Title: L'Illustration, No. 2510, 4 Avril 1891
Author: Various
Release date: January 10, 2014 [eBook #44634]
Most recently updated: October 23, 2024
Language: French
Credits: Produced by Rénald Lévesque
L'ILLUSTRATION Prix de ce Numéro: 1 fr. 25.
SAMEDI 4 AVRIL 1891 49e Année.--N° 2510
LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE MOMIES DANS LA
HAUTE-ÉGYPTE.--
Extraction des sarcophages du puits de Deïr-el-Bahari,
près de Louqsor.
Dessin d'après nature de M. Émile Bayard.
E parlais l'autre jour d'une danseuse au nom bizarre qui donne aux femmes du monde et aux futures étoiles du Moulin-Rouge des leçons de danse excentrique. Depuis que la Goulue a fait école et enseigné à Mlle Réjane l'art de lever très haut la jambe, il s'est établi, non pas encore en France, mais en Amérique, une mode nouvelle. Un jeu mondain a pris naissance dans les salons yankees et, si les correspondants de journaux ne sont pas des mystificateurs, comme on disait autrefois, ou des fumistes, comme on dit aujourd'hui (ils pourraient bien être des mystificateurs!), voici on quoi ce jeu consiste:
Au milieu d'un salon, un tambour de basque est suspendu par un fil au plafond et à une certaine hauteur. Tels les arbres de la Saint-Valentin sous lesquels, en Angleterre, on embrasse sa danseuse. Ce tambour de basque est un but, une cible pour le bout des pieds des jeunes Américaines. C'est à qui, en levant le pied le plus haut, atteindra le mieux le tambour et le fera plus joliment résonner. Il s'agit d'attraper la peau d'âne et de frapper sur cette sorte de gong. On voit d'ici le tableau: d'aimables misses levant la jambe, à la façon de la Goulue, pour attraper le bienheureux tambour.
Ce jeu, d'invention récente, porte en Amérique un nom composé des plus difficiles à prononcer. On pourrait, ce qui serait plus simple, l'appeler le shocking-drum, le tambour-shocking! Mais, là-bas, ce divertissement ne choque personne, et je ne désespère pas de le voir s'acclimater chez nous l'hiver prochain. Gloire à Mlle Réjane! Elle y sera bien pour quelque chose.
Dieu merci, nous n'en sommes pas là, et avant l'hiver la mode aura peut-être changé. Le vent tourne et le mot shocking-drum aura rejoint, je pense, les vieilles lunes. Il est fini, le présent hiver! avril, l'honneur des mois et des bois nous apporte ses premières feuilles. Un reporter de beaucoup d'ingéniosité a cherché, l'autre jour, un sujet d'actualité qui prêtât à une consultation et à des entrevues, et il a posé à un certain nombre de poètes cette question alléchante:
--Que pensez-vous du printemps?
Nos poètes consultés sur la question de savoir s'ils aiment ou s'ils n'aiment pas le printemps, on s'imagine que, du premier coup, ils vont en chœur s'écrier:
--Le printemps! mais c'est la saison bénie, l'heure des amours, la saison des nids!
Les vieux poètes d'autrefois eussent peut-être répondu cela, les naïfs. Banville, s'il eût vécu, eût crié: Vivent les roses! Or, je remarque avec une certaine tristesse que la plupart des poètes interviewés n'ont parlé du printemps que pour le railler.
--C'est la saison des rhumes de cerveau!
--C'est le triomphe du coryza!
Devant les poètes contemporains, plus ou moins mordus de pessimisme, le pauvre printemps n'a pas de chance. Il n'a plus pour l'aimer et pour le chanter que les bons bourgeois fidèles au culte des dates, et qui se disent, parfois en grelottant:
--Le fond de l'air est froid. Mais nous sommes en avril. Que c'est bon tout de même, le printemps!
Il a parfois des engelures, le printemps, mais c'est le printemps, que voulez-vous? Et on lui sourit tout de même. Voilà donc qu'il est, pour parler comme tout le monde, lâché par les poètes. Je conseillerais au reporter intelligent dont j'ai parlé de demander à ces mêmes poètes une consultation nouvelle, sur un sujet aussi vieux et aussi jeune que le printemps: l'amour!
--Que pensez-vous de l'amour?
Voyez-vous le point d'interrogation? Eh bien, je gage que les poètes, après avoir lâché le printemps, lâchent aussi l'amour. On ne croit plus beaucoup à l'amour, maintenant qu'on ne croit plus au printemps. L'amour recevra une fameuse dégelée le jour où l'on ouvrira un plébiscite sur son compte comme le journal la France en ouvre un sur cette question:
--Faut-il ou ne faut-il pas évacuer le Tonkin?
Oh! le beau système! Imaginez-vous les problèmes les plus graves soumis ainsi à la solution de braves lecteurs de journaux qui brassent de la politique au fond de leur café? Être ou n'être pas pour l'évacuation du Tonkin, comme cela, sans renseignements, sans étude, sur une simple impression, et livrer les questions les plus graves des politiciens à la Gavarni!
--Vois-tu, Sabournin, tant que M. de Metternich ne fera pas ce que je ferais si j'étais à sa place, l'Europe ne battra que d'une aile! Voilà mon opinion!
--T'es-t-un melon! Voilà mon opinion sur ton opignon!
C'est Gavarni qui raillait, voilà trente ou quarante ans, les politiquailleries. Ses légendes sont toujours de mise. Passe encore, en fait de plébiscite, pour celui du Petit Journal.
Le Petit Journal a eu l'idée de demander à ses lecteurs, aux parents de collégiens, et peut-être aux collégiens eux-mêmes, s'il ne conviendrait pas de rapprocher les vacances scolaires et de mettre les lycéens en liberté dès juillet, avant même la fête nationale.
En juillet, on étouffe dans les classes souvent trop étroites. Les enfants sont enfermés par les jours caniculaires et c'est quand le thermomètre monte, monte, qu'on les condamne aux compositions de fin d'année. Ces jeunes cerveaux se mettent alors à bouillir comme du lait sur des charbons ardents.
--Êtes-vous d'avis de fixer les vacances au 10 juillet?
Tel est le terme du plébiscite du Petit Journal. La majorité des votants--on votait par oui ou par non--a été d'avis qu'il fallait avancer la date des vacances. Je dois dire que les professeurs n'ont pas du tout manifesté la même opinion. Ils n'ont point voté, mais ils ont causé.
Si l'on partait plus vite, on rentrerait plus tôt! On rentrerait à l'heure où s'ouvre la chasse! Or, ils sont assez ruraux, les professeurs, et ils aiment à tirailler le perdreau dans quelque coin de leur province. Comment! il leur faudrait expliquer Virgile au lieu de rouler un lièvre, ouvrir Xénophon au lieu de leur carnier! Non, non, elles resteront fixées au mois d'août, les vacances scolaires, en dépit des oui, oui, oui, oui, innombrables du Petit Journal, et les collégiens continueront à avoir la tête grosse comme un muid en composant en histoire ou en thème par les jours chauds de juillet.
On a--pour changer--beaucoup parlé de M. de Talleyrand et de ses Mémoires. Les uns prétendent que M. de Bacourt, qui les eut un moment sous la main, se serait livré à un petit tripatouillage sur le manuscrit du prince de Bénévent; les autres soutiennent que, tout au contraire, c'est le texte exact de l'ancien évêque d'Autun que le public a sous les yeux. Et, là-dessus, M. le duc de Broglie offre de déposer pendant quinze jours chez Calmann-Lévy les manuscrits qui ont servi pour l'impression. Les saints Thomas de la critique verront, toucheront et seront peut-être ensuite convaincus.
Mais convaincus de quoi? Il faut bien avouer que ces Mémoires, qui ne sont pas une spéculation puisque M. le duc de Broglie en donne le produit aux pauvres, sont une désillusion. Avec un personnage tel que M. de Talleyrand, le public s'attendait à des personnalités, à des méchancetés, tranchons le mot, à des éreintements. Voyez ce que c'est que d'avoir une réputation! «Avec Talleyrand, on s'amusera, disait-on. Il en dira long, il en avait tant à dire!»
Eh bien! non, il ne dit rien. Il fait de l'histoire. Ses Mémoires sont un document officiel, presque diplomatique. Hélas! on tombe de haut.
--On nous a changé notre Talleyrand, se dit le public, qui n'admet pas que ce diable de Talleyrand se soit maquillé lui-même, ce qui me paraît pourtant vraisemblable.
Ce diable! Je viens d'écrire là un mot qui me rappelle une jolie anecdote:
Lord Halland voulait avoir un portrait de Talleyrand. Il admirait l'homme, il désirait en conserver les traits. Il s'adresse à Ary Scheffer:
--Mon cher Scheffer, je veux vous demander et vous commander un portrait!
--Un portrait de vous, mylord? C'est une bonne fortune pour un peintre.
--Non, pas un portrait de moi, le portrait d'un homme historique.
--Et qui cela, mylord?
--M. de Talleyrand.
Ary Scheffer fit la grimace. Lui n'admirait pas M. de Talleyrand, mais il voulait être agréable à lord Halland. Il s'attela au portrait. Il peignit un Talleyrand assis, pâle, pensif, presque exsangue.
Un chef-d'œuvre, du reste. Mais, au moment de peindre les mains, il s'arrêta. Ou plutôt il ne peignit pas les mains, il les allongea, il les effila, il les tordit, et il en fit... des griffes.
--Oui, disait-il en parlant de son tableau, des griffes, de véritables griffes. Pour moi, Talleyrand, c'est le diable!
Ce diable-là est sorti de sa boîte à l'état de bon diable posthume, de diable bon enfant, sans ongles et sans rancune. Et c'est pourquoi la foule ne reconnaît pas, ne veut pas reconnaître ce Talleyrand d'outre-tombe--un Talleyrand qui s'est fait ermite.
A propos de tripatouillage, que dites-vous de ce chimiste qui fabriquait, pour un journal qui les donnait en prime, de faux billets de banque, mais non point dans l'intention de les faire passer pour de vrais billets, simplement, au contraire, afin de prouver à la Banque qu'on pouvait parfaitement contrefaire ses banknotes? Certains détails étaient volontairement inexacts dans ces faux billets, et cela de telle sorte qu'on ne pût accuser l'auteur d'avoir voulu fabriquer de la fausse monnaie. Une pure plaisanterie!
Mais dame Justice n'a pas entendu de cette oreille-là. Elle n'admet pas les mystificateurs et elle coffrerait Scapin, malgré tout son esprit, comme le dernier des escarpes. Elle a cherché querelle au chimiste et elle l'a condamné à une amende assez forte.
Les envois au Salon, où l'on tripote et tripapote la couleur, sont terminés, au moins pour le Salon des Champs-Elysées, qui continuera à être, quoi qu'on fasse, le Salon officiel. Tous les peintres ont invité leurs amis et connaissances à visiter leurs ateliers, absolument comme les auteurs, sous prétexte de répétitions générales closes, convient tout Paris à écouter leur pièce la veille de la représentation. On connaît donc à peu près d'avance le Salon de 1891, qui ne s'écartera guère du Salon de 1890, lequel ressemblait fort au Salon de 1889.
En entrant on doit se dire comme on se l'est déjà dit:
--Mais où donc ai-je déjà vu ça!
Il paraît que M. Jean-Paul Laurens a fait un effort très original. Il nous présente Bailly, maire de Paris, recevant Louis XVI à la porte de l'Hôtel-de-Ville. Un vrai tableau d'histoire, une véritable reconstruction historique. Pourvu qu'on n'aille pas le décrocher comme l'Appel des Condamnés de Millier! Non, et M. Jean-Paul Laurens a songé à l'Institut en peignant cette grande toile. Il avait, lui, invité ses juges et électeurs à venir regarder son Bailly avant le vote de l'Académie. M. Jules Lefebvre aurait pu en faire autant s'il l'avait voulu. Car le duel académique entre ces deux maîtres sera terminé lorsque paraîtront ces lignes, et il y aura, pour remplacer Meissonier, un membre de l'Institut de plus.
Lui, Meissonier, pour qui eût-il voté? Pour Detaille, certainement. Il n'a plus droit au vote, il a droit à la statue. La statue, c'est la galvanoplastie appliquée aux grands hommes.
Rastignac.
L'automne est pour moi la saison idéale, et je ne sais rien de plus beau que les coteaux et les falaises dorés et diaprés par le soleil d'octobre. Mais encore faut-il qu'il brille, ce soleil, car, en revanche, rien n'est plus triste qu'un ciel gris et plombé, si ce n'est la pluie fine qui tombe désespérément, sans trêve et sans repos.
Or, nous en étions précisément là, au mois d'octobre... peu importe de quelle année. Depuis trois jours, la pluie tombait avec une implacable régularité, et les hôtes nombreux qu'accueillait, en son petit château des Mocquereaux, non loin d'Angers, notre ami le docteur Bragon, avaient dû, mettant au râtelier les fusils inutiles, remplacer les courses à travers champs par des parties de whist ou de piquet aussi interminables que peu variées. On commençait, au grand désespoir de notre aimable amphitryon, à s'ennuyer ferme, et plus d'un parmi nous devenait quelque peu grincheux.
Un seul des hôtes du petit castel avait gardé sa belle humeur: c'était un professeur en rupture de faculté, un érudit, une manière de bénédictin, toujours fourré dans la poussière des manuscrits, et que la chasse seule avait le privilège de ramener, quelques semaines par an, au niveau de l'humble humanité. Il avait eu, celui-là, une vraie chance: il avait découvert, en un coin du grenier, une petite pièce écartée, une sorte de réduit, où s'entassaient, en un pittoresque désordre, d'énormes liasses de paperasses quelque peu rongées déjà par d'indiscrètes souris. C'est là que, tandis que ses compagnons se lamentaient à qui mieux mieux sur la pluie et le vent, il passait ses journées à déchiffrer des papiers jaunis par le temps.
L'après-midi du troisième jour, comme la conversation dans la grande salle languissait de plus en plus, comme les parties de cartes s'éternisaient sans enthousiasme, comme chacun, entre une pipe et un verre de bière, regardait tristement, par les hautes fenêtres, tomber sans cesse l'horrible pluie, nous vîmes tout d'un coup, de la porte brusquement ouverte, émerger la physionomie radieuse de notre savant. Il brandissait un volumineux manuscrit, et, tandis que chacun reculait d'effroi, redoutant la lecture d'une tragédie en cinq actes ou d'un poème de M. Mallarmé, il s'alla fièrement camper devant le maître de la maison, et d'une voix sonore:
--Malheureux! s'écria-t-il! Tu avais sous ton toit, à deux pas de toi, un inestimable trésor, et tu ne disais rien! Que dis-je? tu ignorais même son existence, car tu ne soupçonnais pas, sans doute, que ce château acquis par toi n'était rien moins que l'antique demeure du sire Jehan des Mocquereaux!
--Jehan des Mocquereaux? Connais pas!
--Il ne connaît pas! Roturier indigne! Mais apprends donc, misérable, que, dans ton grenier, sous la poussière, dormait le récit véridique des exploits et faits de guerre du châtelain qui, dans ce beau pays d'Anjou, fut l'un des ennemis les plus acharnés et les plus heureux des Anglais envahisseurs.
--Alors, ce manuscrit?
--Ce manuscrit, c'est le récit de la vie et des combats de Jehan des Mocquereaux, récit écrit au seizième siècle, par le chapelain de l'un de ses descendants, et que je viens d'avoir le bonheur, pour l'édification des races futures, de découvrir et de déchiffrer.
--Et... c'est gai? fit un sceptique.
--Gai? Est-ce qu'un manuscrit de chapelain peut être gai? Non: c'est tout simplement superbe. On y sent l'odeur de la poudre, on y entend le fracas des batailles, le cliquetis des épées. Pourtant...
--Messieurs, cria le substitut, je vous dénonce notre savant ami. Il a découvert, entre les lignes de son manuscrit, un épisode galant ou drolatique, et il meurt d'envie de nous le lire.
--Et pourquoi pas? hasardèrent quelques voix. Il pleut, il vente, il fait un temps à ne pas mettre un chasseur à la porte. Allons! la lecture!
--Une lecture! Comme vous y allez! reprit le professeur. Mais vous ne comprendriez pas un traître mot à la langue que parle mon chapelain. Seulement, s'il vous plaît de connaître quelque chose de la vie du sire des Mocquereaux, je puis, pendant que la pluie tombe, vous en donner un épisode, non pas grivois, mais peut-être amusant.
