The Project Gutenberg eBook of La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 2

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Title: La Vie de Madame Élisabeth, soeur de Louis XVI, Volume 2

Author: A. de Beauchesne

Commentator: Félix Dupanloup

Release date: April 3, 2013 [eBook #42463]
Most recently updated: October 23, 2024

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, wagner, Christine P. Travers
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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK LA VIE DE MADAME ÉLISABETH, SOEUR DE LOUIS XVI, VOLUME 2 ***

LA VIE
DE
MADAME ÉLISABETH
SŒUR DE LOUIS XVI

Par M. A. de BEAUCHESNE

OUVRAGE
ENRICHI DE DEUX PORTRAITS GRAVÉS EN TAILLE-DOUCE
SOUS LA DIRECTION DE M. HENRIQUEL DUPONT
PAR MORSE ET ÉMILE ROUSSEAU DE FAC-SIMILÉ, D'AUTOGRAPHES ET DE PLANS
ET PRÉCÉDÉ D'UNE

LETTRE DE Mgr DUPANLOUP
ÉVÊQUE D'ORLÉANS.

TOME SECOND

Emblème de l'éditeur.

PARIS
HENRI PLON, IMPRIMEUR-ÉDITEUR
RUE GARANCIÈRE, 10


MDCCCLXIX
Tous droits réservés.

Madame Élisabeth.

(p. 1) MADAME ÉLISABETH.

LIVRE HUITIÈME.
CAPTIVITÉ DE LA FAMILLE ROYALE AU TEMPLE.
DEPUIS LE 13 AOÛT 1792 JUSQU'AU 21 JANVIER 1793.

«Souvenez-vous de ceux qui sont dans les chaînes, comme si vous étiez vous-mêmes avec eux; et de ceux qui sont affligés, comme étant vous-mêmes dans un corps mortel.»

Épître de S. Paul aux Hébreux, chap. XIII, v. 3.

Coup d'œil rétrospectif sur le 10 août. — Installation de la famille royale dans la petite tour du Temple; Madame Élisabeth a une cuisine pour demeure. — Mademoiselle Pauline de Tourzel partage sa chambre. — Dénûment de cette jeune fille; Madame Élisabeth lui donne une de ses robes, qui, n'allant point à sa taille, est refaite par la Reine, par Madame Élisabeth et par elle-même. — Toutes les personnes qui ne sont pas membres de la famille royale sont emmenées à la Commune. — De là la princesse de Lamballe, mesdames de Tourzel, les femmes de chambre de la Reine, d'Élisabeth et des enfants, sont conduites à la Force. — Emploi de la journée au Temple. — Pénurie. — Outrages. — Manière dont les nouvelles du dehors arrivent au Roi. — Tison et sa femme, espions plus que serviteurs de la famille royale. — Hue surprend Élisabeth en prière. — Prière de la princesse. — Suppression des maisons religieuses. — Napoléon Bonaparte va réclamer sa sœur à la maison de Saint-Louis, à Saint-Cyr. — Difficultés qu'il éprouve: il réussit enfin. — Manuel, au Temple, rassure Louis XVI sur la vie de M. Hue. — Registre de la petite Force, écrou des prisonnières. — Meurtre de madame de Lamballe. — Sa tête portée au Temple. — Témoignages de sympathie donnés à la famille royale, qui apprend que madame de Tourzel, la princesse de Tarente et la marquise de la Roche-Aymon ne sont pas mortes, mais en même temps que les prisonniers de la haute cour d'Orléans, et parmi eux le duc de Brissac et M. de Lessart, ont été massacrés à Versailles. — Hue fait des démarches pour rentrer au Temple; sa visite à Chaumette. — La Convention remplace l'Assemblée législative. — La royauté abolie. — Madame Élisabeth indique à Cléry la manière dont il doit formuler la demande des objets nécessaires à la famille royale. — L'armoire de fer découverte. — On enlève à la famille royale tout moyen d'écrire. — Le Roi est séparé de sa famille. — Cléry arrêté et conduit au Palais de justice; il rentre au Temple. — La Reine et Madame Élisabeth installées dans la grande Tour. — Description de leur nouvelle demeure. — Point de changement dans les habitudes de la famille. — Surveillance plus sévère. — Le docteur Leclerc, officier municipal de service à la tour, ayant remis à la Reine un remède pour sa fille qui avait une dartre sur la joue, est censuré. — Avanies. — Élisabeth sans nouvelles de ses amies. — Maladie du Roi, du Dauphin, de la Reine, de Madame Royale, de Madame Élisabeth. — Cléry soigné par la famille royale. — Dévouement d'Élisabeth. — Nouvelle municipalité; le nombre des commissaires au Temple est doublé. — Surveillance rigoureuse. — Madame Cléry apprend à son mari que le Roi sera jugé; Cléry l'apprend au Roi. — Louis Capet. — Le (p. 2) Roi devant la Convention. — Paroles de Madame Élisabeth à Cléry. — Moyen de s'entendre convenu entre eux. — Le Roi choisit ses conseils. — Commission de la Convention envoyée au Temple. — Testament du Roi. — Le Roi de nouveau devant la Convention. — Sa défense. — Le Roi déclaré coupable. — Message à M. Edgeworth de Firmont. — Condamnation du Roi. — Appel à la nation.

Entraînée par les événements de la révolution, dont on peut dire qu'ils courent plutôt qu'ils ne marchent, l'histoire se précipite au dénoûment comme le drame, en laissant derrière elle les agitations intellectuelles et morales, les intentions qui ne se sont pas traduites en faits, tous ces projets mort-nés, ces combinaisons avortées qui font cependant partie de l'histoire, car une époque vit par la pensée comme par l'action. Maintenant que le sinistre dénoûment, précurseur d'un dénoûment plus sinistre encore, est intervenu, et que la famille royale est captive au Temple, le moment est arrivé de jeter un regard rétrospectif sur les dernières étapes de la route que nous avons si rapidement parcourue, et d'éclaircir une question qui se présente à l'esprit du lecteur comme un douloureux problème. D'où vient que rien n'a été tenté pour prévenir la catastrophe du 10 août? Cette catastrophe, qui, pour nous, a un caractère fatal et inévitable, était-elle donc imprévue pour les hommes de ce temps-là? Ou bien n'y avait-il plus personne qui songeât à sauver la famille royale des périls qui la menaçaient, en mettant, s'il le fallait, sa vie pour enjeu dans cette redoutable partie?

L'historien de Madame Élisabeth n'a pas le droit de laisser ces questions derrière lui sans chercher à les résoudre, d'autant plus que la sœur de Louis XVI, entraînée dans la catastrophe commune, se trouva naturellement mêlée aux préoccupations et aux agitations qui la précédèrent. Peu à peu le jour se fait non-seulement sur l'ensemble de la révolution, mais sur ses détails. Les Mémoires des principaux personnages mêlés à ses diverses scènes viennent successivement éclairer les points restés dans (p. 3) l'ombre. C'est ainsi que les Mémoires de Malouet, récemment publiés par son petit-fils, nous apportent des lumières nouvelles sur les questions que nous avons à cœur d'éclaircir.

Après la journée du 20 juin 1792, le parti constitutionnel, effrayé à son tour de la rapidité avec laquelle la révolution se précipitait vers l'anarchie, songea à se rapprocher du Roi et à sauver en même temps la Constitution, œuvre de la veille, et la monarchie traditionnelle, œuvre des siècles. On n'a point oublié la démarche que fit le général la Fayette en quittant son armée pour venir protester à l'Assemblée contre les violences du 20 juin. Ce n'était là que la partie extérieure de sa démarche; lui et les constitutionnels auraient voulu faire plus[1]. Leur désir et leur projet étaient de décider le Roi à partir pour l'armée, en portant, s'il le fallait, une division du général la Fayette sur Compiègne pour favoriser le départ de la famille royale, que les gardes suisses et les bataillons les plus fidèles de la garde nationale auraient aidée à sortir de Paris, malgré l'Assemblée. Ce plan, déjà conçu dans le mois de mai 1792, fut repris avec plus d'insistance à la fin de juin; mais il échoua, et il devait échouer, parce qu'il y avait trop d'ombrages entre le Roi et les chefs du parti constitutionnel; le passé les séparait par des souvenirs qui devenaient à la fois des appréhensions et des rancunes. Au fond, ce qu'ils proposaient à Louis XVI, c'était de se confier d'une manière absolue à (p. 4) leur génie politique, à leur énergie, à leur fidélité, et de refaire avec le général la Fayette la seconde édition de ce voyage de Varennes qui avait manqué avec un homme bien autrement résolu, le comte de Bouillé. Or, le Roi, la Reine et Madame Élisabeth croyaient peu au génie politique des constitutionnels, moins encore à leur énergie dans l'action, et, si l'on en excepte quelques-uns, comme le loyal Malouet, auquel ils accordaient une confiance méritée, ils se méfiaient de leur fidélité. En outre, le souvenir du funeste dénoûment du voyage de Varennes planait comme une ombre néfaste sur l'esprit du Roi, et augmentait ses répugnances. Au moins, à l'époque de ce voyage, Louis XVI acceptait les chances périlleuses de la fuite pour aller régner; en juin ou en juillet 1792, il ne les eût acceptées que pour aller abdiquer[2] son pouvoir entre les mains des constitutionnels, parti en général honnête, mais peu pratique, qui ne lui présentait ni un homme de gouvernement ni un homme d'action.

Voilà la première raison du refus qu'opposa Louis XVI aux propositions du parti constitutionnel et du général la Fayette dans le mois qui précéda le 10 août, et si Madame Élisabeth n'eut pas à se prononcer directement, il est vraisemblable qu'elle donna à la décision de son frère une pleine adhésion[3]. Personne moins que cette princesse (p. 5) n'avait de confiance dans les esprits chimériques du parti constitutionnel, et ne leur reconnaissait moins la puissance de faire remonter à la monarchie la pente au bas de laquelle ils avaient tant contribué à la précipiter. Il faut ajouter que la manière dont le général la Fayette avait été reçu à Paris, et la précipitation avec laquelle il avait été obligé de rejoindre son armée, n'étaient pas de nature à donner confiance dans sa force[4].

Le second motif qui empêcha le Roi et la famille royale d'accepter le plan des constitutionnels, au succès duquel ils ne croyaient pas, c'est qu'ils avaient des espérances ailleurs. Malouet indique quelles étaient ces espérances. D'abord, la Reine comptait sur une déclaration de tous les rois de l'Europe, provoquée par l'Empereur son frère, qui rendrait l'Assemblée et Paris responsables de la vie du Roi et de celle de sa famille. «Je ne doute pas, dit-il, que la sécurité et les espérances de la Reine et de Madame Élisabeth ne se rattachassent aux secours des puissances étrangères que le Roi n'a jamais provoqués qu'avec beaucoup de circonspection et en se flattant toujours d'écarter une guerre nationale.» Puis il ajoute en faisant ressortir les inconvénients de cette combinaison, dont les scrupules patriotiques du Roi diminuaient encore les chances de réussite: «Cette combinaison étoit aussi inconséquente que toutes les (p. 6) autres. Il n'y avoit rien de précis, rien de complet dans son plan; les pouvoirs secrets donnés au baron de Breteuil étoient éventuels, plus vagues qu'illimités; ils n'appeloient point les armées étrangères ni les corps d'émigrés rassemblés au dehors; ils tendoient à une médiation des alliés de la France.»

