Title: Le livre du chevalier de La Tour Landry pour l'enseignement de ses filles
Author: Geoffroy de La Tour Landry
Editor: Anatole de Montaiglon
Release date: August 31, 2022 [eBook #68885]
Most recently updated: October 19, 2024
Language: French
Original publication: France: Jannet
Credits: Laurent Vogel and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by The Internet Archive/Canadian Libraries)
Publié d’après les manuscrits de Paris et de Londres
PAR
M. ANATOLE DE MONTAIGLON
Ancien élève de l’Ecole des Chartes
Membre résidant de la Société des Antiquaires de France
A PARIS
Chez P. Jannet, Libraire
MDCCCLIV
Paris. — Impr. Guiraudet et Jouaust, 338, rue Saint-Honoré.
Le livre du chevalier de La Tour a joui d’une grande vogue au moyen âge. Souvent transcrit par les copistes, il obtint de bonne heure les honneurs de l’impression. Publié d’abord par le père de la typographie angloise, le célèbre Caxton, qui l’avoit traduit lui-même, il fut, neuf ans après, traduit et imprimé en Allemagne, où il est resté au nombre des livres populaires. Moins heureux en France, le livre du chevalier de La Tour n’y eut que deux éditions, de la première moitié du seizième siècle, connues seulement des rares amateurs assez heureux pour en rencontrer un exemplaire, assez riches pour le payer un prix exorbitant.
En publiant une nouvelle édition de ce livre, nous n’avons pas en vue son utilité pratique. Nous voulons seulement mettre dans les mains des hommes curieux des choses du passé un monument littéraire remarquable, un document précieux pour l’histoire des -vj- mœurs. Il est piquant et instructif, en se rappelant comme contraste les lettres de Fénelon sur ce sujet, de voir ce qu’étoit au xive siècle un livre sur l’éducation des filles.
Mais, avant de parler de l’œuvre, il convient de parler de l’auteur, et de rassembler les dates et les faits, si petits et si épars qu’ils soient, qui se rapportent à sa biographie, à celle de ses ancêtres et de ses fils : car, si son nom existe encore, l’on verra que sa descendance directe s’est bientôt éteinte, circonstance qui, en nous fixant une limite rapprochée de lui, nous obligeoit par là même d’aller jusqu’à elle, pour ne rien laisser en dehors de notre sujet. Cette partie généalogique sera la première de cette préface ; nous aurons à parler ensuite de l’ouvrage lui-même, des manuscrits que l’on en connoît, et enfin des éditions et des traductions qui en ont été faites : ce seront les objets tout naturels et aussi nécessaires de trois autres divisions.
Pour la première, deux généalogies manuscrites, conservées aux Manuscrits de la Bibliothèque impériale[1], et qui nous ont été communiquées par M. Lacabane ; -vij- le frère Augustin du Paz, dans son Histoire généalogique de plusieurs maisons illustres de Bretagne, Paris, Nic. Buon, 1621, in-fo ; Jean le Laboureur, dans son Histoire généalogique de la maison des Budes, Paris, 1656, in-fo, à la suite de l’histoire du maréchal de Guébriant ; le Père Anselme ; Dom Lobineau et Dom Morice, dans les preuves de leurs deux Histoires de Bretagne, contiennent des renseignements précieux ; mais il ne suffiroit pas d’y renvoyer, il est nécessaire de les classer et de les rapprocher.
[1] Toutes deux portent en tête une mention de forme un peu différente, mais de laquelle il résulte qu’elles ont été copiées sur la notice manuscrite, dressée par feu messire René de Quatrebarbes, seigneur de la Rongère, et communiquée au mois de may 1692 par M. le marquis de la Rongère, son fils. Dans l’une, cette mention est de la main de d’Hozier, qui l’a signée, et qui a fait d’évidentes améliorations ; elle est paginée 129 à 156. Comme chacune de ces copies contient des renseignements particuliers, nous désignerons la copie du cabinet d’Hozier, comme étant la plus complète, par Généal. ms. 1 ; et l’autre, qui n’est pas copiée jusqu’au bout, par Généal. ms. 2. Quand nous citerons sans numéros, c’est que le fait se trouve dans les deux.
Et d’abord, le lieu de Latour-Landry, — siége de la famille, et qui, après avoir dû recevoir son nom de son château seigneurial et du nom d’un de ses membres, en est devenu à son tour l’appellation patronymique, — existe encore sous ce nom dans la partie de l’ancien Anjou, limitrophe du Poitou et de la Bretagne, qui forme maintenant le département de Maine-et-Loire. Il se trouve dans le canton de Chemillé, à 27 kil. de Beaupréau, entre Chollet, qui est à 20 kil. de Beaupréau, et Vezins, éloigné de 26 kil. du même endroit. Autrefois, le fief de Latour-Landry étoit « sis et s’étendant sur la paroisse de Saint-Julien de -viij- Concelles[2] », qui est à 15 kil. de Nantes, canton de Loroux, dans la partie bretonne du département de la Loire-Inférieure. Les restes du donjon des seigneurs subsistent encore maintenant, me dit-on, à Latour-Landry, notamment une grosse tour très ancienne, dont on fait, dans le pays, remonter la construction au xiie siècle, et je regrette de ne pouvoir en donner de description[3].
[2] Du Paz, 660.
[3] On voit encore aussi à Vezins les restes d’un hôpital fondé par un Latour Landry, et aujourd’hui en ruines.
Les généalogies manuscrites commencent par le Latour-Landry du roman du roi Ponthus, roman sur lequel nous aurons à revenir plus tard, et comme, se fondant sur Bourdigné, elles mettent en 495 la descente fabuleuse en Bretagne des Sarrazins, contre lesquels ce Latour imaginaire se distingua à côté du non moins imaginaire Ponthus, le généalogiste continue fort naïvement en disant que « la chronologie, qui souvent sert de preuve pour connoître le degré de filiation, fait juger que ce Landry peut avoir été le père de Landry de Latour ! vivant en 577, et maire du palais sous Chilpéric Ier. » La copie de d’Hozier ne va pas si loin ; elle se contente de le croire son grand père. Il n’est pas difficile maintenant de dire quelque chose de plus historique.
Ainsi, je croirois membre de la famille de Latour l’Etienne de La Tour, Stefanus de Turre, qui figure comme témoin dans une pièce de 1166[4], et -ix- dans une pièce de 1182[5], dans ce dernier cas avec le titre, concluant pour notre supposition, de sénéchal d’Anjou. En 1200, un Landry de La Tour, sire dudit lieu, de l’Isle de Bouin, de Bourmont, de la Cornouaille, etc., eut procès à raison du tiersage de Mortaigne, à cause de l’Isle de Bouin[6]. Vingt ans après, on trouve un personnage de ce nom, et déjà avec le prénom de Geoffroy ; au mois de mai 1220, le jour de la Trinité, un Geoffroy de La Tour est entendu à Nantes à propos du ban du sel, que se disputoient le duc de Bretagne et l’évêque de Nantes[7]. Trente ans après, un autre Landry de Latour échangea cette terre, déjà nommée, de l’Isle de Bouin, avec le sieur de Machecou, contre celle de Loroux-Bottereau[8] ; et, vers la fin de ce même siècle, nous retrouvons un autre Latour, encore avec le prénom de Geoffroy ; car « Geuffrey de la Tor, escuier », figure avec Olivier de Rogé, Bernabes, seigneur de Derval, Guillaume de Derval et autres, dans une convention passée entre le duc de Bretagne Jean II et les nobles, par laquelle il consent à changer le bail et garde-noble en rachat ; la pièce est datée de Nantes « le jour du samedi avant la feste Saint-Ylaire, en l’an de l’incarnation mil deus cent sessante et quinze (1276), o meis de janvier[9]. »
[4] Dom Lobineau, Preuves, in-fo, 1707, col. 271 ; et Dom Morice, Mémoires pour servir de preuves à l’histoire de Bretagne, in-fol., 1742, col. 657.
[5] Dom Lobineau, Preuves, col. 316 ; et Dom Morice, Preuves, I, col. 689.
[6] Généal. ms. 1.
[7] Dom Lobineau, Histoire, I, 215 ; Preuves, col. 377 ; et Dom Morice, Histoire, I. 1750, p. 150 ; et Preuves, I, col. 847.
[8] Généal. ms. 1.
[9] Dom Lobineau, Histoire, I, 272 ; Preuves, col. 426 ; — et Dom Morice, Histoire, I, p. 206 ; et Preuves, I, col. 1039.
-x- C’est ici seulement que nous arrivons à une filiation reconnue ; les deux généalogies manuscrites donnant pour père à notre auteur un Geoffroy, il faut croire que c’est lui dont il s’agit dans une reconnoissance du nombre des chevaliers, écuyers et archers que les seigneurs de Bretagne doivent à l’ost du duc, faite par eux à Ploermel le jeudi après la mi-août 1294, où l’on trouve cet article parmi ceux compris sous le chef de la Baillie de Nantes : « Monseur Geuffroy de La Tour e Guillaume Botereau e Mathé de la Celle recongneurent qu’ils devoient un chevalier d’ost, c’est assavoir le tiers d’un chevalier, par la raison de leur fiez dou Lorous Botereau.[10] » Ce Geoffroy est donné comme seigneur de La Tour Landry, de Bourmont, de la Galonière, du Loroux-Bottereau, de la Cornouaille, et comme ayant été présent en 1302, « le jeudy après la Saint-Nicolas d’esté », au mariage de Jean de Savonnières. C’est à lui aussi que se doit rapporter ce fait, consigné dans Bourdigné[11], qu’en 1336, un Geoffroy de La Tour Landry étoit au nombre de ceux qui suivirent le comte d’Anjou dans sa guerre avec les Anglois et s’y conduisirent avec le plus de courage. Notre auteur parle deux fois de son père[12], mais malheureusement sans autrement le dénommer, et par conséquent sans apporter à l’assertion, très acceptable -xj- d’ailleurs, des généalogies, l’autorité irrécusable de son témoignage de fils. On a vu que je n’ai pas osé attribuer à ce Geoffroy la mention d’un Geoffroy en 1276. C’est par la considération que de 1276 à 1336 il y a soixante ans, et qu’en ajoutant les années nécessaires pour être partie dans un acte aussi important que celui de la première date, on auroit un âge de bien plus de 80 ans, acceptable en soi, mais dans lequel il est peu ordinaire de se distinguer par des exploits guerriers. Il faudroit, de plus, qu’il eût eu tout à fait dans sa vieillesse notre auteur, qui, comme on le verra, n’étoit pas le dernier de ses enfants, et n’est pas mort avant la fin du quatorzième siècle.
[10] Dom Lobineau. Hist., I, p. 282 ; Preuves, col. 438 ; — et Dom Morice, Preuves, col. 1112.
[11] Hystoire agrégative des annales et croniques d’Anjou, par Jehan de Bourdigné, 1529, in-fol., goth., f. cviij ro.
[12] Pages 27 et 227 de cette édition.
Je ne puis donner le nom de la femme du père de notre auteur ; mais je dois au moins faire ici un rapprochement. Dans son livre, il parle, à un endroit[13], de sa tante, Mme de Languillier, « dont le seigneur avoit bien mil vc livres de rente » ; puisqu’elle étoit sa tante, elle pouvoit être la sœur de sa mère, ce qui ne nous paroît pas donner son nom. Il faudroit pour cela que M. de Languillier fût son frère ; mais, à voir la façon dont notre chevalier loue la douceur de la femme et parle du mari comme étant « à merveille luxurieux », j’avoue avoir peine à croire qu’il eût cité cet exemple, si celui qu’il blâme eût été, non pas le beau-frère, c’est-à-dire un étranger, mais le propre frère de sa mère ; si, au contraire, celle-ci est la sœur de la femme si digne d’être un modèle d’affection et de bon sens, le choix est très -xij- naturel[14]. Mais, je le répète, cette conclusion, que je crois la plus probable, ne nous donne pas le nom de la mère de notre Geoffroy.
[14] J’ajouterai que ce nom de Languillier est encore un nom de ces provinces : car je trouve dans le Père Anselme, II, 453 A, au commencement du xvie siècle, il est vrai, mais je ne prends le nom qu’au point de vue topographique, un Guy de Sainte-Flaive, seigneur de Sainte-Flaive en Poitou et des baronies de Cigournay, Chatonay, le Puy-Billiard et Languillier.
En tout cas, celui-ci ne fut pas le seul enfant : car la généalogie manuscrite place comme second fils un Arquade de Rougé, en nous apprenant, de plus, qu’il épousa Anne de la Haye Passavant[15], fille de Briand de la Haye et de Mahaud de Rougé, sœur aînée de Jeanne de Rougé, et toutes deux filles de Bonnabes de Rougé. Ceci est pour nous très curieux ; car, — comme on verra que notre Geoffroy épousa cette Jeanne de Rougé, sœur cadette de Mahaud, — Anne de la Haye, fille de Mahaud de Rougé, sœur aînée de Jeanne, se trouvoit, en épousant Arquade, avoir sa tante pour belle-sœur. On pourroit en inférer aussi que, les deux belles-sœurs étant sans doute à la distance d’une génération, Arquade étoit beaucoup plus jeune que Geoffroy, son frère aîné.
[15] Elle portoit d’or, à deux fasces de gueules, à l’orle de merlettes, posées 4 en chef, 2 en fasce et 3 en pointe. — Généal. mss.
La mention la plus ancienne que nous trouvions de notre auteur nous est donnée par lui-même. Il raconte dans son livre la conduite des seigneurs qui se trouvoient avec le duc de Normandie, depuis le roi Jean, au siége d’Aguillon, petite ville d’Agenois, située -xiij- au confluent du Lot et de la Garonne. Comme Froissart[16] a parlé longuement de ce siége, qui, commencé après Pâques de l’année 1346, cette année le 16 avril, fut levé au plus tard le 22 août[17], il en faut conclure que notre Geoffroy, qui en parle comme un témoin, étoit déjà en état de porter les armes. Nous sommes après cela long-temps sans le rencontrer. Au premier abord, on seroit disposé à le retrouver en 1356 dans le sire de La Tour que Froissart[18], et que le prince Noir dans sa lettre à l’évêque de Worcester sur la bataille de Poitiers[19], mettent au nombre des prisonniers faits par les Anglois ; mais comme Froissart, dans son énumération des seigneurs présents à la bataille, qu’il donne un peu avant[20], met un sire de La Tour parmi les nobles d’Auvergne, il est probable que c’est de celui-là qu’il s’agit[21], et non -xiv- pas du nôtre, qu’il auroit certainement mis parmi les nobles de Poitou. Mais c’est bien lui qui figure le 13 juin 1363 dans « la monstre de M. Mauvinet, chevalier, et des gens de sa compagnie, sous le gouvernement Monsieur Amaury, comte de Craon, lieutenant du roy ès pays de Touraine, Anjou et Poitou. » On y trouve le nom : « Monsieur Gieffroy de La Tour », suivi de la mention relative à l’objet de la montre : « cheval brun ; ix escus[22] ».
[16] Ed. Buchon, t. I, liv. i, part. Ire, p. 212-63.
[17] Histoire du Languedoc de Dom Vic et de Dom Vaissette, livre xxxj, § 18 à 22 ; éd. in-fol., t. IV, p. 259-62 ; éd. in-8o, t. VII, p. 161-3.
[18] Froissart, éd. Buchon, liv. i, part. ij, chap. xlij, tome I, p. 351.
[19] Archæologia Britannica, in-4o, I, p. 213 ; et Buchon, I, 355, à la note. — Le prince de Galles le met parmi les bannerets ; et c’étoit aussi le titre du nôtre, ce qui rendroit l’erreur encore plus facile.
[20] Froissart, Ibid., ch. xl, p. 350.
[21] C’est de lui encore qu’il est question dans le grand poème de Bertrand Du Guesclin, par Cuveliers, comme étant l’un de ceux qui se joignent au duc de Berry (1372) pour aller faire le siége de Sainte-Sevère,
Plus loin on l’appelle
(Collect. des docum. inédits, Chronique de Du Guesclin, publiée par M. Charrière, II, p. 214 et 221, vers 19,604 et 19,788.) Il est encore nommé page 224, dans la variante mise en note.
[22] Dom Morice, Preuves, I, col. 1558.
C’est, comme on le verra, en 1371 et 1372 qu’il a composé son livre ; à cette époque, il étoit déjà marié depuis assez long-temps pour avoir des fils et des filles dont l’âge demandoit qu’il eût à écrire pour eux des livres d’éducation. L’époque de son mariage est inconnue ; mais on sait très bien le nom de sa femme. C’étoit[23] Jeanne de Rougé[24], dame de Cornouaille, fille puinée de Bonabes de Rougé, seigneur d’Erval[25], vicomte de la Guerche, conseiller et chambellan du roi[26], et de Jeanne de Maillé, dame de Clervaux, fille elle-même de Jean de Maillé, seigneur de Clervaux, et de Thomasse de Doué ; la sœur aînée de Jeanne, c’est-à-dire Mahaut de Rougé, eut, comme on l’a vu, une fille, nièce de Jeanne, qui -xv- épousa Arquade de La Tour Landry, beau-frère de celle-ci. Nous aurons encore quelques mentions à faire de Jeanne de Rougé, mais nous préférons les laisser à leur ordre chronologique.
[23] Son père avoit déjà voulu le marier, mais le mariage avoit manqué. Voy. les Enseignements, chap. 13, p. 28-9 de cette édition.
[24] Genéal. mss. ; Du Paz, p. 85 ; Le Laboureur, p. 80.
[25] Voy., sur la terre de Derval, Du Paz, p. 166.
[26] Le Laboureur, p. 80.
En 1378, Geoffroy envoya des hommes au siége de Cherbourg ; mais il n’y fut pas lui-même, car, dans l’acte du « prêt fait à des hommes d’armes de la compagnie du connétable, par deux lettres du roi du 8 et 13 octobre 1378, pour le fait du siége de Chierbour », on lit à la suite de l’article M. Raoul de Montfort : « Pour M. de La Tour, banneret, un autre chevalier bachelier et onze escuiers, receus en croissance dudit Montfort, à Valoignes, le 18 nov. ; à lui, dccxiv liv.[27] »
[27] Dom Morice, Preuves, II, col. 391.
Il est probable qu’en 1379, Jeanne de Rougé, femme de Geoffroy, a été gravement malade, car, le 20 octobre de cette année[28], elle fit son testament, institua ses deux exécutrices testamentaires Jeanne de Maillé, sa mère, et dame Huette de Rougé, sa sœur, dame de Roaille, et choisit sa sépulture dans l’église Notre-Dame-de-Meleray, au diocèse de Nantes, auprès de la sépulture de son père[29].
[28] Du Paz, 167, qui appelle Jeanne de l’Isle la mère de Jeanne de Rougé.
[29] Mort deux ans après, en 1377 (Du Paz, p. 656). Un autre Messire Bonnabet de Rougé est indiqué par Bouchet (Annales d’Aquitaine, quarte partie, folio xiv) comme tué à la bataille de Poitiers le 19 novembre 1356, et enterré chez les frères mineurs de Poitiers. Les armes de Rougé sont de gueules, à une croix pattée d’argent ; elles se trouvent dans l’armorial de Jean de Bonnier, dit Berry, héraut d’armes de Charles vij. (Fonds Colbert, no 9653.5.5.)
En 1380, il résulte de la pièce suivante que Geoffroy -xvj- prit part à la guerre de Bretagne : « Nous, Jean de Bueil, certifions à tous par nostre serment que les personnes ci-dessous nommez ont servy le roy nostre dit seigneur en ses guerres du pays de Bretagne, en nostre compaignie et soubs le gouvernement de M. le connétable de France, par tout le mois de février passé… M. Geuffroy, sire de La Tour, banneret… Donné à Paris, le 30 avril, aprez Pasques 1380[30]. » Trois ans après, nous trouvons aussi le nom de Geoffroy dans « la monstre de Monsieur l’evesque d’Angiers, banneret, d’un autre chevalier banneret, huyt autres chevaliers bacheliers et de trente et cinq escuiers de sa compagnie, reçeus ou val de Carsell le ije jour de septembre, l’an 1383. » Elle commence : « Ledit Monsr l’evesque, banneret. Mess. Geuffroy de La Tour, banneret, etc.[31] »
[30] Dom Morice, Preuves, t. I, col. 244.
[31] Collection Decamps ; Mss. B. I. Cette mention nous a été donnée par M. Jérôme Pichon, qui, dans une note de son excellent Ménagier de Paris, avoit annoncé l’intention de publier une édition des Enseignements ; c’est à lui aussi que nous devons l’indication d’Augustin Du Paz, à qui nous aurions pu ne pas songer.
En 1383, la femme de Geoffroy de La Tour Landry vivoit encore : car, dans cette année même, son mari acquit avec elle le droit que Huet de Coesme, écuyer, avoit au moulin de Brifont ou de Brefoul, assis à Saint-Denis de Candé[32] ; mais elle mourut avant lui, car il épousa en secondes noces Marguerite des Roches[33], dame de la Mothe de Pendu, qui avoit épousé en premières noces, le 28 mars 1370, Jean -xvij- de Clerembaut, chevalier[34] ; comme on verra que les enfants des premiers mariages de Geoffroy et de Marguerite des Roches se marièrent entre eux, il n’est pas sans probabilité de penser que ce mariage tardif eut pour raison le désir de mêler complétement les biens des deux familles, et qu’il précéda les mariages de leurs enfants, ce qui le reporteroit avant l’année 1389.
[32] Généal. ms.
[33] Généal. ms.
[34] Anselme, VII, 583 D. — Clerembaut portoit burelé d’argent et de sable, de dix pièces. Généal. mss.
En prenant cette date comme la dernière où nous trouvions Geoffroy, — et il est probable que les mariages de ses enfants avec ceux de sa seconde femme, qui sont postérieurs, se firent de son vivant, — il seroit toujours certain qu’il a vécu sous les règnes de Philippe vi de Valois, de Jean ij, de Charles v et de Charles vi ; mais je ne puis dire en quelle année il est mort, car je ne crois pas qu’il faille lui rapporter la mention du « Geoffroy de La Tour, esc., avec dix-neuf autres », cité[35] parmi les capitaines ayant assisté au siége de Parthenay, qui fut fini au mois d’août 1419. Outre la qualité d’écuyer, tandis que depuis longtemps Geoffroy est toujours qualifié de chevalier banneret, les dates seroient à elles seules une assez forte raison d’en douter ; en effet, les années comprises entre 1416 et 1346, première année où il soit question de Geoffroy, forment un total de 73 ans, et, comme au siége d’Aiguillon, en 1346, on ne peut pas lui supposer moins de vingt ans, il faudroit admettre qu’il se battoit encore à 93 ans, ce qui est à peu près inadmissible. Il faut croire que c’est un de -xviij- ses fils. On n’en indique partout qu’un seul ; mais il est certain qu’il en a eu au moins deux, puisque, dans son livre, nous le verrons mentionner plusieurs fois ses fils. Pour terminer ce qui le concerne, j’ajouterai que la généalogie manuscrite le qualifie de seigneur de Bourmont, de Bremont et de Clervaux en Bas-Poitou, et que Le Laboureur[36] le qualifie de baron de La Tour Landry, de seigneur de Bourmont, Clermont et Frigné, et de fondateur de Notre-Dame-de-Saint-Sauveur, près de Candé, ordre de Saint-Augustin. La Croix du Maine, I, 277, le qualifie de sieur de Notre-Dame de Beaulieu, ce qui est vrai, tirant sans doute ce titre du propre livre de notre auteur[37]. Nous ne doutons pas qu’il ne se trouve plus tard d’autres mentions relatives à Geoffroy. Dans d’autres histoires généalogiques, mais surtout dans des pièces conservées aux Archives de l’Empire et aussi dans celles d’Angers, il est impossible qu’il ne s’en trouve pas incidemment de nouvelles mentions ; mais il auroit fallu trop attendre pour avoir tout ce qui peut exister, et ce premier essai pourra même servir à faire retrouver le reste.
[35] Dom Morice, Preuves, II, col. 991.
[36] Il l’appelle Georges ; mais il ne s’agit pas d’un autre, puisqu’il lui donne Jeanne de Rougé pour femme et Charles pour fils.
Nous pourrions arrêter ici ces détails généalogiques ; mais il est difficile de ne pas dire quelques mots de ceux-là mêmes pour lesquels Geoffroy avoit écrit, et, comme sa descendance mâle s’est éteinte au bout d’un siècle, de l’indiquer jusqu’au moment où le nom, encore existant, de La Tour Landry, -xix- a été transporté dans une autre famille par un mariage. Sur toute cette descendance, M. Pichon a trouvé dans des pièces manuscrites les plus curieux et les plus abondants détails, notamment toute la procédure de l’enlèvement d’une La Tour Landry ; il a tous les éléments d’une étude de mœurs historiques très intéressante et qu’il seroit malheureux de ne pas lui voir exécuter. Pour notre sujet, qui se rapporte plus particulièrement à Geoffroy et à son œuvre, quelques indications suffiront.
Charles de La Tour Landry se maria deux fois, d’abord à Jeanne de Soudé[38], ensuite, le 24 janvier 1389[39], à Jeanne Clerembault, fille de Marguerite des Roches, seconde femme de Geoffroy, cette fois avec la clause que, si Jeanne Clerembault demeuroit héritière de sa maison, Charles et ses hoirs, issus de ce mariage, porteroient écartelé de La Tour et de Clerembault, ce qui n’arriva pas, parceque Gilles Clerembault, frère de Jeanne, devenu beau-frère de Charles de La Tour, continua la postérité. La généalogie manuscrite fait mourir Charles de La Tour au mois d’octobre 1415, à la bataille d’Azincourt, et, en effet, nous trouvons « Le seigneur de La Tour » dans « les noms des princes, grans maîtres, seigneurs et chevaliers franchois qui moururent à la bataille d’Azincourt », donnés par Jean Lefebvre de Saint-Remy à la suite de son récit[40]. Nous avons déjà parlé[41] -xx- d’un Geoffroy de La Tour, figurant au siége de Parthenay en 1419, et probablement fils de l’auteur des Enseignements. Peut-être faut-il encore regarder comme un autre de ses fils un Hervé de La Tour, qui servoit comme gendarme en novembre 1415 dans la compagnie d’Olivier Duchâtel, en décembre de la même année dans celle de Jehan du Buch ; en juin 1416 dans celle de Jehan Papot[42]. Cependant nous trouvons à la fin de la traduction de Caxton, dont nous dirons plus tard la scrupuleuse exactitude, cette phrase : as hit is reherced in the booke of my two sonnes, absente de nos manuscrits, mais qui devoit se trouver dans celui suivi par Caxton, et établiroit qu’en 1371 notre auteur n’avoit que deux fils.
[38] Généal. ms. 2.
[39] Généal. ms. 2. La Gén. 1. ne parle pas du nom de sa première femme. — Anselme, VII, 583 D.
[40] Ed. Buchon, dans le Panthéon, ch. lxiv, p. 402. — Monstrelet le cite aussi ; Paris, 1603, in-fol. I, 230 vo.
[42] Dom Morice, Preuves, II, col. 911, 913, 923.
Quant aux filles, elles doivent avoir été au nombre de trois ; en effet, si aucun des manuscrits que nous avons vus ne paroît avoir appartenu à Geoffroy, — et il seroit difficile d’en être sûr, à moins d’y trouver ses armes et celles de Jeanne de Rougé, ou même de Marguerite Desroches, — toutes les fois qu’il y a une miniature initiale, on y voit toujours trois filles, et il n’est pas à croire que cette ressemblance ne soit pas originairement produite par une première source authentique. Malheureusement je n’en puis nommer qu’une, Marie de La Tour Landry, qui épousa en 1391[43], le 1er novembre[44], Gilles Clerembault, fils de la seconde femme de Geoffroy et frère de la femme de Charles, fils de Geoffroy. Gilles Clerembault étoit chevalier, seigneur de la Plesse, et n’eut pas -xxj- d’enfants[45] de Marie de La Tour, morte évidemment avant 1400, puisque, le 15 octobre 1400, il épousa Jeanne Sauvage, qui lui survécut[46].
[43] Généal. mss.
[44] Anselme, ut supra.
[45] Généal. mss.
[46] Anselme, ut supra.
Charles de La Tour Landry eut pour fils, N…, que les généalogies manuscrites font figurer, comme son père, à la bataille d’Azincourt, en disant qu’il mourut peu après de ses blessures, sans laisser d’enfants ; Ponthus, qui resta le chef de la famille ; et trois autres fils[47], Thibaud, Raoulet et Louis, morts tous trois sans laisser d’enfants. Charles eut aussi au moins une fille, nommée Jeanne, peut-être l’aînée de tous, puisqu’on la cite la première[48]. Il se peut qu’elle ait été mariée deux fois, car c’est peut-être elle qu’il faut reconnoître dans la Jeanne de La Tour Landry, dame de Clervaux, qui fut femme de Jean ou Louis de Rochechouart[49]. Ce qu’il y a de sûr, c’est qu’elle fut la première femme de Bertrand de Beauvau[50], seigneur de Précigny, Silli-le-Guillaume et Briançon, qui devint conseiller et chambellan du roi, président en sa chambre des comptes à Paris, grand-maître de Sicile et sénéchal d’Anjou. Il sortit de ce mariage -xxij- trois fils et trois filles[51], et Jeanne étoit morte vers 1436, puisque ce fut par contrat du 2 février 1437[52] que Bertrand se remaria à Françoise de Brezé ; non seulement il survécut encore à celle-ci, mais, après avoir épousé en troisièmes noces Ide du Châtelet, il épousa en quatrièmes noces Blanche d’Anjou, fille naturelle du roi René, et « les armes de toutes ces alliances sont remarquées dans les églises des Augustins, Cordelières, Carmes et Jacobins d’Angers, où le corps de ladite Jeanne receut sepulture, ce qui est justifié par son tombeau[53]. »
[47] Généal. ms. 2.
[48] Généal. mss. — Le Laboureur, p. 80.
[49] Anselme, IV, 564 B et 653 B, C. — Leur fille Isabeau épousa Renaud Chabot, qui eut un grand procès contre le seigneur de La Tour Landry au sujet de la justice de Clervaux, obtint, le 20 juin 1464, pour lui et son fils aîné, rémission d’un meurtre commis à cette occasion, et mourut vers 1476. — Anselme, ibid.
[50] D’argent, à quatre lions de gueules, cantonnez, armez et lampassez d’or, à une étoile d’azur en cœur. — Sur un beau manuscrit des Ethiques en françois, qui lui a appartenu, cf. M. Paulin Paris, Manuscrits françois, t. IV, 330-2.
[51] Voir le détail dans la Chesnaye des Bois, in-4o, II, 318.
[52] Anselme, VIII, 270 E.
[53] Généal. ms. 1.
Pour Ponthus, nous savons qu’il fut chevalier, seigneur de La Tour Landry, de Bourmont, du Loroux-Bottereau et baron de Bouloir en Vendomois[54] ; il donna en 1424 aux prieur et couvent de Saint-Jean l’Evangéliste d’Angers la dixme des grains de sa terre de Cornoailles[55], par acte signé de Jean de Lahève « ainsi qu’il est remarqué au trésor des tiltres de Chasteaubriant[56] », et il possédoit aussi une terre que le duc de Bretagne lui confisqua, parcequ’il tenoit le parti d’Olivier de Chatillon[57]. Ce doit être lui qui se rendit otage à Nantes pour répondre de l’exécution du mariage (21 mars 1431) entre le comte de Montfort et Yoland, fille de la reine de Sicile[58], et qui reçut ensuite une coupe dorée, en même temps que sa femme -xxiij- et sa fille recevoient d’autres présents[59]. C’est aussi probablement lui que cite l’auteur de l’histoire d’Artus, duc de Bretaigne, dans l’énumération de ceux qui se sont trouvés à la bataille de Formigny[60], le 15 avril 1450.
[54] Généal. ms. 1, 2.
[55] Généal. ms. 2.
[56] Généal. ms. 1.
[57] Généal. ms. 2.
[58] Histoire de Bretagne, par Dom Lobineau, Paris, in fol., I, 1706, p. 588.
[59] Dom Lobineau, Preuves, col. 1018 ; Dom Morice, Preuves, II, col. 1232-3.
[60] Collection Michaud et Poujoulat, 1re série, III, 226.
Il est aussi bien à croire que c’est lui qui a fait écrire par quelque clerc le roman de chevalerie de Ponthus, fils du roi de Galice, et de la belle Sidoine, fille du roy de Bretaigne, souvent réimprimé ; c’étoit un moyen de populariser l’illustration de la famille et d’en faire reculer très loin l’ancienneté, — Bourdigné, comme on l’a vu, s’y est laissé prendre, — que de la mettre au milieu d’une action à la fois romanesque et à demi historique. Les La Tour Landry ont voulu avoir aussi leur roman, comme les Lusignan avoient Mélusine. Nous n’avons pas à entrer dans le détail de ce très pauvre roman, qui se passe en Galice, en Bretagne et en Angleterre, ni à suivre les péripéties des amours de Ponthus et de Sidoine, traversées par les fourberies du traître Guennelet et enfin couronnées par un mariage. Ce qu’il nous importe de signaler c’est la certitude de l’origine de ce roman. Le héros de l’histoire porte le nom fort particulier d’un des membres de la famille, et, parmi ses compagnons, se voit toujours au premier rang Landry de La Tour. Tous les noms propres sont de ce côté de la France ; ce sont : Geoffroy de Lusignan, le sire de Laval, d’Oucelles et de Sillié, Guillaume et Benard de la Roche, le sire de Doé, Girard de Chasteau-Gaultier, Jean -xxiv- Molevrier. Les quelques noms de localités françoises concourent aussi à la même preuve : c’est à Vannes que se fait le grand tournois, et, quand l’armée se réunit, c’est à la tour d’Orbondelle, près de Tallemont ; or Talmont est un bourg de Vendée (Poitou) situé à 13 kil. des Sables. Un passage donneroit peut-être la date exacte de la composition du roman, c’est lorsque, pour réunir une armée contre les Sarrasins, on écrit à la comtesse d’Anjou : car, dit le romancier, le comte étoit mort et son fils n’avoit que dix ans. Mais c’est trop long-temps m’arrêter à ce livre, qu’il étoit pourtant nécessaire de signaler[61].
[61] Pour les nombreuses éditions, et les traductions en anglois et en allemand du roman de Ponthus, voyez l’excellent article de M. Brunet, III, 812-4.
L’on ne connoît que deux enfants de Ponthus, Blanche et Louis Ier du nom. Blanche épousa Guillaume d’Avaugour, seigneur de La Roche Mabile, de Grefneuville et de Mesnil Raoulet, bailly de Touraine, veuf de Marie de Coullietes, femme en premières noces de Gilles Quatrebarbes[62]. On donne ordinairement cette Blanche comme fille de Louis 2e du nom[63] ; mais la remarque de d’Hozier[64] est formelle sur ce point : « Bien que les mémoires de la maison de La Tour Landry remarquent icelle Blanche de La Tour estre issue de Louis et de Jeanne Quatrebarbes ; néanmoins tous les tiltres que j’ay me persuadent le contraire, et particulièrement l’arrest, sur requeste, du Parlement de Paris, que ladite Jeanne -xxv- Quatrebarbes, demeurée veufve, obtint, le dernier jour de décembre 1453, contre Blanche de La Tour, aussy veufve, où il est porté en termes exprès qu’elle estoit sœur de feu Louis de La Tour, mary de Jeanne Quatrebarbes. » Quant à Louis de La Tour, chevalier, baron dudit lieu et du Boulloir, seigneur de Bourmont, la Gallonnère, de la Cornouaille, de Clervaux, Rue d’Indre et Dreux le Pallateau, il épousa en 1430 Jeanne Quatrebarbes, dame de La Touche Quatrebarbes, etc., fille de Gilles Quatrebarbes et de Marie de Coullietes[65]. Louis étoit mort avant 1453, et, le 22 juin 1455, sa veuve, en présence de son fils Christophe, ratifie un acte fait le 6 juin précédent par son procureur et le procureur de Blanche de la Tour, veuve de Guillaume d’Avaugour[66]. En 1458 elle fit son testament, et nomma pour ses exécuteurs testamentaires René, Christophe et Louis, ses enfants[67].
[62] Généal. ms. 1. — Avaugour, d’argent au chef de gueules.
[63] Généal. ms. 2. — Le Laboureur, p. 80.
[64] Généal. ms. 1.
[65] Généal. ms. 1, qui donne tous les titres de Jeanne Quatrebarbes.
[66] Généal. ms. 1.
[67] Des extraits de ce testament et de quelques autres pièces postérieures sont joints à la Généal. ms. 1.
On vient de voir les noms des trois fils de Louis ; un quatrième, Geoffroy[68], paroît être mort de bonne heure, puisqu’il n’a pas laissé de traces. Pour René, il se démit en 1438 de ses biens, sauf les seigneuries de la Gallonnère et de Cornouaille, en faveur de Christophe, son frère puîné, ainsi qu’il est verifié dans le trésor des titres de Châteaubriant[69], se fit prêtre et -xxvj- mourut le 4 mai 1498[70]. Pour Christophe, Bourdigné[71] nous apprend qu’en 1449 il se trouva au siége de Rouen avec le duc de Calabre, fils du roi René, qui étoit allé secourir son père. En 1460, il transigea pour des terres avec Pierre d’Avaugour, fils de Guillaume et de Blanche de la Tour ; en 1463, il donna procuration audit Pierre de recevoir les foi et hommage dus à ses terres ; en 1469, il rend adveu de la terre du Genest au comte de Monfort, et, la même année, fonde dans l’église du Genest des prières à dire le jour de la Toussaint, avant la grand’messe, pour les âmes de ses prédécesseurs[72]. Il mourut sans enfants, puisque ce fut Louis, 2e du nom, qui resta chef de la famille. Il avoit épousé Catherine Gaudin, fille d’Anceau, sieur de Pasée ou Basée, et de Marguerite D’Espinay Lauderoude, maison alliée à celle de Laval[73].
[68] Le Laboureur (page 80), qui le cite avant ses frères.
[69] Généal. ms. 1.
[70] Généal. ms. ; Le Laboureur, p. 80.
[71] Hystoire agrégative d’Anjou, f. cxlix. vo.
[72] Généal. ms. 1.
[73] Généal. ms. 1.
C’est en lui que s’éteignit la descendance mâle de notre Geoffroy, car Louis n’eut que des filles. On a vu que Blanche, dont on le faisoit le père, n’étoit pas sa fille, mais sa tante ; ses filles furent Françoise et Marguerite, « femme de René Bourré[74], seigneur de Jarzé, dont la postérité est tombée dans la maison Du Plessis des Roches Pichemel, de laquelle est M. le marquis de Jarzé[75]. » Quant à Françoise, fille aînée et principale héritière de son père Louis, elle épousa, le 30 juillet 1494, Hardouin de Maillé, 10e du nom, -xxvij- né en 1462. Il s’obligea de prendre le nom et les armes de La Tour, sous peine de 50,000 écus ; mais, après la mort de ses frères sans hoirs mâles, il se déclara aîné de sa maison, et François Ier releva ses descendants de cette obligation, leur permettant de reprendre le nom et les armes de Maillé, en y ajoutant le nom de La Tour Landry[76]. » Les armes de Maillé sont bien connues, d’or à trois fasces ondées de gueules ; mais celles de La Tour Landry le sont bien moins, précisément à cause de l’abandon qui en fut fait. Le Laboureur (p. 80) dit qu’elles sont d’or à une fasce crenelée de 3 pièces et massonnée de sable ; Gaignières, qui les a dessinées et blasonnées de sa main sur un feuillet de papier, passé, comme toute la partie héraldique de sa collection, dans les dossiers du Cabinet des titres, nous donne de plus l’émail de la fasce, qui étoit de gueules. La description qui s’en trouve en tête des généalogies manuscrites a un détail différent : elle indique la fasce comme bretessée, c’est-à-dire crénelée, de trois pièces et demie. Il n’est pas rare de trouver une fasce crénelée de deux pièces et deux demi-pièces ; dans le cas de trois pièces et demie, il faudroit, sa place n’étant pas indiquée, mettre la demi-pièce à dextre ; mais nous préférons nous tenir à la première armoirie, qui est la plus probable, puisqu’elle ne sort pas des conditions ordinaires.
[74] D’argent à la bande fuselée de gueules. — Généal. ms. 1.
[75] Le Laboureur, p. 80.
[76] Anselme, VII, 502 ; et La Chesnaye des Bois, IX, 314.
-xxviij-
Dès les premiers mots de son ouvrage, Geoffroy de La Tour Landry a pris soin de nous apprendre la date de sa composition, par la façon dont il entre en matière : « L’an mil trois cens soixante et onze. » Si la mention du printemps n’est pas, comme il est possible, tant elle est dans le goût des écrivains de l’époque, une pure forme littéraire, ce seroit même au commencement de l’année, puisqu’il parle de l’issue d’avril[77]. Le livre ne fut fini qu’en 1372, car nous y trouvons cette date mentionnée formellement[78], et nous n’aurions pas même besoin de cela pour en être sûr, puisqu’à un autre endroit il est parlé de la bataille de Crécy comme ayant eu lieu « il y a xxvj ans » ; comme elle s’est donnée, ainsi qu’on sait, le 26 août 1346, les vingt-six ans nous auroient toujours donné cette même date de 1372.
[77] Pâques étant cette année-là le 6 avril, il n’y a pas lieu de changer la date de 1371 en celle de 1370.
[78] « Je vous en diray une merveille que une bonne dame me compta en cest an, qui est l’an mil trois cens lxxij. » (Ch. xlix p. 103.)
Il y a aussi une remarque curieuse à faire sur cette préface, c’est qu’elle a été écrite en vers, et Geoffroy, sans le vouloir, a pris soin de nous le faire toucher du doigt, quand il dit (v. p. 4) qu’il ne veut point mettre ce livre en rime, mais en prose, afin de l’abréger, c’est-à-dire de le faire plus court et plus -xxix- rapidement. C’est la preuve la plus complète qu’il a voulu d’abord l’écrire en vers, puisqu’on retrouve dans tout ce qui précède cette remarque, non seulement une mesure régulière, mais presque toutes les rimes, tant il l’a peu changé en le transcrivant en prose. Pour le montrer, il suffit d’en imprimer une partie de cette façon ; avec des changements absolument insignifiants, on retrouve toute la phrase poétique :
On pourroit encore continuer pendant plus d’une page ; mais ceci suffit pleinement à la démonstration. -xxx- Du reste, nous savons de Geoffroy lui-même qu’il avoit écrit en vers : car, quelques lignes après ce que nous venons de citer, il continue — je rétablis encore la forme des vers primitifs :
Sans chercher d’exemples plus anciens, ceux de Quènes de Béthune, de Thibault de Champagne et de tant d’autres, il est moins rare qu’on ne penseroit de trouver à cette époque des grands seigneurs ayant écrit en vers. Ainsi, l’historien du grand maréchal de Boucicaut, né en 1368, et fils de celui que connut notre Geoffroy, parle ainsi de lui : « Si preint à devenir joyeux, joly, chantant, et gracieux plus que oncques mais, et se preint à faire balade, rondeaux, virelays, lais et complaintes d’amoureux sentiment, desquelles choses faire gayement et doulcement Amour le feist en peu d’heures un si bon maistre que nul ne l’en passoit ; si comme il appert par le livre des cent ballades, duquel faire luy et le seneschal d’Eu feurent compaignons au voyage d’oultre mer… Jà avoit choisy dame… et, quand à danse ou à feste s’esbatoit où elle feut, là… chantoit chansons et rondeaux, dont luy mesme avoit fait le dit, et les disoit gracieusement pour -xxxj- donner secrètement à entendre à sa dame en se complaignant en ses rondeaux et chansons comment l’amour d’elle le destraignoit[79]. » Nous ne connaissons aucune pièce de notre Geoffroy ; mais il est possible qu’il y en ait dans les recueils faits au xve siècle, et, s’il s’en trouvoit portant comme suscription le nom de messire Geoffroy, on pourroit les lui attribuer.
[79] Le livre des faicts du bon messire Jean le Maingre, dit Boucicaut, maréchal de France et gouverneur de Gennes, 1re partie, ch. ix. — Collect. Michaud et Poujoulat, 1re série, t. II, p. 221.
Non seulement il n’écrivit pas ses Enseignements en vers, mais il ne paroît pas les avoir écrits tout entiers lui-même : car dans ce même prologue il nous dit (p. 4) qu’il emploie deux prêtres et deux clercs qu’il avoit à extraire de ses livres, « comme la Bible, Gestes des Roys et croniques de France et de Grèce et d’Angleterre et de maintes autres estranges terres », les exemples qu’il trouve bons à prendre pour faire son ouvrage. Dans tous les cas, l’esprit du temps étoit trop porté à se servir éternellement des faits de la Bible, de l’Évangile et de la Vie des Saints, pour que Geoffroy, n’eût-il employé personne, eût échappé à cette condition de son époque ; mais c’est à l’inspiration toute religieuse de ces aides que nous devons la prédominance, excellente d’intention, mais littérairement regrettable, des histoires tirées de la Bible, qui ne nous apprennent rien. La division en neuf fautes du péché de notre première mère doit être aussi de leur fait, et je verrois encore une trace de leur collaboration dans -xxxij- la manière dont le plan annoncé n’est pas suivi d’une façon régulière : car, en plus d’un endroit, l’on trouve qu’il sera parlé d’abord de telle nature d’exemples et ensuite de telle autre, et, quand cela est fini, le livre revient sur ses pas pour reprendre une partie qui avoit paru complète. Quoi qu’il en soit, que la quantité de ces exemples pieux et leur phraséologie lente, et tout à fait analogue à celle des sermons du même temps, soient ou non du fait des aides du chevalier ou du sien, la valeur et l’intérêt du livre ne sont pas là. Si tout en étoit de cette sorte, il ne serviroit à rien de le remettre en lumière, car ces histoires pieuses n’ont en elles aucune utilité, pas même celle de donner l’esprit du temps ; celui-ci est assez bien connu pour qu’on n’ait sur ce point nul besoin d’un nouvel exemple, et le livre n’est pas assez ancien pour être important comme monument de la langue, en dehors de sa valeur particulière. Ce par quoi il est curieux, c’est par les histoires contemporaines qu’il raconte ; c’est en nous montrant dans le monde, si l’on peut se servir de cette expression toute moderne, des personnages historiques et guerriers, comme Boucicaut et Beaumanoir, en les faisant agir et parler ; c’est en nous entretenant des femmes et des modes de son temps, et, toutes les fois qu’il parle dans ce sens, soit que ces parties soient les seules écrites par le chevalier même, soit qu’elles lui fussent plus heureuses, son style s’allégit et prend réellement de la forme et du mouvement ; si même tout en étoit de cette sorte, son intérêt et son importance en seroient singulièrement augmentés.
Il a, du reste, eu peu de bonheur auprès de quelques -xxxiij- uns de ses juges. L’auteur de la Lecture des Livres françois au xive siècle[80], Gudin dans son histoire des contes[81], et Legrand d’Aussy dans une notice spéciale[82], qui, par là même, auroit dû être plus étudiée et plus juste, en portent un jugement à peu près aussi peu intelligent. Pour eux, le livre n’est composé que de capucinades ou d’obscénités. Sans y voir de capucinades, je conviendrai que tout le monde gagneroit à ce que la Bible eût été moins largement mise à contribution ; mais il n’est pas possible de trouver le livre obscène, non seulement d’intention, mais de fait. Ils se fondent sur les deux histoires de ceux qui firent fornication en l’église, sur quelques réflexions et sur quelques conclusions peut-être un peu simples et même maladroites ; mais il y a loin de là à ce qu’ils disent. Il seroit d’abord difficile d’admettre qu’un homme évidemment bien élevé et des meilleures façons de son temps, versé à la fois dans le monde et dans les livres, et qui, de plus, est le père de celles à qui il s’adresse, eût été moins réservé qu’on ne l’étoit autour de lui. De plus, en dehors de quelques passages, plutôt naïfs que grossiers, il fait preuve, au contraire, d’une délicatesse singulière : ainsi il seroit difficile de trouver à cette époque une analyse et une appréciation plus fines et en même temps plus honnêtes des sentiments que les raisons mises -xxxiv- par lui dans la bouche de sa femme, lorsqu’il a avec elle cette conversation qui forme un des plus longs et des meilleurs chapitres. Mais, pour dire qu’il y a dans ce livre même des grossièretés, il faut ne pas penser à ce qu’étoit la chaire à cette époque, ne pas penser à ce qu’étoient les fabliaux ; or les femmes entendoient les sermons à l’église, les fabliaux dans leurs châteaux ou dans leurs maisons, où l’on faisoit venir les jongleurs. Dans ces siècles, les femmes, pour ainsi dire à aucune époque de leur vie, n’ignoroient la chose ni les mots ; l’honnêteté étoit dans la conduite et n’étoit pas encore arrivée jusqu’aux formes du langage. Il seroit plus vrai de dire, en considérant la question en connoissance de cause, que le livre du chevalier témoigne, au contraire, d’un sentiment de réserve qu’il ne seroit, à cette époque, pas étonnant d’en trouver absent.
[80] Mélanges tirés d’une grande bibliothèque, in-8, vol. D, 1780, p. 94-6.
[81] Elle forme le 1er vol. de ses Contes. Paris, Dabin, 1804, 2 vol. in-8, I, 101-8.
[82] Notice des manuscrits de la Bibliothèque, in-4o, t. V, an 7, p. 158-166.
Il y auroit encore bien d’autres choses à dire sur le livre même ; à montrer, comme Caxton et le traducteur allemand l’ont déjà dit, que Geoffroy n’a pas seulement fait un livre pour de jeunes filles, mais un livre général qui s’applique à toute la vie des femmes. Il y auroit à examiner surtout les idées d’éducation et de morale qui en ressortent, et la forme sous laquelle elles sont présentées ; mais il seroit nécessaire de beaucoup citer, et, comme les conclusions à tirer ressortent naturellement de la lecture elle-même, il vaut d’autant mieux les laisser faire au lecteur, que le but d’une préface doit être beaucoup moins de juger complétement l’ouvrage, et d’en rendre la lecture inutile, que de donner les renseignements et de résoudre les questions de fait que le livre ne peut -xxxv- donner lui-même et que le lecteur ne doit pas avoir à chercher. Je dirai seulement que l’ouvrage doit moins rester dans la classe des livres si nombreux écrits pour des éducations spéciales — il y seroit par trop loin du Discours sur l’Histoire universelle et du Télémaque — qu’être joint aux livres si curieux qui sont consacrés durant tout le moyen-âge à la défense ou à l’attaque des femmes. Il y tiendra sa place, du côté honnête et juste, auprès du livre de Christine de Pisan, du Ménagier de Paris, — plus piquant peut-être parcequ’il est plus varié et s’occupe de la vie matérielle, mais plus bourgeois et moins élevé de ton et d’idées, — auprès d’autres livres encore qu’il est inutile d’énumérer ici. Tous ceux qui s’occuperont de l’histoire des sentiments ou de celle de l’éducation ne pourront pas ne point en tenir compte et ne pas le traiter avec la justice qu’il mérite.
Enfin, il est encore nécessaire d’ajouter que nous savons à n’en pouvoir douter, car nous l’apprenons de notre Geoffroy, qu’il avoit écrit un livre semblable pour ses fils. Il le dit positivement au commencement : « Et pour ce… ay-je fait deux livres, l’un pour mes fils, et l’autre pour mes filles, pour apprendre à roumancier[83]… » Dans deux autres passages[84] il y fait de nouveau allusion : « Par celluy vice l’en entre en trestous les autres vij vices mortels, comme vous le trouverez plus à plain ou livre de voz frères, là où il parle comment un hermite qui eslut celluy péchié de gloutonie et le fist et s’enyvra, -xxxvj- et par celluy il cheist en tous les vij pechiez mortels, et avoit cuidié eslire le plus petit des vij » ; et plus loin, quand il parle du Christ portant sa croix, qui se retourne vers les saintes femmes, « et leur monstra le mal qui puis avint au pays, si comme vous le trouverez ou livre que j’ai fait à voz frères ». Le meilleur manuscrit de Paris avoit remarqué ce fait, car il met ici en marge cette remarque : « Notez qu’il fist ung livre pour ses filz. » Il falloit aussi que dans un manuscrit, probablement plus exact ou plus voisin du premier original, il y en eût une autre mention, précisément à la fin ; car nous trouvons dans la fidèle traduction de Caxton cette phrase, que nous avons déjà eu occasion de citer dans la partie généalogique : « as it is reherced in the booke of my two sonnes and also in an evvangill. »
Malheureusement nous ne savons ce qu’est devenu ce second livre du chevalier, écrit sans doute dans le même goût que ses Enseignements à ses filles, qui devoit être aussi composé de récits pris dans les histoires et les chroniques et d’aventures contemporaines. Peut-être devons-nous sa perte et le peu de succès qu’il paroît avoir eu — car nous n’en avons trouvé de mention nulle part — à ce que le bon chevalier y aura trop laissé faire à ses chapelains, et que le livre, ainsi presque uniquement rempli par de trop réelles répétitions, n’a pas eu assez d’intérêt pour sortir du cercle pour lequel il avoit été fait. Il est vrai de dire aussi que, son point de vue étant général, — des histoires masculines sont des histoires de toutes sortes — il se trouvoit avoir à lutter, pour -xxxvij- faire son chemin, contre tous les recueils de contes, tandis qu’une réunion d’histoires uniquement féminines, étant quelque chose de plus rare et de plus nouveau, a eu plus de chances pour sortir de la foule et pour demeurer en lumière.
Quoi qu’il en soit, il existe peut-être encore en manuscrit, mais sans le nom de son auteur, au moins d’une manière formelle, soit sur le titre, soit dans l’introduction ; et le chevalier, qui, comme on l’a vu, ne révisoit pas le travail de ses aides avec assez de soin pour lui donner une disposition et une forme générale bien assises, et n’a pas mis de fin au livre de ses filles, a bien pu ne pas écrire de prologue pour le livre de ses fils. Mais l’on auroit deux points de repère qui feroient reconnoître à peu près à coup sûr le second ouvrage : ce sont les deux histoires citées, celle de l’hermite qui tomba dans tous les péchés pour s’être abandonné à la gourmandise comme au plus petit, et celle du Sauveur portant sa croix, prédisant aux saintes femmes le mal qui devoit arriver au pays, c’est-à-dire la ruine du Temple et la dispersion des Juifs. J’ai parcouru, sans rien trouver qui me satisfît, quelques uns des recueils anonymes d’histoires qui ont été écrits en grand nombre vers cette époque ; d’autres seront plus heureux que moi.
La Bibliothèque impériale possède, à ma connoissance, sept manuscrits du livre du chevalier de -xxxviij- La Tour. Je vais les décrire brièvement, en les rangeant, non dans l’ordre de leurs numéros, mais selon l’époque de leur transcription et selon leur valeur relative.
Le plus ancien est le no 7403 du fonds françois. Il est en parchemin, de format in-folio mediocri, et écrit sur deux colonnes de trente lignes. Il a 140 feuillets, dont les trois premiers sont occupés par la table, les feuillets 5 à 128 par le texte, et les feuillets 128 à 140 par l’histoire de Griselidis. Le premier feuillet est tout encadré d’ornements courants ; dans la miniature, le chevalier, assis sur un banc de gazon, est vêtu d’une jaquette très courte et coiffé d’un bonnet lilas, découpé de la façon la plus extravagante et la moins analogue aux conseils du livre sur la simplicité à avoir dans sa toilette. Les trois filles, en robes à longues manches, sont toutes trois debout ; l’aînée a seule une ceinture, et la troisième a la tête nue. Les lettres capitales sont bleues à dessins rouges. Quoique le plus ancien, et certainement du commencement du xve siècle, l’adjonction, toute convenable d’ailleurs, de Griselidis, prouveroit que le manuscrit n’est qu’une copie et n’a pas été fait pour l’auteur lui-même ; malgré cela — et maintenant pour reconnoître sûrement un manuscrit fait pour l’auteur, il faudroit y trouver ses armes et celles de l’une de ses deux femmes — celui-ci est excellent et le meilleur de tous, avec celui de Londres, dont nous parlerons plus loin.
Le manuscrit qui vient après celui-là, et que j’ai connu le dernier, porte le no 1009 du fonds de Gaignières. Il est in-folio mediocri sur parchemin, à -xxxix- deux colonnes de trente-six lignes, et a 91 feuillets, dont 82 de texte, 2 de table et 7 pour l’histoire de Griselidis. La miniature est très grossière et peut même avoir été ajoutée postérieurement.
Dans le no 70731 du fonds françois, le livre du chevalier de La Tour n’est qu’une partie ; on peut voir, pour l’indication des ouvrages qui l’accompagnent, la description que M. Paulin Paris en a faite dans ses Manuscrits françois (V, 1842, p. 71-86). Qu’il suffise ici de dire que dans ce volume notre texte et la table des chapitres occupent, sur deux colonnes de 35 lignes en moyenne, les feuillets 55 à 122[85]. La copie en est très inexacte, et le scribe n’a pas dû être payé à la page, mais à forfait, car pour avoir plus tôt fini, il ne s’est pas fait faute de sauter des parties de phrase, dont l’absence n’ajoute pas à la clarté. Il doit même avoir tourné des feuillets de son original ; car, sans que ses cahiers soient incomplets, on trouve deux fois dans sa copie une lacune qui correspond à celle d’un feuillet, et qui, la seconde fois, porte sur une des histoires les plus intéressantes, celle de Mme de Belleville, dont il n’a transcrit que la fin. La langue commence déjà à s’y modifier. Une mention écrite sur la dernière feuille de garde porte qu’il a appartenu à Guillaume du Chemin, de Saint-Maclou de Rouen ; sur la première feuille de garde est collé l’écu des Bigot, d’argent à un chevron de sable, chargé en chef d’un croissant d’argent et accompagné de trois roses, posées deux -xl- en chef et une en pointe ; on y lit aussi le nom de Thomas Bigot, père d’Emeric, et l’écu est répété sur le dos de la reliure ; ce volume portoit dans leur bibliothèque le no 148[86]. J’oubliois de dire qu’il y a une miniature initiale en camaïeu, mais sans importance.
[85] En marge du feuillet 86 on lit les deux noms : « Maistre Robert le Moyne » et « Guillaume Saro, escuyer, dem. à Sainct… »
[86] Bibliot. Bigotiana, 1710, in-12, pars quinta, p. 10-11.
Le manuscrit de Saint-Victor, no 853, relié en 1852, en maroquin rouge, avec le R. F. de la dernière République, est sur parchemin, de format petit in-fo carré, à 39 longues lignes par page et d’une grosse écriture de la fin du xve siècle. Les deux premiers feuillets sont occupés par une table divisée en 89 chapitres ; le premier feuillet du texte, qui porte en haut la signature Dubouchet, 1642, a une détestable miniature, et, sur la marge, deux écussons en losange, partis, à dextre, d’or à la croix contre-herminée, et, à senestre, de gueules à trois fasces de vair à la bordure d’or. Nous ne savons à qui appartiennent ces armes ; nous ferons remarquer seulement que les maisons de Mercœur en Auvergne et de Royère en Limousin portent de gueules à trois fasces de vair[87]. Les douze derniers feuillets sont occupés par l’histoire de Griselidis, et c’est pour cela que le relieur a mis sur le dos : Miroir des femmes mariées.
[87] Grandmaison, Dictionnaire héraldique, 1852, in-4o, col. 355.
Le no 76731, qui porte dans le fonds Delamarre le no 233, est sur parchemin et petit in-4o à deux colonnes très étroites et de 30 lignes. Il est incomplet en tête de quelques feuillets, et commence au conte de celle qui mangea l’anguille : « [Un exemple vous -xlj- vueil dire sur] le fait des femmes qui mangeoient les bons morceaux en l’absence de leurs maris. » Les derniers feuillets du ms. sont très mutilés ; il est même incomplet de la fin, car le recto du dernier feuillet — le verso est collé sur une feuille de papier qui en soutient les morceaux — s’arrête dans la fin de l’histoire de Catonnet. Les fers de la reliure, qui est du dernier siècle et sans titre sur le dos, paroissent allemands.
Le no 7568 est sur parchemin, de format petit in-4o, et dans sa reliure originale de bois couvert de velours vert et garni autrefois de fermoirs. Il est écrit à longues lignes d’une écriture très cursive et négligée, de la fin du xve siècle ; les feuillets 1 à 125 sont occupés par notre roman, 126 à 134 par la patience de Griselidis, 135 à 139 recto par l’histoire du chevalier Placidas et de son martyre, après lequel il fut nommé saint Eustache, enfin 139 verso à 144 par le Débat en vers du corps et de l’âme, le même dont on trouve une édition dans le recueil que j’ai copié au British Museum et dont la réimpression forme les trois premiers volumes de l’Ancien Théâtre françois. A la fin du Débat se trouve la signature Ledru, évidemment celle du copiste. Le volume a fait partie de la bibliothèque royale du château de Blois, car on lit sur le feuillet de garde : Bloys, et au dessous : « Des hystoires et livres en françoys. Pulo 1o (pulpito primo). — Contre la muraille de devers la court. » Au xviie siècle, on mit sur le premier feuillet le no MCCLIIII, et plus tard les nos 1052 et 7568, qui est le numéro actuel. Au commencement, le chevalier, seul dans son jardin, est peint dans la grande lettre, et -xlij- l’encadrement assez délicat de la page, formé de rinceaux, de fleurs et de fraises, offre deux M, l’un rose, l’autre bleu, et la place, malheureusement grattée, d’un écu d’armoiries.
Le no 3189 du Supplément françois est un petit in folio sur papier, d’une très mauvaise écriture de la fin du xve siècle. Après un traité en françois sur les péchés et les commandements de Dieu, se trouve notre roman, incomplet d’un ou deux feuillets, car il ne commence que dans la première histoire, celle des deux filles de l’empereur de Constantinople, par ces mots : « … toutes foiz qu’elle s’esveilla, et pria devotement plus pour les mors que devant et ne demoura guerres que ung grant roy de Grèce la feist demander, etc. »
Dans les autres bibliothèques de Paris, je n’en connois qu’un manuscrit sur vélin, de la fin du xve siècle et sans importance, à la bibliothèque de l’Arsenal ; il a été indiqué par Hænel dans son catalogue des bibliothèques d’Europe (Lipsiæ, 1830, in-4o, col. 340).
Mais il n’y en a pas de manuscrits qu’en France, car, pendant mon séjour à Londres, j’en ai pu voir et collationner un excellent, aussi bon, sinon même meilleur que notre manuscrit 7403. C’est sur leur comparaison, et en me servant des deux, que j’ai établi le texte que je publie ; ils sont les deux plus anciens, contemporains l’un de l’autre, et ne sont pas écrits dans un autre dialecte, ni même avec une orthographe sensiblement différente, ce qui m’a permis de prendre toujours la meilleure leçon donnée par l’un ou par l’autre, sans craindre d’encourir le reproche -xliij- d’avoir mélangé des formes contraires et mis ensemble des choses opposées. Il se trouve au British Museum, dans la collection du roi[88], où il porte comme numéro la marque : 19 c viii. Ce manuscrit, sur parchemin, est composé de cahiers de huit feuillets avec réclames, à 33 longues lignes à la page, offre 164 feuillets, chiffrés en lettres du temps de son exécution. Le livre de La Tour Landry y occupe les feuillets 1-121 ; le livre de Melibée, par Christine de Pisan, les feuillets 122-146, et l’histoire de Griselidis les feuillets 147-162. Sur deux derniers feuillets, d’abord restés blancs, une main postérieure a ajouté Le codicille Me Jehan de Meung. En tête du texte se trouve une miniature ; le chevalier, vêtu d’une robe bleue à longues manches et tenant un rouleau de papier sur ses genoux, est assis sur un banc de verdure qui fait le tour du pied d’un arbre ; la partie du jardin où il se trouve est entourée d’une haie carrée soigneusement coupée, et le fond n’est pas un paysage, mais un treillis ; quant aux trois filles, toujours debout, l’aînée a une robe rouge avec un col ouvert en fraise et de très longues manches ouvertes ; les robes des deux autres sont rouges pour l’une, couleur de chair pour l’autre, et leurs manches très justes leur recouvrent presque toute la main. Le manuscrit a dû appartenir ensuite à quelque artiste du temps, car les feuillets blancs et les gardes sont couverts de très légers croquis au crayon roux d’hommes armés ou d’hommes et de femmes à cheval.
[88] Cf. Catalogue of the manuscripts of the King’s library, an appendix to the catalogue of the Cottonian library, by David Casey, deputy librarian, 1734, in-4o, p. 298.
-xliv- La bibliothèque de Bourgogne à Bruxelles en possède[89] deux manuscrits sur parchemin (nos 9308 et 9542) ; l’un d’eux a été, sous l’empire, à la Bibliothèque du roi (Belg. no 115), où l’a vu Legrand d’Aussy, qui le cite en tête de sa notice sur le Livre des Enseignements insérée dans le 5e volume des Notices des Manuscrits ; depuis il a fait retour à la Bibliothèque de Bourgogne. Nous ne les connoissons pas ; mais le manuscrit 7403 et celui de Londres sont trop bons, et en même temps trop conformes, pour qu’il nous eût été nécessaire d’en consulter encore d’autres.
[89] Catalogue des manuscrits de la Bibl. royale des ducs de Bourgogne. Bruxelles, in fo, I, 1842 ; Extrait de l’Inventaire général, pages 187 et 191.
Enfin La Croix du Maine[90] nous apprend qu’il avoit aussi par devers lui le livre écrit à la main, et le duc de La Vallière en possédoit aussi un ms., qui forme le no 1338 du catalogue en trois volumes (1783, I, p. 106) : « Le chevalier de La Tour, in-fol., mar. rouge. Beau manuscrit sur vélin du xve siècle, contenant 98 feuillets écrits en ancienne bâtarde, à longues lignes. Il est décoré d’une miniature, de tourneures et d’ornements peints en or et en couleurs. » Il ne fut vendu que 60 livres, bien qu’il fût certainement très supérieur comme texte aux éditions de Guillaume Eustace, qui se vendoient pourtant bien plus cher, comme on le verra tout à l’heure, car nous n’avons plus à parler que des éditions et des traductions de notre auteur.
[90] Edit. de 1772, I, 277.
-xlv-
J’ai dit en commençant qu’il avoit été fait deux traductions angloises du livre des Enseignements. L’une, la plus ancienne, qui remonte au règne de Henri VI, est inédite et est conservée en manuscrit au British Museum, dans le fonds Harléien (no 1764. 67, C.[91]). C’est un manuscrit à 2 colonnes de 41 lignes, d’une excellente et très correcte écriture, malheureusement incomplet de la fin et qui a beaucoup souffert. Le premier feuillet a une lettre ornée et un entourage courant, et tous les chapitres ont une lettre peinte. Au deuxième feuillet, on lit les signatures de deux de ses anciens propriétaires, Paulus Durant et David Kellie, écrites à la fin du xvie siècle et au commencement du siècle suivant ; on trouve même au feuillet 37 cette mention, de la main de Kellie : « James by the grace of God King of England, France and Ireland and of Scotland and defender of the faith. » Dans son état actuel, le manuscrit a 54 feuillets et commence : « In the yere of the incarnacion of our lord m ccc lxxi as y was in a garden all hevi and full of thought… », et se termine dans l’histoire des deux sœurs (p. 238 de notre texte), par les mots : « withoute ani wisete y clothed myself in warme », suivi du mot clothes comme réclame. La traduction est exacte, la langue excellente et certainement bien moins traînante et embarrassée que -xlvj- celle de Caxton. Du reste, ceux qui voudroient avoir de plus complets détails sur cette traduction anonyme pourront en voir d’amples fragments transcrits dans un excellent article de la première Retrospective Review, publiée à Londres il y a une vingtaine d’années[92]. La sévérité angloise paroît avoir empêché l’auteur de citer les histoires les plus curieuses préférablement à celles dont l’honnêteté est la trop unique valeur ; mais ces extraits suffisent pleinement pour faire juger du mérite de la traduction, et c’est pour nous la plus utile partie de leur travail.
[91] Nares, Catalogue of the mss. of the Harleian library, 4 vol. in-fo, London, 1808-15 ; II, p. 208.
[92] Voici le titre exact de cette excellente collection, interrompue malheureusement peu de temps après le volume où se trouve l’article sur le livre des Counsels : The retrospective review, an historical and antiquarian magazine, edited by Henry Southern esq., M. A. of Trinity college, Cambridge, and Nicholas Harris esq., F. S. A., of the Inner Temple, barrister at law in-8o. New series, vol. I, 1827, part. II, p. 177-94. — L’article a été analysé dans notre Revue britannique, 2e série, t. V, 1831, p. 343-61.
