contenant le cérémonial, etc., par J. M. Ragon, p. 45.

Qu’on écoute aussi ces professions de foi péremptoires, faites dans de grandes assemblées maçonniques :

« Je dirai que LE NOM DE DIEU EST UN MOT VIDE DE SENS[35]. »

[35] Loge de Liége, 1865. — A. Neut, II, p. 287.

« Il ne faut pas seulement nous placer au-dessus des différentes religions, Mais AU-DESSUS DE TOUTE CROYANCE EN UN DIEU QUELCONQUE[36]. »

[36] Ibid., p. 223.

« Seuls LES IMBÉCILES PARLENT ET RÊVENT ENCORE D’UN DIEU[37]. »

[37] Ibid.

Ainsi donc, une étiquette déiste, qui n’est au fond qu’une déclaration de guerre ouverte contre toute religion positive ; cette étiquette elle-même répudiée par la partie la plus active et la plus remuante de l’association, comme par la logique du principe ; cette abstraction faite de tout dogme, ce principe de la liberté absolue et illimitée, c’est-à-dire de l’indifférentisme absolu, consacrant toutes les audaces de la négation, et emportant peu à peu les derniers restes d’une formule usée ; les doctrines les plus nihilistes envahissant de plus en plus les Loges ; et l’athéisme se proclamant, s’installant, si j’ose le dire, avec une suprême audace, sur les débris de toute croyance à Dieu : tel est, à l’heure actuelle, le bilan doctrinal de la Maçonnerie.

Faut-il encore après cela poser la question si un chrétien peut être franc-maçon ?

V
LA FRANC-MAÇONNERIE ET L’IMMORTALITÉ DE L’AME

Il en est de la croyance à l’immortalité de l’âme comme de la croyance en Dieu : elle suscita au sein de la Maçonnerie les mêmes débats.

Ainsi, quand mourut le dernier roi de Belgique, Léopold, bien qu’il eût reçu l’assistance du culte protestant, et renié, par conséquent, la Maçonnerie, la Maçonnerie belge voulut s’emparer de sa mémoire, et une grande cérémonie funèbre fut célébrée en son honneur au Grand-Orient de Belgique. Mais la maxime suivante avait été affichée au jubé du temple maçonnique par les ordonnateurs de la fête :

« L’âme, émanée de Dieu, est immortelle. »

Contre quoi, la loge la Constance, de Louvain, adressa au Grand-Orient la protestation que voici :

« Considérant que la libre pensée a été admise par les loges belges comme principe fondamental ;

« La loge la Constance, Orient de Louvain, proteste énergiquement contre l’atteinte portée par le Grand-Orient aux principes qui sont les bases de la Maçonnerie[38]. »

[38] Protestation de la Loge LA CONSTANCE, de Louvain, en date du 17e jour, 1er mois 5866 (1866). — Citée par M. Neut.

La protestation des francs-maçons de Louvain fut vivement applaudie en Angleterre et en France. Un journal maçonnique, la Chaîne d’Union, de Londres, écrivit :

« Qui donc pourrait affirmer que l’âme émanée de Dieu est immortelle ? Qui en a la preuve ? Il y a des siècles que les Conciles et les Papes la cherchent, et ils ne l’ont pas encore trouvée… ils ne la trouveront jamais au ciel ! Parce que L’AME HUMAINE SE CRÉE ELLE-MÊME

« Nous appuyons donc la protestation des frères de Louvain. C’est avec de pareilles phrases, toujours creuses et incohérentes, qui sont du domaine de la fantaisie et de l’imagination, qu’on arrive tôt ou tard à encapuciner un pays.

« Frères de Louvain, vous avez eu raison de protester[39] ! »

[39] La Chaîne d’Union, Londres, 1er mai 1866. — Citée par le Monde-Maçonnique.

Et, de son côté, le Monde-Maçonnique s’écria :

« Comment le Grand-Orient de Belgique ne comprend-il pas qu’en affirmant publiquement par une devise l’immortalité de l’âme, il porte une atteinte sérieuse à la liberté de conscience[40] ? »

[40] Le Monde-Maçonnique, novembre 1866, p. 421.

Le Grand-Orient repoussa la protestation ; mais comment ? Fut-ce en maintenant l’affirmation de l’immortalité de l’âme ? Non : Il déclara que cette formule n’est pas sérieuse, n’oblige personne, et n’est là, dans la Maçonnerie, que par égard pour de vieilles traditions ; que d’ailleurs ces questions de Dieu et de l’âme ne peuvent recevoir aucune solution ; enfin que l’essence de la Maçonnerie est de ne professer aucune croyance :

« Déjà en 1837, le Grand-Orient de Belgique dégageait la Maçonnerie nationale de tout dogme religieux ou philosophique… Le Grand-Orient ne prescrit aucun dogme. Si le principe de l’immortalité de l’âme apparaît dans les rituels ou dans les formulaires, si l’idée de Dieu s’y produit sous la dénomination du Grand-Architecte de l’univers, c’est que ce sont là les traditions de l’Ordre. Mais cette formule n’enchaîne aucune conscience. De notre temps, il serait puéril de s’attacher à soulever des questions qui ne peuvent conduire à aucune solution[41]. »

[41] Ibid.

Et pour mieux voir ce que cette incroyance permet de dire dans les Loges maçonniques, il suffit de citer encore quelques fragments des discours qui se débitent à l’enterrement des frères qui ont repoussé à leur lit de mort la religion :

« Dans le recueillement suprême de sa conscience, il s’est avancé vers l’infini avec un calme antique. » Voilà ce qui est dit d’un franc-maçon mort comme il avait vécu, sans Christ et sans Dieu.

« Un vrai Maçon doit mourir comme il a vécu, en libre penseur, et loin de considérer une telle mort comme une honte, c’est un titre qu’il faut franchement revendiquer…[42] »

[42] Discours du F∴ Ranwet, souv∴ Gr∴ Command., Neut, t. I, p. 155.

Nous avons sous les yeux nombre de discours maçonniques, où fut tenu le même langage.

Pour le F∴ Ragon, le fondateur de la Loge des Trinosophes à Paris, l’auteur du rituel que nous citions tout à l’heure, qu’est-ce que la mort et l’immortalité ? La mort n’est autre chose que « la DÉPERSONNIFICATION de l’individu, dont les éléments matériels — poursuit le F∴ Ragon, et ceci est l’immortalité telle qu’il l’entend — se décomposent, s’unissent à des éléments analogues, et concourent aux transformations infinies de la matière toujours animée ».

Certes, il est impossible de professer plus crûment un plus grossier matérialisme, et un athéisme plus éhonté.

Et que dire de ce singulier éloge funèbre prononcé sur la tombe du F∴ Bourdet, de la R. L. La Persévérance, de l’O∴ d’Arles, par le F∴ Coindre : « Frère Bourdet, chacune des parties de ton corps va disparaître pour nous, et retourner au creuset universel d’où elles étaient sorties, pour concourir à la formation d’une myriade d’autres corps[43]. »

[43] Le Monde-Maçonnique, juillet 1867, p. 173.

Voilà le F∴ Bourdet bien avancé. Et son âme ! où va-t-elle ? — De son âme, bien entendu, pas un mot.

L’immortalité maçonnique, dans les théories que nous venons de voir, ce n’est donc pas l’immortalité de l’âme ni de la personne, puisque tout au contraire l’individu est DÉPERSONNIFIÉ par la mort ; mais celle des éléments matériels non anéantis. C’est aussi celle de l’idée ! L’idée que le mort servait ne meurt pas avec lui ; elle passe dans l’esprit de ceux qui demeurent ; et ils ajoutent gravement : EN SORTE QUE RIEN NE SE PERD

N’est-ce pas cacher sous de risibles et menteuses formules les plus misérables espérances ?

Ailleurs, sur la tombe du chef du Grand-Orient de Belgique, le F∴ Verhagen :

« Il ne fit pas précéder ses derniers instants par de superstitieuses expiations. »

Voilà comment les francs-maçons traitent les consolations que la religion donne, et peut seule donner aux mourants, à ce moment redoutable où le monde s’évanouit à leurs regards pour les laisser seuls en face de l’avenir éternel. L’orateur continue :

« Nos regrets ne sont pas troublés par de vaines terreurs ; nos espérances ne reposent pas sur les idées d’une vaine crédulité

« Des purifications emblématiques nous avertissent que le feu créateur est l’unique purificateur dans la nature[44]. »

[44] M. Neut, t. I, p. 149.

L’orateur, en effet, exposait cette belle théorie sur le feu créateur et unique purificateur, devant un monument « au pied duquel s’élevait un cyprès ; en avant de l’estrade, sur un autel de forme cubique, se trouvaient des vases d’argent et de cristal, renfermant le feu, les parfums, et l’eau lustrale, etc. »

Le feu, les parfums, l’eau lustrale, on le voit, c’est un culte complet : rien n’y manque. Et dans tous les récits de ces cérémonies funèbres, que les francs-maçons célèbrent entre eux, dans leurs temples, quel bizarre appareil ! et au fond toujours quelle inanité ! Des mots sonores recouvrant des idées creuses ; de la pompe dans le vide.

Je transcris textuellement ici un tracé maçonnique, c’est-à-dire un récit officiel ; il s’agit des honneurs rendus au F∴ Fontainas, bourgmestre de Bruxelles :

« Lorsque le Suprême Conseil a pris la place qui lui est réservée, le Vénérable-Maître, en chaire, se recueille et dit :

« Frère premier Surveillant, quelle heure est-il ?

« LE F∴ PREMIER SURVEILLANT : L’heure où la fin est devenue le commencement.

« LE VÉNÉRABLE-MAITRE, en chaire : C’est la loi de la nature. » Grande vérité, en effet ! « Mes frères, faisons notre devoir.

« Il se dirige, suivi du Suprême Conseil, des députés des loges, et des frères qui décorent les colonnes à la suite du tombeau.

« LE VÉNÉRABLE-MAITRE, en chaire : Frère André Fontainas, réponds-nous !

« Vainement, les frères premier et deuxième Surveillants répètent-ils ce lugubre appel. La tombe reste muette. Le Vénérable dit alors : Le Maître reste sourd à la voix de ses frères. »

Je le crois bien ; depuis plusieurs jours déjà il était enterré.

« A ces paroles, succèdent les sons lugubres du tam-tam, dont la vibration expire lentement sous la voûte du temple.

« Le frère orateur prononce alors un morceau d’architecture. » (Un discours.) Nous en avons cité plus haut quelques paroles : « Un vrai Maçon doit mourir comme il a vécu, etc. »

Puis, après les cérémonies, que j’abrége, on se rend au temple de l’immortalité, tout rempli de flambeaux allumés. C’est là qu’un autre frère orateur explique quelles sont les espérances maçonniques, délivrées, bien entendu, « des prisons du dogme catholique et de toutes les sectes particulières ».

Le Monde-Maçonnique a donc parfaitement raison de caractériser ainsi les deux pompeuses formules de la Franc-Maçonnerie :

« DIEU, le GRAND-ARCHITECTE DE L’UNIVERS, dénomination générique que tout le monde peut accepter, MÊME CEUX QUI NE CROIENT PAS A UN DIEU ;

« L’immortalité de l’âme, ou la perpétuité de l’être, SINON INDIVIDUEL, DU MOINS COLLECTIF[45] » : c’est-à-dire non pas l’immortalité de l’âme et de l’individu, mais la perpétuité de l’espèce.

[45] Le Monde-Maçonnique, t. IV, 657.

Aussi le F∴ docteur Guépin a-t-il pu dire sans être démenti :

« La majorité, qui a inscrit sur notre sanctuaire Dieu et l’immortalité de l’âme, a été intolérante. »

Et le pasteur Zille, que nous citions tout à l’heure, ajoutait : « Seuls LES IMBÉCILES, ignorants et faibles d’esprit, rêvent encore d’un Dieu, ET DE L’IMMORTALITÉ. »

VI
INCOMPATIBILITÉ DU PRINCIPE FONDAMENTAL DE LA FRANC-MAÇONNERIE AVEC TOUTE RELIGION

Il est évident du reste, pour peu qu’on veuille y réfléchir, que le principe fondamental de la Franc-Maçonnerie implique non-seulement la négation formelle du christianisme, mais encore une flagrante erreur philosophique. C’est la formule même du scepticisme et de l’indifférentisme le plus complet.

Ce principe, en effet, quel est-il ? C’est la libre pensée : « La libre pensée est LE PRINCIPE FONDAMENTAL de la Maçonnerie[46] » ; non pas la liberté RESTREINTE, mais COMPLÈTE[47], universelle ; la liberté ABSOLUE, illimitée, dans toute son étendue[48] : « La liberté ABSOLUE de la conscience est l’UNIQUE BASE de la Maçonnerie[49]. » La Maçonnerie, en effet, « est SUPÉRIEURE à TOUS les dogmes[50] » ; elle est « AU-DESSUS des religions[51] » ; « la liberté de la conscience est SUPÉRIEURE à TOUTES les croyances religieuses[52] » ; quelles qu’elles soient, même à la croyance en Dieu : « La Maçonnerie est une institution soustraite à TOUTES LES HYPOTHÈSES DES MYSTIQUES[53] » ; Les Francs-Maçons doivent en conséquence se placer non-seulement au-dessus des différentes religions, mais bien au-dessus de toute croyance EN UN DIEU QUELCONQUE[54]. » Enfin ils vont jusqu’à dire : « Nous serons nos propres prêtres et NOS PROPRES DIEUX[55] » ; et cette liberté, non pas restreinte, mais complète, universelle, illimitée est un DROIT[56].

[46] A. Neut, t. I, p. 408.

[47] Le Monde-Maçonnique, novembre 1866, p. 441.

[48] Ibid., mai 1866, p. 22.

[49] Ibid.

[50] Ibid.

[51] M. Neut, t. I, p. 285.

[52] Ibid., t. II, p. 192.

[53] Le Monde-Maçonnique, novembre 1866, p. 441.

[54] Neut, t. II, p. 233.

[55] Ibid., p. 202.

[56] Const. maçonnique, art. 1er.

Ainsi, la liberté, le droit, au point de vue non de la loi civile, mais du for intérieur de la conscience ; la liberté, le droit universel, absolu, illimité, de croire ce qu’on voudra, comme on voudra, ou de ne rien croire du tout, ce droit, proclamé antérieur et supérieur à toute croyance religieuse : Voilà, d’après les Maçons que nous venons d’entendre, le principe fondamental, l’unique base de la Maçonnerie.

Eh bien, il est manifeste d’abord que ce principe, ainsi entendu, est une flagrante erreur philosophique, et j’en demande bien pardon à ceux de MM. les Francs-Maçons qui croient en Dieu, c’est la négation implicite, même de la religion naturelle.

En effet, si la religion naturelle existe, elle oblige, par elle-même, en principe et en droit ; c’est cette obligation qui est antérieure et supérieure à l’homme, et elle limite sa liberté, elle lie sa conscience. En fait, l’homme, devant cette obligation, peut bien trouver, dans son ignorance ou sa bonne foi, pour son incroyance, une excuse, mais non pas un droit, antérieur et supérieur à la loi. Là est l’équivoque et l’erreur capitale du principe maçonnique. Certes, il ne suffit pas de nommer sa conscience pour avoir le droit de tout faire et de tout nier.

Et pour mettre ceci sous les yeux par un exemple frappant, il ne suffit pas, comme le disait très-bien à la tribune l’honorable M. Laboulaye au sujet des Mormons, il ne suffit pas, pour se dégager, qu’on puisse dire : « ma conscience exige que j’aie plusieurs femmes » ; non cela ne suffit pas, ni vis-à-vis de la morale, ni vis-à-vis de la loi civile.

Un raisonnement identique s’applique au Christianisme. S’il est une institution divine, il oblige, par lui-même, tous les hommes ; et cette obligation, supérieure à l’individu, à moins qu’on ne proclame l’individu supérieur à Dieu, limite sa liberté : là encore l’ignorance ou la bonne foi peuvent fournir une excuse, mais non pas créer un droit, absolu, illimité, antérieur et supérieur au Christianisme.

Cette liberté, absolue et illimitée, de la conscience, que les francs-maçons posent à la base de la Maçonnerie, n’existe donc pas ; c’est là une des chimères de ce faux libéralisme, condamné par l’Église, et qui n’est autre chose que le scepticisme ou l’indifférentisme en matière de croyances ; le proclamer, comme fait la Maçonnerie, c’est nier implicitement, mais réellement, toute religion, naturelle ou révélée.

Donc le principe maçonnique est exclusif du Christianisme, et dès lors un chrétien ne peut pas être franc-maçon.

Du reste, quand une institution se propose, comme la Maçonnerie, le progrès, non-seulement matériel, mais intellectuel et moral, de l’humanité, en dehors de la Religion, en dehors du Christianisme, que fait-elle encore autre chose que se substituer à la Religion, au Christianisme ; le nier par conséquent ? Car s’il est inutile et superflu pour une telle œuvre, les hommes n’en ont que faire : il est pour cela, ou il n’est rien.