Ces observations de Malouet sont justes, excepté dans leur application à Madame Élisabeth, qui ne compta jamais sur les secours du dehors; mais elles prouvent seulement combien la position du Roi et de sa famille était difficile. Quoi qu'il fît, il y avait de graves inconvénients à ce qu'il ferait, et la pluralité des moyens entre lesquels on hésitait était un inconvénient de plus, parce qu'elle divisait les forces et l'attention, et une preuve qu'il n'y avait pas de solution qui s'imposât, puisqu'on était ballotté d'expédient en expédient. Il y avait en effet, outre la combinaison constitutionnelle et la combinaison européenne, une troisième combinaison contre laquelle Malouet s'élève avec beaucoup de force: «Je dois le dire en le déplorant, s'écrie-t-il, une foule d'intrigants ou de gens officieux entouroient la famille royale; leur zèle aveugle, indiscret, sans moyens, créoit des espérances de contre-révolution, entretenoit au nom du Roi des rapports dangereux avec les plus furieux Jacobins, avec divers membres de l'Assemblée. Guadet, Vergniaud, Pétion, Santerre, étoient admis à cette correspondance. Nous ne fûmes instruits qu'au dernier moment de cette misérable intrigue, et nous sûmes par le Roi lui-même, quelques jours avant le 10 août, que Pétion et Santerre avoient promis d'empêcher l'insurrection moyennant sept cent cinquante mille livres, qui servirent à la payer.»

Ces dernières et curieuses révélations achèvent de caractériser la position du Roi et de la famille royale au moment du 10 août, et font comprendre les hésitations prolongées de Louis XVI. Les empiriques accouraient; chacun avait sa (p. 7) panacée, comme il arrive pour les malades désespérés. Malheureusement, et c'est ce que Malouet n'a pu voir, n'a pas vu, les constitutionnels, qui n'avaient plus la majorité dans l'Assemblée et qui parlaient de faire sortir le Roi de Paris malgré elle et de l'entourer de l'armée, dont ils étaient peu sûrs, comme l'événement le prouva après le 10 août, n'étaient pas moins empiriques que les autres, et leurs moyens n'étaient pas moins aventureux. Une circonstance fortifia la répugnance presque insurmontable du Roi à quitter Paris. Les chefs du parti extrême, y compris le vertueux Pétion (Louis XVI l'avait éprouvé), n'étaient pas incorruptibles. Sachant que leurs âmes étaient vénales, il crut moins à leur fanatisme, et méprisa plus ces conducteurs de la populace qu'il ne les craignit[5]. Louis XVI ne calcula pas assez que ces despotes de la rue deviennent eux-mêmes les esclaves des passions qu'ils ont surexcitées: ils ne conduisent pas, ils marchent devant, parce qu'ils sont poussés.

Ce fut ainsi qu'on traversa sans parti pris, parce qu'on en avait plusieurs à prendre, les suprêmes journées que la monarchie eut à parcourir avant d'aller se briser contre l'écueil qui devenait de plus en plus visible pour les yeux clairvoyants. De temps en temps et de distance en distance, la voix des vigies s'élevait pour avertir que le péril grandissait et qu'on approchait du moment fatal. Ce fut ainsi que madame de Staël prit une honorable initiative dont la postérité doit tenir compte à sa mémoire. «En 1792, dit Malouet, qui la connaissait et l'aimait depuis son enfance, elle en étoit, comme bien d'autres, aux regrets et au désir de réparer les torts qui pouvoient être reprochés à elle-même (p. 8) ou aux siens. Elle m'écrivit dans les premiers jours de juillet pour me prier de passer chez elle; je m'y rendis. Je la trouvai fort agitée des scènes horribles qui s'étoient passées et de celles qui se préparoient, car nous étions tous instruits du projet arrêté pour une insurrection générale contre la cour dans le commencement d'août. Après quelques réflexions douloureuses sur cet état de choses, madame de Staël me dit avec la chaleur qui lui est propre: «Le Roi et la Reine sont perdus, si l'on ne vient promptement à leur secours, et je m'offre pour les sauver; oui, moi qu'ils considèrent comme une ennemie, je risquerois ma vie pour leur salut, et je suis à peu près sûre d'y parvenir sans leur faire courir aucun risque ni à moi-même. Écoutez-moi; ils ont confiance en vous. Voici mon projet, qui peut s'exécuter dans trois semaines en commençant dans deux jours les préliminaires: il y a une terre à vendre près de Dieppe[6]; je l'achèterai; je mènerai à chaque voyage un homme sûr à moi, ayant à peu près la taille et la figure du Roi, une femme de l'âge et de la tournure de la Reine, et mon fils, qui est de l'âge du Dauphin. Vous savez de quelle faveur je jouis parmi les patriotes. Quand on m'aura vue voyager avec cette suite deux fois, il me sera facile d'amener une troisième fois la famille royale, car je puis fort bien voyager avec mes deux femmes, et Madame Élisabeth sera la seconde. Voyez si vous voulez vous charger de la proposition; il n'y a pas de temps à perdre; rendez-moi ce soir ou demain la réponse du Roi.»

Après avoir raconté sa conversation avec madame de Staël, Malouet poursuit ainsi: «Le projet me parut excellent, autant que le sentiment qui l'avoit suggéré. J'allai sur-le-champ trouver M. de la Porte, intendant de la liste civile. (p. 9) En lui confiant ce que je venois d'entendre, je l'engageai à me mener par un escalier dérobé chez le Roi. Il s'y rendit seul pour m'annoncer, et j'attendois dans un cabinet qu'on vînt m'avertir; mais au bout d'une demi-heure, je le vis descendre fort triste. Le Roi et la Reine, craignant que j'insistasse sur la proposition de madame de Staël, ne demandaient point à me voir. M. de la Porte ne me conseilla point de monter; il me dit que le Roi et la Reine n'accepteroient jamais aucun service de madame de Staël; qu'ils me chargeoient cependant de lui dire qu'ils étoient très-sensibles à ce qu'elle vouloit faire pour eux; qu'ils ne l'oublieroient jamais; mais qu'ils avoient des raisons pour ne point quitter Paris; qu'ils en avoient aussi de ne pas s'y croire dans un danger imminent.

»M. de la Porte me confia alors, sans aucun détail, qu'on étoit en négociation avec les principaux Jacobins; que, moyennant de l'argent, ils se chargeoient de contenir le faubourg Saint-Antoine.»

Ce sont les objections plus haut exposées qui reviennent. Non-seulement le Roi et la Reine croyaient de leur dignité de ne pas devenir les obligés des personnes qui les avaient offensés, mais ils ne croyaient pas encore leur fortune descendue à un tel degré qu'ils n'eussent plus qu'à sauver leur vie en renonçant à cette couronne, héritage de leur fils. Fuir sur le bord de la mer, c'était bientôt émigrer, c'était abdiquer.

Malouet en convient lui-même, comme on va le voir par la suite de son récit: «Je fis sentir à M. de la Porte, continue-t-il, combien il étoit fou, coupable même de compter sur de telles ressources; que les choses en étoient au point qu'il falloit s'assurer de moyens positifs de résistance et de salut; que la prépondérance des Jacobins à Paris, leurs projets, leur audace et la férocité de la populace révolutionnaire menaçoient évidemment la vie du Roi et de la (p. 10) famille royale; qu'il n'y avoit aucun moyen de leur échapper si on ne les prévenoit avant l'arrivée des Marseillais, que nous savions être mandés par le comité de la Commune. Je lui dis qu'au défaut du projet de madame de Staël, M. de Montmorin s'étoit assuré de M. de Liancourt, qui commandoit à Rouen et qui avoit quatre régiments à ses ordres; qu'il seroit facile de les porter à Pontoise, où les gardes suisses pouvoient conduire Leurs Majestés. Je n'eus pas de peine à convaincre l'honnête et bon de la Porte; nous convînmes que j'écrirois au Roi, dans le plus grand détail, tout ce que je pensois des dangers de sa position et des mesures à prendre pour en sortir. Il se chargea de lui remettre ma lettre; j'allai la concerter avec M. de Montmorin, et je n'y oubliai rien. Nous avions depuis le 21 juin arrangé avec l'ordonnateur de la marine du Havre, M. de Mistral, dévoué au Roi, l'armement d'un yacht qui auroit reçu la famille royale à Rouen, et l'eût portée d'abord au Havre, et, à la dernière extrémité, en Angleterre. Ma lettre étoit forte, pressante, très-détaillée sur les dangers qui menaçoient la famille royale et sur les moyens qui nous restoient. Je conjurois le Roi, par toutes les raisons qu'il est inutile de rappeler ici, de prendre un parti ferme et prompt, de nous laisser le soin de préparer son évasion, ainsi que la liberté d'agir auprès des royalistes réunis à Paris et des gardes nationales dévouées, telles que les bataillons des Filles Saint-Thomas et des Petits-Pères.»

On éprouve une douloureuse curiosité de connaître la réponse du Roi à cette proposition. La voici; elle est remarquable, parce qu'elle indique en deux mots les deux objections capitales que soulève le plan de Malouet:

«Ma lettre, continue celui-ci, fut remise au Roi par M. de la Porte après son dîner, dans le cabinet de la Reine, où il étoit avec la princesse et Madame Élisabeth. Le Roi la lut sans mot dire, sans la communiquer, et il se promenoit (p. 11) à grands pas dans la plus vive anxiété. La Reine lui demanda de qui étoit cette lettre. Sa Majesté répondit: «Elle est de M. Malouet; je ne vous la communique pas, parce qu'elle vous troubleroit. Il nous est dévoué, mais il y a de l'exagération dans ses inquiétudes et peu de sûreté dans ses moyens... Nous verrons; rien ne m'oblige encore à prendre un parti hasardeux. L'affaire de Varennes est une leçon.»

Louis XVI se faisait illusion sur un seul point, c'était quand il taxait d'exagération les inquiétudes de Malouet sur la gravité de la situation. Quant au reste, il avait raison; c'était un parti bien hasardeux: il jouait dans une bataille presque inévitable sa couronne d'abord, sa vie et celle de sa famille ensuite, et avec combien peu de chances de son côté, combien peu de sûreté dans les moyens! Pour que ce plan réussît, il fallait supposer l'invraisemblable, presque l'impossible; d'abord que tous ces mouvements, faciles à combiner sur le papier, s'exécutassent avec la même facilité dans une ville où tous les esprits étaient en éveil, où toutes les passions fermentaient, où les comités populaires avaient une police qui surveillait le château, trahi par des serviteurs infidèles, où l'on soupçonnait des projets de fuite, même quand le Roi ne voulait pas fuir;—ensuite, que la garde nationale, qui fut si peu nombreuse au 10 août, quand le Roi avait pour lui la légalité, la municipalité, le département, et en apparence l'Assemblée, se montrât plus nombreuse, plus hardie, en présence d'une convocation illégale, en agissant contre la volonté de l'Assemblée en dehors de l'initiative de la municipalité et du département. Il fallait enfin que les quatre régiments de M. de Liancourt, travaillés par les progrès incessants de l'esprit révolutionnaire, fussent plus dévoués, plus solides, plus résolus que ne l'avaient été un an auparavant, lors de Varennes, les troupes de M. de Bouillé, qui avaient (p. 12) montré tant d'hésitation là où elles s'étaient trouvées en contact avec la population, parlons plus exactement, qui étaient entrées en défection. Disons tout d'un mot: il fallait que la résolution, l'initiative, la force, toutes les chances qui appartenaient aux révolutionnaires passassent tout d'un coup aux constitutionnels; que ceux-ci fissent tout ce qu'il y avait à faire, et que ceux-là n'empêchassent point ce qu'il leur était facile d'empêcher. Si le Roi se faisait des illusions sur la gravité de la situation, Malouet ne s'en faisait donc pas moins sur les chances de réussite de son plan et sur les moyens dont disposait le parti constitutionnel.