La seconde traduction est de Caxton, le plus ancien imprimeur de l’Angleterre, et il est curieux de voir le livre de notre auteur être une des premières productions de la presse dans un pays étranger. On sait quel nombre Caxton a publié de traductions du françois, et il nous suffit de le rappeler, car une énumération nous mèneroit beaucoup trop loin. Le livre est un in-4o, dont les cahiers, de huit feuillets chacun, sont signés aii-niiij. Il commence par une préface du traducteur, qui dit avoir entrepris cet ouvrage sur la prière d’une grande dame qui avoit des filles ; aucun bibliographe anglois n’ayant fait même une supposition sur le nom de cette protectrice du -xlvij- travail de Caxton, nous ne pouvons qu’imiter leur silence ; nous aurions donné cette préface en appendice, si on ne pouvoit la voir reproduite dans l’édition des Typographical antiquities de Jos. Ames, donnée par Dibdin[93]. Les caractères employés par Caxton sont ceux dont on peut voir dans Ames le facsimile d’après les chroniques d’Angleterre[94]. C’est ce caractère irrégulier, plein de lettres liées entre elles et de mêmes lettres de formes différentes, qui apporte plutôt l’idée d’une écriture assez incorrecte que d’une impression ; elle est très analogue à un facsimile donné dans Ames (p. 88) d’une copie manuscrite d’Ovide qu’on attribue à Caxton. Après la préface, qui tient le premier feuillet, et la table qui en tient trois, vient le texte, qui commence : « Here begynneth the book whiche the knyght of the toure[95] made and speketh of many fayre ensamples and thenseygnements and techyng of his doughters. » Il se termine par la mention suivante : « Here fynysshed the booke which the knyght of the Toure made to the enseygnement and techyng of his doughters translated oute of frenssh in to our maternall Englysshe tongue by me William Caxton, which book was ended and fynysshed the first day of Juyn the yere of oure lord m.cccc lxxx iij And emprynted at Westmynstre the last day of Janyuer, the first yere of the regne of kynge Rychard -xlviij- the thyrd. » On a quelquefois mis à tort ce livre sous la date de 1484 ; l’année 1483 ayant été comprise entre le 30 mars et le 18 avril, et Edouard IV étant mort le 9 avril 1483, c’est bien cette année 1483 qui est la première année du règne de Richard III[96].
[93] London, 4 vol. in-4o, 1810, t. 1, no 27 des Caxton, p. 202-8.
[94] No 4 de la planche de Basire portant le no 8, et placée en face de la page 88.
[95] Caxton ne sait pas le nom de Landry.
[96] Dibdin, Bibliotheca Spenceriana, no 857, t. IV, 1815, p. 267-8, avoit fait remarquer qu’il falloit s’en tenir à la date de 1483 ; mais sa preuve en étoit que le commencement de l’année suivante n’arriva pas avant le 25 mars, ce qui ne s’accorde pas avec les tables chronologiques des Bénédictins.
Les exemplaires complets en sont, du reste, assez rares. Ames (1810) ne cite que trois exemplaires, celui de lord Spencer, du marquis de Blandford et de Sa Majesté ; ce dernier est sans doute l’exemplaire complet que nous avons vu au British Museum. Il y en auroit encore un dans la Bibliothèque publique de Cambridge et deux à la Bodléienne, mais imparfaits tous deux d’une feuille. Un exemplaire sur vélin, marqué 5 l. 5 sh., chez M. Edwards, cat. de 1794, no 1267, étoit en 1810 chez M. Douce ; mais ce fut un prix bien vite dépassé ; ainsi l’exemplaire de la vente de White Knights fut payé 85 livres 1 shilling, et celui de la vente de Brandt, en 1807, fut acheté 111 livres 6 shillings pour lord Spencer[97].
[97] Cf. Bibl. Spenceriana.
Quant à la traduction même, elle est d’une incroyable fidélité et d’une si naïve exactitude, que, par ses méprises, et il y en a, on pourroit reconnoître à coup sûr le manuscrit même suivi par Caxton, et, si on le rencontroit, il ne pourroit pas y avoir de doutes sur ce point, tant sa phrase est calquée sur son texte, avec un mot à mot si fidèle que la pureté -xlix- de son anglois en souffre le plus souvent. Du reste, on en pourra bientôt juger, car M. Thomas Wright, aux publications de qui notre ancienne littérature doit autant que l’ancienne littérature de son pays, en va publier une réimpression exacte pour le Warton Club, dont il est un des fondateurs. Si la traduction inédite du British Museum étoit complète, il faudroit incontestablement la suivre, à cause de sa supériorité sur celle de Caxton. On pourroit prendre le parti de composer l’édition pour les trois quarts avec la traduction inédite et pour la fin avec Caxton. Cependant la langue des deux traducteurs est si différente, qu’en mettant une partie de l’œuvre de l’un à la suite de l’œuvre de l’autre, on auroit à craindre d’arriver à un effet trop disparate, et, comme le Caxton est introuvable, les bibliophiles préféreront peut-être en avoir la reproduction entière.
Enfin j’ajouterai, à propos de l’édition de Caxton, que, si rare qu’elle soit maintenant, c’étoit au xvie siècle, en Angleterre, un livre qui étoit tout à fait en circulation. J’en donnerai pour preuve ce curieux passage du Book of Husbandry, publié en 1534 par Sir Anthony Fitz-Herbert, qui avoit la charge importante de lord chief justice[98]. L’appréciation est trop curieuse pour que je ne la reproduise pas en entier ; parlant de la fidélité qu’une femme et un mari doivent avoir dans les achats qu’ils font au marché, il continue : « Je pourrois peut-être montrer aux maris diverses façons -l- dont leurs femmes les trompent, et indiquer de même comment les maris trompent leurs femmes. Mais si je le faisois, j’indiquerois de plus subtiles façons de tromperies que l’un ou l’autre n’en savoit auparavant. A cause de cela, il me semble meilleur de me taire, de peur de faire comme le chevalier de La Tour, qui avoit plusieurs filles, et, par l’affection paternelle qu’il leur portoit, écrivit un livre dans une bonne intention, pour les mettre à même d’éviter et de fuir les vices et de suivre les vertus. Il leur enseigne dans ce livre comment, si elles étoient courtisées et tentées par un homme, elles devroient s’en défendre. Et, dans ce livre, il montre tant de façons si naturelles dont un homme peut arriver à son dessein d’amener une femme à mal, et ces façons pour en venir à leur but sont si subtiles, si compliquées, imaginées avec tant d’art, qu’il seroit difficile à aucune de résister et de s’opposer au desir des hommes. Par cedit livre, il a fait que les hommes et les femmes connoissent plus de vices, de subtilités, de tromperies, qu’ils n’en auroient jamais connu si le livre n’eût pas été fait, et dans ce livre il se nomme lui-même le chevalier de La Tour. Aussi, pour moi, je laisse les femmes faire leurs affaires avec leur jugement. »
[98] Je tire le passage, non du livre, nécessairement inconnu à un étranger, mais de l’article qui lui est consacré dans la nouvelle Retrospective Review, London, Russell-Smith, in-8o. No 3, May 1853, pages 264-73.
Le jugement de lord Fitz-Herbert suffiroit à prouver que Dibdin, pour avoir décrit le livre, ne l’avoit pas autrement lu ; car, renvoyant, dans les additions de Ames (I, 372), à la notice de Legrand d’Aussy, et faisant allusion aux passages purement naïfs dont celui-ci fait des obscénités, Dibdin ajoutoit qu’il falloit -lj- espérer que Caxton avoit sauté de pareils passages. Je n’ai pas eu le temps de vérifier le Caxton, nous n’en avons pas d’exemplaires en France ; mais je répondrois à l’avance de son honnêteté de traducteur, qui n’a pas dû se permettre le moindre retranchement. Seulement Dibdin, qui avoit le volume à sa disposition, auroit pu s’assurer du fait et ne pas en rester à cette singulière espérance.
Le livre eut la même fortune en Allemagne qu’en Angleterre : car il en parut en 1493 une traduction allemande faite par le chevalier Marquard vom Stein. Comme Caxton, il fut plus exact que ne le furent plus tard les éditeurs françois, et n’ajouta rien au livre des Enseignements ; mais, plus heureuse que celle de Caxton, sa traduction fut souvent réimprimée. La première édition, in-folio, parut à Bâle, chez Michel Furter, sous ce titre : « Der Ritter vom Turn, von den Exempeln der Gotsforcht vñ erberkeit », c’est-à-dire Le Chevalier de La Tour, des exemples de la piété et de l’honneur. En tête se trouve une préface du traducteur, mais qui ne contient que des généralités de morale ; nous ferons remarquer seulement que, peut-être par suite d’une faute d’impression ou d’une différence dans un manuscrit, la date de la composition du livre n’est plus 1371, mais 1370. Le volume, d’une superbe exécution, et dont le British Museum possède un très bel exemplaire, a 73 feuillets et est orné de 45 gravures sur bois, réellement faites pour l’ouvrage, bien dessinées et bien gravées. Le chevalier y est toujours représenté armé de pied en cap, même dans la gravure initiale, où il est, idée assez bizarre, représenté endormi au pied d’un arbre, pendant -lij- que ses deux filles sont debout à côté de lui ; mais, à part cette singularité, cette suite d’illustrations est tout à fait remarquable. Après cette édition, nous citerons les suivantes, d’après Ebert[99] : une à Augsbourg, chez Schönsperger, 1498, in-folio ; une à Bâle, chez Furter, en 1513 ; — Ebert disant aussi qu’elle a 73 feuillets et des gravures sur bois, il est possible que ce soit la première édition avec une nouvelle date changée, et, dans tous les cas, la nouvelle en est une réimpression, où l’on doit retrouver les mêmes bois ; une à Strasbourg, chez Knoblouch, en 1519, in-4o ; enfin une autre à Strasbourg, chez Cammerländer, en 1538, in-folio, avec des gravures sur bois. Il y en a sans doute eu d’autres éditions ; toujours est-il que tout récemment, en 1849, le professeur allemand O.-L.-B. Wolff en a fait le 8e volume[100] de sa collection de romans populaires qu’il a publiée à Leipzig chez Otto Wigand. Le prologue y est plus court, et l’on y voit, bien qu’en très petit nombre, quelques histoires nouvelles, celles de Pénélope et de Lucrèce, absentes de l’ouvrage original, mais qui prouvent que, dans ses éditions successives, la traduction de Marquard vom Stein a subi quelques remaniements. Le titre y est devenu : « Un miroir de la vertu et de l’honneur des femmes et demoiselles, écrit pour l’instruction de ses filles par le très renommé chevalier de La Tour, avec de belles et utiles histoires sacrées et profanes. »
[99] Allgemeines bibliographisches Lexikon von Friedrich Adolf Ebert. Leipzig, 1821, in-4o, t. I, col. 317, no 4078.
[100] In-12 de 171 pages.
-liij- Ce ne fut qu’en 1514 que parut la première édition françoise, à Paris, chez Guillaume Eustace[101]. C’est un in-folio gothique, à deux colonnes, de xcv feuillets chiffrés, précédés de 3 feuillets pour le titre et la table et suivis d’un feuillet séparé, au recto duquel une gravure en bois représentant le pape, l’empereur et le roi de France, et au verso la marque de Guillaume Eustace. Cette gravure se trouvoit déjà au verso et la marque sur le recto du titre, qui est celui-ci : « Le chevalier de la tour et le guidon des guerres, Nouvellement imprimé à Paris pour Guillaume Eustace, libraire du roy, Cum puillegio Regis », et au bas : « Ilz se vendent en la rue neufue nostre Dame, à lenseigne De agnus dei, ou au palais, au troisiesme pilier. Et en la rue saint-iacques, à l’enseigne du crescent. » A la fin se trouve cette mention : « Cy fine ce présent volume intitulé le chevalier de la tour et le guidon des guerres, Imprimé à Paris en mil cinq cens et quatorze, le neufiesme iour de novembre. Pour Guillaume Eustace, libraire du roy et juré de luniversité, demourant en la rue neufve nostre-dame, à lenseigne de agnus dei, ou au palais, en la grant salle du troisiesme pillier, près de la chappelle où len chante la messe de mes seigneurs les presidens. Et a le Roy, nostre sire, donné audit Guillaume lettres de privilege et terme de deux ans pour vendre et distribuer cedit livre affin destre -liv- remboursé de ses fraiz et mises. Et deffend ledit seigneur à tous libraires, imprimeurs et autres du royaulme de non limprimer sus painne de confiscation desditz livres et damende arbitraire jusques après deux ans passez et acomplis à compter du iour et date cy dessus mis que ledit livre a esté acheué d’imprimer. »
[101] La Croix du Maine (Bibliothèque françoise, édit. de 1772, I, 161 et 277) ne parle que de cette édition, sur la foi de laquelle il a dit que le Guidon des guerres étoit de notre auteur.
Le texte des Enseignements, dans cette édition de Guillaume Eustace, occupe les feuillets i à lxxii ; les feuillets lxxiii à lxxxv sont occupés par le livre de Melibée et de Prudence, que l’éditeur a trouvé, comme on le voit dans le manuscrit de Londres et celui de Paris (70731), à la suite de celui dont il s’est servi ; mais, avec peu de scrupule et pour bien donner au chevalier de La Tour le livre de Mélibée, sur lequel nous n’avons rien à dire ici, tant il est maintenant connu, il a écrit un raccordement par lequel il met Mélibée dans la bouche du chevalier. Enfin, les feuillets lxxxv à xcv offrent le Guidon des guerres « fait par le chevalier de La Tour », ouvrage de stratégie qu’un autre raccordement[102] de Guillaume Eustace met aussi dans la bouche du chevalier. Il formoit probablement la troisième partie du manuscrit suivi par Guillaume Eustace, et n’est nullement du chevalier de la Tour[103].
[102] Le raccordement est d’autant mieux fait qu’on le fait parler de ses fils : « Affin que tous nobles hommes et mesmement vos frères, quand ils se trouveront entre vous, en voyant cestuy livre y puissent aussi bien que vous prendre quelque doctrine… J’ay, touchant le fait des armes, cy en la fin mis ung petit traicté appellé le Guidon des guerres, lequel jadis je redigeai par l’ordonnance de mon souverain seigneur le très chrétien roy de France… »
[103] Comme le dit M. P. Paris (Man. françois, V, 85-6), il est étonnant que les bibliographes n’aient pas remarqué la fausseté d’attribution de ces deux ouvrages. Debure (Catal. La Vallière, I, 406), cataloguant l’imprimé à la suite d’un ms., avoit, sans nier l’attribution, fait remarquer que le Guidon ne se trouvoit pas dans celui-ci.
-lv- Le texte est orné de gravures sur bois, mais, moins soigneux que l’éditeur allemand, Eustace a employé bon nombre de bois tout faits, dont quelques uns se rapportent très peu au sujet qu’ils sont destinés à présenter aux yeux. Dans les exemplaires sur papier le format est très petit in-folio ; dans ceux sur vélin, la justification a été réimposée, et le volume est plus grand. La Bibliothèque en possède un superbe exemplaire, avec 27 miniatures, que M. Van Praët[104] dit avoir passé dans les ventes de Pajot, comte d’Onsembray (no 527, 240 l. 19 s.), de Girardot de Préfond (no 890, 193 l.), de Gaignat (no 2253, 200 l.), de La Vallière (no 1339, 300 l.), de Mac Carthy (no 1549, 615 l.). M. Brunet (I, 649) paroît traiter comme le même celui qu’il indique comme vendu chez Morel Vindé 631 fr., et chez Hibbert, 33 livres, 12 shilings.
[104] Van Praët, Livres sur vélin de la bibliothèque du roi, t. IV, no 388, p. 263-4. Ebert nous apprend qu’il y en avoit aussi un exemplaire sur vélin dans l’ancienne bibliothèque d’Augsbourg. Ce doit être celui que M. Van Praët indique comme vu par Gercken (Reisen, I, 262) et par Hirsching (Reisen, II, 180) chez les frères Veith, à Augsbourg. Un troisième exemplaire devroit s’en trouver dans la bibliothèque de Genève (Van Praët, 264).
Comme texte, il faut reconnoître, à la louange de Guillaume Eustace, que, pour un éditeur du seizième siècle, il pourroit avoir fait bien plus de modifications. Le prologue est beaucoup moins en vers, l’orthographe est modernisée ; mais le texte a certainement été -lvj- plus respecté qu’il ne l’étoit d’ordinaire à cette époque. La seconde impression, qui doit cependant avoir été faite sur celle-ci, est au contraire pleine de fautes grossières, à ce que me dit un juge très compétent, qui l’a eue entre les mains. Elle est in-4o de 208 pages, y compris 6 pages de table. Elle a un frontispice représentant un chevalier armé, un genou en terre, et a pour titre : « S’ensuit le chevalier de La Tour et le Guidon des guerres, avec plusieurs autres belles exemples, imprimés nouvellement par la veuve Jehan Trepperel[105]. » M. Brunet, qui la dit gothique et nous apprend qu’elle a été vendue, chez Heber, 6 livres 15 shillings, ajoute « et Jehan Jehannot », après le nom de la veuve Trepperel. M. Bertin en possédoit un exemplaire qui, à sa vente (1853, no 123), a été adjugé au prix de 780 fr.
[105] Bulletin du Bibliophile, 1re série, no 14, février 1835, p. 11, no 1379.
Après avoir examiné successivement, comme je l’avois promis, la biographie et l’œuvre du chevalier, ainsi que les manuscrits et les éditions de son livre, je lui laisse enfin la parole, en m’excusant de la longueur à laquelle ces développements sont arrivés. Mais si, dans un travail d’ensemble sur notre ancienne littérature, l’ouvrage du chevalier de La Tour peut n’être cité qu’en passant, tous les renseignements qui s’y rapportent devoient être réunis dans un essai qui lui est spécialement consacré et qui se trouve en tête de son livre.
Le premier chappitre contient le prologue. | |
Le second chappitre parle de ce que on doit faire quant on s’esveille. | |
Le tiers chappitre parle de deux chevaliers qui amoient deux suers. | |
Le quart chappitre parle d’une damoiselle que un seigneur vouloit violer. | |
Le quint, que on doit faire quant on est levé. | |
Le VIe, de deux filles d’un chevalier, dont l’une estoit devotte et l’autre gourmandoit. | |
Le VIIe, comment les femmes et les filles doivent jeuner. | |
Le VIIIe, d’une folle femme qui chéy en un puis. | |
Le IXe, d’une bourgeoise qui mouru et n’avoit osé confessié son pechié. | |
Le Xe, comment toutes femmes doivent être courtoises. | |
Le XIe, comment elles se doyvent contenir sans virer la teste çà ne là. | |
-lviij- Le XIIe, de la fille du roy de Dannemarche, qui perdit le roy d’Angleterre par sa folle contenance. | |
Le XIIIe, de celle que le chevalier de la Tour refusa pour sa legière manière. | |
Le XIIIIe chappitre parle comment la fille du roy d’Arragon par sa folle manière perdy le roi d’Espaigne. | |
Le XVe, de celles qui estrivent les unes aux autres. | |
Le XVIe, de celle qui menga l’anguille. | |
Le XVIIe, comment nulle femme ne doit estre jalouse. | |
Le XVIIIe, de la bourgeoise qui se fist ferir par son oultraige. | |
Le XIXe, de celle qui sailly sus la table. | |
Le XXe, de celle qui donna la chair aux chiens. | |
Le XXIe, du debat qui fut entre le sire de Beaumanoir et une dame. | |
Le XXIIe, comment il fait perilleux à estriver à gens sçavans, et parle de la dame qui prist tençon au mareschal de Clermont. | |
Le XXIIIe, de Bouciquaut et des trois dames. | |
Le XXIIIIe, de trois autres dames qui vouldrent tuer un chevalier. | |
Le XXVe, de celles qui vont voulentiers aux joustes et aux pelerinaiges. | |
Le XXVIe chappitre parle de celles qui ne veullent vestir leurs bonnes robes aux festes. | |
Le XXVIIe parle de la suer saint Bernart. | |
Le XXVIIIe, de celles qui ne font que gengler à l’eglise. | |
Le XXIXe, de saint Martin de Tours et de saint Brice -lix- et du dyable. | |
Le XXXe, de celle qui perdy à ouir la messe. | |
Le XXXIe, d’une dame qui employoit le quart du jour pour soy appareiller. | |
Le XXXIIe de celles qui oyent voulentiers la messe. | |
Le XXXIIIe, de la bonne contesse qui tous les jours vouloit ouir trois messes. | |
Le XXXIIIIe chappitre parle de celles qui vont en pelerinaiges sans devocion. | |
Le XXXVe, de ceulx qui firent fornication en l’eglise. | |
Le XXXVIe, du moine qui fist fornication en l’eglise. | |
Le XXXVIIe, des mauvais exemplaires et des malices de ce monde. | |
Le XXXVIIIe, des bons exemplaires du monde. | |
Le XXXIXe, de Eve notre première mère et de ses folies. | |
Le XLe chapitre contient la tierce folie de Eve. | |
Le XLIe fait mention de la quarte folie de Eve. | |
Le XLIIe, la quinte folie. | |
Le XLIIIe, la VIe folie. | |
Le XLIIIIe, la VIIe folie. | |
Le XLVe, la VIIIe folie. | |
Le XLVIe, la IXe folie. | |
Le XLVIIe, d’un saint preudomme evesque qui prescha sur les cointises. | |
Le XLVIIIe, de celles qui cheyrent en la boue. | |
Le XLIXe, d’une damoyselle qui portoit haulx cuevre chiefs. | |
Le Le parle d’un chevalier qui eut trois femmes et -lx- comment sa première femme fut dampnée. | |
Le LIe, de la seconde femme du chevalier et comment elle fut sauvée. | |
Le LIIe, de la tierce femme du chevalier et des tourmens qu’elle souffry. | |
Le LIIIe, d’une grant baronnesse et des tourmens que l’ennemy lui fist. | |
Le LIIIIe parle de la femme Loth. | |
Le LVe chappitre parle des filles Loth. | |
Le LVIe parle de la fille Jacob. | |
Le LVIIe, de Thomar, la femme Honnan. | |
Le LVIIIe, de la femme du prince Pharaon. | |
Le LIXe, des filles de Moab. | |
Le LXe, de la fille de Madian. | |
Le LXIe, de Thomar, la fille du roy David. | |
Le LXIIe, d’un bon homme qui estoit cordier. | |
Le LXIIIe parle du pechié d’orgueil et de Apemena la royne de Surye. | |
Le LXIIIIe chappitre parle de la royne Vastis. | |
Le LXVe, de la femme de Aman. | |
Le LXVIe chappitre parle de la royne Gesabel. | |
Le LXVIIe, de Athalia, la royne de Jherusalem, et de Bruneheust, la royne de France. | |
Le LXVIIIe chapitre parle d’envie, et de Marie, la suer Moyse. | |
Le LXIXe parle des femmes Archaria. | |
Le LXXe parle de convoitise et de Dalida, la femme Sampson. | |
Le LXXIe chappitre parle de courroux et d’une damoyselle de Bethleem. | |
Le LXXIIe chappitre parle d’une dame qui ne vouloit venir au mandement à son seigneur. | |
-lxj- Le LXXIIIe chappitre parle de flatterie. | |
Le LXXIIIIe chappitre parle de descouvrir le conseil de son seigneur. | |
Le LXXVe chappitre parle de desdaing, et de Michol, la femme David. | |
Le LXXVIe chappitre parle de soy pignier devant les gens. | |
Le LXXVIIe chappitre parle de fole requeste et puis de la mère David, et après de la duchesse d’Athènes. | |
Le LXXVIIIe chappitre parle de trayson. | |
Le LXXIXe chapitre parle de rappine. | |
Le IIIIXXe chappitre parle de patience, et de Anna, la femme Thobie, et puis de la femme Job. | |
Le IIIIXX et Ie chappitre parle de laissier son seigneur et de Herodias que le roy Herodes fortray à son frère. | |
Le IIIIXXIIe chappitre. Cy laisse à parler des mauvaises femmes, et parlera des bonnes et de leur bon gouvernement, et comment l’escripture les loue ; et premièrement de Sarra, la femme de Abraham. | |
Le IIIIXXIIIe chappitre parle de Rebecca. | |
Le IIIIXXIIIIe chappitre parle de Lia, la femme Jacob. | |
Le IIIIXXVe chappitre parle de Rachel. | |
Le IIIIXXVIe chappitre parle de la royne de Chippre. | |
Le IIIIXXVIIe chappitre parle de la vertu de charité et de la fille du roy Pharaon. | |
Le IIIIXXVIIIe chappitre parle d’une bonne femme de Jherico, appellée Raab, et puis de saincte Anataise, -lxij- et puis de saincte Arragonde. | |
Le IIIIXXIXe chappitre parle d’abstinence et parle du père et de la mère Sampson. | |
Le IIIIXXXe chappitre parle de aprendre sagesce et clergie. | |
Le IIIIXXXIe chappitre parle de Ruth. | |
Le IIIIXXXIIe chappitre parle de soustenir son seigneur. | |
Le IIIIXXXIIIe chappitre parle de adoulcir l’ire de son seigneur. | |
Le IIIIXXXIIIIe chappitre parle de querre conseil. | |
Le IIIIXXXVe chappitre parle d’une preude femme. | |
Le IIIIXXXVIe chappitre parle de Sarra, la femme Thobie. | |
Le IIIIXXXVIIe chappitre parle de la royne Hester. | |
Le IIIIXXXVIIIe chappitre parle de Susanne, la femme Joachim. | |
Le IIIIXXXIXe chappitre. Cy commence à parler des femmes du nouvel testament, et premierement de saincte Helizabeth, mère de saint Jehan Baptiste. | |
Le centiesme chappitre parle de saincte Marie Magdaleine. | |
Le CIe chappitre parle de deux bonnes dames, femmes à mescréans. | |
Le CIIe chappitre parle de saincte Marthe, suer à la Magdaleine. | |
Le CIIIe chappitre parle des bonnes dames qui plouroyent après nostre seigneur quant il portoit la croix. | |
Le CIIIIe chappitre parle de pechié d’yre et puis d’une -lxiij- bourgoyse qui ne vouloit pardonner ce que une femme luy avoit meffait. | |
Le CVe chappitre parle comment les dames doyvent venir à l’encontre de leurs amis quant ilz les viennent veoir à leur hostel. | |
Le CVIe chappitre parle de l’exemple de pitié et comment un chevalier fist champ de bataille, pour une pucelle delivrer de mort. | |
Le CVIIe chappitre parle des trois Maries. | |
Le CVIIIe chappitre parle du saige. | |
Le CIXe chappitre parle de Nostre-Dame. | |
Le CXe chappitre parle de l’umilité Nostre-Dame. | |
Le CXIe chappitre parle de la pitié Nostre-Dame. | |
Le CXIIe chappitre parle de la charité Nostre-Dame. | |
Le CXIIIe chappitre parle de la royne Jehanne de France. | |
Le CXIIIIe chappitre parle de plusieurs dames vefves. | |
Le CXVe chappitre parle d’un simple chevalier qui espousa une grant dame. | |
Le CXVIe chappitre parle de bonne renommée. | |
Le CXVIIe chappitre parle comment on doit croire les anciens. | |
Le CXVIIIe chappitre parle des anciennes coustumes. | |
Le CXIXe chappitre parle comment nostre Seigneur loue les bonnes femmes. | |
Le VIXX chappitre parle de la fille d’un chevalier qui perdy à estre mariée par sa cointise. | |
Le VIXXIe chappitre parle de messire Fouques de Laval qui alla veoir s’amie. | |
-lxiv- Le VIXXIIe chappitre parle des Gallois et des Galloises. | |
Le VIXXIIIe chappitre parle comment on ne doit pas croyre trop legierement. | |
Le VIXXIIIIe chappitre parle du debat qui fut entre le chevalier de Latour et sa femme sur le fait de amer par amour. | |
Le VIXXVe chappitre parle de la dame qui esprouva l’hermite. | |
Le VIXXVIe chappitre parle d’une dame qui estoit riche avaricieuse. | |
Le VIXXVIIe chappitre parle d’une dame honnourable. | |
Le VIXXVIIIe chappitre parle des trois enseignements que Cathon dist à Cathonnet, son filz, et comment Cathon essaya sa femme. |
Cy fine la table du livre composé
par le chevalier
de la Tour.
LE LIVRE
DU
CHEVALIER DE LA TOUR
L’an mil trois cens soixante et onze, en un jardin estoye sous l’ombre, comme à l’issue d’avril, tout morne et tout pensiz : mais un pou me resjouy du son et du chant que je ouy de ces oysillons sauvaiges qui chantoyent en leurz langaiges, le merle, la mauvis et la mesange, qui au printemps rendoient louanges, qui estoient gaiz et envoisiez. Ce doulz chant me fit envoisier et mon cuer sy esjoir que lors il me va souvenir du temps passé de ma jeunesce, comment amours en grant destresce m’avoient en ycellui temps tenu en son service, où je fu mainte heure liez et autre dolant, si comme elle fait à maint amant. Mès tous mes maulx me guerredonna pour ce que belle -2- et bonne me donna, qui de honneur et de tout bien sçavoit et de bel maintien et de bonnes mœurs, et des bonnes estoit la meillour, se me sembloit, et la fleur. En elle tout me delitoye ; car en cellui temps je faisoye chançons, laiz et rondeaux, balades et virelayz, et chans nouveaux, le mieulx que je savoye. Mais la mort qui tous guerroye, la prist, dont mainte douleur en ay receu et mainte tristour. Si a plus de xx ans que j’en ay esté triste et doulent. Car le vray cuer de loyal amour, jamais à nul temps ne à nul jour, bonne amour ne oubliera et tous diz lui en souviendra.
Et ainsi, comme en cellui temps je pensoye, je regarday emmy la voye, et vy mes filles venir, desquelles je avoye grant desir que à bien et à honneur tournassent sur toutes riens ; car elles estoyent jeunes et petites et de sens desgarnies. Si les devoit l’en tout au commencement prendre à chastier courtoisement par bonnes exemples et par doctrines, si comme faisoit la Royne Prines, qui fu royne de Hongrie, qui bel et doulcement sçavoit chastier ses filles et les endoctriner, comme contenu est en son livre. Et pour ce, quant je les vy vers moy venir, il me va lors souvenir du temps que jeune estoye et que avecques les compaignons chevauchoie en Poitou et en autres lieux. Et il me souvenoit des faiz et des diz que ilz me recordoient que ilz trouvoient avecques les dames et damoyselles que ilz prioient d’amours ; car il n’estoit nulz jours que dame ou damoiselle peussent trouver que le plus ne voulsissent prier, et, sy l’une n’y voulsist entendre, l’autre priassent sans attendre. Et se ilz eussent ou bonne ou male -3- responce, de tout ce ne faisoyent-ilz compte ; car paour ne honte n’en avoient, tant en estoient duiz et accoustumez, tant estoyent beaux langagiers et emparlez. Car maintes foiz vouloient partout desduit avoir, et ainsi ne faisoient que decevoir les bonnes dames et demoiselles, et compter partout les nouvelles, les unes vraies, les aultres mençonges, dont il en advint mainte honte et maint villain diffame sanz cause et sanz raison. Et il n’est ou monde plus grant trayson que de decevoir aucunes gentilz femmes, ne leur accroistre aucun villain blasme ; car maintes en sont deceues par les grans seremens dont ilz usent. Dont je me débaty maintes foys à eulx et leur disoie : « Comment estes-vous telz qui ainsi souvent vous parjurez ? car à nulle, forz à une, tendre ne devez. » Mais nulz n’y mettroit arroy, tant sont plains de desarroy. Et, pour ce que je vis celuy temps dont je doubte que encore soit courant, je me pensay que je feroye un livret, où je escrire feroye les bonnes meurs des bonnes dames et leurs biens faiz, à la fin de y prendre bon exemple et belle contenance et bonne manière, et comment pour leurs bontés furent honnourées et louées et seront aussi à tousjoursmaiz pour leurs bontés et leurs biens faiz, et aussi par celle manière feray-je escrire, poindre, et mettre en ce livre le mehaing des maulvaises deshonnestes femmes, qui de mal usèrent et eurent blasmes, à fin de s’en garder du mal où l’en pourroit errer comme celles qui encore en sont blasmées, et honteuses et diffamées. Et pour cestes causes que j’ay dessus dictes, je pensay que à mes filles, que je véoie petites, je leur feroye un livret pour -4- aprendre à roumancer, affin que elles peussent aprendre et estudier, et veoir et le bien et le mal qui passé est, pour elles garder de cellui temps qui à venir est. Car le monde est moult dangereux et moult envyeulx et merveilleux ; car tel vous rit et vous fait bel devant qui par derrière s’en va bourdant. Pour ce forte chose est à congnoistre le monde qui à present est, et pour cestes raysons que dict vous ay, du vergier je m’en alay et trouvay enmy ma voye deux prestres et deux clers que je avoye, et leur diz que je vouloye faire un livre et un exemplaire pour mes filles aprandre à roumancier et entendre comment elles se doyvent gouverner et le bien du mal dessevrer. Si leur fiz mettre avant et traire des livres que je avoye, comme la Bible, Gestes des Roys et croniques de France, et de Grèce, et d’Angleterre, et de maintes autres estranges terres ; et chascun livre je fis lire, et là où je trouvay bon exemple pour extraire, je le fis prendre pour faire ce livre, que je ne veulx point mettre en rime, ainçoys le veulz mettre en prose, pour l’abrégier et mieulx entendre, et aussi pour la grant amour que je ay à mes enfans, lesquelz je ayme comme père les doit aimer, et dont mon cuer auroit si parfaite joye se ils tournoyent à bien et à honnour en Dieu servir et amer, et avoir l’amour et la grace de leurs voysins et du monde. Et pour ce que tout père et mère selon Dieu et nature doit enseignier ses enfans et les destourner de male voye et leur monstrer le vray et droit chemin, tant pour le sauvement de l’ame et l’onnour du corps terrien, ay-je fait deux livres, l’un pour mes filz et l’autre pour mes filles, pour aprendre à rommancier, -5- et en aprenant ne sera pas que il ne retiengnent aucune bonne exemplaire, ou pour fouir au mal ou pour retenir le bien ; car il sera mie que aucunes foiz il ne leur en souviengne d’aucun bon exemple ou d’aucun bon enseignement, selonc ce qu’ilz cherront en taille d’aucuns parlans sur celles matières.
Le premier Chappitre.
Et c’est moult belle chose et moult noble que de soy mirer ou mirouoir des anciens et des anciennes histoires qui ont été escriptes de nos ancesseurs pour nous monstrer bons exemples et pour nous advertir comme nous véons le bien fait que ilz firent, ou de eschever le mal comme l’en puet veoir que ilz eschevèrent. Sy parlay ainsy et leur diz : Mes chières filles, pour ce que je suiz bien vieulx et que j’ay veu le monde plus longuement que vous, vous veuil-je monstrer une partie du siècle, selon ma science qui n’est pas grant ; mais la grant amour que j’ay à vous, et le grant desir que j’ay que vous tournez vos cuers et vos pensées à Dieu craindre et servir, pour avoir bien et honneur en ce monde et en l’autre, car pour certain tout le vray bien et honneur, garde et honesteté de homme et de femme vient de luy et de la grace de son saint esperit, et si donne longue vie et courte ès choses mondaines et terriennes, telles comme il luy plaist, car du tout chiet à son plaisir et à son ordonnance, et aussy guerredonne tout le bien et le service que on luy a fait à -6- cent doubles, et pour ce, mes chières filles, fait-il bon servir tel seigneur, qui à cent doubles rent et guerredonne.
Le second Chappitre.
Et pour ce la première œuvre et labeur que homme ne femme doit faire, si est entrer et dire son service ; c’est à entendre que, dès ce que on s’esveille, alors le recongnoistre à seigneur et à createur, c’est assavoir dire ses heures et oroysons, et, se ilz sont clers, luy rendre graces et louenges, comme de dire : Laudate Dominum, omnes gentes, benedicamus patrem et filium, et dire choses qui rendent graces et mercis à Dieu ; car plus haulte et saincte chose est de gracier et mercier Dieu que le requerre, car requerre demande don ou guerredon, et rendre graces et louenges est service et le mestier des anges, qui touzjours rendent graces à Dieu, honneur et louanges ; car Dieu fait mieulx à gracier et mercier que à requerre, pour ce que il scet mieulx qu’il fault à homme et à femme que ils ne scevent eulx meismes. Après le doit l’en prier pour les mors avant que l’en s’endorme, et aussi les mors prient Dieu pour ceulx qui prient pour eulx, et non oublier la doulce vierge Marie, qui jour et nuit prie pour nous, et soy recommander à ses sains et à ses sainctes, et ce fait, l’on se -7- puet bien endormir ; car ainsi l’en le doit faire, toutes foys que l’en s’esveille, et ne doit l’en pas oublier les mors. Je vous en diray un exemple comment il est bon de prier Dieu et gracier pour les morts toutes les foiz que l’on s’esveille.
Chappitre IIIe.
Comme il est contenu ès histoires de Constantinnoble que un empereur avoit deux filles, dont la plus juenne estoit de bonnes meurs, et amoit Dieu et le adouroit, toutes foiz qu’elle s’esveilloit, et prioit pour les mors. Si couchoient en un lict elle et sa suer ainsnée, et quant l’ainsnée s’esveilloit, et elle ouoit à sa suer dire ses heures, elle s’en mocquoit et l’en bourdoit, lui disoit que elle ne la laissoit dormir. Dont il advint que jonnesse et la grant aaise où elles estoient nourries leur fist amer deux chevalliers frères, moult beaux et moult gens, et tant durèrent leurs plaisirs et leurs amours qu’elles se descouvrirent l’une à l’autre de leurs amourettes, et tant qu’elles mistrent aux deux chevalliers certaines heures pour venir à elles par nuit privéement. Et quant celui qui devoit venir à la plus juenne cuida entrer entre les courtines, il lui sembla qu’il veist plus de mille hommes en suaires qui estoient environ la demoiselle. Si en eut si grant hideur et si grant paour qu’il en fut tous -8- effrayez, dont la fièvre le prist et fut malades au lit. Maiz à l’autre chevalier ne avint pas ainsi, car il entra entre les courtines et ençainta la fille ainsnée de l’Empereur. Et quant l’Empereur sceut quelle fut grosse, il la fist noyer par nuit et le chevalier fist escorchier. Et ainsi par celui faulx delit morurent tous deux. Maiz l’autre fille fut sauvée par ainsi comme je vous ay dit et diray. Quant vint à lendemain l’en disoit par tout que le chevalier estoit malade au lit ; celle par qui le mal lui fust prins le vint veoir et lui demanda comment le mal lui estoit prins. Si luy en dist la verité, comment il se cuida bouter ès courtines, et il vit à merveille grant nombre de gens en suaires environ elle, dont, ce dist-il, si grant paour et hideur me print que a pou que je n’enraigay, et encores en suis-je tout effrayé. Et quant la damoiselle oyst la verité, si en fust toute esmerveillée, et mercia Dieu moult humblement, qui sauvée l’avoit d’estre périe et deshonourée, et dès là en avant elle aoura et loua Dieu toutes foiz qu’elle s’esveilla et pria moult doucement pour les mors plus que devant, et se tint chastement et nettement, et ne demeura gaires que un grant roy de Grèce la fist demander à son père, et il luy donna, et fust depuis bonne dame et de notte, et de moult grant renommée. Et ainsi fut sauvée pour aourer et gracier Dieu et pour prier pour les deffuncts. Et sa suer ainsnée, qui se mocquoit et se bourdoit, elle fut morte et deshounorée, et pour ce, mes chières filles, souviengne vous de cest exemple, toutes foiz que vous esveillerez, et ne vous endormez jusques à ce que vous ayez prié pour les deffuns comme faisoit la fille l’empereur.
-9- Et encores vouldroye-je que vous sceussiez l’exemple d’une damoiselle que un grant seigneur vouloit avoir, par beau ou par laist, à faire sa voulenté et son fol plaisir.
Chappitre IIIIe.
Dont il advint que cellui seigneur la fist espier en un jardin où elle estoit reposte et mucée pour la paour de lui. Si estoit en un fort buisson et disoit vigilles des mors, et le grant seigneur par ses espies entra ou jardin et la vist. Si cuida tantost accomplir son fol delit ; mais, quant il cuida touchier à elle, il lui sambla qu’il veist plus de x mil hommes ensepveliz qui la gardoyent. Si eut paour et s’en tourna en fuyant et lui manda que, pour certain, jamaiz il ne la poursuivroit de tel fait, et qu’elle avoit trop grant compaignie à la garder. Et depuis parla avecques elle et lui demanda qui estoit la grant compaignie qui estoit avec elle de gens ensepveliz ; et elle lui dist qu’elle ne savoit, fors que à ceste heure que il vint elle disoit vigille des mors. Sy pensa bien que ce furent ceulx qui la gardoient. Et pour ce est bel exemple de prier pour eulx à toutes heures.
-10-
Chappitre Ve.
Belles filles, quant vous prendrés à vous lever, si entrez au service du hault seigneur et commanciés vos heures. Ce doit estre vostre premier labeur et vostre premier fait, et, quant vous les dirés, dictes-les de bon cuer et ne pensez point ailleurs que vous puissiez ; car vous ne pourriez aler deux chemins à un coup, ou vous yrez l’un, ou vous yrez l’autre. Ainsi est-il du service de Dieu. Car, si comme dit le saige en sa sapience, autant vault celui qui oit et riens n’entent comme celluy qui chasce et riens ne prent ; et, pour tant, cellui qui pense ès choses terriennes, et dit paternostres et oroisons qui touchent choses celestielles, c’est un fait contraire et une chose qui riens ne prouffite ; ce n’est fors que à mocquer Dieu, et pour ce dit la Saincte Escripture que la briefve oroison perce le ciel. Mais c’est à entendre que plus vault une briefve oraison courte dicte de bon cuer et devotement que unes grandes heures et longues et penser ailleurs, ou que autres qui parlent d’aucunes choses leurs heures disant. Mais toutes voyes qui plus en dist devottement et plus vault et en a l’en plus de merittes. Et encores dist la Saincte Escripture que, tout ainsi comme la doulce rousée d’avril et de may plaist à la -11- terre et l’adoulcist, et la fait germer et fructifier, tout ainsi plaisent les heures et les oroisons à Dieu, dont vous trouverez, en plusieurs lieux et legendes des sains confesseurs, des vierges et des saintes dames, qu’ilz faisoient leurs litz de sermens de vigne et se couchoient dessus pour moins dormir et avoir moins de repos, pour plus souvent et menu eulx esveillier pour entrer en oroisons, et ou service de Dieu ilz estoient jour et nuit, et pour cellui service et labeur acquièrent la gloire de Dieu, dont il monstre au monde appertement que ilz sont avecques luy en sa sainte joye, pour ce que il fait pour eulx grans miracles et evidens ; car ainsi guerredonne Dieu le service que l’en lui fait à cent doubles comme j’ay dit dessus, et pour ce, belles filles, dictes vos heures de bon cuer et devotement sans penser ailleurs, et gardés que vous ne desjeunés jusques à ce que vous ayés dictes vos heures de bon cuer ; car cuer saoul ne sera jà humble ne devot. Après gardez que vous oyez toutes les messes que vous pourrez ouir, car grant bien de Dieu vous avenra, et sy est bonne et saincte chose et contenance, dont je vous diray un exemple sur celle matière.
-12-
Chappitre VIe.
Un chevalier estoit qui avoit deux filles. L’une estoit de sa première femme, et l’autre de la seconde. Celle de la première étoit à merveilles devote, ne jamais ne mangast jusques à tant qu’elle eust dictes ses heures toutes et ouyes toutes les messes qu’elle pouvoit oïr. Et l’autre fille estoit sy chiere tenue et sy couvée que l’on lui laissoit faire le plus de sa voulenté, que, dès si tost qu’elle avoit ouye une petite messe et dictes deux paternostres ou trois, elle s’en venoit en la garde robe et là mengoit la souppe au matin ou aucune lescherie, et disoit que la teste lui faisoit mal à jeuner. Mais ce n’estoit que mauvaise amorson, et aussy quant son père et sa mère estoient couchiez, il convenoit qu’elle mangast aucun bon morsel d’aucune bonne viande. Si mena ceste vie tant, qu’elle fust mariée à un chevalier saige et malicieux. Dont il advint que au fort son seigneur sceust sa manière, qui estoit mauvayse pour le corps et pour l’ame ; si luy montra moult doulcement et par plusieurs foiz que elle faisoit mal de telle vie mener. Mais oncques ne s’en voult chastier, pour beau parler que l’en luy sceust faire. Dont il advint une fois qu’il avoit dormy un sompne, si tasta delez -13- lui et ne la trouva pas ; si en fut yriés, et se leva de son lit en un mantel fourré de gris et entra en une garde robe, où sa femme estoit, le clavier et deux varlez ; et mangoient et rigoloient tellement que l’en n’ouyst pas Dieu tonner, tant demenoient et jouoient hommes et femmes ensemble. Et le seigneur, qui regarda tout celluy arroy, en fut durement yrés ; si tenoit un baston pour ferir un de ses varlez, qui tenoit rebrassée une des femmes de chambre, et fery sur le varlet de ce baston qui fust sec, duquel en sailli une esclice en l’ueil de sa femme, qui estoit delez luy, en telle manière qu’elle eut l’ueil crevé par celle mesaventure et par celle mescheance. Si luy messéoit trop à estre borgne, et la prist le seigneur en telle hayne qu’il se avilla et mist son cuer ailleurs, en telle manière que leur mesnage alla à perdicion du tout. Cest fait leur advint pour la mauvaise ordenance de sa femme, qui accoustumée s’estoit à vivre dissoluement et desordonnéement le matin et le soir. Dont le plus de mal sy vint devers elle, comme en perdre son oeil et l’amour de son seigneur, dont elle en fust en mauvais mesnaige. Et pour ce fait-il bon dire toutes ses heures et oyr toutes les messes à jeun, et soy acoustumer à vivre sobrement et honestement, car tout ne chiet que par accoutumance et à l’usaigier, comme le prouverbe du saige dit :
Si comme il advint à sa sueur. Elle se acoustuma en sa jonnesse à servir Dieu et l’Église, comme dire ses heures devottement et ouyr toutes les messes -14- à jeun, et pour ce il advint que Dieu l’en guerredonna et lui donna un bon chevalier riche et puissant, et vesqui avecques luy ayse et honnorablement. Sy avint que leur père, qui moult estoit proudomme, les ala veoir toutes deux ; si trouva chiez l’une grans honneurs et grans richesses et y fut receu moult honnorablement, et chiez l’autre, qui avoit l’eueil trait, il y trouva l’arroy et le gouvernement nice et malostru. Dont, quant il fu revenuz à son hostel, il compta tout à sa femme et lui reproucha qu’elle avoit perdue sa fille, tant l’avoit couvée et nourrie chierement, et lui avoit laissié la resne trop longue en lui laissant faire toute sa voulenté, par quoy elle estoit en dure partie. Et par cest exemple est bon de servir Dieu et ouir toutes les messes que l’on puet oyr à jeun, et prendre en soy honneste vie, de boire et de mangier ès droictes heures d’entour prime et tierce, et de souper à heure convenable, selon le temps ; car telle vie, comme vous voudrez tenir et user en vostre jonnesce, tenir et user la vouldrez en vostre vieillesce.
Chappitre VIIe.
Après, mes chières filles, vous devrez jeuner, tant comme vous serez à marier, trois jours en la sepmaine pour mieux donter votre chair, que elle ne s’esgaye trop, pour vous tenir plus nettement et saintement -15- en service de Dieu, qui vous gardera et guerredonnera au double, et, se vous ne pouvez jeuner les trois jours, au moins jeunez au vendredi en l’onneur du précieux sanc et de la passion Jhesucrist que il souffry pour nous, et, se vous ne le jeunez en pain et en yaue, au moins n’y mengiez point de chose qui preingne mort, car c’est moult noble chose, comme j’ay ouy racompter à un chevalier qui ala en une bataille de Crestiens et des Sarrasins. Il advint que uns crestiens ot la teste coupée d’une gisarme toute dessevrée du corps ; mais la teste sy crioit et demandoit confession, tant que le prestre vint, qui la confessa et lui demanda par quelle mérite c’estoit que elle pouvoit parler sans le corps, et la teste lui repondit que nul bien n’estoit fait à Dieu qu’il n’empétrast grace, et qu’il s’estoit gardé le mercredi de mengier char en l’onneur du filz de Dieu qui y fut vendu, et le vendredy il ne mengoit de chose qui prensist mort, et pour ce service Dieu ne vouloit pas qu’il feust dampné ne que il morust en un pechié mortel, dont il ne s’estoit pas confessé. Si est bon exemple qu’il se fait bon garder de mengier chose qui prengne mort au vendredi. Et après, belles filles, fait bon jeuner le samedy en l’onneur de Notre-Dame et de sainte virginité qu’elle vous veuille empétrer grace à garder nettement vostre virginité et vostre chasteté à la gloire de Dieu et à l’onneur de voz ames, et que mauvaise temptacion ne vous maistroye. Et si est moult bonne chose et moult noble de jeuner l’un des deux jours en pain et en yaue, qui est grant victoire contre la chair et moult sainte chose. Et si vous dy pour vérité que il ne chiet que à vostre voulenté -16- et de vous y accoustumer ; car tout ne chiet que par accoutumance de dire ses heures, d’oir la messe et le service de Dieu, de jeuner et de faire saintes œuvres comme firent les saintes femmes, selon qu’il est contenu ès légendes et ès vies des sains et des saintes de paradis.
Chappitre VIIIe.
Dont je vouldroye que vous eussiez ouy et retenu l’exemple de la fole femme qui jeunoit le vendredy et le samedy. Si vous compteray d’une folle femme qui estoit en la ville de Romme, qui tousjours jeunoit le vendredy en l’onneur de la passion du doulx Jhesucrist, et le samedi en l’onneur de la virginité Nostre-Dame, et aussy ces ij jours elle se tenoit nettement. Si advint que par une nuit elle ala à son amy en folye, si estoit la nuit obscure, et va arriver en un puis de vint toises de parfont, ou quel elle va cheoir, et ainsi comme elle cheoit, elle s’escria : Nostre-Dame ! Si chéy sur l’yaue et se trouva à dur comme sur une place, et luy vint une voix qui lui dit : « Pour ce que tu jeunes le vendredy et le samedy en l’onneur de la vierge Marie et de son filz, et que tu gardes ta char nettement, tu es sauvée de ce peril. » Sy vindrent lendemain les gens pour puisier de l’eaue, et trouvèrent celle femme en ce puis, duquel elle fust tantost traite et mise -17- hors. Sy se esmerveillèrent moult comment elle estoit sauvée, et elle leur dit que une voix lui avoit dit que c’estoit pour les jeunes du vendredy et du samedy, comme ouy avez. Et, pour la grace que Dieu luy avoit faite, elle leur voua que elle se tendroit nettement et chastement, et useroit sa vie au service de Dieu et de son Eglise. Si le fist tousjours ainsi, comme celle qui ala jour et nuit servir à l’église pour alumer les torches, les cierges et les lampes, et balayer et tenir nettement l’église. Si luy advint une nuit une vision que elle traioit d’un fumier ung vaissel comme un plat d’argent. Sy le regardoit et y véoit plusieurs taiches noires, sy lui disoit une voix : « Frotte et nectoye cest plat, et ostes ces taiches noires tant qu’il soit cler et blanc, comme il estoit quand il parti des mains du maistre. » Et ceste advision si lui advint par trois fois. Si s’esveilla et recorda son advision à Dieu, et quant il fust hault jour sy s’en ala confesser à un saint homme et lui deit son advision, et quant le preudomme eut ouy son advision, si lui dit : « Belle fille, vous estes moult tenue à Dieu servir, car il vuelt vostre salvacion, et vous a monstré comment vous vous devez laver et nectoyer par confession vos péchiez. Si vous diray comment il le vous demonstra par vostre avision. Car le vaissel d’argent trait du fumier, signifie l’ame qui est ou corps ; car l’ame est blanche et nette, et se le corps ne se consentist à faire pechié, elle feust touzjours blanche, comme le vaissel d’argent qui vient de l’orfèvre blanc et net ; et aussi est l’ame quant elle vient des fons de baptesme. Et ainsi comme le vaissel que vous veistes qui estoit au fumier, aussi est -18- l’ame ou corps, qui n’est que fumier, boue et vers. Et quant le chetif corps a pechié par ses faulx delits, pour chacun pechié il avient une tache noire à l’ame, et se tient jusques à tant ce que le corps, qui a fait le delit et le pechié, l’ait confessé et regehi aussi laidement et en la manière comme il a fait, et faitte satisfacion. Et pour ce, belle fille, la voix de l’avision vous dist que vous la curés et netoyez les taches d’icellui vaissel, ce sont les taches de vos pechiez, et le faictes blanc comme il vint de l’orfèvre, c’est comme vous venistes des fons de bapteme. Après vous dist que vous le meissiés en lieu où il feust tenu net et que vous le gardissiez d’ordure, c’est-à-dire que vous vous gardissiez d’aler en lieu où l’on vous attraye à faire pechié, et vous gardés de plus pechier. Car bon est de soy confesser ; mais mieulx est, depuis la confession, de soy garder de y recheoir arrière, car le recheoir est pire que le premier, et quant l’on se confesse, l’on doit tout dire sans riens retenir, et le dire en la manière que on l’a fait. Donc, ma belle fille, dist le preudomme, je vous en diray un exemple d’une bourgoyse moult puissant.
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Chappitre IXe.
Une bourgoise etoit qui avoit bonne renommée d’estre preude femme et charitable, car elle jeunoit trois jours de la sepmaine, dont les ij estoient en pain et en eaue ; après elle donnoit moult de grans aumosnes, et visitoit les malades, et nourrissoit les orphelins, et estoit aux messes jusques au midi, et disoit merveilles de heures, et faisoit toute la saincte vie que bonne femme peust faire. Si advint que elle trespassa. Si luy voult Nostre Seigneur monstrer pour exemple comment elle estoit perdue par un seul pechié mortel ; car la fosse où elle fut mise se prist à fumer et la terre à ardoir, et avoit-on veu de nuit trop de tourment sur la fosse. Si s’en esmerveillirent moult les gens du païs que c’estoit à dire ; car ilz pensoient qu’elle feust sauvée sur toutes. Si eut un saint homme en la cité, qui print la croix, l’estolle et l’eaue benoiste, et vint là ; si la conjura de par Dieu et en fit requeste à Dieu qu’il lui pleust leur demonstrer pourquoy celle pueur et ce tourment estoit ; lors s’escria une voix qui disoit : « Oyez tous, je suis telle, la povre pecheresse dampnée ou feu pardurablement, car Dieu demonstre que mon chetif corps rend fumée et tourment pour exemple. Si -20- diray comment. Il m’avint que par la gayeté de ma char je me couchay avec un moyne. Si ne l’osay oncques regehir ne confesser, pour doubte d’estre accusée et pour la honte du monde, et craignoie plus le bobant du monde que la vengeance espirituelle, et pour cuidier effacier mon pechié je jeunoie et donnoye le mien pour Dieu, je ouoye les messes, et disoye moult de heures, et me sembloit que les grans biens et abstinances que je faisoye estaindroient bien le peschié que je n’osoie regehir ne confesser au prestre, et pour ce j’en suis deceue et perdue. Car je vous dis à tous que qui meurt en pechié mortel et ne le vuelt regehir, il est dampné perpétuellement, ainçois doit dire son pechié aussi villainnement comme il fut fait et par la manière. » Et quant elle eut tout ce dit, tous ceulx qui là estoient furent moult esbahis ; car il n’y avoit nul qui ne pensast qu’elle feust sauvée. Et ainsi dist li preudons cest exemple à celle femme qu’elle confessast et qu’elle deist tous ses pechiés ainsi comme elle les avoit fait, et elle osteroit les taiches du vaissel d’argent, ce sont les taiches de son ame, et sy confessa celle femme, et fut depuis de sainte vie, et ainsi son comancement de sauvement ne fut que par les jeunes comme le vendredy pour la sainte passion, et le samedi pour la virginité de Nostre-Dame, dont elle fut sauvée du péril du puis, car il n’est nul bien qui ne soit mery. Sy est une moult sainte chose ; et, de tant comme le jeuner fait plus de mal à la teste et au corps, de tant est la jeune de plus grant merite et de plus grant valeur ; car, se la jeune ne faisoit mal à jeuner, l’on n’y auroit point de merites. Et encore, -21- pour monstrer exemple comment jeune est de grant merite, li rois de Ninyve et luy et sa cité en fut sauvez, si comme il est contenu ou grant livre de la Bible. Car Dieu avoit fait fondre plusieurs villes pour les grans pechiés en quoy ilz se delictoient. Sy manda Dieu par le prophète à icelluy roy et à celle cité qu’ils seroyent aussi perilz se ils ne s’amendoient. Lors le roy et le peuple de la cité eurent moult grant paour, et, pour appaisier l’ire de Dieu, tous ceulx qui avoient aage de jeuner jeunèrent xl jours et xl nuis, et se mistrent à genoulz, sacs sur leurs testes, et sur leurs sacs mirent cendre en humilicté, et, quant Dieu vit leur abaissement et leur humilité, il eut mercy d’eulx ; sy furent sauvés et rappeliez de celle pestilence. Et ainsi par leur humilité et par leurs jeunes ils furent garentiz. Et pour ce, mes belles filles, jeune est une abstinence et vertu moult convenable et qui adoulcist et reffranist la char des mauvaises voulentéz, et humilie le cuer et empètre grace vers Dieu, dont toutes jeunes femmes, et especiaulment les pucelles et les veuves, doivent jeuner, comme dit vous ay cy dessus par plusieurs exemples, lesquels, se Dieu plaist, vous retendrez bien.
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Chappitre Xe.
Après, mes belles filles, gardez que vous soiez courtoises et humbles, car il n’est nulle plus belle vertu, ne qui tant attraite à avoir la grace de Dieu et l’amour de toutes gens, que estre humbles et courtoises ; car courtoisie vaint les felons orguilleux cuers, et à l’exemple de l’espervier sauvage, par courtoisie vous le ferez franc, si que de l’arbre il vendra sur vostre poing, et se vous lui estiez en riens rudes ne cruelz, jamais ne vendroit. Et donc, puisque courtoisie vaint oisel sauvaige, qui n’a nulle rayson en soy, doit courtoisie mater et refraindre tout cuer de homme et de femme, jà tant n’aient le cuer orgueilleux, fier ne felon ; courtoisie est le premier chemin et l’entrée de toute amistié et amour mondaine, et qui vaint les haulz couraiges et adoulcist l’ire et tout le couroux de toute amistié, et pour tant est belle chose d’estre courtoise. Je congnois un grant seigneur en ce païs qui a plus conquis chevaliers et escuiers et autres gens à le servir ou faire son plaisir par sa grant courtoisie, au temps qu’il se povoit armer, que autres ne faisoient pour argent ne pour autres choses. C’est messire Pierre de Craon, qui bien fait à louer de honneur et de courtoisies sur tous les autres chevaliers que je congnoys. Après je -23- congnoys des grans dames et autres qui sont moult courtoises et qui en ont moult de belles graces acquises de l’amour des grans et de petits ; se vous monstrés vostre courtoisie aux petits et aux petites, c’est de leur faire honneur et parler bel et doulcement avec eux et leurs estre de humbles responses ; ceulx vous porteront plus grant louange et plus grant renommée et plus grant bien que les grans. Car l’honneur et la courtoisie qui est portée aux grans n’est faicte que de leurs droiz, et que l’on leur doit faire. Mais celle qui est faite aux petits gentilz hommes et aux petites gentils femmes et autres maindrez, telles honneurs et courtoisies viennent de franc et de doulx cuer, et li petiz à qui on la fait s’en tient pour honnouré, et lors il l’essauce par tout, en donne loz et gloire à cellui ou à celle qui lui a fait honneur, et ainsi des petis à qui l’on fait courtoisie et honneur vient le grant loz et la bonne renommée, et se croist de jour en jour. Dont il avint que je estoye en une bien grant compaignie de chevaliers et de grans dames, si osta une grant dame son chapperon et se humilia encontre un taillandier. Si y avoit un chevalier qui dist : « Madame, vous avez osté vostre chapperon contre un taillandier », et la dame respondit que amoit mieux à l’avoir osté contre luy que à l’avoir laissié contre un gentil homme. Si fut tenu à grant bien de tous pour la bonne dame.
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Chappitre XIe.
Après, en disant voz heures à la messe ou ailleurs, ne samblés pas à tortue ne à grue ; celles semblent à la grue et à la tortue qui tournent le visaige et la teste par dessus et qui vertillent de la teste comme une belette. Aiez regart et manière ferme comme le liniere, qui est une beste qui regarde devant soy sans tourner la teste ne çà ne là. Soiez ferme comme de resgarder devant vous tout droit plainement, et, si vous voulez regarder de costé, virez visaige et corps ensemble ; si en tendra l’en vostre estat plus seur et plus ferme, car l’on se bourde de celles qui se ligierement brandellent et virent le visaige çà et là.
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Chappitre XIIe.
Dont je vourroye que vous eussiez bien retenu l’exemple des filles du roy de Dannemarche. Si vous en compteray. Ilz sont quatre roys de çà la mer qui anciennement se marièrent par honnour, sans convoitise de terre, comme des filles de roys ou de haulx lieux, qui soient bien nées ou qui aient renommée de bonnes meurs, de bel maintien, et fermes, et de bonnes manières, et les convient veoir se elles ont ce que femmes doivent avoir et se elles sont tailliées de porter ligniée. Ces iiij sont li roys de France, qui est le plus grans et le plus nobles ; l’autre est le roy d’Espaigne ; le tiers le roys d’Angleterre ; le quart est le roy de Hongrie, qui est de son droict mareschal des crestiens ès guerres contre les mescréans. Si avint que le roy d’Engleterre estoit à marier, et oyt dire que le roy de Dannemarche avoit iiij moult belles filles et moult bien nées, et, pour ce que icellui roy estoit preude et la royne moult preude femme et de bonne vie, il envoya certains chevaliers et dames des plus souffisans du royaume à son povoir, pour veoir icelles filles ; si passèrent la mer et vindrent à Dannemarche. Et, quant le roy et la royne virent les messagiers, si en eurent moult grant joye, et les honnourèrent et festoyèrent -26- iiij jours, et nulz ne savoit la verité, laquelle ilz esliroient. Si ce cointirent les filles et s’affaitèrent au mieulx qu’elles porent. Si avoit en la compaignie un chevalier et une dame, moult congnoissant et moult soubtilz, et qui bien mectoient l’eueil et l’entente de veoir leurs manières et contenances, et aucunez foiz les mettoient en parolles. Si leur sembla que, combien que l’ainsnée feust bien la plus belle, elle n’avoit mie le plus seur estat, car elle regardoit menu et souvent çà et là et tournoit la teste sur l’espaule et avoit le resgart bien vertilleux. Et la ije fille, avoit à merveilles de plait et de parolles, et respondoit souvent et menu avant qu’elle peust tout entendre ce dont on luy parloit ; la tierce n’estoit pas la plus belle à deviser, mais elle estoit bien la plus aggréable et si avoit la manière et le maintien seur et ferme, et paroloit assez pou et bien meurement, et son resgart estoit humble et ferme, plus que de nulle des iiij. Si eurent conseil et avis les ambassadeurs et messagiers que ilz retourneroient au roy leur seigneur pour dire ce que trouvé avoyent, et lors il prendroit laquelle qui lui plairoit. Et lors vindrent au roy et à la royne pour congié prandre de eulx et les mercièrent de leur bonne compaignie et de l’onnour que ilz leur avoient faite, et qu’ilz raporteroient à leur seigneur ce qu’il leur sembloit de leurs filles, et sur ce il feroit à son plaisir. Li rois leur donna de beaux dons. Si s’en partirent et vindrent en Angleterre, et racontèrent à leur seigneur l’onneur que le roy et la royne leur avoient faite. Après rapportèrent les beautez des filles et leurs manières et leurs maintiens, et y fut assez parlé de chascune d’elles, et y eut assés qui -27- soustenoient à prandre l’ainsnée ou la seconde par honneur, et que ce seroit plus belle chose d’avoir l’ainsnée, et, quant ilz eurent débatu assez, li roys, qui estoit sages homs et de bon sens naturel, parla derrenier, et dit ainsi : « Mes ancesseurs ne se marièrent oncques par convoitise, fors à honnour et à bonté de femme, ou par plaisance. Mais j’ay ouy plus souvent et menu mésavenir de prendre femme par beauté et plaisance, que de celle qui est de meure manière et de ferme estat, et qui a bel maintieng ; car nulle beauté ne noblesce ne s’apareille, ne passe bonnes meurs, et n’est ou monde grant aaise comme de avoir femme seure et ferme d’estat et de bonne manière, ne n’est plus belle noblesce. Et pour ce je esliz la tierce fille, ne n’auray jà autre. » Lors si l’envoya querre, dont les deux ainsnées furent en grant despit et grant desdaing. Et ainsi celle qui avoit la meilleure et la plus seure manière, fut royne d’Angleterre, et l’ainsnée fut refusée pour le vertillement et legiereté de son visaige et pour son resgard qui estoit un peu vertilleux, et l’autre seur après le perdit pour ce qu’elle avoit trop à faire et estoit trop emparlée ; si prenés, belles filles, bons exemples en ces filles du roy de Dannemarche, et n’aiés pas trop l’ueil au veoir ne vertillous, ne ne tournés le visaige ne çà ne là ; quant vous vouldrez resgarder quelle part que ce soit, virés visaige et corps ensemble, et ne soiés pas trop emparliers, car qui parle trop ne puet tousjours dire que saige. Et doit-on bien à loisir entendre avant que respondre ; mais, si vous y faictes un peu de pause entre deulx, vous en respondrez mieulx et plus saigement ; car -28- que le proverbe dit : autant vault cellui qui oit et riens n’entant comme cellui qui chasse et riens ne prent, comme dessus est dit.
Chappitre XIIIe.
Encores, mes belles filles, vous diray-je pour exemple d’un fait qui m’en avint sur ceste matière. Il avint que une foiz que l’en me parloit de me marier avecques une belle noble femme qui avoit père et mère, et si me mena mon seigneur de père la veoir ; et quant nous fumes là, l’en nous fist grant chière et liée. Si resgarday celle dont l’on me parloit, et la mis en parolles de tout plain de choses, pour savoir de son estre. Si cheismes en paroles de prisonniers. Dont je lui dis : « Ma damoiselle, il vaudroit mieulx cheoir a estre vostre prisonnier que à tout plain d’autres, et pense que vostre prison ne seroit pas si dure comme celle des Angloys ». Si me respondit qu’elle avoyt veu nagaires cel qu’elle vouldroit bien qu’il feust son prisonnier. Et lors je luy demanday se elle luy feroit male prison, et elle me dit que nennil et qu’elle le tandroit ainsi chier comme son propre corps, et je lui dis que celui estoit bien eureux d’avoir si doulce et si noble prison. Que vous dirai-je ? Elle avoit assez de langaige et lui sambloit bien, selon ses parolles, qu’elle savoit -29- assez, et si avoit l’ueil bien vif et legier. Et moult y ot de paroles, et, toutes voies, quant vint au departir elle fust bien apperte ; car elle me pria ij foiz ou iij, que je ne demouraisse point à elle venir veoir, comment que ce fust ; si me tins moult acointes d’elle, qui en si pou de heure fu si son accointe que oncques mais ne l’avoye veue, et si savoit bien que l’en parloit de mariage d’elle et de moy. Et quant nous fumes partis, mon seigneur de père me dist : Que te samble de celle que tu as veue. Dy m’en ton avis. Si lui dis et respondis : Mon seigneur, elle me samble belle et bonne, maiz je ne luy seray jà plus de près que je suis, si vous plaist ; si luy dis ce qu’il me sambloit d’elle et de son estre. Et ainsi je ne l’eus pas, et pour la très grant legière manière et la trop grant appertise qui me sembloit à veoir en elle ; dont je en merciay depuis Dieu moult de foiz ; car ne demoura pas an et demi qu’elle fust blasmée, mais je ne sçay se ce fut à tort ou à droit ; et depuis mourust. Et pour tant, mes chières filles et nobles pucelles, toutes gentilz femmes de bon lieu venues doivent estre de doulces manières, humbles et fermes d’estat et de manières, poy emparlées, et respondre courtoisement et n’estre pas trop enresnées, ne surseillies, ne regarder trop legierement. Car, pour en faire moins, n’en vient se bien non ; car maintes en ont perdu leur mariage pour trop grans semblans, dont par maintes foiz l’en esperoit en elles autres choses qu’elles ne pensoient.
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Chappitre XIIIIe.