Chacun s'installa de son mieux: les pipes et les cigares furent rallumés, les verres remplis, et notre camarade commença:
--Comme je vous le disais tout à l'heure, les Anglais occupaient la province d'Anjou, et je vous laisse à penser tous les malheurs, toutes les vexations, toutes les brutalités de toute sorte, auxquels étaient en butte les malheureux Angevins. Vous savez, par la haine héréditaire dont on trouve encore les traces dans ces campagnes, quels déplorables souvenirs ont laissés dans ce pays les fils de la perfide Albion. Or, nulle part les paysans ne furent aussi maltraités que dans cette partie de la province où nous sommes réunis. Et cela s'expliquait. Nul ne pouvait leur venir en aide, le seigneur s'en étant allé guerroyer au loin; ils étaient livrés sans défense à tous les caprices des vainqueurs, représentés par un bailli sans honneur et sans humanité. Tous étaient donc dans la désolation: les hommes fuyaient à travers les bois qui couvraient le pays, pour tâcher de rejoindre quelque parti français; les vieillards, les femmes, les enfants, supportaient en silence le joug anglais, et ce joug était lourd. Mais il fallait prendre son mal en patience, nul secours ne venant, nul ne pouvant chasser l'envahisseur.
Une jeune fille cependant eut la pensée de secourir les siens. Puisque, dit-elle, notre seigneur est au loin, auprès du roi notre sire, et ne revient point, ne sachant en quel état nous sommes, il lui faut découvrir le mal et le supplier d'y porter remède.
Certes, c'était fort bien raisonné. Mais comment arriver jusqu'au sire des Mocquereaux, lequel se trouvait alors à la cour du bon roi Charles, c'est-à-dire loin, bien loin, plus loin que Bourges et Nevers? Geneviève Gouzet ne se laissa pas décourager par les difficultés de l'entreprise. Elle se mit en route, seule, à pied, marchant toute la nuit, couchant, le jour, dans quelque trou de ces haies profondes qui couvrent le pays, et se cachant de son mieux pour éviter les Anglais, car elle savait bien que ceux-ci n'étaient point tendres plus aux prisonnières qu'aux prisonniers, et craignait la hart si elle était prise. Je ne vous dirai pas tous les dangers qu'elle courut pendant ce long voyage à travers la France, ni quelles fatigues furent les siennes. Mais elle avait tant prié Notre-Dame-du-Chêne, elle avait si grande foi dans sa protection souveraine, que, après bien des jours et des nuits de marches et de périls, elle parvint au lieu où se trouvait la cour.
Dès le lendemain, elle s'alla placer sur le passage des seigneurs qui se rendaient chez le roi, et, dès qu'elle vit paraître le sire des Mocquereaux, elle se jeta à ses genoux, tendant vers lui ses mains, et criant merci. Surpris de voir en telle posture cette femme qu'il ne reconnaissait point de prime abord, Jehan la releva néanmoins, et lui demanda ce qu'elle voulait de lui.
«C'est, dit-elle, messire, que vos vassaux souffrent, et crient au ciel pour que leur seigneur daigne avoir d'eux souvenance, et les vienne contre l'Anglais secourir.»
Jehan des Mocquereaux reconnut alors Geneviève Gouzet, et, l'ayant emmenée en sa demeure, apprit d'elle tous les deuils et les souffrances dont son pays était affligé. Comme il était aussi bon que brave, il fut ému au tableau qu'elle lui fit de tant de douleurs, et se décida incontinent à porter secours à ceux qui avaient mis en lui leur espoir. Ayant donc obtenu du roi son congé, il se mit en route sans tarder, et peu après arriva, suivi de quelques gens d'armes, dans la contrée où était le château de ses pères. Il trouva les choses pires encore que Geneviève ne les lui avait dites. Mais, reconnaissant qu'il était, avec le peu de gens dont il disposait, hors d'état de repousser les Anglais par la force, il se résolut, étant aussi avisé dans le conseil que brave dans les combats, à faire par la ruse ce que la violence n'eût pu faire.
Il fit tout d'abord, par un souterrain qui s'ouvrait au loin dans la campagne, entrer ses hommes d'armes, et les cacha dans une cave profonde du castel, où, chaque jour, Geneviève leur portait à manger. Puis, il fit répandre le bruit qu'il allait bientôt revenir en ses domaines, mais qu'il n'y venait point pour combattre les Anglais, mais bien pour faire avec eux paix durable. Ensuite, à quelques jours de là, il se rendit à Durtal, où siégeait le bailli dont je vous ai parlé, et, lui ayant demandé audience, lui exposa son désir de vivre tranquille en ses terres, et de lier avec les Anglais alliance et amitié. Le bailli, voyant ce seigneur, si aimé dans tout le pays, venir à lui comme ami et non comme adversaire, le reçut à merveille, le retint quelques jours auprès de lui, et, en le voyant partir, lui promit d'aller sous peu lui rendre visite.
Cependant, les vassaux du sire des Mocquereaux ne voyaient pas de bon œil ces démarches de leur seigneur, et murmuraient, disant qu'il aurait mieux fait de rester en la cour de Charles, que de venir en son pays pour s'allier à ceux qui les pressuraient et torturaient à merci. Mais Geneviève les calmait, leur prêchant patience, et leur promettant que sous peu ils seraient contents de leur sire.
Quelque temps se passa. Puis le bailli se souvint de la promesse qu'il avait faite à Jehan, et lui fit savoir que, le dimanche suivant, il viendrait avec grande escorte pour lui faire honneur, et que l'on scellerait à table l'alliance mutuellement jurée.
Au jour dit, on vit en effet arriver une troupe nombreuse de gens à cheval, archers, gens d'armes et pages, accompagnant le bailli, lequel était, pour faire honneur à son hôte, monté sur une belle haquenée de robe toute blanche. Le sire des Mocquereaux le reçut à la herse, lui fit bon et grand accueil, et le mena sans tarder en la salle du festin. Je ne vous dirai pas ce que fut ce repas: contentez vous de savoir qu'on y mangea fort et ferme, et que le vin d'Anjou, ce joli vin si doux et si capiteux, y coula à flots. Le bailli, qui était un gros homme à face rubiconde, ne chôma point ce jour-là, et fêta de belle manière la jaune liqueur des coteaux angevins.
Le festin terminé, sire Jehan le mena par toutes les salles et dépendances du château, protestant de son plaisir d'avoir chez lui pour hôte si puissant personnage, donnant aux Anglais force éloges, achevant, en un mot, par ses flatteries, l'œuvre commencée par le vin d'Anjou, tant et si bien que le bailli, tout ému, tant des fumées du piot que des belles paroles du sire, jura que jamais il n'avait eu ni n'aurait meilleur et plus fidèle ami.
Or, comme on était arrivé aux écuries, il offrit au seigneur des Mocquereaux de faire, en signe et gage d'alliance, échange de leurs montures; ce à quoi, sans peine, consentit sire Jehan. Le bailli, étant alors entré dans les écuries, avisa un cheval superbe, couleur d'alezan brûlé, dont le bon roi Charles avait fait présent à son féal serviteur: il proposa de troquer ce cheval contre sa blanche haquenée; à quoi, bien que le cheval fût de beaucoup plus beau que la haquenée, consentit encore sire Jehan. Et sur ce, l'on retourna vers la salle du festin, afin de vider encore quelques coupes en l'honneur du traité conclu.
Cependant, la journée s'avançait, et le bailli voulut repartir pour Durtal. Le seigneur des Mocquereaux ordonna donc que l'on harnachât et sellât son beau cheval, et vint lui-même tenir l'étrier à son nouvel ami, lequel, non sans peine, se mit en selle. Déjà les gens d'armes et les archers, défilant devant le seigneur, avaient passé le pont-levis, lorsqu'à leur suite le bailli, entouré de ses pages, voulut partir à son tour. Mais le bon cheval, de son naturel, n'aimait point les Anglais, surtout les Anglais grands et lourds. Aussi ne voulut-il point avancer: cris, coups de houssine et piqûres d'éperon, rien ne le put décider à remuer pied ni patte. Vainement deux pages le tiraient par la bride, deux autres le poussant; le cheval ne bougea, jusqu'à ce qu'enfin, irrité, il se débarrassa, d'une ruade, des deux malencontreux pages qu'il avait par derrière, puis, inclinant brusquement la tête et pliant les genoux, déposa mollement M. le bailli sur les dalles de la cour d'honneur. En même temps, sire Jehan criait: «A moi, mes hommes d'armes! Baissez la herse! Haussez le pont-levis!» et saisissait l'Anglais à la gorge. En peu d'instants, le château fut en état de défense, et le bailli prisonnier. Le lendemain, on le pendit aux créneaux, en punition de ses crimes. Ceux de ses pages que n'avait point navrés le cheval furent renvoyés, et s'en allèrent partout, répétant qu'un destrier sorti de l'enfer avait fait pendre leur maître, et que le diable protégeait le seigneur des Mocquereaux. «Si que, dit le chroniqueur, oncques depuis n'osèrent Anglais s'approcher du castel ni des pays à l'entour, car toujours cuidoient voir, sur son cheval démoniaque, apparaître le sire Jehan, qui si haut et si court fit pendre le bailli.»
Le narrateur s'arrêta, et comme chacun le félicitait: «Bravo! mon cher professeur, dit le substitut. On ne dira pas, en tous cas, que vous êtes ennuyeux comme la pluie, car vous me semblez l'avoir mise en fuite.»
En effet, un gai rayon de soleil entrait par la haute fenêtre. Tous aussitôt, conteur et auditeurs, coururent aux fusils, et dix minutes plus tard une fusillade nourrie apprenait aux lapins du parc que nous avions retrouvé, à leur usage, les traditions guerrières de messire Jehan des Mocquereaux.
G. Hamor.
LES NOUVELLES DÉCOUVERTES DE MOMIES DANS LA
HAUTE-ÉGYPTE.--
Transport des sarcophages de Deïr-el-Bahari au Nil.
Dessin d'après nature de M. Émile Bayard
AU THÉÂTRE D'APPLICATION.--
Une représentation de la
«Passion», mystère en quatre tableaux, de M. Haraucourt.
A L'ÉGLISE DU SACRE-CŒUR.--
La Mise au tombeau, groupe de
figures en cire, dans la crypte de la basilique.
L'idée d'appliquer la photographie aux curiosités du ciel est née le jour même où la grande découverte de Niepce et Daguerre a été annoncée au public par la mémorable communication qu'en fit Arago dans la séance de l'Académie des sciences du 19 avril 1839.
L'illustre astronome, prévoyant déjà les applications diverses qui pourraient en être faites aux recherches astronomiques, signalait, entr'autres, la possibilité d'obtenir une bonne carte de la lune et une image complète des raies du spectre solaire. Mais les procédés photographiques étaient alors trop imparfaits pour permettre d'obtenir des résultats satisfaisants.
Cependant, dès l'année 1845, Fizeau et Foucault arrivaient à faire une excellente photographie du soleil en 1/60 de seconde, que l'on peut voir très finement gravée, dans les œuvres complètes d'Arago. En 1849, William C. Bond, astronome américain, obtint une bonne épreuve daguerrienne de la lune. L'éclipse de soleil du 28 juillet 1851 fut photographiée par Berkowski à Kœnigsberg, sur une plaque daguerrienne qui montra, pour la première fois, des traces de la couronne qui enveloppe l'astre du jour et les éruptions qui émanent de sa surface.
En 1857, William Bond obtint une photographie très nette de l'étoile double Mizar ou Zêta de la Grande Ourse, aussi précise en vérité que les mesures micrométriques, car j'ai pu l'insérer comme document dans mon catalogue des étoiles doubles. C'est à l'Observatoire de Harvard Collège que ces premières photographies d'étoiles ont été faites, et c'est là encore qu'aujourd'hui M. Pickering obtient de si merveilleux résultats qui, à eux seuls, paraissent devoir égaler au moins tous ceux du congrès des vingt ou trente astronomes composant le congrès européen.
M. Warren de la Rue en Angleterre et M. Rutherfurd aux États-Unis ont obtenu, de 1857 à 1867, de magnifiques photographies de la lune, qui n'ont pas encore été dépassées. Signalons parmi ces photographies des vues stéréoscopiques saisissantes, qui montrent le globe lunaire tellement en relief qu'il a presque la forme d'un œuf. Cet effet, un peu exagéré, est dû à ce qu'on a profité d'un certain mouvement de la lune, le mouvement de libration, pour pénétrer plus ou moins bien sur l'hémisphère invisible. Warren de la Rue, auquel on est redevable de ces photographies stéréoscopiques de notre satellite, est parvenu également à en obtenir de la planète Jupiter en prenant les vues à vingt-six minutes d'intervalle.
M. Faye, en France, a été l'un des plus éloquents promoteurs de la photographie astronomique. Insensiblement, malgré la résistance des astronomes purement mathématiciens, la photographie s'implanta dans des procédés d'étude. En 1874, au passage de Vénus devant le Soleil, elle fut appliquée avec le plus grand succès, et il en fut de même en 1883. A l'Observatoire de Meudon, M. Janssen a obtenu en 1877 d'admirables photographies de la surface solaire, sur lesquelles on assiste pour ainsi dire aux phénomènes de la formation de la lumière solaire. Ces photographies du soleil sont presque instantanées, car elles sont faites en un demi-millième de seconde! En 1884, MM. Paul et Prosper Henry, en construisant les cartes d'étoiles de l'atlas de l'Observatoire de Paris, s'appliquèrent à substituer la photographie à l'observation directe des étoiles, ce qui était à la fois beaucoup plus expéditif et plus sûr. En même temps, et depuis cette époque, MM. Pickerins aux États-Unis, Gould dans la République-Argentine, Gill au Cap de Bonne-Espérance, Common et Robert en Angleterre, se sont livrés avec les plus grands succès à la pratique de la photographie céleste.
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Ainsi, graduellement, insensiblement, la photographie en arriva à prendre une large part dans les procédés astronomiques. Cette part devient, de jour en jour, de plus en plus importante, de plus en plus féconde.
On se propose actuellement de photographier le ciel tout entier, et c'est dans ce but que M. le contre-amiral Mouchez a demandé la formation d'un congrès astrophotographique international, qui s'est déjà réuni deux fois à l'Observatoire de Paris, en 1887 et en 1889, et qui s'y réunit de nouveau en ce moment même.
Il s'agit de photographier le ciel tout entier et de construire, par la photographie seule, et sans l'intervention des erreurs d'observation, la carte complète du ciel, tel qu'il se présente actuellement aux yeux des habitants de la terre. Nous avons déjà cette carte, mais sous une forme relativement imparfaite et hétérogène. Argelander, par exemple, a construit, en 1862, la carte des étoiles de notre hémisphère boréal jusqu'à la neuvième grandeur inclusivement, et cette carte se compose de 324,198 étoiles, que l'on peut toutes voir réunies sur une même feuille (voy. notre Astronomie populaire, page 832), et forme le grand atlas d'Argelander, qui est l'une des œuvres les plus considérables de notre siècle.
Le catalogue de Shœnfeld donne pour l'hémisphère austral les positions de 133,659 étoiles. M. Gould, directeur de l'Observatoire de Cordoba, dans la République Argentine, a publié, il y a quelques années, un atlas de cet hémisphère austral, mais qui ne s'étend guère au-delà des étoiles visibles à l'œil nu. Ce sont là des essais laborieux qui représentent des travaux considérables, mais qui ne pourraient jamais donner ce qu'on peut attendre tout simplement de la photographie.
En effet, au lieu d'observations méridiennes dues à un grand nombre d'observateurs très différents les uns des autres comme mode d'appréciation des grandeurs d'étoiles, et comme méthode de constatation des positions, au lieu de transcriptions multipliées, de nombreux calculs de réduction et de la dissémination des observations le long d'un grand nombre d'années, on prendra tout simplement la photographie précise du ciel, et cela non seulement jusqu'aux étoiles de 9e grandeur, mais jusqu'à celles de 10e, 11e, 12e, 13e et même 14e grandeur, ce qui ne sera pas plus difficile, et ne demandera qu'une pose de temps plus considérable.
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Tout le monde sait que les étoiles visibles à l'œil nu s'arrêtent à la sixième grandeur, et que ce mot de grandeur doit s'entendre simplement de l'éclat apparent des étoiles, celles de première grandeur étant les plus brillantes, celles de seconde étant un peu moins brillantes, et ainsi de suite, celles de sixième étant les dernières que l'on puisse voir à l'œil nu. Voici le nombre probable des étoiles de chaque grandeur, jusqu'à la quatorzième:
Grandeurs. Nombre: 1re 20 2e 59 3e 182 4e 530 5e 1,600 6e 4,800 7e 13,000 8e 40,000 9e 120,000 10e 380,000 11e 1,000,000 12e 3,000,000 13e 9,000,000 14e 27,000,000.