Mais Louis XVI poussait-il la confiance, à la fin du mois de juillet, aussi loin que semble le supposer Malouet? La suite du récit de celui-ci, dans lequel Madame Élisabeth va paraître, prouve, ce semble, le contraire: «La Reine et Madame Élisabeth n'ayant rien répondu (au Roi), dit-il, cet état d'embarras et de silence détermina M. de la Porte à se retirer, et on le laissa partir sans lui faire une question, sans le charger d'une réponse. Lorsqu'il nous rendit à M. de Montmorin et à moi tout ce qui s'était passé, celui-ci s'écria: «Il faut en prendre son parti, nous serons tous massacrés, et cela ne sera pas long!»

»Quelques heures après cette explication, à deux heures du matin, le baron de Gilliers arrive fort effrayé dans ma chambre; il avoit la confiance de Madame Élisabeth, qui l'envoya chercher à minuit et lui dit: «Nous ignorons, la Reine et moi, ce que M. Malouet a écrit au Roi; mais il est si troublé, si agité, que nous désirons avoir connoissance de cette lettre. Rendez-vous chez M. Malouet, et priez-le de ma part de vous la confier, s'il en a la minute, ou de m'en envoyer le contenu.» Je remis la minute de ma lettre à M. de Gilliers, qui la porta à Madame Élisabeth. Cette princesse, après l'avoir lue, lui dit: «Il a raison, je pense comme lui: je préférerois ce parti-là à (p. 13) tout autre; mais nous sommes engagés dans d'autres mesures: Dieu sait ce qui arrivera!»

Ainsi, Madame Élisabeth, si hasardeux que fût le parti, si peu sûrs que fussent les moyens, aurait préféré cette sortie armée de Paris à toutes les autres combinaisons; mais elle se soumettait à la volonté de son frère, engagé dans d'autres mesures.

Après avoir lu ces détails, il est impossible de ne pas trouver la conclusion de Malouet sévère jusqu'à la dureté, jusqu'à l'injustice:

«Ce n'est pas seulement la foiblesse du Roi et son indécision, dit-il, qui l'ont perdu, c'est surtout une disposition malheureuse de son caractère qui le portoit à une demi-confiance pour tous ceux de ses serviteurs qu'il estimoit, mais jamais à une confiance entière pour aucun. Madame Élisabeth, qui avoit plus de fermeté et d'esprit que son frère, participoit à ce triste défaut, et, chose encore plus singulière, la Reine, qui ne manquoit ni d'esprit ni de décision, étoit sur ce point à l'unisson avec le Roi et sa belle-sœur. Chacun d'eux avoit ses demi-confidents, ses agents, ses négociateurs, qui ne pouvoient se concerter sur rien et devoient se contrarier souvent; mais ce qui est tout à fait inconcevable quand on connoît bien tout ce qu'il y avoit de raison, d'instruction et de bons sentiments dans ces augustes personnes, c'est qu'à aucune époque de la révolution elles n'aient demandé ni accepté un plan de conduite, et pas même un plan de défense dans le dernier moment du péril.»

Ce que ne comprenait point le parti constitutionnel, alors encore infatué de ses lumières et convaincu, malgré tant de fautes, de son infaillibilité, la postérité le comprendra peut-être. L'esprit du Roi, de la Reine et de Madame Élisabeth était perplexe, parce que la situation était profondément complexe. Dans cette situation funeste et inextricable, (p. 14) où l'on respirait la démence avec l'air, il n'y avait pas de plan raisonnable; tous ceux qu'on présentait étaient déraisonnables par quelque endroit, celui des constitutionnels comme les autres, on l'a vu. Le Roi, la Reine et Madame Élisabeth n'accordaient leur confiance entière et complète à personne, parce que personne ne la méritait, je ne veux point dire au point de vue du cœur (il y avait des cœurs nobles et dévoués à cette époque), mais au point de vue de la supériorité transcendante et de la capacité politique. Ils hésitaient à l'embranchement de plusieurs chemins qui pouvaient les conduire à l'abîme, parce qu'ils ne voyaient pas clairement une route de salut, et, au fond, personne ne la voyait mieux qu'eux. Quand on leur disait: «Le salut est là», ils regardaient; mais ils ne marchaient pas, parce qu'ils n'apercevaient pas le salut au bout de la voie où l'on voulait les entraîner. Ils prêtaient l'oreille à tous les expédients, parce que personne ne leur apportait la solution du problème. Au fond, les fautes de tous les partis, les passions et les préventions contraires avaient créé une situation insoluble; et quand Malouet vient dire que, «dans la position où étoit Louis XVI, il devoit sans doute se confier avant tout à l'armée nationale, se mettre à la tête des François qui vouloient le défendre et qui pouvoient anéantir une faction criminelle», il prouve une fois de plus que les constitutionnels prenaient les phrases pour des faits. Où était, en août 1792, l'armée nationale à la tête de laquelle le Roi pouvait se mettre? les Français, je parle des Français réunis, organisés, qui voulaient le défendre et qui étaient capables d'anéantir la faction des Jacobins? La journée du 10 août a répondu, la journée du 10 août qui ne fut pas, comme Malouet semble le croire, le résultat des tergiversations, des hésitations de la famille royale, mais la suite fatale d'une progression révolutionnaire dont le premier terme s'appelle les 5 et 6 octobre, le second le (p. 15) 20 juin, le troisième le 10 août, qui mènera au 21 janvier. N'importe, on aime à savoir qu'il y avait à l'approche de cette terrible épreuve des cœurs généreux qui s'inquiétaient du sort réservé à la famille royale; qui, voyant venir la marée révolutionnaire destinée à l'emporter, s'agitaient pour trouver des digues, et qui briguaient la permission d'opposer leur poitrine au péril. Malouet, et ce sera l'honneur de sa vie, fut un de ces hommes. Il a raconté comment, jusqu'au dernier moment, dans la petite réunion qui avait lieu chez M. de Montmorin, on s'occupa de plans pour sauver la famille royale. «M. de Lally, dit-il, se trouvoit fréquemment de nos réunions chez M. de Montmorin, avec MM. de Malesherbes, Clermont-Tonnerre, Bertrand, la Tour-du-Pin et Gouverneur-Morris, envoyé des États-Unis, pour qui le Roi avait du goût, et qui donnait à Sa Majesté, mais aussi inutilement que nous, les conseils les plus vigoureux. C'est le 7 août que, pour la dernière fois, nous dînâmes ensemble. Au moment de nous séparer, nous nous fîmes tous un dernier adieu. Notre conférence avait pour objet de tenter un nouvel effort pour faire enlever par les Suisses la famille royale et la conduire à Pontoise. Avertis fort en détail de tous les préparatifs du 10 août, nous étions assemblés dès le matin chez M. de Montmorin. Il avoit écrit au Roi pour lui en faire part, et lui dire qu'il n'y avoit plus à reculer; que nous nous trouverions le lendemain avant le jour, au nombre de soixante-dix, aux grandes écuries, où l'ordre devoit être donné de nous livrer des chevaux de selle; que la garde nationale des Tuileries, commandée par Aclocque, aideroit à notre expédition; que quatre des compagnies des gardes suisses partiroient à la même heure de Courbevoie pour venir à la rencontre du Roi; que nous l'escorterions aux Champs-Élysées, où il monteroit en voiture avec sa famille. Le porteur de la lettre étant revenu sans réponse, M. de Montmorin (p. 16) se rendit sur-le-champ chez le Roi; Madame Élisabeth lui apprit que l'insurrection n'auroit point lieu; que Santerre et Pétion s'y étoient engagés; qu'ils avoient reçu sept cent cinquante mille livres pour l'empêcher et ramener les Marseillais dans le parti de Sa Majesté. Le Roi n'en étoit pas moins inquiet, agité, mais décidé à ne pas quitter Paris..... Il aimoit mieux s'exposer à tous les dangers que de commencer la guerre civile.»

Ce furent les dernières paroles du Roi. Il ne voulait pas commencer la guerre civile; il ne voulait point quitter Paris, parce que, il le sentait bien: quitter Paris, c'était quitter la France. On a admiré à juste titre la trivialité patriotique d'un fougueux révolutionnaire répliquant à qui lui conseillait de fuir: «Est-ce qu'on emporte sa patrie à la semelle de ses souliers?» Mais si les souliers de Danton tenaient à la terre de France, Louis XVI, le descendant de tant de rois français, y tenait par toutes les fibres de son cœur. Ainsi, le 10 août devait s'accomplir; il s'était accompli: Louis XVI et sa famille étaient au Temple.

Avant de suivre la famille royale dans son triste séjour, arrêtons un moment nos regards sur les triomphateurs du 10 août. Le cynisme jacobin, qui devait plus tard envahir l'histoire et faire longtemps illusion à la postérité, débordait dans les écrits et dans les correspondances de ceux qui avaient pris une part plus ou moins directe à cette journée. Elle acquérait dans leur imagination échauffée les proportions d'une grande bataille, et les grotesques Tyrtées du 10 août chantaient, aux dépens de la vérité et de l'orthographe[7], cette victoire que la longanimité de Louis XVI et sa résolution inébranlable de ne pas faire couler le sang français avaient rendue si facile.

La petite tour du Temple, que la révolution assignait pour demeure à la famille royale, formait un carré long (p. 17) flanqué de deux tourelles et adossé à la grande tour, sans communication intérieure.

La porte d'entrée, précédée de quatre marches extérieures, était étroite et basse, donnant sur un palier, au fond duquel s'ouvrait l'escalier, taillé en coquille de limaçon. Cette porte, reconnue trop frêle, fut raffermie par de fortes traverses et des verrous apportés des prisons du Châtelet. A gauche, en entrant, était la loge de deux portiers, Risbey et Rocher. Le rez-de-chaussée n'avait que deux pièces: une cuisine, dont on ne fit aucun usage, et une grande chambre qui servait d'entrepôt aux archives. Le premier se composait d'une antichambre et d'une salle à manger communiquant à un cabinet pris dans la tourelle, où se trouvait une bibliothèque. Mesdames Thibaud, Basire et Navarre couchèrent dans cette salle pendant les sept jours qu'elles restèrent dans cette maison d'arrêt.