Je vouldroye que vous sçussiez l’exemple comment la fille ainsnée au roy d’Arragon perdit le roy d’Espaigne par sa follie. Il est contenu es gestes d’Espaigne que le roy d’Arragon avoit deux filles. Sy en voult le roy d’Espaigne avoir une, et, pour mieulx eslire celle qui li plairoit mieulx, il se contrefist en guise d’un servant et ala avec les ambassadeurs, c’est-à-dire ses messagiers, et ala avec luy un evesque et deux barons. Et ne demandés pas si le roy leur fist grant honneur et grant joye. Les filles du roy se appareillèrent et atournèrent au mieulx qu’elles peurent, et par especial l’ainsnée, qui pensoit que les parolles feussent pour elle. Si furent leans trois jours pour veoir et resgarder leurs contenances, dont il advint que, au matin, le roy d’Espaigne, qui estoit desguisié, resgardoit la contenance d’elles. Si resgarda que quant l’en salua l’ainsnée, que elle ne leur respondist riens que entre ses dens, et estoit fière et de grant port ; maiz sa suer estoit humble et de grant courtoisie plaine, et saluoit humblement le grant et le petit. Après il resgarda une fois que les deux suers jouoient ensemble aux tables à deux chevaliers ; maiz l’ainsnée tensa à l’un des chevaliers et mena -31- forte fin ; maiz sa suer puisnée, qui aussy avoit perdu, ne faisoit semblant de sa perte, ains faisoit aussy bonne chière comme se elle eust tout gaingné. Le roy d’Espaigne resgarda tout ce ; si se retraist à côté et appela ses gens et ses barons, et leur dit : « Vous savés que les roys d’Espaigne ne les roys de France ne se doivent pas marier par convoitise, fors noblement et à femmes de bonnes meurs, bien nées et bien tailliées de venir à bien et à honneur, et à porter fruit, et pour ce j’ay veues ces deux filles et leurs manières, et me sembla que la plus jonne est la plus humble et plus courtoise que n’est l’autre, et n’est pas de si haultain couraige ni de si haulte manière comme l’ainsnée, comme j’ay peu appercevoir, et pour ce prenés la plus jeune, car je l’eslis. » Si lui respondirent : « Sire, l’ainsnée est la plus belle, et sera plus grant honneur de avoir l’ainsnée que la plus juenne. » Si respondit que il n’estoit nul honneur ne nul bien terrien qui s’acomparaige à bonté et à bonnes meurs, et par especial à l’umilité et à humblesce, et pour ce que je l’ay veue la plus courtoise et la plus humble, si la vueil avoir. Et ainsi l’esleut. Et adoncques l’evesque et les barons vindrent au roy d’Arragon et luy demandèrent sa fille plus juenne, dont le roy et tous ses gens en furent moult esmerveillez qu’ilz ne prenoient l’ainsnée, qui estoit la plus belle de moult. Maiz ainsi avint que la plus jeune fut royne d’Espaigne, pour estre humble et de doulces parolles au grant et au petit, et par sa courtoisie fut esleue. Dont l’ainsnée eust grant desdaing et grant despit, et en fut toute forcennée, et pour ce a cy bon exemple comment par courtoisie et par humilité l’on accroist -32- en l’amour du monde : car il n’est riens si plaisans comme estre humble et courtoise et saluer le grant et le petit, et non pas faire chière de perte ne de gaain, car nulles gentilz femmes ne doivent avoir nul effroy en elles ; elles doivent avoir gentilz cuers et de doulces responces et estre humbles, comme Dieu dist en l’Euvangille, que qui plus vault et scet plus se humilie, car qui plus se umilie plus s’essaulce, comme fist ceste mainsnée fille du roy d’Arragon, qui, par sa courtoisie et son humilité, conquist à estre royne d’Espaigne et l’osta à sa suer l’ainsnée.
Chappitre XVe.
Belles filles, gardez que vous ne prengniez estrif à fol, ne à folle, ne à gens folz qui ayent male teste : car c’est grant peril. Je vous en dirai un exemple que j’en vi. Il avint en un chastel, où plusieurs dames et damoiselles demeuroient. Si y avoit une damoiselle, fille d’un chevalier bien gentilz ; si se va courrouscier à jeu de tables, elle et un gentil homme, qui bien avoit male teste et rioteuse, et n’estoit pas trop saige. Si fut le debat sur un dit qu’elle disoit qu’il n’estoit pas droit ; tant avint que les parolles se haulcèrent et qu’elle dit qu’il estoit cornart et sot. Ilz laissèrent le jeu par tenson. Si dis à la damoiselle : « Ma chière cousine, -33- ne vous marrissiez de riens qu’il die, car vous savez qu’il est de haultes paroles et de sottes responces. Si vous prie pour vostre honneur que vous ne preignez point de debat avecques luy, et le dis féablement, comme je voulsisse dire à ma suer. » Maiz elle ne m’en voult croire, ains tença encore plus fort que devant, et lui dist qu’il ne valoit riens, et moult d’autres parolles. Et il respondist, comme fol, qu’il valoit mieux pour homme qu’elle ne faisoit pour femme. Et elle lui dist qu’il ne disoit mie voir, et creurent leurs paroles et surmontèrent tant que il deist que, s’elle feust saige, elle ne venist pas par nuit ès chambres aux hommes les baisier et accoler en leurs liz sans chandoille, et elle s’en cuida bien venger, et lui dist qu’il mentoit, et il luy dist que non faisoit et que tel et tel lui avoient veue. Si avoit là moult de genz, qui furent esmerveillez, qui riens ne sçavoient de ce, et si y ot pluisseurs qui dirent que ung bon taire lui vaulsist mieulx, et qu’elle s’estoit batue par son baston mesmes, c’est-à-dire par sa langue et son hatif parler. Et après celles parolles, elle ploura et dist qu’il l’avoit diffamée, et il ne demoura pas ainsi, car il l’assaillit arrière devant tous et estriva et tença tant que il luy dist encores qu’il y avoit veu pis, et dist paroles encore plus ordes et plus honteuses au deshonnour d’elle, que jamais ne luy chierroit pour secourre qu’elle face, et ainsy se ahontaga par son fol couraige et par sa haultesce de cuer. Et pour ce ainsy a cy bon exemple comment nulle femme ne doit tencier ne estriver à fol, ne à folle, ne avecques gens qu’elle sache qui aient haultain couraige ; ainsi les doit l’en eschever, et, se l’en voit qu’ilz vueillent parler -34- haultement ou grossement, l’en les doit laissier tous piquiés, leur dire : « Beaulx amis, je vois bien que vous voulés parler hault ou rioter ; je vous lairay le champ et m’en yray », et puis soy en aler et departir, si come fist un chevalier que je congnoys bien, à une dame qui avoit male teste et envyeuse, et disoit moult d’oultraiges au chevallier devant tous. Si dit le chevallier : « Dame, il vous plaist à dire tant de merveilles ; se je vous escoute, je ne vous fais nul tort. Je voy bien que vous estes marrie, dont me desplaist. » Mais pour tant celle ne se voult oncques taire, maiz tença plus fort, et quand le chevallier vit qu’elle ne se vouloit souffrir ne taire pour riens, si prist un petit bouchon de paille que il trouva et le mist devant elle, et lui dist : « Dame se vous voulez plus tencier, si tencez à ceste paille, car je la laisse pour moy et m’en iray. » Et il s’en ala et la laissa. Si fut tenu pour bien fait au chevallier qui ainsi l’escheva, et elle fut fole et seulle et ne trouva à qui plus tencer, et s’enffrenaisist se elle voult. Et ainsi le doit l’en faire, car l’en ne doit mie estriver à fol, ne à gens tenseurs, ne qui ayent male teste. Ains les doit-en eschever, comme fist le chevallier à la dame, comme oy avez.
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Chappitre XVIe.
Un exemple vous vueil dire sur le fait des femmes qui manguent les bons morceaulx en l’absence de leurs seigneurs. Si fut une damoiselle qui avoit une pye en caige, qui parloit de tout ce qu’elle véoit faire. Si avint que le seigneur de l’ostel faisoit garder une grosse anguille dedans un vaissel ou un vivier, et la gardoit moult chierement pour la donner à aucuns de ses seigneurs ou de ses amis, si ilz le venissent veoir. Si avint que la dame dist à sa clavière que il seroit bon de menger la grosse anguille, et au fait ilz la mengèrent et distrent que ilz diroient à leur seigneur que le loerre l’avoit mangée. Et quant le seigneur fut venu, la pye lui commença à dire : « Mon seigneur, ma dame a mangié l’anguille. » Lors le seigneur ala à son vivier et ne trouva point de son anguille. Si vint à son hostel et demanda à sa femme que estoit devenue l’anguille, et elle se cuida bien excuser, maiz il dit qu’il estoit tout certain et que la pie le lui avoit dit. Sy ot ceans assez grand noise et grant tourment. Maiz quand le seigneur s’en fut alez, la dame et la clavière si vindrent à la pye et lui plumèrent toute la teste en lui disant : « Vous nous avez descouvertez de l’anguille. » Et ainsi fut la povre pie toute plumée. Maiz de là en avant, quant il venoit nulles gens qui -36- feussent pelez ne qui eussent grant front, la pie leur disoit : « Vous en parlates de l’anguille. » Et pour ce a cy bon exemple comment nulle femme ne doit mengier nul bon morsel par sa lescherie sans le sceu de son seigneur, se elle ne l’employe avec gens d’onnour. Car celle damoiselle en fu depuis mocquée et rigolée pour celle anguille, à cause de la pie qui s’en plaignoit.
Chappitre XVIIe.
Un exemple vous diray comment c’est male chose que jalousie. Une damoiselle, qui estoit mariée à un escuier, si amoit tant son seigneur, qu’elle en estoit jalouse de toutes celles à qui il parloit. Si l’en blasmoit son seigneur mainteffoiz par bel ; mais riens n’y valoit, et entre les autres elle estoit jalouse d’une damoiselle du païs, laquelle estoit de haultain couraige. Si advint une foiz qu’elle tença à celle damoiselle, et lui reprouchoit son mary, et l’autre lui dyt que par sa foy elle disoit ne bien ne voir, et l’autre disoit qu’elle mentoit. Si s’entreprindrent et destressèrent malement, et celle qui estoit accusée tenoit un baston et en fiert l’autre par le nez tel coup que elle lui rompit l’os et eut toute sa vie le nez tort, qui est le plus bel et le plus séant membre que homme ne femme ait, comme cellui qui siet au milieu du visaige. -37- Si en fut celle damoiselle toute sa vie deffaite et honteuse, et son mary lui reprouchoit bien souvent qu’il lui eust mieulx valu de non estre si jalouse que de avoir fait deffaire son visage. Et ainsi par celle laideur et mescheance, il ne la peut depuis si parfaictement amer comme il souloit devant, et ala au change. Et ainsi perdit l’amour et l’onnour de son seigneur par sa jalousie et par sa follie. Et pour ce a cy bon exemple à toute bonne femme et à bonne dame comment elles ne doivent faire semblant de telz choses, et doivent souffrir bel et courtoisement leur doulour, se point en ont, si comme souffrit une mienne tante, qui le me compta plusieurs fois. Celle bonne dame fut dame de Languillier, et avoit un seigneur qui tenoit bien mil et vc livres de rente, et tenoit moult noble estat. Et estoit le chevallier à merveille luxurieux, tant qu’il en avoit tousjours une ou deux à son hostel, et bien souvent il se levoit de delèz sa femme et aloit à ses folles femmes. Et, quant il venoit de folie, il trouvoit la chandoille alumée et l’eaue et le toaillon à laver ses mains. Et quant il estoit revenuz, elle ne ly disoit rien, fors qu’elle luy prioit qu’il lavast ses mains, et il disoit que il venoyt de ses chambres aisées : « Et pour tant, mon seigneur, que vous venés des chambres, avez vous plus grant mestier de vous laver. » Ne autre ne lui reprouchoit, maiz que aucune foiz elle luy disoit privéement, à eulx tous deulx seulz : « Mon seigneur, je sçay bien vostre fait de telle et telle. Maiz jà par ma foy, se Dieu plaist, puisque c’est vostre plaisir et que je n’y puis mettre autre remède, je n’en feray ne à vous ne à elles pire chière ne semblant. Car je seroys -38- bien folle de tuer ma teste pour l’esbat de voz denrées, puisque autrement ne peut estre. Maiz, je vous prie, mon seigneur, que au mains vous ne m’en faciez point pire chière, et que je ne perde vostre amour ne vostre bon semblant ; car du seurplus je me deporteray bien et en soufreray bien tout ce qu’il vous en plaira commander. » Et aucunes fois, par ces doulces parolles, le cuer lui en pitéoit et s’en gardoit une grant pièce. Et ainsi toute sa vie, par grant obéissance et par grant courtoisie le vainquoit ; car par autre voie jamaiz ne l’eust vaincu, et tant que au derrenier il s’en repentist et se chastia. Cy a bon exemple comment, par courtoisie et par obéissance, l’on puet mieulx chastier et desvoyer son seigneur de celluy faict que par rudesse. Car il en est le plus de telz couraiges que, quant elles leur courent sus, ilz se appunaisissent et en font pis. Pour tant, à droit resgarder, ne doit pas savoir le mary trop mal gré à sa femme se elle est jalouse de luy. Car li saige dit que la jalousie est grant aspresse d’amour, et je pense que il die voir ; car il ne me chauldroit se aucun, qui riens ne me seroit ne que jà cause n’auroye d’amer, se il faisoit bien ou mal ; maiz de mon prouchain, ou de mon amy, je en auroye doulour et dueil au cuer se il avoit fait aucun grant mal ; et pour ce jalousie n’est point sans grant amour. Maiz il en est de deux manières, dont l’une est pire que l’autre ; car il n’en est aucune où il n’a nulle bonne raison, et que il vault trop mieux s’en souffrir pour leur honneur et pour leur estat. Et aussi l’omme ne doit pas trop mal gré savoir à sa femme se elle est un pou jalouse de luy ; car elle monstre comment le -39- cuer lui duelt. Ainsi comme elle a grant paour que aultre ait l’amour qu’elle doit avoir de son droict, selon Dieu et saincte Eglisse. Maiz la plus saige en fait le mains de semblant, et se doit reffraindre bel et courtoisement et couvertement porter son mal, et tout ainsi doit faire l’omme, et soy refraindre saigement au moins de samblant que il pourra ; car c’est grant sens qui s’en peut garder. Maiz toutesfoiz la femme qui voit que son seigneur est un petit jalous d’elle, se il s’apparçoyt d’aucunes follies plaisantes qui ne lui plaisent pas, la bonne femme le doit porter saigement sanz en faire semblant devant nul. Sy elle luy en parle par nulle voye, elle le doit dire à eulx deulx le plus doulcement que elle pourra, en disant qu’elle scet bien que la grant amour qu’il a avecques elle lui fait avoir paour et doubte qu’elle tourne s’amour ailleurs et lui dire qu’il n’en ait jà paour, car, se Dieu plaist, elle gardera l’onneur de eulx deulx. Et ainsi, par belles et doulces parolles, le doit desmouvoir et oster de sa folle merencolie ; car, se elle le prent par yre ne par haultes paroles, elle alumera le feu et luy fera encores penser pis et avoir plus grant doubte que devant. Car plusieurs femmes sont plus fières en leurs mensçonges que en parolles de vérité, et pour ce maintes foiz font plus de doubte. Et aussy vous dis-je que la bonne dame, combien que elle ait un pou de riote et d’ennuy, elle n’en doit pas moins avoir chier son seigneur pour un pou de jalousie, car elle doit penser que c’est la très grant amour qu’il a à elle, et comment il a grant doubte et grant soussy en son cuer que autre ait l’amour que il doit avoir de son droit, selon l’Église et -40- Dieu, et penser et regarder se aultre lui fortrait l’amour que il doit avoir, et que jamaiz ne l’aymera, et que la joie de leur mariage seroit perdue, et leur mariage tourné à declin et tournera de jour en jour. Et une chose, dont maintes se donnent mal, est jalousie et fait grant soussi et estroit penser, et pour ce a cy bon exemple comme l’en doit amesurer son couraige et son penser.
Chappitre XVIIIe.
Après ne doit l’en point à son seigneur estriver ne luy respondre son desplaisir, comme la bourgoise qui respondoit à chascune parolle que son seigneur luy disoit tant anvieusement, que son seigneur fut fel et courrouscié de soy veoir ainsi ramposner devant la gent ; si en ot honte, et lui dist une foiz ou deux qu’elle se teust, et elle n’en voulsist riens faire. Et son seigneur, qui fut yrié, haulça le poing et l’abbati à terre, et oultre la fery du pié au visaige et luy rompit le nez. Si en fu toute sa vie deffaite, et ainsy par son ennuy et par sa riote elle ot le nez tort, qui moult luy mesadvint. Il luy eust mieux valu qu’elle se feust teue et soufferte ; car il est raison et droit que le seigneur ait les haultes parolles, et n’est que honneur à la bonne femme de l’escouter et de soy -41- tenir en paix et laissier le hault parler à son seigneur, et aussy du contraire, car c’est grant honte de oïr femme estriver à son seigneur, soit droit, soit tort, et par especial devant les gens. Je ne dis mie que, quant elle trouvera espace seul à seul, que par bel et par courtoisie, elle le puet bien aprendre et luy monstrer courtoisement qu’il avoit tort, et s’il est homme de Dieu il luy en saura bon gré, et s’il est autre, se n’aura elle fait que son droit. Car tout ainsy le doit faire preude femme à l’exemple de la sage dame la royne Hester, femme du roy de Surie, qui moult estoit colorique et hatif ; maiz sa bonne dame ne lui respondoit riens en son yre ; maiz après, quant elle véoit son lieu, elle faisoit tout ce qu’elle vouloit, et c’estoit grant senz de dames, et ainsi le doivent faire les bonnes dames à ceste exemple. Cestes femmes, qui sont foles et remponeuses, ne sont pas de l’obeyssance comme fut la femme d’un marchant, dont je vous en diray l’exemple.
Chappitre XIXe.
Une fois avint que trois marchans venoient de l’emplette de querre draps de Rouen. Si dist l’un : C’est trop bonne chose que femme, quand elle obeist voulontiers à son seigneur. — Par foy, fist l’autre, la moye m’obeist bien. — Vrayement, dist l’autre, la moye, -42- si comme je pense, me obeist plus. — Voire, dist le tiers, mectons une fermaille, laquelle obeyra mieulx et qui mieulx fera au commandement de son mary. — Je le vueil, firent les autres. Sy fut mise la fermaille, et jurèrent tous trois que nul ne advertiroit sa femme, fors dire : Ce que je commanderay soit fait, comment que ce soit. Si vindrent premierement chez l’une. Sy dist le seigneur : Ce que je commenderay soit fait, comment que ce soit. Après cela le seigneur dist à sa femme : Sailliez en ce bassin. — Et elle respondit : A quoy, ne à quelle besoingne ? — Pour ce, dist-il, que je le vueil. — Vrayement, dit-elle, je sauray avant pourquoy je saille. Si n’en fist rien ; si fut le mary moult fel, si luy donna une buffe. Après ilz vindrent chiés le second marchant et dist, ainsi comme dist l’autre, que son commandement feust fait, et puis d’illec ne demoura guères après qu’il la commanda à saillir ou bacin. Et elle dist : Pourquoy ? Et au fort elle n’en voult riens faire, et en fut batue comme l’autre. Si vindrent chez le tiers marchant. Si estoit la table mise et la viande dessus. Si dist aux autres en l’oreille que après mengier il lui commanderoit à saillir ou bacin. Et se misrent à table, et le seigneur dit devant tous que ce que il commanderoit feust fait, comment qu’il feust. Sa femme, qui le amoit et craignoit, oyt bien la parolle ; sy ne sçeut que penser. Si advint que il mengèrent oeufs molès, et n’y avoit point de sel fin sur la table. Sy va dire le mary : Femme, saul sur table ; et la bonne femme, qui ot paour de luy désobéir, saillit sur table et abati table et viandes, et vin et voirres, et escuelles, tant que tout ala par la place. Comment, -43- dist le seigneur, est-ce la manière ? vous ne sçavés autre jeu fère ; estes-vous desvée ? — Sire, dist-elle, j’ay fait vostre commandement ; ne aviez vous pas dit que vostre commandement feust fait, combien qu’il feust ? je l’ay faict à mon pouvoir, combien que ce feust vostre dommaige et le mien : car vous m’aviez dit que je saillisse sur la table. — Quoy, dist-il, je disoye : Sel sur table. — En bonne foy, dist-elle, je entendoye y saillir. Lors y ot assés ris et tout prins à bourde, dont les aultres deux marchans vont dire qu’il ne falloit jà commander qu’elle saillist ou bacin, et qu’elle en avoit assez fait, et que son seigneur avoit gaaingnié la fermaille, et fut la plus loée de obeir à son seigneur, et ne fut mie batue comme les autres, qui ne vouloient faire le commandement de leurs seigneurs ; car gens voitturiers sy chastient leurs femmes par signes de cops ; et aussy toute gentil femme de son droit mesmes doit l’en chastier et par bel et par courtoisie, car autrement ne leur doit l’en faire. Et, pour ce, toute gentil femme monstre se elle a franc et gentil cuer ou non, c’est assavoir qui lui monstre par bel et par courtoisie, de tant comme elle aura plus gentil et franc cuer, de tant se chastie elle mieulx, et obeist et fait plus debonnairement le commandement de son seigneur, et a plus grant doubte et paour de luy desobeir. Car les bonnes craignent comme fist la bonne femme au tiers marchant, qui, pour doubte de desobeir à son seigneur, elle sailly sus la table et abaty tout, et ainsi doit toute bonne femme fère, craindre et obéir à son seigneur, et faire son commandement, soit tort, soit droit, se le commandement -44- n’est trop oultrageux, et, se il y a vice, elle en est desblasmée, et demeure le blasme, se blasme y a, à son seigneur. Or vous ay un peu traittié de l’obeissance et de la crainte que l’on doit avoir à son seigneur, et comment l’en ne doit pas respondre à chascune parolle de son seigneur ne d’autre, et quel péril il y a et comment la fille d’un chevalier en mist son honnour et son estat en grant balence, pour estriver et respondre au fol escuier, qui pour ce dist que fol et que nice et sot. Maiz il est maintes gens qui sont de sy haultaines paroles et de sy mauvaiz couraige qu’ilz dient en hastiveté tout ce qu’ils scevent, et que à la bouche leur vient. Pour ce est-ce grant péril de prendre tenson à telles gens. Car qui l’y prent, il met son honneur en grant adventure ; car maintes gens en leur yre dient plus que ilz ne scevent pour eulx mieulx vengier. Si vous laisseray de ceste matière et vous parleray de celles qui donnent la char aux petiz chiens.
Chappitre XXe.
Je vous parleray de celle qui donnoit la chair et les bons morseaulx à ses petiz chiens. Une dame estoit qui avoit deux petis chiens. Si les avoit sy chiers qu’elle y prenoit moult grant plaisance et leur faisoit faire leur escuielle de souppes, et puis leur donnoit de la -45- char. Sy y ot une fois un frère mendiant qui lui dist que ce n’estoit pas bien fait que les chiens fussent gros et gras là où les povres de Dieu estoient povres et maigres de faing. Si lui en sceut moult mal gré la dame, et pour ce ne se voult chastier. Sy advint que la dame acoucha au lit malade de la mort, et y avint telles merveilles que l’en vit tout appertement sur son lit deux petiz chiens noirs, et, quant elle transit, ilz estoient entour sa bouche et lui lechoient le bec, et, quand elle fut transie, l’on lui vit la bouche toute noire, que ilz avoient léchée, comme charbons, dont je l’ouy compter à une demoiselle qui disoit qu’elle l’avoit veue, et me nomma la dame. Pourquoy a cy bonne exemple à toute bonne dame comment elle ne doit point avoir si grant plaisance en telle chose, ne donner la char aux chiens ne les lescheries, dont les povres de Dieu meurent de faing là hors, qui sont creatures de Dieu et fais à sa semblance, et sont ses serfz et ses sergens, et cestes femmes ont pou ouy la parolle que Dieu dist en la sainte euvangille, que qui fait bien à son povre il le faist à luy meismes. Cestes femmes ne resemblent pas à la bonne royne Blanche, qui fut mère saint Loys, qui ne prenoit point desplaisir ains faisoit donner la viande de devant elle aux plus mesaisiéz. Et après, saint Loys, son filz, le faisoit ainsy ; car il visitoit les povres et les paissoit de sa propre main. Le plaisir de toute bonne femme doit estre à véoir les orphelins et povres et petiz enfanz par pitié, et les nourrir et les vestir comme faisoit la sainte dame qui estoit comtesse du Mans, laquelle nourissoit bien xxx orphelins, et disoit que c’estoit son esbat, et pour ce -46- fut amie de Dieu, et ot bonne vie et bonne fin, et vit l’en plus grant clarté et planté de petiz enfanz en sa mort ; ce ne furent pas les petiz chiens que l’on vit à la mort de l’autre, comme ouy avez.
Chappitre XXIe.
Mes belles filles, je vous prye que vous ne soyez mie des premières à prendre les estas nouveaulx, et que en cestui cas vous soiez les plus tardives et les derrenières, et par especial de prandre estat de femmes d’estrange païs, sy comme je vous diray d’un débat qui fut d’une baronnesse qui demouroit en Guienne et du sire de Beaumanoir, père de cestuicy qui à present est, qui fut malicieux et saige chevallier. La dame le arraysonnoit de sa femme et lui dist : « Beau cousin, je vien de Bretaigne, et ay veu belle cousine vostre femme, qui n’est pas ainsi atournée, ne sa robe estoffée comme les dames de Guienne et de plusieurs autres lieux ; car les pourfiz de ses coursès et de ses chapperons ne sont pas assez grans ne de la guise qui queurt à present. » Le chevalier luy respondi : « Ma dame, puisqu’elle n’est pas arrayée à vostre guise et comme vous, et que ses pourfiz vous semblent petiz et que vous m’en blasmés, sachiez que vous ne m’en blasmerés plus ; ains la -47- feray plus cointe et aussy nouvellement arrayée de nobles cointises comme vous ne nulles des autres ; car vous et elles n’avez que la moitié de vos corsès et de vos chapperons rebuffez de vair et d’ermines ; et je feray encores mieulx, car je lui feray ses corsès et ses chapperons vestir en l’envers, le poil dehors. Ainsi sera mieulx pourfillée et rebuffée que vous ne les autres. » Après luy dit : « Ma dame, pensés-vous que je ne vueille qu’elle soit bien arrayée selon les bonnes dames du païx ? mais je ne veul pas qu’elle mue l’estat des preudes femmes et des bonnes dames de honneur de France et de ce païs qui n’ont pas prins l’estat des amies et des meschines aux Angloys et aux gens des compaignes ; car ce furent celles qui premièrement admenérent cest estat en Bretaingne des grans pourfilz et des corsès fendus ès costez et lès floutans ; car je suy du temps et le vy. Sy que, à prendre l’estat de telles femmes le premier, je tiens à petitement conseillies celles qui le prennent, combien que la princesse et autres dames d’Angleterre sont après long temps venus qui bien le pevent avoir. Mais j’ay tousjours oy dire aux saiges que toutes bonnes dames doivent tenir l’estat de bonnes dames du royaulme dont elles sont, et que les plus saiges sont celles qui derrenièrement prennent telles nouveaultez. Et aussy par renommée l’on tient les dames de France et de cestes basses marches les meilleurs dames qui soient et les moins blasmées. Mais en Angleterre en a moult de blasmées, si comme l’on dist ; si ne sçay se s’est à tort ou à droit. Et pour ce est-il mieulx de tenir le fait aux dames -48- qui ont meilleur renommée. » Si furent cestes paroles dictes devant plusieurs, dont la dame se tint pour nice et ne sçeut que elle luy deust respondre, dont plusieurs se prindrent à rire et dirent entre eux qu’il lui vaulsist mieulx un bon taire. Et pour ce, belles filles, a cy bonne exemple de prendre et tenir l’estat moyen et l’estat des bonnes dames de son pays et du commun du royaulme dont l’en est, c’est assavoir dont les plus des bonnes dames usent communément, et especiaulment les preudes dames, selon ce que chascune le doit faire ; car à prandre nouvel estat venu d’estranges femmes ne d’autruy pays, l’en est plus tost moquée et rigolée que de tenir l’estat de son pays, si comme vous avez ouy dire que le bon chevalier, qui saiges estoit et de grant gouvernement, en reprint la dame. Et saichiez de certain que celles qui premiers les prennent donnent assez à jangler et à rigoler sur elles. Mais, Dieu mercy, aujourduy, dès ce que une a ouy dire que aucune a une nouveaulté de robe ou de atour, aucunes de celles qui oyent les nouvelles ne finiront jamais jusques à tant qu’elles en aient la copie, et dient à leurs seigneurs chascun jour : « Telle a telle chose qui trop a bien lui avient, et c’est trop belle chose ; je vous prie, mon seigneur, que j’en aye. » Et se son seigneur lui dist : « M’amie, se celle en a, les autres, qui sont femmes aussi sages comme elles, n’en ont point. — Quoy ! sire, se elles ne se scevent arrayer, qu’en ay-je à faire ? puisque telle en a, j’en puis bien avoir et porter aussy bien comme elle. » Si vous dy qu’elles trouveront tant de si bonnes raisons à leur dit, qu’il conviendra que elles aient leur part de celle nouveauté -49- et cointise. Maiz cestes manières de femmes ne sont mie voulentiers tenues les plus saiges ne les plus sçavans, fors qu’elles ont plus le cuer au siècle et à la playsance du monde. Dont je vous en diray d’une manière qui est venue, de quoy les femmes servantes et femmes de chambres, clavières et aultres de mendre estat, se sont prinses communement, c’est-à-dire qu’elles fourrent leurs doz et leurs talons, autant penne comme drap, dont vous verrez leurs pennes derrière que ilz ont crottées de boue à leurs talons, tout aussy comme le treu d’une brebis soilliée derrière. Si ne priseriés riens celle cointise en esté ne en yver ; car, en yver, quant il fait grant froit, elles meurent de froit à leurs ventres et à leurs tetines, qui ont plus grant mestier d’estre tenues chaudement que les talons, et en esté les puces s’y mucent, et pour ce je ne prise riens la nouveaulté ne telle cointise. Je ne parle point sur les dames ne sur les damoiselles atournées, qui bien le pevent faire à leur plaisir et à leur guise ; car sur leur estat je ne pense mie à parler chose qui leur doye desplaire, que je le puisse sçavoir ; car à moy ne affiert ne appartient fors les servir et honorer et les obeir à mon povoir, ne je ne pense sur nulles en parler par cest livre, fors que à mes propres filles et à mes femmes servantes, à qui je puis dire et monstrer ce que je vueil et il me plaist.
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Chappitre XXIIe.
Belles filles, je vous diray un exemple comment il fait périlleux parler ne tenir estrif à gens qui ont le siècle à main et ont manière et sens de parler. Car voulentiers l’en gaaingne pou à leur tenir estrif de bourdes ne de jangles, qui bien ne leur plaisent. Dont il advint à une grand feste, où il avoit moult de grans dames et seigneurs, et là fut le mareschal de Clermont, qui à merveilles avoit le siècle à main, comme de beau parler et beau maintient, et de sçavoir bien son estre entre tous chevaliers et dames. Si y avoit une grant dame qui lui dist devant tous : « Clermont, en bonne foy, vous devez grant guerredon à Dieu, car vous estes tenu pour bon chevalier et assez beau, et savez merveilles. Se feussiez assez parfaiz, se ne fust vostre jangle et vostre mauvaise langue qui par foiz ne se puet taire. — Or, ma dame, dist-il, est-ce donc la pire tache que j’aye ? — Je pense que ouil, dist-elle. — Or veons, dist-il, en ce fait : il me semble, à droit jugier, que je ne l’ay pas si pire comme vous avez, et vous diray pourquoy ; vous m’avez dit et reprouchié la pire tache que j’aye selon vostre advis, et, se je me tais de dire la pire -51- que vous aiez, quel tort vous fais-je ? Madame, je ne suis pas si legier en parler comme vous estes. » La dame escouta et ama mieux ne avoir jà parlé, ne estrivé à lui, pour plusieurs raisons que je ne dy pas, lesquelles j’ay ouy compter qu’il en fust assez parlé, et distrent plusieurs que trop grant appertise n’a mestier, et il luy vaulsist mieux à soy estre teue. Et pour ce a cy bon exemple : car il vault mieulx aucunes foys soy taire et soy tenir plus humblement que estre trop apperte ne commancier parolles à telz gens qui ont parolles à main et qui n’ont nulle honte de dire parolles doubles à plusieurs entendemens. Et pour ce regardez bien à qui vous emprendrez à parler, et ne leurs dittes point de leur desplaisir, car l’estrif d’eulx est moult périlleux.
Chappitre XXIIIe.
Encores vous parleray de ceste matière, comment il avint à Bouciquaut que trois dames lui cuidoient faire honte, et comment il s’en chevit. Bouciquaut estoit saige et beaul parlier sur tous les chevaliers, et si avoit grant siècle et grant senz entre grans seigneurs et dames. Sy advint à une feste que trois grans dames se seoient sur un comptouer et parloient de leurs bonnes adventures, et tant que l’une dist aux autres : « Belles -52- cousines, honnie soit elle qui ne dira verité par bonne compaignie, se il y a nulle de vous qui en ceste année feust priée d’amours. — Vrayement, dist l’une, je l’ay esté depuis un an. — Par ma foy, dist l’autre, si ay-je moy. — Et moy aussi, se dist la tierce. — Et dist la plus apperte : Honnie soit elle qui ne dira le nom de celluy qui derenierement nous pria. Par foy, se vous dictes, je vous diray. Sy se vont accorder à dire voir. — Vrayement, dist la première, le derrenier qui me pria fust Bouciquaut. — Vraiement, dist l’autre, et moy aussi. — Et, dist la tierce, si fist-il moy. — Vrayement, distrent les aultres, il n’est pas si loyal chevalier comme nous cuidions. Ce n’est que un bourdeur et un trompeur de dames. Il est céans ; envoyons le querre pour luy mettre au nez ce fait. » Sy l’envoyèrent querre, et il vint ; si leur demanda : « Mes dames, que vous plaist ? — Nous avons à parler à vous ; seez vous cy. » Sy le vouloient faire seoir à leurs piez, mais il leur dist : « Puis que je suis venus à vostre mandement, faictes-moy mettre des quarreaulx ou un siege à moy seoir ; car, se je me seoie bas, je pourroye rompre mes estaches, et vous me pourriez mettre sus que ce seroit aultre chose. » Si convint que il eust son siege, et quant il fust assis, icelles, qui bien furent yrées, sy vont dire : « Comment, Bouciquaut, nous avons esté deçeues du temps passé, car nous cuidions que vous fussiez voir disant et loyal ; et vous n’estes que un trompeur et un moqueur de dames ; c’est vostre tache. — Comment, ma dame, savez-vous que j’ay fait ? — Que vous avez fait ? Vous avez prié d’amours belles cousines qui cy sont, et sy avés vous moy, et si -53- aviez juré à chascune de nous que vous l’amiés sur toutes autres. Ce n’est pas voir, ains est mensconge ; car vous n’estes pas trois en vault, et ne povez avoir trois cuers pour en amer trois, et pour ce estes faulx et decevable, et ne devez pas estre mis ou compte des bons ne des loyaulx chevaliers. — Or, mes dames, avez-vous tout dit ? vous avez grand tort, et vous diray pourquoy ; car à l’eure que je le dis à chacune de vous, je y avoye ma plaisance et le pensoie ainsy, et pour ce avez tort de moy tenir pour jengleur ; maiz à souffrir me convient de vous, car vous avez vos parlers sus moy. » Et quant elles virent qu’il ne s’esbahissoit point, si va dire l’une : « Je vous diray que nous ferons. Nous en jouerons au court festu à laquelle il demourra. — Vrayement, dist l’autre, d’endroit moy je n’y pense point à jouer, car j’en quitte ma part. — Vrayement, fist l’aultre, sy fais-je moy. — Lors respondit : Mes dames, par le sabre Dieu, je ne suis point ainsi à departir ne à laissier ; car il n’y a cy à qui je demeure. » Si se leva et s’en ala, et elles demourèrent plus esbahies que luy, et pour ce est grant chose de prandre estrif à gens qui scevent du siècle ne qui ont si leur manière et leur maintieng. Et pour ce a cy bon exemple comment l’on ne doit point entreprendre parolle ne estriver avecques celles gens ; car il y a bien manière. Car celles qui aucunesfois cuident plus savoir en sont par fois les plus deceues, dont je vouldroye que vous sceussiez l’exemple semblable à ceste cy sur cette matière.
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Chappitre XXIIIIe.
Il fut ainsi que trois dames avoient accusé un chevalier de tel cas et de telle decevance, et l’avoient enfermé dans une chambre tout seul et chascune dame avoit une damoiselle, et au fort le jugièrent-elles à mort, et que jamèz par telle guise ne decevroit dame ne demoiselle. Et sy estoient sy courrouciées et sy yrées vers luy que chascune tenoit le coustel pour le occire ; ne nul deblasme ne excusation ne lui valoit riens. Sy leur va dire : « Mes dames et damoiselles, puis qu’il vous plaist que je meure, sans remède ne mercy avoir, je vous pry à toutes qu’il vous plaise à moy donner un don. » Et au fort elles lui accordèrent. « Sçavez-vous, dist-il, que vous m’avez octroyé ? » — « Nennil, distrent-elles, se vous ne le dictes. » — Vous m’avez octroyé, dist-il, que la plus pute de vous toutes me frappera la première. » Lors si furent esbahies et s’entreregardèrent l’une l’autre, et pensa chascune endroit soy : Se je frappoye la première, je seroye honnie et deshonnorée. Et, quant il les vit ainsi esbahies et en esmay, il sailly en piés et court à l’uis, et le defferma et s’en yssy et ainsi se sauva le chevalier. Et elles demourèrent toutes esbahies et mocquées. Et pour ce un poy de pensement vault moult à besoing, soit à homme ou à femme. Si vous -55- laisse de ceste matière et revien à celles qui ont moult le cuer au siècle, comme à estre ès joustes et ès festes, et aler voulentiers en pelerinaige, plus pour esbat que pour dévotion.
Chappitre XXVe.
Je vous diray une exemple d’une bonne dame qui recouvra un grant blasme sans cause à une grant feste d’une table ronde de joustes. Celle bonne dame estoit jeune et avoit bien le cuer au siècle, et chantoyt et danssoyt voulentiers, dont les seigneurs et les chevaliers l’avoient bien chière, et les compaignons aussi. Toutes voyes son seigneur n’estoit pas trop liez dont elle y aloit si voulentiers. Mais elle vouloit bien en estre requise, et son seigneur lui en donnoit grans eslargissemens que on la requist et priast d’amer, et son seigneur le faisoit pour paour d’acquerre la male grace des seigneurs, et que on ne deist pas qu’il en feust jaloux ; si la leur octroyoit-il pour aler à leurs festes et esbatemens, et il mectoit moult de grans mises pour l’accointir à celles festes pour l’onneur d’eulx. Mais elle povoit bien apparcevoir que, s’il eust esté au gré et plaisance de son mary, elle n’y alast pas. Et, si comme il est accoustumé en esté, temps que l’en veille à dances jusques au jour, il -56- advint, une fois entre les autres, que, à une feste où elle fust la nuit, l’en estaigny les torches et fist l’en grans huz et grans cris, et quant vint que l’en apporta la lumière, le frère du seigneur de celle dame vit que un chevalier tenoit celle dame et l’avoit mise un petit à costé, et, en bonne foy, je pense fermement qu’il n’y eust nul mal ne nulle villenie. Mais toutes fois le frère du chevalier le dist et en parla tant que son seigneur le sceut et en eut si grant dueil que il l’en mescrut toute sa vie, ne depuis n’en eut vers elle si grant amour ne si grant plaisance, comme il souloit ; car il en fut fol et elle folle et s’entrerechignèrent, et en perdirent aussi comme tout leur bien et leur bon mesnage, et par petit d’achoison.
Je sçay bien une autre belle dame qui très voulentiers estoit menée aux grans festes. Si fu blasmée et mescreue d’un grant seigneur. Dont il advint qu’elle fut malade de si longue maladie, qu’elle fut toute deffaicte et n’avoit que les os, tant estoit malade. Sy cuidoit transir de la mort, et se fist apporter beau sire Dieux. Lors dist devant tous : « Mes seigneurs, mes amis et mes amyes, veez en quel point je suy. Je souloye estre blanche, vermeille et grasse, et le monde me louoit de beaulté ; or povez-vous veoir que je ne semble point celle qui souloit estre ; je souloye amer festes, joustes et tournoys ; mais le temps est passé ; il me convient que je aille à la terre dont je vins. Et aussi, mes chers amis et amies, l’en parle moult de mal de moy et de mon seigneur de Craon ; mais, par celuy Dieu que je doys recevoir et sur la dampnacion de mon âme, il ne me requist oncques, ne me fist villennie mais que -57- le père qui me engendra ; je ne dy mie qu’il ne couchast en mon lit, maiz ce fut sans villennie et sans mal y penser. » Si en furent maintes gens esbahis, qui cuidoient que aultrement feust, et pour tant ne laissa pas à estre blasmée ou temps passé et son honnour blessié, et pour ce a grant peril à toutes bonnes dames de trop avoir le cuer au siècle, ne d’estre trop desirables d’aler à telles festes, qui s’en pourroit garder honnourablement ; car c’est un fait où moult de bonnes dames reçoivent moult de blasmes sans cause. Et si ne dis-je mie qu’il ne conviengne parfoiz obéir à ses seigneurs et à ses amis et y aler. Mais, belles filles, se il advient que vous y ailliez et que vous ne le puissiez refuser bonnement, quant vendra la nuit que l’en sera à dancier et à chanter, que pour le peril et la parleure du monde vous faciez que vous ayiez tousjours de costé vous aucun de voz gens ou de voz parens ; car se il advenoit que l’en estaingnist voz torches et la clarté, qu’ilz se tenissent près de vous, non pas pour nulle doubtance de nul mal, maiz pour le peril de mauvais yeulx et de mauvaises langues, qui tousjours espient et disent plus de mal qu’il n’y a, et aussy pour plus seurement garder son honneur contre les jangleurs, qui voulentiers disent le mal et taisent le bien.
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Chappitre XXVIe.
Un autre exemple vous diray de celles qui ne veulent vestir leurs bonnes robes aux festes et aux dymenches pour l’onneur de Nostre Seigneur. Dont je vouldroye que vous sceussiez l’exemple de la dame que sa demoiselle reprist. Une dame estoit qui avoit de bonnes robes et de riches ; mais elle ne les vouloit vestir aux dimenches ne aux festes, se elle ne cuidast trouver nobles gens d’estat. Et advint à une feste de Nostre-Dame, qui fut à un dimanche, si luy va dire sa damoyselle : « Ma dame, que ne vestés-vous une bonne robe pour l’onneur de la feste ? car il est feste de Nostre-Dame et dymenche. — Quoy ! dist-elle, nous ne verrons nulles gens d’estat. — Ha ! ma dame, ce dist la damoyselle, Dieu et sa mère sont plus grans et les doist l’en plus honnourer que nulle chose mondaine, car il puet donner ou tollir de toutes choses à son plaisir, car tout le bien et honneur vient de lui, et pour ce doit l’en porter honneur à la feste de luy et de sa benoyte chière mère et à leurs sains jours. — Taisiez-vous, dist la dame, Dieu et le prestre et les gens d’esglise me voyent chascun jour ; mais les gens d’estat ne me voyent pas, et pour ce m’est plus grant honneur de moy parer et cointoier contre eulx. — Ma -59- dame, dist la damoiselle, c’est mal dit. — Non est, dist la dame, layssiez advenir ce que advenir pourra. » Et tantost, à ce mot, un vent, chault comme feu, la ferit par telle guise qu’elle ne se pot bouger ne remuer, ne plus que une pierre, et dès là en avant la convenoit porter entre les bras, et devint grosse et enflée comme une pipe. Si recognut sa follour et se voua en plusieurs pelerinages et s’i fist porter en une litière, et à toutes gens d’onneur elle disoit la cause comment le mal lui estoit prins, et que c’estoit la vengence de Dieu, et que bien estoit employé le mal qu’elle souffroit ; car toute sa vie elle avoit porté plus d’onneur au monde que à Dieu, et avoit plus grant joye et plus grant plaisir à soy cointoier quant gens d’estat venoient en lieu où elle fust, pour leur plaire et pour avoir sa part des regards, qu’elle ne faisoit par devocion ès festes de Dieu ne de ses sains. Et puis disoit aux gentilz et aux juennes femmes : « Mes amies, veez cy la vengence de Dieu » et comptoit tout le fait et leur disoit : « Je souloye avoir beau corps bel et gent, se me disoit chascun pour moy plaire, et, pour la louange et le bobant de la gloire que je y prenoye, je me vestoie de fines robes et de bonnes pennes bien parées, et les faisoie faire bien justes et estroites ; et aucunesfoiz le fruit qui estoit en moy en avoit ahan et peril, et tout ce faisoie pour en avoir la gloire et le loz du monde. Car quant je ouoye dire aux compaignons qui me disoient pour moy plaire : « Veez cy un bel corps de femme qui est bien taillié d’estre amé d’un bon chevalier », lors tout le cuer me resjouissoit ; mais or povez veoir quelle je suis, car je suy plus grosse et plus constrainte -60- que une pipe, ne je ne semble point celle qui fut ; ne mes belles robes, que je avoye si chières que je ne vouloye vestir aux dymenches ne aux bonnes festes pour l’honneur de Dieu, ne me auront jamais mestier. Mes belles filles et amies, amez Dieu, car il m’a monstré ma folie, qui espargnoye mes bonnes robes aux festes pour moy cointoier devant les gens d’estat pour avoir le los et le regart des gens. Sy vous prye, mes amies, que vous prengniez icy bon exemple. » Ainsy se complaignoit la dame malade, et fut bien malade et enflée par l’espace de vij ans. Et après, quant Dieu eut veu sa contricion et sa repentance, si luy envoya santé et la gary toute saine, et fut dès lors en avant moult humble envers Dieu, et donna le plus de ses bonnes robes pour Dieu, et se tint simplement et ne eut pas le cuer au monde comme elle souloit. Et pour ce, belles filles, a cy bon exemple comment l’on doit plus parer et vestir sa bonne robe aux dimenches et aux festes, pour honneur et amour de Dieu, qui tout donne, et pour l’amour de sa doulce mère et de ses sains, que l’on ne doit faire pour les gens terriens, qui ne sont que boue et terre, pour avoir leur grace et leur los ne les regards d’eulx ; car celles qui le font par telz plaisances, je pense qu’il desplaise à Dieu, et que il en prendra sa vengence en cest siècle ou en l’autre, sy comme il fist de la dame, comme vous avez ouy, et pour ce y a bon exemple à toutes bonnes femmes et bonnes dames.
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Chappitre XXVIIe.
Un autre vous vueil dire après de ceste matière. Il advint que saint Bernart, qui fut moult saint homme et noble et de hault lignaige, laissa toutes ses possessions et grans noblesses pour servir Dieu en abbaye ; et pour sa sainte vie il fut esleu en abbé. Si vestoit la haire et faisoit grans abstinences et estoit grant aumosnier aux povres. Si avoit une suer moult grant dame, qui le vint veoir à grant foyson de gens et moult noblement adournée de riches robes et d’atour de perles et de precieuses pierres, et vint en cest estat devant son frère qui preudomme estoit, et quant le saint homme vit en cest grant arroy sa suer, sy se seigna et luy tourna le dos, et la dame eut grant honte et lui envoya sçavoir pourquoy il ne daignoyt parler à elle, et il lui manda que elle lui avoit fait grand pitié de l’avoir veue en tel ourgueil et desguisement et ainsi deffaite. Et lors elle osta ses riches robes et riches atours et se arroya moult simplement, et il lui dist : « Belle suer, se je aime vostre corps, je doy par raison plus amer vostre ame ; ne cuidiez vous pas qu’il ne desplaise à Dieu et à ses angelz de veoir tel bobant et tel orgueil mettre à parer une telle charoingne, qui, après vij jours que l’ame en sera hors, purra que créature ne le pourra sentir ne veoir sans grant -62- horreur et abbominacion. Belle suer, que ne pensez-vous une fois de journée comment les povres meurent de froit et de faing là hors, que du xe de vostre cointerie et de voz noblesces feussent plus de xl personnes ressaisiz et revestus contre le froit ? » Lors lui dist le saint preudomme tant de bien et lui desclaira sy la folie du monde et les bonbans, et aussi le sauvement de l’ame, que la bonne dame ploura et depuis fist vendre le plus de ses robes et de ses riches atours, et l’argent donna pour Dieu, et prist simples vestemens et humbles atours, et mena sy sainte vie que elle eut la grace de Dieu et du monde, c’est-à-dire des saiges et des preudes gens, qui vault mieux que celles des folz. Et pour ce, belles filles, a cy bon exemple comment l’en ne doit pas tant avoir le cuer au monde, ne mettre en ses cointises pour plaire aux folz et au monde, que l’en ne departe à Dieu, qui tout donne et dont l’en puet acquerre son sauvement ; car il vault mieulx moins avoir de riches robes et d’atours que les povres gens n’en ayent leur part ; car qui met tout pour avoir la plaisance du monde, je suis certain que c’est folie et temptacion d’ennemy, et se doit l’en mieulx parer pour honneur et amour de Dieu, c’est aux dimanches et aux festes, en reverance et louange de luy et de ses sains, que pour la folle plaisance du monde, qui n’est que umbre et vent au regart de lui qui tout puet et tout donne, et tous diz durera sa gloire.
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Chappitre XXVIIIe.
Un autre exemple vous diray de celle qui loquençoit et jengloit à l’esglise quant elles doivent ouir le divin office. Il est contenu ès gestes de Athènes que un saint hermite estoit, preudons et de sainte vie. Si avoit en son hermitage une chapelle de saint Jehan. Si y vindrent les chevaliers, les dames et damoiselles du païs en pelerinaige, tant pour la feste comme pour la sainteté du preudomme. Si chanta l’ermite la grant messe, et, quant il se tourna après l’euvangille, si regarda les dames et damoiselles et plusieurs chevaliers et escuiers, qui bourdoyent et jengloyent à la messe et conseilloient les uns aux autres. Si regarda leur folle contenance, et vit à chascune oreille de homme et de femme un ennemy moult noir et moult orrible qui aussy se rioyent et jengloyent d’eulx et escripvoient les parolles que ils disoient. Ces ennemis sailloient sur leurs cornes, sur leurs riches atours et sur leurs cointises, aussi comme petiz oiselez, qui saillent de branche en branche. Sy se seigna li preudomme et se esmerveilla. Et quant il fut à son canon, aussy comme en la fin, il les ouy flater et parler, et rire et bourder. Sy fery sur le livre pour les faire taire, mais aucuns et aucunes y avoit qui se teurent point. Lors dist : « Beau sire Dieux, faictes les taire et faictes -64- congnoistre leurs folies. » Lors tous ceux qui se rioient et qui jengloient se prindrent à crier et à braire, hommes et femmes, comme gens demoniacles, et soufroient si grant doulour que c’estoit piteuse chose à ouïr. Et quant la messe fu chantée, le saint hermite leur dit comment il avoit veu les ennemis d’enfer eulx rire des mauvaises contenances qu’ilz faisoient à la messe, et après leur dist le grant péril où ilz cheoyent de parler et de y bourder, et le grant pechié où ilz entroient, comme à la messe et ou service de Dieu nulz et nulle n’y doit venir fors pour le ouïr humblement et devotement et pour adourer et prier Dieu. Et après leur dist comment il veoit les ennemis saillir et saulteler sur leurs cornes et sur les attours de plusieurs femmes, c’estoit à celles qui tenoient parolles et contens aux compaignons et à celles qui pensoient plus en amourettes et aux deliz du monde que à Dieu, pour plaire et avoir les resgars des musars. Sur celles y veoit les ennemis espinguer ; maiz sur celles qui disoient leurs heures et estoient en leur devocion, il n’y estoit pas, combien que il y en avoit d’assez cointes et bien parées ; car il tient le plus au cuer. Et après leur dist que celles qui se cointissoient pour mieulx estre regardées et y prenoient plus grans plaisances que au service de Dieu, donnoient grant esbat à l’ennemy. Après si advint que ceulx et celles qui cryoient et estoient tourmentez, que les femmes getterent leurs cornes, leurs atours et leurs cointises comme toutes forcennées ; et toutesfoiz firent illecques leur neufvaine, et au chief de ix jours, à la prière du saint hermite, ilz revindrent en leurs sens, et furent bien chastiez dès là en -65- avant de parler ne de jengler ou service de Dieu. Pour quoy il y a cy bon exemple comment nul ne nulle ne doit parler ne destourber le divin office de Dieu.
Chappitre XXIXe.
Et encores vouldroye que vous sceussiez qu’il advint à la messe de saint Martin de Tours. Le saint homme chantoit la messe ; sy lui aidoit son clerc et son filleul ; c’estoit saint Brice, qui après luy fut arcevesque de Tours, lequel se prist à rire, et saint Martin s’en apparceut, et, quant la messe fust chantée, saint Martin l’appella et luy demanda pourquoy il avoit ris, et il respondy qu’il avoit veu l’ennemy qui mettoit en escript ce que les femmes et hommes s’entredisoyent tant comme il disoit la messe, dont il advint que le perchemin d’un des anemis fut trop court et petit, et il le prist à tirer aux dens pour le esloigner, et, comme il le tira fort, il lui eschapa telement que il se fery de la teste contre la masière. Et pour ce m’en ris. Et, quant saint Martin eut ouy saint Brice, et qu’il avoit veu ce, il vit bien qu’il estoit saint homme. Sy prescha sur ceste matière aux femmes comment c’estoit grant pechié de parler ne de conseillier à la messe, ne au service de Dieu, et qu’il vauldroit mieulx la moitié à n’y estre pas que y parler ne y conseillier ; et encores soustiennent les grans clers que l’en n’y doit dire -66- nulles heures, tant comme la messe dure et par especial tant comme l’euvangille dure ne le per omnia. Et pour ce, belles filles, a cy bonne exemple comment vous devez contenir humblement et devotement à l’eglise, ne y tenir parolles ne jangler à nulluy pour riens qu’il aviengne.
Chappitre XXXe.
Un grant exemple vous diray de ceulx qui par leur paresse perdent à ouir la messe et la font perdre aux autres. J’ay ouy compter le compte d’un chevalier et d’une dame qui, dès leur jeunesse, prenoient moult grant delit à dormir à haulte heure ; sy le maintindrent par telle guise que bien souvent ilz perdoient à oïr la messe et la faisoient perdre à leurs paroissiens ; car la paroisse où ils demouroient estoit leur, et illec personne ne les osoit desobeir. Sy avint que à un dymenche ilz mandèrent que l’en les attendist, et quant ilz furent venuz il fut midy passé. Sy respondirent plusieurs à la personne ou chappelain de l’esglise que il estoit heure passée et pour ce il ne osa chanter et n’y ot point de messe celuy dymenche, et fist moult de mal aux bonnes gens ; mais à souffrir le leur convint. Si avint la nuit ensuivant en avision au chappelain par ij foiz ou par troix, qu’il lui sembloit qu’il gardoit une grant compaignie de brebis en un champ où n’avoit -67- point de herbe. Si les vouloit mettre en un pastis pour paistre, où il n’avoit que une entrée, et en celle entrée avoit un porc noir et une truye couchiez au travers du chemin. Ces porcs estoient cornuz ; si avoient sy grant paour lui et les ouailles qu’ilz n’osoient entrer ou pastis et s’en aloient tantost arriere à leur toit, sanz paistre ne sans mengier. Et puis une voix lui disoit : Laissiez-tu à entrer ne à obéir pour ces bestes cornues ? et lors il s’en esveilla, et tout aussy comme il advint au prestre, il advint celle nuit au chevalier et à la dame tout en la manière, maiz que il leur sembloit qu’ilz estoient devenuz le porc et la truie, et estoient cornus et ne vouloyent laissier passer les brebis ou pastis, et après cela venoyt une grant chasse de veneours noirs sur grans chevaulx noirs, et avoient grant quantité de levriers et de grans chiens noirs, et, de ce qu’ilz arivoient, il leur sembloit qu’ilz descombloient sur eulx et lors faisoient la chasse sur eulx grant et merveilleux, et cornoient et huchoient, et les chiens glatissoient et les prenoient ès cuisses et ès oreilles, et dura la chasse moult longuement, tant qu’il leur sambla qu’ilz estoient prins par force et occis, et sur ce ilz se esveillèrent tous esmerveillez et effroyez, et ceste advision leur advint deux foiz. Sy advint que la personne de l’esglise vint chiez le chevalier. Et lors le chevalier et la dame lui racontèrent leur advision, et aussi le prestre la sienne. Sy en furent tous esmerveillez de quoy leurs advisions ressembloient ; si dist le prestre au chevalier : « Sire, il y a un saint homme hermite cy près en celle forest qui bien nous saura faire saiges de ceste chose. » Lors y alèrent et comptèrent au -68- saint homme leurs advisions de point en point, et le preudomme, qui moult estoit saiges et de sainte vie, leur declara tout leur fait, et dist au chevalier : « Sire, vous et vostre femme estes les porcs noirs qui gardiez le pertuis et l’entrée du pastis que les brebis n’y alassent paistre, ne que ilz ne mangeassent de la bonne pasture, c’est-à-dire que vous, qui estes seigneur de la parroisse où vous demeurez, avez destourbé les paroissiens et les bonnes gens de ouir le saint service de Dieu, qui est pasture et repaissement de vie, especialement de la vie de l’ame, par vostre paresse et par vostre repos, qui dormez le jour comme porcs ; et les cornes que vous aviez estoient les branches de pechié, et par espécial les grans pechiez que vous faictes à faire perdre à aultruy le bien fait et le service de Dieu, que vous ne povez amender fors que par grant tourment. Et pour la vengence du meffait vous est demonstré que vous en serez chaciez et tourmentez des ennemis d’enfer, et pris et matz par pure chace, si comme vous feustes par vostre advision, et sy vous dy certainement qu’il vous vaulsist mieulx cent fois pour une ne ouir point de messe que la tollir aux autres ne que oster au prestre sa devocion. Car, quant il attendoit trop longuement, il se courouçoit ou pechié d’ire, dont les uns vont en la taverne, les aultres s’en vont et les aultres perdent leur devocion, et parfois le prestre s’en yre et pert sa bonne devocion, et chante sur son peril ; et tous ces pechiez et ces maulx viennent par vous et par vostre pechié de paresse, dont vous en rendrez compte, et en serez chacez, tourmentez, prins et mis à mort, c’est à dire -69- en voye d’estre dempné. » Lors le chevalier fu moult esbahy et demanda conseil comment il en pourroit faire. Lors le saint homme lui dist que par trois dimenches il se agenoillast devant les paroissiens et leur criast mercy que ilz luy voulsissent pardonner le meffait et que ilz voulsissent Dieu prier pour luy et pour sa femme, et qu’il leur voulsist pardonner yceulx meffaiz, et que dès là en avant il seroit l’un des premiers à l’eglise ; sy le confessa l’ermite, et luy bailla celles penitances et autres, si que dès là en avant il se chastia, et mercièrent, lui et sa femme, nostre Seigneur, de leur avoir demonstré celle demonstrance. Si vous dy que dès là en avant ilz estoient luy et sa femme des premiers au moustier, et aussy li preudoms dist au prestre la vision et la luy desclara sur celle matière, et que Dieux devoit estre le plus craint et doubté que le monde, et premier servy. Pour quoy, belles filles, prennez cy bon exemple à vous garder que par vostre personne vous ne faciez perdre la messe à plusieurs, ne leur devocion par vostre paresse ne par vostre négligence, car mieulx vous vauldroit à n’en oïr point, et je vouldroye que vous sceussiez et eussiez apris l’exemple de la dame qui mettoit le quart du jour à elle appareillier.
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Chappitre XXXIe.
Une dame estoit qui avoit son habergement delez l’esglise. Si mettoit longuement à soy appareillier et attourner, si que il ennuyoit moult à la personne de celle eglise et aux parroissiens. Si avint par un dimenche qu’elle estoit moult longue, et tousjours mandoyst qu’elle feust atendue, comment que ce fust. Sy estoit moult haulte heure et ennuyoit à tous. Si en y avoyt plusieurs qui s’entredisoient : « Comment ! ceste dame ne sera mais huy pignée ni mirée ? » Si en avoit aucuns qui distrent : « Mal mirer lui envoit Dieux, qui tant de fois nous fait icy muser et attendre. » Et si comme il pleust à Dieu, si comme pour exemplaire, ainsi comme elle se miroit à celle heure, elle vit à rebours l’ennemy ou mirouer qui lui monstroit son derrière, si lait, si orrible, que la dame issy hors de son sens comme demoniacle ; sy fut un long temps malade, et puis Dieux luy envoya santé, et se chastia si bien que elle ne mist plus grand paine à soy arroyer ne estre sy longue, mais mercya Dieu de l’avoir ainsi chastiée. Et pour ce cy a bon exemple comment l’en ne doit pas estre ainsi longue à soy arroyer et se appareillier que l’en en perde le saint service ne le faire perdre à autruy.
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Chappitre XXXIIe.
Or vous diray sur ceste matière un exemple d’une bonne dame et de sa sainte vie, qui amoit moult Dieu et son service, et la journée qu’elle ne ouist messe, elle ne mengast jà de chair ne de poisson et fust à grant malaise de corps. Sy advint une foiz que son chapellain fust tellement malade qu’il ne povoit chanter ; la bonne dame ala et vint moult à malayse de quoy elle perdoit la messe. Sy ala au dehors en disant : « Biaux sire Dieux, ne nous oubliez pas, et vueilliez nous pourveoir de vostre saint service ouir. » Et en celles paroles elle regarde et voit deux frères qui venoient ; lors elle ot grant joye et leur demanda se ilz chanteroient messe, et ilz distrent : « Oil, dame, se Dieux plaist », et la bonne dame mercya Dieu ; si chanta le plus jeune des frères, et à l’eure qu’il fist les trois parties du saint sacrement, le viel frère regarda et vit saillir l’une des parties en la bouche de la bonne dame en manière d’une petite clarté. Le jeune frère regardoit partout qu’estoit devenue l’une des parties et trembloit de paour ; et le vieil frère s’en apperceust moult bien de la tristeur de son compaignon ; sy vint à lui et lui dist qu’il ne s’esmayast, et que ce que il queroit estoit sailli en la bouche de la dame pour certain. Et lors il feust assuré et il -72- mercya Dieu de ses grans miracles, et ainsi en advint à la bonne dame qui tant amoit le saint service de Dieu. Car, pour certain, cy a bon exemple ; car, selon la sainte escripture, ceulx qui ayment Dieu et son service, Dieu les ayme, si comme il monstra appertement à celle bonne dame qui tel desir avoit de le veoir et de l’ouir, comme ouy avez.
Chappitre XXXIIIe.
Je vouldroye que vous eussiez bien retenu l’exemple d’une bonne contesse qui tous les jours vouloit ouïr trois messes. Si aloit en pelerinaige ; sy va cheoir l’un de ses chappelains d’un cheval à terre et se meshaigna si qu’il ne peut chanter. Sy fut la bonne dame à trop grant meschief de perdre l’une de ses messes. Si se complaignoit moult humblement à Dieu et devotement, et Dieux lui envoya un angele ou un saint en guise d’un prestre ; mais, quand il ot chanté et il fut desvestu, l’en ne sceut qu’il advint, pour serchier que l’en sceust faire. Sy pensa bien la bonne dame que Dieux le luy avoyt envoyé et l’en mercia moult humblement. Et pour ce a cy exemple comment Dieux pourvoit ceulx qui ont devocion et amour en son saint service et à luy, et je pense qu’il y ait pou de femmes aujourd’uy qui bien ne se passent à moins de trois -73- messes ouir, et leur souffist bien d’une, tant ont petite amour et devocion en Dieu et en son service ; car ouir son service repute sa propre personne. Car qui l’aime et craint, il le vuelt souvent veoir et ouir sa sainte parole ; et aussy du contraire, qui n’y a bien le cuer s’en passe ligierement, comme plusieurs font aujourd’uy, qui ont plus le cuer au siècle et au delit de la char que à Dieu.
Chappitre XXXIIIIe.
Un autre exemple vous vueil dire d’une dame qui estoit juenne et avoit le cuer au siècle. Si estoit un escuier qui estoit amouroux d’elle, et elle ne le heoit pas aussy, et pour plus avoir d’aise et de lieu pour parler et pour bourder ensemble, elle faisoit accroire à son seigneur qu’elle s’estoit vouée pour aler en pelerinaige, et son seigneur, qui preudhomme estoit, le souffroit, pour ce que il ne luy vouloit pas desplaire. Sy advint une fois que elle et yceluy escuyer alèrent en un pelerinaige d’une place de nostre Dame. Si furent moult aysiez enmy le chemin de parler ensemble, car ilz y entendoient bien plus que à dire leurs heures et y avoient bien plus grant plaisir et plus grant delit, dont il advint que, quant ilz furent venus là et ilz furent au bon de la messe, l’ennemy, qui tousjours est en aguet de enflamber et tempter -74- homme et femme, les tint si subgiez de celle temptacion et en celluy fol plaisir, qu’ilz avoient plus leurs yeulx et leurs plaisances à resgarder l’un l’autre et à faire petiz signes d’amours qu’ilz n’avoient au divin service, ne que à dire devotement leurs heures. Si advint, par appert miracle, que il prist si grant mal à la dame soudainement, que celle se estraingnoist et ne sçavoit se elle estoit morte ou vive. Si en fust emportée entre bras en la ville comme chose morte, et fut trois nuiz et trois jours sans boire et sans mengier, et n’y congnoissoit l’en ou mort ou vye. Sy fut envoyé querre son seigneur et ses amis, qui furent moult doulans de ceste aventure, et la regardoient et si ne sçavoient se elle en mourroit ou vivroit, dont il advint que la dame, qui en grant douleur estoit, vit une advision moult merveilleuse ; car il luy sembloyt qu’elle veoit sa mère et son père, qui mors estoyent pieçà, et la mère luy monstra ses mamelles : « Belle fille, veez cy ta nourreture ; aime et honneure ton seigneur comme tu feiz ceste mamelle, puisque l’esglise te l’a donné. » Et après son père luy disoit : « Belle fille, pourquoy as-tu plus grant plaisance ne plus grant amour à un autre que à ton seigneur ? regarde ce puis qui est de costé toy, et saichiez, se tu chiez ou feu de male chaleur, que tu chierras dedans. » Et lors elle regardoit et veoit un puis plein de feu delez luy si près que à pou qu’elle n’y cheoit. Si en estoit toute effrayée, et après son père et sa mère lui monstroient bien cent prestres trestous revestus de blanc, et le père et la mère lui disoient : « Belle fille, nous vous mercions d’avoir revestu cestes gens cy. » Et après cela il lui sembloit qu’elle -75- veoit l’ymaige de Nostre Dame qui tenoyt une cotte et une chemise et lui disoit : « Ceste cotte et ceste chemise te gardent de cheoir en ce puis. Tu as ordi ma maison et mocquée. » Et en ycelluy effroy elle s’esveilla et getta un grant souspir. Si eurent son seigneur et ses amis grant joye, et virent bien qu’elle n’estoit pas morte, et la dame se trouva vaine et lasse de la vision et paoureuse du feu et de la flambe du puis où elle estoit deue cheoir. Sy demanda un prestre, que on luy ala querre, un saint preudomme religieux qui estoit grant clerc, vestoit la haire et estoit moult de saincte vie. Si la confessa et elle luy dist toutes ses advisions et la grant paour que elle avoyt eue de cheoir ou puis, et aussy elle luy dist tous ses pechiez et ses jeunesses, et le saint homme lui desclara son avision et lui dit :
« Dame, vous estes moult tenue à Dieu et à sa doulce mère, qui ne vueillent mie la perdicion et la dampnacion de vostre ame, ains vous desmonstrent vostre peril et vostre saulvement. Premièrement ilz vous ont fait demonstrer vostre père et vostre mère, dont vostre mère vous disoit : Belle fille, voy les mamelles où tu preiz ta nourreture ; ayme et honeure ton seigneur comme tu feiz cestes mamelles. Ma doulce amye, c’est à entendre que, puisque sainte eglise vous a donné seigneur, que vous le devez doubter et amer tout aussy comme vous amiez la mamelle de vostre mère et y prenez nourissement. Et aussy comme l’enfant laisse toutes choses pour la tette et la doulceur du lait, dont il prent croissement et nourreture, aussi doit toute bonne femme selon Dieu et selon sainte loy amer -76- son seigneur sur tous autres, et laissier toutes autres amours pour celle ; si comme nostre seigneur par sa sainte propre bouche dist que l’on laissast et deguerpist père et mère, suers et frères et toutes autres choses pour l’amour de son seigneur, et que ce n’estoient pas deux chars, fors une, que Dieu avoit conjointe en une et que homme ne povoit separer, c’est-à-dire que homme ne povoit ny ne devoit fourtraire l’amour l’un de l’autre, puisque Dieus et l’esglise les avoit unys et conjoins ensemble. Et encores vous dist vostre mère que vous y prenissiez nourreture comme en ses mamelles, c’est-à-dire et entendre que se que vous amez vostre seigneur sus tous, que ce seroit votre nourriture et vostre bien, et honneur vous accroistra de jour en jour comme l’enfant croist par la nourriture de la mère et de sa mamelle, c’est la doulceur du lait, qui signifie la grant doulceur, la joye et l’amour qui doit estre en loyal mariaige, et la grace de Dieu y habite. Après vostre père vous dist : Belle fille, pourquoy as-tu plus grant plaisance et plus grant amour à aultre que à ton seigneur ? regarde ce puis qui est delèz toy, et saches, se tu chez au feu de male chaleur, que tu y chierras. C’est-à-dire que, se vous amez plus aultre que vostre seigneur, ne que autres habitent à vous, fors que luy, que vous charrez ou puis, où vous serez arse et bruslée pour le delit de la male plaisance et malle chaleur que vous avez eue ailleurs. Et pour ce vous montra-il le puis de feu et la vengeance et la punicion qu’il convient souffrir pour le délit de celle folle plaisance. Après ilz vous monstrèrent les prestres -77- blans et vous disoient que vous les aviés revestus ; pour ce vous en mercioient ; c’estoit signiffiance que vous aviez fait revestir les prestres et fait dire des messes pour eulx, dont ilz vous remercioient, car soiez certaine que aussi comme vous faictes pour eulx et pour les autres deffuncts, que ilz prient pour vous et sont marriz quant ilz voyent que ceulx qui font bien pour eulx sont en voye de perdicion. Si comme vous avez bien peu apparcevoir que ilz sont très bien marriz de la temptacion que vous aviez eue et de la folle plaisance par laquelle vous estiez en voye d’estre perdue, et pour ce vous en venoyent secourir pour amour du bien fait et des messes et des aumosnes que vous aviés fait et fait faire pour eulx. Après veistes l’image de Nostre-Dame qui tenoyt une cotte et une chemise et disoit : Ceste cotte et ceste chemise te gardent de cheoir en ce puis, car tu as ordi ma maison et l’as moquée. C’est-à-dire que vous aviez esté en son esglise et plus pour plaisance d’autruy que pour l’amour d’elle, et c’estoient les folz regars et les folz plaisirs que vous preniez en celluy par qui d’amours vous emprensistes la voye et le voyaige, et pour ce vous dist la voix que vous aviez ordy et moquée sa maison, c’est son eglise ; car tous ceulx et celles qui y viennent par autre plaisance que par dévocion du saint lieu et se couvrent du service pour trouver lieu d’esbat et delit terrien, ceulx moquent l’esglise et la maison de Dieu. Ainsi fut-il de vous, selon vostre fait et vostre advision. Après vous l’ordeistes et empeschastes, comme la voix vous dist. Ce fut quant vous aviez plus le cuer à luy et en la plaisance -78- de folie que au divin service, et de cellui meffait Dieu vous a voulu monstrer vostre deffaulte et vous fist venir celluy grant mal et celle grant hachie que vous avez senti. Et ceste grace, qui vous vint par chastiement et demonstrance, fut par le service et bien fait que vous feystes à deux povres femmes, dont vous donnastes à l’une une cote et à l’autre une chemise, et vous dist la voix que la cotte et la chemise vous avoyent gardée de cheoir ou puis, c’est-à-dire que le bien fait et l’aumosne que vous aviez fait pour Dieu vous avoit gardé de perir et d’estre perdue, se vous fussiez cheoite en la folie où vostre cuer avoit mis s’entente et sa folle plaisance. Sy devez grant guerredon à Dieu et grant service de vous avoir daigné demonstrer vostre erreur. Si vous devez en avant garder d’encheoir un tel peril comme de perdre honneur et l’ame d’avoir plaisance de amer nul tant comme vostre seigneur, à qui vous avez promis foy et loyaulté, ne le changer pour pire ne pour meillour, et celle le change, qui plus aime autre que son seigneur et ment et parjure sa foy et sa loy. Si vous est, Dieu mercy, beau mirouer. » Et ainsi li demonstra le preudomme son advision et la confessa et l’enseigna le mieulx qu’il pot, et la dame guerist et mercia Dieu, et laissa toute sa folle plaisance, dont il advint, bien environ demi an ou environ après, que l’escuier, qui l’amoit par amours, vint d’un voyaige et d’une armée où il avoit esté. Si la vint veoir, cointe et jolis, et si commença à bourder et jangler et lui user d’un tel langaige, dont autresfoys luy avoit usé ; sy la trouva toute estrange ; lors -79- fut tout esbahy et esmerveillé et luy demanda : « Ma dame, à quel jeu ay-je perdu le bon temps, la joye et l’espérance que j’avoye en vous de vivre joyeusement ? » Et la dame lui respondit que tout cellui temps est passé ; car jamais je ne pense à amer ne avoir plaisance à nullui fors en mon seigneur. Et lors elle lui compta l’adventure qui lui advint. Si cuida moult la tourner ; maiz il ne peut, et, quant il vit qu’il ne pot et qu’elle estoit si ferme, si la laissa et dist à plusieurs la bonté et la fermeté d’elle, et l’en prisa et la honnoura plus. Et pour ce a cy bon exemple comment l’on ne doit pas aler aux sains voiaiges pour nulle folle plaisance, fors pour le divin service et amour de Dieu, et aussy comment il fait bon faire prier et faire dire messes pour son père et pour sa mère et pour ses autres amis ; car aussy ilz prient et empètrent graces pour les vifs qui bien font pour eulx, comme ouy avez ; et aussy fait l’en bien de donner pour Dieu, car l’aumosne si acquiert grace de Dieu à celluy qui la donne, si comme ouy avez. Sy vous diray un autre exemple qui avint en une eglise qui est en ma terre, et a nom Nostre-Dame de Beaulieu.