Ces dernières étoiles sont visibles dans les instruments actuels des observatoires. On voit que le total de ces quatorze premiers ordres d'éclat dépasse déjà quarante millions. Essayer de cataloguer cette armée céleste serait non seulement un travail surhumain, mais encore absolument irréalisable, car des erreurs inévitables se glisseraient dans un pareil nombre d'observations, ainsi que dans leurs réductions, leurs transcriptions et leurs placements sur une carte.
Des années et des années ne suffiraient pas, et pendant qu'on essayerait, les étoiles se déplaceraient elles-mêmes dans l'espace, car chacune d'elles est animée d'un mouvement propre plus ou moins rapide.
Or, la photographie peut faire cela tout, bonnement, pour ainsi dire, et de la manière la plus simple, grâce aux perfectionnements apportés dans les méthodes d'opération. Et savez-vous en combien de temps cette œuvre gigantesque, ce monument impérissable de l'astronomie moderne pourrait être obtenu? En treize minutes! Voici, en effet, la durée de pose nécessaire pour que les étoiles des diverses grandeurs impressionnent les nouveaux clichés au gélatino-bromure.
Grandeur: Durée de pose. 1re 0s 005 2e 0s 01 3e 0s 03 4e 0s 1 5e 0s 2 6e 0s 3 7e 1s 3 8e 3s 0 9e 8s 0 10e 20s 0 11e 50s 12e 2m 13e 5m 14e 13m.
Ainsi cinq millièmes de secondes suffisent pour photographier une étoile de première grandeur; une demi-seconde suffit pour photographier les petites étoiles visibles à l'œil nu; treize minutes sont nécessaires pour photographier celles de quatorzième grandeur.
Si, à un certain moment, 8,000 lunettes disposées pour cette photographie pouvaient être braquées en même temps tout autour de la terre sur 8,000 points du ciel contigus, ces 8,000 clichés auraient photographié le ciel tout entier, et les quarante millions d'étoiles dont nous parlions tout à l'heure. Juxtaposés, ces 8,000 clichés, de cinq degrés chacun, représenteraient les 41,000 degrés carrés dont se compose la surface du ciel.
Cette sorte de photographie instantanée du ciel serait idéale, mais ne peut se faire; d'abord parce qu'à quelque moment que ce soit la nuit ne s'étend que sur moins de la moitié du globe; ensuite parce que l'atmosphère n'est jamais parfaitement pure; enfin parce que ces 8,000 instruments seraient une dépense considérable, qu'il est plus simple et plus pratique de réduire à son minimum.
Le travail a été réparti entre une vingtaine d'observatoires et l'on pense qu'en trois ou quatre ans tout le ciel étoilé sera photographié.
Voici comment le travail sera probablement divisé entre les divers observatoires:
Observatoires. Nombre de clichés Paris. 1260 Bordeaux. 1260 Toulouse. 1080 Alger. 1260 Greenwich. 1149 Oxford. 1180 Helsingfort. 1008 Postdam. 1232 Rome. 1010 Catane. 1008 San Fernando. 1260 Tacubaya. 1260 Santiago. 1260 La Plata. 1360 Rio Janeiro. 1376 Cap de Bonne-Espérance. 1512 Sydney. 1400 Melbourne. 1149
Ainsi, la science du dix-neuvième siècle léguera à la postérité un état irrécusable et impérissable du ciel sidéral, qui, dans les siècles futurs, servira de base certaine pour la solution du grand problème de la constitution générale de l'univers.
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Certes, l'œil humain est un appareil d'optique admirable. Quelle transparence dans ce cristal vivant, quelles nuances délicieuses dans cet iris, quelle profondeur ou quel charme! C'est la vie, c'est la passion, c'est la lumière. Fermez tous ces yeux, que restera-t-il de la création?
Et pourtant, la lentille de l'appareil photographique représente vraiment un œil nouveau, qui vient compléter le nôtre et qui le surpasse, plus merveilleux encore.
Cet œil géant est doué de quatre avantages considérables sur le nôtre: il voit plus vite, plus loin, plus longtemps, et, faculté précieuse, il fixe, imprime, conserve ce qu'il voit.
Il voit plus vite: en un demi-millième de seconde, il photographie le soleil, ses taches, ses tourbillons, ses flammes, ses montagnes de feu, en un document impérissable.
Plus loin: dirigé vers un point quelconque du ciel pendant la nuit la plus profonde, il découvre dans les atomes de l'infini des étoiles, des mondes, des univers, des créations, que jamais, jamais notre œil ne pourrait voir, à l'aide de n'importe quel télescope.
Plus longtemps: ce que nous ne sommes pas parvenus à voir en quelques secondes d'attention, nous ne le verrons jamais. Lui, n'a qu'à regarder assez longtemps: au bout d'une demi-heure, il distinguera ce qu'il ne voyait pas; au bout d'une heure, il verra mieux encore, et plus il restera fixé vers l'inconnu, mieux il le possédera, sans fatigue et toujours mieux.
Et il conserve sur sa plaque rétinienne tout ce qu'il a vu. Notre œil ne garde qu'un instant les images. Supposez, par exemple, que vous assommiez un homme au moment où, tranquillement assis dans son fauteuil, il a les yeux ouverts devant une fenêtre vivement éclairée (la supposition n'a rien d'exorbitant sur une planète dont tous les citoyens sont soldats et s'entre-tuent au taux moyen de onze cents par jour); puis que vous lui arrachiez les yeux (nous venons de dire qu'il s'agit d'un ennemi), et que vous les immergiez dans une solution d'alun. Ces yeux conserveront l'image de la fenêtre avec ses barres transversales et ses ouvertures éclairées. Mais, dans l'état normal des choses, nos yeux ne gardent pas les images... il y en aurait trop, d'ailleurs. L'œil géant dont nous parlons conserve tout ce qu'il a vu. Il n'y a qu'à changer la rétine.
Ainsi, d'abord, cet œil voit plus vite et mieux et sans fatigue. On photographie aujourd'hui les éclairs, que l'on peut étudier ensuite à loisir sur les clichés, et qui montrent les titanesques batailles de l'étincelle électrique franchissant l'océan aérien et y rencontrant mille obstacles, mille résistances de tout ordre qui font varier sa route et lui impriment souvent les mouvements les plus désordonnés. On photographie un cheval au galop, qui subitement se trouve immobilisé, on photographie un train express, on photographie le boulet de canon et l'obus surpris, arrêtés sur leur trajectoire.
Oui, cette rétine artificielle voit plus vite et mieux. Et, par une propriété absolument contraire, elle sait pénétrer en des abîmes où nous ne voyons et ne verrions jamais rien. C'est peut-être même ici sa faculté la plus stupéfiante encore.
Mettons l'œil, par exemple, à l'oculaire d'une lunette dont l'objectif mesure 30 centimètres d'ouverture: ce sont là actuellement les meilleurs instruments comme usage pratique des observatoires.
Dans cette lunette de 30 centimètres de diamètre et de 3 mètres et demi de longueur, nous découvrons les étoiles jusqu'à la quatorzième grandeur, c'est-à-dire environ 40 millions d'astres de toute nature.
Maintenant, remplaçons notre œil par la rétine photographique. Instantanément les étoiles les plus brillantes viendront frapper la plaque et y marquer leur image. Cinq millièmes de seconde suffiront pour une étoile de première grandeur, une centième de seconde pour les étoiles de deuxième grandeur, trois centièmes de seconde pour celles de troisième, et ainsi de suite, suivant la proportion établie plus haut.
En moins d'une seconde, l'œil photographique a vu tout ce que nous pouvons apercevoir à l'œil nu.
Mais ce n'est rien encore. Les étoiles télescopiques visibles dans l'instrument vont également frapper la plaque et y inscrire leur image. Celles de la septième grandeur emploieront une seconde un tiers à l'impressionner, celles de la huitième grandeur demanderont trois secondes, celles de la neuvième huit secondes, celles de la onzième grandeur cinquante secondes, celles de la douzième demanderont deux minutes, celles de la treizième cinq minutes, et enfin celles de la quatorzième, treize minutes.
Si nous avons laissé notre plaque exposée pendant un quart d'heure, nous trouverons photographiée sur cette plaque toute la région du ciel vers laquelle la lunette était dirigée, et tout ce que cette région possède, tout ce qu'avec une peine infinie nous serions parvenus à découvrir, à mesurer, par une série d'observations très laborieuses et très longues. Un nombre suffisant d'appareils braqués de manière à embrasser le ciel tout entier fixera, comme nous venons de le voir, en une carte immense tout ce que l'astronomie d'observation peut étudier, et ce que l'on n'aurait pu obtenir qu'en plusieurs siècles.
Mais voici seulement où commence le merveilleux.
Laissons l'œil photographique regarder au lieu du nôtre: il pénétrera dans l'inconnu. Les étoiles invisibles pour nous deviennent visibles pour lui. Au bout de trente-trois minutes d'exposition, les étoiles de la quinzième grandeur auront fini par impressionner la rétine chimique et y former leur image.
Le même instrument qui montre à l'œil humain les astres de la quatorzième grandeur et qui, dans le ciel entier, enregistrerait environ 40 millions d'étoiles, en montre à l'œil photographique 120 millions dès la première réquisition pour obtenir la quinzième grandeur. Il atteindrait la seizième à la seconde réquisition, en une heure vingt minutes de pose, et jetterait sous l'admiration éblouie du contemplateur une poussière lumineuse de 400 millions d'étoiles!...
Jamais encore, dans toute l'histoire de l'humanité, on n'a eu en mains la puissance de pénétrer aussi profondément dans les abîmes de l'infini. Avec les perfectionnements nouveaux, la photographie prend nettement l'image de chaque astre, quelle que soit sa distance, et elle la fixe en un document que l'on peut étudier à loisir. Qui sait si quelque jour, dans les vues photographiques de Vénus ou de Mars, une nouvelle méthode d'analyse n'arrivera pas à découvrir les habitants! Et sa puissance s'étend jusqu'à l'infini. Voilà une étoile de quinzième, de seizième, de dix-septième grandeur, un soleil comme le nôtre, éloigné à une telle distance de nous que sa lumière emploie des milliers, peut-être des millions d'années à nous parvenir, malgré sa vitesse inouïe de trois cent mille kilomètres par seconde, et ce soleil gît à une telle profondeur que sa lumière ne nous arrive pour ainsi dire plus. Jamais l'œil naturel de l'homme ne l'aurait vu, jamais l'esprit humain n'en aurait deviné l'existence sans les instruments de l'optique moderne. Et voilà que cette faible lumière venue de si loin suffit pour impressionner une plaque chimique qui en conservera inaltérablement l'image.
Et cette étoile pourrait être du dix-huitième, du vingtième ordre et au-dessous, si petite que jamais les yeux humains, aidés même des plus puissants pouvoirs télescopiques ne la verront (car il y aura toujours des étoiles au-delà de notre vision). Et pourtant elle viendra frapper, de sa petite flèche éthérée, la plaque chimique exposée pour l'attendre et la recevoir.
Oui, sa lumière aura voyagé pendant des millions d'années. Lorsqu'elle est partie, la terre n'existait pas, la terre actuelle avec son humanité; il n'y avait pas un seul être pensant sur notre planète; la genèse de notre monde était en voie de développement; peut-être seulement, dans les mers primordiales qui enveloppaient le globe avant le soulèvement des premiers continents, les organismes primitifs élémentaires se formaient-ils au sein des eaux, préparant lentement l'évolution des âges futurs. Cette plaque photographique nous fait remonter à l'histoire passée de l'univers. Pendant le trajet éthéré de ce rayon de lumière qui vient aujourd'hui frapper cette plaque, toute l'histoire de la terre s'est accomplie, et dans cette histoire, celle de l'humanité n'est qu'une onde, qu'un instant. Et, durant ce temps, l'histoire de ce lointain soleil qui se photographie aujourd'hui s'est accomplie aussi: peut-être est-il éteint depuis longtemps, peut-être n'existe-t-il plus...
Ainsi cet œil nouveau qui nous transporte à travers l'infini nous fait en même temps remonter les stades de l'éternité passée.
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L'infini! l'éternité! L'astronomie contemporaine nous y plonge et nous y noie. Quelle mesure en pouvons-nous prendre? En volant avec la vitesse de l'éclair, nous emploierions des millions d'années pour atteindre les régions où brillent ces univers lointains; mais, transportés là, nous n'aurions réellement pas avancé d'un seul pas vers les limites de l'espace, car l'espace est sans bornes, l'infini est sans mesures, et partout, dans toutes les directions, il y a tant d'univers, tant de soleils consécutifs, que si nous laissions la plaque photographique assez longtemps exposée, elle finirait par se couvrir de points lumineux contigus et serrés au point de ne plus former qu'un ciel d'éblouissante lumière. Car, partout, en quelque point que nous dirigions notre rayon visuel, il y a une infinité de soleils les uns derrière les autres.
Et nous vivons sur l'un de ces mondes, sur l'un des plus médiocres, en un point quelconque de l'immensité sans bornes, éclairés par l'un de ces innombrables soleils, dans un horizon restreint, véritable cocon de ver à soie, ignorant toutes les causes, éphémères d'un instant, nous pénétrant d'une illusoire vue du monde, ne voyant presque rien, d'ailleurs, assez minuscules pour nous imaginer que nous connaissons quelque chose, nous flattant même, avec un béat sentiment d'orgueil, de dominer la nature, fiers d'une illusion prise pour la réalité. Nous tranchons les questions. Nous nous déclarons matérialistes sans connaître un mot de l'essence de la matière, spiritualistes sans connaître un mot de la nature de l'esprit; mais au fond de tout être pensant le scepticisme demeure, parce que nous sommes incapables de rien apprécier.
Notre minuscule planète perdue est encore trop vaste pour notre conception, car nous avons inventé le patriotisme de clocher, et toute l'organisation des divers groupes sociaux qui se partagent le globe est fondée sur les armes.
Ah! l'astronome souhaiterait que les conducteurs de peuples, les législateurs, les politiciens, eussent la faculté de pouvoir regarder une carte céleste et la comprendre. Cette calme contemplation serait peut-être plus utile à l'humanité que tous les discours diplomatiques. Si l'on savait combien la terre est minuscule, peut-être cesserait-on de la couper en morceaux. La paix régnerait sur le monde, la richesse sociale succéderait à la ruineuse, honteuse et infâme folie militaire, les divisions politiques s'effaceraient, et les hommes pourraient seulement alors s'élever librement dans l'étude de l'univers, dans la connaissance de la nature, et vivre des jouissances de la vie intellectuelle. Hélas! nous n'en sommes pas là; et l'œil photographique révélera bien des mystères célestes avant que l'œil humain voie la raison et la science établir leur règne sur notre petite boule tournante.
Camille Flammarion.
(Suite et fin.)
LES PHARES.--Un des gardiens faisant son quart.
Nos gravures nous ont montré les phares debout, au milieu de la mer, et bravant les tempêtes. Au plus fort de l'ouragan, lorsque le vent souffle avec rage, lançant des torrents de pluie contre les vitraux de la lanterne, lorsque les lames énormes du large déferlent quelquefois jusque sur la première galerie, envoyant par-dessus la coupole leurs longues fusées d'écume, ils s'inclinent comme pour saluer l'ouragan. Alors les vases à huile placés dans les chambres les plus élevées présentent une variation de niveau de plus d'un pouce, ce qui suppose que le sommet de la tour décrit un arc de près d'un mètre d'étendue. Mais, comme un roseau, la tourmente passée, le phare se redresse sans qu'une pierre ait joué, sans que rien se soit démoli.
Entourés d'eau de tous côtés, les phares sont, en général, d'un accès difficile. Un moyen pittoresque reproduit par nos premiers dessins est un va-et-vient installé sur un mât et actionné par un treuil. Prenons ce chemin et pénétrons dans l'intérieur pour le visiter.
Au 1er étage, nous trouvons les magasins de bois et de cordages et la menuiserie, puis au-dessus les caisses en tôle renfermant la provision d'huile; au troisième sont le garde-manger, la cuisine et deux chambres pour les gardiens, puis une petite salle pour les ingénieurs: tout cela réduit, étriqué. Dans les phares, comme à bord d'un bâtiment, l'espace est distribué avec une intelligente parcimonie.