Au second étage, on entrait dans une antichambre fort sombre, où couchait la princesse de Lamballe. A gauche, la Reine occupait avec sa fille une chambre dont la fenêtre avait jour sur le jardin; dans cette chambre, moins triste que les autres, la famille royale passait habituellement presque toute la journée. A droite, dans une même chambre, couchaient le jeune prince, madame de Tourzel et madame Saint-Brice. On était obligé de traverser cette pièce pour entrer dans le cabinet de la tourelle, qui servait de garde-robe à tout ce corps de bâtiment, et qui était commun aux municipaux et aux soldats, aussi bien qu'à la famille royale.

La distribution du troisième étage était la même que celle du second. L'antichambre placée au-dessus de la chambre de madame de Lamballe servait de corps de garde. En face, derrière une cloison, se trouvait un réduit étroit n'ayant de jour que par un châssis à vitrage adapté au toit. Ce fut là que s'établirent Hue et Chamilly. A droite de l'antichambre on entrait dans la chambre du Roi, éclairée par (p. 18) deux fenêtres dont l'une donnait sur la rotonde du Temple; le lit de Louis XVI était placé dans une alcôve à droite en entrant. La petite pièce de la tourelle lui servait de cabinet de lecture.

Vis-à-vis de la chambre du Roi, et de l'autre côté de l'antichambre, était une ancienne cuisine qui contenait encore les ustensiles appropriés à sa première destination, dénoncée en outre par l'affreuse malpropreté qui y régnait. On devine que ce fut là le logement de Madame Élisabeth, car la plus mauvaise place était toujours la sienne. «Cette princesse, qui joignoit, raconte madame de Tourzel, à une vertu d'ange une bonté sans pareille, dit sur-le-champ à Pauline qu'elle vouloit se charger d'elle, et fit placer dans sa chambre un lit de sangle à côté du sien. Nous ne pourrons jamais oublier toutes les marques de bonté qu'elle en reçut pendant le temps qu'il nous fut permis d'habiter avec elle ce triste séjour.» Madame Élisabeth était clairvoyante dans ses affections, et si elle aimait particulièrement cette jeune et intéressante personne, c'est qu'elle avait entrevu tout ce qu'il y avait de force et de courage dans cette jeune âme.

Afin de donner au lecteur une idée plus précise et plus détaillée de ce local, nous mettons sous ses yeux le plan du troisième étage de la petite tour, avec la description de son mobilier.

PETITE TOUR.—TROISIÈME ÉTAGE.—LE ROI et MADAME ÉLISABETH.

A. Antichambre.
B. Chambre et lit de MM. Hue et Chamilly.
C. Chambre du Roi.
  1. Lit du Roi à deux dossiers, avec ciel de lit de camelot rouge et jaune.
  2. Commode en marqueterie, à dessus de marbre blanc.
  3. Grand canapé de velours cramoisi.
  4. Grande table à manger.
  5. Un buffet à quatre ventaux.
  6. Un guéridon avec dessus de marbre blanc.
  Quatre fauteuils de velours d'Utrecht cramoisi.
  Six chaises de paille.
D. Cabinet de lecture du Roi, avec banquettes circulaires de taffetas lilas, en draperie avec franges et glands.
E. Cabinet de toilette.
  7. Armoire remplie d'estampes.
F. Ancienne cuisine, chambre de Madame Élisabeth.
  8. Lit de Madame Élisabeth.
  9. Lit de mademoiselle Pauline de Tourzel.
  10. Table.
  11. Un cabriolet de coton rouge, lilas et blanc. Trois chaises.
G. Corps de garde.

Arrivés au Temple dans la soirée du lundi 13 août (et non du 14 comme l'ont écrit M. Hue et quelques autres), puis introduits de nuit dans la tour, les prisonniers ne purent prendre que le lendemain matin une connaissance exacte de la distribution de leur nouvelle demeure. Ils apprirent que, d'après les ordres du conseil de la Commune[8], des travaux considérables allaient être entrepris pour isoler et fortifier leur prison. Dans la journée même, (p. 19) le patriote Palloy, accompagné de Sautot, son collègue, et de MM. Poyet et Paris, architecte et inspecteur des travaux de la Commune, vint examiner les localités. Déjà célèbre pour avoir démoli la Bastille, cette citadelle de la tyrannie, ce maçon ambitieux avait brigué la gloire de construire la prison du tyran. L'enclos fut livré à ses ouvriers. Les bâtiments (p. 20) qui attenaient au massif de la tour, les arbres qui l'avoisinaient le plus, disparurent sous la pioche et sous la hache. On masqua des fenêtres, on exhaussa les murs d'enceinte, on créa des guichets et des corps de garde; des travaux de tout genre entraînèrent des dépenses considérables[9].

Presque tous les captifs étaient arrivés au Temple dans un dénûment absolu. «Tous nos effets, raconte mademoiselle Pauline de Tourzel, avoient été pillés dans notre appartement des Tuileries, et je ne possédois que la robe que j'avois sur le corps lors de ma sortie du château. Madame Élisabeth, à qui l'on venoit d'en envoyer quelques-unes, m'en donna une des siennes. Comme elle ne pouvoit aller à ma taille, nous nous occupâmes à la découdre pour la refaire. Tous les jours, la Reine, Madame et Madame Élisabeth avoient l'extrême bonté d'y travailler; mais nous ne pûmes la finir avant de les quitter.» Cette privation du nécessaire obligeait les détenus d'avoir avec le dehors, tantôt pour un objet, tantôt pour un autre, des relations gênées par mille entraves et devenues bientôt suspectes. Les personnes honorées du privilége de suivre la famille royale dans le malheur furent dénoncées à la Commune, et celle-ci, dans sa séance du 17 août, ordonna leur enlèvement de la tour. Manuel, touché du chagrin que cette mesure causait à la famille royale, essaya vainement de faire revenir le conseil général sur son arrêté.

Dans la nuit du 19 au 20 se présentèrent au Temple deux officiers municipaux chargés d'emmener toutes les personnes qui n'étaient pas membres de la famille Capet. «Vers minuit, dit encore mademoiselle Pauline, nous entendîmes frapper à la porte de notre chambre. Madame Élisabeth se leva sur-le-champ, m'aida même à m'habiller, m'embrassa et me conduisit chez la Reine. Nous trouvâmes tout le monde sur pied.» La Reine prétendit que madame (p. 21) de Lamballe étant sa parente, l'arrêté de la Commune ne pouvait la concerner, mais tous ses efforts pour l'empêcher de partir furent inutiles. «Il n'y avoit qu'à obéir dans la position où nous étions, dit madame de Tourzel. Je remis entre les mains de la Reine ce cher petit Prince, dont on porta le lit dans sa chambre sans qu'il se fût réveillé. Je m'abstins de le regarder, afin de ne pas ébranler le courage dont nous allions avoir tant besoin, pour ne donner aucune prise sur nous, et revenir reprendre, s'il étoit possible, une place que nous quittions avec tant de regret. La Reine vint sur-le-champ dans la chambre de madame la princesse de Lamballe, dont elle se sépara avec une vive douleur. Elle nous témoigna, à Pauline et à moi, la sensibilité la plus touchante, et me dit tout bas: «Si nous ne sommes pas assez heureux pour vous revoir, soignez bien madame de Lamballe. Dans toutes les occasions essentielles prenez la parole, et évitez-lui autant que possible d'avoir à répondre à des questions captieuses et embarrassantes.» Madame étoit tout interdite et bien effrayée de nous voir emmener. Madame Élisabeth arriva de son côté, et se joignit à la Reine pour nous encourager. Nous embrassâmes pour la dernière fois ces augustes princesses, et nous nous arrachâmes, la mort dans l'âme, d'un lieu qui nous rendoit si chère la pensée de pouvoir leur être de quelque consolation....

»Nous traversâmes les souterrains à la lueur des flambeaux; trois fiacres nous attendoient dans la cour. Madame la princesse de Lamballe, ma fille Pauline et moi, montâmes dans le premier, les femmes de la famille royale dans le second, et MM. de Chamilly et Hue dans le troisième. Un municipal étoit dans chaque voiture, qui étoit escortée par des gendarmes et entourée de flambeaux. Rien ne ressembloit plus à une pompe funèbre que notre translation du Temple à l'hôtel de ville.»

(p. 22) Toutes les personnes entraînées ainsi à la barre de la Commune espéraient revenir au Temple après leur interrogatoire, les municipaux qui les conduisaient semblaient leur en donner l'assurance; mais il n'y eut que M. Hue qui, dans la journée du 20 août, fut réintégré à la tour. A six heures de l'après-midi, Manuel se présenta; il dit à Louis XVI que non-seulement il avait échoué dans ses démarches, mais qu'il avait le regret de lui annoncer que madame de Lamballe, madame et mademoiselle de Tourzel, Chamilly et les femmes de chambre, avaient été conduits à l'hôtel de la Force. Madame Élisabeth se mit aussitôt à préparer pour les nouvelles prisonnières de La Force les choses qui leur étaient le plus nécessaires; la Reine voulut l'aider, et Manuel s'étonna de voir ces deux princesses faire des paquets de linge avec une simplicité touchante et un cordial empressement.

Les pénibles nouvelles apportées par le procureur de la Commune interdisant tout espoir de revoir au Temple madame de Lamballe et mesdames de Tourzel, Madame Élisabeth quitta son logement du troisième étage et descendit s'établir dans la chambre déserte du Dauphin. Le lit de Marie-Thérèse, qui jusque-là avait passé les nuits près de sa mère, fut transporté dans la chambre de sa tante. De ce jour-là la vie de la famille royale prit une sorte d'uniformité.