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Chappitre XXXVe.
Il avint en celle eglise à une vigilles de Nostre-Dame que un qui avoit nom Perrot Luart et qui estoit sergent de Cande en la mer, s’i coucha avec une femme sur un autel. Si advint un miracle qu’ilz s’entreprindrent et s’entrebessonnèrent comme chiens, tellement qu’ilz furent aussy pris de toute le jour à journée, si que ceulx de l’esglise et ceulx du païx eurent assez loisir de lez venir veoir ; car ils ne se povoient departir, et convint que l’on venist à procession à prier Dieu pour eulx, et au fort sur le soir ilz se departirent. Dont il convint que l’esglise feust puis dédiée, et convint par penitence qu’il alast par troix dimenches environ l’esglise et le cymetière, soy batant et recordant son peché. Et pour ce a cy bon exemple comment l’en se doit tenir nettement en sainte église ; et encores vous diray un autre exemple sur ceste matière, comment il avint ès parties de Poitou n’a pas trois ans, dont je vous en diray l’exemple.
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Chappitre XXXVIe.
En Poitou avoit une abbaye qui a nom Chievre Faye, dont l’esglise a esté empirée pour les guerres. Le prieur d’icelle abbaye avoit un nepveu qui avoit à nom Pigière. Si avint à un jour de dymenche que l’on dit matines et la messe. Si demandoit l’en partout cellui Pigière, et ne povoit estre trouvé. Mais toutefois tant fut quis et cerchié qu’il fut trouvé en l’esglise en un coingnet sur une femme, embessonné, et ne se povoient departir l’un de sus l’autre, et telement que tous y vindrent, et le povre moigne avoit grant honte et grant dueil, et si y estoit son oncle et tous les aultres moignes, et toutes voyes au derrain, quant il pleust à Dieu, ils se departirent, et celuy moyne Pigière de dueil et de honte laissa l’abbaye et s’en ala ailleurs. Se fut moult grant exemple comment l’on se doit garder de faire mal pechié de delit de char en l’eglise ne d’y parler de chose qui touche celle orde matière, ne s’i entreregarder par amour, fors que par amour de mariaige. Car comme Dieu dit en l’Euvangille, si comme racompte l’un des euvangelistres, que le doulx Jhesucrist entra en une esglise qui lors appelée étoit le temple. Sy y vendoit l’en merceries et marchandise, et, quant Dieu vit ce, si les mist hors, et dist que la maison Dieu devoit estre tenue nectement -82- et qu’elle devoit estre mayson de saintes oroisons et de prières, non pas maison de marchandises ne maison à faire nul delit de pechié ; et, à conforter ceste raison, Nostre Seigneur en a bien démontré appert miracle, comme vous avez ouy qu’il a fait nagaires en ces deux eglises, comment il lui desplait que on ordist sa sainte maison ne son eglise.
Chappitre XXXVIIe.
Belles filles,
Je le dy pour ce que nous avons par le monde moult de mauvais exemplaires, et y a moult de ceulx qui se prennent plus tost aux mauvaises que aux bonnes, et ceulx qui le font foloyent, et se desnaturent et se mettent hors du droit chemin, c’est des commandemens de Dieu le père, qui tout bien et sauvement enseigne et le baille par escript par loy, laquelle nous tenons petitement. Car nous veons que le plus de monde se gouverne selon le delit de la char et selon la vainne gloire du monde, comme les uns qui se ourgueillissent pour leur beauté, pour leur richesse, pour leur gentillesce ; aultres y a qui sont envieux des biens et des honnours que ils voient à autruy plus que à eulx ; autres y a qui sont yreux et gardent leur mal cuer et -83- felon en rencune, autres qui sont sus la lecherie de luxure espris et enflambez plus ordement que buefs ne bestes sauvaiges, autres qui sont lecheurs et frians sur leurs gueulles de bons vins et delicieuses viandes ; autres sont avers et convoyteux d’avoir l’autruy bien, autres qui sont hoqueleurs, larrons, usuriers, rapineux, parjures, traittres et mesdisans, et cestes manières de gens monstrent bien que ilz sont enffans de la doctrine à leur maistre que ilz ressemblent ; par sa doctrine et temptacion et par son conseil ilz font iceulx maulx ; c’est l’ennemy de tenèbres qui les attise et les esmeut à faire yceulx pechiez et les y tient bien jusques à la desliance de vraye confession, par laquelle ilz sont delivrez, et de ceste manière de gens est le plus du monde entechiez et surpris.
Chappitre XXXVIIIe.
Aprez, y a d’aultres qui sont plus saiges et qui ont plus le cuer et l’esperance en Dieu, et, pour l’amour de la crainte que ilz ont envers luy, ilz se tiennent chastement et nettement, et se combattent contre les tentations des brandons du feu de luxure, et aussi se tiennent plus soubrement de viandes delicieuses, par quoy la char est temptée, car la delicieuse viande et les bons vins et les deliz du corps sont alumail et tison du feu de luxure. Et autres qui ont -84- grace d’avoir souffisance contre convoitise, et autres qui ont franc cuer et piteux aux povres, et sont loyaulx et justes vers leurs prouchains et voisins, et sont paisibles, et, pour ce, Dieux les fait vivre en pais et paisiblement ; car qui le mal et la riote quiert, le mal et la douleur treuve ; voulentiers le voit l’en advenir. Car aucunes gens par leur grant yre et convoitise se bastent de leurs bastons mesmes et se pourchassent de jour en jour peine et ennuy. Et pour ce, Dieux beneist en l’Euvangille les debonnaires de cuer et les paisibles ; et toutes cestes gens, qui ainsi se tiennent nettement en la crainte et en l’amour de Dieu et de leurs voisins, monstrent bien qu’ilz ressemblent à leur bon maistre, c’est-à-dire à Dieu le père, de qui ilz tiennent ses sains commandemens, si comme sainte Eglise leur enseigne, car ilz ont eu franc cuer à les retenir, et aussi ressemblent au bon filz de Dieu, qui est bon exemplaire de vie et de joie pardurable, et fontaine où l’on puet tout bien et sauvement puiser. Et pour ce, belles filles, ayés jour et nuit le cuer ou lui, et l’amez et le craigniez, et il vous sauvera de tous perilz et de toutes temptacions mauvaises, et pour ce, mes belles filles, je vous vueil monstrer et desclairer par ce livre les preudes femmes et bonnes dames que Dieux loue en sa Bible, qui, par leurs saintes euvres et bonnes meurs, furent et seront à tousjours mais louées, pour quoy vous y prengniez bon exemple à vivre à tousjours mais honnestement et nettement comme celles firent. Et aussy vous monstreray et desclareray aucunes mauvaises qui furent diverses et crueuses, lesquelles finèrent -85- mal, afin de y prendre bon exemple de vous garder du mal et de la perdicion où elles cheyrent.
Chappitre XXXIXe.
Le premier exemple de mal et de pechié, par quoy la mort est entrée en cestuy monde, si vint par Eve, nostre première mère, qui petitement garda le commandement de Dieu et l’onneur où il l’avoit mise ; car il l’avoit faitte dame de toutes choses vivans qui estoyent soubz le ciel, et que tous lui obeyssoient et feissent sa voulenté. Et se elle ne feust cheute en pechié de desobeyssance, il n’y eust poisson en la mer, ne beste sur terre, ne oisel en l’air que tous ne feussent à son obeyssance, à en prendre et à en deviser là où il luy pleust, sans nul desdit, et aussy elle eust enfans sans doulour et sans peril, ne jamais ne eust l’en faimg ne soif, froit ne chaut, travail ne maladie, ne tristesse de cuer, ne mort terrienne nulle. Nulle eaue ne la peust noyer, ne feu ardoir, ne glaive, ne aultre chose blescier ; nulle chose ne luy peust nuire, ne fayre couroucier. Doncques pensons et regardons comment un pechié, sans plus, la mist de si grant honneur et gloire si bas et en tel servage ; car elle perdit toute l’onneur et la richesse, laissa la gloire et toute l’obeyssance pour le pechié de desobeissance. Or resgardons doncques en quoy pecha la -86- première femme, affin, mes chières filles, de vous en garder, si Dieu plaist, par la bonne doctrine que vous prendrés en bons exemples. Sy vous dy que le premier pechié de nostre mère vint par mauvaise accointance, pour ce qu’elle tint parlement au serpent, qui avoit, ce dit l’escripture, visaige de femme moult bel et moult humble, lequel parloit humblement et cointement ; si l’escouta voulentiers et privéement, dont elle fist que folle ; car se au commencement elle ne l’eust voulu escouter et s’en estre venue à son seigneur, elle l’eust desconfit à sa grant honte. Et ainsi le fol escoutement lui fist dommaige. Et pour ce, belles filles, n’est pas bonne chose d’escouter gens qui langaigent et qui ont l’art de bel parler, ne que escouter doulces parolles et couvertes ; car par fois elles sont decevables et venimeuses, et en puet l’en acquerre blasme. Après cellui serpent advisa son point et la trouva seule et loing de son seigneur, et pour ce lui monstra à loysir son faulx langaige, et dont il n’est pas bon de demourer seul à seul à nulluy, se il n’est de ses prochains. Et je ne dis mie que l’on ne doye faire honneur et courtoisie à chascun selon ce qu’il vault ; mais l’on met trop plus son honneur en balance de trop respondre que de pou ; car l’une parolle attrait l’autre et à chacunes foys convient qu’il en soit dit d’aucunes dont ilz se pueent après jangler ou bourder, et pour ce est bon exemplaire à toute droite dame.
La seconde folie de Eve nostre première mère est à ce qu’elle respondy trop legièrement, sans y penser, quant l’ennemi Lucifer lui eust demandé pour quoy -87- elle et son mary ne mangoient du fruit de l’arbre de vie, comme ilz faisoient des autres. Ce fut celle qui respondit sans le conseil de son mary, et lui y tint parolle, dont elle fit que folle, et luy en meschey ; car la responce ne lui avenoit mie, ains appartenoit à son seigneur à en respondre ; car Dieu avoit baillé la garde d’elle et du fruit à son seigneur, et divisé de quel fruit ilz mangeroient. Et pour ce peust avoir respondu que il en parlast à son seigneur, non pas à elle, et se feust couverte et deschargée. Et pour ce, belles filles, devez prendre en ce bon exemple que, se aucuns vous requiert de folie ou de chose qui touche contre vostre honneur, vous vous pouvez bien couvrir et dire que vous en parlerez à vostre seigneur ; ainsi vous les vaincrez et ne ferés pas comme la seconde folie de Eve, qui fist la responce, sans ce que elle s’en couvrist ne sans le conseil de son seigneur. Et pour ce, belles filles, je vouldroye bien que vous retenissiez l’exemple d’une bonne dame de Acquillée, que le prince d’Acquillée prioit de folles amours. Et, quant il l’eust assez priée et assez parlé, elle lui respondit que elle en demanderoit l’avis à son seigneur ; et quant le prince vit ce si la laissa ester et oncques plus ne lui en parla, et disoit à plusieurs que c’estoit une des parfaittes dames de son païx, et ainsi la bonne dame en receut grand pris et grant honnour. Et ainsy le doit faire toute bonne dame, non pas respondre de soy meismes, comme fist Eve.
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Chappitre XLe.
La tierce folie de Eve fut qu’elle ne recorda pas à droit la deffense que Dieu avoit faicte à elle et à son seigneur ; ainçois y mist division. Car Dieu leur avoit dit que se ilz mangeoient de cellui fruit qu’ilz en mourroient, et pour ce, quant elle fist la responce au serpens, elle ne dist mie plainnement la vérité, ainçois dist : « Se nous en mangions, nous en morrions par adventure. » Ainsi mist condicion en la response, si comme maintes folles femmes font quant l’on leur parle de folie. Mais Nostre Seigneur ne leur avoit pas mis de par aventure. Car la simple response de par aventure, que l’ennemi trouva en elle, lui donna pié de parler plus largement et de plus la tempter, tout aussy comme celles qui escoutent et respondent legièrement à ceulx qui les requièrent de fol amour. Car, par les simples responses et par l’escouter, ilz donnent voye et lieu de parler plus avant, ainsi comme il avint à Eve, nostre première mère, qui escouta l’ennemi jangler et respondit sans le conseil de son seigneur. Et pour ce l’ennemi la tempta et lui dist : « Vous en pourrez bien mangier, et si n’en mourrez mie, ains serez aussi beaulx comme Dieu et si sçaurez bien et mal. Et sçavez-vous pourquoy il a deffendu que vous ne mangiez point de ce fruit ? Pour -89- ce que, se vous en mengiez, vous seriez aussy beaux et aussi clers et aussi puissans comme lui. » Ainsi la folle cuida qu’il dist vray, et le creut par convoitise et par beau parler, tout aussi comme font les folles femmes qui croient de legier les belles parolles des jangleurs qui les conseilloient à foloier contre leur honneur et leur estat par flatteries et folles promesses, et leur jurent assez de choses qu’ilz ne leur tiennent mie. Aucunes fois les folles les croyent tant qu’elles viennent et se consentent au fol delit, dont elles se trouvent depuis deceues et moquées. Car, quant ilz ont fait leur fol delit, ilz les laissent comme diffamées honteusement.
Chappitre XLIe.
La quarte folie de Eve si fut du fol regart, quant elle regarda l’arbre et le fruit de vie que Dieux leur avoyt deffendu. Si luy sembla trop bel et delitable, dont le desira par le regart et en fut temptée ; ainsy par le fol regart cheit en folle plaisance. Et pour ce a grant peril à regarder legierement. Car le saige dit que le pire ennemi est l’ueil, dont maintes ont esté deceues par faulx regars. Car il est maintes gens qui de leur grant art font un faulx semblant et un faulx regart, comme maintes gens qui regardent afficheement et font le debonnaire et le gracieux, et font le pensis en -90- leurs faux regars, dont maintes fois maintes en sont deceues, car elles cuident qu’ilz le facent par destresse d’amours, et ilz ne le font que par faux semblans pour les decevoir. Et pour ce a cy bon exemple pour soy gaittier de faux regardeurs. Car maintes foiz l’on y est deceu. Car, quant l’ennemi les treuve en telx fols regars et delix, il les point et enflambe de fole temptacion, par quoy il les tient liez du fol delit, et du fol delit les fait cheoir en l’ort fait, dont elles perdent corps et ame ; doncques tout vient par fol regart. Dont je vouldroye que vous sceussiez l’exemple du roy David, que, par un fol regart de regarder la femme Urie, il cheyt en fornication d’avoultire, puis en omicide, comme de faire tuer son chevalier Urie, dont Dieu en prinst plus grant vengence sur luy et sur son pueple, dont l’achoyson avint par fol plaisir et regart, si comme il advint à Eve, nostre première mère, qui par son fol plaisir et regart chey ou fol fait, dont tout le monde et l’umain lignaige l’acheta chierement et à grant douleur. Car par celluy regart et celluy fait la mort vint au monde. Et pour ce est cy bon exemple de non regarder folement ne afficheement.
Chappitre XLIIe.
La quinte folie fut de touchier, quant elle habita au fruit, dont il vaulsist mieux que elle n’eust eu nulles mains. Car moult est perilleux le touchier après le regard, quand les deux vices se consentent de mauvaise volenté. -91- Et pour ce dist le saige en la sapience que l’en se doit garder de touchier à delit dont le cuer soit blescié ne l’âme ; car fol atouchement eschauffe le cuer et enflambe le corps. Et, quant raison est aveuglée qui doit le cueur et la fenestre gouverner, l’en chiet en pechié et en fol deliz ; et encore dit le saige, qui se veult seurement gouverner et nettement garder, doit deux fois ou trois avant ses mains regarder que à nul fol fait atouchier, c’est à dire, avant que le faire et entreprendre, deux foyz ou trois y penser. Car le touchier et le bayser esmeuvent le sanc et la char telement que ils font entroblier la crainte de Dieu et honneur de cest monde. Ainsi moult de mal se esmeut et avient par fols baisiers et atouchemens, tout ainsi comme il avint à Eve qui atoucha au fruit de vye.
Chappitre XLIIIe.
La vje faulte si fut pour ce que elle menga du fruit deffendu ; ce fut le plus fort du dolereux fait. Car, par celluy fait nous et tout le monde fusmes livrez au peril de la mort d’enfer, et estrangez de la joye pardurable. Si avons cy grant exemple comment par le trespassement d’une petite pomme soyent devenus tant de douleurs et de maulx. Hé, Dieux, comment ne pense l’en assavoir comme Dieux pugnira ceulx qui -92- font telx forfaix de viandes et qui se delittent en bons morseauls de quoy ilz nourrissent leurs ventres et leurs charongnes, qui par celui delit la font esmouvoir en fol delit de luxure et d’autres pechiez. Pourquoy ne regardent-ilz aux povres familleux qui meurent de froit et de faing et de soif, dont Dieux leur demandera compte au grant jour espoventable ? Et saichiez que pechié n’est pas du tout à trop mengier, mais au delit de la saveur de la viande ; dont le saige dit que la mort gist dessoubz les delices, aussi comme le poisson qui prent l’aim par la viande qui y est atachée, et c’est la mort. Et aussi comme les poisons et le venin est mis ou bon morcel, dont l’omme muert, et aussi la saveur du delit, que l’on prent ès delicieuses viandes, occient l’ame et la perissent par le delit du corps, et aussi comme le delist de la pomme occist Eve nostre première mère, laquelle vint au pechié, comme font maintes gens ; car ilz viennent à escouter la folie, et puis aux regars et puis au touchier, et du touchier au baisier, et du baisier au fait du faulx delit, comme fit Eve, qui assavoura la pomme après le regart et le touchier.
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Chappitre XLIIIIe.
La vije folie de Eve fut pour ce qu’elle ne creut pas ce que Dieu lui avoit dit que elle mourroit se elle mengoyt du fruit. Mais Dieux ne lui avoit pas dit qu’elle mourust si tost de la mort du corps, mais simplement luy dist que elle mourroit. Si fist-elle premiere ; ce feust ce que elle eut desobéy à Dieu, et cheoitte en son yre et en son indignacion. Après elle mourust de la mort du corps, ce fut quant elle eust esté une grant pièce au labour du monde et souffertes maintes doulours, peines et mesaises, si comme Dieu lui avoit dit et prommis, et au derrenier, après la mort, elle descendy en la prison qui estoit commune, dont nul ne eschappoit, c’estoit le porche d’enfer ; or elle fut en prison, elle et son mary et leur lignée, jusques à tant que Dieu vint en la croix ; ce fut l’espace de vm ans et plus, et adonc Dieux les delivra et ceulx qui l’avoient servy et obey en la vieille loy, et les mauvais laissa ; il print le grain et lessa-il la paille ardoir. Helas ! que ne pensons, nous et ceulx qui sont endormis et nourris en péchié jusques au jour d’uy, de nous amender, et non mie d’estriver tousjours à la folle esperance de cuidier tousjours vivre ne de attendre à soy admender sur son derrenier jour, et ilz ne voient pas la mort qui se aprouche -94- d’eulx de jour en jour et vient soudainement, comme le larron qui entre par l’uis derrière et emble les biens, coppe les gorges, et ne scet l’en quant il vient, et après celluy larron luy embelist de jour en jour à embler et persevere tant que il est prins et le destruit l’en ! Et ainsi est-il des pecheurs qui pechent de jour en jour, tant que la mort les prent, et ne savent lors, comme le larron, à qui tant embellist de mal faire qu’il ne se peut tenir d’aler et de venir et soy delicter en ses larrecins tant qu’il est prins et mis à mort, et aussi est-il du pecheur qui tant vait et vient à sa fole plaisance et à son fol delict que l’on s’en apparçoit, et est sceu tant quelle est diffamée et deshonnourée du monde et haye de Dieu et des anges.
Chappitre XLVe.
La viije folie fut qu’elle quist compaignie à faire son péchié, et ce fut que elle donna la pomme à son mary et luy pria que il en mengast avec elle, et il ne lui vouloit mie desobéir comme fol, et pour ce furent tous deux prisonniers du pechié et de nostre grant mal ; dont a cy bon exemple que, se femme conseille mal à son seigneur, il doit penser se elle lui dit bien ou mal et à quelle fin la chose puet venir. Car l’en ne doit mie estre si enclin à sa femme ne si obeissant que l’en ne pense se elle dit bien ou mal ; car ilz sont maintes -95- femmes auxquelles ne leur chault, mais que leur voulenté soit faicte et accomplie. Dont je congneux un baron qui tant crut sa femme que par son fol conseil il prist mort, dont ce fut dommage. Il lui vaulsit mieux qu’il l’eut moins crainte ne congneue, et aussi, comme Adam, qui folement creut sa femme, à sa grant doulour et à la nostre. Et aussy, toute bonne femme doit bien penser quel conseil elle veult donner à son seigneur, et qu’elle ne luy conseille mie à faire chose dont il ait honte ne dommaige pour acomplir sa fole voulenté. Car, se elle est saige, elle doit penser et mesurer à quelle fin ou bien ou mal la chose puet venir ; car elle y partira et ou bien et ou mal. Et, pour ce y doit bien penser avant qu’elle riens lui conseille, ne ottroye, ne pour amour ne pour hayne d’autruy. Et, aussi comme Eve ne vouloit bien faire, elle ne devoit mie conseillier à faire mal ; car il y eust assez eu d’elle. Et pour ce est cy bon exemple, se l’on ne veult faire bien, que l’on ne doit pas conseillier à autruy à faire mal. Et aussy, se l’on ne vuelt jeuner et bien faire, l’en ne doit pas autre desconseillier ne destourber à aultruy ; ains dist le saige que l’on a sa part ou pechié, c’est à dire ceulx qui lui ostent sa devocion et qui le conseillent à desjeuner et à faire pechié. Et, pour ce, qui n’a voulenté de bien faire, si le laisse l’on bien faire aux autres, et ne leur conseillier riens contre leur ame, car ilz participeroient au pechié.
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Chappitre XLVIe.
La ixe folie et la greigneur fut la derrenière ; car, quant Dieu la mist à raison pourquoy elle avoyt trespassé son commandement et fait pechier son seigneur, lors elle excusa et dist que le serpent lui avoit fait faire et conseillié. Dont elle cuida allegier son pechié pour chargier autruy. Dont il sembla que Dieu s’en courrouça plus que devant, pour ce que Dieux lui respondist que dont de là en avant en seroit la bataille entre elle et l’ennemy, pour ce quelle crut contre luy et qu’elle vouloit estre pareille à Dieu, et pour ce qu’elle passa son commandement, et pour ce qu’elle creut plus l’ennemy que lui qui l’avoit faicte, et pour ce qu’elle deceut son seigneur par son fol conseil et que elle s’esforça de excuser son meffaict et son pechié, et pour cestes causes Dieu ordonna la bataille entre homme et femme et l’ennemy. Car moult il desplut à Dieu l’excusacion, comme il fait aujourd’uy de telz qui viennent à confession devant leur prestre, qui est en lieu de Dieu, si se excusent en leur confession devant leur prestre, et pollicent leur meffait, c’est-à-dire qu’ilz ne dient pas leurs pechiés sy vilment comme ilz ont meffait, et en ont honte de le dire ; maiz ilz n’avoient pas honte de le faire. Et pour ce ilz ressamblent à nostre première mère Eve -97- qui se excusoit. Maiz saint Pol dit que qui veult estre bien nettoyé et lavé, il doit dire aussy laidement contre luy et plus comment il le fait, ou autrement il n’est point nettoyé. Car, si comme dist saint Père, tout aussi comme demeure voulentiers le larron là où l’en le celle et là où l’en muce son larrecin, et ne va pas voulentiers là où l’en l’escrie et hue, tout aussy est-il de l’ennemy qui emble les ames par ses temptacions, et se muce et reboute ès corps et ès lieux où il n’est pas escrié, ne hué, ne descovert par confession ; car celui qui se confesse souvent et menu l’escrie et le hue, et est la chose qui soit qu’il plus het et craint. Sy vous laisse à parler de nostre première mère Eve et comment l’ennemy la fist pechier et errer. Si vous parleray comment nulle saige femme ne doit estre trop hastive de prendre les nouveautéz ne les premières cointises, comment un sains homs en prescha nagaires, et après ycelle matière vous parleray de l’exemple d’un chevalier qui ot trois femmes, sur celle matière, et puis je retourneray au compte et à la matière des mauvaises femmes, comme il est contenu ou livre de la Bible, et comment il leur prist mal, et pour estre exemplaire de vous en garder. Après la matière des mauvaises femmes, je vous compteray des bonnes, et comment l’Escripture les loue.
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Chappitre XLVIIe.
Je vous diray comment un saint homme evesque prescha nagaires, qui à merveilles estoit grant clerc, et estoit en un sermon où avoit grant foyson de dames et de damoyselles, dont il y en avoit d’attournées à la nouvelle guise qui couroit, et estoient bien branchues et avoient grans cornes. Dont le saint homme commença à les reprendre et à leur baillier moult de exemples, comment le deluge ou temps de Noë fut pour l’orgueil et desguiseures des hommes, et espécialement des femmes, qui se contrefaisoient de atours et de robbes. Dont l’ennemy vit leur orgueil et leurs desguiseures, et les fist cheoir en l’ordure du vil pechié de luxure, et, pour ceulx pechiés, il en desplust tant à Dieu qu’il fist plouvoir xl. jours et xl. nuis sans cesser, tant que les yaues surmontèrent la terre de x. coudées sur la plus haute montaigne, et lors tout le monde fut nayé et perillié. Et ne demeura que Noë et sa femme et troiz filz et troiz filles, et tout advint par celui pechié. Et après, quant l’evesque leur eust monstré cet exemple et plusieurs autres, il dist que les femmes qui estoient ainsy cornues et branchues ressamblent les limas cornus et les licornes, et que elles faisoient les cornes aux hommes cours vestus, qui monstroient leurs culz et -99- leurs brayes et ce qui leur boce devant, c’est leur vergoigne, et que ainsi se mocquoient et bourdoient l’un de l’autre, c’est le court vestu de la cornue. Et encore dist-il plus fort, que elles ressamblent les cerfs branchus qui baissent la teste au menu boys, et aussy, quant elles viennent à l’esglise, regardés les moy, si l’en leur donne de l’eaue benoyste, elles baisseront les testes et leurs branches. Je doute, dist l’evesque, que l’ennemy soit assis entre leurs branches et leurs cornes ; et pour ce les fait-il baisser les têtes et les cornes, car il n’a cure de l’eaue benoyste. Si vous dy qu’il leur dist moult de merveilles et ne leur cela rien de leurs espingles ou de leurs atours, tant qu’il les fist mornes et pensives, et eurent sy grant honte qu’elles bessoient les testes en terre, et se tenoient pour moquées et pour nices. Et y en a de celles qui ont depuis laissées celles branches et celles cornes et se tiennent plus simplement aujourd’huy ; quar il disoit que telles cointises et telles contrefaictures et telles mignotises ressambloyent à l’iraingne qui fait les raiz pour prendre les mousches ; tout aussy fait l’ennemy par sa temptacion la desguiseure aux hommes et aux femmes, pour ennamourer les uns des autres et pour prendre les musars aux deliz des folz regars, et, par les mignotises des foles plaisances qu’ilz croyent et ceulx folz regars et folles plaisances, l’ennemy les tempte et point, et les prent et lie, comme fait l’yraingne qui prent les mousches en ses rais et en ses tentes. Car telles contrefaictures et desguiseures sont les raiz et les tentes de l’ennemy comme l’yraingne les mousches, si comme racompte un saint hermite en la vie des pères, à qui -100- il fui demontré par l’ange, si comme vous pourriez trouver escript plus à plain. Après ce leur dist que le plus du blasme du pechié estoit en celles qui premièrement prennent telles desguiseures, et que les plus folles estoient les plus hardies, et que toute bonne dame et saige doit bien soy craindre de les entreprendre jusqu’à ce que toutes communément les ayent entreprinses et que l’on ne puisse plus fouir selon le monde. Car, selon Dieu, les premières seront plus blasmées, et mises ès haulx siéges les derrenières. L’evesque, qui prudomme estoit, dist un bon exemple, sur le fait de celles qui se hastoient de prendre les premières nouvelletez et cointises, et dist ainsy :
Chappitre XLVIIIe.
Il advint que plusieurs dames et damoyselles furent conviées à une nopces. Si furent à la beneyçon et s’en vindrent tout à pié par esbat là où on devoit faire le disner. Sy avoit un bien petit maroiz entre deux, et bien mauvaiz chemin. Sy distrent les plus juennes femmes : Nous yrons bien par ces marois ; car le chemin y est plus droit. Les autres, qui estoient les plus meures et les plus saiges, distrent qu’elles yroient le grant chemin, car il estoit le plus sec et le plus seur. Les juennes, qui estoient plainnes de leurs -101- voulentez, n’en vouldrent rien faire, et cuidèrent aler au devant et prindrent le chemin des marois, où il avoit vieilles cloyes pourris, et, quant elles furent sur les cloyes, les cloyes fondirent et elles cheyrent en la boue et en la fange jusques aux genoulx, et furent toutes souilliées, et convint qu’elles retournassent arrières à l’autre chemin, après les autres, et elles se ratissèrent à coustaulx leurs chausses et leurs robes, et furent crotées et souillées, et ne demandez mie comment, et on les demanda bien partout, et tant que l’on eut mengié le premier mès avant qu’elles venissent. Et quant elles vindrent sy comptèrent comment elles estoient chaitez en la boue. Hé ! dist une bonne dame et saige qui estoit venue le grant chemin, vous nous cuidiez estre au devant pour estre les premierez à l’ostel, et ne nous vouliez suivre. Il est bien employé ; car je vous dy pour vray que telle se cuide avancié qui se desavance, et telle cuide venir la première qui se trouve la dernière. Sy lui bailla ces deux parolles doublement et couvertes ; car, selon ce que dist le saint preudomme, ainsi est-il de ce siècle ; car celles qui premières prennent les nouveaultéz et les jolivetéz qui viennent par le monde, elles cuident moult bien faire desavancer les aultres pour avoir les plus de regars ; mais, pour un qui le tient à bien, il y en a x. quy le tiennent à mauvays et s’en moquent et bourdent ; car telz les en louent par devant qui en trayent la langue par derrière et se mocquent d’elles et en tiennent leurs parlemens ; mais nulle ne croit en sa folie.
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Chappitre XLIXe.
Celle se tient à la mieulx venue qui premierement se cointoye ; mais celles qui premierement prennent telles nouveautés, ce dit le preudomme, ressemblent aux juennes femmes qui se souillèrent en la boue, dont l’en se bourde d’elles et de leur chemin nouvel. Et celles qui se tiennent plus meurement et simplement, ce sont les saiges qui alèrent le grant chemin seur ; car l’on ne se puet bourder de celles qui se tiennent meurement. Je ne dy mie, puisque l’estat et la nouvelleté est courant par tout et que toutes s’y prennent, il convient qu’elles suyvent le siècle et facent comme les autres. Mais les saiges y doivent reculer le plus qu’elles peuvent, et au fort en prendre sur elles avant moins que plus, et elles ne se hasteront pas tant de venir au devant comme celles qui cheyrent en la boue pour cuidier venir les premières, et elles furent les derrenières, et furent souilliées et honnyes. Pour ce, mes chières filles, est-il bon de ne se haster point et de tenir le moyen estat, c’est à en faire plus sur le moins que sur le plus. Maiz il est aujourd’huy un si meschant siècle ; car se aucune jolie ou aucune nice prent aucune nouveaulté et aucun nouvel estat, tantost chacune dira à son seigneur : « Sire, l’en me dist que telle a telle chose qui trop bel est et trop -103- bien lui siet. Je vous prye que j’en aye ; car je suis aussi gentil femme et vous aussi gentil homme, et aussy puissant comme elle et son seigneur, et avons aussy de quoy bien paier comme eulx. » Et trouvera raysons par quoy il convendra qu’elle en ait, ou la noise et le meschief sera en l’ostel, ne jamais n’y aura paix jusques à ce que elle en ait sa part aussi comme l’autre, soit droit, soit tort ; elle ne regardera pas que le plus de ses voisines en ayent avant, ne ne enquerra se les bonnes dames qui sont renommées et tenues pour saiges en ont encore prins telles nouveaultez ; il convient que elles aillent les premières comme firent celles qui cheyrent en la fange. Si est grant merveilles de telles cointises et de telles nouveaultez, dont les grans clercs dient que les hommes et femmes se desguisent en telle manière que ilz ont doubte que le monde perisse, comme il fist ou temps de Noé, que les femmes se desguisèrent et aussy firent les hommes ; maiz il despleut plus à Dieu des femmes que des hommes, pour ce qu’elles se doivent tenir plus simplement. Dont je vous en diray une merveille que une bonne dame me compta en cest an, qui est l’an mil trois cens lxxij. Elle me deist que elle et tout plein de damoiselles estoient venues à une feste de Sainte-Marguerite, où tous les ans avoit grant assemblée, et là vint une damoisele moult cointe et moult jolye, et estoit plus diversement arroyée que nulles des autres, et, pour son estrange atour, toutes la vinrent regarder comme une beste sauvaige ; car son attour ne sambloit à nul des autres, et pour ce eut-elle sa part des regars. Si luy demanda la bonne dame : « M’amie, -104- comment appellez-vous cest attour ? » Et elle lui respondi que l’on l’appelloit l’attour du gibet. — « Du gibet ! » dist la dame. « En nom Dieu, le nom n’est pas bel, ne l’atour plaisant. » Si ala la voix amont et aval que celle damoiselle avoit nommé son atour l’atour du gibet, et chacun s’en jengla, et la venoient veoir comme petis enfans. Si demanday à la bonne dame la manière de cellui atour ; sy le me devisa ; maiz en bonne foy je le retins petitement, maiz que, tant qu’il me semble, qu’elle me dist qu’il estoit hault levé sus longues espingles d’argent plus d’un doy sur la teste comme un gibet pour estre estrangement. Si n’estoit pas tenue celle damoiselle à trop sage, et estoit moult bourdée ; et ainsi chascune nyce amainne sa nouveaulté et sa desguiseure. Sy vous laisseray à parler de cestes desguisures et atours ; je vous ay dit comment l’evesque les chastioyt et soutenoit et prouvoyt par la sainte escripture que, quant les hommes et par especial les femmes se cointissoient et desguisoient, que c’estoit contre mal temps de mortalité ou de grans guerres, comme anciennement est advenu, et comme encore on le puet veoir chascun jour et le appercevoir, et que c’est un pechié d’orgueil, par quel les angels cheyrent du ciel, par qui le déluge vint quant le monde fut noyé, par lequel la luxure y est conceue par la racine de celluy orgueil.
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Chappitre Le.
Belles filles, je vouldroye que vous sceussiez et eussiez bien retenu l’exemple d’un chevalier qui ot troys femmes. Il fut un chevalier moult preudomme et de bonne vie qui avoit un oncle hermite, saint homme et de religieuse vie. Ce chevalier eut sa première femme qu’il ama à merveilles. Si va advenir que la mort, qui tout prent, la print, dont le chevalier fut si dolent que a peu qu’il n’en mourut de dueil et de couroux. Si ne savoit son confort prendre fors que aler soy complaindre à l’ermite son oncle, que il savoit saint homme. Si vint à lui plourant et doulousant et regrettant sa femme, et le saint hermite le confortoit le plus bel qu’il povoyt, et au fort le chevalier le pria à jointes mains que il voulsist Dieu prier que il sceust se elle estoit perdue ou sauvée. Le saint homme eut pitié de son neveu et ala en la chappelle et adoura Dieu, et requist que il lui pleust lui demonstrer où elle estoit, et quant il eut esté grant pièce en oroison, il s’endormi et lui fut advis qu’il veoit la povre ame devant monseigneur saint Michiel et l’ennemy de l’autre part, et estoit en une balance et son bien fait avec elle et d’autre partie l’ennemy avec les maulx qu’elle avoit faits, et, entre les autres choses, la chose qui plus pesoit et qui plus la grevoit, c’estoient -106- ses robes qui moult estoient fines et fourrées de vair et de gris et letticées de hermines. Si se escrioit l’ennemi et disoit : « Ha, saint Michiel, sire, ceste femme avoit dix paires de robes, que longues, que courtes, que costes hardies, et vous savez bien qu’elle en eust assez de la moitié moins, c’est d’une robe longue et de deux courtes et de deux cottes hardies, pour bien se y passer selon une simple dame, et encore elle s’en deust bien passer à moins selon Dieu ; elle en a trop de plus de moitié, et de la valeur d’une de ses robes l. povres gens en eussent l. bonnes cottes de burel, qui ont souffert tel froit et tel mesaise en cest yver environ elle, ne oncques pitié n’en eust, et du forfait de ses robes ces povres en fuissent revestuz et garentiz de froit ». Sy apportoit l’ennemi les robes qui par forfait estoient, et les mist en la balance, et les anneaulx et petits joyaux qu’elle avoit receuz des compagnons par amourettes, et grant foyson de nuies et de mauvaises parolles que elle avoit dictes en diffamant autruy par envie et toulir leur bonne renommée ; car moult avoit esté envieuse et mesdisant ; ne elle n’avoit riens fait que tout ne feust illecques rapporté, et toutes ses robes et celles chosetes furent pesez en la balance, tant que ses maulx passèrent son bien fait et l’emporta l’ennemy, et lui vesty ses robes toutes ardantes et plainnes de feu et de flambe, et la povre ame plouroit et se doulousoit moult piteusement. Et puis l’ermite s’esveilla et racompta ce fait au chevalier son neveu, et commanda que toutes ses robes feussent données pour Dieu et toutes departies aux povres.
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Chapitre LIe.
Après le chevalier se remaria, et furent bien v. ans ensemble, et puis elle morust ; et le chevallier, se il fut dolent de la première, il fut bien autant ou plus de la seconde, et vint à son oncle plourant et menant grant dueil, et luy pria, comment il avoit autrefois fait, qu’il sceult où estoit sa femme, et pour la pitié de luy le preudomme se mist en oroyson. Si vist et lui fut revellé et demonstré qu’elle seroit sauvée ; maiz elle seroit c. ans ou feu de purgatoire pour certaines faultes qu’elle avoyt faittes en son mariaige, ce fu que un escuier s’estoit couchié avecques elle, et pour autres petitz pechiez, et toutesfois si s’en estoit-elle confessée plusieurs fois ; car, s’elle ne s’en feust bien confessée, elle eust esté dampnée. Si dist le saint homme au chevalier que sa femme estoit sauvée, dont il eut grant joye. Si regardez que pour un pechié celle fut tant en feu ; mais bien puet estre, si comme dit le saint homs, que ilz avoient commis ce delit environ x. ou xij. foiz ; car pour chascun fait et delit l’en est vij. ans ou feu de purgatoire, non obstant la confession, car le feu de vij. ans n’est que pour espurgier et purifier l’ame de chascun faulx delit. Si ne l’avoit-elle pas fait à homme marié, ne à prestre, ne à moine, ne engendré enffant ; mais -108- pour cellui pechié mortel, pour chacune foiz que l’en le fait, l’en est vij. ans ou feu et en flambe en purgatoire, non obstant la confession. Sy prenez icy, belles filles, exemple comment celluy faulx delit est chier acheté, et comment il convient une foiz le comparoir, et aussy de celles qui ont tant de robes et qui mestent tant du leur pour elles parer pour avoir les regars du monde et la plaisance des gens. C’est un grant alumail, dont l’en chiet voulentiers au pechié d’orgueil, et de cellui d’orgueil en cellui de luxure, qui sont les deux pires pechiés qui soient, et que Dieux plus het. Et or regardez comment il en prist à la première femme du chevalier, qui en fut dampnée et perdue, et toutesfois en a-il maintes par le monde, qui ont bien le cuer à faire acheter une robe de lx. ou de iiiiXX francs ; mais elles tendroient à grant chose se elles avoient donné pour Dieu un seul franc ou une cote d’un franc à un povre homme ; or regardez comment celles qui ont plusieurs corsès et robes, dont elles se passeroient bien de moins, comment elles en respondront estroictement une fois. Et pour ce, toute bonne femme, selon ce qu’elle est et selon sa puissance, s’en doit passer au mains qu’elle puet, et donner pour Dieu le seurplus pour estre vestue en l’autre siècle, si comme firent les saintes dames et les saintes vierges, comme racontent leurs legendes, comme de sainte Elisabeth, de sainte Katherine et de sainte Agathe et de plusieurs, qui donnèrent leurs robes et leurs biens aus povres pour l’amour de Dieu. Et à cestes exemple le doivent faire toutes bonnes femmes. Or vous ay parlé des deux premières femmes -109- du chevalier ; si vous parleray de la tierce femme.
Chapitre LIIe.
Après le chevalier eut la tierce femme et furent grant pièce ensemble ; et toutesfoiz elle morut à la parfin, dont advint que le chevalier deut morir de dueil et de regret, et, quant elle fut morte, le chevalier vint à son oncle, et lui pria qu’il voulsit prier pour sa femme. Toutesfoiz le preudomme en pria tant qu’il luy vint en advision que un ange le signoit et monstroit le tourment que l’en la faisoit souffrir, ne pour quoy ; car il veoit appertenant que un ennemy la tenoit d’une de ses griffes par les cheveux et par la tresse, comme un lion tient sa proie, si qu’elle ne povoit la teste remuer ne çà ne là, et puis lui mettoit alesnes et aiguilles ardans par les sourcilz, et par les temples, et par le front jusques à la cervelle, et la povre ame s’escryoit, à chascune foiz qu’il lui boutoit l’alesne ardent. Sy demanda pourquoy on luy faisoit cette grant douleur, et l’ange lui respondoyt que c’estoit pour ce qu’elle avoit affaitié ses sourciz et ses temples, et son front creu, et arrachié son peil pour soy cuidier embellir et pour plaire au monde, et qu’il convenoyt que en chascune place et pertuis dont chascun poil avoit esté osté, que chascun jour continuellement y poignist l’alesne -110- ardant. Et après, quant il luy ot fait souffrir ce martire, qui moult longuement dure, un autre annemy moult hideux vint à grans dens hideuses et aigues, la prendre au visaige et luy broyer et maschier, et après cela vint avecques grans brandons de feu ardant luy enflamber et bouter en visaige si effrayement et douleureusement que l’ermite en avoit telle paour et hideur qu’il trambloit tout, mais l’ange l’asseura et luy dist qu’elle l’avoyt bien desservy ; si demanda pourquoy et il respondy : Pour ce qu’elle s’estoit fardée et peinte le visaige pour plaire au monde, et que c’estoit un des pires pechiez qui feust et qui plus desplaisoit à Dieu, car c’estoit pechié d’orgueil, par lequel l’en attrait le pechié de luxure et tous aultres pechiéz mortelx dont le monde perit par le déluge et depuis plusieurs citez en sont arses et fondues en abisme, car sur toute rien il desplait au créateur, qui tout fourma, dont l’en se veult donner plus grant beaulté que nature ne luy apporte, et si ne souffist pas à homme ne à femme estre fait et compassé à sa saincte ymaige où les sains angels tant se delitent ; car si Dieu eust voulu, de sa sainte pourveance, elles n’eussent pas esté femmes, ainsçois les eust faictes bestes mues ou serpens. Et donc pourquoy regardent-elles à la grant beauté que Dieu leur a faictes, et pourquoy mestent-elles à leur visaige ou à leurs chiefs aultre chose que Dieux leur a donné. Et pour ce n’est-il mie de merveilles se elles endurent ceste penitence, car ceste, dist l’angel, l’a bien deservy, et alez veoir le corps, et vous verrés le visaige moult effrayé et hideux. Sire, dit l’ermite, sera-elle guères en cellui tourment ? -111- Et l’ange dist : mil ans, et plus ne lui en voult descouvrir. Maiz quant l’ennemy lui mettoit le brandon de feu ou visaige, la povre ame se escrioit, et doulousoit et maudissoit l’eure qu’elle avoit oncques esté engendrée, et estoit foible et douloureuse. Et de la paour que le saint hermite en eust il se esveilla tout effrayé, et vint au chevallier et lui compta son advision, et dont le chevalier fut moult esbahy, et ala veoir le corps que l’on vouloit ensepvelir. Mais le visaige en estoit si noir, si let et si orrible à veoir que c’estoit grant affliction. Adonc creut-il bien que c’estoit voir ce que son oncle l’ermite luy avoit dit. Si en ot grant horreur et abhominacion et pitié ensemble, et tant que il laissa le siècle, et vestoit le vendredy et le meccredy la haire, et donna le tiers de toute sa revenue pour Dieu, et usa de saincte vie de là en avant, et ne luy chailloit des boubans du monde, tant fust effrayé de ce qu’il avoit veu de sa femme derrenière et de ce que le preudomme lui avoit dit qu’il avoit veu.
Chappitre LIIIe.
Et, pour affermer cest exemple, comment elle peut bien estre vraye, je vous en compteray d’un autre, lequel n’a gaires advint. Je vy une baronnesse bien grant dame, laquelle l’en disoit qu’elle se fardoit, et vy -112- celluy qui luy bailloit chascun an telle chose, et avoit d’elle bonne pension par chascun an, si comme il disoit en son privé. La dame fut un temps moult honnourée et moult puissante. Sy morust son seigneur et vint en abaissant de son honneur et estat, et fut un temps que elle avoit plus de lx. paires de robes, sy comme l’on disoit. Mais depuis, à la parfin, elle s’en passa bien à moins et en ot bien petitement, dont j’ay oy raconter à plusieurs que, quant elle fut morte, son visaige devint tel que l’on ne sçavoit que c’estoit ne quelle contrefaiture ; car ce ne sambloit point visaige de femme, ne nul ne le prist pour visaige de femme, tant estoit hideux et orrible à veoir. Sy pense bien que le fardement de la painture, qu’elle vouloit faire et mettre en elle, estoit l’achoyson de cellui fait. Pourquoy, mes belles filles, je vous pry, prenez cy bon exemple et le retenez en vos cuers, et ne adjoustez à vos faces, que Dieux a faictes à sa sainte ymaige, fors ce que luy et nature y ont mis ; ne rapetissiez voz sourcilz ne fronts, et aussy à vos cheveux ne mettez que lessive : car vous trouverez, de divin miracle, en l’esglise de Nostre Dame de Rochemadour plusieurs tresces de dames et de damoiselles qui s’estoient lavées en vin et en autres choses que en pures lessives, et pour ce elles ne peurent entrer en l’esglise jusques à tant que elles eurent fait copper leurs tresses, qui encore y sont. Ce fait est chose vraye et esprouvée. Et sy vous dy que ce fut très grant amour à monstrer à celles à qui elle les monstra : car la glorieuse vierge Marie ne vouloyt pas qu’elles perdeissent leurs pas, leur travail ne leurs pellerinages, ne que elles feussent -113- perdues pardurablement ; sy leur voult monstrer leurs folies et les ramener de perdicion. Sy est cy moult bel exemple et mirouer, et moult évident à ouïr, et à concevoir, et à veoir à toutes manières de femmes pour le temps à venir, et pensez comment de l’aage du temps de Noë, que tout le monde noya et perist par les orgueilleuses deffaictures, et les desguisures, et par les fardemens des folles femmes, dont les lecheries et viles luxures yssirent, par quoy ilz furent tous et toutes perilz et noyez, fors viij. personnes sans plus.
Chappitre LIIIIe.
Un exemple vous diray de la femme Loth, que Dieux avoit gettée de Gomorre, elle et son seigneur, et troix de ses filles, et Dieu luy avoyt deffendu qu’elle ne regardast point derrière elle ; mais elle n’en fist riens, ainçoys y regarda, et pour ce devint comme une pierre, tout aussy comme Saint Martin de Verto, quant il fist fondre la cité de Erbanges, qui estoit en l’eveschié de Nantes, laquelle fondy par le pechié de luxure et d’orgueil, aussy comme fist la cité dont Loth fut sauvé, c’est de Gomorre, Sodome, et autres v. cités que Dieu fist ardoir par feu de souffre jusques en abysme, et devindrent lac et eau, et furent tous perilz, et la cause fut tout pour le vil pechié de luxure, -114- que jà ne fait à nommer, qui put tant ordement que la pueur en va au ciel et bestourne tout le ciel et toute l’ordre de nature. Sy en furent vij. cités arses de fouldres puans pour ce que ilz usoient de l’orde ardeur du feu de luxure. Car qui le povoit faire si le faisoit et s’en efforçoyt de le faire, sans y garder loy ne raison de nature, et tout aussy comme leurs cuers estoient ars et espris de celluy vil pechié et feu de luxure, nostre Seigneur les ardy eulx et tous leurs biens par fouldres de feu et de souffre, qui tant est horrible et puant. Et ainsi, l’une chaleur attrait l’autre, et ce fut la vengence et la pugnicion de Dieu le père. Si est bel exemple comment l’en se doit garder du feu de luxure fors du fait de mariage, qui est commandement de Dieu et de sainte Eglise. Après ce que la femme Loth regarda derrières elle pour veoir le tourment des pecheurs qui perissoient par celluy feu de fouldre, et si fist contre le commandement de Dieu et la deffense qui luy avoit esté faite, et fust signifiance à ceulx que Dieux delivre de peril et oste par fois de pechié mortel, c’est à ceulx à qui il donna grace de eulx confesser et de repentir, et quant ilz sont nettoiez et confessez, et que l’en leur a deffendu qu’ilz ne regardent point derrière eulx, c’est à dire que ilz ne retournent plus en pechié et que ilz se gardent nettement dorenavant, et puis ilz retournent arrière à leur pechié, ou en fait ou en dit, et se remettent arrières au peril et en l’ordure où ilz estoient, tant que ilz devendront pierre, et neant, et plus que neant, si comme elle fist. Je vouldroye que vous sceussiez l’exemple de la dame qui laissa son seigneur, qui estoit moult bel chevallier, et s’en ala avecques un -115- moigne, et les frères d’elle la poursuyvoient, et la quistrent tant qu’ilz la trouvèrent la nuit couchiée avecques le moigne. Si coppèrent les choses du moigne et les jettèrent au visaige de leur suer, et puis les mistrent tous deux en un grant sac, et grant foyson de pierres dedens, et les jettèrent en un estanc, et ainsi furent tous deux perilz ; car de mauvaise vie mauvaise fin : car c’est un pechié qui convient que une fois soit sceu ou pugny.
Chappitre LVe.
Encore vous diray-je un exemple des filles Loth, comment l’ennemi les tempta vilainnement. Elles virent leur père tout nu sans braies ; si furent toutes deux temptées de sa compagnie, et s’entredescouvrirent leur fait, et vont entreprendre à enyvrer leur père ; si le festoyèrent et le firent tant boire que il fut yvre, et lors elles se couchièrent et si se mistrent delez lui et l’esmurent à fornication, et tant qu’il les despucella toutes deux, car il cuidoit que ce feussent autres qu’elles, et ainsi feut deceu par vin. Si est moult perilleux pechié de gloutonnie que de vin, et en avient moult de maulx ; et toutesfoiz elles engrossèrent toutes deux et eurent deux fils, dont l’un eut nom Moab et l’autre Amon, dont les païens et la mauvaise loy descendit d’eulx. Et moult en vint de maulx par celluy pechié. Et dist -116- l’en que elles se cointièrent et s’enourguillèrent, et pour ce l’ennemi les tempta plus ligierement à faire celluy vil pechié, et dist l’en que l’une en atiza l’autre et ainsi l’autre le fist par mauvaiz conseil. Et pour ce je vouldroye que vous sceussiez l’exemple de la fole damoiselle, qui, pour un chapperon que un chevalier luy donna, elle fist tant et bargigna que sa dame fist sa volenté et que elle la fist deshonnourer ; dont il avint tel meschief que, au fort, un varlet que le seigneur avoit nourry s’en apperceust et le dist à son seigneur, et le seigneur s’en mist en espie, tant que il trouva le fait. Si occist le chevallier que il trouva avecques sa femme, et sa femme il mist en chartre perpetuelle, où elle mourut doulereusement. Sy advint que le seigneur passat devant la chartre où elle estoit ; si l’escouta et elle se doulousoit en soy et maudissoit qui lui avoit ce fait faire ne conseillié. Et alors il envoya sçavoir qui estoit celle qui le conseil luy avoit donné, et elle descouvry sa damoiselle. Et lors le chevalier la fist venir devant luy et luy commanda qu’elle deist verité, et au fort elle luy dist la verité et qu’elle en avoyt eu un chapperon, et le seigneur luy envoya querre le chapperon, et, quant il le vist, sy lui dist : « Ma damoiselle, mal le veistes ce chapperon et pour pou de chose vous estes deffaicte et avez esté cause de ma tristesse, et je juge que le col et le chapperon soit couppé tout ensemble. » Si luy fist vestir et coupper le col et le chapperon tout ensemble, et ainsy fut fait ce jugement. Sy regardez comment il fait bon prendre bonne compaignie et femmes de service nettes qui n’ayent eu nul blasme ; car ceste damoyselle n’avoit pas esté trop saige, comme -117- l’en dit. Et pour ce est bonne chose de prendre bonnes femmes et nettes ; car mauvaises femmes conseillent trop de mal à juenne dame, comme fist la folle suer des filles Loth et comme fist celle folle damoyselle, qui en eut son guerredon et sa desserte.
Chappitre LVIe.
Je vous diray un autre exemple de la fille Jacob, qui, par sa joliveté de cuer, laissa l’ostel de son père et de ses frères pour veoir l’atour des femmes et l’arroy d’un autre pays. Dont il avint que Sichem, le filz de Amon, qui estoit grans sires, la regarda et vist qu’elle estoit belle, et si la pria de folle amour, tant qu’il la despucella. Et, quant les xij. frères d’elle le sceurent, si vindrent là et le occistrent, luy et le plus de son lignaige et de ses gens du pays, pour la honte que ilz eurent de leur suer, qui ainsi avoit esté despucellée. Or resgardez comment par fole femme vient le grant mal et le dommaige, car par sa juennesce et par son legier couraige advint celle grant occision, tout aussy comme il fut de la fille au roy de Grèce, qui, par sa fole amour et par folz semblans, elle accointa le filz d’un conte, qui l’engroissa, dont le roy son père en fist guerre au conte, et en morut plus de mil personnes, et eust la guerre encores plus duré quant le frère du roy, qui saiges estoit, vint au roy son frère et lui -118- dist : « Sire, je me merveille moult que pour l’esbat et le delit de vostre fille a esté perdu maint bon chevalier et maint bon preudomme par sa joliveté. Il vous vaulsist trop mieulx que elle n’eust oncques esté née. » Et lors dist le roy qu’il disoit voir. Adonc il fist prendre sa fille par qui le mal avoit esté, si la fist despecier d’espées par menues pièces, et depuis dist devant tous qu’il estoit bien raison qu’elle feust ainsi despeciée, par qui tant de bonnes gens avoient esté mors et occis.
Chappitre LVIIe.
Je vueil que vous oyez l’exemple de Thamar, qui fut femme Honain, qui estoit filz Juda, filz de Jacob et frère de Joseph. Cestui Honain fut trop pervers et felon et de mauvaise vie, laquelle je ne vueil pas toute dire, dont Dieux voulst qu’il en morut soudainement et piteusement. Et quant Thamar se vit sans seigneur, dont elle n’avoit oncques eu lignée ne enfant, se pensa que le père de son seigneur engendroit bien et qu’il n’estoit pas brehaing, et pour ce convoita à avoir sa compaignie folement et contre la loy. Et tant fist qu’elle vint couchier par une nuit avec luy, et le deceut tant qu’il engendra deux enffans, dont l’un ot nom Phares et l’autre Amon, dont moult de mal en vint et mainte tribulacion ; car les enfans qui -119- sont mal engendrez et qui ne sont de loyal mariage, ce sont ceulx par qui sont les guerres et par qui les ancesseurs sont perduz. Parquoy je vouldroye que vous sceussiez l’exemple du roy de Napples. Il est contenu ès croniques de Napples qu’il y ot une fole royne qui ne garda pas son corps nettement ne loyalment à son seigneur, et tant qu’elle conçut un filz d’ung autre que du roy son seigneur. Si advint que icelluy fut roy après la mort du roy, et quant il fust en eage il fut fel et aigres, et n’amoit point ses barons ne ses chevaliers, ainçoys leur fut dur et fel, et prenoit amendes et tailles, et efforçoit femmes et usoit de mauvaise vie, tellement que il encommença guerres à ses voisins et à ses barons, et tant que le royaulme fut en essil et en povreté par moult long temps. Si avoit un baron moult preudhomme et moult bon chevalier, qui ala à un hermitaige où avoit un saint hermite moult religieux et qui moult sçavoit de choses. Si lui demanda le chevalier pourquoy ne comment ilz avoient tant de guerre au païs, et se elle dureroit gaire. Et le saint hermite respondy : « Sire, il convient que le temps ait son cours, c’est assavoir, tant comme cest roy durera et un sien filz, la tribulacion ne cessera, et vous diray pourquoy. Il est ainsi que cest roy n’est pas droit hoir, ains est advoultre et emprunté, et pour ce ne puet-il jouir de son royaume ne de l’amour de son pueple, et convient que lui et son royaume ayent doulour et tribulacion tant comme faulx hoir y soit ; mais son filz n’aura jà hoir, et là fauldra la faulce lignée et reviendra le royaulme aux drois hoirs, et lors fauldra la pestillence et vendra paix et toute habondance -120- de biens ou royaulme. » Et, ainsi comme le preudomme le dist, ainsi avint ; et encore dist-il plus, car il parla de la faulce royne sa mère, laquelle seroit pugnie en ce siècle et en l’autre, c’est assavoir que la femme du roy son filz l’encuseroit vers son seigneur que elle se coucheroit avecques un de ses prebstres, et que son filz le roy les trouveroit ensemble et les feroit tous deux ardoir en une fournaise. Et ainsi comme le saint homme le dist il advint, et pour ce est bel exemple à toutes femmes de soy tenir nettement en son mariage : car pour faire un faulx hoir il advient tant de mal et de tribulacion au païx où il a seignourie ; car par les faulx hoirs se perdent les seigneuries, et les mères en sont dampnées perpetuellement en enfer, tant comme les enfans en tiendront point de la terre de leur parrastre, c’est-à-dire du mary de leur mère.
Chappitre LVIIIe.
Belles filles, je vous diray un exemple d’un grant mal qui vint par regart et par folle plaisance, si comme il advint à Joseph le filz Jacob, celui qui fut vendu par ses frères au roy Pharaon. Cellui Joseph estoit à merveilles beau filz, saige et humble, et pour son bon service le roy l’amoit moult et lui habandonna -121- touz les biens de son royaulme. La royne le regarda, qui le vit bel et juenne ; sy l’ama merveilleusement de folle amour, et lui monstra moult de folz signes d’amours par regars et par autres folz semblans, et quant elle vit que il n’y vouloit entendre ni se consentir à sa mauvaise volenté, elle en fut toute forsenée, et tant qu’elle l’appella en sa chambre et le pria de fole amour. Maiz lui, qui estoit preudomme, luy respondi que jà il ne seroit traistre envers son seigneur. Et quant elle vit cela, elle se courrouça et le prist aux poins par le mantel et s’escria à la force tant que tous vindrent, et elle dist qu’il la vouloit efforcier, et lors le roy le fist prandre et mettre en la chartre, et y fust longtemps. Et après ce, Dieu, qui ne l’oublia pas pour sa bonté, le fist delivrer, et fust plus grand maistre que par avant ou royaume, et plus amé et plus honnouré. Et pour ce est cy bon exemple que Dieux reliève tousjours les justes et ceulx où il treuve loyaulté, et la faulce royne fut punye ; car il ne demeura gaires qu’elle morut mauvaisement et souddainement de male mort. Et ainsi Dieu guerredonne à chascun son merite. Et pour ce est cy bon exemple de bien faire ; car oncques de bien faire ne vint que bien et honneur ; ainsi, comme dit l’Euvangille, il n’est bien qui ne soit mery et mal qui ne soit puny. Car de faire faulx hoirs ne viendra que maulx et tribulacions ès lieux où ilz seigneuriront et dont ilz auront la poesté, et les doulereuses mères seront livrées à la grant mort d’enfer, ne jamais n’en istront tant comme les advoultres qu’eles ont fais tendront terres ne biens du mary leurs mères. Et c’est chose vraye, si comme -122- plusieurs qui sont resuscitez le tesmoignent, et la sainte Escripture d’autre part.
Chappitre LIXe.
Un autre exemple vous vueil dire des malvaises femmes de jadiz, comme des filles Moab. Vous avez ouy comment Moab fut faulsement engendré contre la loy, et voulentiers de mauvais arbre ist mauvais fruit. Car ses filles furent folles et plaines de pechié de luxure. Dont il advint que Balaam, qui estoit payen, pour grever l’ost des filz Israël, fist cointir et parer celles folles filles de très riches draps, et puis les envoya en l’ost des Ebrieux, c’estoit le pueple de Dieu, afin de les faire pechier et de mettre Dieu contre eulx en yre ; si vindrent moult cointes et moult jolives en l’ost. Sy en y ot moult qui furent temptez et en firent leur fol delict, dont les princes de l’ost n’en firent point semblant, et Dieu s’en courrouça et manda par Moyse que les princes qui celle iniquité avoient faiste et soustenue feussent penduz et mis à mort, dont Moyse fit crier le ban que Dieu avoit commandé, et ainsi fut fait, et plusieurs furent occis et destruiz pour celluy fait et vil pechié de luxure. Si est cy grant exemple aux chevetaines des ostz qui sueffrent à faire force et qui sueffrent les grans ribaulderies, et pueent veoir comment il en desplaist à -123- Dieu le père, et la pugnicion qui en fut faitte par son commandement, et puet l’en bien veoir comment tel pechié desplait à Dieu, et comment tant de maulx en adviennent, comme ouy avez et comme vous orrez, si comme le compte la Bible et la sainte Escripture.
Chappitre LXe.
Si vous diray un autre exemple comme autre foys en advint en l’ost des filz Ysrael, c’estoient les Juifs, qui estoient peuple de Dieu et tenoyent sa loy. Sy avint que la fille Madiam, qui païen estoit, et des nobles d’icelle loy, celle fille, qui fut temptée, ot le cuer si joly et si gay que elle se cointit et vint en l’ost des Ebrieux, ce sont les fils d’Israël. Elle fut cointe et jolie et moult richement parée, et ne venoit que pour le cheval et le harnoiz, c’est à dire pour soy faire acomplir son delit, et tant advint que un chevallier de l’ost la vit, lequel en fut legierement tempté, et tant que il la fit venir en son logiz et fit son delit avecque elle. Et si comme il pleust à Dieu il envoya Finées, qui estoit un des meilleurs chevalliers de l’ost et l’un des plus grans chevetaines, et estoit nepveu Aaron. Cellui oyt dire que telle iniquité se faisoit en leur ost, comme avecque une payenne qui n’estoit pas de leur loy. Si vint courant l’espée nue et les trouva ou fait ; -124- si les va tous deux percier l’un sur l’autre, et morurent villainement et ordement. Si avoit nom le chevallier qui faisoit la follie Zambry, du lignage Symeon, qui estoit des xij. princes de la loy. Mais pour ce ne fust-il pas espargnié ; car les princes et les chevetaines de l’ost, qui veoient comment Dieu ouvroit pour eulx qui combattoient à dix tant de gens que ilz n’estoient, et que toute la victoire et le sauvement que ilz avoient leur venoit de la grace de Dieu et de appert miracle, et pour ce, avoient paour de cheoir en l’yre de Dieu, et en ceste cause tenoient-ilz bonne justice, car il n’estoit pas rayson que leurs gens se couchassent avecques gens d’autre loy, comme les Crestiens avecque les Juifz et Sarrasins. Et aussy ilz se tenoient nettement et loyaument en la crainte et en l’amour de Dieu, et Dieu leur donnoit victoires et les garantissoit des grans perilz, ne jà n’eussent à faire à si grant nombre de pueple ne de gens d’armes que ilz ne venissent au dessus. Et pour certain, ce que Dieu veult garder nulle chose ne lui peut nuyre, et povez bien veoir comment Dieux het le pechié de luxure et comment il veult qu’il en soit puny, laquelle chose convient que soit ou en ce siècle ou en l’autre.
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Chappitre LXIe.
Encores, mes chières filles, vous diray un autre exemple comment l’on ne doit pas estre ne demourer seul à seul avecques nul, tant soient ses parens ne ses prochains ne autres, si comme il advint de Thamar, fille au roy David, que son frère Amon despucella. Celluy Amon fut tempté contre Dieu et contre la loy, et, pour acomplir sa mauvaise voulenté, il se faingny estre malade et se faisoit servir à sa suer, et la regardoit de faulx regart et puis la baisoit et acoloit, et tant fist petit à petit que il l’eschauffa et la despucella. Et quant Absalon, son frère de père et mère, le sceut, il en fut tout forsenné et yré, et, de fine ire et courroux il occist son frère Amon, qui celle deloyaulté avoit faicte à sa suer, et en vint moult de mal, et pour ce a cy bon exemple comment toute femme qui veult nettement garder son honneur et son estat ne doit point demeurer seul à seul avecques nul homme vivant, fors avecques son seigneur ou avecques son père ou avecques son fils, et non avecques aultres, car trop de maulx et de tentations en sont avenues, dont, se je vouloye, je en raconteroie moult de telles de qui l’en dist qu’il leur est mal pris et de leurs prouchains parens. Sy est grant peril de se fier en nul ; car l’ennemi est trop -126- soubtilz, et la char qui est juenne et gaye est aisiée à tempter, et pour ce se doit l’en garder en toutes gardes et prendre le plus seur chemin, dont je vouldroye que vous sceussiez comment il en prist à une mauvaise femme qui estoit femme d’un cordier qui faisoit cables et cordes à gros vaisseaulx de mer en une bonne ville.
Chappitre LXIIe.