Maintenant nous sommes dans le soubassement sur lequel repose la lanterne: c'est l'étage supérieur du phare, son âme, que nous allons examiner.
Dans un premier réduit sont enfermés les bidons a huile, les verres et les lampes de rechange, et un escalier en spirale nous conduit dans la chambre des appareils. Avec nous le gardien est entré. La nuit tombe, nous allons assister à l'allumage du feu.
L'homme s'est d'abord approché de la machine de rotation formée d'un mécanisme d'horlogerie. Il l'a mise en mouvement, en remontant un poids que l'on voit, sur la gravure, descendre dans le trou au-dessous. L'embrayage au-dessus de la machine s'est mis alors à tourner, actionnant, comme nous le verrons tout à l'heure, l'appareil optique et son armature. Celle-ci roule sur un rail circulaire au moyen de galets coniques.
Cela fait, l'homme s'est engagé sur l'échelle plus étroite encore qui a succédé à l'étroit escalier en hélice donnant accès à la lanterne.
Celle-ci est une sorte, de cage à parois formées de glaces planes, mais ce n'est là qu'une enveloppe extérieure abritant contre le vent, la pluie, les embruns de la mer, l'éblouissant échafaudage de prismes, de lentilles et de miroirs composant l'appareil d'optique que représente un de nos dessins, et dont l'ensemble s'appelle le tambour.
La lanterne.
Montage de l'appareil d'horlogerie
faisant mouvoir le tambour.
Rappelons en quelques mots le principe et la théorie de cet appareil. Si la lampe du phare était placée dans une lanterne ordinaire, la plus grande partie de sa lumière serait perdue; pour l'utiliser tout entière, il faut ramener à la surface de la mer tous les rayons qui en suivant leur direction naturelle iraient se perdre dans les espaces célestes. Tel est le rôle de l'appareil optique qui a pour effet de rendre parallèles et horizontaux les rayons lumineux divergents qu'émet le foyer. De ces rayons, les plus rapprochés de la direction voulue, ceux du centre, traversent des lentilles ordinaires, les plus obliques sont réfractés par des séries de prismes qui entourent les lentilles; enfin, ceux des bords du faisceau se réfléchissent sur des miroirs qui les renvoient en pinceaux parallèles balayer la surface des eaux.
Ce dispositif a été imaginé en 1821 par le physicien français Fresnel.
A notre entrée dans la lanterne nous trouvons les stores qui la garnissent intérieurement baissés, et les appareils recouverts de housses en étoffe. L'homme a d'abord enlevé ces dernières et la lampe est apparue à nos regards, il va maintenant la remplir d'huile, la mettre en fonctions et commencer, à l'abri des stores, l'allumage du bec.
Un mot en passant sur cette lampe que l'on voit sur notre gravure et sur son bec.
Elle est dite à niveau constant et à réservoir inférieur. L'huile minérale (car c'est d'elle qu'on se sert) est placée dans un réservoir inférieur au bec, où des pompes actionnées par un mouvement d'horlogerie situé dans l'intérieur la puisent pour la refouler à un niveau maintenu constant. Au moyen d'un trop-plein, l'huile excédante revient au réservoir. Quant au bec, il se compose de cercles de cuivre concentriques dans lesquels sont passées des mèches de coton au nombre de cinq pour les phares de premier ordre, de quatre pour ceux de second, et ainsi de suite en descendant.
Pour assurer et régler la combustion de l'huile dans le bec, celui-ci est coiffé d'une cheminée de cristal portée par une robe cylindrique, permettant de l'élever ou de l'abaisser suivant les besoins. Comme la hauteur de cette cheminée est insuffisante, elle est surmontée d'une allonge en tôle avec une clef munie d'un obturateur pour pouvoir à volonté régler le tirage.
Mais le gardien a jugé les mèches suffisamment imbibées, et le voilà qui procède à l'allumage méthodique en les tenant basses d'abord à petite flamme. Au bout d'un quart-d'heure il les relève un peu au-dessus de la couronne du bec, redescend la cheminée, ouvre graduellement l'obturateur, puis, au moyen de la pompe, fait arriver un afflux d'huile sur les mèches; de cette façon, bien réglée et conduite, la flamme est régulière, blanche, corsée et bien développée.
Puis il a définitivement enlevé les stores de la lanterne. Maintenant le phare est en pleine activité, la lampe brûle bien, et l'appareil optique tourne autour d'elle, envoyant sur l'horizon ses faisceaux lumineux qui apparaissent au marin qui les observe comme une série d'éclats, chaque fois qu'une lentille passe devant lui, interrompus par une série d'éclipses dans l'intervalle des passages. La rapidité de rotation du tambour détermine la durée relative des éclats et des éclipses dans les phares à feu tournant. Dans les phares à feux fixes, le tambour, par contre, est immobile et la lentille circulaire.
Nous en avons fini avec la description du phare, il nous faut suivre encore un instant dans son service l'homme que nous avons vu installer tout et que nos gravures nous montrent maintenant assis dans le tambour, au pied même de la lampe, un registre ouvert sur les genoux.
Légèrement vêtu et le col de la chemise entr'ouvert à cause de la chaleur quelquefois énorme (40° centigrades dans les nuits d'été) qui règne dans la lanterne, les yeux réglementairement cachés sous des lunettes aux verres fumés, dits de Londres, pour obvier autant que possible à l'insupportable intensité de la lumière, il fait son quart de trois heures, surveillant le feu, la consommation de l'huile, observant l'horizon, notant le temps qu'il fait, le degré de transparence de l'air, la brume, les incidents de la mer. Immobile, il veille, dans ce scintillement qui tourne autour de lui, suffoqué par la chaleur et le relent âcre des vapeurs de l'huile minérale, au milieu du tic-tac énervant des appareils d'horlogerie et de l'endormant et sourd mugissement de la mer qui déferle au pied des rochers, interrompu seulement de temps en temps par un choc sec contre la vitre produit par quelque oiseau migrateur attiré dans sa route et qui est venu se heurter contre l'obstacle qui le fascine.
La France a toujours été à la tête des progrès accomplis depuis un demi-siècle par la science des phares: en 1791 Teulère et Borda ont inventé les réflecteurs paraboliques; en 1823, Augustin Fresnel imaginait les appareils lenticulaires qui illuminent aujourd'hui les côtes du monde entier. Ces traditions se sont soigneusement conservées, et l'on retrouve chez le personnel de notre service des phares, depuis l'ingénieur jusqu'au gardien, cette science d'inventions, ce dévouement à toute épreuve, cette discipline merveilleuse, enfin, qui sont comme la caractéristique de notre famille maritime française.
Hacks.
Texte de GROSCLAUDE, dessins d'ALBERT GUILLAUME.
C'est prodigieux ce qu'on peut obtenir avec de la patience et un peu d'électricité. Vous prenez un fil de fer, un courant magnétique et deux tablettes vibratoires sur lesquelles vous criez: «Allo! Allo!» et vous voilà en conversation avec Londres.
Avouez que la science a marché depuis Guillaume-le-Conquérant.
On parle même déjà d'un petit perfectionnement tout à fait ingénieux, grâce auquel les paroles arriveraient traduites et sans l'ombre d'accent, de telle façon que quand vous direz à Paris: «Bonjour, monsieur!» votre interlocuteur de Londres entendra: «Good morning, sir!» et réciproquement. Il faudrait être dénué de toute ressource pour ne pas se payer ça au moins une fois par an, d'autant plus que c'est beaucoup plus flatteur d'être traduit en anglais qu'en police correctionnelle et ça ne figure pas sur le casier judiciaire.
Mais, me direz-vous, et les sourds-muets?--On s'en occupe, mesdames et messieurs, et vous ne devriez pas ignorer que, depuis un certain temps, Edison consacre ses merveilleuses facultés d'inventeur à la création d'un appareil déjà désigné sous le nom de téléphote et qui sera pour la vue ce que le téléphone est pour l'audition; au lieu de la petite tablette téléphonique contre laquelle on parle, il y aura un miroir devant lequel on fera des gestes que reproduira le miroir de l'appareil récepteur.
C'est assez dire que les sourds-muets pourront aisément communiquer à l'aide des signaux dont se compose le langage de feu l'abbé de l'Épée; il suffirait même de photographier d'une façon continue le miroir de réception pour conserver un compte-rendu sténographié de l'entretien.
Si les électriciens arrivent réellement à nous doter d'un téléphote comme celui sur lequel on fonde de si grandes espérances, il est permis de croire que le fil électrique arrivera progressivement à transmettre aussi bien que les sensations de la vue et de l'ouïe celles de l'odorat, du goût et du toucher.
Il deviendra très facile d'avoir à volonté dans l'isolement le plus absolu toutes les joies de la société, ce qui aura bien du charme pour les infirmes, les malades, notamment les cholériques et les lépreux, et pour les gens qui ont le désir de passer leurs soirées en manches de chemise.
Nous avons déjà le théâtrophone qui, au club, au restaurant, à l'hôtel ou à domicile, vous fournit dans des prix doux les auditions théâtrales les plus satisfaisantes, et je n'ai pas besoin d'ajouter avec quelle impatience les abonnés attendront le téléphote qui leur permettra de jouir des pantomimes et de lorgner la salle!
Rien n'empêchera dès lors d'organiser des petites soirées téléphoniques pour lesquelles chacun restera chez soi: on potinera téléphoniquement, on écoutera la comédie, les chansonnettes et les monologues théâtrophoniquement, et il n'y aura pas de voitures à prendre, pas d'étages à monter. Vous verrez que le téléfive o'clock sera très à la mode l'hiver prochain.
Et le buffet? Je ne connais aucune raison scientifique qui s'oppose à la transmission électrique des petits fours et des sandwichs; aussi bien ce phénomène n'est certainement pas plus improbable aujourd'hui que ne le paraissait être il y a une centaine d'années la possibilité de faire la conversation avec une personne située de l'autre côté de la Manche.
Oh! les drôles de dîners qu'on fera sur le télé-bouffe, très précieux pour les gens très demandés auxquels il permettra d'accepter plusieurs invitations à la fois, et non moins utile aux personnes qui n'ont d'autre cuisine que celle du restaurant: ces malheureux n'auront plus à descendre de leur sixième ni à faire monter les plats dans ces paniers cylindriques qu'on aperçoit encore de temps à autre aux environs des casernes.
Pour ce qui est de l'olfaction, il est bien évident que la parfumerie à distance ne rencontre aucune difficulté sérieuse; il suffirait d'un pulvérisateur d'une certaine puissance avec une canalisation dans le genre de celle du gaz et des eaux, pour que tous les abonnés pussent recevoir à domicile les parfums qui leur conviennent.
Quant au toucher, ce sera sans doute un peu plus compliqué que pour les autres sens; toutefois il ne me paraît pas impossible qu'un médecin arrive à examiner ses malades par fil spécial; tâter le pouls, ausculter, percuter même, et se livrer aux diverses autres constatations sur lesquelles le docteur fonde son diagnostic, seront même choses assez simples avec des appareils d'une sensibilité convenable; mais il y aura bien peu de chose à attendre au point de vue des opérations chirurgicales, et le pédicure lui-même sera, croyons-nous, bien empêché d'opérer à distance; il en sera de même évidemment pour le masseur et aussi pour le coiffeur qui, selon toute apparence, n'aura pas grand chose de bon à espérer dans cet ordre d'idées, à moins qu'un électricien de génie, dans le genre de l'homme à qui nous devons la ficelle à beurre, invente le fil à couper des cheveux.
En revanche, le tailleur et le chapelier ne tarderont pas à être pourvus d'un appareil qui leur permettra de prendre une mesure sans aller chez le client, et je n'ai pas besoin d'ajouter qu'avec un bon téléphote le peintre fera des portraits sans déranger son modèle; c'est quelque chose, cela.
Au point de vue sentimental, je me plais à croire que le jour est proche où la science s'enrichira d'un télékiss, avec lequel il sera délicieux de flirter par fil spécial, loin des regards indiscrets.
Et si quelqu'un vient s'en plaindre, ce sera vraiment bien commode de pouvoir, sans quitter son intérieur confortable, lui répondre d'une façon électrique et instantanée par le Télégiffle, qui sera, d'ici peu, dans tous les appartements aménagés avec un certain confortable.
Grosclaude.
Une très intéressante exposition, dont les amateurs d'art ne manqueront pas de s'offrir le régal, s'ouvrira mardi prochain chez Georges Petit, rue Godot de Mauroi. Cette exposition, qui durera trois jours seulement, comprendra une importante collection d'œuvres--huiles, aquarelles et pastels--de l'un des artistes les plus justement renommés de ce temps-ci, l'excellent paysagiste Edmond Yon.
C'est, en moins de dix années, la troisième fois que le robuste travailleur, le peintre délicat et savant, nous donne, avec un groupe imposant d'ouvrages de son choix, à juger de la fécondité, de la puissance et de la variété de son talent. L'exhibition qu'il achève d'organiser obtiendra auprès de ses visiteurs un succès au moins égal à celui qu'ont emporté ses devancières. Des soixante-six envois qui la composent, il n'en est pas un seul qui ne soit digne de l'attention des connaisseurs, et qui ne mérite leur éloge. Ils valent tous également par ces belles qualités où s'atteste la maîtrise: la vision nette et précise de la nature, un impeccable sentiment de la réalité, la perfection du dessin, la fermeté, la souplesse et l'éclat de la coloration.
Edmond Yon est un paysagiste au sens le plus parfait du mot. Épris ardemment de la nature, il s'entend à merveille à la représenter sous ses aspects les plus fugitifs et les plus divers, dans sa variété infinie et dans son éternelle mobilité... «Il excelle, dit M. Montrosier dans l'intéressante préface qui figure en tête du catalogue de l'exposition, à dire les matins encore tout embrumés où passe le souffle des églogues, les journées baignées de clarté et incrustées de lumière, et les soirs aux couchants radieux, montrant le soleil disparaissant dans la gloire d'une apothéose sans pareille. Mieux que personne il est le peintre des rivières que bordent les saules, des étangs sertis d'oseraie et des marais visqueux où semblent flotter des nénuphars. Dans les dunes de la Somme, il plantera un de ces moulins qui semblent défier la lance de Don Quichotte; ici il montrera un bout de village aux maisonnettes groupées, avec le régal de couleurs des toitures rouges, et si attirant, ce village, qu'on voudrait s'y arrêter. Tous ces morceaux sont si bien troussés, la touche en est si libre, la réalité si vraie, qu'on ne peut les oublier.»
Il y a trois sortes d'orgueil: celui de la richesse, celui de la
naissance et de l'esprit.
Swift.
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La politique, même dans le gouvernement parlementaire, c'est ce qui ne
se dit pas.
Fievée.
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Dans cette vie, il faut savoir se risquer, mais qui se risque doit se
résigner à perdre quelque chose.
Herbart.
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Les biens que l'on vante le plus ne sont pas ceux que l'on a, mais ceux
que l'on désire.
Edm. About.
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La reconnaissance est pareille à cette liqueur d'Orient qui ne se garde
que dans des vases d'or; elle parfume les grandes âmes, elle s'aigrit
dans les petites.
Jules Sandeau.
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L'égoïsme est comme l'embonpoint; plus on en a, plus on est gêné par
celui des autres.
H. Rigault.
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L'âme d'un petit enfant bien doué est plus près de celle d'Homère que
l'âme de tel bourgeois ou de tel académicien médiocre.
Jules Lemaitre.
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Le printemps qui commence aux enfants est pareil Le rire avec les pleurs
alterne à son réveil.
A. Theuriet.
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La jeunesse ne désespère pas plus de l'humanité, malgré ses désastres,
que le brin d'herbe qui pousse dans un champ dévasté par l'hiver ne
doute de la nature.
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Être et paraître sont deux; mais, avec le monde, le second est souvent le moyen d'arriver au premier.
G.-M. Valtour.
Cérémonie populaire de la Pâque, en Russie; Le pope
bénissant les pains de laitage caillé apporté par les fidèles.
(Agrandissement)
CHOIX DE TABLEAUX DE LA VENTE EDMOND YON.
(Voir l'article
page 299.)
38. Brume matinale. 35. Le vent sur le marais. 58 Les Ruches: Effet d'orage à Sainte-Aulde. 28. Le Ruisseau aux poules d'eau. 12. Laveuses à Cernay. 5. La barque de pêche. 49. Les vaines pâtures à Sainte-Aulde. 2. La grande chaussée de Longpré. 52. Soleil couchant à l'embouchure de l'Orne. 37. Le Pont de Vernon, près Vouvray. 4. Chardons en fleurs. 48. Bords de l'Essonne. 9. Fin de journée. 40. Sainte-Aulde. 7. Avril à Ballancourt. 11. Étang à Ballancourt. 42. A Longpré les Corps Saints.