A six heures, Madame Élisabeth se levait; sa nièce ne tardait pas à suivre son exemple, et bien qu'elles s'aidassent mutuellement dans le soin de leur toilette, Madame Élisabeth apprenait à la jeune fille à se passer des mains d'autrui. Dès qu'elles entendaient les pas de M. Hue, qui, ayant fait la chambre du Roi, descendait vers huit heures pour disposer celle de la Reine, elles ouvraient leur verrou; la Reine, de son côté, en faisait autant, et voyait entrer chez elle avec M. Hue les commissaires constitués à (p. 23) la garde du Temple par la Commune. Ces officiers municipaux passaient la journée dans la chambre même de Marie-Antoinette et la nuit dans la pièce précédente, qui séparait cette chambre du logement de Madame Élisabeth. A neuf heures, celle-ci suivait la Reine et les enfants chez le Roi pour le déjeuner. Après les avoir servis, Hue redescendait pour faire les chambres de la Reine et des princesses. A dix heures, la famille se réunissait chez la Reine et y passait la journée. Louis XVI donnait à son fils des leçons de langue française, de langue latine, de géographie et d'histoire; Marie-Antoinette s'occupait de l'éducation de sa fille, et Madame Élisabeth lui enseignait le calcul et le dessin. Vers une heure, si le temps était beau, et quand Santerre était présent, la famille royale, accompagnée de quatre officiers municipaux, descendait au jardin; pendant la promenade, les enfants jouaient habituellement au palet ou au ballon, faible distraction à laquelle assez souvent mettait obstacle l'incertitude du temps ou l'absence du chef de la milice nationale. A deux heures, on remontait chez le Roi; on dînait; on descendait ensuite chez la Reine. C'était le moment de la récréation. Les jeux des enfants faisaient luire un rayon de gaieté sur l'horizon de la famille. Très-souvent aussi, à cette heure, Madame Élisabeth proposait à son frère une partie de piquet ou de tric-trac, afin de l'arracher à ses lectures et à son travail, auxquels il était toujours pressé de retourner. A sept heures, toute la famille prenait place autour d'une table, pour écouter la lecture que faisaient alternativement la Reine et Madame Élisabeth d'un livre d'histoire ou de quelque ouvrage choisi pour instruire la jeunesse en l'amusant. Il n'était pas rare que des rapprochements imprévus avec leur situation vinssent réveiller des sentiments pénibles. Ces applications se renouvelèrent souvent à la lecture de Cécilia (de mistress d'Arblay). A huit heures, M. Hue dressait le (p. 24) souper du Dauphin dans la chambre de Madame Élisabeth; la Reine venait y présider, et le reste de la famille suivait. Louis XVI lui-même, pour égayer un instant cette dernière heure de la journée, se plaisait parfois à proposer des énigmes empruntées à quelques vieux Mercure de France qu'il avait trouvés dans la bibliothèque de la tour. L'intelligence des enfants surprenait souvent le mot caché, et le sombre intérieur s'éclaircissait un instant à leur radieux sourire. Le petit Prince faisait ensuite sa prière, et Hue le couchait. La Reine et Madame Élisabeth restaient tour à tour auprès de lui. Après avoir servi le souper de la famille, Hue portait à manger à celle des deux princesses qui était de garde. Louis XVI, en sortant de table, revenait auprès de son fils; après quelques moments, il serrait à la dérobée la main de sa femme et de sa sœur, leur adressait un muet adieu, recevait les caresses de ses enfants, et remontait dans sa chambre. Marie-Antoinette et Madame Élisabeth, demeurées ensemble, prenaient pendant quelques instants leur ouvrage de tapisserie ou profitaient de l'heure où le Roi et les deux enfants reposaient pour réparer les habits de la famille. Madame Royale se couchait, et, comme son frère, elle ne tardait pas à s'endormir; alors, après un tendre bonsoir, les deux sœurs se quittaient pour se reposer. L'un des deux municipaux de service restait dans la pièce qui séparait leurs chambres, l'autre avait suivi le Roi. Ces commissaires étaient relevés à onze heures du matin, à cinq heures du soir et à minuit. Louis attendait pour se coucher que le nouveau commissaire fût arrivé, et s'il ne l'avait point encore vu, il priait Hue de lui demander son nom; puis la nuit enveloppait le vieux donjon du Temple, et le sommeil des prisonniers était souvent aussi paisible que leur conscience. Je me trompe: quelquefois, pendant une grande partie de la nuit, une femme y veillait en cachette, et à l'insu de tous, excepté de Hue, son complice (p. 25) obligé, raccommodait à la lueur d'une bougie le seul vêtement que possédaient le Roi et le Dauphin, et que le fidèle serviteur lui avait apporté à minuit. Plus d'une fois les commissaires de la Commune fouillèrent un vêtement qui sortait à six heures du matin de la chambre de Madame Élisabeth.

Cette pénurie n'était pas le seul tourment de la famille royale: des vexations et des outrages de tout genre s'y mêlaient. Madame Élisabeth ne pouvait voir sans indignation que le Roi et la Reine ne descendaient plus au jardin sans être insultés. C'étaient d'abord Rocher et Risbey qui, la pipe à la bouche, les regardaient passer au guichet entre deux bouffées de fumée.

C'étaient ensuite les gardes du service extérieur, qui, placés au bas de la tour, affectaient de se couvrir et de s'asseoir quand ils passaient, puis de se lever et de se découvrir quand ils étaient passés. La multitude d'ouvriers employés dans l'enceinte du Temple à la démolition des maisons et aux constructions des nouveaux murs ne permettait de donner pour promenade aux prisonniers qu'une partie de l'allée des marronniers. Le petit Prince y trouvait un peu d'exercice; mais le prix auquel ce précieux avantage était acheté pour lui par ses parents remplissait de larmes le cœur de Madame Élisabeth.

Louis XVI, malgré ses demandes réitérées, n'avait pu obtenir la lecture des journaux. Un moyen fut tenté pour suppléer à leur absence. Le soir, des colporteurs venaient crier aux abords du Temple le sommaire des articles intéressants que contenaient les gazettes qu'ils vendaient. Au premier cri qu'il entendait, M. Hue montait dans la tourelle; là, se hissant à la hauteur d'une fenêtre aux deux tiers bouchée, il s'y cramponnait jusqu'à ce qu'il eût saisi le sens des principales nouvelles. Il descendait alors dans l'antichambre de la Reine; Madame Élisabeth au même (p. 26) instant passait dans sa chambre; Hue l'y suivait sous un prétexte quelconque et lui communiquait ce qu'il venait d'apprendre. Rentrée dans la chambre de Marie-Antoinette, Madame Élisabeth se plaçait au balcon de la seule fenêtre du Temple qui n'avait pas été condamnée dans la majeure partie de son ouverture; le Roi, sans que les commissaires en prissent ombrage, allait à cette fenêtre comme pour respirer; sa sœur lui transmettait ce que son valet de chambre lui avait dit, et c'est ainsi que l'héritier de Louis XIV, à force de combinaisons et de subterfuges, parvenait à connaître une parcelle des événements qui agitaient son empire. C'est par cette voie qu'il fut instruit de la mort de M. de Laporte, intendant de la liste civile[10], et de celle de M. Durosoi, rédacteur de la Gazette de Paris[11]. Disons aussi que parmi ces colporteurs de tristes nouvelles se glissaient parfois des crieurs affidés envoyés par quelques amis ignorés. Louis XVI entendit un jour chanter dans la rue cet air fort connu alors: «Henri, bon Henri, ton fils est prisonnier dans Paris»; et Madame Élisabeth ne put imputer qu'à une amitié du dehors l'air du Pauvre Jacques que des joueurs de vielle firent plus d'une fois arriver à son oreille. Ce chant mélancolique, reflet d'un affectueux souvenir, faisait (p. 27) battre son cœur; mais les sons s'éteignaient bientôt et s'évanouissaient plus fugitifs que l'émotion qu'ils avaient fait naître.

Le Roi voyant avec regret que le service à la Tour roulait entièrement sur M. Hue, et craignant que ses forces cessassent de répondre à son dévouement, fit demander au conseil de la Commune d'envoyer au Temple un homme propre aux ouvrages de peine. La Commune nomma pour ce service un ancien commis aux barrières appelé Tison, homme d'un naturel méfiant et dur, imbu, comme la plupart des gens de sa classe, de préventions contre la famille royale. Cet homme vint donc habiter le Temple avec sa femme, qui paraissait d'un caractère doux et compatissant. Il n'était point facile de se tromper longtemps sur la nature des services demandés à leur zèle: Madame Élisabeth s'aperçut bientôt que c'étaient moins des domestiques que des espions qu'on avait introduits dans la tour. Cependant M. Hue s'arrangea de leur concours, et n'eut qu'à se louer de leur zèle pendant le peu de temps qu'il demeura encore au Temple.

Quelques jours après leur installation, Cléry, valet de chambre attaché au Dauphin depuis son enfance, demanda au maire de Paris à continuer son service auprès de ce jeune Prince. Pétion accéda à ce vœu, et le 26 août, un officier municipal amena Cléry au Temple. «Vous servirez mon fils, lui dit la Reine, et vous vous concerterez avec M. Hue pour ce qui nous regarde.»

Le nouveau serviteur se conforma à ce programme. Pendant tout le temps que M. Hue demeura au Temple, Cléry, presque uniquement occupé du Prince royal, n'eut d'autre service auprès du Roi que le soin de le coiffer le matin et de rouler ses cheveux le soir. Hue demeura seul chargé de pourvoir aux choses nécessaires à la famille royale. Confident et ministre des prisonniers, c'est lui qui avait à chaque (p. 28) instant à discuter leurs intérêts avec les mandataires de la Commune. A combien d'ennuis, de tracasseries, d'insultes, de persécutions mesquines l'exposait cette mission difficile! Comme les municipaux élevaient souvent la voix, Madame Élisabeth se trouva plus d'une fois témoin des avanies que ce généreux serviteur supportait sans se plaindre. Plus d'une fois elle guetta l'occasion de le remercier de sa résignation. Le Roi, de son côté, ne lui refusait pas cet encouragement: «Vous avez eu beaucoup à souffrir aujourd'hui, lui dit-il un soir en se couchant[12]; eh bien, pour l'amour de moi, continuez de supporter tout, ne répliquez rien.»

Madame Élisabeth subissait la même contrainte. Obsédée par les geôliers municipaux, elle ne pouvait qu'à la dérobée exprimer un désir à M. Hue ou lui parler de ses peines. Un jour que, à l'heure de son service, ce brave homme était entré chez elle, il la trouva en prière; son premier mouvement fut de se retirer. «Restez, lui dit-elle, vaquez à vos occupations; je n'en serai pas dérangée.»

Voici quelle était la prière de cette femme angélique. M. Hue obtint la permission de la copier et nous l'a conservée:

«Que m'arrivera-t-il aujourd'hui, ô mon Dieu! je l'ignore. Tout ce que je sais, c'est qu'il n'arrivera rien que vous n'ayez prévu de toute éternité. Cela me suffit, ô mon Dieu! pour être tranquille. J'adore vos desseins éternels, je m'y soumets de tout mon cœur; je veux tout, j'accepte tout, je vous fais un sacrifice de tout; j'unis ce sacrifice à celui de votre cher Fils, mon Sauveur, vous demandant par son sacré Cœur et par ses mérites infinis la patience dans nos maux et la parfaite soumission qui vous est due pour tout ce que vous voudrez et permettrez.»

Sa prière achevée: «C'est moins pour le Roi malheureux, (p. 29) dit-elle à M. Hue, que pour son peuple égaré, que j'adresse au ciel des prières. Daigne le Seigneur se laisser fléchir et jeter sur la France un regard de miséricorde!...»

Puis, voyant l'impression que faisaient ses actes et ses paroles: «Allons, du courage, ajouta-t-elle, Dieu ne nous envoie jamais plus de peines que nous n'en pouvons supporter.»

Il mesura celles de Madame Élisabeth à son courage: c'est pour cela qu'il les fit si grandes. Ce courage venu d'en haut imprimait à son visage une sérénité telle que ceux qui l'observaient se trompaient quelquefois sur l'état réel de son âme. En la voyant si calme et si tranquille au milieu de tant de sujets de regret et de douleur, bien des gens se disaient: «Sans doute elle connoît les efforts que l'Europe absolutiste va tenter pour délivrer son frère; sans doute la correspondance des ci-devant princes l'entretient dans cet espoir, et elle est persuadée que l'heure de la délivrance approche.» Madame Élisabeth n'était persuadée que d'une chose, c'est que Dieu est grand, miséricordieux et juste; et bien insensés étaient ceux-là qui prenaient sa résignation à tout souffrir pour l'espoir de voir finir ses souffrances[13].