Uns bons homs estoit qui estoit cordier. Si avoit une femme qui n’estoit pas trop saige ne qui ne gardoit pas sa loyaulté vers luy, ains par une faulse houlière qui pour un bien pou d’argent la fist folaier, et s’accorda à un prieur qui estoit riches, grans maistres et luxurieux ; car la convoitise d’un petit don et de petiz joyaux la fist venir au fait, et pour ce dist le saige que femme qui prent se vent. Sy advint une foiz que celluy prieur estoit venus couchier par nuit avecques elle, et, ainsi comme il s’en yssoit de la chambre, le feu se print à alumer, et tant que le mary le vit yssir hors ; si s’effroya et dit qu’il avoit veu yssir gent. La femme en fist l’effraiée et dist que c’estoit l’ennemy ou le luitin. Dont le bon homme si en fut en grant tristesce et en grant merencollie. La femme, qui fut malicieuse, alla à sa houlière et à sa commère et leur dist son fait. La houlière, qui estoit -127- faulse, regarda qu’il aloit et venoit, portant ses cordons à faire la corde. Sy vint et commança à filer à une quenouille de layne noire. Et puis, à l’autre retour que le bonhomme faisoit, elle en prenoit une autre de laine blanche. Sy luy va dire li bons homme, qui estoit plain et loyal : « Ma commère, il me semble que vous filliez maintenant laine noire. — Ha, dist-elle, mon compère, vrayement non faisoye. » Après il revint l’autrefoiz, et elle avoit prins l’autre quenouille et il regarda et va dire : « Comment, belle commère, vous aviez maintenant blanche quenouille. — Ha, biaux compère, dist-elle, que avez-vous ? en bonne foy, il n’en est riens. Je voys que vous estes tout mourne et bestourné ; car vrayement il a esté anuyt jour et nuit, et, en vérité, l’en cuide veoir ce que l’en ne voit pas, et je vous voy moult pensif. Vous avez aucune chose. » Et le bonhomme, qui pensa qu’elle dist voir, lui va dire : « Par Dieu, belle commère, j’ay anuit cuidié veoir je ne sçay quoy issir de nostre chambre. — Ha mon doulx amy, dist la vielle, en bonne foy ce n’est que la nuit et le jour qui se bestournent. » Si le va tourner de tous poins et appaisier par sa faulceté.
Après une aultre foiz lui avint que il cuida prendre une poche aux piez de son lit pour aler au marchié à iij. leues d’illec, et il prist les brayes du prieur, et les troussa à son eisselle. Et quant il fut au marchié et il cuida prendre sa poche, il prist les brayes, dont il fut trop dolent et couroucié. Le prieur, qui estoit cachié en la ruelle du lit, quant il cuida trouver ses brayes, il n’en trouva nulles, fors la poche qui estoit de costé. Et lors il sceut bien que le mary les -128- avoit prinses et emportées. Si fut la femme à grant meschief, et ala à sa commère de rechief et luy compta son fait, et pour Dieu que elle y meist remède. Si lui dist : « Vous prendrés unes brayes et je en prendray unes autres, et je lui diray que nous avons toutes brayes, et ainsi le firent. Et quant le preudomme fut revenu moult dolent et moult courouciez, sy vint la faulse commère le veoir, et lui demanda quelle chière il faisoit : Car, mon compère, dist-elle, je me doubte que vous n’ayez trouvé aucun mauvais encontre ou que vous n’aiez perdu du vostre. — Vrayement, dist le bonhomme, je n’ay riens perdu ; mais je ay bien autre pensée. Et au fort elle fist tant qu’il luy dist comment il avoit trouvé unes brayes, et, quant elle l’ouy, elle commença à rire et à lui dire : Ha, mon chier compère, or voy-je bien que vous estes deceu et en voye d’estre tempté ; car, par ma foy, il n’y a femme plus preude femme en ceste ville que est la vostre, ne qui se garde plus nettement envers vous que elle fait. Vrayment, elle et moy et aultres de ceste ville avons prises brayes pour nous garder de ces faulx ribaulx qui parfoiz prennent ces bonnes dames à cop, et, afin que vous sachiez que c’est vérité, regardez se je les ay. Et lors elle haulsa sa robe et luy monstra comment elle avoit brayes, et il regarda et vit qu’elle avoit brayes et qu’elle disoit voir ; si la crut, et ainsi la faulce commère la sauva par ij. foiz.
Mais au fort il convient que le mal s’espreuve ; car le bonhomme se prist garde qu’elle aloit moult souvent chiez cellui prieur et s’en donna mal courroux ; si luy va deffendre qu’elle ne fust sy hardie sur l’ueil de la teste que plus elle n’y alast. Sy ne -129- s’en peut tenir, comme l’ennemy et la temptacion la poingnoit. Si advint que le bon homme fist semblant d’aler hors ; si se mussa et cacha en un lieu secret, et tantost la fole femme ala chiez le prieur, et son seigneur ala après et la ramena et luy dist que malement avoit tenu son commandement. Sy ala en la ville et fist marchié à un cirurgien de renouer ij. jambes cassées, et quant il eut fait son marchié il revint à son hostel. Si prist un pestail et rompist les deux jambes à sa femme et luy dist : « Au moins tendras-tu une pièce mon commandement, et ne yras plus où il me desplaist oultre ma deffence. » Et quant il eust ce fait, il la prist et la mist en un lit ; sy envoya querre le mire, et fust là une grant pièce. Et au derrenier l’ennemy la moqua ; car il lui fist tant trouver de fole plaisance en son fol pechié qu’elle ne s’en voulst chastier, ains, quant elle fust aussi comme guerie, le prieur vint à elle, et le bon homme s’en doubta et fist semblant de dormir et de ronffler, et toutesfoiz il escouta tant que il ouyt faire à sa femme le villain fait, et il tasta, et trouva que le fait estoit vray. Et lors il fust si forsené que il perdit toute memoire et tira tout bellement un long coustel à pointe et jetta hastivement de la paille ou feu, et, ce fait, quant il le vit, si fiert à coup, et va coudre et percier tous deux ensemble jusques à la couste, et les occist en cellui vil pechié. Et, quant il eust ce fait, il appella ses gens et ses voisins et leur monstra le fait et envoya querre la justice. Sy en fut tenu pour excusé, et se merveillèrent moult les voisins pour ce qu’elle s’estoit tournée à amer cellui prieur, qui estoit gros, gras, noir et lait et mal gracieux, et son -130- mary estoit juenne et bon homme, saige et preudomme et riche ; maiz aucunes femmes ressemblent à la louve, qui eslit son amy le plus failly et le plus lait ; ainsi le fait la folle femme par le pechié et la temptacion de l’ennemy, qui tousjours attire le pecheur et la pecheresse à pechié mortel, et de tant comme le pechié est plus grant, a-il plus grant puissance sur les pecheurs. Et pour ce qu’il estoit homme de religion et la femme mariée, estoit le pechié greigneur ; car pour certain, selon l’escripture et selon ce que l’en en puet veoir partout visiblement, se une femme le fait à son parent ou à son compère, de tant comme le parent lui sera plus près de chair et de sanc, de tant sera-elle plus fort temptée et en sera plus ardante, et aussy à gens d’esglise que à gens laiz et à gens mariez plus que à autres qui ne le sont mie. Et ainsi, de tant comme le pechié est plus villain et plus horrible, de tant est la temptacion plus ardente, et y a plus de fole et de mauvaise plaisance, pource que l’ennemy y a plus de povoir en un grant pechié mortel que ou petit. Et pource est bien dit que tant va la cruche à l’eaue que le cul y demeure. Car celle fole femme avoit son seigneur qui estoit x. fois plus bel et plus gracieux que le moyne, et si estoit eschappée de telz perilx, comme la fausse femme sa commère et sa houlière l’avoit ij. foiz sauvée et garentie, et depuis y estoit alée sur la deffense de son seigneur, et de rechief depuis la grant douleur qu’elle avoit soufferte, comme des ij. jambes avoir rompues, et encore ne s’en vouloit chastier. Et dont est-ce une chose vraie et esprouvée que ce n’est que temptacion de l’ennemi qui ainsi -131- tient les ceurs enflamblez de ceulx qu’il puet tempter et faire cheoir en ces laz et en celluy vil pechié de luxure et aux autres pechiez mortels, comme il fist à celle fole pecheresse et à cellui fol prieur, lesquelz il fist mourir ordement et villement. Or vous ay monstré par pluseurs exemples de la Bible et de gestes des Roys et d’autres escriptures comment le pechié de luxure put à Dieu et les desguiseures des foles femmes, et comment le déluge en vint, et en fut tout le monde pery fors que viij. personnes, et comment Gomorre et Sodome et cinq autres cités en furent arses de feu de souffre jusques en abisme, et comment tant de maulx et de guerres, d’occisions et de tribulacions en sont venues moult souvent par le monde, et comment la pueur en put aux angels et à Dieu, et comment les saintes vierges qui sont en la grant joye au ciel se laissièrent de leur pure voulenté martirer avant que eulx y consentir ne faire pour dons ne pour promesse, si comme il est contenu en leur legendes, comme de sainte Katherine, de sainte Marguerite, de sainte Cristine, de sainte Luce, et des unze milles vierges et de tant d’autres saintes vierges dont ce seroit grand chose à raconter la xe partie de leur bonté et fermeté de cuer et de courage, qui vainquirent toutes les temptacions de la char et de l’ennemi, dont elles conquistrent le royaume de gloire où elles sont en la grant joye pardurable. Or vous dy, mes belles filles, qu’il n’y a que faire qui se vieult garder nettement, c’est amer Dieu et craindre de bon cuer et penser quel mal, quelle honte, quelle doleur et aviltance en vient à Dieu et au monde, et comment on y pert l’amour de -132- Dieu, et l’ame, et l’amour de ses parens et l’amour du monde. Sy vous pry moult doulcement comme mes très chières filles que vous y pensez jour et nuit quant mauvaises temptacions vous assauldront, et que soiés vaillans et seures et resistez fort encontre, et regardez du lieu dont vous estes e quel mal et deshonneur vous en pourroit venir.
Chappitre LXIIIe.
Or vueil touchier sur le fait d’aucunes femmes qui se orguillirent des honneurs et des biens que Dieu leur avoit donné et ne povoient souffrir à aise, si comme il est contenu en la Bible. Il racompte de Apamena, fille d’un chevalier simple qui avoit nom Béjart. Celle Apemena fust belle et juenne, et tant que le Roy de Surye, qui estoit moult puissant roy, la prist en amour, tellement que par sa sotize il la prinst à femme, et fust royne, et quant elle se vit en sy grant puissance et sy honnourée elle ne prisa riens ses parens, et avoit honte et desdaing de les veoir ne encontrer, et devint fole et orgueilleuse sur toute riens, mesmement ne daingnoit-elle porter au Roy si grant honneur comme elle devoit, pour ce qu’elle le veoit simple homme et debonnaire, et ne daignoit honnourer les parens du roy, tant fust orguilleuse et fière. Et tant fist que toutes manières de gens la prindrent -133- en hayne et tant qu’elle fust courroucée vers le roy, fust à tort ou à droit, par telle manière qu’elle fust chassée et envoyée par l’endictement des parens du roy. Et ainsy par son desespoir et par son orgueil elle perdit le grant honneur où elle estoit ; car maintes gens et maintes femmes ne pevent souffrir honnour ne aise ensemble, et ne finent d’acquerre buchetes et langaiges d’orgueil et d’envie, et tant qu’elles se mettent du hault en bas comme fist ceste fole reyne, qui estoit venue de petit lieu à grant honneur, et ne le povoit souffrir ; car toute femme qui voit son seigneur doulz et simple, sans grant malice, de tant lui doit-elle porter plustost honneur ; car elle s’en honneure luy mesmes et en a plus de louenge et de honneur de ceulx qui la voient, et se doit plus tenir close et plus simplement, et soy efforcier de garder et de tenir s’amour et sa paix, car les cuers ne sont pas tousjours en un estat ; pierre vire et cheval chiet. L’on cuide par foiz que tel soit bien simple et sot, qui a malicieux cuer et dangereux, et pour ce ne puet femme trop honnorer ne obéir à son seigneur quel qu’il soit, puis que Dieu le lui a donné. Je vous vueil dire l’exemple de la femme du roy Herodes le grant. Il avoit une femme que il amoit moult merveilleusement. Sy ala à Rome, et advint que les gens de son ostel luy firent nuysance par devers son seigneur ; car ilz ne l’amoient point, pource que elle estoit trop fière, et luy rapportèrent qu’elle avoit un privé amy. Sy la deshonnourèrent, dont Herodes fut moult courroucié et le luy reprocha, et elle luy respondit trop fièrement et orgueilleusement, et ne prist pas son seigneur -134- par bel ne par courtoisie ne si humblement comme elle devoit. Et son seigneur fust fol et despiteux de la ouïr parler ainsi orguilleusement ; sy prist un coustel et la feryt. Sy en morut, dont il fust depuis moult courroucié, car il ne trouva pas la chose vraye ; et ainsi par son haultain langaige se fist occire. Et pour ce est bon exemple à toute bonne femme de estre humble et courtoyse et de respondre humblement et doulcement encontre l’ire et corroux de son seigneur. Et pour ce le saige Salemon dit que par courtoisie et doulces paroles doivent les bonnes femmes abatre l’ire et corroz de leurs seigneurs. Car le seigneur de son droit doit avoir sur sa femme le hault parler, soit tort ou droit, et especialment en son yre devant les gens, et, son yre passée, elle luy puet bien monstrer qu’il avoit tort, et ainsi tendra la paix et l’amour de son seigneur et de son hostel, ne ne se fera pas blasmer, ne bastre, ne occire, comme fist la première femme au roy Herodes.
Chappitre LXIIIIe.
Je vous diray un autre exemple de la royne Vastis, qui fust femme au roy Assuère. Il advint que le roy tint une feste avecques ses barons, et là furent touz les grans barons de sa terre. Sy mengièrent en une sale et la royne -135- en une aultre, et, quant vint après disner, les barons distrent au roy qu’il lui pleust qu’ilz veyssent la royne, qui merveilleusement estoit belle ; le roy la manda une foiz, ij. foiz, iij. foiz, et oncques n’y daigna venir. Sy eust le roy moult grant honte, et demanda conseil à ses barons que il feroit, et le conseil fust que il la chaçast vij. ans hors de avecques luy, pour donner ès autres exemple de mieulx obeir à leurs seigneurs. Et ainsi le fist le roy, et en fit une loy que dès là en avant toute femme qui escondiroit son seigneur de riens qu’il lui conmandast et que ce feust chose raysonnable, qu’elle seroit vij. ans en mue à petit de viande pour lui monstrer sa deffaulte, et encore tiennent-ilz celle coustume en celluy royaulme. Sy eust honte la royne qui se vit bouter en mue, et ploura et se doulousa ; mais il n’estoit pas temps ; car par son orgueil elle fust mise en mue vij. ans. Sy devez ycy prendre bon exemple ; car, par especial devant les gens, vous devez faire le conmandement de vostre seigneur et luy obeir et porter honnour et luy monstrer semblant d’onneur, se vous voulez avoir l’amour du monde. Mais je ne dy mie que, quant vous serez priveement seul à seul, vous vous povez bien eslargir de dire ou faire plus vostre volenté, selon ce que vous saurez sa manière. Je vous diray l’exemple du lyon et de sa propriété ; quant la lyonnesce lui a aucun despit fait, il ne retournera plus à elle de tout le jour ne la nuit, pour chose qu’il aviengne. Sy lui monstre ainsi sa seignourie, et est bon exemple à toute bonne femme, quant une beste sauvaige, qui nulle rayson ne scet fors que nature qui lui esmeut, -136- se fait craindre et doubter à sa compaingne. Or regardez dont comment la bonne femme ne doyt desplaire ne desobeir à son seigneur que Dieux li a donné par son saint sacrement.
Chappitre LXVe.
Et encores vous diray un autre exemple sur ceste matière. Ce fust de la femme à Aman, qui fust femme du seneschal du roy, et vint de néant et de petites gens ; sy devint riche par son service et acquist terres et possessions, et gouverna aussy comme le plus du royaume. Et quant il devint sy riche et que il eust tant de bien, si s’en orguillist et fust fier et presumpcieux, et vouloit que l’en se agenoillast devant lui et que chascun luy feist une grant reverence. Sy advint que Mardocius, qui estoit noubles homs et avoit nourry la royne Ester, qui fut bonne dame et juste, et à cellui Mardocius desplaisoit sur tous l’orgueil et la presumpcion d’icellui homme, qui estoit venu de néant. Si ne lui daignoit faire honneur ne soy lever contre lui ne lui faire nulle reverence, dont cellui Aaman en fust bien fel et s’en plaigny à sa femme. Et sa femme, qui fut d’aussy grant couraige et orgueilleuse comme lui, ly conseilla que il feist lever un gibet devant son hostel et que il le feist pendre illecques, et lui meist aucun cas à sus. Et le fol creust sa femme à son -137- grant meschief, et quant il fust pris et le gibet fut levé les amis de luy alèrent à la royne courant et lui comptèrent comment Aaman vouloit faire à cellui qui l’avoit nourye. Et la royne y envoya tantost pour celluy fait et envoya querre cellui Aaman ; si vint devant le roy, et fust la chose bien enquise et diligemment, tant qu’il fut trouvé que Mardocius n’avoit coulpe, et que l’autre le faisoit par envie. Adonc la royne Ester se agenouilla devant le roy son seigneur, et requist que l’en feist autelle justice de Aaman le seneschal, et qu’il feust pendu devant sa porte et ses vij. enffans, pour monstrer exemple que faulsement et par envie l’avoit jugié. Et ainsi comme la bonne royne le requist il fust fait, et lui avec ses vij. enffans fut pendu devant sa porte, par son orgueil et par son oultrecuidance et par le fol conseil de sa femme. Dont c’est grant folie à un homme qui est venu de petit lieu et de néant de soy orgueillir ne se oultrecuidier pour nul bien terrien qu’il ait amassé, ne mesprisier autrui ; ainçois, se il est sage, il se doit à tous humilier, affin de cheoir en la grace de tous et affin que l’en ne ait envie sur lui. Car l’en a plus souvent envie et despit sur gens qui viennent de petit lieu que sur ceulx qui sont de bon lieu et d’ancesserie. Et aussy la femme ne fut pas saige, quant elle vit l’ire et le courroux de son seigneur, de le soustenir en sa folie. Car toute saige femme doit bel et courtoisement oster l’ire de son seigneur par doulces paroles, et espéciaulment quant elle le voit esmeu de faire aucun mal ou aucun villain fait dont deshonneur ne blasme leur en peust venir, si comme fist la femme à Aaman, qui ne reprist -138- pas son seigneur de sa folie, ainçois l’atisa et li donna fol conseil, pourquoy il mourut vilement et ordement. Sy a cy bon exemple comment l’en ne doit point soustenir son seigneur en son yre ne en sa male colle, ainçois le doit l’en courtoisement reprendre et monstrer les raysons petit à petit, et comment il en pourroit avenir mal ou dommaige à l’ame ou au corps. Et ainsi le doit faire toute saige femme vers son seigneur. Pourquoy, belles filles, prenez y exemple et regardez quel mal en avint à Aaman par la sotize de sa femme.
Chappitre LXVIe.
Après vous compteray l’exemple d’une male royne diverse et trop cruelle, et comment il lui prist. Ce fut la royne Gezabel, qui avoit moult de males taches. Premierement elle haioit les povres et tout homme qui se peust chevir, dont elle ne peut amander ; elle haioit les hermites et les gens d’esglise et tous ceulx qui enseignoient la foy, et les faisoit rober et batre, sy que il les enconvenoit fouir du royaulme. Elle n’avoit merci de nul, et pour ce estoit maudite et haye de Dieu et du pueple. Ung bon homme estoit qui avoit nom Naboth, qui avoit une pièce de vingne moult bonne, et le roy la vouloit moult bien avoir par achat ou autrement. Mais le bon homme ne s’i -139- vouloit consentir de bon cuer. Si dist le roy Acas à celle dame sa femme que il estoit bien marry et que il ne povoit avoir celle vingne, et celle lui dit qu’elle la lui feroit bien avoir, et si fist-elle, car par trayson elle fist murdrir le bon homme, et fist venir faulx temoings qui recordèrent que le bon homme lui avoit la vingne donnée, dont il en despleut à Dieu, et envoia le roy Jozu pour le guerroyer, tant que cellui roy prist le roy Acas et bien lx. enffans, que grans que petiz, que il avoit à nourir chiez ses hommes, et leur fist à tous les testes coupper. Ce fust la punicion et la vengence de Dieu. Et quant est de la male royne Gezabel, elle se mist en un portail par où le roy Jozu passoit, et se cointit de draps d’or et de hermines à grans pierres precieuses, toute desguisée en autre manière que les autres femmes n’estoient, tant estoit desesperée et orgueilleuse, et, dès qu’elle vit le roy, elle le commença à maudire et à li dire toutes les villenies qu’elle povoit, et le roy la commença à regarder, et la cointise et la desguiseure de sa robe, et escouter la malice et l’orgueil de sa langue ; lors il commanda à ses gens que ilz y alassent et qu’ils la feissent cheoir la teste toute première devant tout le peuple, et ainsi comme il le commanda il fut fait, car ilz la prindrent et firent cheoir la teste première, tellement qu’elle fut morte laidement. Sy commanda le roy que par sa cruaulté et les grans maulx qu’elle avoit fais faire qu’elle n’eust point de sepulcre, et non eust-elle, ne de sepulture, ains fust mengée des chiens et devourée. Et ainsi cheist son grant orgueil et sa fierté, et par telle voye se venge Dieux maintes foiz de ceulx qui n’ont pitié des povres -140- et du povre peuple et des serviteurs de sainte eglise, et qui par cruaulté et par convoitise font faire murtres et faulx tesmoingnages, comme fist celle faulce royne, qui ainsi le fist et qui soustint son seigneur en folie, dont mal lui prist. Sy est cy bon exemple comment l’en doit estre piteuse des povres et des serviteurs, et non entiser ne donner mal conseil à son seigneur, et aussi non de soy desguiser, mais tenir l’estat des bonnes dames de son pays, et aussi non tencer ne dire grosses paroles à plus grans et à plus fors de soy.
Chappitre LXVIIe.
De Atalia vous vueil dire un autre exemple, laquelle fust royne de Jhérusalem, et fust male et diverse et sans pitié ; car, quant Ozias son filz fut mort, ce fust celle qui en traison fist occire tous les enfans de son filz et tous les hoirs, fors seulement ung que uns preudoms qui avoit nom Joadis fist nourrir secretement. Celle royne se mist en saisine du royaume et de touz les biens, et fist moult de diversitez au pueple, de tailles et de subsides, si comme celle qui estoit sanz rayson et sans pitié, et quant elle eust assez fait de mal et de cruaulté au royaulme, l’enffant qui norry estoit celeement et cellui Joadis qui nourry l’avoit la prindrent et la firent mourir de malle mort et honteuse. Et ainsi eust guerredon de sa merite en la -141- parfin ; car Dieu rent tousjours sa deserte à homme et à femme, ou à vie ou à mort. Car il n’est mal que une foyz ne soit pugni, ou au loing ou au près. Je vouldroye que vous sceussiez l’exemple et le compte d’une royne de France qui avoit nom Breneheust. Ce fust la femme dont Sebille parla en prophetisant et dist : « Brune vendra de vers Espaigne ou royaume de Gaule, c’est France, qui fera merveilles de cruaultez et puis sera detraicte. » Et ainsi en advint ; car elle fist occire de ses enffans et des enffans de ses enffans très grant nombre, ne ne vous en pourroit-on racompter la moitié de la cruaulté d’elle ne des meurtres ne traisons et occisions qu’elle fist, et au fort elle fust payée si comme il pleust à Dieu, car un enffant qui eschappa, qui fust filz de son filz, qui sceust les grans maulx et cruaultez qu’elle avoit faiz, lors mist le fait en jugement devant ses barons, et fust jugée à destraire à queuez de chevaulx. Et ainsi fust fait, et mourut mauvaisement tout aussi comme mauvaisement avoit fait murtrir le sang royal innocent. Et pour ce dit le saige que dès vij. ans vient eaue à fin, c’est-à-dire que tant va le pot à l’eaue que le cul en demeure.
-142-
Chappitre LXVIIIe.
Je vous diray un exemple sur le fait d’envie de Marie, la suer de Moyses, qui dist par envie qu’elle estoit aussi bien de Dieu comme Moyses son frère, et que Dieu ouoit aussi bien ses resquestes comme celles de Moyses, et ce dit-elle pour soy moquer et par envie, dont Dieu s’en corrouça et la fist devenir meselle, tant qu’elle fust ostée et séparée d’entre les autres gens, et toutes voyes Moyses et Aaron en eurent grant pitié et firent requeste à Dieu qu’il luy pleust la guerir ; et à leur requeste Dieu la gueryt. Si prenez exemple comment il fait mal avoir envie sur autruy, et comment Dieu punist ceste-cy, qui estoit une des nobles damoyselles qui fust en celui temps, tant qu’il la sépara d’entre les autres gens par celle mesellerie. Car maintes foiz Dieu punist ainsi les envieux et les mesdisans. Et pour ce, belles filles, prenez y bon exemple, car trop est villain vice de soy louer pour aultruy abaissier.
-143-
Chappitre LXIXe.
Dont je vouldroye que vous sceussiez un autre exemple sur ceste matière de une des femmes à ung grant seigneur qui avoit nom Archaria. Sy avoit ij. femmes selon la loy, dont l’une avoit nom Phenomia et l’autre avoit nom Anna, qui moult estoit preude femme et bonne dame, mais nulz enffans ne povoit avoir. Sy estoient alors plus prisées et honnourées celles qui enffans portoient que celles qui n’en portoient nulz, dont l’autre femme en estoit moult de grant orgueil, pour ce que elle en avoit moult de beaulx enffans, et pour ce avoit l’autre femme en despit et avoit envie et desdaing sur elle, et se mocquoit d’elle en disant villenies, et qu’elle estoit brehaingne et terre morte, dont l’autre avoit grant honte et ploroit menu et souvent, et se complaignoit à Dieu, et Dieux qui l’umilité et la pacience de l’une vit, et l’envie, le dengier et le despit de l’autre, et si regarda selon sa misericorde, car il fist mourir touz les autres enffans de l’autre femme, et à celle qui nulz n’en avoit il en donna plantivement, dont son seigneur la prinst en grant amour, et l’avoit plus chière que l’autre à qui ses enffans estoient mors. Et pour ce sont les jugemens de Dieu moult merveilleux ; car il het toute manière d’envie, et les chastie quant il lui plest, et -144- essauce l’umble qui mercy requiert, et pour ce est bon exemple que nulle femme ne se doit orgueillir des biens et des graces que Dieux lui donne, ne avoir despit ne envie sur autres, si comme eust Phenomia, qui avoit enffans et avoit envie et despit sur Anna qui n’en avoit nulz, et pour ce Dieu la punist sur ses enffans, qui tous moururent, et en donna à l’autre qui tous vescurent. Sy sont ainsi les jugemens de Dieu. Et pour ce y doit l’en prendre bon exemple et se humilier envers luy et n’avoir envie ne despit sur nulluy. Sy vous laisseray ceste matière et vous parleray d’une autre sur le fait de convoitise.
Chappitre LXXe.
Je vous diray un autre exemple sus le fait d’une faulce femme qui eust nom Dalida, qui fut femme Samson fortin, lequel l’amoit à merveilles, et tant qu’il ne feist pas aucune chose que elle ne sceust. Et pour le grant amour que il avoit en elle, il fust sy fol que il li descouvrit que toute sa force estoit en ses cheveulx. Et quant la faulce femme le sceust elle fist dire aux paiens, qui estoient ennemis de son seigneur, que, se ilz luy vouloient donner bon loyer, elle le leur feroit prendre. Et les paiens luy promistrent que, se elle le povoit faire, ilz luy donroient certaine somme d’or et de robes. Et celle, qui fust deceue par convoitise, -145- fist endormir son seigneur en son giron et puis lui tondit ses cheveulx, et envoya querre les paiens qui estoient embuschez et le fist prendre, et, quant il fu esveillié, il trouva sa force perdue, qui se combatoit bien à iij. mille personnes, et, quant ils le tindrent, ilz le lièrent et puis lui crevèrent les yeulx, et le faisoient tourner à un moulin comme à ung cheval aveugle. Or regardés comment convoitise deceust celle folle femme, qui, pour un pou d’or, traïst son seigneur, qui estoit le plus fort et le plus doubté homme qui oncques feust ne jamais sera. Et pour certain cuer convoiteux oze bien faire et entreprendre tout mal : car il fait les nobles rapineux et tirans sur leurs gens, et les clers et les religieux symoniaulx en tirant l’autry par faulces semonces, et fait les bourgeois et autres usuriers, les povres larrons et murtriers, les pucelles et les mariées putains, les enffans desirans la mort de leur père et de leur mère pour avoir le leur seulement. Judas, par convoitise d’argent, trahy nostre Seigneur, et aussi par convoitise le font aujourd’uy les advocads et plaideurs, qui vendent et bestournent verité, car ilz alongent le bon droit du bon homme pour tirer à avoir plus de l’argent, et y a plusieurs qui prennent de ij. costés, et aussy vendent par convoitise leur parole que Dieu leur a donné pour prouffiter au bien commun. Et pour ce est convoitise moult decevable, qui fist foloier et perir la femme Samson, qui tant estoit bel et fort et puissant. Et pour ce a cy bon exemple pour soy garder de cest vice. Et depuis Dieu rendit à celle femme son guerredon : car elle espousa un des payens, et firent une nopce. Si le sceut Samson, -146- à qui ses cheveux estoient revenus et sa force revenue. Si se fist mener en la maison où ilz estoient au disner, près du maistre pillier de la sale, et, quant il fut au pillier, il le prist à ses ij. mains et le escoust si très fort que il abatit la maison sur eux, et là fut mort le mary et la mariée et le plus de gens qui estoient aux nopces. Et ainsi se venga de sa faulce femme, laquelle morut mauvaisement, car Dieu voulst qu’elle fust pugnie de sa mauvaistié, et c’estoit bien raison que de mal faire ly vensist mal.
Chappitre LXXIe.
Je vous vueil dire comment par un petit de courroux il advint grans maulx. Un preudomme estoit qui moult estoit noble homme et qui estoit de mont d’Effraim, et se maria à une damoiselle de Bethleem. Sy advint que pour pou de chose elle se courrouça et s’en vint chiez son père. Le preudomme en fust moult dolent et la vint querre, et son père la blasma et la rebailla à son seigneur, qui l’emmena et se anuita en la ville de Gabal, où avoit foles juennes gens et espris de luxure. Sy vindrent à l’hostel où estoit celle femme et son seigneur, et rompirent les huis ; si prindrent à force la femme du preudomme et l’enforcièrent moult villainement et horriblement, ne oncques ne la lessièrent pour l’oste, qui moult en -147- fust dolent, comme celui qui vouloit baillier une de ses filles pour la garantir. Mès oncques n’en vouldrent riens faire, et, quant se vint au matin, celle qui se vit ainsi honnye et deshonnorée eust telle honte et tel dueil qu’elle mourut ès piés de son seigneur, dont le preudomme en deust mourir de dueil et de honte, et l’emporta toute morte à son hostel ; et se pensa, puis que morte estoit, que il la mettroit en xii. pièces avec certaines lettres et l’envoieroit à ses prouchains amis, affin qu’ilz en eussent vergoingne et que ilz en voulsissent prendre vengeance. Dont il avint que ses amis et les amis d’elle en eurent tel dueil et tel yre que ils se assemblèrent ensemble et vindrent à Gabal et occirent bien xxxiij mille personnes, que hommes que femmes. Sy fut prins pour ung tel fait telle vengence, et tel le compara qui n’en avoit que faire. Si a cy bon exemple comment femme ne doit point laissier ne guerpir son seigneur, pour yre ne pour courroux qu’ilz ayent ensemble, et comment saige femme doit entendre et souffrir bel et courtoisement le courroux de son seigneur et le laissier rappaisier, et le prendre par bel, non pas le laissier comme fist ceste damoiselle, qui laissa son seigneur, et convint qu’il la vensist querre chiez son père, par laquelle alée elle morut piteusement et en vint tant de maulx et de douleur, comme tant de pueple en estre mort. Car, se elle ne se fust bougée d’avecques son seigneur, jà celluy mal ne fust advenu, et pour ce est-il bon de adoulcir son cuer, et c’est le droit de saige femme qui vieult vivre paisiblement et amoureusement en la paix de son seigneur.
-148-
Chappitre LXXIIe.
Je vouldroie que vous sceussiez le compte et l’exemple de la dame qui ne daignoit venir mengier, pour mandement que son seigneur li feist, tant estoit fole et depiteuse, et pour pou de chose. Et quant son seigneur vit que pour mandement qu’il lui feist elle ne vouloit venir mengier, il envoya querre son porchier, qui estoit vils et let, et fit apporter la touaille de la cuisine, et fit dresser une table devant elle et mettre celle orde touaille, et fit asseoir le porchier, et puis lui dist : « Dame, puis que vous ne voulez venir à mon mandement ne mangier en ma compagnie, je vous baille cest porchier et ceste touaille. » Et celle fust encore plus courroucée que devant, et au fort elle vit bien que son seigneur se bourdoit d’elle ; si se reffrena et congnust sa folie, et pour ce nulle femme ne doit escondire ne reffuser le mandement de son seigneur se elle vieult s’amour et sa paix garder. Car, par bonne raison, humblesce doit premierement venir de devers elle.
-149-
Chappitre LXXIIIe.
Je vous diray sur l’exemple de grerie. Une grant dame avoit un filz qui avoit nom Cissana, qui estoit moult grant seigneur, et estoit alé en une bataille où il morut. Sy estoit sa mère à grant esmay et douleur de sçavoir de ses nouvelles. Sy avoit un flateur en sa compaignie qui ly disoit : « Ma dame, ne vous esmayez, car monseigneur vostre filz a eu victoire et a pris moult de prisonniers. Si lui convient demourer une pièce pour ordonner de son fait. » Et ainsy de telles flateries paissoit sa dame et lui disoit joye de neant. Car cellui greeur ne deist jamais à sa dame chose qu’il sceust qu’il lui deust desplaire, aussi comme sont flatteurs et flatteresses, qui jà ne diront à leur seigneur ne à leur dame chose qui leur desplaise, et taysent la verité, et leur disent tout leur bon, et leur font joie de neant, si comme fist le faulx flatteur qui à Jouel, la bonne dame, faisoit accroire que son filz avoit eu victoire et en amenoit ses prisonniers ; et c’estoit bien le contraire, car il estoit mort, dont depuis, quant la bonne damme le sceut, elle en deust mourir de dueil. Sy est mauvaise chose d’avoir flateurs entour luy ; car ilz n’osent dire la verité ne donner loyal conseil, ainsi font souvent forvoier leur seigneur et leur dame de droit chemin. -150- Il semble les enchanteurs, qui font semblant d’un charbon que ce soit une belle chose ; car ilz loent la chose par devant et plus la blasment par derrière. Sy ne doit l’en point croire en leurs los ; car ilz ne vous font que decepvoir pour vous plaire et pour avoir du vostre ; car vous les devez mieulz cognoistre que ils ne vous congnoissent, si vous estes saiges. Mais vous devez amer ceulx qui vous diront vostre bien et ne vous celeront point verité pour nulle doubte ; et ceulx seront voz amis. Car les greeurs semblent le faulx mire, qui prent l’argent sans veoir le mal ; tieulx flateurs deçoivent les riches, si comme fist un flateur à une venderesse de fromaiges, qui à merveilles estoit laide, et il luy faisoit acroire que elle estoit belle et doulce. Et la femme estoit si fole que elle cuidoit qu’il deist voir, et à chacune foiz lui donnoit un fromaige, et puis, quant il l’avoit eu, il se moquoit d’elle par derrière.
Je vouldroie que vous sceussiez un exemple que je vy en Angoulesme quant le duc de Normandie vint devant Aguillon. Sy avoit chevaliers qui trayoient par esbat encontre leurs chapperons. Si comme le duc vint en cellui parc, par esbat si demanda à un des chevaliers un arc pour traire, et quant il ot trait, il y en eut ij. ou iij. qui distrent : « Monseigneur a bien trait. — Sainte-Marie, fist un, comme il a trait royde. — Ha, fist l’autre, je ne voulsisse pas estre armé et il m’eust feru. » Sy conmencièrent à le moult louer de son trait, mais, à dire vérité, ce n’estoit que flatterie, car il tray le pire de touz, et pour ce est grant merveille comment chascun flate et grée aux seigneurs et aux dames du -151- jour d’hui, et leur font acroire que ilz sont plus grans et plus saiges que ils ne sont, et par leurs flateries les font oultrecuidier.
Chappitre LXXIIIIe.
Je vueil que vous oyez l’exemple de la femme Samson fortin, qui descouvry son seigneur. Il advint que Samson fortin avoit fait une fermaille à xxx. robes de saye avecques certains gens qu’ilz ne pourroient pas deviner certaine devinaille. Sy advint que sa femme ne li fina tant de parler qu’elle sceut que c’estoit et tant qu’il lui descouvry le fait de la devinaille, et, quant elle le sceut, elle en descouvrit son seigneur, et lui fist perdre la fermaille de xxx. robes de saye ; et quant son seigneur sceust qu’elle l’eust decouvert, sy la commença à haïr et la mist hors de avecques lui, et ala aux payens qui avoient gaingnée la fermaille, sy en prist xxx, lesquelz il despouilla pour despit de sa femme. Et pour ce a cy bonne exemple comment femme ne doit descouvrir pour nulle chose le secret ne le conseil de son seigneur, affin qu’elle ne chiée en l’ire et en corroux de luy ne en sa hayne, comme fist la femme Samson fortin, qui en perdy l’amour de son seigneur. Car c’est trayson quant l’en se fie en sa femme et elle descueuvre ce qu’elle doit celer.
Je vouldroie que vous sceussiez le compte de -152- l’escuier qui essaya sa femme, que il vit juenne. Sy ly va dire : « M’amie, je vous diray un grant conseil, mais que vous ne m’en descouvriés pas pour riens. Je vous dy que j’ay pont ij. oeufz, mais pour Dieu ne le dictes mie. » Et elle respondit que par sa foy non feroit-elle. Sy li fust bien tart que le jour ne venoit pour l’aler dire à sa commère, et, quant vint qu’elle peut trouver sa voisine, elle lui dist : « Ha, ma très doulce amie, je vous deisse un grant conseil, mais que vous ne le deistes pas », et elle lui promist que non feroit-elle. « Se Dieu m’aist, il est advenu une grant merveille à mon seigneur, car pour certain, ma doulce amie, il a pont iij. oeufz. — Saincte Marie, fist l’autre, comment puet ce estre ? c’est grant chose. » Si s’en party celle à qui le conseil avoit esté dit, et ne se peut tenir de l’aler dire à une autre, et lui dist que tel escuier si avoit pont iiij. eufz. Et puis celle le dit à un autre, qui dit que il en avoit pont v, et ainsi creust la chose d’une en autre, que les ij. eufz vindrent à cent, et tant que tout le pays en fust plain de renomée, et que l’escuier le sceust par plusieurs gens. Et lors il appella sa femme et plusieurs de ses parens, et lui dist : « Dame, vous m’avez moult bien creu la chose que je vous avoie dit en conseil, car je vous avoye dit que je avoye pont ij. eufz ; mais, Dieu mercy, le conte est creu, car l’en dit que il y en a cent. Sy avez descouvert mon conseil. » Et ainsi celle se tint pour honteuse et pour nice, et ne sceust que respondre. Et par ceste exemple se doit garder toute bonne femme de descouvrir le secret de son seigneur.
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Chappitre LXXVe.
Belles filles, je vueil que vous oyez l’exemple de Michol, la femme David, qui fut fille au roy Saül. Le roy David, qui saint homme estoit, aimoit Dieu et l’esglise sur toute rien. Sy avint que, à une grant feste qu’ilz faisoient devant l’arche, où estoit le saint pain de la manne qui vint du ciel, dont les pères furent rassasiez, et les tables de la loy, et la verge dont Moyse avoit fait partir la mer, et, pour honnourer Dieu, le roy s’estoit mis en la compaignie pour chanter et pour harper avecques les prestres, et se desmenoit et faisoit la plus grant joye qu’il povoit à Dieu et à l’eglise. Sa femme le regarda, si en eust desdaing et despit, et s’en bourda et lui dist que il sembloit un menestrel et un jongleur, en se mocquant de luy. Et le bon roy respondit que l’on ne se puet trop humilier envers Dieu, ne le trop servir, ne honnourer son esglise ; car de Dieu vient tout le bien et honnour que homme et femme pevent avoir. Sy en despleust à Dieu dont elle en avoit parlé ; sy fust de lors brehaingne et malade, et aussy comme toute separée de lui, parce que Dieu luy voulst monstrer sa folie ; car toute bonne femme doit esmouvoir son seigneur à servir et honnorer Dieu et l’esglise, ne ne doit point son seigneur mespriser de ce que il cuide bien -154- faire, ne bourder, ne avoir despit sur luy, ne especialment le reprendre devant les gens pour riens qui lui aviengne, soit tort, soit droit, fors qu’en son privé, quant il n’y a que eulx deux. Car, selon ce que dit le saige en la sapience, quant homme se voit lesdangier ne reprendre, devant les gens, de sa femme ne de sa mesgnie, aucunefoiz le cuer luy enfle, ou en fait pis, ou en respont oultragieusement en fait ou en dit, et pour ce est bonne chose de reprendre doulcement et priveement son seigneur.
Chappitre LXXVIe.
Un autre exemple vous diray de Bersabée, la femme Uries, qui demouroit devant le palais du roy David. Si se lavoit et pingnoit à une fenestre dont le roy la povoit bien veoir ; sy avoit moult beau chief et blont. Et par cela le roy en fut tempté et la manda, et fist tant que il pecha avecques elle, et, par le faulx delit, il commanda à Jacob, qui etoit chevetoine de son ost, que il meist Uries en tel lieu de la bataille que il fust occis. Sy porta Uries les lectres de sa mort, car ainsy fust faict. Et ainsi pecha le roy David doublement, en luxure et en homicide, dont Dieu s’en corroça moult à lui, et en vint moult de maulx à luy et à son royaume, dont le compte seroit long à escouter. Et tout ce pechié vint pour soy -155- pingnier et soy orguillir de son beau chief, dont maint mal en vint. Sy se doit toute femme cachier et céleement soy pingner et s’atourner, ne ne se doit pas orguillir, ne monstrer, pour plaire au monde, son bel chef, ne sa gorge, ne sa poitrine, ne riens qui se doit tenir couvert.
Chappitre LXXVIIe.
La mère au roy Salomon requist à son filz que il donnast la mère sa femme, qui moult bonne dame estoit, à Donno, qui estoit païen et ennemy. Sy respondit le roy que jà son annemy n’auroit la femme de son seigneur de père, et si se tint sa mère pour nice et pour honteuse d’avoir esté escondite, et pour ce doit toute femme penser se elle requiert chose raysonnable avant qu’elle requière son seigneur ; car celle requeste estoit bien diverse. Je vouldroye que vous sceussiez la fole requeste que la duchesse d’Athènes fist au duc son seigneur. Elle avoit un frère bastart. Sy requist au duc que il donnast sa propre suer à femme ; et le duc, qui vit sa simplesce, s’en soubrist et lui dissimula le fait, et dist qu’il en parleroit à ses amis. Et l’autre pourchassa touz les jours le fait, et au fort il lui dist qu’il n’en seroit rien jà fait, dont elle s’en corrouça et s’en mist au lit malade de yre et de corroz, et se fist prier de venir -156- au duc et de couchier avec lui, et au fort le duc se corrouça, et s’enfla le duc tellement que par grant yre il jura que jamais elle ne coucheroit en son lit, et l’envoya en un chastel bien loing de lui. Dont ycy a bonne exemple que femme se doit bien garder de requerre à son seigneur de chose qui n’est honneste, et après comment elle ne doit pour nul corroux desobeir à son seigneur, par quoy il se corrouce asprement contre elle, ne tenir son cuer comme fist celle duchesce, que le duc chassa d’avecques luy par sa folie et par son fol couraige.
Chappitre LXXVIIIe.
L’exemple de une faulse femme fut que deux femmes estoient qui estoient logées en un hostel, lesquelles avoient deux enffans males d’un temps. Sy advint à l’une que son enffant estaingnit, et, quant elle le vit mort, si ala, comme faulse femme, embler l’enffant vif qui estoit à sa compaigne et y mist le mort au lieu. Et quant celle à qui estoit le vif vit cellui mort au lieu, sy le regarda et congnust que ce n’estoit pas le sien. Sy en fust bien grans contens, et en vint le cas et le fait devers le roy Salemon. Et quant il eut oz leur debat il dist : « Baillez-moy une espée et en bailleray à chacune la moitié. » Celle à qui l’enffant n’estoit pas respondist qu’elle le vouloit -157- bien ; mais l’autre dist que l’enffant ne fust pas occis, et qu’elle vouloit bien qu’elle l’eust tout quitte. Adonc le roy juga que l’enffant feust baillé à celle qui ne vouloit pas que l’enffant fust occis, et que le cuer et la chair d’elle en avoit pitié, et que l’autre, qui vouloit qu’il fust departy, n’y avoit riens. Et ainsi fust la trayson de la mauvaise femme esprouvée. Et pour ce a grant peril de couchier petit enffant delès soy, car bien souvent ilz estaingnent ; sy y chiet grant peril.
Chappitre LXXIXe.
Un autre exemple feust de la femme au roy Jeroboam. Ilz avoient un enffant malade. Sy envoya le roy la royne à un saint homme prophète lui prier que il empetrast guérison à leur enffant. Si se deguisa la royne et vint au saint homme, qui point ne veoit. Mais, par la grace du Saint-Esprit, le saint prophète lui escria à haulte voix : « Royne, femme Jeroboam, vostre filz mourra anuit de bonne mort, maiz tous voz autres enffans mourront de male mort, sans sépulture, tout par le pechié de leur père, qui est tyrant sur son menu pueple, et de male conscience et luxurieux. » Si s’en retourna la royne et trouva son filz mort. Si dist le fait à son seigneur. Mais pour ce ne s’en voult-il amender, et pour ce perirent tous ses enffans. Et -158- pour ce est bon exemple de mener et user de bonne vie, et de amer son menu peuple et ne leur faire nulz griefz et nul tort ; car le pechié du père et de la mère nuist aux enffans, si comme vous avez ouy que le saint homme le dist à la royne de son seigneur.
Chappitre IIIIXXe.
Je vous diray un autre exemple, comment Anna, la femme Thobie, parla folement à son seigneur, qui estoit preudhomme et saint homme, et ensevelissoit les mors que un roy Sarrazin faisoit occire en despit de Dieu et de sa loy, et avoit nom Sennacherip. Si advint que les arrondelles chièrent sur les yeulx du preudhomme Thobie, et en fut long-temps aveugle, dont sa femme lui dist par grant despit que le Dieu pour qui il ensevelissoit les mors ne lui rendroit mie la veue. Le prudhomme en eut en luy pacience, et lui respondit que tout seroit à son plaisir, dont il advint que elle en fust bien pugnye de maladies, et, quant il pleust à Dieu, il rendit au bon homme sa veue, et veoit tout cler. Et, par cest exemple, toute bonne femme ne doit point laidengier son seigneur, ne mespriser de chose ne de maladie que Dieu luy envoye. Car le baston est aussi bien levé sur le saing comme sur le malade, comme vous avez ouy de Thobie qui fut guéry, et sa femme qui parla mal fut -159- malade. Dont je veul que vous saichez l’exemple de la clavière Sarra, femme au petit Thobie. Ceste Sarra fut moult preude femme et fust fille Raguel ; elle ot vij. seigneurs, que l’ennemy occist tous, pour ce qu’ilz vouloient user d’un trop villain fait, que jà ne fait à nommer. Celle bonne dame reprist une fois sa clavière d’un meffait que elle avoit fait ; mais celle, qui fust fière et orgueilleuse, lui reproucha ses seigneurs, en elle avilant. Mais la bonne dame ne respondist riens, ains ot pacience et ploura à Dieu, en disant qu’elle n’en povoit mais et que Dieux fist du tout à son plaisir. Et, quant Dieux vit son humilité, il luy donna cellui Thobie à seigneur, et eurent de beaux enffans et moult de biens et d’onneur ensemble. Et celle qui tença à elle et lui reproucha ainsi, si fina mauvaisement et eut depuis assez moult de hontes, et la bonne dame beaucoup d’onneur. Et pour ce est bon exemple comment nul ne doit reprouchier le mal ne le meshaing d’autruy. Car nul ne se doit point esmerveillier des vengences ne des jugemens de Dieu ; car tel reprouche le mehaing d’autruy qui l’a après pire et plus honteux, si comme il plaist au createur à faire ses vengences et ses punitions.
Si vous diray encore un autre exemple sur le fait de pacience. Vous avez bien ouy, selon ce que raconte la Bible, comment Dieux voult et souffry que Job, qui fut saint homme, feust tempté et trebuschié de ses grans honneurs en bas, si comme cellui qui estoit saint homme et riche et puissant comme un roy, premièrement quant il perdit ses sept filz et troix filles, et puis toutes ses bestes vivans et toutes ses richesses et tous ses habergemens, qu’il vist tous -160- ardoir, et tant que riens ne lui demoura fors les corps de luy et de sa femme, et fut si pauvre qu’il luy convint gesir en un fumier, où les vers lui avoient tout rungié la teste et estoient par ses cheveulx. Et sa femme lui apportoit du relief et luy soustenoit la vie. Dont il avint que une fois elle se courrouça, si comme elle fust temptée, et lui dist : « Sire, mourrez-vous en ce fumier, puis que autrement ne vous povez avoir. » Et toutefois, combien qu’elle le deist par yre, elle ne le vouloit pas, comme bonne preude femme qu’elle estoit. Mais le preudhomme ne luy respondist riens, fors que tout feust au plaisir de Dieu, et qu’il fust mercié de tout. Ne oncques, pour mal ne douleur qu’il lui avenist, il n’en dist autrement fors que mercier Dieu de tout. Et quand Dieu l’eut bien essayé et bien esprouvé, si le redressa et lui donna autant de bien et d’onneur comme il eut oncques. Et aussi comme ce fait advint au viel testament est-il avenu au nouvel, dont vous en trouverez l’exemple en la legende saint Eustace, qui perdist terres et biens et femme et enffans, bien par l’espace de xiij ans, et puis Dieux le releva et lui rendy sa femme et ses enffans et plus la moitié de terres, richesses et honneurs terriennes que ilz n’avoient oncques maiz euz. Pour ce avons-nous cy bon exemple comment nul ne doit despire le mehaing ne le mal d’autruy, car nul ne scet qui à l’ueil lui pent, ne nul ne se doit esmerveillier ne esmaier des fortunes ne des tribulacions à soy ne à ses voysins, et doit l’en du tout mercier Dieu, comme firent Job et saint Eustace, et avoir bonne esperance en Dieu et soy humilier, et penser que Dieu est aussy puissant de rendre le -161- bien au double comme il le toult, et avoir en soy pacience et humilité, et de tout mercier Dieu, et avoir en luy bonne esperance.
Chappitre IIIIXXIe.
Un autre exemple vous diray des mauvaises femmes. Si fut de Herodias, que Herodes tollist et fortraist à son frère, prophète, qui estoit simples homs, et son frère Herodes estoit divers, malicieux et convoiteux. Ce fut celluy qui fist occire les innocens pour cuider occire le grant roy dont l’estoille faisoit demonstrance. Car Herodes avoit paour que cellui roy lui tollist son royaulme, et pour ce fist-il occire les innocens ; il fut traistre et desloyal à son frère, car il luy fortraist sa femme contre Dieu et contre la loy, dont saint Jehan Baptiste le reprenoit. Et pour ce fust-il en hayne de Herodes, car celle fausse femme Herodias haioit saint Jehan, et par celle hayne empetra-elle sa mort vers Herodes, et fut moult diverse femme et fina mauvaisement, et son seigneur aussi, comme cellui qui fust occis par cirons ; tout aussi comme il avoit fait occire les petis innocens, tout aussi voulst notre seigneur que par les plus petites choses il feust occis en langueur, comme par cirons, qui sont les plus petites choses et bestes qui soyent.
Or vous ay compté des males femmes, comme il -162- est contenu en la Bible, qui firent moult de maulx et de diversitez, pour estre exemplaire aux autres pour soy garder de faire mal. Si vous diray et traitteray des bonnes, que la sainte Escripture loue moult. Et pour ce est bon de ramentevoir leurs bonnes taches, pour y prendre bon exemple et bonnes meurs ; car les biens faiz et les bonnes taches des bonnes qui ont esté sont mirouer et exemple à celles qui sont et qui à venir sont, dont la première exemple est de Sara, que la sainte Escripture loe.
Chapitre IIIIXXIIe.
Sara fut femme Abraham, moult bonne dame et saige, et Dieu la garda de moult de perilz ; car, quant le roy Pharaon la prist, Dieu lui donna moult de maulx, de douleurs et de maladies, et tant qu’il convint qu’il la rendit nectement à son seigneur. Ainsi Dieux la sauva par sa sainteté, si comme il a gardé plusieurs sains et saintes de feu et de eaue et de glaives et de tourmens, si comme il est contenu en la vie et en la legende des sains et saintes. Car ainsi sauve Dieux ses amis et ses amies. Ceste Sara souffrit -163- moult de hontes et de douleurs. Elle fust bien cent ans brehaigne ; mais pour sa sainte foy et pour la ferme loyaulté et amour qu’elle portoit touzjours à son seigneur, et pour son humilité, Dieu lui donna un filz, qui fut saint homme ; ce fut Isaac, dont les xij. lignées yssirent, et Dieu le lui donna pour la grant bonté d’elle.
Chapitre IIIIXXIIIe.
Un autre exemple vous diray de Rebeca, qui à merveilles fust belle et bonne et plaine de bonnes mœurs. Ceste Rebeca est moult louée en la Sainte escripture sur toutes, comme d’estre doulce femme et humble. Elle fust femme Isaac et mère Jacob. L’escripture tesmoingne qu’elle ama et honnoura son seigneur sur toutes, et se tenoit devant luy sy humble et sy doulces responses donnoit, que pour mourir elle ne deist et ne feist chose dont elle le cuidast corrocier, et pour son humilité elle sembloit mieux servante de l’ostel que la dame. Elle fut moult longuement brehaingne ; mais Dieu, qui aime saint et net mariage et humilité, li donna ij. enffans en une ventrée. Ce fut Esaü et Jacob, duquel Jacob yssirent les xij. enffans qui furent princes des xij. lignées dont l’espitre de la Toussains parle, si comme saint Jehan le racompte que il vit quant il fut ravy au ciel. Ceste -164- Rebeca aima le plus Jacob, qui estoit le puisné, et lui fist par son sens avoir la beneyçon de son père, si comme un leçon le racompte. Elle aimoit le plus cellui qui le mieulx se savoit chevir et qui estoit de plus grant pourveance. Elle sembloit à la leonnesse et à la louve, qui ayment plus celui de leurs faons qui le mieulx se scet pourchacier ; car Jacob estoit de grant pourveance et Esaü avoit son cuer en chasses, en boys et en venoysons. Et ainsi ne sont pas les enffans d’un père et d’une mère d’une manière ; car les uns aiment un mestier et une manière de oeuvre et les autres une autre.
Je vous diray l’exemple d’un bon preudomme et d’une preude femme qui furent long-temps ensemble sans avoir enffans, et à leur prière nostre Seigneur leur en donna un bel à merveilles. Or avoient-ilz promis que le premier seroit mis et donné à l’eglise pour à Dieu servir. Après cellui ilz en eurent un autre qui ne fust pas si bel, et lors ilz vont changier leur propos et vont dire que ilz mettroient à l’eglise le plus let et retendroient le plus bel pour estre leur héritier, et Dieu s’en courrouça et les prinst tous deux, et ne leur fist nul tort, car l’un après l’autre si furent donnés, ne onques puis n’eurent lingnée, dont ilz furent à grant douleur. Mais Dieu leur fist assavoir par le prophète la cause et l’achoison. Et pour ce a cy bonne exemple que nul ne doit promettre à Dieu chose qu’il ne vueille tenir, car nul ne peut moquer Dieu, comme ceulx cy qui le cuidoient moquer à bailler le plus let, et le plus bel retenir. Sy n’en verrés jà nul bien venir à ceulx qui ainsi le font, ne qui ostent leurs filz ne leurs filles de religion, -165- comme moygnes ou nonnains, puis que une fois ont esté baillez et donnez. Dont j’ay veu maint exemple de mes yeulx, comme plusieurs qui ont esté traiz des abbaies pour les terres qui leur escheoient, comme de leurs frères ou seurs qui se moururent, dont la terre leur avenoit, et puis par convoitise l’en les ostoit. Mais, pour certain, de x. je n’en vi onques un devenir à bien, fors à meschiez ou honte, comme des hommes vivre et finer mal, et des nonnains que l’on ostoit tout aussi, car au derrenier elles tournoyent à mal et estoient blasmées, ou mouroient d’enffant ou finoient mallement. Et pour ce ne doit l’en oster à Dieu ce que promis et donné luy est une foiz.
Chapitre IIIIXXIIIIe.
Je vous diray un autre exemple de Alia, la femme de Jacob. La Bible la loue moult comme elle amoit chierement son seigneur et la grant honneur que elle lui pourtoit, et comment elle se humiliet, et quant elle avoit eu enffant elle en rendoit à Dieu graces et mercis moult humblement et devotement. Et pour ce Dieu lui donna les xij. princes qui furent les douze patriarches dont les douze lingnées yssirent, qui tant furent preudommes, et aymèrent Dieu et le craingnirent sur tous autres, et leur père et mère prioient -166- chascun jour Dieu pour eulx dès ce que ilz estoient petis, et que Dieu les voulsist pourveoir de s’amour et de sa grace ; et il ouy bien leurs prières, car ilz furent saintes gens et honnourez sur tous. Et pour ce est bon exemple que tout père et mère doit chascun jour prier Dieu pour ses enfans, comme firent Jacob et Alia. Et si vous dy que jamaiz, pour nulle faulte ne riote que ilz feissent, ilz ne maudissoient nullement leurs enffans, ainçois les blasmoient par autre manière ou les batoient ; car il vauldroit mieulx cent foiz batre ses enffans que les mauldire une seule foiz, tant y a grant peril.
Dont je vous en diray une exemple d’une femme de ville. Elle estoit male et se courrouçoit de legier, et aussy faisoit son mary, et par leur grant yre ilz s’entrerechignoient et arguoient souvent et menu. Sy avoient ung filz d’enfant qui leur avoit faite aucune faulte ; sy le commencièrent touz deux à mauldire, et l’enffant, qui en fut yré, leur respondit follement, et le père et la mère, qui en furent yrés, le vont donner à l’ennemy par leur courroux, et lors l’ennemy vient qui le saisy et le prist par les bras et le haussa tout de terre, et par là où il mist la main le feu se prinst, et perdit la main et le bras, par quoy il fut pery toute sa vie. Et pour ce est grant peril de maudire ses enffans ne de leur destiner mal, et pis encore de les donner à l’ennemy, par courroux ne par yre que l’en ait avecques eulx. Et pour ce prenez cy bonne exemple, et vous en souviengne, comme vous devez destiner tout bien à vos enffans, et prier Dieu pour eulx, comme faisoit Jacob et sa femme à leurs enffans, que Dieu monta et exaulça sur toutes les -167- lingnées et generacions, et non pas faire comme le fol homme et la fole femme, qui par leur grant yre maudissoient leur enffant, et depuis le donnèrent à l’ennemy, de quoy l’enffant fut pery toute sa vie.
Chappitre IIIIXXVe.
Un autre exemple vous diray de Rachel, la seconde femme de Jacob, qui fut mère de Joseph, que ses frères vendirent en Egipte. D’icelle parole moult la sainte escripture, et la loue comment elle amoit à merveilles son seigneur, et la grant obeissance que elle lui faisoit. Sy eust celluy Joseph, dont tant de bien yssy, et en morut en gésine, et dit-l’en que ce fut pour ce qu’elle s’enorgueilly de la joye qu’elle en eut, et n’en rendit pas graces à Dieu comme faisoit Alia. Et pour ce a cy bonne exemple que toute bonne femme doit touzjours rendre graces et mercis à Dieu dès ce qu’elle a eu enffant, si comme faisoit Alia et comme faisoit sainte Elizabel, qui fut fille au roy de Hongrie et femme à Londegume. Celle bonne dame, quant elle avoit eu enffant, elle faisoit venir ses prestres et ses clers, et leur faisoit rendre graces et mercier Dieu, et faisoit faire simples levailles, sans grans arrois, mais à ses levailles elle faysoit donner à mangier aux povres qui prioient pour son enffant, et aussi la bonne dame prenoit son enfant entre ses mains et l’effroi -168- à l’autel en rendant graces à Dieu, et lui prioit humblement pour lui que il le voulsist moulteplier en sa grace et en s’amour, et en celle du monde. Et pour ce Dieux essaulça ses enffans, lesquelz vindrent à grant honneur. Et pour certain tout le bien et honneur vient de Dieu, car celluy qu’il aime il l’essaulce vers luy et vers le monde, et tout cest bien vient par humilité, comme par humilité de ces bonnes dames advint bien à leurs enffans ; car pour vray il n’est riens que Dieu prise et ayme tant comme humilité, car pour certain il ne fust pas descendu du ciel ou ventre de la benoiste vierge Marie se ne feust ce que elle se humilia tant que elle respondist à l’ange Gabriel que elle estoit chamberière de Dieu et qu’il feyst aussy comme il lui plairoit. Elle ne se povoit plus humilier que de soy appeler chamberière.
Chappitre IIIIXXVIe.
Dont je vouldroye que vous sceussiez l’exemple d’une royne de Chippre. Elle ne povoit avoir enffant et estoit de dur aage, et toutesfois, par la bonté de son seigneur et d’elle, à leur prière Dieu leur donna un beau filz, dont la joye fut moult grant ou royaume. Et de la grant joie que ilz en eurent ilz firent crier festes et joustes, et envoyèrent querre touz les grans seigneurs -169- et dames que ils purent avoir. La feste fut moult grant et les paremens de draps d’or et de soie ; tout retentissoit de joye et de soulas et de sons de menestriers. Les joustes furent grans et la feste bien renvoysée. Sy despleut à Dieu de faire telz boubans et telle mise pour telle chose. Sy advint que, quant ilz furent au disner, l’enfant morut, et disoit l’en que il avoit esté trop couvert et abrié de grans chaleurs. Toutes voies, quant l’en sceut la mort de l’enffant, la court, qui estoit en grant joye et en grant liesse, fust tantost tournée en douleur et en tristece, et se departirent chascuns mornes et pensiz. Et pour ce a cy bon exemple comment l’on ne se doit mie trop esjouir d’enffant que Dieu donne, ne en faire telle feste ne telx boubans ; car aucunefois il en desplaist à Dieu, qui aussitost le tolt comme il le donne.
Chappitre IIIIXXVIIe.
Je vous diray un exemple sur le fait de charité. Ce fust d’une fille au roy Pharaon, qui nourist Moïse, si comme je vous diray. Les Juifs, qui estoient pueple de Dieu, estoient en servaige comme prisonniers en Egipte, dont le roy Pharaon, qui estoit roy, pour ce que il vit que le peuple des Juifs craissoit trop, il luy en despleust et commanda que l’en occist touz les enffans d’un an. Et quant la mère Moyse vit que il -170- convenoit que son filz feut mis à mort, sy le mist en un vaissel et l’envoia sur l’eaue, et alast à l’aventure où il plairoit à Dieu, comme celle qui grant pitié et grant douleur avoit de veoir occire son filz devant elle. Sy avint, comme il pleust à Dieu, que le vessel va arriver devant la chambre de la fille au roy Pharaon delez un prael, laquelle estoit en l’esbat en ce vergier avecques ses damoiselles. Sy virent celluy vessel arriver delès elles. Sy ala elle et ses damoiselles dedens le vaissel, et trouvèrent l’enffant enveloppé, qui à merveilles estoit bel. Sy le regarda la fille et en eut pitié, et le fist nourir en sa garde-robe moult chièrement, et l’appeloit son filz par bourdes, duquel enffant vint tant de bien ; car Dieu l’eslust et estably maistre et gouverneur de tout son pueple, et lui monstra moult de ses secrez, et lui bailla la verge de quoy il departy la mer et la reclost, et de laquelle il fist ystre eaue vive et doulce de la pierre. Et aussy lui bailla les tables de la loy, et moult d’autres grans amistiez il lui demonstra. Et de celle nourriture et cellui servaige la damoyselle en feust bien guerredonnée, car Dieu ne oublie pas le service que l’on lui faist pour charité comme nourrir les orphelins, car c’est un oeuvre de miséricorde que Dieux ayme moult, si comme il est contenu en la vie sainte Elisabeth, qui norrissoit les orphelins et les faisoit aprendre aucun mestier. Dont une bonne dame qui n’avoit enffant que ung, lequel s’en ala baingnier ; sy chey en une fosse et y fust viij. jours entiers, et sa mère estoit charitable à Dieu et à sainte Elisabeth ; dont il avint que, à l’uitième jour, la mère songea que son fils estoit en une fosse -171- d’eaue, et que sainte Elisabeth le gardoit et lui disoit : « Pour ce que vous avez tousjours nourry et soustenu les orphelins, nostre seigneur ne veult pas que vostre enffant muire ne ne perisse. Sy le faites peschier. » Et lors la mère se leva et ala faire peschier son filz et le trouva tout sain et vif, dont l’enffant dist que une moult belle dame l’avoit tousjours gardé et lui avoit dit : « Dieu vieult que tu soyes sauvé pour la charité et misericorde de ta mère, qui voulentiers nourist et soutient les orphelins et les petis enffans. » Et pour ce a cy bon exemple comment l’en doit norrir les orphelins et les petis enffans qui en ont mestier, car c’est à merveilles grant aumosne et grant charité, et qui moult plaist à Dieu. Et de ce nous monstre exemple la bische et plusieurs autres bestes, qui, quant l’en a occis leur mère et leurs faons, demeurent sans nourreture, elles les norrissent de leurs bonnes natures jusques à tant que ils se puissent vivre tout par eulx.
Chappitre IIIIXXVIIIe.
Un autre exemple vous diray sur cest fait. Il advint que en la ville de Jerico avoit une femme qui avoit nom Raab, laquelle estoit blasmée, mais charitable estoit. Dont il avint que certains preudes hommes qui y estoient -172- venus pour enseigner le pueple sy trouvèrent les gens de la ville moult maulx et crueulx, tant qu’ils s’en alèrent respondre et cachier chiez celle femme, et les mussa dessoubz trousseaulx de lin et de chanvre, et ne les peurent trouver pour cerchement que ils feissent, et puis la nuit les avala par une corde et les sauva. Dont il avint qu’elle en fust bien guerredonnée, car la ville fut depuis prise, et hommes et femmes tous mors, fors Raab et sa mesgnie, que Dieu fist sauver pour ce qu’elle avoit sauvé ses sergens. Et pour ce dit bien la sainte Euvangille, là où Dieu dit que le bien et le service que l’on lui fera, ou à ses serfs pour lui, que il le rendra à cent doubles. Dont est-ce bon exemple de faire bien qui depuis est rendu et meri à cent doubles. Dont je vueil que vous saichiez l’exemple de sainte Annastaise, qui fust mise en chartre ; mais Dieu la fist delivrer et lui fist assavoir qu’elle estoit delivrée pour ce qu’elle soustenoit du sien propre les povres prisonniers et les enchartrez, et là où elle sçavoit que aucun y estoit mis sans cause et à tort, par envie ou par aucune debte, elle y mist tant du sien et de sa peine qu’il feust delivré. Et pour ce Dieu l’en guerredonna au double. Et mesmement le doux Jhesucrist dit en l’Euvangille que au grant jour du jugement il aura mercy de ceulx qui auront visité les enchartréz et les malades et les povres femmes en gesines. Car à celluy jour espovantable il en demandera compte et en convendra rendre raison, dont je pense bien que maintes en seront reprinses de en faire bonnes responces. Et pour ce, belles filles, pensez-en à present, si comme fist sainte Arragonde, qui fust royne de France, -173- qui les povres enchartrez visitoit, repaissoit et nourrissoit les orphelins, et visitoit les malades. Et au fort, quant elle vit qu’elle n’y pourroit entendre à sa voulenté, pour doubte de desobéir à son seigneur, elle laissa son seigneur et tout l’onneur et la gloire du royaulme et la joye mondaine, et s’en fouy en tapinaige de Paris jusques à Poitiers, et là se rendist en l’abbaye et se fist nonnain, et laissa le siecle pour mieulx servir à nostre Seigneur sans crainte de nulluy, dont depuis Dieu fist tel miracle pour l’amour d’elle que ung arbre qui donnoit umbre au millieu de leur cloistre, lequel estoit devenu sec tant estoit vieulx, mais nostre Seigneur à sa prière le reverdist tellement que il geta escorce et fueille nouvelle, contre le cours de nature. Mais riens n’est impossible quant à Dieu, et maintes autres grans miracles fist nostre seigneur pour elle. Et pour ce est bon exemple de faire charité, comme ouy avez de ces ij. bonnes dames et de celle bonne dame Raab, comment elles firent et comment Dieu en la parfin les guerredonna de leurs bons services.
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Chappitre IIIIXXIXe.