La Russie et le président de la République.--Il convient, croyons-nous, de garder la plus grande circonspection, quand il s'agit des relations internationales, et on a eu le tort, trop souvent, dans notre pays, en ce qui concerne la Russie, de donner à une sympathie, qui heureusement est très réelle, une interprétation qui pourrait paraître excessive au point de devenir gênante pour ceux-là mêmes à qui elle s'adresse. Mais, ces réserves faites, il est permis de se féliciter de la nouvelle marque de courtoisie que le gouvernement du czar vient de donner au chef de l'État, en lui conférant le grand cordon de l'ordre de Saint-André.
Cet ordre est le plus ancien et le plus important des ordres russes. Il a été créé par Pierre-le-Grand en 1698. C'est celui que l'empereur donne, de préférence, aux membres régnants des maisons souveraines.
La remise des insignes qu'il comporte à M. Carnot a été faite dans le plus grand apparat. M. le baron de Mohrenheim, ambassadeur de Russie à Paris, s'est rendu à cet effet à l'Elysée avec tout le personnel de l'ambassade, en uniforme. Pendant que la garde du palais rendait les honneurs militaires, les représentants du czar étaient reçus au bas du perron par le colonel Lichtenstein et introduits par M. d'Ormesson, directeur du protocole, dans un des salons où se tenait le président de la République, entouré des officiers de sa maison militaire au complet.
Les traités de commerce et la propriété littéraire.--La révolution qui est en train de s'opérer dans notre régime économique n'est pas sans causer quelque inquiétude. Le pays est partagé en deux camps qui luttent avec acharnement, l'un en faveur du libre-échange, l'autre en faveur de la protection. Ce sont les partisans de ce dernier système qui triomphent, si l'on en juge par la force dont ils disposent dans le parlement. Où est la vérité? c'est là une question à laquelle il est difficile de répondre, car des deux côtés on fait valoir des arguments décisifs et ceux qui n'ont pas d'opinion préconçue restent en suspens entre les deux partis, ne sachant auquel donner leur confiance.
Mais d'instinct, ceux qui n'ont pas fait une étude approfondie de ces questions complexes qu'embrasse l'économie politique sont portés à s'effrayer du retour à l'ancien système qui mettait des barrières entre les peuples, alors que les facilités apportées par le progrès dans les relations internationales semblaient devoir les faire supprimer à jamais.
Naturellement ceux qui, dans notre pays, peuvent compter sur les bénéfices qu'ils tirent de l'exportation de leurs produits, sont très opposés aux lois de protection que l'on prépare, éprouvant la crainte légitime que les pays auxquels nous fermons notre porte ne nous rendent la pareille.
Nos écrivains, qu'on ne s'attendait pas à trouver en cette affaire, mais dont l'intervention est cependant toute naturelle, sont dans ce cas. Les produits dont ils vivent, fort goûtés chez nous, ne le sont pas moins à l'étranger, et ils craignent, non sans raison, que la dénonciation des traités de commerce leur ferme les «débouchés» qu'ils trouvaient pour leurs œuvres, dans tous les pays du monde et surtout en Belgique.
Aussi une délégation qui comptait les plus illustres représentants de notre littérature s'est-elle rendue auprès de M. de Freycinet, président du Conseil, pour lui remettre, au nom de toutes les grandes sociétés littéraires et artistiques, une protestation contre la mise en pratique des théories ultra-protectionnistes qui semblent triompher pour le moment: «Le mécontentement des nations voisines, dit cette protestation, se traduira sans doute par des mesures de représailles qui frapperont surtout notre production littéraire et artistique pour laquelle toutes les nations sont plus ou moins tributaires de la nôtre. La Chambre sera-t-elle indifférente à des intérêts moraux et matériels aussi considérables, et sacrifiera-t-elle les droits de ceux qui contribuent à l'étranger, pour une si large part, à notre gloire nationale?...»
Malheureusement, la Chambre est déjà si engagée qu'on peut avoir des doutes sur l'effet de cette protestation.
La situation légale du prince Victor et du prince Louis.--Par suite de la mort du prince Napoléon, le prince Victor, devenu chef de la famille Bonaparte, se trouve ipso facto expulsé du territoire français par l'application de l'article 1er de la loi du 22 juin 1886.
Cette loi, en effet, interdit le territoire français aux chefs de familles ayant régné en France et à leurs héritiers directs dans l'ordre de primogéniture. Le prince Victor, quel que soit d'ailleurs le testament politique du prince Napoléon, passe à l'état de «chef d'une famille ayant régné sur la France», et à ce titre tombe sous le coup de la loi d'exil.
Mais est-il juste de dire que le prince Louis, à qui reviendraient les droits de la famille Bonaparte si son frère venait à mourir sans héritier direct, passe à l'état d'héritier présomptif, dans le sens prévu par la loi? Le prince Louis n'est héritier qu'en ligne collatérale et la loi désigne «l'héritier direct». La question était tout au moins douteuse. Quant à présent, le garde des sceaux l'a tranchée dans le sens le plus libéral, c'est-à-dire en faveur du prince Louis. Il a fait remarquer d'ailleurs que le gouvernement restait suffisamment armé par l'article 2 de cette même loi qui lui permet d'interdire le territoire français à tous les membres des anciennes familles régnantes autres que les chefs et leurs héritiers directs.
Les Italiens en Afrique.--Il faut supposer et espérer que l'Afrique donnera à nos arrière-petits-neveux d'immenses satisfactions matérielles et morales de nature à compenser, par leur reconnaissance, les tribulations qu'elle cause pour le moment à toutes les puissances européennes.
La France, qui possède sur ce vaste continent la plus belle des colonies, en est réduite à nommer une commission d'études chargée d'examiner ce qu'il faut faire pour en tirer réellement parti. En même temps, elle est obligée de lutter au Soudan et au Dahomey, pour obtenir des succès très douteux, car on ne voit jamais qu'ils produisent rien de décisif.
Les Belges semblent plus embarrassés que fiers du territoire immense qu'ils occupent sur les confins du nôtre.
Les Anglais sont en lutte, tout au moins diplomatique, avec la France et le Portugal à raison de leurs possessions africaines, en sorte que tous ceux qui se sont partagé l'Afrique sont en hostilité plus ou moins sourde les uns avec les autres, en attendant qu'ils rencontrent tous l'ennemi commun, l'Africain lui-même, que nous ne connaissons encore que par quelques escarmouches, mais qui se révélera peut-être plus terrible qu'on ne croit, au centre de ce continent mystérieux dont on fait trop vite une possession européenne.
Mais les Italiens surtout ont à souffrir en ce moment de la précipitation avec laquelle toutes les puissances civilisées se sont jetées sur l'Afrique comme sur une proie facile. Voici remis en question, sinon déchiré tout à fait, ce fameux traité conclu avec Menelik, et qui devait donner à nos voisins le protectorat sinon la possession complète de l'une des plus belles parties du continent africain. Le comte Antonelli, qui s'était rendu en mission auprès du «roi des rois» pour traiter avec lui de l'exécution de celles des clauses du traité qui étaient favorables à l'Italie, a dû quitter brusquement le pays avec tous ceux qui l'accompagnaient, les Italiens ne se considérant plus comme en sûreté sur un territoire où ils ont cependant la prétention d'exercer leur protectorat.
M. di Rudini prépare sur la question un livre vert dans lequel il fera probablement connaître la vérité tout entière, car il n'a aucun intérêt à la cacher, Mais, si elle est telle qu'on la suppose, elle sera la justification, après la lettre, de la chute de M. Crispi, qui porte, non sans raison, en grande partie, la responsabilité de la politique suivie par l'Italie en Afrique.
Bulgarie: assassinat du ministre des finances.--Un grave attentat a été commis à Sofia le 27 mars dernier. Au moment où M. Beltchef, ministre des finances, accompagné de M. Stamboulof, rentrait chez lui, après avoir assisté au conseil des ministres, trois coups de revolver retentirent. M. Beltchef tomba, mortellement frappé. Il a été impossible d'atteindre le meurtrier qui a pris la fuite avec trois individus qui l'accompagnaient.
L'opinion très générale est que le coup était destiné au premier ministre, M. Stamboulof, et, bien que l'on n'ait encore aucun indice sur le mobile qui a poussé les meurtriers, on est porté à croire que cette affaire se rattache à celle qui amena l'exécution du major Panitza. On se rappelle qu'à la suite de cette exécution, on trouva sur un arbre voisin de l'endroit où elle avait eu lieu une bande de toile portant cette inscription: «Avant six mois, Ferdinand et son premier ministre seront exposés à cette même place.» On fait remarquer aussi que, peu de temps après l'exécution du major Panitza, on parlait d'une ligue de Macédoniens qui s'était formée pour venger la mort de leur compatriote.
Voici la question bulgare de nouveau à l'ordre du jour, car à la suite de cet événement M. Stamboulof ne restera pas inactif.
Nécrologie.-Le poète Josephin Soulary.
M. Armand Lévy, orateur bien connu des réunions socialistes.
M. Valéry Vernier, homme de lettres.
Mme la princesse d'Arenberg, femme du député du Cher, sœur du comte Greffulhe, député de Seine-et-Marne.
Le sculpteur Frétigny.
M. Henry Berthoud, homme de lettres, un des premiers vulgarisateurs scientifiques.
Mme la baronne de la Guerronnière, belle-mère de M. d'Ormesson, directeur du protocole.
M. G. Seurat, artiste peintre.
De Saint-Louis au port de Tombouctou, voyage d'une canonnière française, par E. Caron, lieutenant de vaisseau. Ouvrage accompagné de quatre cartes. (Augustin Challamel, éditeur, 5, rue Jacob.)--Il n'est pas de nation d'Europe qui n'ait aujourd'hui les yeux fixés sur l'Afrique, dans la pensée de s'y rendre maîtresse de quelque territoire neuf et non encore exploité, de telle sorte que l'on peut, dès l'heure présente, affirmer que l'Afrique tout entière est vouée, dans un avenir assez prochain, à n'être plus qu'une colonie européenne. Parmi ces nations du vieux monde, la France jouit d'une situation exceptionnelle, se trouvant déjà posséder l'Algérie et le Sénégal. Ses efforts sont, par suite de cette situation même, à l'avance tout indiqués: ils doivent tendre à relier l'une à l'autre ces deux colonies. Du sud de l'Algérie et de Bammako, ville centrale du Soudan français située sur le Niger, elle doit se diriger vers le centre du continent africain, à peine de se voir couper cette route stratégique par une autre nation rivale plus prompte ou mieux avisée. C'est dans cette préoccupation que le gouverneur du Soudan, le colonel Gallieni, dès sa prise de commandement, résolut de faire pousser par le Niger une reconnaissance jusqu'à Tombouctou. Une canonnière fut armée à cet effet et le lieutenant de vaisseau E. Caron chargé de la commander. Sa mission était d'explorer le fleuve, d'étudier l'état politique des populations riveraines, de réunir des données commerciales et scientifiques, pour permettre d'asseoir une opinion sur la valeur des contrées arrosées par le Niger moyen et sur la politique à suivre dans l'avenir. Le but a été atteint, les difficultés de toute nature, provenant des hommes et des choses, n'ont pas manqué; mais la canonnière est arrivée au port. Tombouctou n'a pu être visité, le pays étant sous la domination des Touaregs, dont la défiance et l'hostilité ne permirent pas une descente dans la ville. Mais l'exploration a été faite, le pays reconnu, étudié, et les conséquences de cette reconnaissance et de cette étude vont pouvoir être poursuivies. M. le lieutenant Caron ne se dissimule pas les difficultés d'une transformation du Soudan français, mais il en indique les moyens et il croit fermement que, de ce côté, un vaste champ reste ouvert à notre activité coloniale. Il lui reviendra l'honneur d'avoir posé l'un des premiers jalons dans cette route du progrès et de la civilisation.
L. P.
Vérités et apparences, par Armand Hayem, (chez Alphonse Lemerre, prix: 3 fr. 50). Dune intelligence qui s'assimilait à tout, d'une activité d'esprit dévorante, Armand Hayem s'était, de bonne heure, jeté fiévreusement, inconsidérément aussi, dans l'administration, la politique, la philosophie et la littérature.
Jeune encore, il avait débuté avec le Mariage, que couronna l'Académie. Il publia ensuite un certain nombre d'ouvrages d'ordres différents, appréciés des délicats, et tout en remplissant avec un zèle et un dévoùment dont le canton de Montmorency conserve le souvenir, ses fonctions de conseiller général, auxquelles il fut appelé quatre fois successivement.
Parmi ses livres, rappelons particulièrement Fédéralisme et Césarisme, et sa double et remarquable étude: le Don Juanisme et Don Juan d'Armana.
Armand Hayem laisse des œuvres posthumes, parmi lesquelles Vérités et apparences précédées d'un portrait et d'une lettre d'Alexandre Dumas à Mme Armand Hayem.
Nous ne pensons pouvoir mieux faire que de livrer ces lignes de la belle préface de l'illustre écrivain: «Ce qui faisait l'inquiétude incessante, le tourment toujours grandissant de cet esprit et de cette âme, c'était l'amertume poussée jusqu'à l'écœurement, déposée en lui par l'observation et la connaissance des hommes, et, en même temps, le besoin, l'obsession, c'est le mot, d'un idéal de perfectibilité auquel il ne voulait pas se soustraire. De là, dans ce livre un double écho, celui de sa raison, celui de sa conscience. Son esprit va alternativement de l'une à l'autre, poussant à chaque retour un cri tantôt ironique, tantôt enthousiaste, toujours douloureux.»
Les Mammifères de la France, par M. A. Bouvier, (Georges Carré, 58, rue Saint-André-des-Arts).
Faire connaître en les classant au point de vue de leur utilité les mammifères de nos contrées, tel a été le but que s'est proposé l'auteur, et ajoutons qu'il y a pleinement réussi.
L'élève trouvera dans cet ouvrage les notions de classification d'histoire naturelle dont il a besoin; l'agriculteur le complément d'observations utiles et pratiques et les indications qui peuvent lui être nécessaires; le lecteur une occasion de s'instruire sans fatigue.
L'ouvrage de M. Bouvier a été honoré de souscriptions de plusieurs ministères, y compris celui de l'Instruction publique.
Crimes d'orgueil par Louis de Caters (1 volume chez Victor-Havard, éditeur à Paris).
Ce nouvel ouvrage de M. de Caters est une œuvre pleine de passion et d'intérêt où sous une action violente se développe une thèse profondément humaine.
L'auteur donne là une note nouvelle de son talent. Ce roman vaut par l'élévation de ses sentiments, la vigueur du style, la gamme des sensations de cœur, des révoltes d'âme. Crimes d'orgueil sera un des meilleurs livres de l'année.
Mémoires de Mme Campan, dans la collection pour les jeunes filles, dirigée par Mme Carette, née Bouvet. 1 vol. in-12, 3 fr. 50 (Paul Ollendorff).--Ces mémoires sont surtout l'histoire intime de Marie-Antoinette, dont Mme Campan était la première femme de chambre, et qui, à ce titre, fut pendant vingt ans mêlée à l'existence de la reine, qu'elle ne quitta--malgré elle--que lorsque la famille royale fut enfermée aux Feuillants. On devine ce que peuvent présenter d'intérêt les observations et les souvenirs d'une femme d'un esprit aussi judicieux et aussi distingué que la future directrice de la maison impériale d'éducation d'Ecouen.
Dans la Nouvelle Collection (Charpentier et Fasquelle, éditeurs): les Fiançailles de Thérèse, par Mme Stanislas Meunier, et Un manuscrit, par Pierre Maël, deux jolis romans d'amour chaste, destinés à prouver que les sentiments purs dans les œuvres ne sont pas exclusifs des qualités littéraires chez les auteurs.
Tableaux algériens, par Gustave Guillaumet, 1 vol. in-12, 3 fr. 50 (Plon, Nourrit et Cie).--Un vrai livre de peintre. Comme Fromentin, Guillaumet eût pu se faire, à côté de sa gloire d'artiste, une réputation d'écrivain. Et tous deux, c'est la vie du désert qui les a séduits, fascinés. C'est le soleil qui, après avoir tenté leur pinceau, les a faits poètes, la plume à la main. Les Tableaux algériens ne sont point d'ailleurs un nouvel ouvrage. Une superbe édition illustrée en avait été publiée après la mort du peintre. La librairie Plon vient seulement d'en mettre une édition courante à la portée du grand public.