Quand donc le Monde-Maçonnique vient nous dire que le propre de la Maçonnerie est de réunir tous les hommes, à quelque Religion qu’ils appartiennent, je lui demande encore bien pardon, mais le Monde-Maçonnique ne s’entend pas lui-même : et pour peu qu’on ne se paye pas de mots, et qu’on aille au fond des choses, on verra que placer à la base des constitutions maçonniques un tel principe, et prétendre ensuite qu’on ne touche pas à la religion, c’est une contradiction et une duperie.

C’est ce que reconnaissait, avec une franchise qui ne laisse rien à désirer, un haut dignitaire d’une loge allemande :

« Maçonnerie et catholicisme, écrivait-il, s’excluent réciproquement : CE SONT LES ANTIPODES… Je demande comment un catholique peut rester fidèle à sa religion tout en professant les doctrines maçonniques… Un homme qui croit au symbole des apôtres, comment peut-il entendre dire qu’il est libre et qu’il n’est tenu à aucune croyance ? » Ce sont deux choses contradictoires. — Extrait de la brochure : Die gegenwart und Zukunft der Freimaurerei in Deutschland. (Leipzig, 1854, p. 116 et suiv.) »

VII
NOUVEAUX DÉTAILS SUR LA GUERRE FAITE AU CHRISTIANISME : LA MORALE SANS DIEU, L’ENSEIGNEMENT SANS RELIGION

La Maçonnerie est donc une guerre profonde déclarée à toute religion. Mais le but odieux des Francs-Maçons apparaît surtout dans le zèle qu’ils déploient pour prêcher la morale sans Dieu, et, par suite, l’enseignement de la jeunesse séparé de toute croyance religieuse.

La morale, disent-ils, c’est toute la Maçonnerie ; mais cette morale, ils la veulent sans aucune religion. C’est dans les Loges que s’est élaborée, c’est des Loges qu’est sortie cette chimère impie qu’ils ont intitulée la morale indépendante, et qui n’est qu’une forme de l’athéisme.

Pas si chimère pourtant, puisque la Commune triomphante à Paris se hâta de la réaliser, en faisant disparaître des écoles tout emblème, tout enseignement religieux, et que, tout récemment encore, revenant aux traditions de la Commune, le Conseil général de la Seine votait, dans le même sens et dans le même but, l’enseignement obligatoire et laïque.

« La morale est indépendante de toute hypothèse religieuse[57]. »

[57] Le Monde-Maçonnique, mai 1867, p. 51.

Tel est l’axiome de la Maçonnerie. Et voici les conséquences qu’elle en tire : c’est que l’instruction religieuse doit être supprimée. Et la raison qu’elle en donne, c’est que les croyances religieuses sont inutiles pour l’éducation de la jeunesse, et de plus que la FOI EN DIEU ENLÈVE A L’HOMME SA DIGNITÉ, TROUBLE SA RAISON, et PEUT CONDUIRE A L’ABANDON DE TOUTE MORALE.

C’est ce qui a été expressément déclaré dans la R∴ L∴ La Rose du parfait silence, à Paris. A cette question en effet : « L’instruction religieuse doit-elle être supprimée ? Sans aucun doute, fut-il répondu ; et l’orateur de la R∴ L∴ développa en ces termes cette réponse :

« Le principe d’autorité surnaturelle, c’est-à-dire la foi en Dieu, ENLÈVE A L’HOMME SA DIGNITÉ ; est inutile pour discipliner les enfants ; et il est même susceptible de LES CONDUIRE A L’ABANDON DE TOUTE MORALE. »

« Le respect dû spécialement à l’enfant, ajouta-t-il, interdit de lui inculquer des doctrines QUI TROUBLENT SA RAISON[58]. »

[58] Ibid., octobre 1866, p. 372, 373.

Veut-on un autre témoignage ? Je lis encore ceci dans le Monde-Maçonnique[59] :

[59] T. XIII, mai 1870, p. 40.

« La R∴ Loge les Amis de l’Ordre, Orient de Paris, a posé dernièrement la question suivante :

« Quelle éducation un Maçon doit-il donner à ses enfants ? »

« Tous les orateurs se sont montrés partisans d’une éducation libre, laïque, indépendante de l’étroitesse de l’enseignement religieux. »

Et le Monde-Maçonnique cite en entier un de ces discours, dont j’extrais le passage suivant :

« Plus de cette instruction bâtarde, faussée, basée sur des dogmes surannés… Cette méthode d’élever nos enfants a trop duré ; il est temps, grand temps qu’elle finisse… La base sur laquelle il faut fonder l’instruction de nos enfants, la voici : Apprenons-leur à admirer, à étudier les grands phénomènes de la nature, et l’orateur ajoute : « sans nous trop soucier de quel nom nous devons décorer ces belles choses[60]. »

[60] Ibid., p. 14, 15.

Mais voici un sentiment plus paternel encore, et qui inspire ces Messieurs dans l’éducation de leurs enfants :

« La Maçonnerie », disait le F∴ Massol, dans une des séances de la session maçonnique internationale tenue en Juillet 1867, « doit être et n’est qu’une école de morale, indépendante de tous les dogmes religieux. J’ai élevé des enfants, mais je ne leur ai jamais menti. CHAQUE FOIS QU’ILS M’ONT DEMANDÉ CE QUE C’ÉTAIT QUE DIEU, JE LEUR AI RÉPONDU : « JE N’EN SAIS RIEN. » C’EST AINSI QUE J’EN AI FAIT DES HOMMES[61]. »

[61] Le Monde-Maçonnique, août 1867, p. 196-197.

Voici du reste comment dans une poésie maçonnique du F∴ Lachambaudie, lue dans un banquet maçonnique, est traité le catéchisme chrétien :

« Quel est ce livre élémentaire ?
« De superstitions, où la raison s’altère,
« C’est un tissu. . . . . »[62]

[62] Ibid., avril 1867, p. 722.

Les Loges belges ne se sont pas laissé devancer ici par les Loges françaises. Ainsi, en 1864, le Grand-Orient de Belgique, — je ne cite pas, on le voit, du minces autorités maçonniques, — mit la même question à l’ordre du jour de toutes les Loges de l’Obédience ; les Loges lui répondirent, et voici jusqu’où la Loge d’Anvers en particulier ne craignait pas d’aller dans sa réponse :

« L’ENSEIGNEMENT DU CATÉCHISME EST LE PLUS GRAND OBSTACLE AU DÉVELOPPEMENT DES FACULTÉS DE L’ENFANT.

« L’INTERVENTION DU PRÊTRE dans l’enseignement PRIVE LES ENFANTS DE TOUT ENSEIGNEMENT MORAL, logique et rationnel[63]. »

[63] Journal de Bruxelles, 28 novembre 1864. — Cité par M. Neut, t. I, p. 347.

Des diverses réponses envoyées par les Loges de son obédience au Grand-Orient de Belgique sortit donc un projet de loi en vingt-trois articles, dont l’art. 1er disait : SUPPRESSION DE TOUTE INSTRUCTION RELIGIEUSE ; et l’art. 2 : OBLIGATION POUR LE PÈRE ET POUR LA MÈRE VEUVE, de conduire DE FORCE ses enfants à l’école.

Que l’on remarque bien la connexion redoutable de ces deux articles. Ainsi donc, si les vœux de ces grands libéraux sont exaucés, la loi FORCERA le père, la mère, la mère veuve, à conduire ses enfants à une école où toute instruction religieuse sera supprimée.

Et voilà pourquoi à Paris comme à Bruxelles on réclame si ardemment l’enseignement laïque, gratuit et obligatoire : « C’est sur cette question que doivent se concentrer tous les efforts de la Franc-Maçonnerie[64] », dit le Monde-Maçonnique ; et pourquoi ? Les Loges belges ne l’ont pas dissimulé : Pour que l’enfant soit élevé — DE FORCE — sans Dieu et sans aucune religion.

[64] Le Monde-Maçonnique, octobre 66, p. 358.

Et la Chaîne d’Union, journal maçonnique de Londres, répondant à la Loge d’Anvers, au Grand-Orient de Belgique, et à La Rose du parfait silence de Paris, en donnait la raison : elle déclarait que l’éducation religieuse est un poison, et demandait, en conséquence « que les parents S’ENGAGEASSENT à soustraire leurs enfants AU VIRUS de l’éducation religieuse[65] ».

[65] Ibid., 1er mai 1866.

Ainsi donc l’enfant N’APPARTIENDRA PLUS A SES PARENTS ; et la loi les FORCERA de l’envoyer à des écoles, desquelles Dieu et tout enseignement religieux sera banni.

Certes, s’il y a une odieuse, une exécrable tyrannie, c’est bien celle-là. Aussi, M. Ledru-Rollin lui-même, un jour, a-t-il trouvé, pour la flétrir, les énergiques paroles que voici : « Y a-t-il une souffrance plus grande pour l’individu que la déportation de ses fils dans les écoles qu’il regarde comme des lieux de perdition, que cette conscription de l’enfance traînée violemment dans un camp ennemi, et pour servir l’ennemi ?[66] »

[66] Dit au Corps législatif, et cité par M. Neut, t. I, p. 350.

Eh bien, c’est là, on ne saurait trop le redire, c’est sur ce point capital de l’enseignement OBLIGATOIRE ET ATHÉE, que la Maçonnerie en Belgique et en France, déploie aujourd’hui ses plus grands efforts. Le Monde-Maçonnique le déclarait tout à l’heure ; et ailleurs encore il s’écriait : « Un champ immense est ouvert à notre activité. L’ignorance et la superstition pèsent sur le monde ; créons des écoles, des chaires, des bibliothèques. »

Aussi, car MM. les Francs-Maçons sont gens qui agissent en même temps qu’ils parlent, la Maçonnerie adopte, comme elle dit, des enfants, et je ne suis pas surpris de lire, dans le procès-verbal du protectorat international maçonnique, qui a terminé, le 27 juillet 1867, la session organisée par les loges écossaises, les paroles que voici :

« Soixante-dix-neuf enfants venaient, accompagnés de leurs familles, demander à la Maçonnerie asile et protection ; soixante-dix-neuf enfants dont l’intelligence ne sera pas EMPOISONNÉE par des théories rétrogrades ; soixante-dix-neuf enfants, POUR LA PLUPART DES FILLES, qui sèmeront nos idées dans le champ fécond de l’avenir. »

D’autre part, le convent maçonnique de 1870 prit, à l’unanimité, la décision suivante[67] :

[67] Le Monde-Maçonnique, t. X, p. 267.

« La Maçonnerie française s’associe aux efforts faits dans notre pays pour rendre l’instruction gratuite, obligatoire et laïque[68]. » Laïque ; non pas seulement donnée par des laïques, mais, séparée de toute religion[69].

[68] Le Monde-Maçonnique, mai 1870, p. 202.

[69] C’est ce que ne débrouillait pas très-bien ce brave ouvrier dont on me racontait ces jours-ci l’histoire : « Je veux, disait-il aux frères, en leur amenant son petit garçon, que mon fils reçoive une instruction laïque. » « Mais alors, lui dirent les chers frères, ce n’est pas à nous qu’il faut le confier. » « Oh ! si fait, répondit le brave homme, je veux que mon fils reçoive une instruction laïque, comme on dit au Conseil municipal ; mais je veux tout de même aussi qu’il soit élevé comme moi par les frères. »

« On sait, ajoute le Monde-Maçonnique, que cette décision dut être renvoyée à M. Jules Simon pour qu’il l’appuyât au Corps législatif. »

De même en Belgique, à la grande fête solsticiale-nationale célébrée à Bruxelles, le F. Bourlard s’écriait : « Quand des ministres viendront annoncer au pays comment ils entendent organiser l’éducation du peuple, je m’écrierai : A MOI MAÇON ! A MOI LA QUESTION DE L’ENSEIGNEMENT ; A MOI L’EXAMEN, A MOI LA SOLUTION ! » (Applaudissements)[70].

[70] M. Neut, t. I, p. 306.

Et ce prosélytisme impie a été solennellement pratiqué en Belgique et en France. A Bruxelles, le 10 octobre 1865, lors de l’inauguration d’une statue érigée au Grand-Maître de la Franc-Maçonnerie belge, M. Verhaegen, la Maçonnerie eut l’audace de faire venir là les enfants des écoles communales, et de faire chanter à ces enfants les strophes athées que voici :

LE CHŒUR
Ouvrez, ouvrez toutes les portes ;
Le monument s’est élargi
Pour laisser entrer les cohortes
De l’enseignement affranchi !
PREMIER GROUPE
Ce temple de l’intelligence
Marque au progrès une ère immense
QUEL EST SON TEMPLE ?
SECOND GROUPE
La science.
PREMIER GROUPE
QUEL EST SON DIEU ?
SECOND GROUPE
La liberté.
PLUS DE DOGME, aveugle lien !
PLUS DE JOUGS, TYRANS, NI MESSIES !
CHŒUR GÉNÉRAL
Élève et maître, il faut qu’ensemble nous dotions
De mâles générations
LES PROCHAINES DÉMOCRATIES[71].

[71] Cité par M. Neut, t. I, p. 362.

Ces doctrines, hélas ! ont fait et font chaque jour leur chemin ; et à Paris, pendant la Commune, à laquelle, nous l’avons vu, la Maçonnerie témoigna de si étranges sympathies, n’a-t-on pas fait monter dans la chaire de Saint-Sulpice un enfant de douze ans, proclamant, aux applaudissements d’un peuple en délire, qu’il n’y a pas de Dieu ?

VIII
PROPAGANDE DE L’ENSEIGNEMENT SANS RELIGION PAR LES ÉCOLES D’ADULTES. — LES ÉCOLES PROFESSIONNELLES DE FILLES. — LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT

La Maçonnerie déploie une égale ardeur de prosélytisme pour s’emparer des adultes par l’enseignement athée : C’est ainsi que l’orateur maçonnique, qui, dans la loge la Rose du parfait silence, à Paris, déclarait l’enseignement religieux inutile pour discipliner les enfants, et susceptible de les conduire à l’abandon de toute morale, terminait son discours par ces paroles :

« J’émets le vœu que des Maçons éloquents fassent aux ouvriers, dans toutes les villes de France, s’il est possible, des « cours de droit élémentaire et de morale universelle » sans qu’il y soit jamais question d’un enseignement religieux susceptible de les conduire à l’abandon de toute morale[72]. »

[72] Le Monde-Maçonnique, octobre 1866, p. 374.

Certes, il est temps que nous ayons autant de zèle, nous, catholiques, pour éclairer les ouvriers, que les Francs-Maçons pour les corrompre !

Mais c’est surtout à conquérir, à pervertir les femmes chrétiennes que travaillent les Maçons : oui, cette conspiration effroyable, tentée de nos jours pour arracher la foi du cœur des femmes, quels en sont les promoteurs infatigables ? Les francs-maçons.

Écoutons ce que disait à ce sujet le F∴ Massol, dans la loge Bienfaisance et Progrès, à Boulogne, le 19 juillet 1867 :

« Par l’instruction, les femmes parviendront à secouer le joug clérical, et à se débarrasser des superstitions qui les empêchent de s’occuper d’une éducation en rapport avec l’esprit moderne. Pour n’en donner qu’une preuve, quelle est la femme anglaise, allemande ou américaine qui, aux deux questions religieuses que peuvent leur adresser leurs enfants : « Qui est-ce qui a créé le monde ? Existe-t-on après la mort ? » oserait répondre qu’elle n’en sait rien, et que personne n’en sait rien ? Eh bien, cette audace, la femme française instruite l’aurait[73]. »

[73] Ibid., Août 1867, p. 205.

Est-ce clair ?

Et la raison de cette propagande, le F∴ Albert Leroy, naguère professeur de rhétorique, si je ne me trompe, au lycée de Versailles, sous le ministère de M. Jules Simon, l’exposait en ces termes dans une séance de la session maçonnique internationale d’août 1867, à Paris : « Sans la femme, tous les hommes réunis ne pourront jamais rien[74]. »

[74] Ibid., août 1867.

Deux faits, du reste, contemporains et éclatants, témoignent de cette activité de la Maçonnerie à propager l’enseignement athée et en dehors de toute religion, je veux parler de la création des Écoles professionnelles de filles et de la Ligue de l’Enseignement.

Les écoles professionnelles de filles — Sous l’Empire, dans un écrit que j’ai intitulé les Alarmes de l’Épiscopat, et auquel presque tous les évêques de France ont bien voulu adhérer par des lettres publiques, j’ai été amené à dénoncer cette institution comme une entreprise des plus dangereuses : j’ai démontré que la pensée d’où sont nées ces écoles était une pensée antireligieuse, antichrétienne ; que, sous prétexte d’enseignement, c’était l’irréligion pratique que l’on s’efforçait d’inculquer aux jeunes filles ; que l’on se proposait, positivement, d’en faire des libres-penseuses, vivant et mourant en dehors de tout christianisme et de toute religion. Rien de tout cela n’a été et ne pouvait être l’objet d’un démenti quelconque ; je citais en effet les déclarations des fondatrices, et l’exemple trop décisif de leur vie et de leur mort ; les discours impies prononcés sur leurs tombes en présence de leurs élèves ; les termes formels des prospectus officiels ; en un mot, je prouvais, péremptoirement, que l’institution avait deux faces : « l’une, sur laquelle était écrit, pour les dupes : Enseignement professionnel ; c’était l’enseigne : l’autre sur laquelle on aurait pu écrire : Plus de Christianisme, ni pendant la vie, ni à la mort » ; c’était le vrai but.