Je vous diray autre exemple du père et de la mère de Sampson fortin, qui estoient saintes gens en leur mariage, mais nuls enffans ne povoient avoir. Sy en furent-ils envers Dieu en mainte clameur et oroison. Un jour la bonne dame fut à l’esglise, qui pour lors estoit appellé le temple ; si comme elle prioit nostre seigneur en plorant, Dieux ot pitié d’elle et lui envoia un ange qui lui dist qu’elle auroit un filz qui seroit le plus fort homme qui onques fust, et lequel debastroit et essauceroit par sa force la loy de Dieu. La bonne dame vint à son seigneur et le li dist. Son seigneur se getta en oroison et pria Dieu qu’il lui pleust à lui demonstrer son ange, et lors Dieu leur envoia son ange qui leur dist celles paroles, et qu’ilz jeunassent et qu’ilz feissent abstinences, et aussi que ilz se gardassent de trop boire et de trop gourmander. « Car », dist l’ange, « le trop gourmander et le trop mengier, fors ès heures deues, et aussi le trop boire guerroye le corps et l’âme. » Et quant il leur eut ce dist si se party, et ilz firent le commandement de l’ange et jeunèrent et firent abstinences. Et puis eurent l’enffant, qui maintint moult bien la loy de Dieu encontre les paiens, et en fist moult de occisions et moult de grant merveilles, si comme Dieux -175- le soustenoit ; car il desconfist par son corps iij. mille personnes. Et pour ce est bon de jeuner et faire abstinence, qui vieult riens requerre à Dieu ; car confession et jeunes empètrent vers Dieu sa requeste, comme l’ange leur dist, et après leur dist que ils le gardassent de trop mengier fors à ses heures, par espécial de trop boire, dont, quant le saint ange, qui tout scet, leur deffendit ces ij. vices, c’est bon exemple que tout homme et femme si s’en doit garder sur tous autres vices, car par cellui vice l’en entre en trestous les autres vij. vices mortelx, comme vous le trouverez plus à plain ou livre de voz frères, là où il parle comment un hermite qui eslut cellui pechié de gloutonie, et le fist et s’enyvra, et par cellui il cheist en touz les vij. pechez mortelx, et avoit cuidié eslire le plus petit des vij, dont je vous diray que Salemon en dist ou livre des enseignemens ; premierement il dist que vin trouble et rougist les yeulx et affaiblist la veue et fait le chief dodiner et croller, et empesche l’ouye et estouppe les narilles, et fait le visaige pruneller et rougir, et fait les mains trambler et corrompt le bon sanc, et affaiblit les ners et les vainnes, et mine le corps et lui haste la mort, et lui trouble le senz et la memoire. Dont Salemon dist que de xx. femmes une qui seroit yvrongne ne pourroit mie estre preude femme au long aler, ne amée de Dieu ne de ses amis, et qu’il li vauldroit mieulx estre larronnesse ou avoir d’autres mauvaises taiches que celle, car par celle elle entrera en toutes les autres mauvaises. Pourquoy, mes chières fillez, gardés-vous de cellui mauvais vice de trop boire, ne gourmender, ne mengier fors aux droites heures, comme -176- à disner et à soupper. Car une foiz mengier est vie d’ange, et ij. foiz est droite vie d’omme et de feme, et plusieurs fois mengier est vie de beste, et tout chiet par coustume et par usaige, car de telle vie, soit de boire ou de mengier, comme vous vouldrés acoustumer en vostre jeunesse, vous le vouldrez maintenir en vostre viellesse, et pour ce ne chiet que en vostre voulenté à y mettre remède à heure. Sy devez cy prendre bonne exemple au saint ange qui en avisa le père et la mère de Sampson fortin ; l’ange ne dist pas comme il fist à Zacaries ; car il li dist que sa femme auroit un filz qui auroit nom Jehan, qui ne buvroit point de vin ne de cervoise ; car l’un enffant fust estably de Dieu pour garder la foy par espée contre les païens, ce fust Sampson, et S. Jehan fut estably pour prescher et estre mirouoir de chasteté, de jeunes et de abstinences, et de user la haire et estre mirouoir de toute sainte vie. Si vous laisse de ceste matière et vous diray d’un autre exemple.
Chappitre IIIIXXXe.
Je vous diray une autre exemple d’une dame qui avoit une fille qui eust à nom Delbora, laquelle elle mist à l’escole de saigesse et du saint esprit et de sapience. Celle Delbora apprist si bien qu’elle sceust la sainte escripture, et usa de sy sainte vie qu’elle sceust des -177- secrez de Dieu et parla moult des choses à venir, et par son grant senz touz lui venoient demander conseil des choses du royaume et de leurs affaires. Son seigneur estoit maulx homs et crueulx ; mais par son sens et par son bel acqueil elle le savoit bien avoir ; car elle l’ostoit de sa frenaisie et le faisoit paisible et juste à son pueple. Et pour ce a cy bon exemple que l’en doit mettre ses filles pour apprendre la clergie et la sainte escripture ; car pour en sçavoir elles en verront mieulx leur saulvement et recognoistront mieux le mal du bien, si comme fist la bonne dame Delbora et comme fist sainte Katherine, qui par son sens et par son clergie, avecques la grace du Saint-Esprit, elle seurmonta et vainqui les plus saiges hommes de toute Gresce, et par sa sainte clergie et ferme foy elle congnust Dieu, et Dieu lui donna victoire de martire et en fist porter le corps par ses anges xiiij. journées loing, c’est assavoir ou mont de Sinay, et son saint corps rendit huille. Et le commencement et fondement de Dieu congnoistre fust par sa clergie, où elle congnust la verité et le sauvement de la foy. Encore un autre exemple vous diray-je d’un enffant de l’aage de ix. ans qui avoit esté iiij. ans à l’escole, et, de la grace de Dieu, il desputoit de la foy contre les paiens si fort que il les vaincquit touz, et au fort ils l’espièrent tant qu’ilz le prisdrent, et quant ilz le tindrent en leur subjecion ilz le menacièrent à occire ou il renieroit Dieu. Mais, pour tourment que ilz luy peussent faire, il n’en voult riens faire. Sy lui demandèrent où estoit Dieu, et il leur dit : « Au ciel et adjoint en mon cuer. » Lors de depit ils le occirent et lui fendirent le -178- cousté pour voir son cuer, se il disoit voir que Dieu y feust. Et, quant il fut fendu et ouvert, ilz virent de son cuer yssir un coulon blanc, dont il y eut aucuns d’eulx pour celui exemple se convertirent en Dieu. Et pour cest exemple et les autres est bonne chose de mettre ses enffans juennes à l’escolle et les faire apprendre ès livres de sapience, c’est-à-dire ès livres des saiges et des bons enseignemens, où l’on voit les biens et le sauvement du corps et de l’ame, et en la vie des pères et des sains, non pas les faire apprendre ès livres de lecheries et des fables du monde ; car meilleure chose est et plus noble à ouïr et parler du bien et des bons enseignemens, qui pueent valoir et prouffiter, que lire et estudier des fables et des mensonges dont nul bien ne prouffit ne puet estre ; et pour ce que aucuns gens dient que ilz ne vouldroient pas que leurs femmes ne leurs filles sceussent bien de clergie ne d’escripture, je dy ainsi que, quant d’escripre, n’y a force que femme en saiche riens ; mais, quant à lire, toute femme en vault mieulx de le sçavoir, et cognoist mieulx la foy et les perils de l’ame et son saulvement, et n’en est pas de cent une qui n’en vaille mieulz ; car c’est chose esprouvée.
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Chappitre IIIIXXXIe.
Un autre exemple vous diray d’une bonne dame appelée Ruth, dont descendi le roy David. Celle bonne dame est moult louée en la sainte escripture, car à merveilles ama Dieu et obey à son seigneur, et, pour l’amour de lui, elle honoroit et amoit ses amis et leur portoit plus de honneur et de priveté que ès siens devers elle ; dont il advint que, quant son seigneur fust mort, que le filz de son seigneur d’une autre femme ne li vouloit riens laissier, ne terre, ne meuble, pour ce qu’elle estoit de loingtain pays et loing de ses amis, pour ce la cuida esbahir ; mais les amis de son feu seigneur, qui l’amoient pour la grant doulceur et la priveté et le grant semblant d’amour et service qu’elle avoit toujours porté, les mist devers elle, et furent contre leur parent, tellement que ilz firent avoir à la dame son bon droit et toute sa partie selon la coustume. Et ainsi la bonne dame sauva le sien pour l’amistié et la bonne compaignie qu’elle avoit fait aux parens de son seigneur quand il vivoit. Et pour ce a cy bon exemple comment toute bonne femme doit servir et honnourer les parens de son seigneur ; car plus grant semblant d’amour ne li pourroit-elle faire, et en ce lui en puet tout bien et honneur venir, si comme il fist à la bonne dame Ruth, qui, pour amer -180- et honnourer les parens de son seigneur, elle recouvra sa juste partie des heritaiges et des biens son seigneur, comme ouy avez.
Chappitre IIIIXXXIIe.
Je vous diray un exemple d’une bonne dame qui bien doit estre louée. Celle bonne dame avoit nom Abigail ; elle avoit un seigneur qui estoit à merveille maulx homs et divers et rioteux à tous ses voisins, et mesdisans. Sy avoit trop forfait au roy David, dont le roy le fist desfier, et le vouloit destruire et mettre à mort. Mais la bonne dame, qui sage estoit, vint devers le roy et se humilia tant par ses doulces paroles qu’elle fist la paix de son seigneur. Sy le garda celle foiz et plusieurs autres de maints perilz où il se mettoit par sa mauvaise langue et par ses foles sotises. Mais tousjours la bonne dame amendoit ses sotties et ses folies, dont elle doit bien estre louée, et aussi de ce qu’elle souffroit moult humblement de lui la paine et la doulleur qu’il lui faisoit traire. Et pour ce a cy bon exemple comment toute bonne femme doit souffrir de son seigneur et le doit supporter, et par tout le sauver et garder comme son seigneur, combien qu’il soit fol ou divers, puisque Dieux le lui a donné. Car tant comme elle y aura plus à souffrir et elle le portera plus humblement et couverra la -181- folie de lui, de tant aura-elle plus l’amour de Dieu et l’onneur du monde.
Je vouldroye que vous sceussiez l’exemple d’une bonne dame, femme d’un senateur de Romme, si comme il est contenu ès croniques des Romains. Cellui senateur estoit moult jaloux sans cause, et estoit moult divers homs et moult maulx et crueulx à sa femme. Sy advint que il eust à faire ung gaige de bataille encontre un autre. Or estoit-il trop couart et failli ; le jour de la bataille son champion qui devoit jouster pour lui estoit malade, et ne trouva lors aucun qui pour lui se voulust combattre, dont il eust esté dehonté ; mais sa femme, qui regarda le grant deshonneur que son seigneur y auroit, ala en sa chambre et se fist armer ; sy monta à cheval et se mist en champ, et avoit son visaige deffait que nul ne la cogneust, et toutes foiz, pour ce que Dieu vit sa bonté et que elle faisoit selon Dieu son devoir, et rendoit à son seigneur bien pour mal, Dieu lui donna telle grace que elle gaigna la querelle de son seigneur honnourablement. Et quant vint que tout le traictié fust accomply, l’empereur voult veoir et sçavoir qui estoit le champion du senateur. Si fust desarmée et fust trouvé que c’estoit sa femme, dont l’empereur et toute la ville lui portèrent dès cellui jour en avant plus grant honneur qu’ilz n’avoient fait, et fust à merveilles honorée, tant pour ceste cause comme pour ce que elle se portoit bel et doulcement des maulx que son seigneur ly faisoit bien souvent traire. Et pour ce a cy bonne exemple comment toute bonne femme doit humblement souffrir de son seigneur ce que elle ne puet amender ; car celle qui -182- plus en seuffre sans en faire chière en recouvre x. foiz plus de honneur que celle qui n’a cause de en souffrir, et qui a son seigneur bien entachié, sy comme dit Salemon, qui bien parle des femmes en louant les unes et blasmant les autres.
Chappitre IIIIXXXIIIe.
Un autre exemple vous diray d’une des femmes au roy David, comment elle apaisoit l’ire de son seigneur. Vous avez bien ouy comment Amon le filz David despucella sa suer, et comment Absalon leur frère vengea celle honte et le fist mettre à mort, dont Absalon s’en fouy hors du pays, car le roy le vouloit faire occire. Mais celle bonne dame lui fist sa paix, car elle monstra tant de bonnes raysons à son seigneur que il lui pardonna. Sy n’estoit-elle pas sa mère, fors femme de son seigneur. Mais elle tenoit en amour son seigneur et ses enffans comme bonne dame. Et ainsi le doit faire toute bonne dame ; car plus grant semblant d’amour ne puet-elle monstrer à son seigneur que amer ses enffans d’autre femme, et y conquiert honneur au double, et plus les doit soustenir que les siens ; car au derrenier il n’en vient fors que tout bien et honneur, si comme il advint à celle bonne dame que, quant le roy fut mort, l’en lui vouloit tollir son droit, mais Absalon ne le voulst -183- souffrir et dist devant touz que, combien que elle ne feust sa mère, que elle lui avoit porté honneur et priveté et amour, et par maintesfois desblasmé vers mon seigneur mon père ; car elle ne perdra jà riens de son droit. Et pour ce a cy bon exemple comment toute bonne femme doit amer et honnourer tout ce qui est de son seigneur, comme ses enffans d’autre femme et aussy ses prouchains et ses parens. Car voulentiers nul bien n’est fait que communement ne soit mery, si comme il advint à ceste bonne dame, comme ouy avez.
Chappitre IIIIXXXIIIIe.
Je vous diray un autre exemple de la royne de Sabba, qui moult estoit bonne dame et saige, laquelle vint de vers Orient en Jherusalem pour demander conseil d’un grant fait au roy Salomon, lequel la conseilla feablement, et bien lui prist de son conseil, et elle ne perdy pas son travail ne ses pas. Et pour ce a cy bon exemple que toute bonne dame doit eslire un bon preudomme et saige de son lignaige ou d’autre et le tenir en amour et soy conseiller à lui de ses besoingnes ; car le bon conseil fait la bonne œuvre, et fait tenir bonne amour à ses voisins et garder le sien sans parler et sans rioter, et, se aucun plait ou contens se met, le bon preudomme et le saige conseil si le oste et amodère -184- la chose, et fait avoir le sien sans grans coustz et sans grans mises, et tousjours en vient grant bien, comme il vint à la bonne royne de Sabba, qui de sy loing vint querre conseil au saige roy Salemon. Et encores vouldroye-je que vous sceussiez l’exemple d’un empereur de Romme. L’empereur estoit malade au lit de la mort. Chascun des seigneurs et des senateurs et autres pour lui plaire disoient que il seroit tantost guery, mais que il eust sué. Mais amy que il eust ne lui parloit du prouffit de l’ame. Sy avoit avecques lui un chambellan qui l’avoit nourry, lequel le servoit d’enffance. Cellui veoit bien que il ne pouvoit eschapper, et que tous ne le conseilloient fors que pour lui plaire seulement. Sy lui va dire le chambellan : « Sire, comment sentez-voz vostre cuer ? » Et l’empereur luy dist que bien petitement. Lors lui commença à dire moult humblement : « Sire, Dieux vous a donné en cest monde toutes honneurs et les biens terriens et la joye mondaine, si l’en recongnoissez et merciez, et departez à ses povres des biens que Dieu vous a donnez, tellement que il n’ait que reprouchier sur vous. » L’empereur escouta et dist deux motz : Plus vault amy qui point que flatteur qui oint. Et fust pour ce que ses amis ne lui avoient parlé que de l’esperance de la santé du corps pour lui plaire ; mais cestuy-cy lui parloit du sauvement de l’ame ; car qui ayme le corps il doit amer l’ame, et ne doit l’en riens celler à son amy de chose qui lui porte prouffit et honneur, ne, pour amour ne pour hayne, ne le laisse à conseillier loyaulment, comme preudomme et bon amy, et ne le flatte pas ne faire le placebo comme firent tous les amis de l’empereur, -185- qui veoient bien qu’il ne povoit eschapper de mort et ne lui osoient pas dire le prouffit de son ame comme fist son povre chambellain, qui le mist à la voie du sauvement. Et l’empereur le creust, car il donna et departi du sien largement pour Dieu.
Chappitre IIIIXXXVe.
Un autre exemple vous diray de une moult preude femme qui avoit un simples homs à mary. La bonne dame estoit moult charitable et aymoit moult les sergens de Dieu. Sy avoit, vers les parties de Jherusalem, un saint preudomme prophète qui avoit nom Elizeus. Celle bonne dame avoit grant devocion au saint homme, et le pria de venir herbergier chiez son seigneur et chiez elle, et lui firent une chambre solitaire où le saint homs, qui vestoit la haire, faisoit ses afflictions. Si ne povoit la bonne dame avoir enffant de son seigneur ne lignée. Si vont prier le saint homme que il priast Dieu qu’il leur donnast enffans et lingnée, et le saint prophète en pria Dieu tant que ilz eurent un filz à merveilles bel, qui vesquit bien xv. ans et puis morut, dont le père et la mère en deurent mourir de dueil. Sy fist mettre la mère l’enffant en la chambre du saint prophète, et ala par le pays tant qu’elle trouva le saint preudomme, et quant elle l’eust trouvé -186- elle l’amena en sa chambre et lui monstra l’enffant qui estoit mort et lui dist : « Ha, saint homme, veez-cy l’enffant que Dieu me donna par ta prière, qui estoit toute ma joye et ma soustenance. Je te prie que tu vueilles Dieu prier que il le me rende ou qu’il me preingne, car je ne vueil point demourer après lui. » Et Elizeus le saint prophète eut pitié de la bonne dame ; sy adoura Dieu, et Dieu le revesquit à sa prière, et vesqui l’enffant longuement et fust saint homme. Pourquoy, mes chières filles, ycy a bonne exemple comment il fait bon se accointier des sains hommes et les amer, et qui usent de bonne vie et de sainte, comme ceste bonne dame, qui ne povoit avoir enffans et en eust à la prière du saint homme, et depuis que l’enffant fut mort, Dieux le ressuscita à sa prière, et pour certain Dieux est aujourd’uy aussy puissant et aussy debonnaire comme il estoit lors à ceulx qui le serviront. Si ne fault que mettre bonne painne et humble cuer à le desservir, et tenir la compaignie des saintes gens qui usent de saincte vie, et les croire ; car tout bien en puet venir, comme il fist à la bonne dame.
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Chappitre IIIIXXXVIe.
Je vous diray un autre exemple de une bonne dame, qui avoit nom Sara. Vous avez bien ouy comment elle eust vij. seigneurs, que l’enemi occist pour ce qu’ilz ne vouloient pas user de loyal mariaige, et comme sa clavière lui reprocha que mary ne lui povoit arrester. Et la bonne dame, qui vit que celle fole vouloit tencier à elle, si lui dist comme saige moult humblement : « Belle amie, à toy ne à moy ne appartient mie à parler des jugements de Dieu », et plus ne lui dist. Elle ne sembla pas à la fille d’un des senateurs de Romme, qui avoit le cuer si felon que elle tançoit en plainne rue avecques sa voisine, et tant crurent et montèrent les paroles que l’autre lui dist que elle n’estoit pas nette du corps, dont par celle parole, qui ala tant avant, elle en perdy son mariaige, feust vérité ou mençonge. Et pour ce est grant folie à toute femme de tencier ne respondre à tenceurs ne à gens qui sont felons et cruelz et qui ont male teste, dont je vous diray un fait que je vy d’une bien gentilz femme qui tençoit à un homme qui avoit male teste. Sy lui dis : « Ma damoyselle, je vous loue et conseille que vous ne respondiez point à ce fol ; car il est assez fol de dire plus de mal que de bien ». Mais elle ne me voult croire, si -188- tença plus fort en lui disant qu’il ne valoit riens. Et il respondit que il valoit autant pour homme comme elle faisoit pour femme. Et tant montèrent leurs parolles que il dist que pour certain il sçavoit bien un homme qui la baisoit de jour et de nuit quant il vouloit. Et adonc je l’appellay à costé et lui dis que c’estoit folie de prendre à fol paroles ne tençons. Si furent les paroles laides et devant moult de gens, et fust diffamée par son attayne et par son fol tencier, et fist sçavoir à plusieurs gens ce que ilz ne sçavoient pas. Elle ne sembla pas la sage Sarra, qui ne fist pas grans responces à sa folle clavière ; car aucunes foiz l’en se met bien de son bon droit en son tort, et si est moult meschante chose et honteuse à gentilz femmes et autres de tencier nullement. Dont je vous diray l’exemple de la proprieté de certaines bestes. Regardez-moy ces chiens et ces mastins ; de leur nature ilz rechignent et abbayent, mais un gentil levryer ne le fera pas. Ainsi doit-il estre des gentilz hommes et des gentilz femmes. Et aussi je vous diray l’exemple de l’empereur de Constentinoble. Il estoit homme moult fier et felon, mais jamais ne tençast à nul, dont il advint que il trouva ses ij. filz tançant ; mais il les eust batus, qui ne se feust mis entre deux. Et puis dist que nul gentil cuer ne devoit tencier ne dire villenie. Car au tencier l’en congnoist les gentilz de avecques les villains, car cellui est villain qui de sa bouche dist villenie, et pour ce est grant gentillesce et grant noblesce de cuer à ceulx qui pueent avoir pascience et humilité en eulx, et ne respondre point à toutes les foles paroles des folz ne des foles. Car pour certain il advient souvent -189- que une fole parole engendre telle fole responce qui puis porte honte et deshonneur ; et pour ce, belles filles, est bon de y prendre bon exemple. Car le fol et la fole de felon et haultain couraige, quant l’en leur tient pié, ilz dient de leurs malices et de leurs yres aucunesfoiz villenies et choses qui oncques ne furent pensées, pour vengier leur grant yre. Et ainsi se doit garder toute bonne femme de riens respondre à son seigneur devant les gens pour plusieurs causes ; car à soy taire elle ne peut avoir que toute honneur et tout bien de touz ceulx qui le verront, et à lui respondre son desplaisir ne li peust venir fors honte et desplaisir et deshonneur.
Chapitre IIIIXXXVIIe.
Je vous diray un autre exemple de la royne Hester, femme au grant roy de Surye. Celle fut à merveilles bonne dame et saige, et amoit et craingnoit son seigneur. Sur toutes dames la sainte escripture la loue moult de sainte vie et de ses bonnes mœurs. Car le roy son seigneur estoit mal et divers, et lui disoit aucunes foiz moult d’oultraigeuses paroles et vilainnies ; mais pour riens que il lui deist elle ne lui respondoit aucune parole dont il se deust corroucer devant les gens ; mais après, quand elle le trouvoit seul et veoit son lieu, elle se desblamoit et lui -190- monstroit bel et courtoisement sa faulte, et pour ce le roy l’amoit à merveilles et disoit en son secret qu’il ne se povoit courroucier à sa femme, tant le prenoit par bel et par doulces paroles. Certes, c’est une des bonnes taches que femme puist avoir, que ne respondre point en l’ire ne en courroux de son seigneur. Car cuer gentil est cremeteux et a touz jours paours de faire ou dire chose qui desplaise à cellui qu’il doit honnorer et craindre, dont l’en conte ès livres des roys de la femme d’un grant seigneur qui estoit mal et divers et sa femme estoit moult douce, et moult souffroit et estoit humble. Sy estoit un jour moult pensive, et ses damoiselles lui disoient : « Madame, pourquoy ne vous esbatez-vous, comme juenne dame que vous estes ? » Et elle respondit que il convenoit que elle se doubtast et se demenast comme elle sçavoit que estoit la voulenté de son seigneur, pour avoir la joye de luy et la paix de son hostel. Et puis disoit que la paour de trois prisons la destreignoit de estre trop joyeuse et trop gaye, dont l’une estoit amours, l’autre paours, et la tierce honte. Ces iij. vertus la maistrioient ; car l’amour qu’elle avoit à son seigneur la gardoit de lui faire son desplaisir ; paour la destraingnoit de perdre son honneur et de faire pechié, fors le moins qu’elle povoit ; honte d’avoir villain reproche. Et ainsi la bonne dame dit à ses damoiselles. Pour quoy, mes chières filles, je vous prie que vous ayez ces exemples en voz cuers, et ne respondez nulle grosse parole ne envieuse à vostre seigneur, fors doulce et humble, comme faisoit celle bonne dame, la royne Hester, comme ouy avez, et comme ceste bonne dame qui dist à ses damoiselles -191- que son cuer estoit en l’amour et en la prison de son seigneur, et pour ce ne povoit-elle faire fors que à tout son plaisir et vivre en sa paix.
Chappitre IIIIXXXVIIIe.
Un aultre exemple vous diray de Susanne, la femme Joachim, qui estoit grant seigneur en la chetivoison de Babilonie. Celle Susanne estoit à merveille belle dame et de saincte vie. Si avoit ij. prestres de leur loy qui disoient leurs heures en un verger, et la bonne dame peignoit son chief, qui estoit blanche et blonde. Sy arrivèrent ces ij. prestres sur elle et la virent belle et seule. Lors si furent temptez, et li vont dire que se elle ne vouloit faire leur voulenté, qu’ilz tesmoigneroient qu’ilz l’auroient trouvée en fait de luxure avec un homme, et pource que elle auroit enffraint son mariage, elle seroit lapidée ou arse, selon la loy qui lors couroit. Celle bonne dame fust moult esbahie, qui par faulx tesmoings veoit sa mort ; car deux tesmoings estoient lors creus. Sy pensa et regarda en son cuer que elle aymoit mieulx mourir de la mort mondaine que de la mort pardurable, et mist son fait en la voulenté de Dieu, auquel elle se fioit du tout, et lors respondit à brief qu’elle n’en feroit rien, et qu’elle amoit mieulx à mourir qu’à faulcer sa loy ne son saint sacrement de mariage. Adonc -192- les ij. faulx prestres alèrent ès juges et tesmoignèrent contre elle qu’ilz l’avoient trouvée en avoultrie, c’est à dire à autre que à son seigneur. L’on l’emmena tantost et fust jugiée à mort, mais elle s’escria à Dieu, qui tout savoit, et la loyaulté d’elle et de son mariaige. Et Dieu, qui n’oublie point voulentiers son serf, lui envoia secours et fist venir Daniel le prophète, qui n’avoit d’age que entour cinq ans, lequel s’escria et dist les juges d’Israël, c’est à dire du pueple de Dieu : « Ne occiez pas le sanc juste et innocent de cest fait, et enquerrez chacun par soy, et leur demandés soubz quel arbre ilz la trouvèrent. » Lors le pueple fust esbay de veoir si petit enffant ainsi parler. Si virent bien que c’estoit appert miracle de Dieu. Sy firent l’enqueste à chascun par soy, dont l’un dist que il les avoit trouvez soubz un figuier, et l’autre dist desoubz un prunier, et ainsi furent en faiz contraires ; si furent jugiez à mort, et quant ilz virent qu’il n’y avoit point de remède, ilz recogneurent la verité du fait et distrent qu’ilz avoient bien deservy la mort, et non pas elle. Et pour ce a cy bon exemple comment Dieux garde ceulx qui ont en luy fiance, et qui mettent leur fait en sa main, comme fist la bonne dame, qui mieulx vouloit se mettre en adventure de mourir que parjurer sa loy, c’est assavoir enffraindre son saint sacrement et son loyal mariaige, et si doubtoit plus la perdicion de l’ame et la mort pardurable que la povre vie de cest monde, dont par sa bonté Dieux lui sauva le corps et l’ame, comme ouy avez. Et pour ce toute bonne femme doit tousjours espérer en Dieu, et, pour l’amour de lui et l’amour de son mariage, soy garder -193- de perilz et ne de pechier si grandement ne si vilment comme enffraindre son serement et sa bonne loy.
Chappitre IIIIXXXIXe.
Je vous diray un autre exemple du nouvel Testament. C’est de sainte Elisabeth, mère saint Jehan Baptiste. Ceste servoit premierement Dieu et puis son seigneur. Elle le doubtoit sur toutes femmes, et, se il vensist de hors et il lui feust riens mesavenu en l’ostel, elle le celast et le feit celer jusques à ce qu’elle veist bien son point, et puis lui deyst si bel et si atrempeement à son seigneur que jamais ne s’en deust corroucier. Elle convoitoit touz jours la paiz et la joie de son seigneur, et ainsi le doit toute bonne femme faire. Ceste sainte dame amoit et craingnoit Dieu et portoit bonne foy à son seigneur. Et pour ce Dieu lui donna saint Jehan Baptiste. Et ce fust bon guerredon ; car femme qui ayme et craint Dieu et se garde de pechiez et se tient nettement. Dieu le lui guerredonne à vie, et après la mort à cent doubles, comme il fist à ceste sainte dame à qui il donna biens celestieulx et biens terriens à puissance, comme il fait à ses amis qui se tiennent nettement en leur mariaige et qui ont bonne esperance en lui, si comme sainte Susanne, comme vous avez oy.
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Chappitre Ce.
L’autre exemple est de la Magdelaine, qui espurja et nectoya ses pechiez par ses lermes, quant elle lava les piés à Jhesucrist de ses lermes et puis les essuya de ses cheveulx. Celle bonne dame plouroit ses pechiez et requeroit pardon de ses pechiez. Ce estoit amour de Dieu et crainte de son meffait. Et ainsi par celluy exemple le devons nous faire. Car nous devons plourer nos meffaitz et noz pechiez, et avoir pitié et vergoingne de les avoir faiz, et venir à confession humblement, et les regehir, et les dire et les racompter aussi villainement et ordement comme l’en les a faiz, sans rien polir ne celer. Car la crainte de Dieu et le hardement que l’en emprant de dire son meffait et son péchié, celle vergoingne et celle honte que l’en a de le dire est une grant partie du pardon et allegance du mesfait, et Dieu, qui voit l’umilité et la reppentance, se esmuet en pitié et eslargist sa misericorde et pardonne, comme il fist à saincte Marie Magdelaine, à qui il pardonna ses pechiez pour la grant contriccion et repentance qu’elle en eust. -195- Une aultre rayson est pour quoy la benoiste Magdelaine doit estre louée ; ce fust pour ce que elle amoit Dieu et craingnoit merveilleusement ardamment. Car pour les grans miracles qu’elle veoit qu’il faisoit, et que il avoit resuscité son propre frère le ladre, qui bien lui avoit dist merveilles de par delà, et les paines, et elle veoit que il esconvenoit qu’elle mourist et qu’elle fust par delà punye de ses pechiés. Quant elle pensoit en telle chose, elle estoit toute esperdue et paoureuse. Et pour ce fust elle plus de xx. ans en un desert, en boys et en buissons, et, quant elle eust tant jeuné qu’elle ne le povoit plus souffrir selon nature, lors nostre seigneur la regarda en pitié et li envoioit chascun jour par un ange le pain du ciel, dont elle fust rassasiée jusques en la fin. Et pour ce a cy bon exemple conment il fait bon plourer les pechiés et soy confesser souvent et faire jeunes et abstinences, et amer Dieu et craindre, comme fist celle bonne Magdalaine, qui ama tant Dieu et ploura ses pechiez sur ses piez et des peulx les essuya, et souffry tant de mal et de malaise ès desers et ès buissons, que Dieux si la conforta par son ange, qui chascun jour li apportoit du pain du ciel. Et aussi fera-il à toutes bonnes femmes, et à touz ceulx qui de vray cuer ploureront leurs pechiez, et qui aymeront Dieu et feront bonnes jeunes et bonnes abstinences, comme il fist à ceste bonne femme.
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Chappitre CIe.
Un autre exemple je vous diray de ij. bonnes dames qui estoient femmes de mescreans, dont l’une estoit femme au seneschal du roy Herodes. Celles bonnes dames suivoyent nostre seigneur et lui administroient son vivre. Si est bon exemple que toute bonne femme, bien qu’elle ait divers ou mauvais seigneur, ne doit pas pour tant laissier à servir Dieu et lui obeir, ainçois doit estre trop plus humble et devote pour empetrer grace de Dieu pour elle et pour son mary. Car le bien que elle fait amendrist le mal de lui et adoulcist l’ire de Dieu et leur garde leur bien et leur chevance. Car le bien que elle fait soubzporte son mal, si comme il est contenu ou livre de la vie des pères, là où il parle d’un mal homme et tirant, qui par iij. foiz fust sauvé de villaine mort pour la bonté de sa femme, dont il advint que, quant elle fut morte, il n’avoit plus qui priast Dieu pour lui et par ses grans pechiez, le roy du pays le fist mourir de male mort. Et pour ce est bonne chose et necessaire à mauvais homme d’avoir bonne femme et de sainte vie, et, de tant comme la femme sent son seigneur plus divers ou pecheur ou de male conscience, de tant a-elle plus grant mestier de faire plus grans abstinences et plus de biens pour Dieu. Car, se l’un ne portoit l’autre, c’est-à-dire -197- le bien le mal, tout besilleroit ou yroit à perdicion. Et encores vous dis-je que l’obeyssance de Dieu et la crainte fut premier establie que mariaige ; car l’en doit premier obeir au createur, qui les a faiz à sa sainte ymaige et qui leur puet donner grace d’estre sauvés ou perdus. Et ainsi la loy commande que l’en ne doit pas tant obeir au corps ne estre en l’obeyssance de son seigneur que l’en ne obeisse premier au prouffit de l’ame, qui est un bien pardurable. Et dit la glose que toute bonne femme doit premièrement tirer au bien de l’ame de son seigneur et puis au service du corps. Car le bien de l’ame n’a pareil, et, se l’ame a bien, elle et ses enffans jouyront paisiblement et beneurement des biens du mort, et, se l’ame a tribulacion, aussi au contraire. Et ceste chose est vraye et esprouvée, comme il est contenu en plusieurs lieus en la sainte escripture, et pour ce fait bien adviser son seigneur de faire bien et le destourber de faire mal à son povoir. Car ainsi le doit faire toute bonne femme.
Chappitre CIIe.
L’autre exemple est de Marthe la suer à la Magdelaine. Celle bonne dame estoit touz jours coustumière de herbergier les prophètes et les sergens de Dieu qui preschoient et enseignoient la loy, et estoit moult grant -198- aumosnière ès povres, et, pour la sainte vie d’elle, vint le doulx Jhesucrist soy herbergier chiez elle. Celle fust qui se plaigny à Jhesucrist que sa suer Marie ne lui venoit point aydier à faire et appareiller à mengier ; mais nostre seigneur lui respondit moult humblement et dist que Marie avoit esleu le meilleur service. Ce estoit pour ce que elle plouroit ses pechiez et cryoit mercy en son cuer humblement. Et le doulz roy lui dist verité, car il n’est service que Dieu ayme tant comme crier mercy et soy repentir de son pechié et se retourner de son meffait. Ceste sainte Marthe fist bon service à osteller Jhesucrist et ses appostres et les repestre de viandes, de si grant devocion et de franc cuer comme elle le faisoit ; car Dieu fit moult de miracles pour elle en sa vie et vint en son trespassement la conforter et querre la saincte ame d’elle. Ce fust bon guerredon. Si doit toute bonne femme y prendre bonne exemple, et comment il fait bon herbergier les sergens de Dieu, les prescheurs et ceulx qui enseignent la foy et le bien du mal, et aussi herbergier les pelerins et les povres de Dieu, si comme Dieu le tesmoingne en la sainte euvangille, qui dist qu’il demandera au grant jour espoventable, c’est au jour du jugement, comment l’en aura visité les malades et reçeu et herbergié ses povres au nom de lui, et conviendra rendre compte des habondances des biens terriens que il aura donnez et comment l’en les aura employés et departis du plus au moins, c’est-à-dire aux povres souffreteux. Et pour ce est moult nobles vertus de herbergier les pelerins, les povres et les sergens de Dieu ; car tout bien si en puet venir, car Dieu paye le grand escot et rent à cent -199- doubles, dont il dist en l’euvangille : Qui reçoit les prophètes et les prescheurs et les povres, il reçoit Dieu lui-mesme ; car ce sont les messagiers qui portent et ennuncent verité.
Chappitre CIIIe.
L’autre exemple est des bonnes dames qui plouroient après nostre seigneur quant il portoit la croiz sur ses epaules pour y transir la mort de sa voulenté pour nos pecheurs raimbre. Celles bonnes dames estoient de bonne vie et avoient les cuers doulx et piteux, et Dieu se tourna devers elle et les conforta en disant : « Mes filles, ne plourez pas sur moy, mais pleurez sur les douleurs qui à venir sont », et leur monstra le mal qui puis avint au pays, si comme vous le trouverez en livre que j’ay fait à voz frères. Celles bonnes dames, qui eurent pitié de la douleur que les en faisoit souffrir à nostre seigneur, ne servirent par leurs lermes ne leurs pleurs. Car depuis Dieu les en guerredonna moult haultement. Et pour ce a cy bon exemple comment toute bonne femme doit avoir pitié du mal que l’en fait aux povres gens qui sont servans et ouailles de Dieu et representans sa personne, si comme il dit en l’euvangile : Qui a pitié du povre il a pitié de lui, et le bien que l’en lui fait il est fait à lui. Et -200- encore dist plus, que les piteables auront mercy, c’est assavoir que il aura mercy d’eulx, dont le saige dit que femme de sa nature doit estre plus doulce et plus piteuse que l’omme. Car l’omme doit estre plus dur et de plus hault couraige. Et pour ce celles qui n’ont le cuer doux et piteux sont hommaux, c’est-à-dire qu’il y a trop de l’omme. Encore le saige dist en la sapience que femme de bonne nature ne doit point estre chiche de ce de quoy elle a grant marchié, c’est assavoir de lerme de humble cuer qui a pitié de ses povres parens à qui elle voit avoir besoing et de ses povres voisins, si comme avoit une bonne dame qui fust comtesse d’Anjou, laquelle fonda l’abbaye de Bourgueil et y est enterrée, et dit l’en que elle est encores en sanc et en char. Celle bonne dame, là où elle savoit de ses povres parens qui ne povoient honestement avoir leur estat, elle leur donnoit, et marioit ses povres parentes et leur faisoit moult de bien. Après, là où elle savoit povres gentilz femmes pucelles qui estoient de bonne renommée, elle les avançoit et les marioit ; elle faisoit enquerre les povres mesnaigers par les paroisses, et leur donnoit ; elle avoit pitié des povres femmes en gésines et les aloit veoir et repestre ; elle avoit ses fisiciens et cirurgiens à guérir pour Dieu toute manière de gens, et par espécial les povres qui ne avoient de quoi payer. Elle avoit pitié du mehaing du povre, dont l’en dit que, quant l’en li bailloit son livre ou ses gans, que aucune foiz ilz se tenoient en l’air tout par eux et moult d’autres signes que Dieu demonstroit pour elle. Et pour ce toute bonne femme y doit prendre bon exemple et ainsi avoir pitié l’un de -201- l’autre, et penser que Dieu donne les biens pour l’en recongnoistre et avoir pitié des povres. Sy vous laisse de ces bonnes dames et de cette matière ; car je y reviendray arrière et vous parleray d’un autre exemple.
Chappitre CIIIIe.
Mes chières filles, gardez-vous bien que le péchié de yre ne vous preigne ; car Dieux dit en la sainte euvangille que l’en doit pardonner à ceulx qui ont mesprins et meffait, si humblement que, se on est feru de son prouchain, c’est de son frère crestien, sur une joe, il doit tendre l’autre joe pour soy laissier referir, avant que soy laissier revengier ; car prendre vengence n’est nulle merite, mais est le contraire de la vie de l’ame. Encores dist nostre seigneur que, se l’en a nulle rancune à nullui et l’en viengne offrir à son autel, que l’en se retourne et s’accorde à son prouchain et lui pardonner, car après le pardon puet venir seurement faire son offrande, et Dieu le recevra ; car il ne vieult avoir offrande ne ouir oroyson de homme ne de femme qui soit en péchié de ire ne en courroux, comment Dieu, qui fist la paternostre, qui dist en adourant Dieu le père en entencion du pueple que Dieu pardonnast comme il pardonnoit, c’est quand on dit : « Et dimitte nobis debita nostra, etc. », -202- dont il advient, si comme dient les grans clers, que ceulx qui haient autruy et sont en rancune et ilz dient la paternostre, ilz la dient plus contre eulx que pour eulx. Et sur ce fait, je vous diray un exemple d’une grant bourgoise, comme j’ay oy raconter à un preschement. Celle bourgoise estoit moult riche, prisée et charitable, et avoit moult de grans signes d’estre bonne crestienne. Et tant advint que elle fut au lit de la mort ; sy vint son curé, qui à merveilles estoit saint homme et preudomme, et si la confessa, et, quant vint sur le péchié de yre, il lui dist qu’elle pardonnast de bon cuer à tous ceulz qui meffait lui avoyent, et, quant à cellui article, elle respondy que une femme sa voisine lui avoit tant meffait que elle ne lui pourroit pardonner de bon cuer. Lors le sainct homme la commença à traire de belles paroles et de beaux exemples, comment Jhesucrist avoit pardonné sa mort moult humblement, et aussi lui compta comment le filz d’un chevalier, à qui l’en avoit occis son père, que un saint hermite confessoit, et, quant vint à cellui de yre, il dist comment il ne pourroit pardonner à cellui qui avoit occis son père, et le preudomme lui monstra comment Dieu avoit pardonné et moult d’autres exemples moult bons et nottables, et tant lui dist et monstra que cellui enffant pardonna la mort de son père de bon cuer, tellement que, quant l’enffant revint s’agenoullier devant le crucefiz, le crucefiz s’inclina vers lui, et dist une voiz : « Pour ce que tu as pardonné humblement et pour l’amour de moy, je te pardonne tous tes meffaiz et auras grace de parvenir à moy en la celestielle joye. » Et ainsi monstra cellui curé ceste exemple -203- et pluseurs autres à la bourgoise ; mais oncques, pour exemple ne pour admonestement que il lui deist, elle ne lui voult pardonner de bon cuer, ains morut en cellui estat, dont il advint que, en celle nuittée, il sembloit par advision à cellui chapellain, qui confessé l’avoit, que il véoit l’ennemi qui emportoit l’ame, et véoit un gros crapaut sur le cuer d’elle. Et, quant vint au matin, l’en lui dist qu’elle estoit morte, et vindrent ses enffans et ses parens pour lui parler de son enterrement, et qu’elle feust mise en l’eglise. Mais le chappelain respondit qu’elle n’y seroit point mise ne enterrée en terre benoiste, pour ce qu’elle n’avoit oncques voulu pardonner à sa voisine, et qu’elle estoit morte en pechié mortel, dont les amis d’elle estrivèrent moult à lui et le menacièrent, et lors il leur dit : « Beaulx seigneurs, faites-la ouvrir et vous trouverez un gros crapaut dedens son cuer, et, se il n’est ainsi comme je dy, je vueil que elle soit mise en terre benoiste. » Lors ils parlèrent ensemble et ne s’en firent que bourder et dirent que ce ne povoit estre, et que hardiement elle fust ouverte pour eulx mieulx mocquier de lui et pour le approuver mençongier. Lors ils la firent ouvrir et trouvèrent un gros crapaut sur son cuer moult hideux. Lors le saint chappellain prinst l’estole et la croiz et conjura cellui crapaut, et lui demanda pourquoy il estoit là et qui il estoit. Et cellui crapaut respondist que « il estoit un ennemy qui par l’espace de xxv ans l’avoit temptée, et par especial un pechié où il avoit trop plus trouvé son avantaige, c’estoit un pechié de yre et de courroux ; car dès cellui temps avoit si grant jalousie et si grant -204- courroux avecques une sienne voisine que jamais à nul jour ne lui pardonnast ; car je y mis telle yre que jamais ne la regardast de bon oeil, et l’autre jour, quant tu la confessoies, je estoie sur son cuer à iiij piez et le tenoie si enclavé et eschauffé du pechié de yre qu’elle ne povoit avoir nulle voulenté de pardonner, et toutevoies fut-il heure que je eus paour que tu ne la me tollisses, et que tu la convertisses par tes preschements, et toutesfoiz je en euz la victoire tellement qu’elle est nostre et en nostre seignourie à touz jours mais. » Et, quant tous ouirent dire ces parolles, sy furent moult esmerveillez et n’osèrent plus parler de la mettre en terre benoiste, et n’y fust point mise. Sy a cy moult belle exemple comment l’en doit pardonner l’un à l’autre ; car qui ne pardonne de bon cuer, Dieu à paines le pardonra, et en pourroit bien prendre comme il print à la bourgoise dont ouy avez.
Chappitre CVe.
Dont je vous diray un exemple. Il fust un chevalier moult bon homme et preudomme qui aloit aux voyages oultre mer et ailleurs. Sy avoit ij. niepces qu’il avoit nouries et mariés, lesquelles il amoit moult à merveilles. Sy leur achepta en son venant de son voyaige -205- à chascune une bonne robe courte et de bonnes pennes à les cointier. Sy arriva bien tost chiez l’une de elles et hucha et demanda sa niepce, et lui fist dire qu’il la venoit veoir. Celle se bouta en sa chambre et se fist enfermer pour nettoier sa robe et pour soy cointoyer, et luy manda qu’elle vendroit tantost à lui. Le chevalier attendist une pièce, et tant que il li ennoya et dist : « Ma niepce ne vendra pas. » Et ilz lui respondirent que elle vendroit tantost et qu’il ne lui ennuiast, et ainsi lui manda ; dont le chevalier eust desdain de quoy elle tardoit tant, pour ce que il y avoit si longtemps que elle ne l’avoit veu. Sy monta sur son cheval et s’en ala sans la veoir, et vint veoir son autre niepce, et, dès ce que il hucha et que celle sceust que ce estoit son oncle, qui loing temps avoit esté hors, celle par son esbat se estoit prise à faire pain de fourment et avoit les mains toutes pasteuses ; mais en l’estat où elle estoit saillist au dehors, les bras tenduz, et lui dist : « Mon très chier seigneur et oncle, en l’estat où je ouy nouvelles de vous je vous sui venue vous veoir. Si me le pardonnez ; car la grant joye que j’ay de vostre venue le m’a fait faire. » Le chevalier resgarda la manière et en eut grant joye, et l’ama et prisa moult plus que l’autre, et lui donna les ij. robes que il avoit achetées pour elle et pour sa suer. Et ainsi ceste qui vint lieement en l’estat où elle estoit au devant de son oncle, elle gaingna les ij. paires de robes, et l’autre qui tarda pour soy cointier les perdy. Et pour ce celle qui vint au devant de son oncle en l’estat où elle estoit, quant elle l’eust mené en sa chambre, elle s’ala cointoier, et puis lui dist : « Mon -206- seigneur mon oncle, je me suis alée cointoier pour vous servir plus honnestement. » Et ainsi elle gaingna la grace et l’amour de son seigneur oncle et l’autre la perdist. Si a cy bon exemple comment l’en doit venir lieement en l’estat où l’en est en la venue de ses amis et de ses parens pour leur monstrer plus grant amour. Et aussi je vouldroye que vous sceussiez comment une baronnesse moult bonne dame ne se vouloit vestir par chascun jour ne d’atour, ne de bonnes robes. Ses gens lui disoient : « Madame, comment ne vous tenez-vous plus cointe et mieulx parée ? » Et elle leur respondit : « Se je me tenoie chascun jour cointe et parée, de combien pourroye-je amender ès festes, et aussi quant les grans seigneurs me vendroient veoir ? car quant je me vouldroye bien cointier, je vous semble plus belle qu’à chascun jour. » Sy ne prise riens celle qui ne se scet amender quant il en est lieu et temps ; car chose commune n’est point prisée.
Chappitre CVIe.
Je vouldroie que vous sceussiez l’exemple d’un chevalier qui se combaty pour une pucelle. Il fust en la court d’un grant seigneur un faulx chevalier qui pria de folle amour une pucelle ; mais elle n’en voulst riens faire -207- pour lui, pour don ne pour promesse, ains voulst garder sa chair nettement. Et quant cellui vit ce, si lui dist que il luy nuyroit. Si enpoisonna une pomme et la luy bailla pour donner au filz de leans, qu’elle portoit entre ses bras, dont elle la lui donna et en mourut le filz. Si dist le faulx chevalier que la pucelle avoit eu salaire des hoirs de l’enffant pour le faire mourir. Sy fust la pucelle mise en la chemise pour estre getiée au feu ; si plouroit et se guermentoit à Dieu comment elle n’y avoit coulpe et que ce estoit le faulx chevallier qui la pomme lui avoit baillée. Mais il le deffendit, et elle ne trouvoit qui pour le combatre se voulsist offrir, tant estoit fort et redoubté en armes. Dont il advint que Dieu, qui pas ne oublie voulentiers la clameur du juste, si eust pitié de elle, et, comme il lui pleust, il advint que un chevalier, qui avoit nom Patrides, qui moult estoit franc chevalier et piteux, arriva ainsi comme l’on vouloit alumer le feu pour l’ardoir. Le chevalier, qui regarda la pucelle qui plouroit et se doulousoit à Dieu, en eust pitié et lui demanda la verité du fait ; et celle li dist comment il en estoit alé de point en point, et aussi le plus tesmoingnèrent pour elle. Lors le bon chevalier fust esmeu en pitié et getta son gaige pour la deffendre contre cellui faulx chevalier. Sy fust la bataille forte et moult dure, et en la fin le faulx chevalier fut desconfit et la demoiselle sauvée, tant qu’il congneust la trayson, et fut faicte justice de lui. Si advint que le bon chevalier eust v. plaies mortelles, et, quant il fust desarmé, il envoya sa chemise, qui estoit percée en v. lieux, à la pucelle, laquelle garda la chemise toute sa vie et -208- prioit chascun jour pour le chevalier qui telle douleur avoit soufferte pour elle. Et ainsi pour pitié et franchise se combatist le gentil chevalier, qui en eut v. plaies mortels, tout aussi comme fist le doulx Jhesucrist qui se combatit pour la pitié que il avoit de nous et de l’umain lignage qu’il lui faisoit pitié de le veoir ès tenèbres d’enffer, et pour ce en souffrist la bataille moult cruelle et moult penible ou fust de l’arbre de la sainte croix, et fust percée sa chemise en v. lieux, ce furent ses v. douleuses plaies qu’il receust de son debonnaire plaisir et franc cueur pour la pitié que nous lui faisons. Et aussi doit tout homme et femme avoir pitié des douleurs et des misères de ses parens, de ses voysins et des povres, tout aussi comme eust le bon chevalier de la pucelle, et en pleurer tendrement, comme firent les bonnes dames qui plorerent après le doulx Jhesucrist quant il portoit la croix pour y estre crucefié et mis à mort pour nos pechiez.
Chappitre CVIIe.
L’autre exemple est des iij. Maries qui vindrent le bien matin de Pasques pour cuidier oindre nostre Seigneur. Elles avoient fait faire moult precieux oingnemens et de grans coustz, et avoient grant devocion de servir Dieu à vie et à mort, ardans toutes en l’amour de -209- Dieu. Et là elles trouvèrent l’ange qui leur annonça et dist qu’il estoit resuscité, dont elles eurent moult grant joye, et de la grant joye que elles en orent elles coururent le dire aux appostres. Cestes bonnes dames veillèrent moult pour faire fère les precieux oingnements, et furent levées dès l’aube du jour pour cuidier venir faire leur service. Et pour ce a cy bon exemple comment toutes bonnes femmes, soyent mariées ou de religion, doivent estre curieuses et diligens, et esveillées ou service de Dieu, celles qui faire le pueent ; car elles en seront reguerdonnées à cent doubles, comme furent les troix bonnes dames, que Dieux a moult essaucées. L’en list ès croniques de Romme que, quant l’empereur Neron et autres tyrans de la sainte foy faisoient martirer les sains et les saintes, comme il est contenu en leurs legendes, que les bonnes dames de la ville embloient les sains corps, et les ensevelissoient et les enterroient, et leur faisoient le plus de bien et d’amour qu’ilz povoient. Après celles aloient oïr les matines et les messes et le service de Dieu, dont l’en trouve que à cellui temps eust moult de charitables et saintes femmes à Romme et ailleurs, dont je pense que aujourdui la charité et le saint service des femmes est bien cler semé en cest monde, et en y a moult qui ont plus le cuer au siècle pour obeir et plaire au monde que à Dieu ; car elles sont bien esveillées pour elles cointier, pour avoir le plus des regars des musars, dont, se elles meissent aussy grant paine de venir oïr le service de Dieu et dire devotement, sans penser ailleurs, leurs heures, comme elles mettent grant paine à elles pignier et en leurs cointises, et à escouter -210- les jangles des folz, elles feissent le meilleur ; car l’un service est rendu à cent doubles, comme Dieu le dit de sa sainte bouche, et l’autre service, qui est à sa desplaisance, c’est le delit du corps, est pugni à cent doubles tout au contraire.
Chappitre CVIIIe.
Pour ce dit le saige en un prouverbe que, quant les dames furent levées, pingnées, adournées et mirées, les croix et les processions s’en furent alées et les messes chantées ; c’est tout aussy comme Dieu parla en l’euvangille des cinq saintes vierges qui furent curieuses et esveillées et garnies de huille et de lumière en leurs lampes, et, quant l’espoux fust venu, elles entrèrent avecques lui en la grant joye du chastel et trouvèrent les portes ouvertes. Mais les autres cinq vierges, qui se estoient endormies et ne s’estoient point garnies de huille et de luminaire en leurs lampes, quant elles vindrent, si trouvèrent les portes fermées, et quant elles demandèrent de l’uille, l’en leur dist : Nescio vos, c’est-à-dire que elles n’en auroient point, car elles estoient venues trop tart. Dont je doubte que à cest exemple il en y a par le monde de moult endormies et pareceuses du service de Dieu fayre et oïr, et desgarnies de ce qui appartient à leur sauvement, c’est de faire bonnes et saintes -211- œuvres et de la grace de Dieu avoir. Et me doubte que se elles se tardent à elles amender devant leur fin, de laquelle fin elles ne scevent l’eure ne le jour, que elles trouveront la porte close. Et l’en leur dira comme l’en fist aux cinq foles qui se estoient endormies : Nescio vos. Lors ne sera mie temps de soy repentir, ains seront moult esbahies quant elles se verront departies de Dieu et des bonnes, et mener ou chemin d’enffer en l’orde compaignie et en la cruelle paine et doleur continuelle, qui jamais n’ara fin ne joye, ne repos, helas ! tant seront chier vendues les cointises, les foles plaisances et les faulx delis dont l’en aura usé pour plaire à la folle chair et au monde. Ainsi et par celle voye yront les mauvaises femmes, et les bonnes au contraire ; car elles yront avec l’espoux, c’est avecques Dieu leur createur, et trouveront la porte ouverte pour entrer en la grant joye, pour ce que elles auront estez esveillées et curieuses à leurs lampes et à leurs luminaires pour attendre l’eure de l’espoux, c’est-à-dire que elles auront fait les saintes œuvres et auront veillé pour attendre l’eure de la mort, et ne se seront pas endormies en pechié ne en ordure, ainçois se seront tenues nettes et souvent confessées et gardées de pechié à leur povoir, et auront amé Dieu et craint ; car qui l’aime et craint, il se garde nettement et het pechié à faire ; car pechié est le desplaisir de Dieu. Cestes cy seront les bonnes de quoy Dieu parla en l’euvangille, comme ouy avez.
-212-
Chappitre CIXe.
Après vous parleray de une qui n’a point de pareille, c’est de la benoiste glorieuse vierge Marye, mère du sauveur du monde. Ceste cy est sy haulte exemplaire que nul ne la puest descripre, tant y a de bien et de bonté, et la haultesse de son chier filz l’exaulce et esliève son bien de jour en jour. Car par la renommée du filz croist la renommée de la mère. Ceste doulce vierge honnoura plus et craingnist son filz que nulle autre mère, pour ce que elle sçavoit bien dont il estoit venu ; elle fust chambre et temple de Dieu où furent faictes les espousailles de la deité et de l’umanité, qui apporta la vie et le saint sauvement du monde. Dieux voulst que elle espousast le saint homme Joseph, qui estoit vieulx et preudomme ; car Dieu voulst naistre soubz umbre de mariage pour obeir à la loy qui lors couroit, pour eschever les paroles du monde, et pour luy bailler compaignie à la gouverner, et pour la mener en Egypte, dont il avint que, quant Joseph apperceust que elle feust grosse, il la cuida laissier, et lui dist que il savoit bien que ce n’estoit pas de lui. Mais en celle nuit Nostre Seigneur lui envoya son saint ange visiblement, qui lui dist que il ne se esmaiast pas et que la groisse estoit du Saint-Esperit, pour le sauvement du monde, et lors il en eust grant joye et se -213- pena trop plus de la honnourer que devant ; car il savoit bien par le dist des prophètes que le filz de Dieu devoit venir en une vierge qui auroit nom Marie. Sy en mercya Dieu moult humblement de la grant honneur qu’il lui avoit faite de lui avoir daingné donner sa doulce mère à la gouverner et de la veoir à ses yeulx. Et aussy la bonne vierge lui portoit honneur et obeissance, dont l’escripture l’en loe moult. Après elle est loée de ce que l’ange la trouva seule ou temple, à genoulx en prières et en oroysons, et ainsi doit estre toute bonne dame en devocion et ou service de Dieu. Après la loe l’escripture de ce qu’elle se craignoit, et en ot un pou de paour quant l’ange la saluoit, et demanda comment ce pourroit estre qu’elle conceust enffant, elle qui oncques n’avoit congneu homme charnellement, et li ange l’asseura et luy dist que elle n’eust pas paour et ne se esmerveillast pas ; car il seroit du Saint-Esperit, et que nulle chose n’estoit impossible à Dieu, c’estoit à dire que Dieu povoit faire tout à son plaisir ; et mesmement sa cousine Elizabeth estoit enceinte bien avoit vj. mois, qui estoit brahaigne et passé aage. Et lors, quant l’ange lui eut ce dist, elle se asseura et lui dist : « Veez-cy la chambrière de Dieu ; soit fait selon ta parolle. » Car elle voulst premierement sçavoir comment ce seroit. Mais ainsi ne fist mie Eve, car elle estoit de trop legier couraige, comme font aujourdui maintes simples femmes qui croyent de legier les folz, dont depuis elles viennent à la folie. Elles ne enquièrent mie ne ne regardent à la fin où elles en vendront, comme fist la glorieuse vierge Marie, qui enquist à l’ange la fin du fait que il luy anonçoit, et en fust paoureuse, -214- et ainsi doivent faire les bonnes femmes et les bonnes dames, quant l’en leur parle de juennesse ou de chose qui puisse venir au deshonneur de elles.
Chappitre CXe.
Après la loue l’escripture de son humilité ; car, quant l’ange lui dist que elle seroit mère du filz de Dieu, duquel le règne n’auroit fin, elle ne s’en orgueillist pas, ainçois dist que elle estoit la chamberière de Dieu et que il en feust à son plaisir. Sy pleust moult à Dieu, tant que il se humilia encore plus comme descendre du ciel et daingnier prendre en son ventre virginal humanité et devenir enffant. Pour ce a cy bon exemple comment toute femme se doit humilier vers Dieu et vers son seigneur et vers le monde. Car Dieu dist : Qui plus se humiliera et se tendra moindre, sera plus hault essaucié et une foiz honnouré. Et pour certain Dieu et les anges ayment plus humilité que vertus qui soit. Car humilité se combast contre orgueil, qui est le pechié que Dieu plus het, dont les mauvais anges cheirent du ciel. Et pour ce doit toute noble femme soy humilier et estre courtoise au grant et au petit, et prendre exemple à la vierge Marie, qui s’appella chamberière de Dieu. Après l’escripture la loe de sa courtoisie et de sa bonne nature, quant elle ala visiter sa cousine sainte Elizabeth et la vouloit -215- servir ; et l’enfant de la sainte, ce fust saint Jehan Baptiste, s’esjoist ou ventre de sa mère tant que, par la grace du saint esprit, sainte Elisabeth se escria que beneist feust son ventre et que elle estoit benoiste sur toutes femmes, et que ce n’estoit pas rayson que la mère du filz de Dieu vensist veoir si povre femme comme elle. Ainsi se humilièrent l’une cousine envers l’autre. Et pour ce a cy bonne exemple conment les unes parentes, cousines et voisines, doivent visiter l’une l’autre en leurs gesines et leurs maladies, et se humilier les unes envers les autres, comme firent ces ij. saintes dames, comme oy avez, et non pas dire comme font aucunes, qui, de leur grant cuer felon et orgueilleux, disent : Avoy, je suis la plus noble, la plus gentil femme ou la plus grant maistresce ; elle me vendra la première veoir. Ou auront envie d’aler les premières et avoir le plus de la vaine gloire du monde ; tant que plusieurs en ont tous les cuers enfflés d’envye et d’orgueil par telle guise que, quant elles ne sont mises les premières aux festes et aux assemblées, elles en perdent le mengier et le boire, tant elles sont envieuses et despiteuses, ha, Dieux ! tant elles pensent peu en la courtoysie et humilité de ces ij. saintes dames et en ce que Dieu en dist en l’Euvangille, comme ouy avez, que les plus humbles seront les plus hault exaulciez. Helas, comme celles foles envies de aler les premières et de elles prisier le plus leur seront une foys reprouchiées et chières vendues, et sy en rendront compte. Dont la bonne royne Hester en parle, disant que, de tant comme une femme est de plus grant lieu ou greigneur maistresce, elle doit -216- estre plus humble et plus courtoise, et de tant emporte elle plus de aventaige, et d’honneur et de louenge de touz ; car les petiz se tiennent honorez quant les grans leur font bonne chière, et que ilz parlent bel à eulx, et en rapportent plus grans louenges et s’en louent à tous, et pour ce n’est-il si humble ne sy gracieuse vertus à toute bonne haulte dame ne jeune femme comme de estre humble et courtoise au grant et au petit et soy humilier et visiter les povres et leur parens et lignaiges, comme la royne du ciel ala visiter sa cousine et comme se humilièrent l’un envers l’autre.
Chappitre CXIe.
Après l’escripture la loue en ce qu’elle fut en Galilée en nopces et eust pitié pour ce que le vin y failly, et requist à son filz, aussi comme en soy complaignant que le vin estoit failly, et le doulx Jhesucrist eut pitié de la pitié de sa mère, si mua l’eaue en vin. Et pour ce a cy bon exemple comment toute bonne dame et bonne femme doit avoir pitié de ses parens et de ses povres voisins et leur aidier et secourir de ce que elle pourra avoir ; car c’est une grant charité et une franche nature. Après la doulce vierge adira son filz, lequel estoit alé disputer et preschier contre les saiges de la loy. Sy cuida la bonne dame que il feust monté ou ciel -217- et que il s’en feust alé. Sy le queroit partout, et tant quist que elle le trouva ; et lui dist : « Beau filz, voz parens et moy avions grant paours de vous avoir adiré. » Et il respondit que ses parens estoient ceulx qui faisoient la voulenté de Dieu son père. Sy estoient les juifs et les saiges touz esbahis du grant sens que ilz trouvoient en lui, qui avoit si petit aage. Après cette douleur qu’elle cuida avoir perdu son filz, elle en eut une autre grant. Car, quant ilz le offrirent au temple, saint Syméon, qui moult l’avoit desiré à veoir et avoit touz jours prié Dieu que il ne mourust point jusques à ce que il eust veu à ses yeulx le filz de Dieu, et lors, par la grace du saint Esperit, il congnust Dieu et dist à haulte voix : « Vees cy la lumière et le sauvement du monde », et dist à sa mère que une foiz il lui seroit advis que un glaive lui perceroit l’ame et le cuer, c’estoit à dire que elle verroit sa sainte passion souffrir en la croix. Et pour ce a cy bon exemple à toute bonne dame et bonne femme que, quant la royne du ciel et du monde avoit douleur en ce monde, que nulle ne se doit esmayer ne esmerveiller si elle sueffre aucune mesaise, et se il lui viennent douleurs et tribulacions, puisque si haulte dame en souffry en ce chaistif monde. Et doncques en devons bien souffrir et avoir pacience, nous qui sommes povres pecheurs et pecheresses et qui desservons plus mal que bien, selon noz merites, et ne devons par rayson estre espargniez d’avoir aucunes foiz douleur et tribulacion, quant il ne espargna pas sa doulce mère.
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Chappitre CXIIe.
Après les bonnes dames doivent estre piteuses et charitables comme la sainte dame qui donnoit pour Dieu et pour pitié le plus de ce qu’elle avoit, et à l’exemple de elle fist aussi sainte Elizabeth, sainte Luce, sainte Cecille et plusieurs aultres sainctes dames, qui estoient sy charitables que elles donnoient le plus de leurs revenues aux povres et aux mesaisiez, si comme il est contenu en leurs legendes, dont je vouldroye que vous sceussiez un exemple d’une bonne dame de Romme qui estoit à la messe ; elle resgarda delez elle une povre femme qui trembloit de froit par un fort yver ; la bonne dame en eut pitié et se leva de son siége, et appella privéement la povre femme et la mena en son hostel qui estoit près et lui donna son peliçon. Sy advint tel miracle que le prestre ne pouvoit sonner mot ne parler jusques à tant que la bonne dame feust revenue, et dès ce que elle feust revenue, la voix lui revint, et vit puis par advision la cause et comment Dieu se louoit à ses anges du don que la bonne dame lui fist. Sy a cy bon exemple à toute bonne dame d’estre charitable et aumosnière, et non pas laissier avoir froit, fain ne mesaise à ses povres voysins ne voisines de tout ce qu’elles pourront avoir mestier, selon leur povoir. Car c’est grant -219- franchise de bonne nature et une chose qui à merveilles plaist à Dieu. Or vous ay-je parlé de la benoite vierge glorieuse, à qui nul ne s’appareille, et vous en ay pou parlé ; car trop seroit longue la matière à parler de tous ses faiz. Sy vous lairay de celle, quant en present, et vous diray des bonnes dames veuves de Romme, lesquelles, quant elles se tenoient seintement et nettement en leur vefveté, l’en les couronnoit par honneur en singne de chasteté. Sy seroit longue chose à vous racompter la bonté et la charité de elles et de leurs bonnes meurs. Sy vous ay parlé premièrement des bonnes dames qui furent avant l’advenement de nostre seigneur Jhesucrist, si comme il a esté trouvé en la Bible. Après je vous ay raconté d’aucunes bonnes dames depuis le nouvel Testament, c’est assavoir depuis que Dieu vint en la glorieuse vierge Marie, et aussi comment la sainte escripture loue les bonnes dames de cellui temps. Il est raisons que nous louons aucunes de ce temps où nous sommes ; si je vous en diray de chascun estat un ou ij. pour monstrer exemple aux autres ; car l’en ne doit pas celer les biens et l’onneur d’icelles, ne nulle bonne dame ne doit avoir desdaing, fors soy esjouir du bien et du bon racompter des bonnes dames. Premièrement je y mettray la royne Jehanne de France.
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Chappitre CXIIIe.
La bonne royne Jehanne de France, qui n’a gaires qu’elle mourut, fust saige et de sainte vie, et moult charitable, plaine de devocions et de aumosnes, et son estat tint si net et si noble et de bonne ordenance que grant chose seroit à le racompter. Après mectrons-nous la duchesse d’Orléans, qui moult a eu à souffrir, et touz jours s’est tenue sainctement et nettement, devant et après ; mais c’est longue chose à racompter de ses bonnes meurs et de sa bonne vie. Et ne devons mie oublier la contesse mère au conte, comment elle s’est noblement gouvernée en sa vefveté et nourri ses enffans et sa terre bien gouverné et usé de bonne vie. Après si vous parleray de chascun estat. Sy vous parleray d’une baronnesse qui demouroit en nostre pays, qui a resté bien vefve l’espace de vingt-cinq ans, et estoit juenne et belle quant son seigneur mourut, et fut moult requise ; mais elle disoit en son secret que, pour l’amour de son feu seigneur et de ses enffans qui estoient jeunes, que jamais ne seroit mariée ; et a maintenu sa vefveté nettement, sans reproche, dont elle doit estre louée. Et la vous desclaireray : c’est madame d’Artus.
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Chappitre CXIIIIe.