L'Enseignement au point de vue national, par Alfred Fouillée, ancien maître de conférences à l'École normale supérieure. 1 vol. in-12, 3 fr. 50 (Hachette).--Les questions d'enseignement n'ont pas cessé d'être à l'ordre du jour. L'éducation reste la question vitale; mais il semble, il est même certain, et M. Fouillée le constate, qu'en cette matière on ne se place jamais qu'au point de vue de l'individu. Ne faudrait-il pas enfin tenir compte de la race, s'élever à un point de vue national, se préoccuper non seulement d'instruire les individus, mais de conserver et d'accroître les qualités héréditaires de la race? Tel doit-être, d'après M. Alfred Fouillée, le but de l'éducation. C'est à ce point de vue qu'il a étudié les questions d'enseignement, et l'on peut juger quel intérêt nouveau et vraiment patriotique s'attache par suite à son livre.
Tous les journaux ont parlé des découvertes faites récemment en Égypte par notre compatriote M. Grébaut, directeur du Musée égyptien de Ghizeh. M. Grébaut, à la suite de fouilles entreprises dans La montagne de Thébes, a mis au jour un puits contenant un nombre considérable de momies, toutes dans de riches sarcophages, et dans un état merveilleux de conservation. Par une rare bonne fortune, parmi les témoins de ces fouilles se trouvait un de nos plus chers collaborateurs, M. Émile Bayard, qui vient de passer l'hiver en Égypte. C'est donc sur place même et d'après nature que M. Bayard a pu faire les deux beaux dessins que nous donnons et dont il a accompagné l'envoi de la très intéressante lettre que voici:
Au Directeur.
Je vous ai dit dans ma précédente lettre qu'après avoir remonté jusqu'à la première cataracte, sur un charmant et confortable bateau de la Société Égyptienne Thewfikiek, je m'étais arrêté à Louqsor, à l'hôtel de la société sus-nommée. Je vous laisse à penser ma joie en voyant sur la table du grand salon l'Illustration, qu'on se passait de mains en mains. Quand on a vu votre collaborateur assidu et dévoué, on l'a fort entouré. A 1,200 lieues de la rue Saint-Georges, ç'a été vraiment une grande joie pour moi, car je rapportais au journal les sympathies dont j'étais l'objet.
Le soir même de mon arrivée, j'appris la découverte si intéressante de M. Grébaut, le savant égyptologue. Ma première idée fut de faire profiter de ma bonne fortune les lecteurs de l'Illustration. Aussi, le lendemain matin, je traversai le Nil et me trouvai sur la rive gauche de l'ancienne Thèbes; de là, monté sur un bourriquot (Ramsès, s'il vous plaît), je me rendis à la dahabieh de M. Grébaut, à qui j'avais eu le plaisir d'être présenté au Caire. Fort bien accueilli, il fut décidé que nous partirions de suite pour Deïr-el-Bahari. Nous voilà donc tous à bourriquot, M. Grébaut, M. Bourriaud, le chef érudit de la mission archéologique française, et moi. Au bout d'une bonne heure, nous arrivâmes sur le flanc de la chaîne lybique, où se trouve la fouille que M. Grébaut a fait creuser, pressentant en cet endroit un trésor caché, dont l'importance archéologique devait dépasser ses espérances. Mais je laisse la parole à M. Grébaut:
«J'étais persuadé qu'environ à cette distance de la montagne je trouverais quelque chose. Je ne m'étais pas trompé et j'ai fait fouiller. A ma grande joie j'ai vu apparaître le puits que vous voyez, dont la profondeur est environ de 15 mètres et au fond duquel se trouvait une porte fermée par un entassement de grosses pierres.
La porte déblayée, on est entré dans un premier souterrain. Après un parcours de 73 mètres on rencontre un escalier de 5 mètres et l'on descend à un second étage qui fait suite pendant 12 mètres.
Ces deux étages conservent la direction du nord au sud. Au fond sont creusées deux chambres funéraires mesurant: l'une 4 mètres, l'autre 2 mètres de côté. A la hauteur de l'escalier est située la port d'un second corridor de 54 mètres se dirigeant de l'est à l'ouest. Le développement total des souterrains est de 153 mètres.
Ils étaient remplis de caisses de momies, souvent entassées les unes sur les autres. A côté des sarcophages étaient déposés des objets divers, papyrus, boîtes, paniers, statuettes, offrandes funéraires, fleurs.
Le désordre dénotait une cachette du genre de celles des momies royales découvertes il y a dix ans. Les deux cachettes sont de la même époque, elles ont dû être faites dans les mêmes circonstances. Dans les deux cas, les momies les plus récentes appartiennent à la 21e dynastie.
Les sarcophages de la nouvelle découverte sont ceux des prêtres et des prêtresses d'Ammon, au nombre de 163. On compte aussi quelques prêtres d'autres divinités, de Set, d'Anubis, de Mentou et de la reine Aah-Hotep dont le culte s'est maintenu pendant de longs siècles.»
L'extraction des sarcophages m'a fourni le sujet d'un dessin: les cuves extérieures d'une richesse de décoration incomparable sont composées et exécutées avec un soin particulier. Quand on pense que la porte de ces souterrains, fermée depuis 3,000 ans, vient de livrer passage à ces sarcophages qu'on dirait faits d'hier tant leur conservation est admirable, l'imagination reste confondue.
Voilà, mon cher ami, ce que j'ai eu l'heureuse chance de voir; mais ce qu'on ne verra pas de longtemps, c'est leur transport au Nil où les attendent de grands chalands qui doivent les transporter au Caire.
Rien ne peut donner une idée (pas même mon dessin!) de cet étonnant spectacle.
Imaginez-vous, sous un soleil de 50 degrés, dans les grandes plaines fertilisées par le Nil et s'étendant jusqu'aux contreforts de la montagne, deux cents Arabes dans les costumes les plus pittoresques, souvent nus, portant sur leurs épaules une trentaine de ces merveilleux sarcophages, se bousculant dans la poussière en chantant ces refrains monotones dont ils scandent leurs marches. C'est un spectacle inoubliable.
Je ne veux pas, cher ami, prolonger cette longue lettre. Je dois cependant ajouter que, malgré son grand désir de m'être agréable, M. Grébaut n'a pu me fournir les photographies des objets trouvés, ce qui eût été bien précieux, mais il ne veut rien livrer à la publicité avant d'avoir examiné avec soin, à son retour au Caire, tous les éléments de sa découverte. Je suis persuadé qu'il s'empressera, aussitôt qu'il le pourra, de vous les envoyer avec une notice explicative. Ce sera encore de l'actualité. A bientôt, mon cher ami.
Votre bien affectionné,
Émile Bayard.
Les nombreux pèlerins qui ont visité pendant ces derniers jours l'église du Sacré-Cœur se sont portés en foule dans la crypte de la Basilique où les attendait le spectacle émouvant d'une «Mise au tombeau» fidèlement représentée.
Le corps du Seigneur, qui tient le milieu, est soutenu par Joseph d'Arimathie, à qui appartenait le sépulcre, et Nicodème.
A gauche, la sainte Vierge, accompagnée de saint Jean et de la mère de Jacques, étend les bras vers son divin fils à qui elle semble adresser un dernier adieu. A droite, Marie-Madeleine à genoux, les mains jointes, implore une fois encore son pardon, et derrière elle se tiennent les trois saintes femmes qui accompagnent la mère du Christ. Un disciple porte la couronne d'épines, et trois soldats romains éclairent avec des torches la funèbre cérémonie. Tout en haut d'un escalier taillé dans le roc, on entrevoit le calvaire.
Les figures en cire sont l'œuvre de M. Pêche-Lambert. C'est un travail long et difficile que la mise au point d'un pareil tableau. L'artiste doit modeler d'abord ses personnages en terre glaise, les reproduire ensuite en plâtre, et sur les plâtres prendre les moulages dans lesquels coulera la cire. Après avoir soigneusement réparé et retouché cette cire, les groupes sont implantés, et les couleurs savamment distribuées donnent à la scène l'illusion de la vie.
Ab.
Le petit théâtre de la rue Saint-Lazare a donné, ces jours derniers, un spectacle de circonstance qui, pour n'être pas de ceux auxquels se précipite d'ordinaire le gros public, n'en a pas moins offert un intérêt littéraire et scénique indéniable.
La Passion, de M. Haraucourt, avait été donnée déjà l'an passé au Cirque-d'Hiver avec Mme Sarah Bernhardt comme protagoniste; elle fit même quelque bruit à cette époque-là, si nous nous souvenons bien. Transportée sur la petite scène de M. Bodinier, elle a été écoutée presque avec recueillement.
Les quatre tableaux de la Passion: Un Carrefour à Jésusalem, la Maison de Lazare, le Jardin des Oliviers et le Calvaire se sont déroulés tranquillement devant une salle toujours pleine, et dans un silence qu'interrompaient seuls les applaudissements à l'adresse du poète et des interprètes. Ceux-ci, en effet, surtout Taillade dans le rôle de Judas et Brémont dans celui de Jésus, Mme Malvau dans le personnage de Marie et Mme de Pontry dans celui de Madeleine, se sont acquittés à merveille de leur lâche et n'ont pas peu contribué au succès de ces quelques représentations dont notre gravure reproduit fidèlement l'aspect général. Ce qu'elle ne peut rendre, c'est l'impression toute particulière quelles ont dù laisser dans l'esprit de nombre de Parisiens. Nous nous ferons sans doute par la suite à ce spectacle moitié profane, moitié religieux. Mais cette petite salle oblongue avec sa tribune du fond où l'orgue seul fait défaut; cette étroite scène où, dans la monotone vibration des vers psalmodiés, Madeleine la pécheresse, sous les traits de la belle Mme de Pontry (c'est l'épisode que représente notre gravure), arrosait de parfums les pieds de Jésus: la demi-obscurité que faisaient flotter au-dessus des spectateurs recueillis les lustres baissés... tout cela donnait assez bien l'idée d'une bonne petite religion fin de siècle, dont le culte se célébrerait dans une sorte de chapelle laïque, fraîchement décorée et ornée de glaces.
J. S.
Nous continuons aujourd'hui notre série des scènes de la vie russe par
la cérémonie de la Pâque qui rappelle un peu ce qu'en France nous
appelons la bénédiction des rameaux. Les fidèles, rangés devant la porte
M. BELTCHEF D'après la photographie
de M. Ivan-A.-Rarastojanow.
de l'église, ont apporté avec eux des pains confectionnés avec une sorte
de laitage caillé qui constitue, le jour de la pâque, le mets principal
des Russes. Dans ce laitage ils ont planté des cierges qu'ils ont
allumés. Le pope sort de l'église, suivi de son sacristain, et bénit les
fidèles, les cierges et les pains de laitage caillé. Puis tout le monde
se retire.
Une particularité assez curieuse à signaler: sitôt que la bénédiction a été donnée, les fidèles éteignent leurs petits cierges, dont ils conservent précieusement la partie restée intacte, à moins qu'ils ne la cèdent, moyennant quelque argent, à d'autres fidèles qui n'ont pu assister à la bénédiction.
Nos lecteurs trouveront dans l'Histoire de la semaine les détails relatifs à l'assassinat de M. Beltchef, ministre des finances de Bulgarie, dont nous donnons ci-contre le portrait. Nous n'avons donc que peu de chose à dire sur cet attentat, qui a jeté la consternation dans tous les cercles politiques de Sofia, où la victime était aimée et estimée de tous. Au moment où nous mettons sous presse, les assassins ne sont pas encore connus, mais les arrestations ordonnées par M. Stamboulof continuent, et l'agitation s'étend de plus en plus en Bulgarie.
M. Beltchef était nouveau venu en politique. Il avait trente-cinq ans et avait fait ses études à Paris.
Morte saison.--S'il mange ainsi son fonds, le petit pâtissier-confiseur que Mlle Achille Fould a peint avec tant d'esprit, il ne s'enrichira guère! Mais, à cet âge, songe-t-on à l'avenir, surtout quand le présent est là, attractif, sous la forme d'un éventaire chargé de sucre d'orges? La marchandise doit être bonne. Les yeux émerveillés du gamin le disent éloquemment.
Au pigeonnier.--Bébé a évidemment promis d'être sage et de ne pas troubler la quiétude des habitants du pigeonnier, pour qu'on lui ait confié le soin de jeter de ses mains potelées les grains aux beaux oiseaux qui attendaient leur repas. M. Pinchart a composé cette scène gracieuse avec une légèreté tout à fait fin de siècle... mais l'autre, le dix-huitième!
Les premiers galons.--«Pour que ça pousse, mon fieu, vois-tu, faut les arroser.» Et le vieux Breton bretonnant a fait ce qu'il a fallu de chemin pour venir au port embrasser son «gamin» sur les deux joues à l'occasion des deux bandes rouges qui ornent nouvellement sa manche. Il est tout fier, le bonhomme, du succès de son fils, et si celui-ci sourit, c'est qu'il y a de quoi, vous en conviendrez.
Portrait à cinquante centimes.--On est entré à quatre, quatre bons compagnons de bord, dans l'atelier essentiellement primitif du photographe ambulant. L'objectif dirigé par la patronne de l'établissement va prendre les traits du gars qui sourit déjà en songeant à la promise, et à la mine qu'elle fera en recevant le petit bout de carton. La pittoresque composition de M. Bourgain est une véritable étude de mœurs.
Suite.--Voir nos numéros depuis le 21 février 1891.
En effet, les deux jeunes gens revenaient sur leurs pas.
--Cette fois nous allons bien voir, dit Mme Barincq, s'il affecte de ne pas te saluer.
Il fit plus que saluer; arrivé vis-à-vis d'eux, il laissa échapper un mouvement prouvant qu'il venait seulement de reconnaître Barincq, et tout de suite, se séparant de son compagnon, il s'avança, le chapeau à la main, en s'inclinant devant Mme Barincq et Anie:
--Puisque le hasard me fait vous rencontrer sur cette plage, me permettrez-vous, monsieur, dit-il, de vous adresser une demande pour laquelle je voulais vous écrire?
--Je suis tout à votre disposition.
--Voici ce dont il s'agit. Dans la chambre que j'occupais lors de mes visites à Ourteau, se trouvent plusieurs objets qui m'appartiennent: deux fusils de chasse, des livres, des photographies, du linge, des vêtements. J'aurais dû vous en débarrasser depuis longtemps, et je vous prie de me pardonner de ne pas l'avoir encore fait.
--Ces objets ne nous gênent en rien.
--Mon excuse est dans un ordre de service; j'ai quitté Bayonne peu de temps après la mort de M. de Saint-Christeau et ne suis revenu que cette semaine; mais, maintenant que me voilà de retour, je puis les envoyer chercher le jour que vous voudrez bien me donner.
--Nous rentrons lundi.
--Mardi vous convient-il?
--Parfaitement.
--Mardi j'enverrai mon ordonnance les emballer.
--Si vous voulez m'en donner la liste, je puis vous les faire envoyer par Manuel.
--C'est que cette liste est difficile à établir, surtout pour les livres qui se trouvent mêlés à ceux de la bibliothèque du château, et pour tout ce qui touche aux livres Manuel n'est pas très compétent.
--Votre ordonnance l'est davantage?
Le capitaine sourit:
--Pas beaucoup.
--Alors?
--Évidemment des erreurs sont possibles; mais, en tout cas, s'il s'en commet, elles seront de peu d'importance, et je les réparerai en vous renvoyant les volumes qui ne m'appartiendraient pas.
--Il y aurait un moyen de les empêcher, ce serait que vous prissiez la peine de venir vous-même à Ourteau, où nous nous ferons un plaisir, Mme et moi, de vous recevoir le jour qu'il vous plaira de choisir.
Le capitaine hésita un moment, regardant Mme Barincq et Anie.
--Si vous pouvez m'indiquer à l'avance l'heure de votre arrivée, dit Barincq, j'enverrai une voiture vous attendre à Puyoo.
Cette insistance fit céder les hésitations du capitaine.
--Mardi, dit-il, je serai à Puyoo à 3 heures 55.
Comme il allait se retirer, après avoir salué Mme Barincq et Anie, Barincq lui tendit la main.
--A mardi.
Le capitaine rejoignit son compagnon.