Ce que j’ajoute ici, c’est que la Franc-Maçonnerie avait la main dans cette œuvre ; c’est que les plus ardents propagateurs de ces écoles, c’étaient les Francs-Maçons et les journaux Francs-Maçons. Tout en effet ici était maçonnique : et le but, à savoir, l’éducation en dehors de toute religion, l’irréligion pratique ; et le moyen, le grand moyen de propagande maçonnique, l’école, l’enseignement, la perversion des jeunes filles et de la femme par l’enseignement.

Mais, plus formidable encore que les écoles professionnelles, parce que la diffusion, grâce à la légèreté publique, en a été rapide et universelle dans notre pays, c’est cette Ligue dite de l’enseignement, fondée en Belgique par les Francs-Maçons solidaires, et importée de Belgique en France, par un Franc-Maçon célèbre, que j’ai déjà nommé, le F∴ Jean Macé.

C’est en effet, ainsi qu’on peut le lire dans le 2e bulletin de la Ligue, « après avoir assisté à Liége à une séance de la ligue de l’enseignement belge », que le F∴ Jean Macé prit « la résolution de provoquer en France la formation d’une Ligue analogue ».

Cette origine, maçonnique et solidaire, de la Ligue de l’enseignement, en révèle assez clairement le but ; et quant au F∴ Jean Macé lui-même, pour connaître quel esprit l’anime, il suffirait de son toast, porté lors de l’inauguration, à Strasbourg, d’un nouveau temple maçonnique : « A la mémoire du F∴ Voltaire[75]… »

[75] Le Monde-Maçonnique, mai 1867, p. 25.

De même que les écoles professionnelles, la Ligue de l’enseignement a deux buts, l’un proclamé, l’autre caché ; le but avoué, c’est la diffusion de l’instruction : Mais quelle instruction ? C’est ce qu’on dit beaucoup moins ; l’instruction sans Dieu, en dehors de toute religion, et dont le résultat est d’amener l’homme à vivre comme si le Christianisme n’existait pas. Voilà la vraie pensée de l’œuvre.

Que si une foule d’hommes inattentifs et trompés, en entrant dans cette Ligue, n’ont pas regardé jusque-là, et se sont arrêtés à l’enseigne ; qu’ils écoutent ce que les journaux Francs-Maçons, qui savent bien ce qu’ils font et ce qu’ils disent, ont écrit à ce sujet :

« Nous sommes heureux de constater », écrivait dans son numéro d’avril 1867 le Monde-Maçonnique, « que LA LIGUE DE L’ENSEIGNEMENT ET LA STATUE DU F∴ VOLTAIRE rencontrent DANS TOUTES NOS LOGES, les plus vives sympathies. On ne pouvait avoir deux souscriptions plus en harmonie : Voltaire, c’est-à-dire la destruction des préjugés et des superstitions (traduisez des religions) ; la Ligue de l’enseignement, c’est-à-dire l’édification d’une société nouvelle, UNIQUEMENT basée sur la science et l’instruction, (c’est-à-dire affranchie de toute religion). TOUS NOS FLE COMPRENNENT AINSI ».

Et ailleurs encore : « Les principes que nous professons, sont en parfait accord avec CEUX QUI ONT INSPIRÉ LE PROJET DU FJEAN MACÉ. »

Qu’on le remarque bien, c’est le Monde-Maçonnique qui dit cela, un journal qui, à toutes ses pages, déclare que les religions sont les ténèbres, que la Maçonnerie c’est la lumière, que Dieu, l’âme et la vie future, ne sont que des hypothèses, des fantômes ; qu’en conséquence l’homme doit être élevé et le progrès réalisé, en dehors de tout Christianisme et de toute religion : c’est ce journal qui déclare ses principes en parfait accord avec ceux qui ont inspiré LE PROJET du F∴ Jean-Macé, et qui ajoute : « Les Maçons doivent adhérer EN MASSE à la ligue de l’enseignement, et les Loges doivent étudier, dans la paix de leurs temples, les meilleurs moyens de la rendre EFFICACE. »

C’est, du reste, ce que reconnaissait le F∴ Jean-Macé lui-même dans cet autre toast : A l’alliance de la Ligue et de la Maçonnerie, où il déclarait que tous les Maçons devaient être ligueurs, et tous les ligueurs, Maçons ; que le but, le principe, et le mot d’ordre de la Ligue et de la Maçonnerie, sont identiques :

« A l’entrée de tous les Maçons dans la Ligue ;

« A l’entrée dans la Maçonnerie de tous les ligueurs ;

« Au triomphe de la lumière, le mot d’ordre commun de la Ligue et de la Maçonnerie[76] ! »

[76] Ibid., juillet 1869.

Et cet appel était si bien entendu que dans un Rapport sur la première année de propagande de la Ligue en France, le F∴ Jean-Macé pouvait se glorifier que déjà tous les départements français, excepté douze, était enrôlés dans la Ligue ; « et c’est ainsi, concluait-il, que la Ligue française finira par devenir UNE GRANDE ARMÉE ».

Armée d’enseignement, certes, qu’aucun ministre de l’instruction publique ne gouvernera facilement.


Devant de tels faits et de tels principes, devant un tel but, et une telle propagande, quels que soient les sentiments contraires de tels ou tels francs-maçons trompés, de telle ou telle loge moins avancée, y a-t-il lieu encore de discuter la question de savoir si un chrétien, si un catholique peut entrer dans une telle institution, et s’associer à une telle œuvre ? Non, une telle solidarité est impossible. Et l’auteur franc-maçon d’une Histoire de la Franc-Maçonnerie, le F∴ Goffin, l’a proclamé avec sincérité : « Lorsque la Maçonnerie accorde l’entrée de ses temples à un juif, à un mahométan, à un catholique, à un protestant, c’est à la condition que celui-ci deviendra un homme nouveau, qu’il abjurera ses erreurs passées, qu’il déposera les superstitions dont on a bercé sa jeunesse. Sans cela, que vient-il faire dans nos assemblées maçonniques[77] ? »

[77] Histoire populaire de la Franc-Maçonnerie, p. 517.

Que pourrions-nous dire nous-même de plus fort ? Et en vérité, ne faudrait-il pas avoir perdu complètement toute notion du Christianisme et tout sens commun, pour s’imaginer encore que la Maçonnerie et la foi chrétienne sont choses compatibles ?

DEUXIÈME PARTIE
Un homme sérieux, et de bon sens, peut-il être Franc-Maçon ?

Je réponds sans hésiter : Non. Et voici mes raisons.

Je dois donc maintenant regarder, par un autre côté, la Franc-Maçonnerie ; et certes, elle nous en donne bien le droit : quand une secte affecte des prétentions aussi hautaines et ne se proclame rien moins que l’illuminatrice et la réformatrice du genre humain, il est bien permis d’examiner si elle est réellement ce qu’elle se vante d’être, si ce luxe d’éloges, cette emphase admirative, et tout cet étalage de vertus, qui décorent d’ordinaire les morceaux d’architecture (les discours maçonniques), sont suffisamment justifiés ; et si, par hasard, les profanes, regardés de si haut par MM. les Maçons, n’auraient pas le droit, à leur tour, de sourire au lieu d’admirer, et de leur renvoyer quelque chose de leurs dédains et de leur pitié.

Rien, en effet, ne peut se comparer à l’exaltation et à la pompe de langage qui se rencontre à chaque page des journaux et des documents maçonniques que j’ai sous les yeux. La Franc-Maçonnerie, « c’est la divine Maçonnerie » ; c’est « le phare de l’humanité » ; c’est « le soleil du monde ».

« Gloire à toi, divine Maçonnerie ! » s’écrient-ils. Puis ils chantent de concert :

Juste, humain, bienfaisant, voilà ce que nous sommes ;
Et le parfait Maçon est le premier des hommes.

Le premier des hommes pour les vertus, le premier pour les lumières, voilà ce qui se répète dans les banquets maçonniques. En dehors de la Maçonnerie, le genre humain est plongé dans les ténèbres. La Maçonnerie a toutes les lumières ; la Maçonnerie a toutes les vertus : « Toute sagesse, toute perfection, toute vertu, toute philosophie s’enseignent dans les temples maçonniques[78]. »

[78] Le Monde maçonnique, t. IX, p. 358.

A la bonne heure. Mais cependant, lorsque, à la faveur des révélations qu’elle nous a faites d’elle-même, j’entre dans ses Ateliers et dans ses Loges, et que je contemple les Frères à l’œuvre, lorsque chez ces hommes, qui ne veulent plus de culte ni de religion, ou, comme ils disent, « de superstitions » ; lorsque je vois toutes ces cérémonies, toute cette hiérarchie compliquée et bizarre, tous ces signes et ces insignes, toutes ces marches et contre-marches, ces rites singuliers ; lorsque j’entends ce langage inconnu des profanes, lorsque j’assiste à ces initiations et à ces mystères, à ces travaux de table, comme ils les appellent, etc., etc., la divine Maçonnerie m’apparaît sous un aspect qui m’étonne, c’est le moins que je puisse dire ; et, malgré mon désir de n’offenser personne, je ne puis m’empêcher de croire que tout cela, si ce n’est pas le voile suranné d’un but qu’on a eu longtemps intérêt de cacher, est bien peu digne d’hommes sérieux. Et le F∴ Félix Pyat, révolutionnaire en Maçonnerie comme en politique, me paraît avoir eu raison de trouver ces pratiques ridicules, et de les appeler « puériles », ou « séniles »[79]. Pour moi, je me bornerai encore à faire ici une pure et simple exposition. Je m’adresse aux hommes de bons sens ; le bon sens jugera.

[79] Le Rappel, cité plus haut.

I
HIÉRARCHIE, GRADES ET LANGAGE MAÇONNIQUES

On sait qu’il y a plusieurs grands rites maçonniques, le rite Égyptien de Misraïm, le rite Écossais, celui du Grand-Orient de France ; et peut être d’autres encore.

Chacun des trois rites a trois degrés fondamentaux : les apprentis, les compagnons, les maîtres.

Ceux qui ne sont Francs-Maçons à aucun degré, ils les nomment des profanes.

En outre, chaque rite a ses hauts grades, et ses mystères. En Belgique et en France, le rite Écossais et le Grand-Orient ont chacun une échelle hiérarchique de trente-trois degrés. Je remarque parmi ces degrés :

Le rite Égyptien de Misraïm est plus riche encore, et ne compte pas moins de quatre-vingt-dix degrés ; je n’en citerai non plus que quelques-uns :

Tels sont les grades et les noms bizarres, c’est le moins qu’on puisse dire, qui sont proposés à l’ambition suprême des adeptes de la Franc-Maçonnerie.

Chaque grade a ses insignes et ses bijoux distinctifs. Il y a le tablier, la truelle, le maillet, le compas, l’équerre, les cordons en sautoir, avec soleil d’or, et autres emblèmes, etc.

Mais, en vérité, pour des hommes qui professent si haut les théories égalitaires, toute cette hiérarchie de grades, d’insignes et de bijoux, tous ces hochets de la vanité, sont une étrange contradiction. Plusieurs francs-maçons eux-mêmes en ont fait la remarque ; mais les hochets n’en subsistent pas moins, avec toute leur puissance sur ces grands esprits.

Les différentes sociétés maçonniques, dont se compose chacun des trois rites, se nomment Loges. Voici quelques-unes de ces loges ; il y a :

Les Dignitaires des loges sont plus ou moins nombreux ; il y a :

Tels sont les noms, pompeux ou grotesques, qui se rencontrent sans cesse dans les journaux des francs-maçons, et dans les récits des tenues maçonniques, ainsi qu’ils appellent leurs séances. Car les francs-maçons ont une langue à eux, qui n’est pas celle des profanes, pour dire autrement les mêmes choses. Ainsi, l’orateur d’une loge maçonnique ne prononce pas un discours, mais un morceau d’architecture ; — un franc-maçon ne mange pas, il mastique ; — son verre n’est pas un verre, mais un canon ; — et son assiette une tuile ; — et son couteau un glaive ; — charger, en terme de table, c’est mettre du vin dans son verre ; — une loge n’interrompt pas ses séances, elle se met en sommeil ; — une circulaire maçonnique s’appelle une planche ; — un compte rendu est un tracé ; — les applaudissements sont des batteries ; — et les banquets des travaux de table.

Les cérémonies, les signes, les marches, les contre-marches, les honneurs funèbres, les travaux de table, les batteries, etc., tout cela est réglé par les rituels maçonniques dans le plus minutieux détail, et demande assurément aux initiés une grande étude. Ils doivent, ces hommes graves, ces pères de famille, ces honorables commerçants, ces avocats, ces magistrats, ces membres des assemblées délibérantes, passer de longues heures à apprendre les cahiers de leurs grades, les prescriptions de leurs rituels, le mysticisme de leurs emblèmes, et tout ce qui compose enfin le culte, la religion des francs-maçons, car c’est ainsi qu’ils l’appellent eux-mêmes ; ces hommes qui veulent éclairer le genre humain et le débarrasser de ce qu’ils nomment superstitions, ont eux-mêmes leurs temples, leurs autels, leurs sacrificateurs, leur baptême, leurs sacrements et leurs mystères.

Entrons plus avant dans l’institution.

II
INITIATION MAÇONNIQUE

Comment est-on admis franc-maçon ? Comment, pour parler leur langage, reçoit-on la lumière ?

J’ai lu, dans leurs rituels, la description de ces initiations maçonniques, et j’ai rencontré là des scènes, des terreurs, des serments, des épouvantails, vraiment bien extraordinaires.

Voici d’abord ce que le compagnon récipiendaire, doit jurer :

« Je jure de ne jamais révéler les secrets, les signes, les attouchements, les paroles, les doctrines ou les usages des francs-maçons… Dans le cas où je manquerais à ma parole, qu’on me brûle les lèvres avec un fer rouge, qu’on m’abatte la main, qu’on m’arrache la langue, qu’on me coupe la gorge, que mon cadavre soit pendu dans la loge pendant l’admission d’un nouveau frère, pour être la flétrissure de mon infidélité et l’effroi des autres, qu’on le brûle ensuite, et qu’on en jette les cendres au vent »[80].

[80] Extrait de l’écrit intitulé : Die drei St.-Johannis-Grade der grossen (Berliner) Mutterloge zu den drei Welthügeln. Leipzig, 1825. Cité par M. Neut, t. I, p. 208.

Je n’examine pas encore ce qu’il y a au fond de ces mystères maçonniques, placés sous une telle garantie ; mais je le demande au bon sens, à la bonne foi : comment se fait-il que des hommes raisonnables et sincères consentent à prononcer contre eux-mêmes de telles formules ?

Pour l’Apprenti, qui n’est encore qu’au seuil des mystères, on ne lui en demande pas tant : dans son serment tel que le F∴ Ragon le donne, l’Apprenti déclare simplement qu’il préfère « avoir la gorge coupée plutôt que de révéler les secrets de l’Ordre »[81]. La gorge coupée, c’est bien déjà quelque chose !

[81] Rituel de l’Apprenti, p. 54.

Les serments toutefois n’empêchent pas que, par les révélations des francs-maçons eux-mêmes, les secrets ne soient aujourd’hui assez connus du monde profane. Quelque précieuse et inestimable que soit la faveur de recevoir « la lumière », et de porter « le tablier », je n’ai pu m’empêcher, je l’avoue, en lisant les « épreuves » que le F∴ Ragon raconte et interprète avec complaisance, de trouver que le profane achète tout cela un peu cher.

Ces épreuves sont longues et compliquées. Il y a d’abord la chambre des réflexions : « Lieu obscur, éclairé par une lampe sépulcrale. Les murs, peints en noir, sont chargés d’emblèmes funèbres… Le récipiendaire, devant passer par les quatre éléments des anciens, subit sa première épreuve, celle de « la Terre », au sein de laquelle il est censé se trouver… Un squelette gît près de lui dans un cercueil ouvert. Si l’on manquait de squelette, on poserait sur la table une tête de mort[82].

[82] Rituel de l’apprenti, par le F∴ Ragon, p. 24, et seq.

« Les inscriptions placées sur les murs sont celles-ci :

« Si ton âme a senti l’effroi, ne va pas plus loin.

« Si tu persévères, tu seras purifié par les éléments, tu sortiras de l’abîme des ténèbres, tu verras la lumière. »

Le patient reste là un certain temps et doit répondre par écrit à trois questions, et puis faire son testament. Pendant que le Vénérable lit ses réponses en loge : « Le F∴ préparateur bande les yeux au récipiendaire, et le met dans l’état où il doit entrer en loge ; c’est-à-dire qu’il est tête nue, la moitié du corps en chemise ; il a le bras et le sein gauche découverts, le genou droit nu, le soulier gauche en pantoufle[83]. »

[83] Ibid.