La plupart des couvents d'hommes avaient été fermés à la fin de 1790. Quelques communautés de religieuses (p. 30) étaient restées debout à cause de certaines réserves contenues dans les décrets qui prescrivaient l'abolition générale de ces sortes d'établissements; mais dénoncées incessamment à l'Assemblée nationale, ces rares maisons exceptées de la proscription étaient représentées comme d'absurdes reliques de l'ancien régime, comme des antres de conspirations d'où partaient des excitations à la révolte contre le régime nouveau. Enfin, le 7 août 1792, un décret prescrivit l'évacuation et la vente des édifices occupés par les religieuses, à la seule exception des hospices ouverts aux pauvres et aux malades. La maison de Saint-Cyr paraissait atteinte par ce décret, mais les Dames de Saint-Louis ne bougèrent pas; elles refusèrent leur porte aux officiers municipaux, préférant au regret humiliant de se rendre le dangereux honneur d'attendre qu'on les brisât. «Nous ne comptons nous ébranler, disait madame de Crécy, que lorsque nous aurons reçu l'ordre officiel.» Quelques familles s'alarmèrent. Mademoiselle de Puisaye fut retirée par ses parents. Napoléon de Buonaparte, lieutenant-colonel du 1er bataillon des volontaires de Corse, ayant été dénoncé pour avoir réprimé une émeute à Ajaccio, était venu à Paris pour se justifier près du ministre de la guerre. Injustement éconduit, et ayant reçu l'ordre d'aller reprendre son poste en Corse, il se rendit à Saint-Cyr le 1er septembre 1792, pour voir avant son départ sa sœur Marie-Anne, jeune personne de quinze ans[14], entrée dans la maison de Saint-Louis le 22 juin 1784[15]. Le (p. 31) jeune officier avait laissé Paris en proie à l'anarchie, et, à la veille des massacres des prisons, il avait, sur la route de Paris et dans les rues de Versailles, rencontré des détachements de volontaires qui partaient pour la frontière en criant Vive la nation! Plusieurs fois il avait été arrêté et obligé, malgré ses épaulettes, d'exhiber ses papiers et sa carte de civisme. A Saint-Cyr, il trouve les mêmes agitations; les cris de désordre qu'il entend dans le village, les symptômes de colère et de haine qu'il remarque aux portes mêmes de la maison de Saint-Louis, si tranquille encore lors de ses deux dernières visites, l'une avant le 20 juin et l'autre au commencement d'août, le déterminent à prévenir des éventualités redoutables, et à profiter de son retour au foyer paternel pour emmener sa sœur avec lui. Madame de Crécy combat son projet.—«Et quand bien même, ajoute-t-elle, je serois disposée à le seconder, pourrois-je faire que la communauté ne fût point prisonnière? Votre sœur ne peut sortir d'ici sans l'avis de la municipalité et sans l'ordre du directoire du district.» Napoléon Buonaparte rédige aussitôt dans le parloir de madame de Crécy sa pétition au directoire du district[16], et court chez (p. 32) Aubrun, épicier par état, maire de la Commune par intérêt, car cette dignité populaire et la belle écharpe aux trois couleurs qui en était les insignes, avaient donné un relief éclatant à son échoppe, située dans la rue basse du village, en face de la porte du cimetière de Saint-Louis[17]. Aubrun n'écouta pas d'abord sans quelque défiance ce jeune homme qui réclamait une jeune fille de quinze ans pour la conduire en Corse; mais ayant causé quelques instants avec lui sur les affaires publiques, il ne tarda point à subir l'autorité d'une parole nette, brève, ferme et accentuée. Quittant bientôt sa boutique, il alla avec son solliciteur, accompagné de son secrétaire-greffier, dans la maison de Saint-Louis pour constater la présence de mademoiselle de Buonaparte. Puis il fit et délivra au jeune lieutenant-colonel un acte appuyant sa demande et déclarant nécessaire d'y faire droit[18]. Muni de ces pièces, Napoléon, prompt comme (p. 33) l'éclair, retourne à Versailles, s'adresse au directoire du district, puis à celui du département, obtient l'autorisation qu'il réclame, repart pour Saint-Cyr avec une mauvaise voiture de louage, et se présente de nouveau à la maison de Saint-Louis. Ce frère dévoué, qui ce jour-là, au milieu des ruines de la monarchie, n'était occupé que du salut de sa sœur, ne se doute guère que, huit ans après, un décret signé de lui fondera dans cette royale demeure de Saint-Cyr le Prytanée français, et que, le 28 juin 1805, il reviendra lui-même visiter ces lieux au bruit des cris enthousiastes de Vive l'Empereur!

Un grand crime allait accroître les souffrances de la famille royale. Le 2 septembre, il y avait une vive fermentation autour du Temple; cependant le trouble du dehors n'avait point pénétré au dedans; et, comme c'était le dimanche et qu'il faisait beau temps, la famille royale était descendue après dîner au jardin. Les commissaires paraissaient soucieux et parlaient entre eux à voix basse: tout à coup on entend battre la générale; les municipaux font rentrer les prisonniers. Un instant après M. Hue est arrêté et emmené dans une voiture de place à l'hôtel de ville par un des commissaires (nommé Mathieu) et deux gendarmes. Louis XVI se demandait en vain ce qu'on pouvait reprocher à son fidèle serviteur; il ne trouvait que cette réponse: «Il m'était attaché, et c'est un grand crime.» Le lendemain (p. 34) matin, en s'habillant, il dit à Cléry, resté seul à son tour pour le service de toute la famille: «Savez-vous quelque chose des mouvements de Paris, et, avant tout, avez-vous des nouvelles de M. Hue[19]?—J'ai pendant la nuit, répondit Cléry, entendu dire vaguement à un municipal que le peuple se portait aux prisons; je ne sais rien de plus. Je vais chercher à me procurer des renseignements.—Prenez garde de vous compromettre, reprit le Roi, car alors nous (p. 35) resterions seuls.» Vers onze heures, Manuel vint au Temple, informa Louis que la vie de M. Hue n'était pas en péril, mais que le conseil général avait décidé qu'il ne rentrerait plus à la Tour, et qu'on y enverrait une autre personne à sa place. «Je vous remercie, répondit le Prince, je me servirai du valet de chambre de mon fils, et, si le conseil s'y refuse, je me servirai moi-même; j'y suis résolu.»

En reconduisant le procureur-syndic, Cléry lui demanda si la fermentation continuait: «Vous vous êtes chargé d'une tâche difficile, répondit-il, je vous exhorte au courage.» Ces mots prononcés d'un air fort soucieux firent craindre à Cléry que le peuple ne se portât au Temple. Manuel savait que les massacres, commencés la veille à deux heures et demie dans les prisons, ne se ralentissaient pas. Sans doute, n'ayant pu les prévenir, il craignait qu'on ne lui attribuât une part de responsabilité dans ces horribles événements. Nous n'en présenterons pas ici le tableau.

Peltier, témoin oculaire, a tracé de l'aspect de Paris, dans les journées qui précédèrent immédiatement les massacres, une description saisissante: «Qu'on se figure, dit-il, des rues populeuses et vivantes frappées tout à coup du vide et du silence de la mort avant le coucher du soleil, dans une des belles soirées d'été, n'offrant plus ni promeneurs ni voitures dans leurs espaces solitaires, et ne présentant au contraire dans toute leur étendue que l'aspect du néant. Toutes les boutiques sont fermées; chacun, retiré dans son intérieur, tremble pour sa vie ou sa propriété; tous sont dans l'attente des événements d'une nuit (p. 36) où chaque individu ne peut pas même espérer de ressources de son désespoir.»

Quant aux journées de septembre elles-mêmes, c'est dans les Mémoires contemporains qu'on en trouvera la tradition dramatique et vivante. Madame Elliot[20] surtout, qui, pendant ces journées d'épouvante et d'horreur, sauva la vie à Champcenetz à travers d'étranges péripéties et par des prodiges de courage et de présence d'esprit, a laissé une relation empreinte de toutes ses émotions et de toutes ses anxiétés. Elle a raconté cette terrible visite domiciliaire avant laquelle elle avait fait étendre entre deux matelas, dans la ruelle de son lit, où elle était couchée elle-même, M. de Champcenetz, malade, tremblant la fièvre, et à moitié mort de terreur; les propos sanglants et les menaces des sicaires; sa double crainte de leur découvrir le malheureux proscrit et d'être étendue côte à côte avec un cadavre, car Champcenetz ne respirait plus. Elle a dit la consigne inexorable des barrières, qui ne laissaient sortir personne; les rues, les quais, les boulevards sillonnés de patrouilles; le cours de la Seine gardé; elle rencontra même le 3 septembre—avec quelle horreur!—un des plus sinistres trophées de ces hideux massacres qu'on portait de la Force au Temple. Encore une fois, notre sujet ne nous condamne pas à entrer dans ce récit: nous rechercherons seulement ce que sont devenues les personnes qui avaient suivi la famille royale des Feuillants au Temple, et qui lui ont été arrachées le 19 août.

Le registre de la petite Force[21] constate qu'à l'époque de ces événements, cette prison renfermait cent dix femmes, la plupart appartenant à l'écume de la population, amenées (p. 37) là par la prostitution ou le vagabondage: malheureuses créatures, de tout âge, accusées d'avoir volé du linge ou de la vaisselle aux Tuileries, le 10 août, ou dans la nuit du 10 au 11. Parmi ces cent dix femmes, on en remarque neuf seulement détenues pour des faits politiques. Voici leur écrou:

A la date du 19 août:

Madame de Navarre, première femme de chambre de Madame Élisabeth, De l'ordre de M. Pétion, maire, et MM. les commissaires des 48 sections.
Madame Basire, femme de chambre de Madame Royale,
Madame Thibault, première femme de chambre de la Reine,
Madame Saint-Brice, femme de chambre du Prince Royal,
Madame Tourzel, gouvernante des Enfants du Roi,
Mademoiselle Pauline Tourzel, gouvernante des Enfants du Roi,
Marie-Thérèse-Louise de Savoie de Bourbon-Lamballe,

A la date du 30 août:

Angélique-Euphrasie Peignon, épouse de M. de Septeuil, native de Paris, âgée de vingt et un ans et demi, envoyée dans cette prison pour y être détenue jusqu'à nouvel ordre; de l'ordre de MM. les administrateurs du département de police.

A la date du 2 septembre:

Madame Mackau, envoyée dans cette prison avec la demoiselle Adélaïde Rotin, sa femme de chambre, prisonnière volontaire auprès de sa maîtresse; de l'ordre de MM. les administrateurs de police, membres de la commission de surveillance et de salut public.