C'était l'habitude de Mme Barincq d'interroger sa fille sur toutes choses et sur tout le monde, ne se faisant une opinion qu'avec les impressions qu'elle recevait.
--Eh bien, demanda-t-elle aussitôt que le capitaine se fut éloigné de quelques pas, comment le trouves-tu? Tu ne diras pas cette fois que tu ne l'as pas remarqué.
--Je le trouve très bien.
--N'est-ce pas? dit Barincq.
--Que vois-tu de bien en lui? continua Mme Barincq.
--Mais tout; il est beau et il a l'air intelligent; la voix est bien timbrée, ses manières sont faciles et naturelles; la physionomie respire la droiture et la franchise; je ne connais pas de militaires, mais quand j'en imaginais un, d'après un type que j'arrangeais, il n'était ni autre ni mieux que celui-là.
--Es-tu satisfaite? demanda Barincq à sa femme; si tu voulais un portrait, en voilà un.
--On dirait qu'il te fait plaisir.
--Pourquoi pas? Non seulement le capitaine m'est sympathique, mais encore je le plains.
--La voix du sang.
--Pourquoi ne parlerait-elle pas?
--Parce qu'il faudrait qu'elle fût inspirée par la certitude, et que cette certitude n'existe pas.
--Voilà précisément qui rend la situation intéressante.
Anie les interrompit:
--Ils reviennent, dit-elle, et il semble que c'est pour nous aborder.
--Que peut-il vouloir encore? demanda Mme Barincq.
Ils n'étaient plus qu'à quelques pas, tous deux en même temps mirent la main à leur chapeau, mais ce fut le capitaine qui prit la parole:
--Mon ami le baron d'Arjuzanx, dit-il, désire avoir l'honneur de vous être présenté.
--J'ai pensé que mon nom expliquerait et, jusqu'à un certain point, excuserait ce désir, dit le baron.
--Vous êtes le fils d'Honoré? demanda Barincq.
--Précisément, votre camarade au collège de Pau, comme j'ai été celui de Sixte; mon père m'a si souvent parlé de vous et en termes tels, que j'ai cru que c'était un devoir pour moi de vous présenter mes hommages, ainsi qu'à madame et à mademoiselle de Saint-Christeau.
Ce fut Mme Barincq qui répondit en invitant le baron à s'asseoir: des chaises furent apportées par le capitaine, et un cercle se forma.
Le baron d'Arjuzanx parla de son père, Barincq de ses souvenirs de collège, et la conversation ne tarda pas à s'animer. Habitué de Biarritz, le baron connaissait tout le monde, et, à mesure que les femmes défilaient devant eux pour entrer dans la mer ou remonter à leur cabines, il les nommait, en racontant les histoires qui couraient sur elles: Espagnoles, Russes, Anglaises, Américaines, toutes y passèrent, et quand elles lui manquèrent, il tira d'un carnet toute une série de petites épreuves obtenues avec un appareil instantané qui complétèrent sa collection. Si plus d'un modèle vivant prêtait à la plaisanterie, les photographies, en exagérant la réalité, avaient des aspects bien plus drolatiques encore: il y avait là des Espagnoles dont les caoutchoucs dans lesquels elles s'enveloppaient rendaient la grosseur phénoménale, comme il y avait des Russes saisies au moment où elles sortaient rapidement de leurs chaises à porteur, d'une maigreur et d'une longueur invraisemblables.
--Je vois qu'il est bon d'être de vos amies, dit Anie.
--Il est des personnes qui n'ont pas besoin d'indulgence.
Ce fut Mme Barincq qui répondit à ce compliment par son sourire le plus gracieux, fière du succès de sa fille.
Plusieurs fois le capitaine parut vouloir se lever, mais le baron ne répondit pas à ses appels, et resta solidement sur sa chaise, bavardant toujours, regardant Anie, se faisant inviter à Ourteau, et invitant lui-même M. et Mme de Saint-Christeau à lui faire l'honneur de venir voir son vieux château de Seignos: avec de bons chevaux on pouvait faire le voyage dans la journée sans fatigue.
--Avez-vous lu le Capitaine Fracasse, mademoiselle? demanda-t-il à Anie.
--Oui.
--Eh bien, vous retrouverez dans ma gentilhommière plus d'un point de ressemblance avec celle du baron de Sigognac, quand ce ne serait que les deux tours rondes avec leurs toits en éteignoirs. A la vérité, ce n'est pas tout à fait le château de la Misère, si curieusement décrit par Théophile Gautier, mais il n'y a que la misère qui manque; pour le reste, vous reconnaîtrez: très conservateurs, les d'Arjuzanx, car il n'y a pas eu grand'chose de changé chez nous depuis Louis XIII. Et puis, vous verrez mes vaches.
--Ah! vous avez des vaches! Combien vous donnent-elles de lait en moyenne? interrompit Mme Barincq qui, à force d'entendre parler de lait, de beurre, de veaux, de vaches, de porcs, d'herbe, de maïs, de betteraves, s'imaginait avoir acquis des connaissances spéciales sur la matière.
Le baron se mit à rire:
--C'est de vaches de courses qu'il s'agit, non de vaches laitières.
--A Ourteau, continua Mme Barincq, mes vaches nous donnent une moyenne de 1,500 litres.
--Vous êtes sur une terre riche, je suis sur une terre pauvre, aux confins de la Lande rase où la plaine de sable rougeâtre ne produit guère que des bruyères, des ajoncs, des genêts ou des fougères; mais, si pauvres laitières qu'elles soient, elles ont cependant quelques mérites, et si vous voulez aller dimanche à Habas, qui est à une assez courte distance d'Ourteau, vous verrez ce qu'elles valent.
--Il y a des courses? dit Barincq.
--Oui, et les vaches proviennent de mon troupeau.
--Certainement nous irons, dit Mme Barincq avec empressement; nous n'avons jamais vu de courses landaises, mais nous en avons assez entendu parler par mon mari pour avoir la curiosité de les connaître.
L'entretien se prolongea ainsi, allant d'un sujet à un autre, jusqu'à l'heure du dîner, et déjà le soleil s'abaissait sur la mer, découpant en une silhouette sombre les rochers de l'Atalaye, déjà la plage avait perdu son mouvement et son brouhaha, quand le baron se décida à se lever.
A peine s'était-il éloigné avec le capitaine que Mme Barincq rapprocha vivement sa chaise de celle de sa fille:
--Tu sais que c'est un mari? dit-elle.
--Qui? demanda Anie.
--Qui veux-tu que ce soit, si ce n'est le baron d'Arjuzanx?
--Te voilà bien avec ton idée fixe de mariage, dit Barincq.
--Oh! maman, si tu voulais ne pas t'occuper de mariage, continua Anie; nous ne sommes plus à Montmartre, et nous n'avons plus à chercher un mari possible dans tout homme qui nous approche. Laisse-moi jouir en paix de cette liberté.
--Je ne peux pourtant pas fermer mes yeux à l'évidence, et il est évident que tu as produit une vive impression sur M. d'Arjuzanx. C'est cette impression qui l'a poussé à se faire présenter, c'est elle qui ne lui a pas permis de te quitter des yeux pendant tout cet entretien; c'est elle enfin qui a amené les compliments fort bien tournés d'ailleurs qu'il t'a plusieurs fois adressés.
--De là à penser au mariage, il y a loin.
--Pas si loin que tu crois.
Cessant de s'adresser à sa fille, elle se tourna vers son mari:
--Quelle est la fortune de M. d'Arjuzanx?
--Je n'en sais rien.
--Quelle était celle du père?
--Assez belle, mais embarrassée par une mauvaise administration.
--Et sa situation?
--Des plus honorables; les d'Arjuzanx appartiennent à la plus vieille noblesse de la vicomté de Tursan; un d'Arjuzanx a été l'ami d'Henri IV; plusieurs autres ont marqué à la cour et à la guerre.
--Mais c'est admirable! Nous irons dimanche aux courses d'Habas où certainement nous le rencontrerons. Et, puisque le capitaine Sixte vient mardi à Ourteau, nous le ferons causer sur son camarade.
Bien que Mme Barincq, maintenant qu'elle était en possession de la fortune de son beau-frère, n'eût plus rien à craindre du capitaine, elle le regardait toujours comme un ennemi: trop longtemps elle l'avait appelé le bâtard et le voleur d'héritage pour pouvoir renoncer à ses griefs contre lui alors même qu'ils n'avaient plus de raison d'être; pour elle il restait toujours le voleur d'héritage que pendant tant d'années elle avait redouté et maudit.
Mais le désir d'obtenir des renseignements sur le baron d'Arjuzanx le lui fit considérer à un point de vue différent, et amena chez elle un changement que les observations que son mari et sa fille ne lui épargnaient pas cependant en faveur du capitaine n'eussent jamais produit: puisqu'il devenait utile au lieu de rester dangereux, il était un autre homme.
Aussi, quand il arriva le mardi, voulut-elle le recevoir elle-même; et elle mit tant de bonne grâce à l'inviter à dîner, elle insista si vivement, elle trouva tant de raisons pour rendre toute résistance impossible, qu'il dut finir par accepter et ne pas persister dans un refus que sa situation personnelle envers la famille Barincq rendait particulièrement délicat.
Bien que de son côté il put lui aussi les considérer comme des voleurs d'héritage, il n'avait, en toute justice aucun reproche fondé à leur adresser, ni au mari, ni à la femme, ni à la fille: ni l'un ni l'autre n'avait rien fait pour lui enlever cette fortune qui, pendant longtemps, avait été sienne; il n'y avait point eu de luttes entre eux; la fatalité seule avait agi en vertu de mystérieuses combinaisons auxquelles personne n'avait aidé, et il ne pouvait pas, honnêtement, les rendre responsables d'être les instruments du hasard pas plus que d'être les complices de la mort. En réalité, le père était un brave homme pour qui on ne pouvait éprouver que de la sympathie, comme la fille était une très jolie et très gracieuse personne qu'il eût peut-être trouvée plus jolie et plus gracieuse encore, si sa condition d'officier sans le sou lui eût permis de s'abandonner à ses idées. Les choses étant ainsi, convenait-il de s'enfermer dans une attitude raide qu'on pourrait prendre pour de la rancune et de l'hostilité? Il le crut d'autant moins qu'il n'éprouvait à leur égard ni l'un ni l'autre de ces sentiments; désappointé qu'on n'eût pas retrouvé un testament qu'il connaissait, oui, il l'avait été, et même vivement, très vivement, car il n'était pas assez détaché des biens de ce monde pour supporter, impassible, une pareille déception; mais fâché contre ceux qui recueillaient, à sa place, cette fortune, par droit de naissance, il ne l'était point, et ne voulait pas, conséquemment, qu'on put supposer qu'il le fût.
Lorsqu'avec le secours de Manuel il eut emballé les objets qui lui appartenaient, il trouva, au bas de l'escalier, Barincq qui l'attendait.
--Vous plaît-il que, jusqu'au dîner, nous fassions une promenade dans les prés? le temps est doux; je vous montrerai mes travaux et mes bêtes.
Pendant cette promenade qui se prolongea, car Barincq était trop heureux de parler de ce qui le passionnait pour abréger ses explications, le capitaine n'eut pas un seul instant la sensation qu'il pouvait y avoir quelque chose d'ironique à lui montrer sa propriété améliorée: assurément l'affabilité avec laquelle on le recevait était sincère, comme l'était la sympathie qu'on lui témoignait; cela il le voyait, il en était convaincu; aussi, quand il s'assit à table, se trouvait-il dans les meilleures dispositions pour répondre aux questions que Mme Barincq lui posa sur le baron et raconter ce qu'il savait de lui.
C'était au collège de Pau qu'ils s'étaient connus, gamins l'un et l'autre puisqu'ils étaient du même âge. Et déjà l'entant montrait ce que serait l'homme: une seule passion, les exercices du corps, tous les exercices du corps. Dans ce genre d'éducation il avait accompli des prodiges dont le souvenir servirait longtemps d'exemples aux maîtres de gymnastique de l'avenir. Avec cela, bon garçon, franc, ouvert, généreux, n'ayant qu'un défaut, la rancune: de même que ses tours de force étaient légendaires, ses vengeances l'étaient aussi. Entre eux il n'y avait jamais eu que d'amicales relations, et si, pendant le temps de leur internat, ils n'avaient pas vécu dans une intimité étroite, au moins étaient-ils toujours restés bons camarades jusqu'au départ de d'Arjuzanx qui avait quitté le collège avant la fin de ses classes. Pendant plus de douze ans, ils ne s'étaient pas vus, et ne s'étaient retrouvés qu'à l'arrivée du capitaine à Bayonne.
Ce que le baron promettait au collège, il l'avait tenu dans la vie, et aujourd'hui il réalisait certainement le type le plus parfait de l'homme de sport: tous les exercices du corps il les pratiquait avec une supériorité qui lui avait fait une célébrité: l'escrime et l'équitation aussi bien que la boxe; il faisait à pied des marches de douze à quinze lieues par jour pour son plaisir; et il regardait comme un jeu d'aller de Bayonne à Paris sur son vélocipède. Cependant c'était la lutte romaine, la lutte à mains plates, qui avait établi surtout sa réputation, et il avait pu se mesurer sans désavantage, au cirque Molier, avec Pietro, qui est reconnu parmi les professionnels comme le roi des lutteurs. C'était la pratique constante de ces exercices et l'entraînement régulier qu'ils exigent qui lui avaient donné cette musculature puissante qu'on ne rencontre pas d'ordinaire chez les gens du monde. Pour s'entretenir en forme, il avait dans son château un ancien lutteur, un vieux professionnel précisément, appelé Thouloureux, autrefois célèbre, avec qui il travaillait tous les jours, et, d'une séance de lutte ou d'escrime, il se reposait par deux ou trois heures de cheval ou de course à pied.
Mme Barincq écoutait stupéfaite; sa surprise fut si vive, qu'elle interrompit:
--Est-ce que la lutte à mains plates dont vous parlez est celle qui se pratique dans les foires?
--C'est en effet cette lutte, ou plutôt c'était, car elle n'est plus maintenant, comme autrefois, réservée aux seuls professionnels, qui donnaient leurs représentations à Paris aux arènes de la rue Le Pelletier ou dans les fêtes de la banlieue, et, dans le Midi, un peu partout; des amateurs se sont pris de goût pour elle, quand les exercices physiques, pendant si longtemps dédaignés, ont été remis en faveur chez nous, et d'Arjuzanx est sans doute le plus remarquable de ces amateurs.
--Voilà qui est bizarre pour un homme de son rang.
--Pas plus que le trapèze ou le panneau du cirque pour certains noms des plus hauts de la jeune noblesse. En tout cas la lutte exige un ensemble de qualités qui ne sont pas à dédaigner: la force, la souplesse, l'agilité, l'adresse, la résistance, et une autre, intellectuelle celle-là, c'est-à-dire le sens de ce qui est à faire ou à ne pas faire.
--Vous parlez de la lutte comme si vous étiez vous-même un des rivaux de M. d'Arjuzanx, dit Anie.
--Simplement, mademoiselle, comme un homme qui, pratiquant par métier quelques exercices du corps, sait la justice qu'on doit rendre à ceux qui arrivent à une supériorité quelconque dans l'un de ces exercices. D'ailleurs, il est certain que la lutte est celui de tous qui développe le mieux la machine humaine pour lui faire obtenir d'harmonieuses proportions et lui donner son maximum de beauté: tandis que les autres détruisent plus ou moins l'équilibre des proportions, en favorisant un organe au détriment de celui-ci ou de celui-là: voyez le tireur à l'épaule haute, et le jockey, ou simplement le cavalier aux jambes arquées; et, d'autre part, voyez les athlètes de l'antiquité, qui ont servi de modèles à la statuaire et l'ont jusqu'à un certain point créée.
--J'avoue qu'à l'Hercule Farnèse je préfère l'Apollon du Belvédère, et surtout le Narcisse, dit Anie.
Tout cela étonnait Mme Barincq, et ne répondait pas à ses préoccupations de mère, elle voulut donc préciser ses questions.
--Voilà un genre de vie qui doit coûter assez cher? dit-elle.
--Je n'en sais rien, mais certainement il n'est pas ruineux comme une écurie de course, ou le jeu; en tout cas, je crois que la fortune de d'Arjuzanx peut lui permettre ces fantaisies, et alors même qu'elles lui coûteraient cher, même très cher, cela ne serait pas pour l'arrêter, car il n'a aucun souci des choses d'argent.