Alors le F∴ expert reçoit du Vénérable « l’importante mission de soumettre le profane aux épreuves physiques », c’est-à-dire de lui faire faire « les trois voyages, et de le faire passer par les éléments qui lui restent à traverser »[84] ; l’air, l’eau et le feu.

[84] Ibid.

Puis, « le 2e Expert tire bruyamment les verroux et ouvre les deux battants de la porte, etc.[85] »

[85] Ibid., p. 32.

Puis, après un long interrogatoire sur les préjugés, l’ignorance, le fanatisme et la superstition, etc., « le Vénérable dit d’une voix forte : Faites faire le premier voyage ! »

« Ce premier voyage doit être hérissé de difficultés ; on lui dit : Baissez-vous ! comme pour entrer dans un souterrain. Enjambez ! pour franchir un fossé. Levez le pied droit ! pour monter sur une butte. Baissez-vous !Encore ! Il est conduit de manière à ce qu’il ne puisse pas juger de la nature du sol qu’il parcourt ; il monte l’Échelle sans fin ; passe sur la Bascule. Pendant ce trajet, le bruit des assistants, la grêle et le tonnerre produisent leur effet ; même la bouteille de Leyde[86]. »

[86] Ibid., p. 44.

Ce voyage constitue la purification par l’air ; la purification par l’eau se fait au 2e voyage, pendant lequel « le seul bruit que le récipendiaire entend est causé par quelques rumeurs sourdes et par de légers cliquetis de glaives »… Puis, l’Expert lui plonge par trois fois le poignet gauche dans un « vase où il y a de l’eau[87] ».

[87] Ibid., p. 46.

L’épreuve par le feu a lieu au 3e voyage, qui se fait « en silence et à pas précipités. On suit le récipiendaire en l’enveloppant, avec précaution, trois fois dans les flammes, jusqu’à sa place[88] ».

[88] Ibid., p. 50.

Puis on présente au profane « le breuvage d’amertume[89] » : et le Vénérable lui dit alors avec gravité :

[89] Ibid., p. 51.

« Tout profane qui se fait recevoir maçon CESSE DE S’APPARTENIR. Il n’est plus à lui… »

Les rituels nous apprennent qu’il existe, dans toutes les loges de l’univers, un sceau chargé de caractères hiéroglyphiques connus des seuls vrais maçons.

« Ce sceau, après avoir été rougi au feu, étant appliqué sur le corps, y imprime une marque ineffaçable[90]. »

[90] Ibid., p. 52.

Si le patient consent à recevoir sur la partie de son corps qu’il indiquera lui-même cette glorieuse empreinte, — car le F∴ Ragon avertit que le Vénérable peut le dispenser de cette épreuve, — « le F∴ Expert frotte avec un linge sec la partie indiquée et y pose très-prestement un glaçon ou un corps froid[91] ».

[91] Ibid., p. 52.

Le moment alors est venu d’exiger du candidat le serment :

« Les FF∴ sont debout, armés de glaives dont la pointe est tournée vers le récipiendaire. Le Vénérable frappe trois coups lents. Au troisième, le 2e Surveillant fait tomber le bandeau. Aussitôt l’Expert projette devant lui une grande flamme, à une distance inoffensive…

« Après un instant de silence, le Vénérable dit :

« Les glaives qui sont tournés vers vous… vous annoncent que vous ne trouveriez parmi nous que des vengeurs de la Maçonnerie… et que nous serions toujours prêts à punir le parjure[92]. »

[92] Ibid., p. 55.

« On le conduit alors à l’autel. Là, on lui met à la main gauche un compas ouvert dont une des pointes est tournée vers le sein gauche ; sa main droite est posée sur le glaive de l’ordre ; il pose le genou sur une des marches, la jambe droite en équerre[93]. »

[93] Ibid., p. 54.

Le serment prêté, le Vénérable donne au profane devenu maçon le tablier, les gants « que vous donnerez, dit-il, à la femme que vous estimez le plus[94] ». Puis, il lui fait connaître les mots, signe et attouchement ; et lui explique le sens de ces choses.

[94] Ibid., p. 57.

« Le mot de passe est T… un des fils de Lameth… Bientôt vous apprendrez sa vraie signification :

« Le mot d’ordre… vous apprendra que nous faisons tout en équerre

« L’ordre, en loge, est d’être debout, et de porter à plat la main droite sous la gorge, les quatre doigts serrés, et le pouce écarté, en forme d’équerre.

« Le Signe dit guttural est de se mettre à l’ordre, de retirer la main horizontalement, et la laisser tomber perpendiculairement.

« L’Attouchement se fait en se prenant mutuellement les quatre doigts de la main droite ; on pose le pouce sur la phalange de l’index, et par un mouvement invisible, on frappe les trois coups de l’apprenti.

« Batterie. Trois coups, oo, o.

« Pour la marche : se mettre à l’ordre, le corps légèrement effacé, porter en avant le pied droit, approcher en travers le pied gauche, talon contre talon, en équerre. Répéter ce pas par trois fois, et faire le signe en guise de salut[95].

[95] Ibid., p. 58.

Voilà comment les francs-maçons reçoivent la lumière.

« La cordialité, prétend quelque part M. About[96], rachète les côtés enfantins du rite » ; pour moi, quand je songe que ce sont parfois des hommes partout ailleurs sérieux qui pratiquent ces choses, et avec l’exaltation que je rencontre dans la plupart des discours maçonniques ; et que c’est pour de tels rites, vides assurément du sens de Dieu, et de tout sens, qu’un si grand nombre de ces hommes s’éloignent de la religion véritable, du Dieu qui les a créés, de Jésus-Christ qui les a rachetés, je ne puis me défendre, je l’avoue, d’une compassion profonde.

[96] Opinion nationale, novembre 1865.

Mais qu’êtes-vous donc, dirai-je à la Maçonnerie ? Êtes-vous une Société à prétentions philosophiques ? Pourquoi donc alors toute cette fantasmagorie. Une religion, un culte ? Mais vous dites dans vos loges : « Débarrassons l’imposante majesté de Dieu de toutes les frivolités du culte extérieur, au moyen desquelles on enchaîne les ignorants et les faibles[97] ! » Ou bien êtes-vous une Société secrète qui cache à dessein son secret sous des momeries ? Faut-il le penser ?

[97] Discours du Grand-Maître de la Maçonnerie belge, à l’installation d’une loge, M. Neut., t. I, p. 143.

J’ai regardé de près ces prétendus symboles, et les explications mystiques que vos écrivains en ont données : en fait de science et de lumière, qu’y a-t-il là ? Rien, absolument rien ; tout cela est creux et vide ; ou si l’on peut dégager de là quelque chose, quelque pensée philanthropique, je le déclare, rien de cet enseignement si étrangement donné qui appartienne à la Maçonnerie ; rien qui ne soit connu, vulgaire, passé même chez nous, on le peut dire, à l’état de lieu-commun, grâce au catéchisme.

Puérilité donc, que cette prétendue initiation à la lumière ! Puérilité que toutes ces cérémonies ridicules ! Puérilité et sénilité, comme le disait Félix Pyat ! Je me trompe, ce qu’au fond cela signifie, c’est qu’on veut se passer de la religion, de la foi et du catéchisme chrétien ; voilà pourquoi on se livre gravement à ces rites bizarres,… qui rappellent trop vraiment les vieux temps de la décadence païenne, et les initiations symboliques qui avaient lieu dans la caverne de Mithra, sous le Capitole[98] ?

[98] Aussi est-ce sans étonnement que j’ai vu le Monde-Maçonnique signaler la curieuse analogie de certains symboles mithriaques avec les emblèmes de la maçonnerie. — Avril 1876, p. 592.

Peut-être y a-t-il ici un autre motif : comme le disait un révolutionnaire italien, célèbre dans les Sociétés secrètes : « en apprenant tout cela au franc-maçon, on s’empare de la volonté, de l’intelligence, et de la liberté d’un homme. On en dispose, on le tourne, on l’étudie… Quand il est mur pour nous, on le dirige vers la Société secrète, dont la Franc-Maçonnerie n’est que l’antichambre[99] ».

[99] Lettre du Petit-Tigre à la Vente piémontaise, cité par l’auteur de l’Église romaine en face de la Révolution, t. II, p. 424.

Mais n’anticipons pas sur ce grave sujet ; et donnons encore quelques détails.

III
LES TRAVAUX DE TABLE, OU BANQUETS

Les initiations ont quelque chose en apparence de terrible ; mais pour reposer nos lecteurs, voici des détails moins sombres : je veux parler des travaux de table, c’est ainsi que se nomment les banquets maçonniques. — Ici encore je copie textuellement les rituels :

Voici, selon le F∴ Ragon, et selon un autre écrivain franc-maçon, fort accrédité aussi dans l’ordre, le F∴ Clavel, comment se passent ces banquets :

« La salle où se fait la mastication doit être, comme la Loge, à l’abri des regards profanes. On la décore habituellement de guirlandes de fleurs[100]. »

[100] Ibid., p. 76.

« Le V∴ dit : « F∴, surv∴, prévenez vos FF∴ que les travaux sont suspendus et que nous allons nous livrer à la mastication[101]. »

[101] Histoire pittoresque de la Franc-Maçonnerie, par le F∴ Clavel, Introd., p. 30.

« Fr∴ 1er et 2e surv∴, invitez les FF∴ qui sont sous votre commandement à se disposer à charger et à aligner pour la première santé d’obligation[102]. »

[102] Rituel de l’Apprenti, p. 76, 77.

« Pendant le repas, on tire sept santés d’obligation. Lorsqu’on tire les santés, la mastication cesse » ; — c’est-à-dire qu’on cesse de manger pour boire ; et voici comment cela se fait. « Les frères se lèvent, se mettent à l’ordre, et jettent leur drapeau (leur serviette) sur l’épaule gauche. Sur l’invitation du Vénérable les frères chargent leurs canons (les verres) et quand tout cela est fait, le Vénérable dit : Mes frères, nous allons porter une santé… Nous y ferons feu, bon feu, le feu le plus vif et le plus pétillant de tous les feux.

« Mes frères ! La main droite au glaive (c’est le couteau) !

« Haut le glaive !

« Salut du glaive !

« Le glaive dans la main gauche ! »

Tous les couteaux se lèvent et se saluent.

Après ce mouvement brillant, on met la main aux armes, c’est-à-dire aux verres :

« Haut les armes !

« En joue ! — Ici, les frères approchent le verre de leur bouche.

« Feu ! — On boit une partie de ce qu’il y a dans le verre.

« Bon feu ! — On boit encore une partie.

« Le plus vif et le plus pétillant de tous les feux ! — On vide le verre. »

Pour annoncer la première santé, « Le Vénérable commande l’exercice ainsi :

« Attention, mes FF∴! la main droite aux armes !

« Haut les armes ! En joue !

« 1er feu ! A la santé de S. M. l’Empereur !

« 2e feu ! A la santé du Prince Impérial, de l’Impératrice et de la Famille Impériale.

« 3e feu ! A la gloire de la France[103] » !

[103] Rituel de l’Apprenti, p. 77.

Et l’exercice se poursuit ainsi :

« F∴ armes au repos ! — On approche le verre de l’épaule droite.

« En avant les armes ! Signalons nos armes !

« Un ! — A ce commandement, on approche le verre de l’épaule gauche.

« Deux ! — On le ramène à l’épaule droite.

« Trois ! — On le reporte en avant.

« Un ! Deux ! Trois ! — A chacun de ces temps les frères font un mouvement par lequel ils descendent graduellement le canon vers la table. Au troisième, ils le posent avec bruit et ensemble, de manière qu’on n’entende qu’un seul coup[104]. »

[104] Ibid., p. 82.

On en fait autant du glaive, c’est-à-dire du couteau.

Vraiment, il est assez difficile ici, quelque gravité qu’on veuille apporter à cette étude, de ne pas sourire un peu. Et quand involontairement, en lisant ces choses, certains noms propres se présentent à la mémoire, et que, par la pensée, on voit là certains hommes qu’on croyait graves, on éprouve un triste étonnement.

Et comment ne pas se rappeler aussi ces banquets de joyeux bons vivants, comme le siècle dernier en a tant vus dans les temples maçonniques, cette philanthropie inter pocula, et comme disait en 1852 le Constitutionnel, « ces bons drilles des loges maçonniques, célébrant l’amour et le vin aux soupers du caveau. Depuis lors, ajoutait le Constitutionnel, les choses ont bien changé ; les drilles philosophiques et anacréontiques, endormis dans le vin versé par l’athéisme, se sont réveillés dans le sang versé par les révolutions…[105] »

[105] M. Neut, t. I, p. 285.

Et comment ne pas sourire encore lorsqu’on entend ces grands réformateurs exposer la théorie maçonnique du plaisir, et présenter la Maçonnerie comme une espèce d’île de Calypso où règne un printemps éternel, que ne troublent jamais les orages ?

« La science a ses moments d’intervalle ; l’homme est par nature ami des plaisirs ; ceux que la Maçonnerie vous offrira satisferont et votre cœur et vos sens ; là se trouve un asile où règne un printemps éternel, où les fleurs s’épanouissent sans cesse, où la tempête ne mugit jamais[106]. »

[106] Discours prononcé par le F∴ Frantz Faider, à l’occasion de son installation comme Vénérable de la Loge de la Fidélité, de Gand, 2 juillet 1846. M. Neut, t. I, p. 286.

Mais c’est assez sur tout ceci : le moins qu’on puisse dire, assurément, c’est qu’il est permis de ne pas trop compter, pour le progrès réel de la vertu dans l’humanité, sur ce côté de la Maçonnerie.

« Cela, disait le révolutionnaire italien que nous citions tout à l’heure, est trop pastoral et trop gastronomique ; mais cela a UN BUT qu’il faut encourager sans cesse… C’est sur les loges que nous comptons pour doubler nos rangs. »

Nous reviendrons sur ce BUT.

IV
LES RITES ET LES MYSTÈRES MAÇONNIQUES

Nous entendions tout à l’heure les francs-maçons nous dire : « Débarrassons l’imposante majesté de Dieu de toutes les frivolités du culte extérieur, de toutes les erreurs au moyen desquelles on enchaîne les ignorants et les faibles. Il n’y a, en fait, aucune religion que puisse embrasser l’être intelligent[107]. »

[107] Installation de la Loge l’Espérance, à Bruxelles, 26 novembre 1848, discours du sérénissime Grand-Maître national de Facqz, cité par M. Neut.

Ils disent cela, et immédiatement ils se donnent le plus complet démenti ; car ils ajoutent :

« Cependant l’homme est essentiellement religieux. Il éprouve le besoin d’un culte qui soit digne de lui et de l’être supérieur auquel il le consacre. »

« Eh bien ! M∴ F∴, QUE LA MAÇONNERIE SOIT POUR NOUS CETTE RELIGION !… Soyons ses apôtres fervents ; initions à SES MYSTÈRES[108] ! »

[108] M. Neut, t. I, p. 142.

Ses mystères : voyons-en donc quelque chose.

Dans le tracé officiel de la fête maçonnique célébrée en l’honneur de Léopold Ier, entre autres cérémonies, on vit le Grand-Maître se rendre à l’autel où brûlait le feu sacré (le feu, cet unique purificateur, comme ils disent), et offrir à l’ombre vénérée des libations :

« Ombre vénérée de notre auguste frère, entends ma voix ! Au nom de tous les maçons réunis dans ce temple, je t’offre l’eau, je t’offre le vin, je offre le lait[109] »

[109] M. Neut, t. I, p. 165.

L’eau, le vin, le lait, voilà donc les hommages et les secours, aussi vides que solennels, que l’ombre du roi des Belges reçut de ses confrères en maçonnerie.

Ce goût des rites, des cérémonies, ils le poussent si loin qu’à ma grande surprise, j’ai trouvé dans les livres maçonniques jusqu’à la parodie de nos Sacrements, un Baptême, une Confirmation, une Cène !

Oui, il y a un baptême maçonnique, car ils veulent prendre aussi, et comme ils disent, adopter les enfants. Et voici comment ils procèdent : je ne cite qu’un de ces rites : « … Le parrain tient de la main droite le fil d’un aplomb, de manière que l’extrémité inférieure de l’aplomb soit en face du cœur du Louveton (l’enfant) ; le premier surveillant touche de la main droite le côté du cœur du Louveton et dit : « Que la ligne verticale de l’aplomb t’enseigne à marcher droit[110]. »

[110] Histoire de la Franc-Maçonnerie, par Dubreuil, t. 2, p, 139.

Je reproduis ici textuellement le récit d’un baptême, tel qu’il est donné dans le Monde-Maçonnique :

« La loge de la Parfaite-Union, à l’Orient de Rennes, célébrait le lundi, 13 septembre 1858, ce que les anciens Maçons appelaient un baptême maçonnique. Le F∴ Guillet, Vénérable, présidait cette cérémonie avec l’expérience que lui donnent trente-cinq ans de Maçonnerie… Les portes du temple s’ouvrent… le Vénérable fait approcher l’enfant de l’autel. Sur une table placée au milieu du temple brillent, dans l’argent et le cristal, le pain, les fruits, l’eau et le vin, le miel et le lait, qui doivent servir aux cérémonies de l’initiation… Le Vénérable, en partageant aux parrains ce repas, qui rappelle les agapes des premiers chrétiens, leur adresse quelques mots heureux, empreints d’une douce morale ; il termine en bénissant l’enfant[111]. Etc. »

[111] Le Monde-Maçonnique, juillet 1872, p. 202.