Mademoiselle Pauline de Tourzel et madame Saint-Brice furent miraculeusement mises en liberté le 2 septembre. Mesdames Thibaud, Navarre, Basire, de Tourzel et Septeuil furent relâchées, le 3, par le tribunal populaire qui (p. 38) s'était installé à la Force. Il en fut de même de madame de Mackau et de sa femme de chambre, entrées dans cette prison la veille[22], au moment même où l'on commençait (p. 39) les massacres. Quant à madame de Lamballe, en examinant de près son écrou, il est facile de voir qu'une destinée particulière lui était réservée: les noms de Savoie et de Bourbon-Lamballe sont écrits en saillie, avec une intention évidente; la profession n'y est point indiquée; tout semble annoncer le sort funeste qui l'attendait. L'histoire n'a pas dit nettement pourquoi elle a été assassinée: elle n'a point nommé d'une manière positive ses juges, je veux dire ses proscripteurs et ses bourreaux. La main même, la main inconnue qui, sur le registre, a complété l'écrou de cette infortunée princesse, s'est bornée à ajouter à son nom ces seuls mots, qui étaient un arrêt de mort: «Conduite le 3 septembre au grand hôtel de la Force.»

Manuel, en quittant le Temple, y avait laissé de l'inquiétude. Depuis, certaines rumeurs avaient accru l'alarme: les municipaux jugèrent à propos d'interdire aux prisonniers la promenade du jardin. La famille royale, qui venait (p. 40) de sortir de table, se tenait réunie dans la chambre de la Reine. Cléry était à dîner avec Tison et sa femme; celle-ci jette un grand cri: une tête de femme, pâle et sanglante, vient d'apparaître à la croisée. Les assassins, au dehors, croient avoir reconnu la voix de la Reine, et accueillent par un rire joyeux le cri d'effroi sorti de la Tour. Cléry est remonté précipitamment: il prévient à voix basse Madame Élisabeth, mais son visage est tellement atterré que le Roi et la Reine s'en aperçoivent. «Qu'avez-vous donc, Cléry?» lui dit la Reine. Les deux commissaires de service étaient à leur poste; un troisième s'écrie en entrant et en s'adressant au Roi: «Les ennemis sont à Verdun; nous périrons tous, mais vous périrez le premier.» Un autre municipal survient, encore suivi de quatre hommes députés par le peuple; un d'eux demande instamment que les prisonniers se montrent à la fenêtre.—«Oh! non, non, de grâce! s'écrie un municipal de service[23] en barrant le passage au Roi, n'approchez pas! ne regardez pas! quelle horreur!» Voyant l'honorable opposition des municipaux, l'orateur de la députation s'écrie d'une voix satanique: «On veut vous cacher la tête de la Lamballe que l'on vous apportait, pour vous faire voir comment le peuple se venge de ses tyrans. Je vous conseille de paraître, si vous ne voulez pas que le peuple monte ici.» La Reine tombe évanouie. J'abrége ici le récit de ces horribles scènes, que le lecteur peut trouver en détail dans l'histoire de Louis XVII.

Le moindre objet qui avait appartenu à l'infortunée princesse de Lamballe devenait pour Marie-Antoinette et pour sa fille un douloureux memento et une nouvelle source de larmes. Madame Élisabeth ramassa quelques effets laissés par elle à la tour lorsqu'elle en avait été enlevée, les serra loin de leurs yeux, et, au premier moment favorable, les remit à Cléry en lui recommandant d'en faire un (p. 41) paquet et de l'adresser avec une lettre à la première femme de chambre de madame de Lamballe. Ni le paquet ni la lettre n'arrivèrent à leur destination.

Parmi les commissaires chargés d'inspecter les travaux et les dépenses du Temple, le nommé Simon, cordonnier et officier municipal, s'était fait remarquer par sa rudesse et sa grossièreté. Un jour, Madame Élisabeth, qui avait su que sa femme était malade à l'Hôtel-Dieu, lui en demanda des nouvelles. «Dieu merci, elle va mieux, répondit-il, en ajoutant: C'est un plaisir de voir actuellement les dames de l'Hôtel-Dieu; elles ont bien soin des malades; je voudrais que vous les vissiez, elles sont aujourd'hui habillées comme ma femme, comme vous, mesdames, ni plus ni moins[24]

La plupart du temps il y avait entre les municipaux de service, les gardes nationaux, les deux geôliers de la petite tour et les maçons même employés aux travaux du Temple, un odieux concert pour charger d'outrages ces grandeurs tombées. Nous ne redirons pas ces insultes de tous les jours que la famille royale eut à subir dans l'intérieur de sa prison ou pendant ses promenades au jardin, et qu'elle ne cessa d'endurer avec une inaltérable résignation. Nous préférons rappeler quelques rares témoignages de sympathie et de compassion qui lui furent offerts.

Un commissaire, de garde pour la première fois, entra chez le Roi pendant que le petit prince prenait sa leçon de géographie. Interrogé par son père, qui lui demandait dans quelle partie du monde était située Lunéville, l'enfant répondit: «Dans l'Asie.—Comment! dans l'Asie! dit en souriant le municipal; vous ne connaissez pas mieux un lieu où vos ancêtres ont régné?» La manière dont le municipal (p. 42) relevait l'erreur plut au Roi et à la Reine. Marie-Antoinette entama avec lui une conversation à voix basse: «Nous supporterions plus facilement nos malheurs, lui dit-elle en terminant, si la plupart de vos collègues vous ressemblaient.»

Un garde national placé en faction au bout de l'allée des marronniers qui servait de préau, jeune homme d'une intéressante figure, exprimait par son attitude et son regard le désir de donner quelques renseignements à la famille royale. Madame Élisabeth, dans un second tour de promenade, s'approcha de lui assez près pour qu'il lui parlât; soit crainte, soit respect, il ne l'osa point, mais quelques larmes brillèrent dans ses yeux, et par un signe il indiqua qu'il avait déposé à peu de distance un papier dans les décombres. Cléry, en feignant de choisir des palets pour le petit Prince, se mit à la recherche de ce papier; mais les commissaires l'avertirent qu'il ne devait pas approcher des sentinelles et qu'il eût à se retirer. On n'a pu deviner quelles étaient les intentions de ce jeune homme.

Ce n'est pas le seul sujet d'émotion que l'heure de la promenade offrait aux prisonniers: parmi quelques royalistes qui profitaient chaque jour de ce court instant pour les voir, en se plaçant aux fenêtres des maisons situées autour de l'enceinte du Temple, Cléry, une fois, remarqua une femme qui suivait d'un œil très-attentif tous les mouvements du jeune Prince lorsqu'il s'écartait de ses parents, et crut reconnaître en elle madame de Tourzel. Il prévint Madame Élisabeth. Au nom de madame de Tourzel, cette princesse, qui la croyait une des victimes du 2 septembre, ne put retenir ses larmes. «Quoi! dit-elle, elle vivroit encore!» Cléry s'était trompé; les renseignements qu'il obtint le lendemain lui apprirent que madame de Tourzel était dans une de ses terres[25]. Il apprit aussi que la princesse (p. 43) de Tarente et la marquise de la Roche-Aymon, qui, le 10 août, au moment de l'attaque, se trouvaient dans le palais des Tuileries, n'avaient point été comprises dans le massacre. La certitude qu'elles vivaient encore fut pour la famille royale, qui les avait pleurées, une surprise pleine de joie et comme la résurrection d'amis qu'on a crus perdus pour toujours; mais, hélas! elle apprit presque aussitôt le meurtre des prisonniers de la haute cour d'Orléans, et cette nouvelle affreuse lui causa un vif chagrin. Le duc de Brissac et M. de Lessart étaient au nombre de ces serviteurs de la royauté qui ne furent pas jugés, mais assassinés à Versailles le 9 septembre 1792. La population de Versailles put voir la tête de M. de Brissac plantée au bout d'une des piques de la grille du château. M. de Brissac n'avait jamais voulu s'éloigner du danger. La dissolution de son régiment l'avait rendu libre; il aurait pu fuir, Louis XVI l'en avait prié; mais le cœur d'un sujet si dévoué était resté sourd aux instances d'un prince si malheureux. «Sire, avait répondu M. de Brissac, la fuite m'est défendue. On dirait que je suis coupable et l'on vous croirait complice: ma conduite serait donc pour vous une accusation; j'aime mieux mourir.» Il mourut.

Au nombre des personnes qui venaient aux environs du Temple épier l'instant et l'occasion d'apercevoir la famille royale, il faut citer M. Hue, qui, après quinze jours environ passés dans les cachots de la Commune, avait recouvré la liberté. Le seul adoucissement à ses peines était de porter ses pas vers le Temple: sa seule ambition était de rentrer à la Tour. Il fit à ce sujet des démarches auprès de Pétion, et celui-ci ayant été nommé député à la Convention, il se détermina à s'adresser à Chaumette, qui venait de remplacer, (p. 44) comme procureur de la Commune, Manuel, devenu aussi représentant du peuple. Il reçut de lui un accueil poli et presque bienveillant. Chaumette l'invita à s'asseoir, et ayant fait interdire sa porte, s'épancha confidentiellement avec lui, lui parla de son origine obscure, de sa jeunesse besoigneuse, des obstacles qu'il avait eu à franchir, des rigueurs qu'il avait éprouvées. Puis il lui fit des révélations importantes sur les infidélités de quelques personnes du service du Roi qui recevaient par jour, pour prix de leurs délations, un ou plusieurs louis stipulés payables en or. Ces tristes aveux confondaient la loyauté de M. Hue: il se rappela pourtant qu'une ou deux fois Madame Élisabeth s'était étonnée de rencontrer dans un journal quelques détails d'intérieur sur lesquels l'œil du dehors n'avait pu tomber. Mais si la raison de Madame Élisabeth était clairvoyante, sa conscience étroite et scrupuleuse se serait reproché d'arrêter un soupçon infamant sur qui que ce fût. Et M. Hue, dans son ouvrage sur les Dernières années du règne et de la vie de Louis XVI, a gardé sur ces traîtres une magnanime réserve, ne devant pas, dit-il, mettre à découvert leurs noms quand son vertueux maître les a voulu taire, et quand, dans son immortel testament, il a recommandé à son fils de ne songer qu'à leurs malheurs.

Portant ensuite l'entretien sur la famille royale, Chaumette laissa entrevoir de l'intérêt pour le Dauphin. «Je veux, dit-il, faire donner quelque éducation à cet enfant; je l'éloignerai de sa famille pour lui faire perdre l'idée de son rang; quant au Roi, il périra. Le Roi vous aime.....» A ces mots, M. Hue ne put retenir ses pleurs. «Donnez un libre cours à votre douleur, reprit Chaumette; si vous cessiez un instant de regretter votre maître, moi-même je vous mépriserais.»

Chaumette s'était montré confiant, mais il demeura inflexible, et M. Hue ne put rentrer au Temple.