Après je vous diray d’une dame, femme à chevalier compaignon, qui est vefve dès le tems de la bataille de Crécy, il y a xxvj. ans. Celle bonne dame estoit moult belle et juenne, et moult a esté demandée de plusieurs lieux. Mais oncques marier ne se voulst, ains a touz jours nourry ses enffans moult honnorablement. Sy doit estre moult louée, et plus encore du temps de son seigneur. Car son seigneur si estoit petit, tort et borgne et moult maugracieux, et elle estoit belle et juenne et grant gentil femme de par elle. Mais la gentille dame l’ama moult et honnoura autant comme femme puet amer homme, et le craingnoit et servoit si humblement que moult de gent s’en merveilloient. Sy doit estre mise ou compte des bonnes, pour ce que en elle n’a riens que reproucher ne devant ne d’après. Après vous compteray de une dame, femme d’un simple bachelier. La dame estoit belle et juenne et de bon lignage, et son seigneur estoit vieil et ancien et tourné en enffance, et faisoit soubz soy comme un enffant et avoit maladie bien laide ; mais non obstant la bonne dame le servoit jour et nuit plus humblement que ne peust faire une petite chamberière ou une petite femme servante ; et meist à peines la main où celle bonne dame la mettoit. -222- L’en la venoit querre bien souvent pour la faire chanter et dancier ès festes, qui estoient menu et souvent en la ville où elle demouroit. Mais trop poy y aloit, ne riens ne la tensist à l’eure que elle sçavoit que il feust temps de faire aucun service à son seigneur. Et, se aucune lui deist : « Madame, vous deussiez autrement esbatre et estre liée, et laissier dormir vostre preudomme, qui n’a de riens mais mestier que de repos », sy savoit bien que c’estoit à dire ; elle leur respondoit saigement que, de tant qu’il estoit plus à malaise, avoit-il plus grant mestier d’estre servy, et que elle prenoit assés de joye et d’esbat à estre entour lui et lui faire chose qui lui pleust. Que vous diray-je ? Elle trouvoit assez qui lui parloit de la joye et de l’esbatement du siècle ; mais nul n’y povoit venir ne pincier ne mordre, tant estoit loyale et ferme à son seigneur et à garder l’onneur de elle. Et après que son seigneur fust mort, se elle se gouverna bien en son mariage, si s’est-elle bien gouvernée en sa vefveté, et nourry ses enffans sans soy vouloir consentir à mariaige, et par ainsi en tous estaz elle doit estre louée et mise en compte des bonnes, combien qu’elle ne soit pas grant maistresse ; mais le bien et la bonté d’elle doit estre bon exemple et mirouer aux autres, et ne doit l’en point taire le bien de ceulx qui l’ont desservy. Et pour ce vous ay-je racompté d’aucunes de nos dames d’aujourduy de chascun estat une ; quar, se je vouloye de toutes racompter, je auroye trop à faire et seroit ma matière trop longue ; car moult en y a de bonnes ou royaulme de France et ailleurs. Cestes bonnes dames de quoy je vous parle sont sans reproche, et droitement -223- esprouvées de bonté en leur mariage et en leur vefveté, et en ont moult eschevé les juennesses et les parolles du monde, et ont tenu leur bon estat ferme sans ce que l’en se peut jengler d’elles. Elles ne se sont pas remariées par plaisance à maindres d’estat que n’estoient leurs seigneurs ; car je pense que celles qui s’abaissent par plaisance, de leur voulenté, sans le conseil de leurs amis, font contre elles. Et avient aucunefoiz que, quant un petit de temps est passé et que le temps se remue ainssi comme yver et esté, et quant la plaisance se amendrist et fault, et elles se revoyent quant les grandes ne leur portent plus si grant honneur comme elles souloient, lors leur yst du cuer la vergoingne, et se revoyent. Et aucunes foiz elles chieent en repentailles ; mais il n’est pas temps, et, quant de ma semblance, il me semble que ceux qui prengnent leur grant dame à femme et font de leur dame leur subgiete, je pense que c’est grant pitié de mettre en servaige si noble chose et si haultaine comme sa grant dame d’onneur, par laquelle il peust venir tant de honneur et de vaillance ; car, de ce qu’il l’a espousée il est sire de celle qui souloit estre dame, et à present est sire et sera appellé seigneur, et sera en grant crainte de faillir et desobeir, mais ce sera tantost passé. Il me semble que il vueille venir au repos, car les grans emprises de venir à honneur pour plaire à sa dame sont passées. Si a moult à dire en cest fait en plusieurs manières ; car cellui qui lui a juré foy et loyauté de garder son honneur et son estat à son povoir, et depuis l’a conseillié à soy abaissier et à faire contre la voulenté de ses seigneurs et de ses -224- amis pour faire son plaisir, je ne sçay si c’est bon conseil et feal, et de tirer à la mettre la derrenière, qui souloit aler la première. Si est assez à dire et a assez donné à parler aux gens.
Chappitre CXVe.
Dont je sçay bien un exemple d’un simple chevalier qui espousa une grant dame, mais, toutes les fois que Messire de Dorval le veoit, le premier salut que il lui fist si estoit lui subler, et puis lui dit que il ressemble au rossignol. Car, quant le rossignol a jouy de ses amours, il suble. Sy vous dy bien que le chevalier n’est mie liés de la bourde, quelque chière que il en feist. Si vous laisse atant de cestes dames. Mais, mes chières filles, prenez y bon exemple et gardez bien que, si Dieu vous a donnés seigneurs et que vous soyez vefves, que vous ne vous remariez ne par plaisance ne par amouretes, fors par le gré et le bon conseil de voz parens et amis, et ainsi garderez vostre honneur sauve et entière sans reproche, et tout bien et honneur vous en vendra, et ne sublera l’en pas de vous ne de vostre mary, et n’en dira l’en pas les goullées ne les paroles comme l’en fait de maintes, dont je me tais et de ceste matière.
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Chappitre CXVIe.
Mes belles filles, si vous sçavés le grant honneur et le grant bien qui yst de la bonne renommée, qui tant est noble vertus, vous mettrés cuer et peine de y entendre, tout aussi comme fait le bon chevalier d’onneur qui tire à venir à vaillance, qui tant en trait de paine et de grans chaux et de frois, et met son corps en tant d’aventure de mourir ou de vivre pour avoir honneur et bonne renommée, et en laisse son corps en mains véages, en maintes battailles, et en maints assaulx, et en maintes armées et en maints grans perilz. Et quant il a assez souffert paine et endurée, il est trait avant et mis en grans honneurs et servis, et lui donne l’en grans dons et prouffis assez. Mais nul ne se apparrage à la grant honneur que l’en li porte, ne à la grant renomée. Et tout aussi est-il de la bonne femme et de la bonne dame qui en tous lieuz est renommée en honneur et en bien, c’est la preude femme qui met paine et travail à tenir nettement son corps et son honneur, et refuse sa juennesce les faulx delis et folles plaisances dont elle puet recouvrer et recevoir blasme. Comme j’ay dit du bon chevalier qui telle peine sueffre pour estre mis ou nombre des bons, ainsi le doit faire toute bonne femme et bonne dame et y penser, et comme -226- elle en acquiert l’amour de Dieu et de son seigneur et du monde et aussy de ses amis, et le sauvement de son ame, qui est le plus digne, dont le monde la loue et Dieu encore plus, car il l’appelle la precieuse margarite, c’est une fine perle, qui est blanche, ronde et clère, sans taiche y veoir. Si a cy bonne exemple comment Dieux loua la bonne femme en l’euvangille, et si doivent toutes gens ; car l’en doist autant faire de bien et d’onneur à la bonne dame ou damoiselle comme au bon chevalier ou escuier, et plus, dont le monde est aujourd’hui bestourné, et honneur n’est point si gardée en sa droite règle et en son droit estat comme elle souloit en plusieurs cas, et spécialement l’onneur des bonnes femmes. Et vous diray comment je l’ouy racompter à mon seigneur de père et à plusieurs bons chevaliers et preud’hommes, comment en son temps on honnouroit les bonnes femmes, et comment les blasmées estoient rusées et separées des bonnes, et n’a pas encore xl. ans que ceste coustume couroit communement, selon ce que ilz disoient. Car en cellui temps une femme qui fust blasmée ne feust sy hardie de soy retraire ou renc des bonnes qu’elle n’en feust reboutée. Dont je vous conteray de deux bons chevalliers de cellui temps, dont l’un avoit nom Messire Raoul de Lugre et l’autre Messire Gieffroy, et estoient frères et bons chevaliers d’armes, qui lors couroient ès voiages, ès tournoiz et aux autres lieux là où ilz povoient trouver honneur. Ilz estoient renommés et honnourés comme Charny, Bouciquaut ou Saintré, et pour ce avoient leur parler sur touz, et convenoit que ils feussent escoutés comme chevaliers auctorisez.
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Chappitre CXVIIe.
Dont il advenoit que, se ilz veissent à un jeunes homs de lignaige faire chose qui à son honneur ne feust, ilz luy montrassent sa faulte devant touz, et pour ce juennes hommes les craingnoient moult. Dont il avint que j’oy raconter à mon seigneur et père que une foiz il vint à une grant feste où avoit grant foyson de seigneurs et de dames et de damoyselles. Sy arriva comme l’en vouloit aseoir à table, et avoit vestu une cote hardie à la guise d’Alemaigne. Sy vint saluer les dames et les seigneurs, et quant il eust fait ses reverances, cellui Messire Gieffroy le va appeller devant tous et lui demanda où estoit sa vielle ou son instrument, et que il faist de son mestier. « Sire, je ne m’en sauroie mesler. » — « Sire », dit-il, « je ne le pourroye croire ; car vous estes contrefait et vestu comme un menestrel. Car, en bonne foy, je congnoys bien vos ancesseurs et les preudhommes de la Tour dont vous estes ; mais onques mais je ne vy qui ainsi se contrefist ne vestit telles robes. » Lors il luy repondist : « Sire, puisque ne vous semble bon, il sera amendé. » Sy appella un menestrel et lui donna sa coste et la lui fist vestir, et prist autre robe. Sy revint en la salle, et lors le bon chevalier lui dist : « Vrayement, cestuy-cy ne se forvoye -228- pas, car il croit conseil de plus vieulx que lui. Car touz juennes hommes et jeunes femmes qui croient conseil et ne contrarient mie le dit des anciens ne peuvent faillir de venir à honneur. » Et aussi dit le preudons, qui pour bien et honneur l’avoit dit. Et pour ce a cy bon exemple comment l’en doit croire et avoir honte et vergoingne de l’enseignement des saiges et des plus anciens de lui. Car ce que ilz dient et enseignent, ilz ne le font que pour bien et honneur ; mais noz juennes hommes et noz juennes femmes de aujourd’hui n’y prennent mie garde, ainçois tiennent à grant despit de ce que l’en les reprent de leurs folies, et cuident aujourd’uy estre plus saiges que les anciens et de ceulx qui ont plus veu que eulx. Si est grant pitié et grant folie de telle descongnoissance avoir en eulx ; car tout gentil cuer de bonne nature doit avoir grant joye quant l’en le reprent de sa faulte. Et se il est saige et franc il lui merciera, et là voit-on esprouvée la bonne et la franche nature des juennes hommes et des juennes femmes ; car nul villain cuer n’en rendra jà graces ne mercis, ne jà gré ne saura. Or vous ay parlé comment ilz parlèrent et chastièrent les jeunes hommes. Or vous diray-je comment ilz donnoient bon exemple ès bonnes dames et ès bonnes damoiselles en icelui temps.
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Chappitre CXVIIIe.
Le temps de lors estoit en paiz, et tenoient grans festes et grans reveaulx. Et toutes manières de chevaliers, de dames et de damoiselles s’asambloient là où ilz aloient et où ilz avoient les festes, qui estoyent menu et souvent, et là venoient par grant honneur les bons chevaliers de cellui temps. Mais, se il advenist par aucune aventure que dame ne damoiselle qui eust mauvais renon ne qui fust blasmée de son honneur se meist avant une bonne dame ou une bonne damoiselle de bonne renommée, combien que elle fust plus gentil femme ou eust plus noble et plus riche mary, tantost ces bons chevaliers de leurs droits n’eussent point de honte de venir à elles, devant tous, et prendre les bonnes et les mettre au dessus des blasmées, et leur deyssent devant tous : « Dame, ne vous desplaise si ceste dame ou damoiselle vait avant vous ; car, combien que elle ne soit si noble ou si riche comme vous, elle n’est point blasmée, ains est mise ou conte des bonnes et des nettes. Et ainsi ne dit l’en pas de vous, dont me desplaist, mais l’en fera honneur à qui l’a desservy, et pour ce ne voz en merveillez pas. » Et ainsi parloient les bons chevaliers, et mettoient les bonnes et de bonne renommée les premières, dont elles mercioient Dieu en leur cuer de elles estre tenues -230- nettement, par quoy elles s’estoient honorées et mises avant, et les autres se prenoient au nez et baissoient les visages, et recevoient de grans hontes et de grans vergoingnes. Et pour ce estoit bon exemple à toute gentil femme ; car pour la honte que elles ouoient dire aux autres, elles doubtoient et craingnoient à faire le mal. Mais, Dieu mercy, aujourduy l’on porte aussi bien honneur aux blasmées comme aux bonnes, dont maintes y prennent mal exemple et disent : « Avoy, je voy que l’en porte aussi grant honneur à telle, qui est blasmée et diffamée, comme aux bonnes ; il n’i a force de mal faire ; tout se passe. » Mais toutes voies ce est mal dit et mal pensé, combien qu’il y ait grant vice ; car, en bonne foy, combien que en leur présence l’en leur face honneur et courtoisie, quant l’en est party de elles l’en s’en bourde, et disent les compaignons et les gengleurs : « Vées cy une telle ; elle est trop bien courtoise de son corps ; tel et tel se esbat avecques elle », et la racontent et la nombrent avecques les mauvaises. Et ainsi tel lui fait honneur et belle chière par devant, qui lui trait la langue par derrière. Mais les folles ne s’en apperçoivent mie, ains se esbaudissent en leur folie, et leur semble que nul ne scet leur honte ne leur faulte. Sy est le temps changé comme il souloit, et je pense que c’est mal fait, et que il vaulsist mieulx devant touz monstrer leurs faultes et leurs folies, comme ilz faisoient en cellui temps dont je vous ay compté. Et vous diray encores plus, comme j’ay ouy compter à plusieurs chevaliers qui virent cellui messire Gieffroy de Lugre et autres, que, se il chevauchast par le pays, il demandast : « A qui -231- est cellui herbergement là ? », et l’en lui deist : « C’est à telle », se la dame feust blasmée de son honneur, il se torsist avant d’un quart de lieue que il ne vensist devant la porte, et luy feist un pet, et puis pransist un poy de croye qu’il portoit en son saichet et escrisist en la porte ou en l’uis : « Un pet, un pet », et y faisoit un signet et s’en vensist. Et aussi au contraire, se il passast devant l’ostel à dame ou damoiselle de bonne renommée, se il n’eust moult grant haste il la vensist veoir et huchast : « Ma bonne amye, ou bonne dame, ou damoyselle, je prie à Dieu que en cest bien et ceste honneur il vous vueille maintenir en nombre des bonnes ; car bien devez estre louée et honnourée. » Et par celle voye les bonnes se craingnoient et se tenoient plus fermes et plus closes de ne faire chose dont elles peussent perdre leur honneur et leur estat. Sy vouldroye que cellui temps fust revenu ; car je pense que il n’en feust mie tant de blasmées comme il est à present.
Dont, se femmes pensoient ou temps de devant l’advenement nostre seigneur Jhesucrist, qui dura plus de v.m ans, comme les mauvaises femmes et especialement toute femme mariée qui feust prouvée par ij. tesmoings avoir eu compaingnie à autre que à son seigneur, elle feust arse ou lappidée, ne pour or ne pour argent elle n’en feust rachetée, tant noble feust, selon la loy de Dieu et de Moyses, et encore ne sçay-je guières de royaulmes aujourd’uy, fors le royaulme de France et d’Angleterre et en ceste basse Alemaigne, de qui l’en n’en face justice dès ce que l’en en puet savoir, et qui ne meurent dès ce que l’en en scet la vérité, c’est-à-dire en Rommenie, en Espaigne, -232- en Arragon et en plusieurs autres royaulmes. En aucuns lieux l’en leur couppe les gorges, en autres lieux l’en les murtrist à touaillons, en autres lieux l’en les emmure. Et pour ce est bonne exemple à toute bonne femme que, combien que en cest royaume l’en n’en face plus justice comme l’en fait en plusieurs autres lieux, elles n’en laissent pas à en perdre leur honneur et estat, et l’amour de leur seigneur et de ses amis, et l’onneur du monde, comme donner langaige aux gengleurs, qui, au matin et au soir, en tiennent leurs esbatemens et leurs goulées de moqueries, et en oultre l’amour et la grace de Dieu, qui est le plus fort ; car elle est separée du livre des bonnes et des saintes femmes, si comme il est contenu plus à plain en la vie des Pères. Mais le compte en seroit trop long à racompter, dont je vous diray un moult bel et bon exemple, qui est le plus noble et le plus hault de tous, comme ce dont Dieux parla de sa propre bouche, si comme le racompte la sainte escripture, comment Dieu loua en son saint sermon la bonne preude femme.
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Chappitre CXIXe.
Dieux loue la bonne femme, la nette et la pure, comme c’est noble chose et sainte que de bonne femme ; car, quant Dieu de sa propre sainte bouche la loue, dont par bonne raison le monde et toutes gens la doivent bien amer et louer et chier tenir. Il est contenu en l’euvangile des vierges que le doulx Jhesucrist preschoit et enseignoit le peuple. Sy parla sur la matière des bonnes et des nettes femmes, là où il dist : Una preciosa margarita comparavit eam. Je vous dy, dist nostre seigneur, que femme qui est bonne et nette doit estre comparée à la précieuse marguerite. Et ce fust à merveilles dist ; car une marguerite est une grosse perle réonde d’oriant, clère, blanche et nette. Et, quant elle est clère et nette, sans nulle tache y veoir, celle precieuse pierre est appelée precieuse margarite. Et ainsi montra Dieux la valeur et la bonté de la bonne et nette femme. Car celle qui est nette et sans taiche, c’est-à-dire celle qui n’est pas mariée et se tient vierge ou chaste, et aussi celle qui est mariée et se tient nettement ou saint sacrement de mariaige, sans souffrir estre avillée que de son époux que Dieu lui a destiné et donné, et aussy celle qui nettement tient son vefvage, cestes-cy sont -234- celles, si comme dit la glose, de qui Dieu parla en sa sainte Euvangile. Ce sont celles qui en ces iij. estas se tiennent nettement et chastement. Elles sont comparagiées, si comme dist nostre seigneur Jhesucrist, à la precieuse marguerite, qui est clère et nette, sans nulle taiche. Car, si comme dit la sainte escripture : Nulle chose n’est si noble que de bonne femme, et playst à Dieu et aux angels en partie plus que l’omme, et doit avoir plus de merite, selon rayson, pour ce que elles sont de plus foible et legier couraige que n’est l’homme, c’est-à-dire que la femme feust traitte de l’omme, et, de tant comme elle feust plus foible et elle puet bien resister aux tamptacions de l’ennemy et de la chair, et, en l’aventure, de tant doit-elle avoir plus grant merite que l’omme. Et pour ce la comparaige Dieu à la noble precieuse marguerite, qui est clère. Et aussi dit la glose en un autre lieu que, aussy comme c’est laide chose à baillier un blanc et delié cueuvrechief à un grant seigneur ouquel en lui baillant l’en espendroit grosses gouttes d’encre noire, et aussy celles gouttes noires les espandre sur une esculée de lait qui est blanc, tout ainsi celle qui doit estre pucelle, et baille son pucellaige à autre que à son espoux, et aussy la mariée qui, par sa grant mauvaistié, sa leiche et sa fausse lecherie de chair, rompt et casse son mariaige et son saint sacrement, et ment sa foy et sa loy vers Dieu et l’esglise, et vers son seigneur, et aussi celle qui se doit tenir nettement en sa vefveté, cestes manières de femmes resemblent les taiches laides qui sur le blanc lait et sur le cueuvrechief de grosses goutes noires appèrent ; elles ne sont de riens aux précieuses marguerites ; -235- car en la precieuse marguerite n’a nulles taiches ne goutes noires. Hélas ! tant la femme se doit bien haïr et maudire sa mauvaise vie, quant elle n’est plus ou nombre des bonnes dont Dieu parla ainsi à ses appostres et au pueple. Dont, se elles pensoient bien à iij. choses, l’une, comme celles qui sont à marier perdent leur mariaige, leur honneur et acquièrent la honte et hayne de leurs amis et du monde, comme chascun les monstre au doy ; les mariées, comme elles perdent toute honneur et l’amour de Dieu et de son seigneur et de tous ses amis et de tous autres, et puis Dieu lui nuist à avoir bien et chevance ; car des diffameures et laidures que l’en en dit seroit trop long à raconter. Car telz leur feront belle chière par devant qui puis leur traira la langue par derrière, et en tendront leurs comptes et leurs moqueries, et en feront chacun jour leur parlement ; mais après jamais elles n’aymeront de bon cuer leurs seigneurs, comme j’ay dit en l’autre livre ; l’annemi leur fera plus trouver de ardeur et ardant delit en leurs ribauderies et en pechié mortel dampnable que en l’euvre de saint mariage ; car, en l’euvre de mariage, qui est euvre commandée de Dieu, n’a point de pechié mortel, et pour ce n’a l’annemy que y veoir ne que y regarder ; mais en ribauderies et en pechié mortel là a l’ennemy povoir, et y est en sa personne et eschauffe et atise le pecheur et la pecheresse au faulx delit ; aussi comme le fèvre qui met le charbon et souffle en la fournaize, ainsi le fait l’ennemy en celluy mestier, et les y tient liés et enflambez de celluy ardent delit en pechié mortel, car il le fait pour sa gaaingne, et s’il les puet faire mourir en pechié -236- mortel, il emporte l’ame en la douleur d’enffer, et en a aussi grant joye et se tient aussi bien apayé comme le chasseur qui a toute jour chassé, et puis au soir il prent sa beste et l’emporte ; aussi fait l’ennemy de telles femmes et de telles gens ; et c’est bien rayson, si comme dit la sainte escripture, que ceulx qui euvrent de telles chaleurs de luxure et y ont prins leur puant delit de la char soyent mis et portez en la chaleur et en la flambe du feu d’enffer. Et c’est bien rayson, dit un saint hermite en la vie des Pères, que l’une chaleur soit mise avecques l’autre, et que tout se poursuive en cest monde et en l’autre ; car, si comme Dieu dit, il n’est nul bien qu’il ne soit mery ne nul mal qui ne soit pugni.
Chappitre VIXXe.
Or vous diray un autre exemple de la fille d’un chevalier, qui perdy à estre mariée à un chevalier pour sa cointise. Et vous diray comment un chevalier avoit plusieurs filles, dont l’ainsnée estoit mariée. Sy advint que un chevalier fist demander la seconde fille, et furent à un de la terre et du mariage, et tant que le chevalier vint pour la veoir et pour la fiancier, se elle lui plaisoit, car oncques mais ne l’avoit veue. Et celle damoiselle, qui sceust bien que il devoit venir, se -237- acesma et se cointy le mieulz que elle pot, et, pour sembler à avoir plus beau corps et plus gresle, elle ne vesty que une cotte hardie, deffourée, bien estroitte et bien jointe. Si fist grant froit et fort vent de bise et avoit fort gelé, et celle, qui feust bien simplement vestue, eust si parfaitement grant froit tellement que elle feust toute noire de froit. Sy arriva le chevalier qui la venoit veoir, et regarda que sa couleur fust morte et pale et ternie, et aussy regarda l’autre seur, plus juenne que celle, laquelle avoit bonne couleur fresche et vermeille, car elle estoit bien vestue et chaudement, comme celle qui ne pensoit pas si brief estre mariée. Le chevalier regarda assez l’une et l’autre, tant que après disner il appella ij. ses parens, qui venuz estoient avecques lui, et leur dist : « Beaulx seigneurs, nous sommes venuz veoir les filles au seigneur de ceans, et sçay bien que je auray laquelle que je vouldray ; mais j’ay avisé la tierce fille. » — « Avoy, sire », distrent les amis de lui, « ce n’est pas bien dit ; car plus grant honneur vous sera de sa suer ainsnée. » — « Beaulx amis », dist le chevalier, « je n’y voy point d’avantaige que trop pou ; vous sçavez qu’elles ont une suer ainsnée de elles qui est mariée et dont sont-elles toutes puisnées, et je voy la tierce fille plus belle et fresche et de meilleur couleur que la seconde, dont l’en me parloit ; si est telle ma plaisance. » Sy luy respondirent que c’estoit rayson que son plaisir si feust acompli et ce que il penseroit. Et ainsi advint ; car il fist demander la tierce fille, qui lui fut octroyée, et en furent moult de gens esmerveillez, et par especial celle qui si bien s’i attendoit -238- et qui ainsi s’estoit cointie comme ouy avez. Si advint que, après un pou de temps, celle suer seconde, qui perdu avoit le chevalier pour le grant froit qui l’avoit faite ternir et pallir, que, quant vint que elle fust mieulx vestue et que le temps fust eschauffé, que la couleur lui revinst, elle fust plus belle et plus fresche d’assés que sa suer, que le chevalier avoit prise, et tant que le chevalier s’en esmerveilla tout et li dist : « Belle suer, quant je vins pour vous veoir et vostre suer, vous ne estiés point si belle de vij. pars comme vous estes ; car vous estes maintenant blanche et vermeille, et lors vous estiez noire et palle, et estoit lors vostre suer plus belle que vous ; mais maintenant vous la passez, je me donne grant merveille. » Lors respondit la mariée, femme du chevalier : « Mon seigneur, je vous conteray comment il en fust, et ne fust autrement. Ma suer, que vous veés cy, pensoit, et si faisions-nous tous, que vous venissiez pour la fiancer. Sy se cointy pour avoir plus bel corps et plus gresle, et ne vestit que une cote deffourée, et le froit fust grant, que lui permua la couleur, et je, qui ne pensoye à tant d’onneur et de bien avoir comme de vous avoir à seigneur, ne me cointiay point, ainsçois estoie bien fourrée et chaudement vestue ; si avoye meilleur couleur, dont je mercy Dieu de quoy je chey en vostre plaisance, et benoist soit Dieu dont ma suer se vesty si simplement ; car je sçay bien, se ne feust celle aventure, que vous ne m’eussiés pas prise pour la laissier. » Et ainsi se gogoya la mariée de la suer, et toutes voyes elle disoit voir, car ainsi perdit celle damoiselle le chevalier par sa -239- cointise, comme oy avés. Car par telle cointise elle devint palle et descoulourée. Sy est cy bon exemple comment l’en ne se doit mie si lingement ne si joliettement vestir, pour soy greslir et faire le beau corps ou temps d’yver, que l’on en perde sa manière et sa couleur, si comme il advint à Messire Foulques de Laval, si comme il me dit que advenu lui estoit sur le fait de ceste exemple, dont je le vous compteray.
Chappitre VIXXIe.
Messire Fouques de Laval estoit moult beaux chevalier et moult net entre tous autres chevaliers, et si savoit moult sa manière et son maintieng. Si lui advint, comme il me compta, que une foiz il estoit alé veoir sa dame par amours. Sy estoit en ung temps d’iver que il avoit fort gelé et faisoit moult grant froit. Si se estoit au matin cointy et vestu d’une coste d’escarlate bien brodée, et avoit un chapperon tout sanglé sans penne, et n’avoit que la chemise, sa coste et un chapperon tout sanglé et bien brodé de bonnes perles, et n’avoit mantel ne ganz ne moufles. Le vent et le froit fut grant, et il estoit bien joint et bien estroit en celle cote, et enduroit le grant froit et estoit tout noir et tout palle et tout entoussé. Et là vint -240- un autre chevalier, qui aussi estoit amoureux de celle dame ; mais il ne fust pas ainsi gayement arrayé, ains estoit chaudement vestu et avoit mantel et chapperon doublé, et estoit rouge comme un coq, et avoit bonne couleur et vive. Quant le chevalier fust arrivé et il eust fait le bien veignant, la dame lui fist bonne chière et liée et meilleur que à messire Fouques, ce lui sembloit, et lui tenoit plus grant compaignie, et dit la dame à Messire Fouques : « Trayez-vous près du feu. Je doubte que vous estes mal saing ; vous avez trop fade couleur. » Et il respondy que il n’avoit nul mal. Et touteffoiz l’autre chevalier eust meilleure chière d’assez. Sy se passa la chose ainsi, et ne demoura pas plus d’un mois que messire Fouques espia que le chevalier devoit venir sur les parties où estoit celle dame, et, à la journée qu’il sceust que il arriva pour veoir la dame, il vint d’autre part et se retrouvèrent leans. Mès messire Fouques se arroya bien autrement qu’il n’estoit à l’autre foiz ; car il se vesty bien et chaudement, si que il ne perdy pas sa couleur comme à l’autre foiz, pour esprouver comment la chose yroit ne à quoy il tenoit ; mais pour certain il eust la meilleure chière et la plus privée à celle foiz. Dont il me dist que amours se doivent tenir chaudement, et que il l’avoit esprouvé. Et pour ce est grant folie de soy cointir pour faire le bel corps et pour estre gresle tant que l’en en perde sa couleur ne sa manière, ne que l’en en soit enroué ne entoussé ; car l’en en est moins prisé, selon ce que ouy avez, dont sur ceste matière je vous en conteray une grant merveille, comment plusieurs en moururent de pur froit. Ce furent les Galois et les Galoises.
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Chappitre VIXXIIe.
Belles filles, je vous compteray des Galois et des Galoises, si comme l’ennemy par son art en fist plusieurs mourir de froit, comme par la flambe de Venus, la deesse d’amours et de luxure. Il advint, ès parties de Poitou et ès autres pays, que Venus, la dame des amoureux, qui a grant art et grant povoir en juennesce, c’est en juennes gens, dont elle fait aucuns amer d’amours raysonnable et honnourable, et autres de fole amour desmesurée, dont aucunes en perdent honneur et les autres ame et corps. Dont il advint que elle fist entreamer plusieurs chevaliers et escuiers, dames et damoiselles, et leur fist faire une ordonnance moult sauvaige et desguisée contre la nature du temps, dont l’une de leurs ordonnances estoit que, le temps d’esté, ilz seroient bien vestuz et chaudement à bons manteaulx et chapperons doublés, et auroient du feu en leurs cheminées. Jà ne feist si grant chaut, ilz se gouvernoient par le temps d’esté comme l’en deust faire le temps du fort yver en toutes choses, et en yver se gouvernoient comme l’en doit en esté, et vous diray comment. En yver, par le plus fort temps, le Galois et la Galoise ne vestoient riens du monde que une petite cote, simple, sans penne ne sans estre lingée, et n’avoient point de -242- mantel ne housse, ne chapperon doublé, fors sanglé, qui avoit une cornete longue et gresle, sans avoir chappeau, ne gans, ne moufles, pour gelée ne vent que il en feist. Et, en oultre, en ycelluy fort yver leurs chambres et leurs places estoient bien nettes ; et qui trouvast aucunes feuilles vertes, elles feussent jonchées par l’ostel, et la cheminée estoit houssée, comme en esté, de fraillon ou de aucune chose verte ; en leurs litz n’avoit que une sarge ligière sans plus, ne plus n’en povoient avoir par celle ordenance. Et, en oultre, estoit ordené entre eulx que dès ce que un des Galois venist là où feust la Galoise, se elle eust mary, il convenist par celle ordenance que il alast faire penser des chevaux au Galoys qui venus feust, et puis s’en partit de son hostel sans revenir tant que le Galoys feust avecques sa femme ; et cellui mari estoit aussi Galois et alast veoir s’amie, une autre Galoise, et l’autre feust avecques sa femme, et feust tenu à grant honte et deshonneur se le mary demourast en son hostel, ne commandast ne ordenast riens depuis que le Galois feust venu, et n’y avoit plus de povoir par celle ordenance. Cy dura ceste vie de cestes amouretes grant pièce, jusques à tant que le plus de eulx en furent mors et peris de froit ; car plusieurs transsissoient de pur froit et en moururent tous roydes delez leurs amies et aussi leurs amies delèz eulx, et en parlant de leurs amouretes et en eulx moquant et bourdant de ceulx qui estoient bien vestus ; d’autres, que il convenoit de leur desserer les dens de cousteaux et les tostoier et froter au feu comme un poussin engelé et mouillié ; car ilz cuidoient contrefaire les autres et muer le -243- temps et saison qui ordonnée est, pour nourrir corps d’omme et de femme autrement que Dieu n’avoit ordonné. Si doubte moult que ces Galois et Galoises qui moururent en cest estat et en cestes amouretes furent martirs d’amours, et que, aussi comme ilz morurent de froit, que ilz ont grant chaut par delà et ardent ; car se ils eussent soufferte la vije partie de la peine et de la douleur pour l’amour du filz de Dieu, qui tant souffry pour eulx, ilz en eussent merité et grant guerredon et gloire en l’autre siècle. Mais l’ennemy, qui touzjours tant à faire desobeir homme et femme, leur faisoit avoir plus grant plaisance et delit en foles amours, desesperées et sauvaiges, que à nul service de Dieu, et les aveugloit par telle manière que il les faisoit mourir et languir de pur froit. Et pour ceste raison, qui est evident, est bien chose esprouvée comment l’annemy tempte et eschauffe homme et femme, et soustient à perir corps et ame, et comment il donne et fait avoir foles plaisances et plusieurs mauvaises manières, c’est-à-dire les uns par convoitise, comme de tirer à soy l’autrui et le detenir ; autres par orgueil, soy trop prisier et les autres deprisier ; les autres par envie de bien que autrui a plus que lui ; les autres par gloutonnie où le corps se delite, qui fait esmouvoir le pechié, comme de yvresse, qui tolt raison et le fait venir au delit de la chair ; les autres par luxure, comme l’ennemy les fait entreamer de fole amour et foles plaisances où il les fait deliter, comme il fist iceulx faulx Galois et Galoises, où il mist tant de fole plaisance que il en fist plusieurs mourir de diverse mort, comme de froit, amis et amies. Pour ce ne dis-je mie que il ne soit -244- de bonnes amours sans deshonneur et dont moult d’onneur vient. Celles sont loyalles, qui ne requièrent chose dont deshonneur ne abaissement viengne ; car cellui n’ayme pas loyaulment qui pense à deshonnourer sa dame et s’amie, ne abaissier son honneur ne son estat ; car ce n’est mie amour, ains est faulx semblant et tricherie ; ne l’en ne puet faire trop grant justice de telle manière de gens. Mais tant vous en dy-je bien que il en court d’uns et d’autres, c’est assavoir de loyaulx et faulx et de decevables, de telz qui se faignent et jurent et parjurent leurs fois et sermens, et ne leur chault, mais que ils aient partout leurs deliz, et usent de faulx semblant et font les pensis, les debonnaires et les gracieux. Si en y a de trompez et de trompées assez par le monde. Et pour ce est le siècle moult fort à congnoistre et moult merveilleux ; et de telz et de telles le cuident bien congnoistre qui en sont deceus, et si congnoissent moins que ilz ne cuident.
Chappitre VIXXIIIe.
Et pour ce est noble chose à toute femme de bien et d’onneur y prendre garde et soy garder, et non mie croire trop de legier ce que l’en leur dist, et se prendre de garde de ceulx qui usent de telles faulcetez et qui font de petiz -245- signes et des faulx semblans, comme de faulx regars lons et pensis, et de petis souspirs, et de merveilleuses contenances affectées, et ont plus de paroles à main que autres gens. Sy est bon de soy garder de telles manières de gens qui veulent user de avoir tel siècle ; car la bonne femme qui bien se scet garder de telx gens doit estre moult louée et honnourée. Car c’est grant honneur et grant victoire avoit fait de eschiver le mal langaige du monde, et qui se puet tenir nettement et hors de leurs folles parleures, sans ce que celles folles langues puissent dire ne racompter que ilz l’aient trouvée en nulle foiblesse ne molesté de cuer, ne qui se puissent bourder ne gangler de elles, et cestes bonnes femmes qui ainsi se tiennent fermes, et qui ainsi se rusent de leurs faulces malices, doivent estre bien louées entre les bonnes, tout ainsi comme l’en loue les bons chevaliers et les bons escuiers qui passent par vaillance et par honneur ; par la paine que ilz y ont trait tous autres pour le grant labour que ilz y ont souffert pour venir à honneur, sont ilz plus prisiez et honnourez que gens du monde. Tout aussy et par meilleur raison doit estre la bonne dame qui bien a rescoux son honneur contre telles manières de gens qui ainsi usent. Et si vous dy bien que mon entente n’est point par cest livre à blasmer bonne amour et ceulx qui usent de loyaulté ; car moult de grans biens et honneurs en sont advenus. Mais la bonne dame de Villon, qui tant fut belle et preude femme, dont par sa bonté et sa beaulté moult de bons chevaliers furent amoureux de elle, et elle, qui moult fut saige et de grant gouvernement, leur disoit que toute -246- saige femme qui bien vouloit nettement garder son honneur doit avant essaier son amy, c’est celui qui la prye ou qui lui fait semblant d’amour. Et quant elle l’aura esprouvé vij. ans, adonc elle sera certaine se il l’ayme de cuer ou de bouche. Et lors le pourra accoler pour singne d’amour, sans plus. Mais de ceste bonne dame je me tais, car elle avoit le cuer trop dur. Il est bien mestier que celles de aujourd’uy aient le cuer plus piteulx, et, se Dieux plaist, sy auront elles, car trop long temps a en vij. ans. Le plus d’elles n’attendront pas que elles n’en ayent plus brief mercy, se Dieu plaist. Mes belles filles, je vous laisseray un peu de cest fait et de cestes Galoises, et vous compteray un debat qui est entre vostre mère et moy, sur le fait qu’elle debat que nulle femme ne doit amer par amours, fors en certains cas, et je soustiens le contraire, et pour ce est le debat d’entre elle et de moy, sur lequel je vueil racompter.
Chappitre VIXXIIIIe.
Mes chières filles, quant à amer par amours, je vous en diray le desbat de vostre mère et de moy. Je vouloye soustenir que une dame ou damoiselle peut bien amer en certains cas de honneur, comme en esperance -247- de mariage ; car en amour n’a que bien et honneur, qui mal n’y pense. Car en celles où l’on pense ou mal ou engin, n’est pas amour, ains est mal pensé et mauvaistié. Si vueilliez ouïr le grant contens et le debat de elle et de moy. Je dy ainsi à vostre mère : « Dame, pour quoy ne aymeront les dames et les damoisselles par amours ? Car il me semble que en bonne amour n’a que bien, et, aussy comme l’amant en vault mieux et s’en tient plus gay et plus joli et mieulx acesmé, et en hante plus souvent les armes et les honneurs, et en prent en lui meilleure manière et meilleur maintieng en tous estaz pour plaire à sa dame et à sa mie, tout ainsi fait celle qui de lui est amée pour lui plaire, puis que elle l’ayme. Et aussy vous dy-je que c’est grant aumosne quant une dame ou damoiselle fait un bon chevalier ou un bon escuier. Cestes-cy sont mes raisons. »
Cy parle la dame et respont au chevalier : Sy me respont vostre mère et dit : « Sire, je ne me merveille pas se entre vous hommes soustenez ceste raison que toutes femmes doivent amer par amours. Mais, puis que cest fait et cest debat vient en clarté devant noz propres filles, je vueil debattre contre vous le mien advis, et feablement, selon mon entendement ; car à nos enffans nous ne devons riens celer. Vous dictes, et si font tous les autres hommes, que toutes dames et damoiselles valent mieulx se elles ament par amours et qu’elles s’en tendront plus gaies et plus renvoysiées et en sauront trop mieulx leurs manières et leur maintieng, et feront aumosne de faire un bon chevalier ou un bon escuier valoir. Cestes paroles sont esbatements de seigneurs et de compaignons -248- et un langaige moult commun. Car ceulx qui disent que le bien et honneur qu’ilz font, que ce soit par elles, qui les font valoir et venir à honneur et souvent eulx armer et aler ès voiages, et moult d’autres choses que ilz dient qu’ilz font pour leurs amies, il ne leur couste guères à le dire pour leur plaire et pour cuidier avoir leur gré ; car assez de telles paroles et d’autres bien merveilleux aucuns usent bien souvent. Mais, combien qu’ilz disent que ilz le facent pour elles, en bonne foy ilz le font pour eulx meismes, et pour tirer à avoir la grace et l’onneur du monde. Si vous di, mes chières filles, que vous ne croiez pas vostre père en ce cas, et vous pry, si chière comme vous m’avez, pour vostre honneur garder nettement sans blasme et sans parlement du monde, que vous ne soyez point amoureuses, pour plusieurs raisons que je vous diray. Premierement, je ne dy mie que toute gentil femme ne doye mieulx amer les uns plus que les autres, c’est assavoir les gens de bien et d’onneur et ceulx qui leur conseilleront leur honneur et leur bien ; car l’en puet bien faire meilleure chière aux uns que aux autres en moult de cas. Mais, quant à estre si amoureuses que telle amour la maistroye, atout le plaisir et le vouloir de son cuer, aucunes fois il advient souvent que telle ardeur d’amour et cellui fol plaisir les maistroye et les maine à avoir aucun villain blasme, aucunes fois à droit, et aucunes fois à tort, par l’aguet que l’en a voulentiers sur tel fait, dont l’on puet parfois recevoir grans blasmes et deshonneur, et tel cry qu’il ne chiet pas de legier, par les faulx aguetteurs et par les mesdisans, qui jà ne seront saoulx ne assouviz -249- de agaitier, parler et rapporter plus tost le mal que le bien. Dont, par leurs faulx langaiges, ilz diffament et tollent la bonne renommée de mainte dame et damoiselle, et pour ce, toute femme à marier se puet bien depporter de celluy fait.
Dont l’une rayson est que juenne femme amoureuse ne puet jamais servir Dieu de fin cuer ne de si vray comme devant ; car j’ay ouy dire à plusieurs, qui avoient esté amoureuses en leur juenesce, que, quant elles estoient à l’eglise, que la pensée et la merencolie leur faisoit plus souvent penser à ces estrois pensiers et deliz de leurs amours que ou service de Dieu, et est l’art d’amours de telle nature que, quant l’en est plus au divin office, c’est tant comme le prestre tient nostre seigneur sur l’autel, lors leur venoit plus de menus pensiers ; c’est l’art d’une deesse, qui a nom Venus, qui eut le nom d’une planette, si comme je l’ay ouy dire à un preudhomme prescheur, qui disoit que l’ennemy se mist en une femme dampnée qui à mervelle fust jolie femme et amoureuse, et se mist l’ennemy dedans elle et faisoit faulx miracles, dont les payens la tindrent à deesse et la honnouroient comme Dieu. Celle Venus fut celle qui donna le conseil aux Troyens qu’ilz envoyassent Paris, le filz du roy Priam, en Grèce querre femme, laquelle elle lui feroit avoir, et seroit la plus belle dame du royaume de Grèce, et elle dit voir, car Paris avoit la belle Helaine, la femme au roy Menelaux, dont par celluy fait morurent plus de xl. roys et plus de cent mille personnes, dont la cause fust par l’attisement de celle deesse Venus. Si fust une mauvaise deesse, et est bien apparissant que -250- c’estoit mauvaise temptacion de l’ennemy. C’est la deesse d’amours qui ainsi attise les amoureulx et fait penser et merencolier jour et nuit en yceulx delis et en yceulx estrois pensiers, et par especial plus à la messe et au service de Dieu que en autre part, c’est pour troubler la foy et le service et la devocion que l’en a vers Dieu. Et sachiez, belles filles, pour certain, que jà femme bien amoureuse n’aura jà parfaitement le cuer en Dieu, ne à dire ses heures devottement, ne le cuer si ouvert à ouïr le saint service de Dieu. Dont je vous diray un exemple, que j’ay toujours ouy raconter, que il fut deux roynes par deçà la mer qui leurs faulx delis de luxure faisoient aux tenèbres le jeudy absolu et le saint vendredy aouré, quant l’en estaingnoit les chandelles, et en leurs oratoires, dont il en desplust tant à Dieu que leur vil pechié feust sceu et desclairé, tellement qu’elles en morurent en chappes de plong. Et les deux chevaliers leurs ribaux en morurent de si cruelle mort, comme ceulx qui en furent escorchiez tous vifs. Or povez bien veoir comment leurs fausses amours estoient bien desvoyées et dampnables, et comment la tentation de Venus, la déesse d’amours et la dame de luxure, les temptoit si folement, comme le saint vendredi benoist, que toute creature doit plourer et gemir et estre en devocion. Et par cest exemple est bien veu que toute femme amoureuse est plus temptée à l’eglise et au service de Dieu ouïr que ailleurs. Et l’en y doit dire ses heures plus que en autre lieu. Sy est ceste cy une des premières raisons par quoy juenne femme se puet deporter d’estre amoureuse.
L’autre rayson est que plusieurs, qui sont tous -251- duiz de requerre et prier toutes les gentilz femmes que ilz treuvent, et jurent et parjurent leur foy et serement que ilz les aimeront loyaulment sans decevance, et qu’ilz ameroyent mieulx estre mors que ilz pensassent villennie ne deshonneur, et qu’ilz en vauldront mieulx pour l’amour d’elles, et que, se ilz ont bien ne honneur, qu’il leur viendra par elles, et leur demonstreront et diront tant de raysons et de abusions que c’est une grant merveille à les ouïr parler. Et en oultre gemissent, et souspirent, et font les pensis et les merencolieux, et en oultre font ung faulx regart et font le debonnaire, tant que qui les verroit il cuideroit que ilz fussent esprins d’amours vrayes et loyaulx ; mais telles manières de gens, qui ainsi usent de faire telx faulx semblans, ne sont que deceveurs de dames et de damoiselles. Si vous dy qu’ilz ont paroles sy à mains et sy forgées, comme ceulx qui souvent en usent, que il n’est dame ne damoiselle, qui bien les vouldroit escouter, qu’ils ne deceussent bien par leurs faulses raysons que elles ne les deussent bien amer. Et il en est bien pou, si elles ne sont moult saiges, qui bien tost n’en feussent deceues, tant ont paroles à main et tant font le gracieux et usent de faulx semblant. Ceulx cy sont au contraire du loyal amant. Car l’on dit, et je pense qu’il soit vray, que le loyal amant qui est espris de loyal amour, que, dès ce que il vient devant sa dame, il est si espris et paoureux et doubteux de dire ou faire chose qui lui deplaise, que il n’est mie si hardi de dire ne descouvrir un seul mot, et, se il ayme bien, je pense qu’il sera iij. ans ou iiij. avant que il lui ose dire ne descouvrir. Ainsi ne font pas les faulx, qui -252- prient toutes celles que ilz treuvent, comme dessus vous ay dit, car ilz ne sont en crainte ne en paours de dire tout ce qui à la bouche leur vient, ne honte ne vergoingne n’en ont. Car, se ilz n’en ont bonne responce d’une, ilz penseront à l’avoir meilleure d’une autre, et tout ce que ilz pevent traire d’elles, ilz rapportent tout et en font leurs parlements des unes et des autres, et s’en donnent de bons jours et de grans gogues et de bons esbatemens. Et par celles voyes s’en vont genglant et bourdant des dames et des damoyselles, et acroissent plusieurs paroles de quoy elles ne parlèrent onques. Car ceulx à qui ilz les disent y remettent du leur et y adjoustent plus de mal que de bien, et ainsi de parole en parole et par telle frivole sont maintes bonnes dames et damoyselles diffamées.
Et pour ce, mes belles filles, gardez-vous bien de les escouter, et, se vous veez ne appercevez qu’ilz vous veullent user de telles paroles ne de telx faulx regars, si les laissiez illecques tous piquez, et appelez aucun ou aucune en disant : « Venez oïr et escouter cest chevalier ou escuier, comme il esbat sa jeunesse et se gengle. » Et ainsi par telles paroles ou par autre manière lui romperés ses paroles. Et sachiez que, quant vous lui aurez fait une foiz ou deux, que plus ne vous en parleront ; car en bonne foy ou derrenier ilz vous en priseront et doubteront plus, et diront : Ceste cy est seure et ferme. Et par ceste voye ilz ne vous pourront mettre en leurs paroles ne en leurs gangleries, ne ne pourrez avoir nul diffamement ne blasme du monde. »
Le chevalier respont. Lors je lui respondy : « Dame, -253- vous estes bien male et merveilleuse, qui ne voulez souffrir que voz filles ayment par amours. Me dittes-vous que se aucun bon chevalier ou autre, qui soit homme de bien et d’onneur et puissant assez selon elles, qui les vueillent amer en entencion de mariage, pourquoy ne les aymeront-elles ? »
La dame respont : « Sire, à ce je vous respons : Il me semble que toute femme à marier, soit pucelle ou vefve, se puet bien batre de son baton mesmes. Car tous les hommes ne sont mie d’une manière ne d’une autre, et ce qui plaist aux uns ne plaist pas aux autres. Car il en est d’aucuns à qui il plaist moult le bon semblant et bonne chière que l’on leur faist, et n’y pensent que bien, et aucunes fois en sont plus ardans de les demander à leurs amis pour les avoir à femmes. Et autres y a plusieurs qui d’autres manières sont et tout au contraire ; car ilz les en prisent moins et doubtent en leurs cuers que, quant ilz les auroient, que elles feussent de trop ligière voulentez et couraiges et trop amoureuses, et pour ce les laissent à demander, et aussy par trop estre ouvertes en leur faire beaux semblant, plusieurs en perdent leurs mariaiges. Car pour certain, pour soy tenir simplement et meurement et non faire guères plus grant semblant ès uns mieulx que aux autres, elles en sont mieulx prisées et sont celles qui plus tost sont mariées. Dont une fois vous me deistes une exemple qui vous estoit advenue, que je n’ay pas oublié. Vous souvient-il que vous me deistes une fois que l’on vous parloit de marier avecques la fille d’un seigneur que je ne nomme pas ? Si la voulsistes veoir, et si savoit bien que l’en parloit d’elle et de -254- vous. Et lors elle vous fist si grant chière comme se elle vouz eust veu tous les jours de sa vie, et tant que vous la touchastes sur le fait d’amourettes, et que elle ne fist mie trop le sauvaige de bien vous escouter. Et les responses ne furent par trop sauvaiges, mais assez courtoises et bien legierettes, et, pour le grant semblant qu’elle vous fist, vous vous retraystes de la demander, et se elle se fust tenue un peu plus couverte et plus simplement vous l’eussiés prise, dont j’ay ouy depuis dire qu’elle fut blasmée ; si ne sçay se ce fut à tort ou à droit. Si n’estes pas le premier à qui j’ay ouy dire et parler qu’ilz en ont maintes laissiées à prendre sur leur legier couraige et attrait et pour leurs grans semblans. Si est moult noble chose, et bonne et honneste à toute femme à marier, que soy tenir simplement et meurement, et especialement devant ceulx dont elles pensent que l’en parle de les marier ; je ne dy mie que l’en ne doive faire honneur et bonne chière commune, selon ce qu’ilz sont. »
Le chevalier parle : « Comment, dame, les voulez-vous tenir si courtes qu’elles n’aient aucune plaisance plus aux uns que aux autres ? »
La dame respont : « Sire, tout premierement, je ne vueil point qu’elles ayent nulle plaisance à nulx mendres d’elles, c’est assavoir que toute femme à marier n’ayme nul qui soit mendre que elle ; car, si elle l’avoit prins, ses amis l’en tiendroient pour abaissiée, et celles qui telles gens ayment, telle amour est contre leur honneur et estat et de grant deshonneur ; c’est un grain de fol et legier couraige et de grant mauvaistié de cuer. Car l’on ne doit rien tant -255- convoittier comme honneur en cest monde, et avoir et acquerre l’amistié et amour du monde et de ses amis, qui par celle fole et legiere voulenté est perdue ; dès lors qu’elle se met hors du conseil et du gouvernement de eulx, elle est deshonnourée moult vilment, comme, se je vouloie, j’en diroye bien l’exemple de plusieurs qui en sont diffamés et hayes de leurs prouchains amis. Et pour ce je leur deffans, comme mère doit faire à ses filles, qu’elles n’aient nulles plaisances ne nulle telle amour en nuls mendres d’elles, ne en nuls si grans qu’elles ne puissent avoir à seigneur ; car les grans ne les aymeront pas pour les prendre à femmes, ains ne leur feront nul semblant d’amour, forz pour le cheval et pour le harnoiz, c’est assavoir pour le pechié et delit du corps et pour les mettre à la folie du monde.
Après, celles qui aymeront trois manières de gens, comme gens mariez, gens d’esglise, prestres, moynes, et comme vallez et gens de néant, cestes manières de femmes qui les ayment pour néant et folement, je ne les met à nul compte, fors qu’elles sont semblables et plus putes d’assez que femmes communes du bourdel. Car maintes femmes de bourdel ne font leur pechié fors que par povreté, ou pour ce qu’elles furent deceues par mauvais conseil de houlières et de mauvaises femmes. Mais toutes gentilz femmes et autres, qui ont de quoy vivre honnestement, ou du leur, ou par service ou autrement, il fault, se elles ayment telle manière de gens, que ce soit pour la grant ayse où elles sont par la lescherie de leur chair et mauvaistié de leur cuer, qu’elles ne daingnent maistrier. Moult de gens les -256- trouvent plus putes, à tout regarder, que les communes ; car elles sçavent bien que l’amour des mariez n’est pas pour les avoir à seigneur, ne aussi les gens d’eglise, et aussi les gens de néant ; ceste amour n’est pas pour recouvrer honneur, mais pour toute vilté et honte recevoir, si comme il me semble. »
Le chevalier parle : « Au moins, dame, puisque vous ne vous voulez accorder que voz filles ayment par amours tant comme elles seront à marier, plaise vous souffrir que, quant elles seront mariées, que, se elles prennent aucune plaisance d’amour pour elles tenir plus gayes et plus envoysiées, et pour mieulx sçavoir leur manière et leur maintieng entre les gens d’honneur, car, aussi comme autreffois vous ay dit, ce leur seroit grant bien de faire un homme de néant valoir et estre bon. »
La dame respond : « Sire, à ce je vous repons : Je me attens bien que elles facent bonnes chières et liées à toutes manières de gens d’onneur, et plus aux uns que aux autres, c’est assavoir comme ils seront plus grans et plus gentilz et meilleurs de leurs personnes, et, selon ce qu’ilz seront, qu’elles leur portent honneur et courtoisie et chière liée devant tous, et que elles chantent et danssent, et se esbattent honnourablement, et leur faire bonne chière et bon visaige. Mais, quant à amer par amours, puisque elles sont mariées, se ce n’est d’amour commune, comme l’en doit faire à gens d’honneur, si comme les amer et honnourer ceulx qui plus le valent, et qui ont plus mis peine et travail à venir à honneur par armes ou par bonté de corps, ceulx doit-on plus amer, servir et honnourer, sans y avoir plaisance, fors par la bonté -257- d’eulx. Mais soustenir que une femme mariée doie amer par amour, d’amour qui la maistroie, ne prendre la foy ne le serement de nul que ils soient leur amant ne leur subgiet, ne aussi que elles baillent bien leur foy ne serement que elles les aymeront sur tous, je pense que dame ne damoyselle mariée ne autre femme d’estat ne mettra jà son honneur ne son estat en tel party ne en telle balance, par plusieurs raisons, lesquelles je vous declareray, si comme il me semble. Dont l’une raison est comme dessus vous ay jà dit, c’est assavoir que femme amoureuse ne sera jamais si devotte à prier Dieu ne à dire ses heures si devotement, ne ouïr le saint service comme devant. Car en amours a trop de merencolies, si comme l’en dit, et en y a maintes amoureuses qui, se elles osassent et elles ouyssent sonner la messe ou à veoir Dieu et que leur amant leur dist : « Venez çà », ou qu’elles peussent faire chose qui lui pleust, elles laisseroyent à veoir Dieu et à ouïr son service pour obeir à leur amant. Et si n’est-ce pas jeu-party, mais ainsi est la tentacion à Venus la deesse de luxure. L’autre rayson est que le mercier, qui poise la soye, puet bien mettre tant de fillettes que la soye emporte le poix, c’est à dire que la femme se puet bien tant admourouser qu’elle en aimera moins son seigneur, et que l’amour et la chière qu’il devra avoir de son droict, que autre la lui touldra. Car, pour certain, une femme ne puet avoir deux cuers à amer l’un et l’autre ; car ce qui va en l’un decline de l’autre : tout ainsi comme un levrier qui ne puet courre à deux bestes ensemble, tout ainsi ne puet-elle amer feablement son seigneur et son amy qu’il -258- n’y ait faulte et decevance. Mais Dieux et raison naturelle la contraint et deffent de l’autre ; car, si comme disent les clers et les prescheurs, Dieu dès le commencemant du monde assembla homme et femme par mariaige, et dès lors commanda compaignie de mariage, et, après ce, quant il fut venu ou monde, il en parla en plain sermon, devant tous, en disant que mariaige est une chose si jointe de Dieu que ilz ne sont mie deux chars, mais une seule chair et une seule amour et fragilité, et qu’ilz se doivent si entr’amer qu’ilz en doivent laissier père et mère et toute autre creature. Et puisque Dieu les a assemblez, homme mortel ne les doit separer, c’est-à-dire ne oster point l’amour l’un de l’autre. Ainsi le dit Dieu de sa sainte bouche, et pour ce à la porte de l’eglise l’en les fait jurer d’eulx amer et d’eulx entregarder, sains et malades, et ne guerpir pas l’un l’autre, pour pires ne pour meilleurs. Et dont je dy, puis que le createur le dist, que ce n’est que une mesme chose et que l’on doit toute amour guerpir pour celle ; et le grant serement que l’en en a fait en sainte eglise, que l’amour ne le service de l’un et de l’autre ne se doit changier pour pire ne pour meilleur, c’est-à-dire ne changier ne mettre autre en son lieu. Et dont comment pourroit femme mariée donner s’amour ne faire serement à d’autre, sans le gré de son seigneur ? Je pense, selon Dieu et selon le saint sacrement de sainte eglise, que ce ne se puet faire deuement que il n’y ait foy brisée ou d’un cousté ou d’autre. Et maint autre orrible cas et let, qui tout vouldroit mesurer, a en celles qui baillent la foy et le serement, c’est l’amour, qu’elles doivent -259- de leur propre droit à leur seigneur, la baillier à autruy. Car, en bonne foy, je doubte que celles qui sont amoureuses et baillent leurs foys en ayment moins leurs seigneurs ; car il convient que l’amour pende de l’un costé ou de l’autre, selon raison, aussi comme le poix de la balance.
L’autre raison de la dame. Après y a autre raison. Qui bien vieult garder l’amour de son seigneur nettement, sans dangier et sans peril, c’est assavoir contre envieux et males bouches qui font lez faulx rapports, c’est-à-dire que, se elle fait aucun semblant d’amours et aucun s’en apparçoive, soient de ses servans ou servantes ou autres de eulx, quant ilz sont departis d’elle ilz en parleront aucuns mos, et ceulx à qui ilz en parleront en reparleront à d’autres, et ainsi de parole en parole, avec ce que chacun y mettra du sien et acroistra un pou davantaige, et tant yront les paroles que ilz diront que le fait y sera, et ainsi sera une bonne dame ou damoiselle, ou autre femme, diffamée et deshonnourée. Et se il advient par aucune adventure que son seigneur en oye aucune parole, lors il la prendra en hayne, ne jamais de bon cuer ne l’aymera, et la rudayera et laidangera et lui sera plus rude, et elle lui. Et ainsi veez l’amour de leur mariage perdue, ne jamais parfaitte amour ne bien ne joye n’auront ensemble. Et pour ce est grant peril à toute femme mariée de mettre son honneur et son estat et la joye et le bien de son mariaige en telle balance et en telle advanture. Et pour ce je ne loue point à nulle femme mariée amer par amours ne estre amoureuse d’amours qui les maistroye, dont elles soient subjettes -260- à d’autres qu’à leurs seigneurs ; car trop de bons mariaiges en ont esté deffais et peris, et contre un bien qui en est venu il en est venus cent maulx. Dont je vous en diray aucuns exemples de ceulx qui sont morz et peritz par amours. La dame de Coucy et son amy en morurent, et sy firent le chevallier et la chatellainne de Vergy, et puis la duchesse ; tous ceulx cy et plusieurs autres en morurent pour amours, le plus sans confession. Si ne sçay comment il leur en va en l’autre siècle ; si me doubte bien que les joyes et les delis que ilz en eurent en cest monde ne leur soyent chières vendues en l’autre. Et pour ce les delis des amoureux, pour une joye qu’ilz en ont, ilz en reçoivent cent douleurs, et pour une honneur cent hontes. Et ce advient souvent de par le monde, et ay tousjours ouy dire que femme amoureuse n’aymera jà puis son seigneur de bon cuer, ne, tant comme elle le sera, n’aura parfaicte joye de mariaige, c’est-à-dire avecques son seigneur, fors que merancolie et menus pensiers. »
Le chevalier parle : « Ha, dame, vous me faictes esmerveillier de ce que ainsi deslouez à amer par amours. Me cuidiez-vous faire acroire que vous soiez si crueuse que vous n’ayez aucunes foiz amé et oy la complainte d’aucun que vous ne me deistes mie ? »
La dame respont : « Sire, en bonne foy je pense que vous ne m’en croiriez mie de en dire la vérité. Mais quant d’estre priée, se j’eusse voulu, par maintes foys j’ay bien apperceu que aucuns m’en vouloient touchier. Mais je leurs rompoye leurs parolles, ou appelloye aucun, par qui je despeçoye leur fait et le fait de leur emprise. Dont il advint une fois que tout -261- plain de chevaliers et de dames jouoient au Roy qui ne ment pour dire vérité du nom s’amie ; si me dist un, et me jura trop fort que c’estoit moy, et qu’il m’amoit plus que dame du monde. Et je lui demanday s’il y avoit guères qu’il lui estoit pris, et il dist qu’il y avoit bien deux ans, et oncques mais ne me l’avoit osé dire. Et je lui respondy que ce n’estoit riens de estre si tost espris, et que ce n’estoit que un pou de temptacion, et qu’il alast à l’église et preist de l’eaue benoiste et deist son Ave Maria et sa Pater nostre, et il luy seroit tantost passé, car ces amours estoient trop nouvelles. Et il me demanda comment, et je lui deis que nul amoureux ne le doit dire à sa mie jusques à la fin de vij. ans et demy, et pour ce n’estoit que un pou de temptacion. Lors il me cuida arguer et trouver ses raysons, quant je lui dis bien hault : Veez que dist cest chevallier ! Il dit que il n’a que deux ans que il ayme une dame. Et lors il me pria que je m’en teusse, et en bonne foy onques puis ne m’en parla. »
Le chevalier parle : Lors je lui dis : « Madame de La Tour, vous estes moult male et estrange et orguilleuse en amours, selon voz paroles. Si fais doubte se vous avez toujours esté si sauvaige. Vous ressemblez madame de La Jaille, qui m’a aussy dit qu’elle ne voult oncques riens ouir ne entendre la note de nul, fors une fois que un chevallier le lui disoit, et elle aguigna un sien oncle, qui vint derrière escouter le chevallier, dont ce fut grant trayson et grant pitié de faire espier le chevallier, qui moult estoit bien advisié et cuidoit bien dire sa raison, et ne pensoit mie que l’en l’escoutast. Vraiement, entre vous -262- et elle, a poy que je ne die que vous estes grans bourderesses et peu piteuses de ceulx qui mercy quièrent. Et aussi je la tiens à aussy malle ou plus comme vous, car elle soustient voz oppinions, que dame ne damoiselle qui est mariée se puet bien deporter d’amer autre que son seigneur, par les raisons que vous avez dites dessus. Si je ne m’y pourroye consentir, ne jà ne m’y consentiray. Mais quant à voz filles, vous leur povez dire et eschargier ce qu’il vous plaist, et après du fait sera fait droit. »
La dame respond : « Sire, je prie à Dieu que à bien et à honneur puissent leurs cuers tourner, si comme je le désire ; car mon entencion n’est point de en ordonner ne deviser sur nulle dame ne damoiselle, fors sur mes propres filles, sur qui j’ay mon parler et mon chastiement. Car toutes autres dames et damoiselles se sauront bien gouverner, se Dieu plaist, à leur guise et à leur honneur, sans ce que je me doye entremettre d’elles, moy qui suis moult pou savant. »
Le chevalier parle : « Au moins, ma dame, me vueil-je un pou débattre à vous que, s’elles pevent faire valoir et venir à honneur aucun que jamais n’y tendroit ne n’auroit le hardement ne le cuer de l’entreprendre, se ne feust le plaisir qu’il pourroit prendre en sa mie et la bonne esperance de tendre à estre bon, et d’estre nommé entre les bons, pour tirer à avoir honneur et pour mieulx cheoir en sa grace et plaisance ; et ainsi pour un poy de bonne chière puet faire un homme de neant bon, dont de lui n’estoit compte ne parole, ne de sa renommée, et à present pour l’amour d’elle a tant fait qu’il sera nommé entre -263- les bons, et doncques regardez et amesurez se ce n’est mie convenable. »
La dame respond : « Sire, il m’est advis qu’ilz sont plusieurs manières d’amours, se comme l’en dit, et en y a des unes meilleures que les autres. Mais, se un chevallier ou escuier ayme une dame ou damoyselle par honneur, tant seulement pour l’onneur d’elle garder, et pour le bien, la courtoisie et la bonne chière qu’elle fera à lui et aux autres, sans autre chose lui requerre, ceste amour est bonne, qui est sans requeste. »
Le chevalier parle : « Avoy, dame, et, se il la requiert d’acoler et de baisier, ce n’est mie grant chose ; car autant en porte le vent. »
La dame respond : « Sire, de ce je vous respons quant à mes filles, de autre je ne parle point ; il me semble bien et m’y consens qu’elles leurs pueent bien faire bonne chière et liée, et encore qu’elles les accolent devant tous, et que par faulte de bonne chière devant tous plainement que ilz ne perdent pas à valoir, se voulenté en ont. Mais quant à mes filles, qui cy sont, je leur deffens le baisier, le poetriner et tels manières d’esbatemens. Car la sage dame Rebecca, qui fut très gentille et preude femme, dist que le baisier est germain du villain fait. Et la royne de Sabba dist que le signe d’amours est le regart, et après le regart amoureux on vient à l’accoler, et puis au baisier, et puis au fait, lequel fait toult l’onneur et l’amour de Dieu et du monde, et ainsi viennent voulentiers de degré en degré. Et vueilliez sçavoir qu’il me semble que, dès ce qu’elles se laissent baisier, elles se mettent en la subjection de l’ennemy, -264- qui est trop subtil. Car telle se cuide au commencement tenir ferme qu’il desçoipt par telz plaisirs et par telz baisiers. Car, ainsi comme l’un boire attrait l’autre, et comme le feu se prent de paille en paille et puis se mest au lit et du lit en la maison, et puis elle art toute, tout ainsi est-il de maintes amouretes ; car premièrement ilz demanderont le acoler et puis le baisier, et tout plain d’autres folz delis, et de celle ardeur d’amour aucunes foiz chéent en plus fol fait, dont mains maulx en sont avenus et maintes fois encores adviennent, dont maintes en sont deshonnourées et diffamées. Et encores je dy que, se le fait n’y est et aucun les treuve seul à seul eulx entrebaisant en bonne foy, si ne puet-elle faillir à estre diffamée ; car cellui ou celle qui l’aura veu le dira et adjoustera plus de mal que de bien, et par ceste raison et plusieurs aultres, qui trop seroient longues à toutes les dire, toutes femmes qui telz signes font et qui ainsi se laissent baisier à homme à qui elles ne le doivent faire, elles mettent leur honneur et leur estat en grant balance d’estre diffamées. Si vueil que mes filles se gardent que elles ne baisent nullui, se il n’est de leur linaige ou que leur seigneur ou leurs propres parens le leur commandent ; car en chose faicte par commandement n’a nul mal. Et si vous dy, belles filles, que vous ne soyez jà grans jouaresses de tables. Car c’est un fait qui trop attrait de folz attrais, et en y a aucuns qui se laissent perdre, tout à leur escient et de leur gré, certaines fermailles et de petis joyaulx, comme annelés d’or et autres choses. Car c’est une chose qui donne voye et attrait d’avoir aucune fois blasme. J’ay ouy -265- raconter d’une dame de Banière, moult belle, et disoit l’en qu’elle avoit xx. subgiez qui tous l’aymoient, et à tous donnoit attrais de semblant d’amour, et si gaingnoit souvent à eulx à cellui jeu corssés, draps, pennes de ver, perles et grans joyaulx, et en avoit moult de grans prouffis ; mais pour certain elle ne les pot onques si bien garder que en la fin elle n’en feust moult blasmée et diffamée, et mieulx lui vaulsist pour son honneur avoir acheté ce qu’elle en avoit eu le denier xij. Si est moult grant peril à toute dame et damoiselle et à toute autre femme de user de celle vie ; car les plus appertes et les plus saiges s’en tiennent sur le derrenier pour moquées et diffamées. Et pour ce, belles filles, prenez y bon exemple, et ne jouez pas trop envieusement, et n’aiez mie le cuer trop ardant de gaingner petites fermailles, et n’i aiez mie trop le cuer. Car qui a le cuer trop ardant de prendre dons ne telz fermailles gaingnez par tels jeux, maintes en sont deceues, et sont semblables ès dons, car l’un vault l’autre, et qui est accoustumière et ardante de trop souvent prendre dons ne telles fermailles gaingnez par tels jeux, aucunes fois celles qui trop en prennent se mettent en subgicion, et maintes fois advient qu’elles s’en trouvent deceues. Si est bon de toutes avisier avant le coup. »
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Chappitre VIXXVe.