Le 16 juillet 1870, la Loge les Amis-Réunis, de Bordeaux, adoptait huit enfants : deux filles et huit garçons ; et le F∴ Delboy leur disait : « Puissent vos esprits s’ouvrir à la lumière maçonnique ! Que les rayons de la vérité illuminent vos esprits, comme font les rayons du soleil dans les cieux, quand se lève le matin. » Mais quelle est cette lumière maçonnique ? Le prédicateur maçonnique l’expliquait : c’est, disait-il, la liberté de penser, qu’il faut mettre, ajoutait-il, au-dessus de toutes choses[112].

[112] Le Monde-Maçonnique, t. 1, p. 403.

Voici maintenant une Confirmation. Après les épreuves préliminaires, on entend le bruit du tonnerre précédé d’éclairs, et on semble aussi entendre des murs s’écrouler avec fracas : « Le bruit et le fracas que vous avez entendus, dit le Vénérable, accompagnent ordinairement les premiers pas de ceux qui commencent à marcher dans la carrière maçonnique… »

« Alors un cliquetis d’armes et des détonations d’armes à feu se font entendre de loin…

« Le préparateur fait ensuite marcher l’initié à reculons, pour qu’il apprenne par là qu’on n’a rien sans peine. »

On lui fait boire aussi le calice d’amertume, symbole de la peine qu’il y a à confesser ses défauts ; car on a commencé par lui demander cette confession[113].

[113] Histoire de la Franc-Maçonnerie, par Dubreuil, t. II, p. 139 et suiv.

Quelques détails maintenant sur la Cène maçonnique :

« Au fond de la loge, vers l’Orient, est un triangle en forme de gloire, avec le nom de Jéhova, en caractères hébraïques ; du côté du midi, dans un transparent, un soleil qui s’élève au-dessus d’un tombeau. Près de ce transparent, on place une table, sur laquelle il y a un agneau en pâtisserie, un couteau, une coupe et un vase de vin… Un chandelier à trois branches est sur l’autel.

« Le Vénérable, encense différentes fois le chandelier à trois branches… Alors le maître des cérémonies découpe l’agneau… Le Vénérable prend le plat sur lequel se trouve l’agneau découpé, et présente le plat au Frère qui est à sa droite en disant : « Prenez et mangez !… » Ensuite il prend la coupe, il boit, et la présente au Frère qui est à sa droite en disant : « Prenez et buvez ! » Et il donne le baiser de paix[114]. »

[114] Ibid.

Ainsi donc, ils sont Prêtres, ils sont Pontifes : ils baptisent, ils confirment, ils communient.

O inconséquence de la pauvre humanité ! ou plutôt, ô besoin éternel du cœur de l’homme que Dieu a fait religieux, et qui ne peut, quoi qu’il en ait, se passer de religion ! S’il rejette celle que Dieu lui-même a donnée au monde, il sera forcé de s’en faire une autre à sa guise, bien étrange assurément, mais qui lui plaira, parce qu’elle sera de sa façon. Voilà donc des hommes dont beaucoup se croiraient humiliés, presque déchus de leur dignité d’hommes, si on les surprenait pratiquant les devoirs du Christianisme, et qui, entre eux, dans le secret de leurs mystères, observent gravement un culte et des rites, tels qu’il est difficile d’en imaginer de plus bizarres.

Un souvenir nous revient ici à la mémoire.

Robespierre, lui aussi, voulut un jour faire le Pontife. Il apparut, élégamment, solennellement vêtu, tenant à la main un bouquet de fleurs qu’il offrit à l’Être Suprême, fondateur de la république. « Et pourquoi pas ? dit à ce propos le P. Lacordaire. Pourquoi un magistrat, couvert d’habits solennels, n’aurait-il pas offert à Dieu l’une des choses les plus pures et les plus aimables de la création, un bouquet de fleurs ? Il tomba cependant sous le coup d’un ridicule accompli. »

C’est qu’en effet la religion est un domaine réservé ; et le sacrilége ici ne sauve pas la parodie du ridicule. Non, il ne suffit pas d’un cordon bleu et d’un soleil d’or sur la poitrine pour animer de vains simulacres, et sacrer des Pontifes sans caractère et sans mission. Si le culte, si les sacrements chrétiens sont augustes et vénérables, sachez-le, c’est qu’il y a là ce que Dieu seul y a mis, ce que Dieu seul y pouvait mettre. Mais vous, que pouvez-vous mettre dans vos rites bizarres et dans vos creux symboles ? Voilà pourquoi, je le répète, vos pratiques sont ridicules, quand elles ne sont pas impies. La foi s’indigne, et le sens commun vous prend en pitié.

Pauvres hommes, vous rejetez la réalité, et vous vous prenez à des ombres ! Et ces ombres vous suffisent, parce que c’est vous qui les avez faites. Païens d’une nouvelle espèce, vous adorez les œuvres de vos mains. Mais votre temple, comme votre âme, est vide : on y cherche en vain la Divinité.

V
LE CHEVALIER KADOSCH

Je voudrais quitter enfin ce triste sujet ; je ne le puis pas, sans dire quelques mots des hauts grades maçonniques, ceux qu’on ne confère qu’aux Maçons éprouvés, dont l’éducation maçonnique est complète ; et, sans vouloir trop regarder au fond de ces mystères, ni en rechercher le dernier mot ; soit que ces mystères ne cachent rien du tout, soit qu’ils cachent quelque chose, je demande s’il y a rien de plus suspect, de plus absurde que toute cette fantasmagorie ?

M. Louis Blanc disait-il la vérité quand il écrivait : « Comme les trois grades de la Maçonnerie ordinaire (apprenti, compagnon, maître), comprenaient un grand nombre d’hommes opposés par état et par principes à tout projet de subversion sociale, les novateurs multiplièrent les degrés de l’échelle mystique à gravir ; ils créèrent des arrière-loges réservées aux âmes ardentes ; ils instituèrent les hauts grades d’élu, de chevalier du Soleil, de la stricte observance, de Kadosch ou homme régénéré : sanctuaire ténébreux, dont les portes ne s’ouvraient à l’adepte qu’après une longue série d’épreuves, calculées de manière à constater les progrès de son éducation révolutionnaire, à éprouver la constance de sa foi, à essayer la trempe de son cœur. Là, au milieu des pratiques tantôt puériles, tantôt sinistres…, etc.[115] »

[115] Histoire de dix ans.

Examinons donc un moment de près ces hauts grades de la Maçonnerie, et entre autres le grade de Chevalier Kadosch, celui dont les doctrines, dit le frère Ragon, « forment le complément essentiel de la véritable Maçonnerie ».

« Ce grade, dit-il encore, porte avec raison le titre de nec plus ultra : les trois degrés au-dessus ne sont qu’administratifs. »

Eh bien, comment se fait l’Initiation à ce grade suprême ?

L’Élu traverse quatre appartements, l’initiation s’accomplit dans le quatrième :

« Le premier appartement est tendu en noir, éclairé par une seule lampe triangulaire, suspendue à la voûte. Il communique à un caveau, espèce de cabinet de réflexion, où se trouvent confondus les symboles de la destruction et de la mort

« Deuxième appartement. Il est tendu en blanc. Deux autels occupent le centre ; sur l’un, est une urne pleine d’esprit de vin qui éclaire la salle ; sur l’autre autel est un réchaud de feu avec de l’encens à côté…

« Troisième appartement. La tenture est bleue, la voûte est étoilée, il n’est éclairé que par les trois bougies jaunes.

« Quatrième appartement. Là se tient le conseil souverain des grands élus chevaliers Kadosch. Il est tendu en rouge, le local est éclairé de douze bougies jaunes.

« Parvenu dans ce divin sanctuaire, le candidat apprend les engagements qu’il contracte ; puis, on lui fait monter et descendre « une échelle mystérieuse, qui, par sa forme, rappelle le Delta ».

« Les emblèmes de ce grade sont « une croix », avec « un serpent à trois têtes ».

« Le serpent désigne le mauvais principe. Les trois têtes du serpent sont l’emblème du mal qui s’est introduit dans les trois hautes classes de la société. Une tête du serpent porte une couronne, et indique les souverains ; une autre tête porte une tiare ou clef, et indique les papes ; une autre porte un glaive et indique l’armée.

« Le Grand-Initié doit veiller à la répression de ces abus

« Comme gage de ses engagements, le récipiendaire abat, avec le poignard, les trois têtes du serpent[116] » : c’est-à-dire la couronne, la tiare, et l’épée.

[116] Explication du grade de Grand-Élu, Chevalier Kadosch, par le F∴ Ragon. Ouvrage loué par le Grand-Orient.

Le ridicule ici, on le voit, se mêle à l’horreur, et c’est bien le cas peut-être de redire avec le poète :

Hæ nugæ seria ducunt !

TROISIÈME PARTIE
Action politique et révolutionnaire de la Maçonnerie

Ces initiations, ces degrés, ces épreuves successives, ont un but ! Avant de confier son dernier secret à quelques rares élus, la Maçonnerie éprouve ses adeptes : elle veut savoir s’ils seront capables de descendre dans les mines qu’elle creuse sous les édifices sociaux : ce n’est pas nous qui parlons ainsi, c’est M. Louis Blanc dans son Histoire de Dix-Ans : à propos de la Franc-Maçonnerie, « il importe, dit-il, d’introduire le lecteur « dans LA MINE que creusaient alors, sous les trônes, sous les autels, DES RÉVOLUTIONNAIRES bien autrement profonds et agissants que les encyclopédistes ».

Le côté redoutable de la Franc-Maçonnerie le voici donc : c’est sa profonde et incessante action politique, sociale et révolutionnaire. Là-dessus, M. Henri Martin a dit le vrai mot : « La Maçonnerie, écrit l’auteur de l’Histoire de France[117], est le laboratoire de la révolution. » M. Félix Pyat, de son côté, appelle la Franc-Maçonnerie « l’Église de la révolution »[118].

[117] T. XVI, p. 595.

[118] Le Rappel, cité par le Monde maçonnique, mai 1870.

Qu’on ne nous redise donc plus que la Maçonnerie fait de la bienfaisance : c’est possible, mais cela ne l’empêche pas de faire autre chose, et le Monde-Maçonnique a pris soin de nous avertir que la bienfaisance n’est pas LE BUT, mais un des moyens, et DES MOINS ESSENTIELS, de la Maçonnerie.

Qu’on ne nous oppose pas non plus les constitutions maçonniques qui disent : « La Franc-Maçonnerie ne s’occupe pas des constitutions des États ; dans la sphère élevée où elle se place, elle respecte les sympathies politiques de chacun de ses membres ; dans ses réunions, toute discussion à ce sujet est formellement interdite[119]. » De même le règlement du Grand-Orient de Belgique portait textuellement, article 135 : « Les Loges ne peuvent en aucun cas s’occuper de matières politiques. »

[119] Article 2 de la Constitution française.

Je reconnais ici encore les vieilles traditions de tactique et de mystère dont la Maçonnerie, à son origine, avait besoin de se couvrir pour tromper les gouvernements et la foule des dupes : mais dans la réalité, que sont aujourd’hui ces formules surannées ? Contradiction ou mensonge.

Qu’on ne vienne pas non plus nous dire : Les questions politiques et sociales, la Maçonnerie, si elle s’en occupe, elle ne le fait que d’une manière générale et inoffensive ; jamais elle ne descend de la hauteur sereine des principes dans la région des faits, dans la sphère agitée des applications pratiques.

Cela n’est pas, et ne peut pas être ; en fait, et par la force des choses, la Maçonnerie est une société politique et révolutionnaire ; elle exerce une influence directe sur les révolutions ; elle les prépare, elle les fait, et ceux qui, dans la Maçonnerie, marchent à la tête du mouvement, et entraînent avec eux toute la masse des adeptes, ceux-là, qui sont vraiment le cœur et l’âme de la Maçonnerie, ont pour but suprême d’en faire, selon l’énergique et profonde expression de M. Henri Martin, le LABORATOIRE DE LA RÉVOLUTION, ou selon le F∴ Pyat, L’ÉGLISE DE LA RÉVOLUTION.

En voici des preuves péremptoires :

I
TÉMOIGNAGES MAÇONNIQUES :
M. LOUIS BLANC, — MAÇONS FRANÇAIS ET BELGES.

Il y a, sur l’action politique et révolutionnaire de la Maçonnerie, un texte de M. Louis Blanc, dont nous citions tout à l’heure quelques paroles, et qui donne un premier démenti aux protestations des constitutions maçonniques :

« Il plut à des souverains, au grand Frédéric, dit M. Louis Blanc, de prendre la truelle, et de ceindre le tablier ; pourquoi non ? L’existence des hauts grades leur étant soigneusement dérobée, ils savaient seulement de la franc-maçonnerie ce qu’on en pouvait montrer sans péril.

« Ils n’avaient point à s’en occuper, retenus qu’ils étaient dans les grades inférieurs, où ils ne voyaient qu’une occasion de divertissement, que des banquets joyeux, que des principes laissés et repris au seuil des loges, que des formules sans application à la vie ordinaire ; en un mot, qu’une COMÉDIE de l’égalité. Mais en ces matières, la comédie touche au drame, et les princes et les nobles furent amenés à couvrir de leur nom, à servir aveuglément de leur influence, les entreprises latentes dirigées contre eux-mêmes. »

Impossible de mieux peindre cette étonnante imprévoyance des princes et de l’ancienne noblesse française, qui se jetaient aveuglément dans la Maçonnerie, comme dans le philosophisme impie du XVIIIe siècle, et acceptaient le rôle ridicule de comparses dans cette grande comédie de la liberté, de l’égalité et de la fraternité, sans prévoir la tragédie qui la devait suivre de si près : impossible aussi de révéler plus clairement le plan profond de la Maçonnerie, qui déguisait, sous des apparences séduisantes, ses entreprises latentes, son but secret et subversif, sa conspiration permanente.

Et en effet, comme le disait encore M. Louis Blanc :

« L’ombre, le mystère, un serment terrible à prononcer, un secret à apprendre pour mainte épreuve courageusement subie, un secret à garder sous peine d’être voué à l’exécration et à la mort, des signes particuliers auxquels les Frères se reconnaissaient aux deux bouts de la terre, des cérémonies qui se rapportaient à une histoire de meurtre, et semblaient couvrir des idées de vengeance : quoi de plus propre à former des conspirateurs ! »

Du reste, les maçons français et belges sont ici en parfait accord avec M. Louis Blanc.

Ainsi, à la fête centenaire célébrée à l’Orient de Marseille, par la Loge la Parfaite Sincérité, un franc-maçon, influent dans l’ordre, le F∴ Brémond, esquissant l’histoire de la maçonnerie, disait :

« Comment ne pas admirer la persévérance de ceux qui, au XVIIIe siècle, bravaient les préjugés religieux et SE PRÉPARAIENT dans l’ombre et le silence ? ILS CONSPIRAIENT, a-t-on dit. C’est possible. » Et en effet, « lorsque du fond des loges sortirent ces trois mots : Liberté, Égalité, Fraternité, LA RÉVOLUTION ÉTAIT FAITE[120] ».

[120] Le Monde-Maçonnique, février 1867, p. 613.

Et le F∴ Brémond ajoutait : « Depuis quelque temps ; un nouvel élan a été imprimé à la Maçonnerie… De toutes parts les maçons élèvent des temples, fondent des écoles, s’affirment devant le monde profane… Ils font plus encore : ils prennent UNE PART ACTIVE au mouvement du siècle[121]. »

[121] Ibid.

Deux ans après, en juillet 1869, avait lieu à Paris une Assemblée générale du Grand-Orient, et là, le dernier grand-maître de la Maçonnerie française, le F∴ Babaud-Laribière, s’exprimait, dans un discours solennel, plus catégoriquement encore :

« La Maçonnerie, disait-il, était intimement mêlée à tous les actes civiques dans LES PREMIERS BEAUX JOURS DE LA RÉVOLUTION.

« Philosophique avant la révolution, civique sous la Constituante, militaire sous l’empire, pendant la restauration, la Maçonnerie se trouve mêlée directement à la politique, ET LE CARBONARISME ENVAHIT LE PLUS SOUVENT LES LOGES.

Allant plus loin encore, le F∴ Babaud-Laribière déclare que c’est à la Maçonnerie qu’on doit l’agitation POUR LA RÉFORME, qui amena la chute du Roi Louis-Philippe, et le SUFFRAGE UNIVERSEL :

« Le SUFFRAGE UNIVERSEL ayant été mis en vigueur dans les ateliers, ce furent des Maçons qui demandèrent les premiers son application dans le monde profane : et l’on retrouverait encore leurs noms sur les pétitions pour la Réforme électorale dans les dernières années du règne de Louis-Philippe[122]. »

[122] Ibid., juillet 1869, p. 169.