Volontiers, Mme Barincq eût parlé du baron pendant tout le dîner, de son caractère, de ses relations, de sa fortune, de son passé, de son avenir; mais Anie détourna la conversation, et sur la maintenir sur des sujets qui ne permettaient pas de revenir à M. d'Arjuzanx, et de laisser supposer au capitaine qu'elle s'intéressait à cette sorte d'enquête sur le compte d'un homme avec qui elle s'était rencontrée une fois.
L'obsession du mariage l'avait trop longtemps tourmentée pour qu'elle n'éprouvât pas un sentiment de délivrance à en être enfin débarrassée, c'avait été l'humiliation de ses années de jeunesse, de discuter avec sa mère la question de savoir si tel homme qu'elle avait vu ou devait voir pouvait faire un mari; si elle lui avait plu; s'il était acceptable; les avantages qu'il offrait ou n'offrait point. Maintenant que la fortune lui donnait la liberté, elle ne voulait plus de ces marchandages. Qu'un mari se présentât, elle verrait si elle l'acceptait. Mais aller au devant de lui, c'était ce qu'elle ne voulait pas.
Et le soir même, après le départ du capitaine, elle s'expliqua là-dessus avec sa mère très franchement.
--Est-ce que bien souvent je n'ai pas pris des renseignements sur un jeune homme sans que tu t'en fâches? dit celle-ci surprise.
--Les temps sont changés. C'est précisément parce que cela s'est fait que je ne veux plus que cela se fasse. Est-ce que le meilleur de la fortune n'est pas précisément de nous dégager des compromis de la misère? riche d'argent laisse-moi l'être de dignité.
Mais ces observations n'empêchèrent pas Mme Barincq de persister dans son envie d'aller le dimanche aux courses d'Habas.
--Rencontrer M. d'Arjuzanx n'est pas le chercher, et nous n'avons pas de raisons pour le fuir.
--Pourvu qu'on ne s'imagine pas que je suis une fille en peine de maris, c'est tout ce que je demande, et cela, je me charge de le faire comprendre sans qu'on puisse se tromper sur mes intentions.
Habas, qui n'est qu'un village des Landes, a cependant des courses très suivies, et, le dimanche de juillet où elles ont lieu, c'est, sur les routes qui aboutissent à son clocher, une procession de voitures dans laquelle se trouvent représentés tous les genres de véhicules en usage dans la contrée; le long des haies vertes festonnées de ronces et de clématites, sous le couvert des châtaigniers, les piétons se suivent à la file, les pieds chaussés d'espadrilles neuves, le béret rabattu sur les yeux en visière, le ventre serré dans une belle ceinture rouge ou bleue; et, si quelques femmes sont fières d'être coiffées du chapeau de paille à la mode de Paris, d'autres portent toujours le foulard de soie aux couleurs éclatantes qui donne l'accent du pays.
Quand le landau de la famille Barincq, après avoir traversé les rues pavoisées, s'arrêta devant l'auberge de la Belle Hôtesse, il se produisit un mouvement de curiosité dans la foule: car, si les charrettes et même les carrioles à ânes étaient nombreuses, un landau était un événement dans le village.
Des éclats de cornet à piston et des ronflements d'ophicléide dominaient les rumeurs: c'était la fanfare qui, au loin, parcourait les rues en sonnant le rappel, et de partout on se dirigeait vers les arènes établies sur la place confisquée à leur profit. Construites en pin des landes dont les planches nouvellement débitées exsudaient sous les rayons d'un soleil de feu leurs dernières gouttes de résine en larmes blanches, elles répandaient dans l'air une forte odeur térébenthinée. Leur simplicité était tout à fait primitive: des gradins en bois brut, et c'était tout; les premières avaient le soleil dans le dos, les petites places dans les yeux; rien de plus, mais cette disposition était d'importance capitale dans un pays où ses rayons sont assez ardents pour faire accepter sans sourire la vieille image des flèches d'Apollon.
--Certainement, nous allons être rôtis, dit Mme Barincq en s'installant au premier rang.
Après dix minutes elle en était encore à chercher un moyen pour échapper à cette cuisson quand le baron d'Arjuzanx parut à l'entrée de la tribune; en le voyant se diriger de leur côté, elle ne pensa plus au soleil ni à la chaleur.
--Voilà le baron, dit-elle à Anie.
--Ne comptais-tu pas sur lui?
Quand les premiers mots de politesse furent échangés, Anie, fidèle à son idée, tint à bien marquer qu'elle n'était pas venue pour le rencontrer.
--Mon père nous a si souvent parlé des courses landaises, dit-elle, que nous avons voulu profiter de la première occasion qui s'offrait à courte distance pour en voir une.
--Et vous êtes bien tombée, répondit-il, en choisissant Habas. La journée sera, je le crois, intéressante: les bêtes sont vives, et les écarteurs comptent parmi les meilleurs que nous ayons: Saint-Jean, Boniface, Omer, et aussi le Marin et Daverat, qui sont plutôt sauteurs qu'écarteurs, mais qui vous étonneront certainement par leur souplesse.
--Il y a une différence entre un écarteur et un sauteur? demanda Mme Barincq.
--L'écarteur attend de pied ferme la bête qui se précipite sur lui, et, au moment où elle va l'enlever au bout de ses cornes, il tourne sur lui-même et la vache passe sans le toucher: il l'a écartée, ou plus justement il s'est écarté d'elle. Le sauteur attend aussi la bête comme l'écarteur, mais, au lieu de se jeter de côté, il saute par-dessus. Vous allez voir Daverat exécuter ce saut les pieds liés avec un foulard, ou fourrés dans un béret qu'il ne perdra pas en sautant. Si intéressants que soient ces sauts qui montrent l'élasticité des muscles, pour nous autres Landais ils ne valent pas un bel écart: le saut est fantaisiste, l'écart est classique.
--Pensez-vous que le capitaine Sixte assiste à ces courses? demanda Mme Barincq qui se souciait peu de ces distinctions qu'elle avait cependant provoquées.
--Je ne crois pas; ou plutôt, pour être vrai, je n'en sais rien du tout.
--Je regretterai son absence; nous avons eu le plaisir de le garder à dîner cette semaine, c'est un homme aimable.
--Un brave et honnête garçon, très droit, très franc.
--Je comprends que mon beau-frère se soit pris pour lui d'une vive affection, continua Mme Barincq curieuse d'obtenir des renseignements sur les relations qui avaient existé entre le capitaine et celui qu'on lui donnait pour père.
Mais le baron, qui ne voulait pas se laisser attirer sur ce terrain, se contenta de répondre par un sourire vague.
--Cependant, si vive que soit l'amitié, poursuivit Mme Barincq, elle ne peut pas aller jusqu'à supprimer les liens de famille.
Le baron accentua son sourire.
--Aussi puis-je difficilement admettre que le capitaine ait cru, comme on le dit, qu'il serait l'héritier de M. de Saint-Christeau.
Comme le baron ne répondait pas, elle insista:
--Pensez-vous que telle ait été son espérance?
--Je n'ai aucune idée là-dessus. Sixte ne m'en a jamais parlé, et bien entendu je ne lui en ai pas parlé moi-même. Tout ce que je puis affirmer, c'est que Sixte n'est pas du tout un homme d'argent; et si, comme on le dit, il a pu avoir certaines espérances de ce côté, ce que j'ignore d'ailleurs, je suis convaincu que leur perte ne l'aura touché en rien: il est au-dessus de ces choses.
--Il me semble, interrompit Anie pour détourner l'entretien, que s'il est tel que vous le représentez, il réunit en lui les qualités avec lesquelles on fait le type du parfait soldat.
--Mon Dieu, oui, mademoiselle; seulement, si ce type était vrai hier, il n'est plus tout à fait aussi vrai aujourd'hui.
--Je ne comprends pas bien.
--C'est que, ne vivant pas dans le monde militaire, vous ne suivez pas les changements qui sont en train de s'y accomplir. Il y a quelques années, l'indifférence pour l'argent était à peu près la règle générale chez l'officier, comme le mariage était l'exception; et, à cette époque, le désintéressement entrait pour une bonne part dans le type de ce parfait soldat qui alors ne mettait pas ses satisfactions et ses ambitions dans la fortune. Mais le mariage, maintenant si fréquent dans l'armée, a changé ces mœurs. En se voyant demandé par les familles riches, et même poursuivi, l'officier a accordé à l'argent une importance qui n'existait pas pour ses devanciers; et ils ne sont pas rares aujourd'hui ceux qui répondent, lorsqu'on leur parle d'une jolie fille:
«Ça apporte?» La fortune, en s'introduisant dans les régiments, a créé des besoins, et, par conséquent, des exigences qu'on ne soupçonnait pas il y a vingt ans. Sixte, bien que jeune, n'appartient pas à ce nouveau type, qui tend de plus en plus à remplacer l'ancien, et qui, d'ici peu de temps, aura complètement changé l'esprit et les mœurs de l'armée; et bien que capitaine de cavalerie, bien que breveté, ce qui double sa valeur marchande, je suis sûr que, s'il se marie jamais, la fortune ne sera pour lui que l'accessoire.
--Alors, c'est tout à fait un héros? dit Anie.
--Tout à fait.
--On peut donc admettre, continua Mme Barincq, revenant à son idée, que la perte de l'héritage de M. de Saint-Christeau ne lui a pas été trop douloureuse?
--On peut le croire.
Et, comme les écarteurs faisaient leur entrée dans l'arène, il profita de cette diversion pour n'en pas dire davantage: la fanfare jouait avec rage, des fusées éclataient, la foule poussait des clameurs de joie, ce n'était plus le moment des conversations à mi-voix, et il ne pouvait plus guère s'occuper que des écarteurs en les nommant à Anie à mesure qu'ils passaient avec des poses théâtrales, largement espacés, graves, cérémonieux, comme il convient à des personnages que porte la faveur de la foule. Comment celui-ci, élégant et gracieux dans sa veste de velours bleu, était cordonnier: et celui-là, de si noble tournure, tonnelier!
Le défilé terminé, le spectacle commence aussitôt. C'est sous la tribune dans laquelle ils ont pris place que les bêtes sont parquées, chacune dans sa loge; une porte s'ouvre et une vache s'élance sur la piste d'un trot allongé, ardente, impatiente, battant de sa queue ses flancs creux; sans une seconde d'hésitation elle fond sur le premier écarteur qu'elle aperçoit: il l'attend; et, quand arrivant sur lui elle baisse la tête pour l'enlever au bout de ses cornes fines, il tourne sur lui-même et elle passe sans l'atteindre; l'élan qu'elle a pris est si impétueux que ses jarrets fléchissent, mais elle se redresse aussitôt et court sur un autre, puis sur un troisième, un quatrième, au milieu des applaudissements qui s'adressent autant aux hommes qu'à la vaillance de la bête.
L'intérêt de ces courses, c'est que l'homme et la bête se trouvent en face: l'un de l'autre, sur le pied d'une égalité parfaite; point de picador pour fatiguer le taureau: point de chulos avec leurs banderilleros pour l'exaspérer; point de muleta pour l'étourdir et derrière sa soie rouge éblouissante préparer une surprise; l'homme n'a d'aide à attendre que de son sang-froid, son coup d'œil, son courage et son agilité; la bête n'a pas de traîtrise à craindre: au plus fort des deux, c'est un duel.
Il arriva une heure où l'entrain des écarteurs faiblit; la chaleur était lourde, des nuages d'orage montaient du côté de la mer sans voiler encore le soleil qui tombait implacable dans l'arène surchauffée; la fatigue commençait à peser sur les plus vaillants, qui, précisément parce qu'ils ne s'étaient pas ménagés, se disaient sans doute que c'était aux autres à donner, et ils s'attardaient volontiers à causer avec leurs amies des tribunes, en s'appuyant nonchalamment aux planches du pourtour, au lieu de se tenir au milieu de l'arène, prêts à provoquer les attaques. A ce moment une vache lâchée sur la piste ne trouva personne devant elle: c'était une petite bête maigre, nerveuse, au pelage roux truité de noir, au ventre ovale, n'ayant pas plus de mamelle qu'une génisse de six mois: sa tête fine était armée de longues cornes effilées comme une baïonnette. A sa vue il s'éleva une clameur qui disait sa réputation.
--La Moulasse!
Elle ne trompa pas les espérances que ses amis mettaient en elle: voyant les écarteurs espacés ça et la le long du pourtour, elle se rua sur le premier qu'elle crut pouvoir atteindre et en moins de quatre secondes elle eut fait le tour de l'arène, cassant les planches à grands coups de cornes, et forçant ainsi ses adversaires à escalader les tribunes au plus vite, à la grande joie du public qui poussait des huées moqueuses: cela fait, elle revint au milieu de la piste et mit a creuser la terre qui sous ses sabots nerveux volait autour d'elle.
--Saint-Jean! Boniface! criait la foule, chacun provoquant celui des écarteurs qu'il préférait.
Mais aucun ne parut pressé de descendre; Saint-Jean regardant Boniface qui regardait Orner.
--A toi!
--Non, à toi!
En voyant cette débandade, Anie s'était mise à rire:
--Je n'ai jamais autant que maintenant admiré l'agilité des Landais, dit-elle.
C'était à son père qu'elle adressait ces quelques mots, le baron les arrêta au passage:
--Permettez-moi de me réclamer de ma nationalité, dit-il en saluant.
Avant qu'elle eut compris ces paroles bizarres, il appuya les deux mains sur le rebord de la tribune, et d'un bond il sauta dans l'arène.
Il y eut un mouvement de surprise, mais presqu'aussitôt un cri immense s'éleva: on l' avait reconnu, et on l'acclamait.
--Le baronne!
Ce n'était plus un acteur ordinaire qui allait provoquer la Moulasse, c'était le baron, que tout le monde connaissait, et l'espoir de voir cette lutte allumait un délire de joie.
--Le baronne! le baronne!
Hommes, femmes, enfants, tout le monde s'était levé, gesticulait, curieux, enthousiasmé; les regards faisaient balle sur lui, l'on restait les yeux écarquillés, la bouche ouverte, dans l'attente de ce qui allait se passer.
Vivement il était venu se placer en face de la Moulasse, mais sans cependant se rapprocher trop d'elle, de façon à la voir venir; le veston boutonné et serré à la taille, son chapeau jeté au loin, il leva les deux bras droit au-dessus de sa tête et d'un claquement de langue provoqua la vache.
Instantanément elle fondit sur lui: l'attention était frénétique; on ne respirait plus; dans le silence on n'entendait que le trot rapide de la vache sur le sable; elle arrivait. Le baron n'avait pas bougé et la tenait dans ses yeux. Elle baissa la tête. Il tourna sur ses talons, et elle passa en l'effleurant. Mais c'était une bête expérimentée; au lieu de s'abandonner à son élan, elle se jeta brusquement de côté et revint sur le baron qui l'écarta une seconde fois, puis une troisième, toujours avec la même justesse, la même sûreté.
La fatigue et la nonchalance des écarteurs s'étaient miraculeusement envolées quand ils avaient vu le baron tomber dans l'arène, et tous en même temps ils s'y étaient abattus: provoquée de divers côtés, la Moulasse se jeta sur eux, et le baron put remonter à sa tribune pour reprendre sa place à côté d'Anie, tandis que la foule l'acclamait avec des trépignements qui menaçaient de faire écrouler le cirque sous les battements de pieds.
--Quelle émotion vous nous avez donnée! dit Mme Barincq en le complimentant.
--Je regrette de n'avoir pas eu le temps de vous affirmer que je ne courais aucun danger, dit-il simplement, avec une entière sincérité.
Une clameur lui coupa la parole, la Moulasse venait de surprendre un écarteur et elle le secouait au bout de ses cornes engagées dans la ceinture qui le serrait à la taille; on se jeta sur elle, et il retomba sur ses pieds pour se sauver en boitant.
--Vous voyez, dit Mme Barincq, le premier moment d'émoi calmé.
--C'est un maladroit.
--Crois-tu maintenant que M. d'Arjuzanx tienne à te plaire? dit Mme Barincq à sa fille, lorsqu'après la course ils se retrouvèrent tous les trois installés dans leur landau.
--En quoi?
--En sautant dans l'arène pour te montrer son courage.
--Cela ne m'a pas plu du tout.
--Tu as eu peur?
--Pas assez pour ne pas trouver qu'il était peu digne d'un homme de son rang de se donner ainsi en spectacle.
A suivre.
Hector Malot.
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AU PIGEONNIER
PEINT PAR BOURGAIN.
LES PREMIERS GALONS
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PORTRAIT A CINQUANTE CENTIMES.