Belles filles, je vous diray une des derrenières exemples d’une bonne dame qui moult fait à louer ; il est contenu en la vie des Pères comment la femme au prevost d’Acquillée esprouva un hermite par sa bonté. Il fut un saint hermite qui bien avoit esté xxv. ans en hermitaige, où il mengoit pain gros, herbes et racines, et buvoit eaue et jeunoit et estoit de moult sainte vie. Et une fois il commença à dire : « Beau sire Dieux, ay-je en cest siècle riens fait dont je doye avoir nulle merite, ne fait chose qui te plaise ? » Sy lui vint une advision qu’il lui sembloit que on lui disoit : « Tu es bien de la mérite au prevost d’Acquillée et sa femme. » Lors, quant il ot ouy son advision, il se pensa que il yroit en Acquillée et verroit et requerroit des meurs et de leur vie, et de quelle merite ilz estoient. Et pour sçavoir se ilz avoient nul bien deservy envers Dieu, si se mist à chemin, et, comme Dieu le voult, par la grace du saint Esperit, le prevost d’Acquillée et sa femme sceurent bien la venue de l’ermite pourquoy il venoit. Si advint, comme l’ermite arrivoit vers la ville d’Acquillée, le prevost yssoit de la ville à moult grant foyson de gens, et aloit faire justice d’un escuier qui avoit occis un autre escuier. Et estoit le prevost sur un grant courssier, -267- vestu de draps de soye, fourré de vair et d’ermines, moult noblement et richement acesmé. Et, tantost comme le prevost vit l’ermite, il le congnut bien, par la volonté de Dieu ; si l’appelle à costé et lui dist : « Beau preudomme, allez à mon hostel et bailliez cest annel à ma femme, et lui dittes qu’elle vous face comme à moy. » Si lui demanda l’ermite qui il estoit, et il lui dit qu’il estoit le prevost d’Aquillée. Lors l’ermite, qui ainsi le vit noblement et richement appareillié, fut moult esbahi et esmerveillié pource qu’il le vit en si grant cointise, et qu’il faisoit deffaire un homme et le faisoit pendre. Si ne savoit que penser et estoit tout troublé, et lui sembloit qu’il n’avoit riens desservy devers Dieu. Et toutes fois il alla à l’ostel du prevost, et trouva la dame à qui il bailla l’annel, et lui dist que son seigneur lui mandoit qu’elle lui feist comme à lui. La bonne dame le receust à grant joye, si fist mettre les tables et le fist seoir delès elle et servir de bonnes viandes et de chaudes et de bons vins, et l’ermite, qui ne avoit pas apris ne acoustumé à avoir telles viandes, toutesfois mengea et bust et en fust bien aise. Et sur le derrenier il lui sembla que la dame faisoit despecier les mèz des viandes devant elle et mettre ou relief, et mengoit pain gros et boulie et buvoit eaue, et si faisoit ainsi. Et, quant vint au soir, la dame le mena en sa chambre, qui fut bien parée de couvertures fourrées de vair et de gris et bien encourtiné, et lui dist : « Beau preudomme, vous coucherez ou lict de mon seigneur et en sa chambre. » Si le cuida refuser, mais elle lui dist que si feroit et qu’elle feroit le commandement de son seigneur et qu’il y coucheroit. -268- Lors fist venir bons vins et espices, et y trouva bonne saveur et beust bien à tant qu’il fut bien yvre et fut joyeulx et emparlé ; car le vin l’eust tantost deceu, pource qu’il n’avoit mie apris à point en boire. Après ce il s’en ala couchier, et, quant il fut couchié, la dame se despouilla et se vint couchier avecques lui, et le commença à acoler et le taster, et l’ermite, qui bien avoit mengé de bonnes viandes et de chaudes, et n’avoit mie oublié à boire, sa chair se esleva et s’esmeut, et tant que il vouloit faire la chose à la dame. Et, quant la dame vit qu’il le vouloit faire, la dame lui dist : « Doulx amis, quant mon seigneur le veult faire, il se va avant laver et baingnier en celle cuve d’eaue que vous veez, pour estre plus net. » Lors l’ermite, qui n’entendoit fors à sa fole voulenté, saillist dedans la cuve et se baingna et lava en l’eaue, qui fut froide comme glace, et fust tantost transi de froid, et lors la dame l’appella et il vint tremblant et sublant, et lui estoit bien la chaleur passée et la mauvaise voulenté. Et lors elle l’abria et puis eschauffa, et tant que la chair arrière lui esleva et voult faire son fol delit. Et quant elle vist qu’il feust bien entalenté, elle le pria que encores il allast pour amour de elle soy baingnier une autre fois pour estre plus net, et cellui, qui encores n’avoit point dormy, ains estoit tout chaut du vin et avoit perdue sa memoire, saillist du lit et alla arrière soy baingnier. Et lors l’eaue froide le transist tout de froit, et lors la dame l’appella, et il vint tramblant et daguetant les dents, et lui estoit bien la chaleur passée. Et lors la bonne dame si l’abria et couvry très bien et s’en parti et laissa reposer très bien -269- l’ermite. Et quant il fut un pou eschauffé il s’endormy moult pesantement, et ne se resveilla jusques au matin qu’il feust haulte heure, et lui douloit la teste du vin qu’il avoit beu, car il n’en avoit point apris à boire. Lors il vint un vielx chappellain à son lever, qu’il lui demanda comment il lui estoit. Et, quant il s’apperceut que il avoit geu en si noble lit et qu’il lui estoit ainsi advenu, il fut moult honteux et moult esmerveillié dont il estoit ainsi cheu, et vist bien qu’ilz estoient de plus grant mérite que lui. Lors il demanda au chappellain de ceans de l’estre et de la vie du prevost et de la dame. Et le chappelain lui dist que ilz vestoient la haire le plus de jours et l’estamine, et, quant les bonnes viandes estoient devant eulx, ilz les mettoient en relief et en aumosnes et mengeoient le gros pain et les viandes de pou de saveur, et buvoient de l’eaue, et jeunoient le plus de jours. Lors il demanda pourquoy estoit illec celle cuve d’eaue froide delez leur lit, et il respondist qu’elle estoit là mise pour ce que, quant la char d’aucun d’eulx s’esmouvoit au delit de la chair, afin qu’ils ne cheyssent en pechié de luxure, fors à un jour de la sepmaine, cellui d’eulx à qui elle esmouvoit se aloit mettre en celle cuve d’eaue froide pour reffraindre leur fol delit. Et, quant l’ermite eut ainsi enquis, il se pensa que le prevost, combien qu’il feust moult richement arrayé dehors, vestoit la haire ou l’estamine, et en oultre qu’il tenoit justice et la faisoit faire devant lui, et aussi comment lui et sa femme veoient à leur table les bons morceaux et les bonnes viandes delicieuses, et ne les vouloient mengier, ains les donnoient pour Dieu et mengoient pain gros et buvoient -270- eaue, et considera que vraiement ilz avoient vij. fois plus de merite que lui, qui ne veoit à son hermitaige nulle chose dont il lui prist envie, et que c’estoit plus grant abstinence et en devoient avoir plus grant merite que lui, et puis se pensa comment il ne tint mie en lui qu’il ne feist la folie à la bonne dame, et comment elle l’essaia et esprouva. Si ot moult grant deul et grant vergoingne, et mauldisoit en son cuer l’eure que oncques il estoit parti de son hermitaige, et que, en vérité, il n’estoit pas digne de les deschausser, et s’en ala mussant et plourant, et moult honteux, et disoit à haulte voix : « Beau sire Dieulx, il n’est plus noble tresor ne plus precieuse chose terrienne que la bonne dame qui me essaya et a veu ma folie et esprouvé ma faillance ; et vrayement, Sire, elle est bien digne d’estre nommée et appellée la precieuse marguerite, comme vous le deistes, Sire, en la sainte euvangille, que la bonne femme devoit estre comparée à la precieuse marguerite. Mais, Sire, ceste bonne dame est une de celles pour qui vous le deistes de votre sainte bouche. » Ainsi parloit à soy-mesmes le saint hermite et se repentoit moult humblement en cryant mercy à Dieu et en louant la bonne dame qui de si bonne vie estoit. Et pour ce a cy bon exemple comment noble chose est de bonne dame qui bien s’espreuve et qui se puet contenir contre les temptacions de l’ennemy et contre la foyblesse de la chetive chair qui tous jours frit et desire la folle voulenté en son fol delit, et puis, quant le fol delit est eschappé et fait, l’en en ploure et s’en repent l’en ; mais c’est tart, car l’ennemy, qui cest fait a pourchassié, dès ce -271- qu’il a peu faire acomplir la folie et le mauvais délit, il les tient pour ses serfs et pour ses subgiez, et les assemble et les lie tant que à painne ilz s’en pevent deslier, tant y met grant plaisance par son art, et, de tant comme le pechié est plus grant, de tant est la folle temptacion greigneur.
Chappitre VIXXVIe.
Un autre exemple vous diray d’une grant dame qui fust femme à un grant baron ; celle fust moult long temps vefve, et n’avoit que une fille, mariée à un grant seigneur. Sy advint qu’elle fust malade au lit de la mort ; sy fist faire son lit devant l’uis d’une tour où estoit sa chevance et son or, et fist mettre la clef de cette tour scellée en un drapel soubz ses reins, et, quant vint que la mort s’aprocha, elle avoit tousjours les yeulx devers la porte de celle tour, et quant aucuns y aprouchoient, elle levoit la main et monstroit signe que l’en n’y aproschat, et s’escrioit et tourmentoit toute que nul n’y habitast vers l’uis, et là avoit le plus de son entente, tant comme elle peust faire nul signe, et au fort elle trepassa. Si arriva la fille, qui grant dame estoit, et demanda aux gens se sa mère avoit point de chevance pour lui faire son arroy ; ils respondirent qu’ilz ne savoient, -272- fors qu’ilz se pensoient bien que, se point en avoit, qu’elle feust en celle tour devant son lit. Et comptèrent comment elle ne vouloit souffrir que l’en n’y atouchast, et lui distrent comment la clef en estoit scellée soubz ses rains. Lors la fille ouvrit la tour et trouva de xxx. à xl. mille, tant en or que en argent, que en vaisselle ; mais lors fut trouvé en linceulx de fil et de laine et en poupées de lin et en merveilleuses chose, que tous en estoient esbahis d’en veoir la manière. Adonc sa fille se seigna et dist que en bonne foy elle ne cuidoit mie qu’elle eust le xxxe de ce qu’elle avoit trouvé, et en estoit moult esbahie, et encores disoient qu’elle et son seigneur l’estoient venue veoir, n’avoit gaires, et lui avoient requis de leur prester deux cens livres, jusques à certain temps, et qu’elle leur avoit juré fort sairement qu’elle n’avoit point d’argent, fors sa vaisselle d’argent de chascun jour, et pour ce estoit elle moult esmerveillée de trouver ce qu’elle trouvoit. Si lui distrent ses gens qui avoient esté avecques elle : « Ma dame, ne vous esmerveilliez mie, car nous en sommes plus esmerveilliez encore que vous ; car, se elle voulsist envoyer un messaige hors, ou aucune chose faire, elle empruntoit iij. solz ou iiij, et deist par sa foy qu’elle n’avoit point d’argent, et si estoit moult riche et ne vouloit riens despendre. Et, quant ses gens mangeoient, elle leur reprouchoit : Comment, serez-vous tout huy à table ? vous ne faictes que gaster et despendre tout le nostre. » Et si vous dy bien que l’en la tenoit moult escharse et chiche ; et toutes foiz elle laissa tout. Si n’a pas long temps que je fus là où elle est enterrée ; si demandoit aux frères -273- de l’abbaye où elle gisoit et à quoy il tenoit qu’elle n’avoit une tombe ou aucune congnoissance d’elle en leur eglise. Et ilz me respondirent que oncques, puis que l’enterraige fut fait, amy qu’elle eust n’en fist dire ne messe ne matines, ne faire nul bien pour elle neant plus que pour une povre femme de villaige, forz que tant seulement à son enterraige, où elle ot beau service ; mais ce fut tout, car je le vy et y fus. Si a cy bon exemple comment l’ennemi est subtil pour decevoir, et comment en l’un des vij. pechiez mortelz, où il puet mieulx tempter homme et femme, en cellui il met son entente et lie les pecheurs tellement que à painne s’en puevent-ils deslier, et se ce n’est par vraye confession, et les fait estre serfz au pechié, comme il fist celle grande dame ; car il fist tant qu’elle fut serve et servante à son or et à son argent, tellement qu’elle ne s’en osa bien faire ne autruy, ne pour l’amour du monde, ne pour l’onneur. Et pour ce, belles filles, a cy bon exemple que, se il advenoit que Dieu vous donnast aucune chose et chevance terrienne, departez lui en largement et en faictes bien, pour honneur de vous, à vos povres parens et voisins. Et n’attendez pas à le departir comme fist celle dame, pour qui oncques puis ne fut chanté ne ballé, ne fait nul bien pour elle, comme ouy avez dessus.
-274-
Chappitre VIXXVIIe.
Un autre exemple vous vueil dire au contraire de cestui devant ; c’est d’une bonne dame qui fut longtemps veufve. Si fut moult de sainte vie, et moult honnourable, comme celle qui chascun an tenoit feste à Noel de ses voisins, et les envoioit querre près et loin, tant que la salle en estoit bien plainne. Et ne fait mie à demander se elle les servoit et honnouroit bien, chascun selon soy, et à merveilles portoit grant honneur et priveté aux preudes femmes et aux gens qui avoient deservi honneur, et là estoient les menestralx et plusieurs instrumens, à qui elle faisoit moult grant chières et leur donnoit du sien largement, tant qu’ilz l’amoient à grant merveilles, tellement que, quand elle fut morte, ilz en firent une chanson de regret d’elle, où il y a au reffrain :
Et ainsi la regretoient. Et après ce elle avoit telle coustume que, se elle sceut aucune povre gentilfemme qui feust mariée près d’elle, elle l’ordonnast et arroiast de joyaulx et de mantel et lui faisoit tant -275- de biens qu’elle povoit, et, se elle n’y allast, elle y envoiast de ses damoyselles l’arroyer et lui faire honneur, et aloit aux enterremens des povres gentilz hommes et gentilz femmes et leur donnoit la cire ou ce qui leur faisoit mestier, et puis se revenoit mangier en son hostel, et ne souffrist pas que gens qu’elle eust leur fist nul coust. Son ordonnance de chascun jour estoit qu’elle se levoit assés matin et avoit tousjours deux frères et deux ou iij. chappelains qui lui disoient matines à notte et messe à notte, sans les autres messes, et, quant elle estoit levée, elle venoit tout droit à sa chappelle, et entroit en son oratoire, et là disoit ses heures, tant comme l’en disoit matines et une messe. Et après elle se aloit arraier et attourner, et après cela elle s’aloit esbattre ès vergiers ou à l’environ son hostel, en disant ses heures, puis venoit faire aucunes petites messes dire et la grant messe, et puis aloit disner, et, après disner, s’elle sceut aucun malade ou femme en gésine, elle les aloit veoir et visiter et leur feist porter de sa meilleure viande et du vin, et là où elle ne povoit aler, elle tramettoit un varlet tout propre sur un petit cheval, qui aloit veoir les malades là où ilz estoient, et leur portoit vin et viandes. Et après vespres elle aloit soupper, se elle ne junast, selon le temps et la saison, et faisoit au soir venir son maistre d’ostel, et vouloit savoir que l’en mengeroit lendemain, et ordonnoit de ses choses qui failloient, et vivoit par bonne ordenance, et vouloit que l’en se pourveist de loing des choses qui estoient necessaires pour son hostel. Elle faisoit moult de abstinences, et entre les autres choses elle vestoit la haire le -276- mercredi, le vendredi et le samedi. Comment je le sais, je vous le diray. La bonne dame morut en un lieu qu’elle tenoit en douaire, qui estoit de monseigneur mon père, et, quant elle fust morte, nous y venismes demourer, mes suers et moi, qui estions encore petis. Et fut depecié le lit où elle morut ; si fut trouvée dedans une haire. Si avoit leans une damoiselle moult bonne femme, qui avoit demeuré avecques la dame ; si prist la haire et la mist en sauf, et nous dist que estoit la haire à sa feue dame, et qu’elle la vestoit troix jours de la sepmaine, et nous compta la bonne vie et les meurs d’elle, et comment elle se levoit chacune nuit iij. fois du moins et s’agenouilloit en la venelle de son lit et rendoit graces à Dieu, et prioit pour les mors et faisoit moult d’abstinences, et estoit piteable ès povres et moult charitable et de moult sainte vie. La bonne dame, qui bien fait à nommer, eut nom madame Olive de Belle Ville, et je lui oy dire que son frère tenoit bien xviij. mil livres de rente ; mais pour ce elle estoit la plus courtoise dame et la plus humble que je vy oncques, selon mon avis, et qui moins se prisoit et moins estoit envieuse, ne jamais ne voulsist que l’en mesdeist de nulz ne ne voulsist oïr parler maulx de nulz, et que l’en parlast devant elle, et quant aucuns en parloient, elle les desblasmoit et disoit que, si Dieu plaist, ilz se amenderont, et que nulz ne savoit qui lui estoit à venir, et que nulz ne devoit juger d’autruy, et que les vengences et les jugemens de Dieu estoient moult merveilleux, et ainsi reprenoit ceulx qui le mahain et les maux parloient d’autruy, et les faisoit taire, sans les esbaïr de ce que elle -277- les reprenoit ainsi. Et ainsi doit faire tout bon homme et toute bonne femme à l’exemple de ceste. Et saichiez que c’est une noble vertu que non estre envieux ne joieux du mal d’autrui recorder, selon Dieu et selon son honneur. Et, pour certain, la bonne dame disoit que ceulx qui se ventoient et reprouchoient les maulx et les vices d’autruy et qui voulentiers se bourdoient de leurs voisins et d’autruy, que Dieux les punissoit de telz vices ou eulx ou les prouchains de ceulx, dont ilz avoient puis honte. Et ce ay-je souvent veu avenir, comme disoit la bonne dame ; car nul n’a que faire de jugier ni reprouchier ne enquerre le mal de son voisin ne d’autruy. Et toutesfois il me souvient bien de beaucoup de bons dis de la bonne dame ; si n’avois-je que environ ix. ans quant elle morut. Si vous di bien que, se elle eust bonne vie, elle ot bonne fin, si belle que ce seroit belle chose à le raconter. Mais long seroit, et dist l’en communement que de bonne vie bonne fin, et pour ce est bel exemple de faire comme elle fist.
Chappitre VIXXVIIIe.
Un autre exemple vous vueil dire comment Cathon, qui fut si saige qu’il gouverna toute la cité de Romme, et fist moult d’auctoritez, qui encore sont grans memoires de lui, cellui Cathon ot un filz, et, quant il -278- fut ou lit de la mort, il appella son filz, qui avoit nom Cathonnet, et lui dit : « Beau filz, j’ay vesqu moult longuement, et est tamps que je laisse cest monde, lequel est fort à congnoistre et moult merveilleux, et toujours empirera, comme je pense. Mais toutesfois, beaux chier filz, je aroye moult chier que vostre gouvernement fust bon, à l’amour de Dieu et à l’onneur de vous et de tous vos voisins et vos amys. Si vous ay baillié par escript moult d’enseignemens qui moult vous pourront prouffiter, si vous voulez mettre cuer à les retenir. Et toutesfois me suis-je pensé encore de vous en dire trois autres avant ma mort. Si vous prie de les bien retenir et les garder.
» Du premier enseignement. Le premier des trois enseignemens est que vous ne prengniez office de vostre seigneur souverain, en cas que vous aurez assez chevance et bonne souffisance. Car qui a son estat bon et souffisant, il a toute souffisance, autant selon comme roy et empereur peut avoir, et ne doit plus demander à Dieu. Et pour ce ne vous devez pas mettre à subjection de perdre par une mauvaise parole ou par un mal raport tout ce que vous avez ; car, beaux fils, il est des seigneurs par le monde de plusieurs manières, comme de hastis et qui croient de legier. Et, pour ce, qui a souffisance doit bien doubter de soy mettre en nul peril de avanturer son estat et honneur pour servir gens de legière voulenté.
» Le second enseignement. Le second enseignement est que vous ne respitez homme qui a mort desservie, et par espacial qui est coustumier de -279- faire mal ; car ou mal qu’il feroit après vous seriez participant et en tous les maulx qu’il feroit, et à bon droit.
» Encore de Cathonnet. Le tiers enseignement est que vous essaiez vostre femme, pour savoir se elle saura bien celler et garder vostre secret qui touchera l’onneur de vostre personne ; car il en est de moult saiges et de bonnes qui scevent bien celer et qui donnent de bons advisemens, et si en est de telles qui ne se pourroient tenir de dire tout ce que l’en leur dit, aussi bien contre elles comme pour elles. » Et ainsi le saige Cathon bailla ces trois enseignemens à son filz au lit de la mort. Si advint que le preudomme morut, et son filz demeura, qui estoit tenu pour saige, et tant que l’empereur de Romme lui bailla son filz à le garder et à l’apprendre et endoctriner. Et après cela, il lui fist parler d’estre avec lui et de gouverner les grans faiz de Romme et lui fist promettre de grans prouffis, et tant que, pour la convoitise des grans prouffiz, il se consentist à prendre l’office et s’en charga, et lui fist convoictise oublier l’enseignement de son père. Et quant il fut en cellui office et il chevauchoit par la maistre rue de Rome à grant compaignie de gens qui le suivoient, si encontra un larron que l’on menoit pendre, qui estoit moult bel juenne homme. Si avoit un de sa compaignie qui lui va dire : « Sire, pour la nouvelleté de vostre office, vous povez bien respiter cest homme que l’on va deffaire. » Si dist qu’il disoit voir ; et, sans demander ne enquerre du fait, il le respita et le fist delier et l’en envoier, pour essaucier la nouveaulté de son office. Si fut bien hastiz -280- et ne lui souvint pas à l’eure du commandement que son père luy avoit fait.
De ce mesmes. Et quant vint la nuit, qu’il eut dormy le premier somme, si avoit veu moult d’avisions sur cette matière, et tant qu’il lui va souvenir qu’il avoit enfraint deux des commandemens de son père, et qu’il ne failloit plus que le tiers. Si fut moult pensis, et toutesfois il dit à soy mesmes qu’il essaieroit ce tiers, c’est-à-dire que il essayeroit de sa femme si elle le sauroit bien celler d’un grant conseil si il le disoit à elle. Si attendi que sa femme s’esveilla, et lors il lui dist : « M’amie, je vous deisse un très grant conseil qu’il touche ma personne, si je cuidasse que vous le tenissiez secret, et que vous ne le deissiez à riens qu’il soit. » — « Ha, mon seigneur », dist-elle, « par ma bonne foy, je ameroye mieulx à estre morte que vous descouvrir de conseil que vous me deissiez. » — « Ha, m’amie », dist-il, « dont le vous diray-je ; car je ne vous sauroie riens celler. Il est ainsi que devant hier, si comme j’aloie en nostre hostel, le filz de l’empereur, que nous avions en garde, me fist courroucié et me dist mon desplaisir. Si avoie bien beu et estoie courroucié d’autre chose ; si me marry tant avecques lui que je l’occis. Et encore fis-je plus fort, car je arrachay le cuer de son ventre, et le fis confire en bonne dragée et l’envoyay à l’empereur son père et à sa mère, lequel ilz ont mengié, et ainsi me suis-je vengié de lui. Mais je sçay bien que c’est moult mal faict et m’en repens ; mais c’est à tart. Je vous prie de bien celler ce conseil, car je ne le diroie à nul du monde que à vous. » Et celle commença à -281- souspirer et à jurer que, puis que l’advanture estoit ainsi advenue, que jamais ne le diroit. Si se passa ainsi la nuit, et, quant vint qu’il fut jour, celle envoya querre une damoiselle qui demouroit en la ville, qui à merveilles estoit s’amie et sa privée, et à qui elle disoit tous ses grans conseilz. Et quant elle fut venue, elle commença à souspirer et à gemir, et l’autre lui demanda : « Ma dame, que avez-vous ? Vous avez aucune grant tristesse en vostre cuer. » — « Vrayement, m’amie, je l’ay moult grant ; mais je ne l’ose dire à nul, car je vouldroie mieulx estre morte que il feust sceu. » — « Ha, ma dame », dit-elle, « par sa foy, celle seroit bien hors du sens qui descouvreroit un tel conseil, se vous le disiez. Et, quant est de moy, se vous le m’aviez dist, je me laisseroie avant les dens traire que le dire. » — « Voire », dist la femme Cathonnet, « le vous pourroie-je dire et moy fier en vous ? » — « Ouil, par ma bonne foy », dist-elle ; et l’autre en prist la foy et le serement, et au fort elle descouvry tout, comment son seigneur avoit occis le filz de l’empereur, et envoyé le cuer en espices au père et à la mère, qui l’avoient mengié. Et l’autre se seigna et fist la merveilleuse, et dist qu’elle le celeroit moult bien. Mais il luy fut moult tard de le dire, et tant que, quant elle fut departie de liens, elle ala tout droit à la court de l’empereur, et vint à l’emperière, et s’agenouilla pour faire le bienvenant, et lui dist : « Ma dame, je vueil parler à vous secretement d’un grant conseil. » — Et lors l’emperière fist ruser ses femmes de sa chambre. Lors celle lui va dire : « Ma dame, le grant amour que j’ay à vous et le -282- grant bien que vous m’avez fait et que j’espère que vous me faciez encore me fait à vous venir dire un grant conseil, lequel si ne diroie à nulluy fors à vostre personne, car je ne pourroye souffrir vostre deshonneur pour riens.
» De ce mesmes. Ma dame, il est ainsi que vous et monseigneur l’empereur amez plus Cathonnet que nul, et bien y appert, car vous l’avez fait tout gouverneur de la cité de Romme, et encores, pour lui monstrer plus grant amour, vous lui aviez baillié à gouverner vostre filz. Si vous en a fait telle compaignie qu’il l’a occis et en a arrachié le cuer de son ventre et le vous a fait mengier en espices. » — « Qu’est-ce que vous dictes ? » dist l’emperière. « Ma dame, par ma foy, je vous dy voir pour certain ; car je le sçay si bien comme de la bouche de sa femme propre, qui le m’a dit en grant conseil, et en est la bonne dame moult à malaise de cuer, comme celle que j’en ay oy plourer. » Et, quant l’emperière l’entendy ainsi, à certes sy s’escria à haulte voix : « Las ! lasse ! » et commença à faire si grant dueil que c’estoit merveilles à veoir, et tant que les nouvelles en vindrent à l’empereur comment l’emperière faisoit si grant dueil. Lors il fut moult esbahis et vint là, et lui demanda pourquoy elle faisoit tel dueil ; et celle à paine lui povoit respondre, et au fort elle lui compta tout ce que la damoiselle lui avoit dit de leur enffant. Et quant l’empereur oït les nouvelles qu’ilz avoient mengié le cuer de leur enffant, si fut moult doulant et courroucié, ne fait mie demander comment, et erraument commanda que Cathonnet fut pendu haultement devant -283- tous et qu’il n’y eust point de faulte. Lors ses gens le alèrent querir et lui distrent le commandement de leur seigneur, et que c’estoit pour son filz qu’il avoit occis. Si va dire Cathonnet : « Seigneurs, il n’est pas mestier que tout ce que l’en dit soit vray. Vous me mettrez en prison et direz qu’il est trop tart et que demain, quant le ban sera fait devant le pueple, sera mieulx faite la justice. » Si l’amoyent moult toutes manières de gens, et le firent ainsi comme il le requist, et fut dist à l’empereur que ce seroit plus grant solempnité et le mieulx d’en faire justice landemain, et qu’il estoit trop tart, et l’empereur l’ottroia, qui grant dueil demenoit de son filz. Et toutesfois, comme l’en menoit Cathonnet en la chartre, il appela un de ses escuiers et lui dist : « Va-t’en à tel baron », et lui nomma, « et lui dis comment l’empereur cuide que j’aye occis son filz, et que je lui mande que demain, dedans heure de prime, il amaine cy l’enffant, ou autrement je serois en grant peril de mort villaine. » Cellui escuier s’en parti et chevaucha à nuitée, et, entour mienuit, il arriva en l’ostel du baron à qui Cathonnet avoit baillé l’enffant en garde, comme à son grant amy et voisin, lequel baron estoit preud’omme et saige, et à merveilles s’entr’amoient. Et, quant l’escuier arriva, il hucha à haulte voix, et tant fist qu’il vint au lit du baron à qui Cathonnet avoit baillé le filz de l’empereur, et lui compta le fait, comment l’en avoit donné à entendre à l’empereur que Cathonnet avoit occis son fils, et tellement qu’il en estoit mis en prison, et le devoit-on landemain pandre. Quant cellui baron l’entendit, si fut moult esmerveilliez -284- de ceste adventure, et lors il se leva courant, et fist arroier ses gens, et vint au lit du filz de l’empereur, et lui compta celle merveille. Et, quant l’enffant l’entendit, il ne fait pas à demander se il en ot grant dueil, comme cellui qui se hasta de lever et fist esveiller tous les autres, car à merveilles amoit son bon maistre Cathonnet. Si vous laisse à parler de l’enffant de l’empereur et du baron, et reviens à Cathonnet, qui estoit prisonnier.
Comment Cathonnet fu prisonnier. Cathonnet estoit à merveilles amé à Romme de toutes manières de gens, comme cellui qui estoit saige, doulx, humble et courtoys. Si dist au matin à un sien grant amy que à l’avanture il feist secretement cachier les pendars de la ville jusques à heure de tierce, et l’autre le fist ainsi et eut son gré jusque à ceste heure. Si fut environ prime amené au gibet Cathonnet avec toute la commune gent de Romme. Et là ot moult plouré de toutes gens qui là estoient, et encores l’eust-il plus esté ; mais ils cuiderent qu’il eust commis le fait dont il estoit accusé. Mais de cela ilz se donnoient grans merveilles et disoient : « Comment a esté si saige homme tempté de l’ennemy comme d’avoir fait si grant cruaulté d’avoir occis le filz de l’empereur et leur en avoir fait mangier le cuer ? Comment puet-ce estre ? » Si y en avoit grans paroles entr’eulx, dont les uns le creoient et les autres ne le povoient croire. Et toutesfois il fust mené au gibet, et demandoit l’en où estoit le pendart, et le fist l’en huchier partout et nul ne respondoit, dont il advint grant merveille ; car cellui lequel Cathonnet avoit respité de mort et sauvé la vie quant l’en le menoit -285- pendre saillist avant et dist : « Seigneur, le fait qu’il a fait est villain, et, pour honneur de l’empereur, je m’offre à faire l’office, s’il n’y a autre qui le face. » Et chascun si le regarda, et distrent : « N’est-ce pas cellui que Cathonnet respita de mort ? » — « Par foy », dirent-ils, « c’est cellui sans autre. » Si se commencièrent tous à seigner et distrent : « Vraiement, cellui est bien fol à droit qui respite larron de mort. » Et Cathonnet le regarde et lui dist : « Tu es bien appert ; il te souvient pou du temps passé ; mais ainsi est des merveilles du monde. » En entretant ils regardèrent une grant pouldre de chevaulx et ouirent grans cris qui crioient à haulte voix : « Ne occiez pas le preudhomme. » Et ils regardèrent chevaulx venir courans, et virent le filz de l’empereur qui venoit sur un coursier, si tost comme il pouvoit, en disant : « Ne touchiez à mon maistre Cathonnet, car je suis tout vif. » Lors furent tous esmerveilliez de ceste chose, et l’enffant descendy du cheval et va deslier son maistre, et le baisier en plourant moult doulcement et en disant : « Ha, mon doulx amy et maistre, qui vous a ce pourchacié, ne si grant mençonge trouvée, et comment a monseigneur mon père si legièrement creu ? » Et en disant cela, il le rebaisa et acola, et le peuple, qui estoit esmerveillé, voiant la pitié et la bonne nature de l’enffant plourant tendrement, de la grant joye et de pitié qu’ils avoient ilz mercioient Dieu grandement de celle delivrance, et estoient tous esbahis de celle merveille. Et toutesfois l’enffant fit monter Cathonnet sur un cheval et l’emmena au long des rues de Romme par les resnes du cheval jusques au palais -286- de l’empereur. Et quant l’empereur et sa femme oyrent la nouvelle de leur enfant, ilz saillirent encontre, lui faisant grant joye. Et quant ilz virent leur enffant qui amenoit Cathonnet par la resne du cheval et tout le pueple, si furent moult esmerveilliez de cette adventure, et si se tenoient moult honteux devers Cathonnet, et vindrent à lui et le accolèrent et baisèrent, et lui firent la plus grant feste, la plus grant joye et le plus grant honneur qu’ilz peurent, et se excusèrent devers lui de cellui fait, et leur fils leur dit : « Ha, mon seigneur, comment vouliez-vous faire si hastive justice sans avoir avant bien enquis du donneur à entendre ? Car hauts homs comme vous en seroit plus tost blasmé que un autre ; car, se vous l’eussiez fait destruire sans cause, regardez quel domaige et quelle pitié, et certes je n’eusse jamais eu joye au cuer ; car, se je sçay nul bien, c’est par lui. » Et l’empereur lui respondist : « Beaux fils, c’estoit mal fait à nous, et y avons eu grant honte et grant vice. Mais l’amour que nous avions à toy, en esperance que tu vailles et que tu faces aucun grant bien, nous tolist toute rayson et nous troubla le sens. » Adonc Cathonnet parla devant tous en disant ainsi : « Sire, ne vous esmerveilliez pas de ceste chose, car je vous diray comment il est avenu. Il est vray que j’ay eu le plus saige homme à père, comme l’en disoit, qui feust en son temps en cest païs. Si me monstra moult de bons enseignemens, se j’eusse esté saige à les retenir. Et toutesfois, quant il fut au lit de la mort, il me hucha, comme cellui qui grant desir avoit que je eusse aucun bien. Sy me pria de retenir iij. enseignemens entre les autres. -287- Et pour ce, je les vueil recorder pour estre exemplaire ou temps à venir, comme cellui à qui ilz sont avenus et qui a fait le contraire.
Le premier enseignement que il me dist, fut que, se Dieux me donnoit bonne chevance, que j’en devoie Dieu mercier et avoir en moy souffisance, et que je ne devoye convoittier ne demander plus à Dieu et au monde, et, pour ce que j’avoie souffisance, que je ne me misse en nulle manière en subjection d’avoir office de mon souverain seigneur, par espoir de convoitise de m’y mettre pour avoir des biens plus, car aucun envieulx ou aucun faulx rappors me feroient perdre moy et le mien. Car grant chose est de grant seigneur qui est de legière et hastive voulenté ; car aucunes fois aucuns ne enquièrent pas les veritez des choses données à entendre, et pour ce font moult d’estrange et de hastifz commandement, et pour ce en avez tous veu cest exemple qui m’a deu estre si grief et si villain. Car si j’eusse creu le conseil de mon père, je n’eusse mie esté ou party où j’ai esté. Car, Dieux mercis, j’avoye des biens terriens assez et trop plus que je n’avoye deservy envers Dieu, et me povoie bien deporter de prendre office. Le secont enseignement fut que je ne rachetasse point homme qui eust mort desservie, et par especial larron ne homicide qui autre fois en a ouvré, et que, si je le faisoie, je seroye participant en tous les maulx que il feroit dès là en avant, et que jamais ne me aimeroit. Et cellui commandement je l’ay enfraint comme de cellui qui aujourd’huy s’est offert de moy pendre, lequel j’avoie respité de mort ; si m’a offert petit guerdon, -288- et toutefois vous en avez veu l’exemple. Le tiers enseignement estoit que je essaiasse ma femme avant que lui dire ne descouvrir nul grant conseil, car il y avoit trop de peril. Car il en est assez qui scevent trop bien celler et en qui l’en trouve de bons conseils et de bons confors, et en est d’autres qui ne sauroient riens celler. Je pensay l’autre nuit en mon lit que j’avoie enfraint deux des enseignemens de mon père, et que je essayeroye le tiers. Si esveillay ma femme et lui dis pour la essayer que j’avoie occis le fils de l’empereur et donné en espices le cuer à l’empereur et à l’emperière, et que, sur l’amour qu’elle avoit à moy et sur quanques elle povoit envers moy meffaire, qu’elle le celast si bien que jamais n’en feust riens sceu. Si ay bien esprouvé comment elle m’a bien celé, comment chascun puet bien veoir. Mais je ne m’en donne pas trop grant merveille, car ce n’est pas nouvelle chose que femme saiche bien tousjours celler les choses que l’en lui dit. Car il en est de plusieurs manières, comme nature leur apporte, et en est d’unes, et d’autres de bien saiges et de soubtil engin, et que jamais ne descouvreroient le conseil de leurs seigneurs et des autres aussy.
Encore parle Cathonnet. « Si avez ouy comment il m’en est prins, et que je n’ay autrement creu le conseil de mon père, qui tant fust saige homme, si ce m’en est deu moult mal prendre. » Et toutes foys il dist à l’empereur : « Sire, je me descharge de vostre office. » Si en fut deschargié à grant peine, et toutes fois fust-il retenu à estre maistre du conseil de Romme, et especialement des grans -289- fais. Et lui fist l’empereur grans prouffis et lui donna de grans dons et l’ayma moult instans, et regna bien et moult saintement en l’amour de Dieu et du pueple.
Et pour ce, mes belles filles, a cy bon exemple comment vous devez celler les conseils de voz seigneurs et ne les dire à nully de monde, car par maintes fois il en advient moult de mal, telles fois que l’en ne s’en donne garde. Car à bien celler, et par especial ce que l’en deffault, ne puet venir se bien non. Et aussy comme la sayette part de l’arc cordé, et, quand elle est partie, il convient qu’elle preingne son bruit, ne jamais ne reviendra à la corde jusques à tant qu’elle ait féru quelle chose que ce soit, tout aussi est-il de la parole qui ist de la bouche, car puis qu’elle en est yssue elle n’y puet rentrer qu’elle ne soyt ouye et entendue, soit bien, soit mal. Et pour ce est-ce belle chose, si comme le sage Salemon dit, que l’on doit penser deux fois ou trois la chose avant que la dire, et penser à quelle fin elle pourroit tourner, et ainsi le doivent faire toutes saiges femmes. Car trop de maulx en ont esté fais et engendrez, de descouvrir conseil et choses qui ont esté dictes en conseil. Sy vous pry, belles filles, qu’il vous vueille souvenir de cest exemple, car tout bien et tout honneur vous en puet venir, et si est une vertu qui eschiève moult de haynes et de maulx. Car je sçais et cognois plusieurs qui ont moult perdu et ont souffert moult de mal et de très grans haynes pour trop legierement parler d’autruy et pour recorder les maulx qu’ils oyent dire d’autruy, dont ilz n’ont que faire. Car nul ne scet que luy est à venir, -290- Et cellui et celles sont saiges de sens naturel qui ne sont mie nouveliers, c’est à dire qui se gardent de recorder la faulte ne le mespris d’autrui. Car Dieux aime celui qui desblasme ceux que l’on blasme, soit à tort, soit à droit, car à taire le mal d’autrui ne puet venir que tout bien, si comme il est contenu ou livre des saiges, et aussi en une evangille.
Cy fine le Livre du Chevalier de La Tour.
Deo gratias.
-291-
[106] L. signifie le manuscrit de Londres ; P. 1, P. 2, les mss. de Paris, 7403 et 7073.
Pag. 2, lig. 20. Ce qu’il faut entendre par cette reine Prines ou Prives de Hongrie et par son livre me paroît fort douteux. Legrand d’Aussy propose d’y voir « Elisabeth de Bosnie, femme de Louis Ier, surnommé le Grand, et mère de trois filles, dont Catherine, l’aînée, fut accordée en 1374 à Louis de France, comte de Valois » ; mais il n’a pas vu que son explication étoit inadmissible dès le point de départ, puisqu’il est certain que le livre de notre auteur n’est pas postérieur à 1372, date antérieure à cet accord. A prendre une reine contemporaine, il vaudroit mieux y voir Jeanne de Bohême, première femme du roi de France Jean II, dont il est question dans le commencement de Saintré, et qui mourut en 1349, avant l’avènement de son mari à la couronne. Mais il est plus juste de croire que, jusqu’à nouvel ordre, l’allusion de ce passage reste inexpliquée.
Pag. 13, lig. 5, demenoient : L., espinoient ; P. 2, espigoient.
Pag. 22, lig. 9, felons : L., foulons. — Lig. 16, esprevier sauvaige : L., ramage ; P. 1, ramaige ; P. 2, privage. — Lig. 25, Messire Pierre de Craon : P. 1, messire de Craon ; P. 2, monseigneur de Craon.
Le prénom de Pierre, qui se trouve dans le seul ms. de L., montre qu’il s’agit de Pierre de Craon, seigneur de la Suse, de Chantoce, de Briolé et d’Ingrande, 3e fils d’Amaury 3e du nom, mort le 15 septembre 1376. Cf. P. Anselme, VIII, 573, c.
-292- Pag. 24, lig. 8, vertiller, et plus loin l’adjectif, viennent de vertere, tourner.
Pag. 29, lig. 20 : P. 1 est le seul ms. qui ait le mot de pucelles.
Pag. 35, lig. 8, faisoit garder une anguille en un vaissel : P. 2 a le terme technique : en un bouteron.
Pag. 37, lig. 14, Dame de Languillier : P. 2, Langallier. Voyez sur ce nom l’introduction, p. xi-xij. Il est remarquable que, dans la 37e nouvelle de son Heptaméron, Marguerite de Navarre raconte précisément le même fait, sans nom et comme une chose contemporaine, et en mettant aussi la scène dans l’Anjou.
Pag. 40, lig. 16, anvieusement : P. 1, ataineusement.
Pag, 41, lig. 8, homme de Dieu : P. 2, homme de bien.
Pag. 42, lig. 29, saul sur table : P. 1, sal sur table.
Pag. 44, lig. 17-19. Cette phrase manque à L. et à P. 1.
Pag. 46, lig. 15 : Ce Beaumanoir, « le père de cestuicy qui de present est », a été bien désigné par M. Paris (V, 30) comme étant Jean III, chevalier, maréchal de Bretagne, celui qui combattit avec les trente Bretons. Il eut deux femmes : Tiphaine de Chemillé en Anjou, celle sans doute dont il s’agit ici, et Marguerite de Rohan. Celui « qui est de present » est Jean IV, mort en 1385, et mari de la fille de Duguesclin. Cf. P. Anselme, VII, 380-1.
Pag. 47, lig. 14. Par gens des compaignes il faut peut-être entendre les grandes compagnies. — Lig. 20, la princesse et autres dames d’Angleterre : « sans doute la princesse de Galles, Jeanne de Kent, femme du Prince Noir. » P. Paris, V, 81.
Pag. 50, lig. 3. Jean de Clermont, seigneur de Chantilly, maréchal de France, et tué à la bataille de Poitiers. (Anselme, VI, 750-1.) — Lig. 14, beau maintieng : P. 1 et P. 2, bien mentir.
Pag. 51, lig. 19. Il ne s’agit pas ici du fameux Jean le Maingre de Boucicaut, maréchal de France et gouverneur de Gennes, qui naquit à Tours en 1368, mais de son père, qui mourut le 15 mars 1367 à Dijon, où il avoit été envoyé vers le duc de Bourgogne par Charles V. Cf. Anselme, VI, 753-4.
Pag. 54, chap. 24. L’aventure et la réponse du chevalier sont les mêmes que celle qu’on prête au poète Jean de Meung.
Pag. 55, lig. 17, son seigneur lui donnoit grans eslargissemens : L., grans helles (P. 1 et 2, elles) et eslargissement.
-293- Pag. 57, lig. 2. Malgré la bizarrerie du fait, couchast est bien la leçon des deux bons ms., et il ne me paroît pas aussi impossible de l’expliquer que l’ont trouvé quelques personnes. Il est possible de penser que, dans une circonstance ou de fête ou de guerre, la dame, pour donner à coucher au sire de Craon, ait eu à lui donner un asile dans son lit, ce qui se seroit d’autant mieux su qu’elle ne s’en seroit pas cachée. Je ne vois pas l’avantage qu’il y auroit à lire : je ne dis pas qu’il ne me touchat en mon lit ; car là il y auroit déjà complaisance et bonne volonté.
Pag. 58, lig. 14, sa damoyselle : L. et P. 2, chamberière.
Pag. 59, lig. 15, gens d’estat : L. et P. 1, gens dehors d’estat. — Lig. 16, regars : P. 1, regrez.
Pag. 64, lig. 19, espinguer : P. 1, pignier ; P. 2, eingnier.
Pag. 65, lig. 18, esloingner : P. 2, alanguir. — Lig. 20, la masière : P. 2, le mur.
Pag. 66, lig. 2, ne le per omnia : P. 2, ne la préfasse. — Lig. 16, paroissiens : P. 2, prouchains. — Lig. 17, personne : L., le curé. — Lig. 25, au chapelain : P. 1 et 2, à la personne.
Pag. 68, lig. 20, matz : P. 2, morts. — Lig. 29, sur son peril : P. 2, sans pais.
Pag. 69, lig. 19, vostre personne : P. 2, prestre. Quoique dans tout ce chapitre personne soit toujours le prêtre, je ne crois pas qu’il faille y voir un sens analogue à celui de l’anglais parson ; cela veut dire l’homme qui est au Seigneur, et par suite seulement le prêtre qui est au Seigneur.
Pag. 70, lig. 18, à rebours : P. 2, au bort.
Pag. 71, lig. 8, de corps : L. et P. 1, de cuer.
Pag. 73, lig. 26, au bon de la messe : P. 2, au bout.
Pag. 75, lig. 5, souspir : P. 1, effroy.
Pag. 78, lig. 4, haschie : L., douleur.
Pag. 79, lig. 22, l’eglise de Nostre-Dame de Beaulieu peut être à Beaulieu près Loches, ou plutôt à Beaulieu près du Mans. (Cf. Sainte-Marthe, Gallia christiana, IV, 149 et 154.)
Pag. 80, lig. 3. Les mots « à une vigilles » manquent au ms. de L. — Lig. 4, sergent de Cande en la mer : L., sergent de Cande ; P. 1, sergent de garde en l’année.
Pag. 81, lig. 3. Chievrefaye, abbaye de Poitou. — Lig. 6, Pigière : L., Pigerée ; P. 2, Pigère. — Lig. 22. Pour comprendre la réflexion du chevalier, que dans l’église il ne faut pas « s’entreregarder par amour, fors par amour -294- de mariage », il faut se rappeler que, depuis les temps barbares, l’église servoit de refuge dans les guerres ; et, comme on y vivoit comme dans une maison, l’église avoit accordé aux gens mariés une permission qui auroit été trop enfreinte si elle eût été refusée.
Pag. 92, lig. 13, comme les poisons et le venin : L., poissons ; P. 2, prisons.
Pag. 93, lig. 21. Après les mauvais laissa, P. 2 ajoute : « et encore y sont. »
Pag. 94, lig. 14, angels : L. et P. 2, angles.
Pag. 96, lig. 23, pollicent : L. et P. 2, polissent.
Pag. 97, lig. 6, où l’en muce : L., où l’en le cuite. — Lig. 9, se muce et reboute : L., se cuite et repout.
Pag. 98, lig. 11, au temps de Noë : L. et P. 2, Noël. Noë et Noël se sont prononcés de la même façon ; qu’on se rappelle le refrain des Noëls :
Lig. 19, coudées : P. 1, coûtes ; P. 2, cordes. — Lig. 20, perillié : P. 2, par Helye. Nous pourrions citer souvent du ms. P. 2 des fautes aussi grossières, mais il suffit d’en indiquer la nature par quelques exemples.
Pag. 99, lig. 2. La phrase feroit penser qu’il s’agit de la braguette ; mais elle n’étoit pas encore en usage. — Lig. 23, enamourer : P. 2, amoureuser.
Pag. 101, lig. 8, ratissèrent à cousteaulx : L., esrachirent de cousteaulx. Cette histoire est la 16e de la Disciplina clericalis et du Castoiement en vers françois. — Lig. 32, lisez : mais nulle ne voit en sa folie sens. L. unit à tort la première phrase du chapitre suivant en disant : nulle ne voit en sa folie fors celle, etc. Ces non-sens ne se rencontrent pour ainsi dire jamais dans ce ms.
Pag. 102, lig. 24, jolie : P. 1, jolive.
Pag. 103, lig. 23, en cest an qui est l’an mil trois cens lxxij : L., en cest an de l’an mil, etc. ; P. 2, l’an mil iijc iiijXX et xij. Ce qui, de la grâce du copiste, feroit croire que le chevalier de la Tour-Landry auroit été vingt ans à travailler à son livre ! — Lig. 25. La fête de Sainte-Marguerite est le 20 juillet.
Pag. 104, lig. 4, ne l’atour plaisant : L., mais l’atour lui plaisoit ; P. 2, et l’estour lui plaisoit bien. — Lig. 7, la venoient veoir comme petis enfans : P. 1 et 2, comme les petis oyseaulx.
Pag. 105. Cette scène du pèsement de l’âme et de ses -295- bonnes actions dans un plateau de la balance, pendant que l’autre plateau est chargé du diable, des méchantes actions, et surtout des belles robes, auroit été bonne à citer dans le très excellent et très complet travail sur la Psychostasie publié par M. Maury dans la Revue archéologique.
Pag. 106, lig. 2, fourrées de vair et de gris et letticées de hermines : L., et de letisses et de hermines. — Lig. 3, que longues, que courtes, que cotes hardies : L., que longues, que corsès, etc. — Lig. 12, cottes : P. 2, robes. — Lig. 14, du forfait de ses robes : Lisez « du surfait », donné par L. — Lig. 19, de nuies et de maulvaises parolles : P. 2, de menues, etc.
Pag. 107, lig. 21, commis ce delit : L. et P. 2, fait le fait.
Pag. 109, lig. 14, griffes : L., graffes ; P. 2, gaffes ; ce seroit alors une perche garnie d’un croc. — Lig. 23, arrachié son peil : L., muchié ses pertuis ; P. 1, arrachiez ses peulz.
Pag. 110, lig. 5, maschier : P. 2, deffouler.
Pag. 111, lig. 5, foible : P. 2, flebe, plaintive, de flebilis. — Lig. 15, meccredy : L., mardi ; P. 2, samedy.
Pag. 112, lig. 22, Nostre-Dame-de-Rochemadour, dans le Quercy, près de Cahors. Sur ce pèlerinage fameux, voyez le livre du père Odo de Gissey, imprimé pour la première fois en 1631, et celui tout récent de l’abbé Caillau, chanoine du Mans, intitulé Histoire critique et religieuse de Notre-Dame de Roc-Amadour, Paris, Leclère, 1834, in-8o. Odo de Gissey dit tenir les anciens miracles qu’il raconte d’un ouvrage latin manuscrit d’Hugues de Farsit, et M. Caillau, n’ayant pu le retrouver, n’a plus pour auteur que le résumé d’Odo de Gissey. Je crois avoir retrouvé l’ouvrage de Hugues de Farsit : car dans un ms. de la Bibliothèque impériale se trouve, entre autres choses, et notamment, un poème françois en quatrains monorimes, sur le miracle de Théophile, un ouvrage latin sur les miracles de Notre-Dame de Roc-Amadour. Le ms. est du 13e siècle, et excellent ; il seroit très curieux, tout à fait en dehors du point de vue miraculeux, mais comme document d’histoire et de géographie, de publier, avec les notes historiques nécessaires, ces récits pleins de noms de personnes et de lieux, et de détails sur les anciennes mœurs.
-296- Pag. 113, lig. 20, Sainct Martin de Verto : P. 1, Vertus ; P. 2, Verto.
Voir, sur Martin de Verto, sa vie dans Annales sanctorum ordinis sancti Benedicti, sœcul. I, une première vie, 375-8, et une seconde plus complète, p. 681-92. Dans celle-ci, ce qui se rapporte à la ville d’Herbanges (dans la vie de l’anonyme latin Herbadilla) occupe les paragraphes 5 à 11. Dans la prose pour la fête de ce saint, qui se célébroit le 24 octobre, on n’a pas manqué de rappeler ce fait :
Le récit vient d’autant mieux dans l’histoire de la femme de Loth, que, dans la légende, la femme de l’hôte de Saint-Martin fut de même changée en pierre.
— Ligne 21, Herbanges… : L., Arbanges ; P. 2, Berbanges.
Pag. 116, lig. 11, en espie : P. 2, esgart. — Lig. 26, avez esté cause de ma tristesse : P. 1, ma traîtresse ; P. 2, maquerelle.
Pag. 118, lig. 16, pervers : P. 1, punais. — Lig. 26, Amon : P. 1, Zazam.
Pag. 119, lig. 3, successeurs : L., successions, qui est excellent. — Lig. 25, Hoir : L., air ; c’est une façon d’écrire différente, mais arrivant au même son.
Pag. 121, chap. 58e. Une main un peu postérieure a, dans le ms. P. 1, rétabli, par quelques petits changements, la vérité de l’histoire. Toutes les fois qu’il y a le roy Pharaon, elle a corrigé en le prince du roy Pharaon, changé reine en princesse, et remplacé tous les biens de son royaume par tous ses biens. Quelque juste que fût la correction, nous avons laissé leur erreur aux chapelains du chevalier.
Pag. 121, lig. 25, l’Envengile : P. 2, saint Jehan l’Evangeliste. — Lig. 29 : poesté ; de potestas.
Pag. 123, lig. 22, Finées : L., Furies.
Pag. 124, lig. 3, Zambry : L., Janbry ; P. 2, Jambri.
Pag. 126, lig. 6, qui faisoit cables et cordes à gros vaisseaulx de mer : P. 1, cables et fuseaulx et grans vaisseaux sur mer ; P. 2, cables et fuisiaux agues et agus vaisseaulx. — Lig. 24, le luitin : P. 1, luton ; P. 2, luisoon.
Pag. 129, lig. 26, couste : P. 2, coeste. On dit encore dans certaines provinces coitte ou couette pour dire un lit de plumes.
-297- Pag. 130, lig. 22, cruche : P. 1, buire ; P. 2, bue. — Lig. 26, houlière : P. 2, maquerelle.
Pag. 131, lig. 21, sainte Justine : P. 2, sainte Cristine.
Pag. 132, lig. 15, Béjart : L., Bérut ; P. 2, Baries.
Pag. 133, lig. 3, l’endictement : L., l’ennoitement ; P. 2, l’utissement. — Lig. 8, buchetes : L., branchettes. — Lig. 18, pierre vire : P. 1, pierre vierre.
Pag. 136, lig. 13, il eust tant de bien : L., il eust la court empoigné ; P. 2, il eust beaucoup empoigné. — Lig. 16, Mardocius : L., Emardachin : P. 2, Mardochin.
Pag. 139, lig. 6, faulx temoings : P. 1, faulx tesmoingnages.
Pag. 140, lig. 8. P. 2 ajoute de Dieu après des serviteurs.
Pag. 141, lig. 7. Nous n’avons trouvé ces vers de la sibylle ni dans l’ancienne édition d’Opsopœus, ni dans la nouvelle de M. Alexandre, ni dans la publication du cardinal Maï. Il est certain que notre chevalier n’a pas eu affaire à d’anciens textes, mais à des remanîments latins ou françois qu’il seroit difficile de retrouver.
Pag. 143, lig. 6, Phenomia : P. 2, Pheronna.
Pag. 147, lig. 29, adoulcir : P. 1, advertir.
Pag. 148, lig. 7, depiteuse : L. 1, engoffée ; P. 2, agoffée.
Pag. 149, lig. 3, de grerie : L., de flateurs ; P. 2, de grieux. — Lig. 20. Le nom de Jouel manque dans P. 1.
Pag. 150, lig. 20. Sur l’époque du siége d’Aiguillon, voyez la préface, page xiij. — Lig. 32, grée aux seigneurs : L. et P. 2, graye les seigneurs.
Pag. 152. Dans l’histoire du mari qui a pondu des œufs, que, depuis La Fontaine, il faut appeler les Femmes et le Secret, et qui se retrouve dans le Ménagier de Paris et ailleurs (Cf. La Fontaine, éd. de Robert, II, 127), le ms. de L. met à tort cinq au lieu de cent.
Pag. 153, lig. 12, en la compaignie : L., à l’encontre.
Pag. 155. Cf. le livre des Juges, L., cap. II, pour comprendre le commencement du chapitre.
Pag. 157, lig. 16. Le ms. P. 2 a ici une lacune d’un feuillet qui commence au mot empetrast, et ne reprend que page 162, lig. 6, au mot bon exemple.
Pag. 158, lig. 13, Sennacherip : L., Sepnacherim.
Pag. 162, lig. 20, convint : P. 1 et 2, esconvint.
Pag. 164, lig. 1, puisné : L., mainsné ; P. 2, pesné.
Pag. 165, lig. 17. La correction d’Alia en Lia est si évidente que j’ai préféré respecter le texte du chevalier.
-298- Pag. 167, lig. 5, pery : L., pire. — Lig. 21, sainte Elisabel, qui fut fille au roy de Hongrie et femme à Londegume, lisez : femme à lendegrave. Son mari, Louis IV, étoit, en effet, landgrave de Thuringe. — Lig. 28, l’effroi, lisez : l’offroit.
Pag. 168, chap. 86. Ce chapitre a été extrait du ms. 7403, par M. de Mas Latrie, pour son Histoire de l’île de Chypre sous le règne des princes de la maison de Lusignan, t. II, documents, partie I, Paris, 1852, in-8o, p. 132. Il met le fait vers l’année 1324, et ajoute cette note : « Constance d’Aragon, femme de Henri II de Lusignan, morte sans enfants, est la seule reine de Chypre à qui je puisse rapporter cette anecdote, qui n’a laissé aucune trace dans les chroniques cypriotes. »
Pag. 169, lig. 5, renvoysée : L., ordonnée. — Lig. 8, abrié : P. 1, plain.
Pag. 171, lig. 4, muire : P. 2, meurge. — Lig. 24, la ville de Jerico : L., la ville de la Charité ; P. 2, la ville de Charité.
Pag. 172, lig. 30, d’en faire : L., et n’en feront mie. — Lig. 32 : sainte Arragonde est sainte Radegonde, sur laquelle on peut voir le recueil des Bollandistes, au 13 août (Augusti, t. III, p. 46-96), et, pour les renvois bibliographiques, la Bibliothèque de la France, du père Lelong, II, 25,008-19.
Pag. 173, lig. 4, doubte : P. 1, paour.
Pag. 175, lig. 11, les autres vij vices mortelz : L. et P. 2, les autres vij vices de vij pechez mortelz. — Lig. 18, vin : P. 1, un. — Lig. 20, narilles : P. 1, narines.
Pag. 176, lig. 10, en avisa : P. 1 et 2, en encointa.
Pag. 177, lig. 25, payens : P. 2, péans.
Pag. 181, lig. 5. P. 1 et 2 ne donnent pas des Romains après des croniques. C’est à peu près la traduction du titre des Gesta Romanorum.
Pag. 183, lig. 25, se met : L., sourt.
Pag. 189, lig. 4, felon : L., fer ; P. 2, fel.
Pag. 190, lig. 7, cremeteux : L., cremilleux ; P. 2, cremeilleur.
Pag. 191, lig. 8, Chetivoison pour Chevetoison, capitainerie, gouvernement. — Lig. 27, sa loy : P. 1, la foy.
Pag. 192, lig. 2, soubs quel arbre : L., ombre.
Pag. 195, lig. 23, des peulx les essuya. — Le copiste du ms. de L., ne comprenant peut-être pas bien, a écrit : et depuis les essuya ; P. 2, et depuis juna.
-299- Pag. 196, lig. 15, soubzporte : L., supporte.
Pag. 196, lig. 24, sent : P. 2, soit pour sait.
Pag. 197, lig. 1, besilleroit : L., exilleroit. — Lig. 15, tribulacion : P. 1 et 2, tribouil.
Pag. 199, lig. 16, en livre, lisez : ou livre, et le ms. P. 1, ajoute ici en marge : « No. qu’il fist ung livre pour ses fils. »
Pag. 200, lig. 6, hommeaux : P. 1, hommasses. — Lig. 13. La comtesse d’Anjou qui fonda l’abbaye de Bourgueil est Emma, femme de Guillaume duc d’Aquitaine et comte de Poitiers ; elle fonda ce monastère en 990. (Cf. le Gallia Christiana de Sainte-Marthe, in-fol, IV, 201-7.)
Pag. 201, lig. 9, preigne : L., surprengne ; P. 2, subzprengne.
Pag. 203, lig. 17, crapout : L., crepoust.
Pag. 207, lig. 7, salaire : P. 1, loier ; P. 2, louer.
Pag. 210, lig. 10, processions : L. et P. 2, professions.
Pag. 216, lig. 25, adira : L., esdira.
Pag. 217, lig. 4, adiré : L., esgaré. Il est inutile de remarquer que le bon chevalier se trompe en mettant les noces de Cana avant la scène de Jésus-Christ parmi les docteurs.
Pag. 218, lig. 7, Cecille : P. 2, Sezille.
Pag. 219, lig. 3, s’appareille : L., s’acomparaige.
Pag. 220. La reine Jeanne de France n’est pas la femme de Charles V, mariée en 1349 et morte en 1377, cinq ans après la composition du livre des Enseignements ; ni Jeanne, fille du comte de Boulogne, seconde femme de Jean II, mariée en 1349 et morte en 1361, dix ans avant que le chevalier écrivît ; mais Jeanne, fille de Louis, comte d’Evreux, troisième femme du roi de France Charles IV, dit le Bel, mariée en 1325, veuve en 1328, et morte en 1370, après avoir passé la fin de sa vie dans la plus fervente pratique des bonnes œuvres ; le mot du chevalier de La Tour morte n’a gaires prouve qu’il n’a pu penser qu’à celle-là.
Si la phrase relative à la duchesse d’Orléans, « qui moult a eu à souffrir et s’est toujours tenue sainctement devant et après », étoit une interpolation, on la rapporteroit naturellement à la belle et touchante Valentine de Milan. Si elle est bien du chevalier de La Tour Landry, cela est impossible, car Valentine n’épousa le duc Louis d’Orléans qu’en 1389. Avant elle il y a eu une autre duchesse d’Orléans, Blanche, fille de Charles IV le Bel et de -300- la reine Jeanne dont nous venons de parler, née en 1327 et morte le 7 février 1392, après avoir épousé, le 18 janvier 1344, Philippe duc d’Orléans, dernier fils de Philippe VI de Valois, et mort le 1er septembre 1375 sans enfants légitimes. Ce qui me paroît supporter cette interprétation, c’est que le ms. de L. est le seul qui dise la duchesse d’Orléans, et les autres la duchesse derrenière de ceste royne, ce qui ne peut se comprendre que dernière fille de la reine Jeanne, et cette première duchesse d’Orléans est en réalité sa dernière fille. — Sur ce Philippe d’Orléans, on peut voir un article de Polluche dans le Mercure de France, numéro de juillet 1749, p. 3-9.
Pag. 221, lig. 5, il y a xxvj ans : L., et n’a environ. — Lig. 20, bachelier : L. et P. 2, chevalier. Mais bachelier ne s’appliquoit pas seulement aux degrés littéraires, et est le vrai terme. Voyez la Préface, xvj. — Lig. 24, maladie bien laide : P. 1, encheoite ; P. 2, enchoate.
Pag. 222, lig. 11, à malaise : P. 1, mésaisié.
Pag. 224, lig. 10, Messire de Dorval : lisez Derval. Dans l’armorial de Gilles le Bouvier, dit Berry, premier hérault d’armes de Charles VII (fonds Colbert, no 9,653.5.5, je vois dans le Poitou, au nom de sire de Derval, qu’il portoit d’argent à deux fasces de gueules. Dans L. et P. 2, toute cette phrase du texte est au présent. — Lig. 15, de la bourde : P. 1, d’estre ainsi bourdé ; P. 2, la bourdais.
Pag. 226, lig. 5, perle : L., pelle. — Lig. 30. Le Charny dont il est question ici doit être Geoffroy de Charny, seigneur de Lirey, qu’on voit dans les guerres depuis 1337, et qui mourut à la bataille de Poitiers. Son fils, qui fut porte-oriflamme de France, mourut le 22 mai 1398. (Cf. Anselme, VIII, 200-2.) C’est de l’un des deux que doivent être les manuscrits indiqués dans le catalogue de la bibliothèque de Bourgogne. Inventaire de Viglius, no 542, ung petit traité de Charny, en rime, dont le numéro actuel est 10,549. Les autres sont en prose et avec le nom de Godefroi : no 11,124, le Livre de chevalerie ; no 11,125, les Demandes pour joustes et tournois ; no 11,126, l’Etat des gens d’armes. — Lig. 30, Saintré : P. 1, Caintré ; L., Saint-Tref.
Pag. 227, lig. 10, Sy arriva : P. 2 ajoute stupidement : un écuyer. — Lig. 24, un menestrel : L., un menasterel. — Lig. 27, forvoye : P. 2, forsvaye.
Pag. 230, lig. 31, Gieffroy de Lugre : L. a seulement Gieffroy ; P. 1 écrit Lugne, et P. 2, Luge.
-301- Pag. 231, lig. 6, escrisist : L., P. 2, escripsit. — Lig. 32, Rommenie : P. 2, Romanie.
Pag. 235, lig. 19, comme j’ai dit en l’autre livre : Il veut dire dans le commencement de son ouvrage, qu’il vouloit diviser en livres, division qui n’a pas subsisté ou qui n’a pas été faite.
Pag. 238, lig. 11, pars : L., fois.
Pag. 239, chap. 121. Messire Foulques de Laval étoit le fils de Guy IX de Montmorency Laval, l’époux de Jeanne Chabot, dame de Rais, et le chef de la branche de Laval-Rais ; il mourut en 1360. (Cf. Paris, V. 85.)
Pag. 242, lig. 3, chappeau : P. 1, chappel ; P. 2, taquoer. — Lig. 8, fraillon : P. 2, frallon. — Lig. 22, plus de povoir : P. 1, plus point de povoir. — Lig. 30, tostoier : P. 2, toustaier.
Pag. 243, lig. 7, soufferte : P. 1, trait. — Lig. 18, et soustient : L., en subtillant.
Pag. 244, lig. 9, court : P. 1, cueurt.
Pag. 246, lig. 19, le chevalier qui fist ce livre : P. 1, le chevalier de La Tour. La femme qu’il fait ainsi parler avec tant de sens et de finesse est sa première femme, Jeanne de Rougé, puisqu’on a vu (préface, p. xiv) qu’elle vivoit encore en 1383. — Lig. 28, Comme en esperance de mariage ne se trouve que dans le manuscrit P. 1, qui l’ajoute en marge.
Pag. 249, lig. 1, agaitier : L., caquetier. — Lig. 30, xl roys : L., lx roys.
Pag. 250, lig. 21, desvoyées : L., desvées.
Pag. 252, lig. 9, de grans goguès : P. 1, gogais. — Lig. 23, il esbat sa jeunesse : P. 1, il s’esbat.
Pag. 255, lig. 17. Le ms. de L. repète ici à tort : La dame respond. — Lig. 26, houlières : L., houliers.
Pag. 259, lig. 22, oye : P. 1, aye.
Pag. 260, lig. 5. On connoît les histoires de la dame de Coucy et de la châtelaine de Vergy ; il n’est pas aussi simple de savoir ce qu’est l’histoire de la duchesse. J’avois pensé au roman de Parise la Duchesse ; mais il ne convient nullement.
Pag. 261, lig. 2, jouoient au Roy qui ne ment : P. 2, qui ne peut. — Lig. 28. Seroit-ce Marguerite, dame de la Jaille, femme de Hardouin de la Porte, seigneur de Vezins en Anjou, des enfants de qui le père Anselme indique deux mariages, dont l’un est du 9 juillet 1388. (Cf. II, 448, D ; et VI, 766, A.)
-302- Pag. 261, lig. 28, aguigna : L., fist signe à.
Pag. 262, lig. 3, je la tiens à aussy malle ou plus comme vous : L., à aussy malle et plus que vous.
Pag. 263, lig. 23, le poetriner : P. 1, patiner. — Lig. 25, la royne de Sabba : P. 2, la royne Sebille.
Pag. 264, lig. 4, de paille en paille : P. 2, de paillaz en paillaz.
Pag. 265. On pourroit aussi bien lire Bavière ; mais ce doit être un nom françois, et Banière paroît meilleur que Bavière. Le ms. de Gaignières a Bevière, et P. 2, Bessière ; L. dit simplement : une dame baronnesse.
Pag. 265, lig. 5, grans joyaulx : L., lons joyaulx. — Lig. 12, le denier xij : P. 2, à double. — Lig. 15, envieusement : P. 1, envoiseement.
Pag. 266, chap. 125e, Cf. la même histoire en vers et plus ancienne, publiée par Méon, supplément à ses fabliaux, II.
Pag. 268, lig. 19, sublant : P. 2, friblant.
Pag. 269, lig. 6, comment il lui estoit : L., comment il le faisoit. — Lig. 13, et l’estamine : L., de la sepmaine. — Lig. 30. Le ms. P. 2 a ici une nouvelle lacune d’un feuillet qui commence au mot : bonnes, et reprend dans la seconde histoire.
Pag. 271, lig. 11 : P. 1, à un baron double ; P. 2, à un grant baron.
Pag. 272, lig. 32, si demandoit aux gens. Lisez : si demanday aux gens.
Pag. 273, lig. 8, car je le vy et y fus, ne se trouve que dans P. 1.
Pag. 276, lig. 8, moult bonne femme : P. 2, moult belle damoiselle. — Lig. 14, venelle : P. 1, ruelle. — Lig. 18, Madame Olive de Belle Ville : P. 2, l’appelle Aline ; dans la traduction angloise du temps de Henry VI (Cf. Retrosp. Review, p. 193), elle est appelée « Cecyle of Ballevylle. » Dans ce passage il y a une faute de lecture ou d’impression ; il ne falloit pas she held in Dowaye, mais she held in dowage. — Dans l’armorial déjà cité de Gilles le Bouvier, on trouve, dans la partie consacrée au Poitou, l’écu du seigneur de Belleville, quatre de gueules et quatre vairés d’azur et d’argent. — Elle étoit peut-être de la famille de Jean de Harpedenne, 3e du nom, seigneur de Belleville, en Poitou, que Charles VII maria à Marguerite, -303- sa sœur naturelle, fille de Charles VI et d’Odette de Champdivers, la petite reine.
Pag. 277, chap. 128e. L’histoire de Cathonnet. — Dans L. le nom est toujours écrit Chatonnet.
Pag. 281, lig. 27, l’emperière : P. 1, l’empereis.
Pag. 284, lig. 29, le pendart : L., le pendant.
Pag. 286, lig. 13, du donneur à entendre, seulement dans P. 1.
Pag. 287, lig. 11, par espoir : L., P. 1, P. 2, car espoir, qui ne donne aucun sens.
Pag. 289, lig. 1, prouffis : L., promesses. — Lig. 10, ce que l’en deffault : L., ce que l’on deffent.