Et enfin, il proclame « le besoin impérieux pour la Maçonnerie de prendre part au mouvement libéral et social », et déclare que « le véritable rôle de la Maçonnerie consiste à devancer la société politique ».

Et n’est-ce pas hier encore que, dans une des loges les plus influentes de Paris, les mêmes prétentions furent affichées ? Là, on rendait les honneurs funèbres à la mémoire du docteur Montanier, vénérable de la Loge le Progrès, et préfet de M. Gambetta au 4 septembre ; et on exaltait ses convictions maçonniques. Et quelles étaient ces convictions ? C’était, avec la guerre à la religion, au surnaturel, comme il le disait, l’étude immédiate et constante DE LA QUESTION SOCIALE[123].

[123] Ibid., avril 1872, p. 724.

C’est là ce que proclamait en son nom le F∴ Albert Joly, qui, lui-même, s’exaltant pour son compte, s’écriait, aux applaudissements de la loge tout entière :

« Que la Maçonnerie se mette donc à l’œuvre : qu’elle CONTINUE de faire la guerre au surnaturel… et mette à l’étude, mais sans aucun retard, LA GRANDE QUESTION SOCIALE[124]. »

[124] Ibid.

Que devant de pareilles déclarations les dupes de la Franc-Maçonnerie viennent donc encore nous citer les textes des constitutions maçonniques, qui défendent de s’occuper de religion et de politique ! Je leur répondrai, moi, qu’ils ne peuvent continuer d’être dupes à ce point, sans devenir complices.

Et, en effet, à quoi lui servirait sa vaste et puissante organisation, si ce n’était précisément à faire descendre de la hauteur des spéculations, pour les introduire dans le domaine des applications et des faits, les idées élaborées au sein des loges ? C’est ce qui fut expressément et nombre de fois déclaré par des orateurs maçonniques.

Écoutons la Maçonnerie belge : voici comment, par l’organe de ses représentants les plus autorisés, elle s’exprimait dans la grande fêle solsticiale du 24 juin 1854, où toutes les loges étaient représentées, et où, selon l’aveu de l’un des orateurs, on a dit tout haut ce que tout le monde dans la Maçonnerie pense tout bas :

« Si la Maçonnerie devait se confiner dans ce cercle étroit (qui exclut la politique), à quoi servirait la vaste organisation, l’immense développement qui lui sont donnés ?… Je ne suis ici qu’un écho ; je dis tout haut ce que tout le monde pense tout bas. »

Et le même orateur poursuivait de la sorte :

« Quand j’interroge le passé de notre institution, n’y vois-je pas que la Maçonnerie a été LA VIGIE ATTENTIVE QUI VEILLE A LA MARCHE DU VAISSEAU POLITIQUE ?

Parlant ensuite de la lutte de la Maçonnerie contre le gouvernement, l’orateur va jusqu’à avouer que, « dans les crises politiques, chaque fois qu’il le fallait, LE CENTRE, LE POINT D’APPUI DE LA RÉSISTANCE était là, dans la Maçonnerie ».

Aussi le même orateur ne craignit-il pas d’attribuer hautement à l’organisation et à l’activité de la Maçonnerie le triomphe de ses opinions dans le pays :

« Si notre opinion a triomphé, je dis que c’est à la Maçonnerie qu’elle le doit ! »

« LA MAÇONNERIE, s’écriait-il encore, S’EST MÊLÉE ACTIVEMENT AUX LUTTES POLITIQUES[125]. »

[125] M. Neut, t. I, p. 301.

Certes, voilà, en dépit de tous les articles de constitution, des aveux, qu’on nous passe cette expression, aussi crus que possible.

Mais voici qui va plus loin encore : dans une autre fête maçonnique, la fête de l’Ordre, célébrée le 15 juin 1845, l’orateur de la Loge, le F∴ Émile Grisar, révélait, dans des termes et avec des images auxquels il est impossible de rien ajouter ce qu’est au vrai la Maçonnerie, ce qui en fait une Association si redoutable, aux étreintes de laquelle il est si difficile qu’un pays échappe, quand une fois elle l’a enlacé :

« La Maçonnerie, disait-il, possède, par ses affiliations, des ressources immenses. » Et, pour enflammer le zèle des frères, il représentait la Maçonnerie comme « un CORPS ROBUSTE, un COLOSSE A MILLE TÊTES, A CENT MILLE BRAS, UN GRAND INSTRUMENT DE RÉFORMES SOCIALES, UN LABORATOIRE D’IDÉES NOUVELLES, et enfin le précurseur de cet esprit démocratique qui s’avance. »

« Les cadres de notre sainte milice S’ÉTENDENT DE JOUR EN JOUR, ajoutait-il, NOS BRAS SE MULTIPLIENT, et bientôt nous pourrons ÉTREINDRE TOUT LE PAYS[126]. »

[126] Ibid., p. 290.

Telle est donc la Maçonnerie ; tel est son but, et sa vaste organisation : colosse à mille têtes, à cent mille bras, qui jette autour de lui, comme un réseau immense, ses affiliations, afin de préparer les réformes sociales, d’élaborer les idées nouvelles, et d’étreindre tout un pays.

II
LA QUESTION DU DROIT DES MAÇONS A S’OCCUPER DE POLITIQUE DISCUTÉE ET AFFIRMATIVEMENT RÉSOLUE DANS LES LOGES

Mais ce qu’il faut bien remarquer ici, et les aveux si catégoriques que nous venons d’entendre ne permettent pas d’en douter, c’est que ce ne sont pas là des excès isolés ou démentis, dans la Maçonnerie ; il y a plus : la question a été officiellement agitée et résolue par les autorités maçonniques ; et des solutions données il résulte que la Maçonnerie n’entend pas être confinée dans ses loges, que son but est de s’emparer politiquement de la Société tout entière, et que ses loges ne lui servent qu’à former des hommes pour lutter dans l’arène politique.

C’est ce que notamment le grand Orient de Belgique, « les colonnes consultées et le F∴ orateur entendu dans ses conclusions », a répondu :

« La Maçonnerie n’a point pour but d’établir des principes à respecter, seulement dans l’étroite enceinte de ses assemblées : C’EST LA SOCIÉTÉ TOUT ENTIÈRE QU’ELLE A POUR OBJET ; les loges sont DES ÉCOLES, où l’on doit former des hommes aux convictions raisonnées, afin qu’ils luttent ensuite avec vigueur dans le monde profane, ET SURTOUT DANS L’ARÈNE POLITIQUE[127]. »

[127] M. Neut, t. I, p. 267.

Je trouve dans la Maçonnerie italienne les mêmes déclarations ; j’ai en effet sous les yeux les procès-verbaux de l’Assemblée maçonnique constituante, réunie à Rome du 28 avril au 2 mai 1872 ; là aussi dans la séance du 2 mai, la même question a été posée, et il a été décidé, « à une grande majorité », que « les Loges ont la faculté de discuter les questions d’ordre religieux et politique, et que la Maçonnerie étudie les questions sociales, SANS RESTRICTION D’ESPÈCE OU DE DEGRÉ[128]… »

[128] Le Monde Maçonnique, t. XIV, p. 250.

Mais d’ailleurs, est-ce que Garibaldi — complice, et agent peut-être en ce moment à Rome du grand persécuteur de l’Église en Allemagne — n’a pas été grand-maître de la Maçonnerie italienne ? Et quand mourut le grand conspirateur Joseph Mazzini, que se passa-t-il ? Les Loges italiennes prirent le deuil ; quelques-unes envoyèrent des députations à ses funérailles ; et le Grand-Orient d’Italie invita tous les Franc-Maçons, à quelque nation qu’ils appartinssent, qui se trouvaient alors dans la vallée du Tibre, à se rassembler sur la place du Peuple : « A l’heure indiquée, une foule de Frères entouraient la bannière maçonnique qui, pour la première fois, se montrait dans Rome, la suivirent, et accompagnèrent jusqu’au Capitole le buste de Mazzini[129]. »

[129] Ibid., p. 30.

Telle est donc, sans contestation possible, la Maçonnerie : et M. Félix Pyat avait raison de le dire, c’est l’ÉGLISE DE LA RÉVOLUTION, et le vestibule, ou comme disait ce révolutionnaire italien cité plus haut, l’antichambre des sociétés secrètes.

Je le veux bien, elle n’est pas précisément un de ces clubs où l’on discute chaque soir avec violence les questions politiques et sociales à l’ordre du jour. Elle n’est pas une de ces sociétés secrètes directement organisées pour préparer le triomphe de telle ou telle conspiration, à l’aide du poignard ou de la bombe. Elle se soumet même, quand il le faut, à voir nommer ses Grands-Maîtres par les gouvernements, ou à accepter dans son sein des personnages officiels. Elle l’a fait sous le premier et le second empires, elle l’a fait sous le roi Louis-Philippe[130]. Mais elle n’en est pas moins une conspiration permanente contre le fondement même, non pas tant de tel ou tel état, de tel ou tel culte, que de toute religion et de la société tout entière : selon la déclaration expresse des francs-maçons belges, C’EST LA SOCIÉTÉ TOUT ENTIÈRE QU’ELLE A POUR OBJET. Elle pose les principes dont les révolutions sont les conséquences ; elle élabore les idées qui ensuite arment les bras. C’est ainsi que les Loges sont DES ÉCOLES où l’on doit FORMER DES HOMMES qui luttent ensuite avec vigueur dans le monde profane, ET SURTOUT DANS L’ARÈNE POLITIQUE ; ou, comme le dit le Monde Maçonnique, « c’est ainsi que la Maçonnerie façonne les hommes ; elle les élève et les rend propres AUX LUTTES DU DEHORS. C’est aux Maçons qu’il appartient ensuite de réaliser à l’extérieur ses conceptions[131] ».

[130] Néanmoins le roi Louis-Philippe eut la sagesse de refuser pour son fils aîné la grande maîtrise de l’Ordre, qui lui avait été offerte. — La Franc-Maçonnerie et la Révolution, par le P. Gautrelet, p. 444.

[131] Ibid., t. X, p. 49.

Ainsi donc, la Maçonnerie forme et façonne ses adeptes, et les éprouve, avant de leur confier son dernier secret, afin de voir s’ils sont capables de la servir, et de descendre dans les mines que, selon l’expression de M. Louis Blanc, « elle creuse », sous l’édifice social pour le faire sauter.

III
JUSQUE DANS QUELS DÉTAILS LA MAÇONNERIE S’OCCUPE DE POLITIQUE

« Toutes les grandes questions de principes politiques, tout ce qui a trait à l’organisation, à l’existence et à la vie d’un État, oh ! cela, oui CELA NOUS APPARTIENT EN PREMIÈRE LIGNE ; tout cela est de notre domaine, pour le disséquer et le faire passer par le creuset de la raison et de l’intelligence. »

Ainsi parlait le F∴ Bourlard, Grand Orateur du Grand-Orient, dans une occasion des plus solennelles, à la grande fête célébrée par le Grand-Orient de Belgique, le 24 juin 1854[132].

[132] M. Neut, t. I, p. 305.

En effet, les questions d’élections, de réforme électorale et de suffrage universel, les pétitionnements et les agitations révolutionnaires, l’envahissement des fonctions publiques, les grands problèmes économiques, les plus redoutables questions sociales, telle que l’organisation du travail, les questions d’enseignement et de charité publique, les questions même de paix et de guerre, tout le détail en un mot de la plus ardente politique, voilà de quoi se mêle la Maçonnerie, et à quelles profondeurs sociales elle travaille.

Donc, quand des élections se présentent, élections nationales, provinciales ou municipales, les Loges, en Belgique, choisissent des candidats, leur donnent un mandat impératif, leur font jurer de le remplir ; cela fait, elles mettent au service du candidat élu et assermenté ces ressources immenses, ces mille têtes, ces cent mille bras, dont parlait tout à l’heure le F∴ Grisar. C’est ce qui est prescrit textuellement dans l’important document maçonnique que voici :

« Un candidat Maçon sera d’abord proposé par la Loge, dans le ressort de laquelle se fera l’élection, à l’adoption du Grand-Orient, pour être ensuite IMPOSÉ aux frères de l’obédience. »

« Dans l’élection, qu’elle soit nationale, provinciale ou municipale, il n’importe, l’élection du Grand-Orient sera également réservée :

« Chaque Maçon JURERA d’employer toute son influence pour faire réussir la candidature adoptée ;

« L’élu de la Maçonnerie SERA ASTREINT à faire en loge une profession de foi dont acte sera dressé.

« Il sera invité à recourir aux lumières de cette Loge ou du Grand-Orient dans les occurrences graves qui peuvent se présenter pendant la durée de son mandat.

« L’inexécution de ses engagements l’exposera à des peines sévères ; même à l’exclusion de l’Ordre.

« Chaque Loge pouvant juger utile de s’aider de la publicité, devra se ménager des moyens d’insertion dans les journaux ; mais le Grand-Orient lui recommande ceux de ces journaux qui auront sa confiance »[133].

[133] Document maçonnique cité par M. Neut, t. I, p. 267.

Ce n’est pas tout, et si le candidat, une fois élu, manque à son mandat et à son serment, voici ce qu’alors a décidé le Grand-Orient, et de quels droits il arme les Loges, quels devoirs il leur intime :

« Le Grand-Orient, sans hésitation, décide que non-seulement les Loges ont LE DROIT de surveiller LES ACTES DE LA VIE PUBLIQUE de ceux de leurs membres QU’ELLES ONT FAIT ENTRER DANS LES FONCTIONS PUBLIQUES, de réprimander, et même de retrancher du corps maçonnique les membres qui ont manqué aux devoirs que leur qualité de Maçon leur impose, SURTOUT DANS LA VIE PUBLIQUE, etc…[134] »

[134] Ibid.

Ainsi, non-seulement les loges s’occupent de politique, mais encore elles poussent leurs membres aux fonctions politiques ; et, les y ayant poussés, elles réclament le droit de les diriger, de surveiller et juger de quelle façon ils s’en acquittent.

Quant au détail même des questions que la Maçonnerie réclame comme lui appartenant en première ligne, écoutons les revendications suivantes :

« Au maçon la question de l’enseignement ; à lui l’examen, à lui la solution !

« Lorsque bientôt des ministres viendront apporter au Parlement l’organisation de la charité… à moi, maçon, la question de la charité publique !

« Le pays se couvre d’établissements qu’on appelle religieux… Il faudra bien que le pays entier finisse par en faire justice, DÛT-IL MÊME EMPLOYER LA FORCE[135] ! »

[135] Discours maçonniques, cité par M. Neut, passim.

Et à ces paroles les émeutes répondaient, à Bruxelles, à Mons, à Anvers, à Liége, à Verviers ! Et il fallut toute la prudence du Roi pour échapper à une révolution.

D’autres questions plus brûlantes encore sont réclamées et agitées par la Maçonnerie, les questions sociales et en première ligne l’organisation de travail.

Nous en trouvons une preuve, entre beaucoup d’autres, dans une importante pièce maçonnique, une circulaire que la Loge la Persévérance d’Anvers, en mars 1846, deux ans avant notre révolution du 24 février 1848, adressait à toutes les Loges belges, pour soumettre à leur sanction un projet développé à la fête de l’ordre par l’Orateur de cette Loge que nous citions tout à l’heure, le F∴ Grisar.

« Il est temps, disait la circulaire, que la Maçonnerie s’occupe activement des grandes questions qui remuent toute la société moderne.

« Travaillons, T∴ C∴ F∴, concluait la circulaire ; étudions les grandes questions sociales, et le triomphe de notre cause est assuré… »

Et en tête du projet, que trouvons-nous ? La question palpitante du travail, L’ORGANISATION DU TRAVAIL ; et en résumé TOUS LES PROBLÈMES DÉMOCRATIQUES.

Aussi, la circulaire, en communiquant ses projets à toutes les Loges, ajoutait-elle :

« IDENTIFIONS-NOUS AVEC LES IDÉES DÉMOCRATIQUES QUI TRIOMPHERONT[136]. »

[136] M. Neut, t. I, p. 288. — Dans un discours prononcé à Liége, à la fête solsticiale de l’ordre, et qui fut reproduit et distribué à cinquante mille exemplaires, le F∴ Goffin développait le programme suivant :

Principes à réserver pour l’avenir.

Suffrage universel direct.

ABOLITION DES ARMÉES PERMANENTES, causes de ruine et d’oppression pour les peuples.

SUPPRESSION DE LA MAGISTRATURE INAMOVIBLE, origine des injustices et des procès scandaleux.

Abolition des traitements du clergé, désormais rétribué par les croyants de chaque culte.

Principes d’application immédiate.

Suffrage universel pour les élections provinciales et communales, comme moyen d’habituer peu à peu la nation à l’exercice de son pouvoir souverain.

Instruction primaire, gratuite et obligatoire.

ABOLITION DE L’OCTROI et de tous les impôts de consommation, remplacé par un impôt unique d’assurances.

Suppression de la Banque nationale et établissement d’un vaste système de crédit foncier, commercial et agricole.

DROIT AU TRAVAIL RÉSULTAT DU DROIT A L’EXISTENCE.

Organisation du travail par la création de grandes associations ouvrières.

Récompenses nationales accordées aux ouvriers laborieux et intelligents.

Réduction de tous les budgets et principalement de celui de la guerre.

Association pour rendre les derniers devoirs aux morts sans le concours du clergé.

Institution de crèches, écoles gardiennes, salles d’asiles, bains, lavoirs et chauffoirs publics, boucheries et boulangeries économiques.

Abolition de la peine de mort en matière politique et CRIMINELLE.

Tel doit être, selon moi, ajoutait l’orateur, l’ordre du jour de la grande réunion M∴ qui aura lieu prochainement… VOULONS-NOUS ÉCRASER L’INFAME ou le subir ? » etc. etc.

On s’étonne quelquefois, au lendemain de certaines révolutions, de voir se poser tout à coup, dans la presse et dans le pays, des questions redoutables dont la masse du public ne se doutait pas la veille ; par exemple l’organisation du travail, après la révolution de février ; question qui fut traitée d’une façon si menaçante au palais du Luxembourg, par l’assemblée des ouvriers, présidée par M. Louis Blanc, et dont les journées de juin furent la suite ; par exemple encore, la séparation de l’école et de la religion, question que la Commune trancha en chassant de partout les frères et les sœurs, en arrachant des écoles les crucifix, etc. ; mais ces questions, qui éclatent ainsi tout à coup, s’agitaient depuis longtemps au sein des sociétés secrètes et des Loges maçonniques ; après s’être produites dans ces laboratoires de révolution et d’idées nouvelles, dès qu’une occasion favorable se présente, elles font explosion au dehors ; l’active propagande des Loges les porte partout ; et puis, le colosse aux mille têtes, aux cent mille bras, pousse aux élections, nationales, provinciales et municipales, les hommes en qui se personnifient ces idées. Ainsi se fait tout à coup cet enlacement et cette étreinte d’un pays, dont nous parlait tout à l’heure un orateur maçonnique. Puis enfin, à un moment donné, les catastrophes éclatent. C’est ainsi que derrière les acteurs immédiats des révolutions, il y en a d’autres, qui voyaient plus loin, et travaillaient à de plus grandes profondeurs : ceux-là étaient les vrais révolutionnaires, invisibles et cachés.

IV
FAITS PÉREMPTOIRES, EMPRUNTÉS A L’HISTOIRE CONTEMPORAINE

Interrogeons de nouveau ici l’histoire, l’histoire contemporaine.

Je viens de nommer la révolution de février : croit-on, par exemple, qu’elle n’ait eu pour auteurs que les organisateurs des banquets réformistes, et les pauvres gardes nationaux qui criaient Vive la réforme ! Ce serait une naïveté étrange de le penser. D’autres, qui n’attendaient pour se montrer que le moment favorable, l’avaient préparée dans l’ombre, et, la victoire remportée, se hâtèrent d’en revendiquer l’honneur ; ce furent eux qui lui imprimèrent son vrai caractère, cet esprit socialiste, qui bientôt épouvanta la France et le monde, et fit couler dans Paris des flots de sang : au premier rang de ces ouvriers-là, étaient les francs-maçons.

« Les combattants, écrivait le journal le Franc-maçon, n’ont eu besoin que de quelques heures de lutte pour conquérir cette liberté que la Maçonnerie prêche depuis des siècles. NOUS, OUVRIERS DE LA FRATERNITÉ, NOUS AVONS POSÉ LA PIERRE FONDAMENTALE DE LA RÉPUBLIQUE[137]. »

[137] Cité par M. Neut, t. I, p. 333.

On les vit, en effet dès les premiers jours qui suivirent la catastrophe de février, dès le 10 mars 1848, se lever, marcher dans Paris bannière déployée, se rendre à l’Hôtel-de-Ville, et là, au nombre de 300 francs-maçons de tous les rites, représentant toute la Maçonnerie française, offrir cette bannière au gouvernement provisoire de la république, et réclamer hautement la part qui leur revenait dans cette glorieuse révolution.

M. de Lamartine leur fit cette réponse qui enthousiasma les loges :

« C’EST DU FOND DE VOS LOGES, QUE SONT ÉMANÉES D’ABORD DANS L’OMBRE, PUIS DANS LE DEMI-JOUR, ET ENFIN EN PLEINE LUMIÈRE, LES IDÉES QUI ONT JETÉ LES FONDEMENTS DES RÉVOLUTIONS DE 1789, DE 1830 ET DE 1848[138]. »

[138] Ibid.

Ce n’était pas assez, et la Maçonnerie voulut faire une manifestation plus officielle encore que cette démonstration spontanée des francs-maçons de tous les rites. En conséquence, quinze jours plus tard, une nouvelle députation, composée de membres du Grand-Orient, revêtus de leurs cordons maçonniques, se rendait à l’Hôtel-de-Ville ; elle fut reçue par M. Crémieux et par M. Garnier-Pagès, également revêtus de leurs cordons ; le représentant du Grand-Maître porta la parole, et dit :

« La Maçonnerie française n’a pu contenir l’élan universel de sa sympathie pour le grand mouvement national et social qui vient de s’opérer… Les francs-maçons saluent le triomphe de leurs principes, et s’applaudissent de pouvoir dire que la patrie tout entière a reçu par vous la consécration maçonnique. QUARANTE MILLE FRANCS-MAÇONS, RÉPARTIS DANS CINQ CENTS ATELIERS, N’ONT QU’UN CŒUR ET QU’UNE AME POUR VOUS ACCLAMER. »

Le F∴ Crémieux, membre du gouvernement provisoire, répondit :

« Citoyens et frères du Grand-Orient, le gouvernement provisoire accepte avec plaisir votre UTILE et COMPLÈTE adhésion… LA RÉPUBLIQUE EST DANS LA MAÇONNERIE… LA RÉPUBLIQUE FERA CE QUE FAIT LA MAÇONNERIE ; elle deviendra le gage éclatant de l’union des peuples sur tous les points du globe, sur tous les côtés de notre triangle[139]. »

[139] Le Moniteur, 25 mars 1848.

La République est dans la Maçonnerie, dit le F∴ Crémieux, la République universelle, celle qui aujourd’hui parle de faire les États-Unis d’Europe. Eugène Sue y voyait encore autre chose ; il y voyait le socialisme. En effet, la loge la Persévérance d’Anvers ayant offert au noble et courageux écrivain, à l’homme qui a été un des plus grands précurseurs chez nous de l’explosion socialiste de 1848, une plume d’or. Eugène Sue ne crut pas pouvoir mieux répondre à cette sympathie flatteuse qu’en faisant de la Maçonnerie belge cet éloge : « Frères, par l’extrême et juste influence que les Loges maçonniques acquièrent de jour en jour en Belgique, CES LOGES SONT A LA TÊTE DU PARTI LIBÉRAL SOCIALISTE[140]. »

[140] M. Neut, t. I, p. 340.

Et en effet, ne voyions-nous pas tout à l’heure les plus autorisés francs-maçons belges placer au premier rang des questions à élaborer dans les Loges, l’organisation du travail ; cette question redoutable qui a été chez nous le cri de guerre des trop fameux ateliers nationaux organisés par M. Louis Blanc ?

Un tel triomphe assurément n’était pas fait pour ralentir l’activité des Loges ; le coup d’État de 1852 vint les rappeler pour quelque temps à plus de prudence ; toutefois si l’Empire, en s’introduisant dans la Maçonnerie, crut avoir dompté cette puissance formidable, grande et courte fut son illusion.

Voici en effet de quelle sorte, et avec quel enthousiasme maçonnique s’exprimait, en 1856, l’orateur d’une des plus influentes Loges de Paris. Décrivant, telle qu’il la connaissait bien, la sourde fermentation de la démocratie contemporaine, et annonçant « qu’un monde entier d’acteurs nouveaux se prépare à descendre sur la scène, que des machines inouïes s’ajustent, que des frémissements sans nom avertissent que l’heure est proche » : « Dans ce labeur effrayant de l’enfantement des sociétés futures, s’écriait-il, glorifions-nous ensemble DE MARCHER AU PREMIER RANG DES OUVRIERS DE LA PENSÉE[141]. »

[141] Le Franc-Maçon, mars 1857, t. VII, p. 24 : « Ce bon et beau discours, dit ce journal, a été couvert d’applaudissements, et l’impression en a été votée à l’unanimité. »

Et pour voir de plus près encore comment travaillent les ouvriers de la pensée, comment, de ces hauteurs, de ces principes généraux, où les dupes s’imaginent que la Maçonnerie plane inoffensive, les hommes des Loges descendent dans la polémique et la politique quotidiennes, disons un mot de la révolution de 1871 et de la Commune.

Une solennelle manifestation maçonnique eut lieu pendant la Commune, un mois avant l’entrée des troupes dans Paris ; mais fut-ce en faveur de Versailles et de l’armée nationale ? Non certes ; ce fut en faveur de l’effroyable insurrection communarde, la plus grande révolution, selon le franc-maçon Thirifocq, qu’il ait été donné au monde de contempler[142]. Le grand journal officiel de la Commune a raconté cette manifestation ; le F∴ Thirifocq, un des principaux auteurs de la manifestation, l’a raconté de son côté, dans un curieux écrit publié en Belgique et que j’ai sous les yeux[143] : pas de doute possible sur l’esprit dont elle était animée. J’abrége les détails : je vais de suite au fait capital.

[142] Appel aux francs-maçons de tous les rites, par le F∴ Thirifocq.

[143] L’Appel que nous citions tout à l’heure.

Le 29 avril donc[144], sur un appel fait à toutes les Loges de l’Orient de Paris, une foule immense de francs-maçons déployant soixante-deux bannières maçonniques, se rendit, de la cour du Louvre à l’Hôtel-de-Ville, précédée par cinq membres de la Commune : la Commune tout entière se présenta au balcon d’honneur pour les recevoir. La statue de la république était là, « ceinte d’une écharpe rouge, et entourée par les trophées des drapeaux de la Commune : les soixante-deux bannières maçonniques vinrent se placer successivement sur les marches de l’escalier[145] ». Les Frères maçons se massèrent dans la Cour.

[144] Le 26 avril, dans une réunion préparatoire de la grande manifestation du 29, le citoyen Lefrançais, membre de la Commune, avait fait la déclaration que voici : « J’étais de cœur avec la Maçonnerie, lorsque j’ai été reçu dans la Loge 183, une des plus républicaines, et je me suis assuré que LE BUT de la Maçonnerie et de la Commune était LE MÊME. » — Cité par le F∴ Thirifocq.

[145] Appel aux francs-maçons de tous les rites, par le F∴ Thirifocq.

« Dès que la cour fut pleine, dit le Journal officiel, les cris : vive la Commune ! vive la maçonnerie ! vive la République universelle ! se firent entendre de tous côtés. »

Puis, après un échange de discours, dans lesquels fut proclamée l’Union inséparable de la Commune et de la maçonnerie, et après que le F∴ Thirifocq eut fait la déclaration suivante : « Si nous échouons dans notre tentative de paix, tous ensemble nous nous joindrons aux compagnies de guerre pour prendre part à la bataille… », les députations de la Franc-Maçonnerie, « accompagnées des membres de la Commune, sortent de l’Hôtel-de-Ville ; l’orchestre joue la marseillaise ».

Dix mille francs-maçons étaient là se rendant de l’Hôtel-de-Ville à la Bastille ; descendant ensuite toute la ligne des boulevards, et montant à travers les Champs-Élysées, cette immense colonne arrive aux remparts, y plante les soixante-deux bannières maçonniques, parlemente avec les généraux, à l’effet d’obtenir une paix basée sur le programme de la Commune.

Et après le nécessaire insuccès d’une telle démarche, un appel aux armes fut lancé, au moyen de ballons, par la fédération des francs-maçons et compagnons de Paris, à tous les francs-maçons des départements. Cet appel aux armes se terminait par ce cri : Vive la République ! Vivent les Communes de France, fédérées avec celles de Paris !

Un tel fait n’a pas besoin de commentaires.

Je sais bien que le Grand Orient, sans avoir un mot de blâme pour la manifestation, déclara que cette manifestation n’engageait que les maçons qui y avaient personnellement adhéré. Mais d’abord ils étaient dix mille. Et ensuite, qu’importe ? Et qui peut, après de tels faits, douter de l’esprit qui anime les Loges parisiennes ?

Si la révolution de 1871 a été athée, comme on l’a écrit, si elle a, selon une autre horrible expression, biffé Dieu, ce mouvement d’athéisme, au bout duquel il y avait de si sanglantes horreurs, où a-t-il été plus secondé que dans ces Loges parisiennes, qui, elles aussi, ont biffé Dieu, et le veulent bannir du berceau des enfants comme de la tombe des morts, de l’école comme de la vie publique, de partout ?

J’écris ces lignes au milieu de l’agitation des élections municipales de Paris. Eh bien, sur quel terrain se débattent ces élections ? Cela ne s’était jamais vu, du moins à ce degré : sur le terrain de la morale indépendante et de l’enseignement sans Dieu ! Les candidats que les comités les plus démocratiques patronnent, qui sont-ils ? Ceux qui ont inscrit dans leurs professions de foi l’enseignement laïque, c’est-à-dire athée. Et voilà parmi ces candidats un des hommes les plus considérables des Loges, membre du Grand-Orient, le F∴ Massol, celui dont nous avons cité de si violents discours maçonniques contre Dieu, et contre l’enseignement religieux : le voilà qui écrit dans sa circulaire électorale, et qui affiche sur les murs de Paris, ces doctrines ; et son nom sort des urnes !

Certes, que le pauvre peuple de Paris ait ainsi tout oublié, si peu de temps après les calamités effroyables que ces doctrines ont déchaînées sur lui, qu’il suive toujours les mêmes guides, écoute toujours les mêmes maîtres, et par ses votes, s’obstine à ressusciter pour ainsi dire légalement, sous les yeux de la France stupéfiée, la Commune !… non, je ne connais pas dans l’histoire plus effrayant exemple d’un incurable aveuglement. Mais je n’en connais pas non plus où il soit plus facile de toucher en quelque sorte du doigt le résultat du travail souterrain des Loges.

Quand la Franc-Maçonnerie en est là, je comprends que ses membres les plus francs, se sentant assez forts maintenant, et assez avancés dans leur œuvre pour mettre de côté les anciennes précautions de langage, disent nettement ce qu’ils veulent et où ils vont, et réclament à grands cris, tous les ans, auprès du conseil de l’Ordre, l’abolition de ces restrictions hypocrites qui ne peuvent plus tromper personne. En effet, parmi les VŒUX exprimés tous les ans par les Loges les plus actives et que le Monde-Maçonnique énumère avec complaisance, je vois cette réclamation décisive :

Les loges réclament hautement LE DROIT de traiter LES QUESTIONS POLITIQUES ET RELIGIEUSES, et TOUS LES SUJETS QUI INTÉRESSENT L’HUMANITÉ[146] ; elles veulent, en un mot, que ce qui est la pratique avérée des Loges et l’œuvre essentielle de la maçonnerie, devienne aussi le droit pour tous, la règle écrite, la loi.

[146] Le Monde-Maçonnique, t. XIV, p. 430.


Telle est donc la vérité. Le but essentiel de la Maçonnerie, le voilà : c’est de miner tout ordre religieux et social ; elle pousse, parallèlement, et à des profondeurs égales, ses travaux de sape et de démolition sous les autels et sous les trônes qui sont encore debout : trop aveugle qui ne le voit pas !

Elle dit qu’elle porte un flambeau pour éclairer le monde ; non, c’est une torche, pour l’incendie.

La doctrine qui domine dans ses Loges, c’est l’impiété, c’est la négation radicale du christianisme ; et la négation, implicite mais réelle, non pas seulement de Jésus-Christ, mais de Dieu ; non pas seulement de la religion chrétienne, mais de toute religion, de tout culte. Les progrès qu’elle rêve pour l’humanité, les voilà.

Et la forme politique qu’elle poursuit pour réaliser ces desseins, pour édifier cette société nouvelle, sans croyances, sans culte, sans Christ et sans Dieu, c’est la république partout substituée aux monarchies ; mais la république démocratique et sociale.

Voilà ce qu’il y a, par la force des choses, au fond de tout ce travail maçonnique, quelles que puissent être ici les illusions et les inconséquences de tel ou tel franc-maçon trop abusé.

C’est le sens de ses plus hauts symboles ;

Ce sont là les idées qui s’élaborent dans les Loges, et qui, grâce à cette puissante organisation maçonnique, et à l’active propagande des Maçons dans le monde profane, se répandent, avec une rapidité effrayante, dans toutes les couches d’une société.

Et, au jour donné, quand les idées ont fait leur chemin, les mines sautent.

Voilà comment, à chaque bouleversement politique et social, les Maçons peuvent, comme au lendemain de février, saluer le triomphe de leurs idées ; voilà comment la Maçonnerie se mêle activement aux luttes quotidiennes, et descend dans l’arène politique ; voilà comment elle est, au vrai, et selon M. H. Martin, LE LABORATOIRE de la révolution.

CONCLUSION

I
CONDAMNATION DE LA FRANC-MAÇONNERIE PAR L’ÉGLISE

Peut-on s’étonner après tout cela que les Papes et les Évêques aient condamné la Franc-Maçonnerie ? Et n’est-ce pas un grand devoir qu’ils ont rempli, un grand service qu’ils ont rendu à l’humanité ?

Depuis deux siècles déjà que la Franc-Maçonnerie s’est, je ne dis pas fondée, mais développée en Europe, les Papes n’ont pas cessé d’y être attentifs ; et, au XVIIIe siècle, deux Souverains-Pontifes, Clément XII et le savant Benoît XIV ; au XIXe, Pie VII, Léon XII, Grégoire XVI, et enfin Pie IX, ont prononcé contre cette association les condamnations les plus motivées et les plus solennelles.

Qu’il me suffise de citer ici quelques passages de la célèbre Bulle, Quo graviora, de Léon XII, et d’une récente allocution de Pie IX.

Le Pape Léon XII, dans cette Bulle, rappelle d’abord les condamnations portées contre la Franc-Maçonnerie, depuis Clément XII, déclare cette institution ouvertement ennemie de l’Église catholique, rappelle enfin la Bulle de Pie VII, son prédécesseur immédiat ; puis, il renouvelle lui-même toutes ces condamnations :

« Gardez-vous des séductions et des discours flatteurs qu’on emploie pour vous faire entrer dans ces sociétés. Soyez convaincus que personne ne peut y entrer sans se rendre coupable d’un péché très-grave. »

Léon XII ajoutait, à l’adresse de ceux qui s’étaient fait illusion, les paroles suivantes :

« Quoique l’on n’ait pas coutume de dévoiler ce qu’il y a là de plus blâmable à ceux qui ne sont pas parvenus aux grades éminents, il est cependant manifeste que la force de ces sociétés, si dangereuses à la Religion, s’accroît du nombre de ceux qui en font partie. »

Ensuite, avec les accents de la plus vive charité, il conjurait ceux qui s’étaient laissé séduire, de s’éloigner au plus tôt des loges, et il défendait, sous les peines portées par ses prédécesseurs, de se faire initier à la Franc-Maçonnerie.

Enfin Pie IX, pilote vigilant du vaisseau de l’Église, malgré les tempêtes qui l’assaillent lui-même, a parlé à son tour, et rappelant, dans son allocution du 25 septembre 1865, les avertissements donnés à la Franc-Maçonnerie par ses prédécesseurs, il poursuivait ainsi : « Malheureusement, ces avertissements n’ont pas eu le succès espéré, et Nous avons regardé comme un devoir de condamner de nouveau cette société ; attendu que, par ignorance peut-être, pourrait surgir l’opinion fausse qu’elle est inoffensive, qu’elle n’a de but que la bienfaisance, et ne saurait, par conséquent, être un péril pour l’Église de Dieu. »

C’est là, en effet, dans cette illusion, que se trouve le piége et l’appât de la Maçonnerie. Le Saint Père après l’avoir signalé, ajoute :

« Nous condamnons cette société maçonnique — et les autres sociétés du même genre qui, tout en étant de forme différente, tendent au même but — sous les mêmes peines que celles spécifiées dans les constitutions de nos prédécesseurs ; et cela regarde tous les chrétiens, de toute condition, de tout rang, de toute dignité, et par toute la terre. »

C’est pourquoi tous les évêques de Belgique, dans une circulaire collective sur la Franc-Maçonnerie, faisaient la déclaration suivante :

« Il est rigoureusement défendu d’y prendre part, et ceux qui le font sont indignes de recevoir l’absolution, aussi longtemps qu’ils n’y ont pas sincèrement renoncé[147]. »

[147] Circulaire de l’Épiscopat belge, décembre 1837.

C’est pourquoi encore les Évêques d’Irlande, réunis à Dublin, en avril 1861, dans une lettre pastorale adressée au clergé et aux fidèles de leurs diocèses, signalaient, entre autres périls contemporains, la franc-maçonnerie, et disaient : « C’est pour nous un devoir sacré de vous éloigner de ces sociétés funestes, et nommément de celle des francs-maçons. »

C’est pourquoi enfin, car ces citations suffisent, les Évêques de la libre Amérique du Nord, réunis en Concile à Baltimore, signalèrent aussi et condamnèrent, dans une lettre pastorale adressée à leurs diocésains, la société maçonnique.

En France, combien de fois l’Épiscopat n’a-t-il pas élevé la voix pour redire les condamnations pontificales et dévoiler l’incompatibilité de la Maçonnerie, avec le Christianisme !

Ce que les Évêques pensent de la Franc-Maçonnerie en France, en Belgique, en Angleterre, en Amérique, ils le pensent également en Allemagne. J’ai sous les yeux, en ce moment, l’écrit publié par Mgr de Ketteler. La conclusion de cette calme et savante discussion est celle-ci :

« Voilà donc d’un côté l’Église catholique, et de l’autre la moderne Franc-Maçonnerie. Ici, l’œuvre de Dieu, l’œuvre du Christ, et de tous ceux qui croient en Jésus-Christ ; là, l’œuvre des hommes qui renient Dieu et son Christ, ou du moins les abandonnent. Un catholique qui devient franc-maçon déserte le temple du Dieu vivant pour travailler au temple d’une idole. »

Au reste, il y a des francs-maçons eux-mêmes qui en conviennent ; ainsi le Monde-Maçonnique cite ces paroles de Mgr l’Évêque d’Autun : « Si l’on veut rester franchement chrétien, on ne saurait être en même temps franc-maçon. » Puis le journal franc-maçon ajoute nettement et avec sincérité : « Le prélat A RAISON de parler ainsi. C’est son droit, c’est son devoir[148]. »

[148] Le Monde-Maçonnique, mai 1866, p. 2.

II
QUE CONCLURE POUR LA PRATIQUE

Voilà donc quels sont les faits. J’ai simplement exposé ce qui est, ce qui se dit, ce qui se fait, dans la Maçonnerie.

Est-ce à dire cependant que toutes les choses maçonniques sont antichrétiennes, et tous les franc-maçons des impies ?

J’ai fait ici les distinctions et les réserves nécessaires.

Oui, il y a des francs-maçons, qui ne savent pas même que l’Église a condamné la Franc-Maçonnerie ; chez qui, par ignorance, comme le disait le Pape Pie IX, a pu surgir l’opinion fausse que la Franc-Maçonnerie est inoffensive et n’a de but que la bienfaisance, la philanthropie, et la morale ; et qui, n’étant pas initiés aux profondeurs de la société maçonnique, n’aperçoivent pas, sous ces grands mots qui retentissent sans cesse dans les Loges, l’impiété, la guerre faite au Christianisme, l’appoint donné aux révolutions.

Eh bien ! dirai-je à ces francs-maçons non encore désabusés, si c’est la philanthropie qui vous attire, qu’avez-vous besoin d’être maçons ? Soyez chrétiens, il suffit. Est-ce que toute bienfaisance n’est pas dans le Christianisme ? N’est-ce pas lui qui a donné au monde la charité[149] ? La charité, vertu plus féconde, qui apporte à l’homme des lumières et des dévoûments que la simple philanthropie n’égala jamais. Oui, la Charité porte la philanthropie à des sommets, où, d’elle-même, celle-ci ne serait jamais montée, et d’où elle lui découvre des horizons nouveaux et sans limites : en un mot, la Charité appuie le pauvre cœur humain sur le cœur de Dieu, et, sans écarter aucun des motifs purement humains d’aimer les hommes, elle donne à l’amour de l’homme pour l’homme l’idéal pur, fécond, infini, de l’amour même de Dieu pour l’humanité.

[149] Impossible de ne pas redire que les francs-maçons ont déclaré que la Bienfaisance est un des caractères les moins essentiels de la Franc-Maçonnerie ; et au fond rien de moins charitable que la Maçonnerie, témoin les aveux de beaucoup de ses membres : le F∴ Accary père, membre du chapitre de la Persévérante Amitié, disait naguère au Grand-Orient de France près duquel il était délégué : « La Franc-Maçonnerie, d’après l’art. 1er de la constitution, a pour objet la bienfaisance. Cependant, à l’exception de notre Maison de secours (dont les ressources sont si exiguës que je m’étonne qu’elles soient mentionnées dans une fête solsticiable), je ne vois rien qui atteste la manière dont la Franc-Maçonnerie exerce la bienfaisance. » — Voir le Globe, revue maçonnique, t. III, p. 163.

Et la morale ! rendre les hommes plus vertueux ! Certes à cette prétention, si elle est efficace, le Christianisme ne pourrait qu’applaudir ; car c’est ce qu’il veut lui-même, avant la Maçonnerie, et plus que la Maçonnerie. Mais expliquons-nous : comment la morale chez vous est-elle entendue, je ne dis pas par tel ou tel franc-maçon trompé, qui n’a pas franchi tous les degrés de l’initiation et ne les franchira jamais, mais par la Franc-Maçonnerie et par ses chefs, dont j’ai cité les textes ? Il s’agit d’une morale qui dispense de toute religion, d’une morale sans Dieu et sans aucune religion : en d’autre termes, la maçonnerie veut que l’homme vive sans culte, sans prières, sans autels, sans Dieu et sans Christ sur la terre.

Eh bien ! cette doctrine, qu’est-ce autre chose que l’athéisme pratique ?

Point donc de prétextes.

De deux choses l’une : ou vous savez ce qu’est la Maçonnerie, ou retenus dans les grades inférieurs, vous ne le saurez jamais ; et alors ou vous travaillerez efficacement à l’œuvre maçonnique, ou vous n’y travaillerez pas : dans le premier cas, vous trahissez évidemment votre conscience et la foi chrétienne ; dans le second cas, que faites-vous là ?

Il faut vraiment des temps de décadence philosophique comme les nôtres pour passer par dessus de pareilles contradictions, et associer de telles incompatibilités.

Si vous êtes chrétien, n’entrez donc jamais dans les loges, sous aucun prétexte ; ou même si vous êtes simplement homme sérieux, ennemi des fantasmagories ridicules et des mystères suspects, éloignez-vous de là ! ou si, séduit par l’enseigne, et par vos bonnes intentions, vous y avez mis le pied : retirez-vous.

Il se fait là, malgré vous, une œuvre radicalement antichrétienne, lamentable pour le salut des âmes, et combien de fois n’avons-nous pas la douleur d’en voir de près les funestes résultats !

Comment, d’ordinaire, entre-t-on dans les Loges ? Un jeune homme a vingt ans ; il est inexpérimenté, ardent, généreux ; il a des amis, un peu plus âgés, qui déjà ont été recrutés par la propagande maçonnique. « Est-ce que, lui disent-ils, tu ne voudrais pas venir avec nous ? » Le jeune homme d’abord hésite, « Que faites-vous là ? » demande-t-il. On lui vante le but de la société, les amis qu’on y rencontre ; on lui parle de philanthropie et de progrès ; peu à peu on l’attire par ces grands mots ; il consent enfin à se laisser faire ; le voilà pris : et le premier pas une fois fait, l’initiation une fois reçue, peu à peu les liens se resserreront ; et même quand il serait entré là avec quelques principes religieux encore, bientôt, l’esprit qui souffle dans les Loges le pénétrant, toute croyance s’en ira de son intelligence, et toute observance religieuse de sa vie.

Et, en fait, dans la pratique quotidienne de la vie, que voyons-nous ? C’est que, pour l’immense majorité de ses membres, la Maçonnerie tient lieu de toute religion ; c’est que les hommes qui fréquentent les loges ne se rencontrent plus dans les temples chrétiens. La Loge remplace l’Église. C’est fini, plus de foi, plus de prière, plus d’Évangile, plus de sacrements. Pour eux, la religion n’existe plus. Ces vagues aspirations, cette morale sans Dieu, ces cérémonies vaines, ces creux symboles leur suffisent, et peu à peu ils se laissent aller à n’avoir plus d’autre religion, ni d’autre culte. Sont-ils initiés à quelque charge et décorés de quelques insignes maçonniques, c’est bien pire encore ; les liens se resserrent et les enlacent de plus en plus ; l’éloignement pour tout ce qui est religion augmente ; la loge les enchaîne pour jamais ; et quand vient l’heure de la mort, quand la famille, en larmes et en prières, les conjure de songer à leur salut et à leur âme, trop souvent, hélas ! c’est en vain. J’en ai vu, de ces obstinations inexplicables, chez des hommes touchés d’ailleurs du zèle et de l’affection d’un bon prêtre, inclinés par lui au Christianisme, et à qui il ne manquait plus pour être tout à fait chrétiens, que ce dernier pas, cet acte de foi, cette nécessaire adoration de Jésus-Christ ; mais non, et la cause secrète de ces résistances était là ; pas ailleurs : la Maçonnerie avait mis la main sur eux, pesait sur leur âme, et ils n’osaient pas, même à leur lit de mort, se reconnaître et s’affranchir. Combien de familles chrétiennes savent que ce que je dis là n’est que trop vrai, et ont dû à la Maçonnerie cette suprême douleur !

Pour nous, pasteurs des peuples, certes, ce n’en est pas une médiocre que de voir dans ce siècle tant d’âmes, si bien faites pour être chrétiennes, et si près de l’être, s’éloigner ainsi de nous, et chercher ailleurs, dans le vide et dans le faux, sans nous et contre nous, les lumières, les vertus, les progrès, dont la divine religion du Sauveur des hommes est la source féconde, la seule et puissante inspiratrice.

Quel malheur, et quel sujet de larmes amères de voir tant d’hommes, que nous aimons, perdre ainsi leurs forces et leur vie à essayer de bâtir sans Dieu et contre Dieu !


Je termine ici cette étude sur la Franc-Maçonnerie. Je l’ai faite sans amertume contre les personnes, mais non sans une tristesse profonde, en voyant les déplorables dissentiments de tant de nos contemporains, avec la Religion au sein de laquelle ils sont nés, et cette puissante organisation dans le monde de l’incroyance ou de l’indifférentisme religieux ! Ce qui me cause aussi une inconsolable douleur, c’est de voir, par suite, tant de natures généreuses, tant d’efforts égarés ; des bonnes volontés sincères se trompant d’objet ; le progrès du monde pris à rebours, en sens contraire de sa direction véritable ; la division enfin, au lieu de l’union, dans l’humanité. Ah ! ce temple de la Fraternité et de l’Unité, que vous voulez, dites-vous, construire, ô nos frères abusés, il existe, mais c’est une construction faite de la main de Dieu, et non pas de la main des hommes ; il n’a pas pour fondement la négation ruineuse, il repose sur la foi ferme et féconde. C’est la grande Église catholique. Venez-y donc, vous aussi, votre place y est marquée : ce temple de Dieu invite tous les hommes à s’abriter dans son sein. Jésus-Christ est mort pour vous comme pour nous : c’est lui le Sauveur, et l’illuminateur du genre humain. Venez donc à lui, et travaillez avec nous. Car, vous obstiner à bâtir sans Dieu et contre Dieu, je vous le répète, avec la parole divine elle-même, c’est un labeur qui sera éternellement stérile, aussi vain que coupable !

NISI DOMINUS ÆDIFICAVERIT DOMUM, IN VANUM LABORAVERUNT QUI ÆDIFICANT EAM !

TABLE DES MATIÈRES

AVANT-PROPOS
PREMIÈRE PARTIE
ANTAGONISME RADICAL DE LA FRANC-MAÇONNERIE ET DE LA RELIGION
I.
Position de la question
II.
Déclarations des Loges maçonniques
III.
Quelques traits de la guerre faite à la religion par la Franc-Maçonnerie
IV.
La Franc-Maçonnerie et l’existence de Dieu
V.
La Franc-Maçonnerie et l’immortalité de l’âme
VI.
Incompatibilité du principe fondamental de la Franc-Maçonnerie avec toute religion
VII.
Nouveaux détails sur la guerre faite au Christianisme par la Franc-Maçonnerie. La morale sans Dieu, l’enseignement sans religion
VIII.
Propagande de l’enseignement sans religion par les écoles d’adultes. — Les écoles professionnelles de filles. — La ligue de l’enseignement
DEUXIÈME PARTIE
UN HOMME SÉRIEUX, UN HOMME DE BON SENS PEUT-IL ÊTRE FRANC-MAÇON ?
I.
Hiérarchie, grades et langage maçonniques
II.
Initiation maçonnique
III.
Les travaux de table, ou banquets
IV.
Les rites et les mystères maçonniques
V.
Le chevalier Kadosch
TROISIÈME PARTIE
ACTION POLITIQUE ET RÉVOLUTIONNAIRE DE LA MAÇONNERIE
I.
Témoignages maçonniques : M. Louis Blanc. — Maçons français et belges
II.
La question du droit des Maçons à s’occuper de politique discutée et affirmativement résolue dans les Loges
III.
Jusque dans quels détails la Maçonnerie s’occupe de politique
IV.
Faits péremptoires, empruntés à l’histoire contemporaine
CONCLUSION
I.
Condamnation de la Franc-Maçonnerie par l’Église
II.
Que conclure pour la pratique

PARIS. — IMP. VICTOR GOUPY, 5, RUE GARANCIÈRE.