(p. 45) L'Assemblée législative avait accompli sa tâche. N'ayant ni le courage de la vertu ni l'énergie du crime, cette triste assemblée, dominée par la Commune insurrectionnelle de Paris, qui disposait de la force révolutionnaire, avait amené la victime au Temple. La Convention devait l'y venir chercher pour l'immoler. La peur ou la violence avait écarté des comices la plus grande partie des électeurs, et un million cinq cent mille votes seulement avaient été constatés au scrutin. Nommée sous l'impression des massacres, conçue pour ainsi dire dans le meurtre et dans le sang, la Convention allait se montrer digne de son odieuse origine: dès sa première séance, 21 septembre 1792, elle abolit officiellement la royauté, déjà supprimée de fait, et semblable à une dérision couronnée. A quatre heures du soir, un officier municipal nommé Lubin se rendit au Temple, entouré de gendarmes à cheval et d'une nombreuse populace; les trompettes sonnèrent, il se fit un grand silence, et Lubin, qui avait une voix de Stentor, donna lecture de la proclamation, que la famille royale put entendre distinctement:

«La royauté est abolie en France. Tous les actes publics seront datés de la première année de la République. Le sceau de l'État portera pour légende ces mots: République de France. Le sceau national représentera une femme assise sur un faisceau d'armes, tenant à la main une pique surmontée du bonnet de la Liberté.»

Pendant cette lecture, les municipaux de service[26], assis près de la porte de la chambre du Roi, essayaient de saisir sur la physionomie des prisonniers les secrètes émotions de leur âme. Louis XVI, qui tenait un livre à la main, continua de lire sans que la moindre altération parût sur ses traits. Madame Élisabeth, occupée à sa tapisserie, ne prit pas garde à ce qui se passait et ne quitta pas son ouvrage; (p. 46) la Reine demeura calme et digne, et les deux observateurs ne surprirent ni un mot ni un mouvement qui pût accroître leur jouissance.

Dans la soirée, Cléry informa le Roi du besoin qu'avait son fils de rideaux et de couvertures pour son lit, la température s'étant très-refroidie depuis deux jours. Louis XVI lui dit d'en faire la demande par écrit, et il la signa. Cléry s'était servi des expressions qu'il avait jusqu'alors toujours employées: «Le Roi demande pour son fils, etc.»—«Vous êtes bien osé, lui dit Destournelles, d'employer encore un titre aboli par la volonté du peuple, comme vous venez de l'entendre.—J'ai entendu une proclamation, répondit Cléry, mais je n'en sais pas l'objet.—C'est, reprit le commissaire, l'abolition de la royauté, et vous pouvez dire à monsieur (en montrant Louis XVI) de cesser de prendre un titre que le peuple ne reconnoît plus.—Je ne puis, dit Cléry, changer ce billet qui est déjà signé; Louis m'en demanderait la cause, et ce n'est pas à moi de la lui apprendre.—Vous ferez ce que vous voudrez, répliqua le municipal, mais je ne certifierai pas votre demande.» Le lendemain, Madame Élisabeth tira Cléry d'embarras. «Il ne faut pas, lui dit-elle, faire de cela une affaire: épargnons au Roi tout ennui inutile. Je vous conseille, Cléry, d'écrire à l'avenir pour ces sortes d'objets de la manière suivante: «Il est nécessaire pour le service de Louis XVI..., de Marie-Antoinette..., de Louis-Charles..., de Marie-Thérèse..., de Marie-Élisabeth..., etc...»

Les travaux du Temple, quoique poussés avec activité, étaient loin d'être achevés; cependant le nouvel appartement destiné à Louis XVI, dans la grosse tour, était prêt à le recevoir. En même temps, on cherchait à grossir de nouveaux griefs l'acte d'accusation que la révolution formulait chaque jour contre ce malheureux Prince, afin de fournir un nouvel aliment à la colère de la rue. Dans l'embrasure (p. 47) d'une porte qui communiquait de sa chambre à celle de son fils, le Roi, peu de temps avant le 10 août, avait pratiqué à l'aide d'une vrille (seul instrument qu'il pût employer sans bruit) une ouverture de vingt-deux pouces de haut sur seize de large: il était parvenu à creuser insensiblement dans le mur, sur les mêmes dimensions, un trou de huit à neuf pouces de profondeur; chaque matin, il lui avait fallu lever le morceau qu'il avait détaché du lambris, et le soir, le travail terminé, le rattacher avec quatre fils. L'opération achevée, il avait de sa main scellé en plâtre quatre tasseaux sur lesquels il avait posé deux rangs de tablettes en bois, et dans cette cachette, il avait rangé ses papiers les plus importants. Il avait fait venir le serrurier Gamin pour doubler d'une feuille de tôle le morceau de lambris qui recouvrait cette ouverture. Cet ouvrier, honoré de la confiance du Roi, avait dénoncé à Roland ce fait, qui tout aussitôt devint une source d'accusations. La petite cachette prit dans le public le nom d'armoire de fer, et devait, dit-on, donner le fil d'une vaste conspiration. Le 29 septembre, à dix heures du matin, six officiers municipaux entrèrent dans la chambre de la Reine, où était réunie sa famille. L'un d'eux, nommé Charbonnier, donna lecture d'un arrêté du conseil de la Commune qui leur ordonnait «d'enlever papier, encre, plumes, crayons, et même les papiers écrits, tant sur la personne des détenus que dans leurs chambres, ainsi qu'au valet de chambre et autres personnes du service de la tour; de ne leur laisser aucune arme quelconque, offensive ou défensive; en un mot, de prendre toutes précautions nécessaires pour ôter tout commerce de Louis le dernier avec autres personnes que les officiers municipaux[27].» Puis arrêtant ses regards sur Louis XVI, le même commissaire ajouta de vive voix: «Lorsque vous aurez besoin de quelque chose, Cléry descendra (p. 48) et écrira vos demandes sur un registre qui restera dans la salle du Conseil.» Sans faire la moindre observation, les captifs se fouillèrent, livrèrent leurs papiers, crayons, nécessaires de poche, etc. Les commissaires firent ensuite la visite des armoires, des coffres, et enlevèrent les objets désignés dans l'arrêté. Un d'eux dit à Cléry: «Le ci-devant Roi sera transféré ce soir même dans la tour.» Cléry fit part de cette pénible nouvelle à Madame Élisabeth, qui trouva le moyen d'en avertir son frère. Après le souper, comme Louis XVI quittait la chambre de Marie-Antoinette pour remonter dans la sienne, un commissaire lui dit d'attendre un instant, que le conseil avait une communication à lui faire. Les six municipaux qui, le matin, avaient mis à exécution un arrêté de la Commune, parurent, et notifièrent aux détenus un nouvel arrêté qu'ils venaient de recevoir du conseil général.

Commune de Paris.—Du 29 septembre 1792, l'an IVe de la Liberté
et Ier de l'Égalité, Ier de la République française.

Extrait du registre des délibérations du conseil général.

«La garde des prisonniers du Temple devenant tous les jours plus difficile par leur concert et les mesures qu'ils peuvent prendre entre eux, la responsabilité du conseil général de la commune lui impose l'impérieuse loi de prévenir les abus qui peuvent faciliter l'évasion de ces traîtres; il a pris l'arrêté suivant:

»1o Que Louis et Antoinette seront séparés;

»2o Que chaque prisonnier aura un cachot particulier;

»3o Que le valet de chambre sera mis en état d'arrestation;

»4o Adjoint avec les cinq commissaires déjà nommés, le citoyen Hébert;

»5o Les autorise à mettre à exécution l'arrêté de ce soir sur-le-champ, même de leur ôter l'argenterie, les accessoires (p. 49) pour la bouche; en un mot, le conseil général donne plein pouvoir à ses commissaires d'employer tout ce que leur prudence leur prescrira pour la sûreté de ces otages[28]

La Commune, dans ses prescriptions, n'avait point encore revêtu une forme aussi acerbe. Quoique préparé à cet événement, Louis en fut affecté. Marie-Antoinette et Madame Élisabeth cherchaient à lire dans les yeux des commissaires jusqu'où devaient s'étendre les rigueurs de leur mission. En recevant les adieux de sa femme et de sa sœur, Louis leur prit les mains et les serra avec un sentiment expressif qui semblait dire: Résignons-nous. Son départ les laissa dans de vives inquiétudes. Toutes deux pleuraient à chaudes larmes. Madame Élisabeth, qui trouvait toujours des paroles consolantes pour toutes les douleurs, devenait muette devant une infortune qu'elle croyait sans bornes, et que pourtant elle voyait croître de jour en jour et d'heure en heure.

Levées de bonne heure le lendemain, Madame Élisabeth et Marie-Thérèse vinrent frapper chez la Reine un peu plus tôt que de coutume. Comme Cléry avait suivi le Roi dans sa nouvelle prison, Madame Élisabeth accourait s'offrir pour habiller le jeune prince. L'abattement de ces trois pauvres femmes et de cet enfant lui-même était profond; la suprême consolation des malheureux est de souffrir ensemble. A dix heures, quand il leur fallut se mettre à table pour déjeuner, leurs yeux se remplirent de larmes en voyant vide la place du père de famille. Elles demandèrent en vain de ses nouvelles aux commissaires de service auprès d'elles, aucun n'en put donner; mais quelques instants après, un d'eux ayant été conduire dans l'appartement de la grosse tour des peintres et des colleurs qui n'y avaient point terminé leurs travaux, dit au Roi qu'il venait d'assister au déjeuner de sa famille et qu'elle était en bonne (p. 50) santé. «Je vous remercie, répondit Louis XVI; je vous prie de lui donner de mes nouvelles et de lui dire que je me porte bien. Ne pourrais-je pas, ajouta-t-il, avoir quelques livres que j'ai laissés dans la chambre de la Reine? Vous me feriez plaisir de me les envoyer.» Puis il indiqua les ouvrages qu'il désirait. Le représentant de la Commune fit droit à sa demande; mais ne sachant pas lire, il proposa à Cléry de l'accompagner. Heureux de l'ignorance de cet homme, Cléry s'empressa de descendre avec lui. Il trouva Marie-Antoinette entourée de ses enfants et de sa sœur: leur douleur, qui sembla augmenter à sa vue, s'exhala en mille questions auxquelles il ne put répondre qu'avec réserve; leurs plaintes, leurs paroles touchantes émurent le cœur des commissaires. «Accordez-nous du moins, s'écriaient-elles, la consolation de nous réunir au Roi un moment dans la journée, ne fût-ce qu'à l'heure des repas!—Eh bien, laissons-les dîner ensemble aujourd'hui, dit avec un ton d'autorité un municipal; mais comme notre conduite est subordonnée aux arrêtés de la Commune, nous ferons demain ce qu'elle aura prescrit.» A ces mots, un sentiment qui était presque de la joie vint soulager ces tristes âmes. Marie-Antoinette pressant ses enfants dans ses bras, Madame Élisabeth les yeux levés vers le ciel, semblaient rendre grâces à Dieu de cette faveur inattendue. Quelques commissaires pleuraient malgré eux. Simon lui-même était attendri. «Je crois, dit-il tout haut, que ces b......... de femmes me feraient pleurer.» Il ajouta: «Quand vous assassiniez le peuple au 10 août, dit-il en s'adressant à Marie-Antoinette, vous ne pleuriez point.—Le peuple est bien trompé sur nos sentiments», répondit tristement la Reine.

On servit le dîner chez Louis XVI à l'heure ordinaire, et on lui amena sa famille. Aux transports qu'elle laissa éclater, on put juger des craintes qu'elle avait éprouvées. (p. 51) La concession faite par les commissaires de ce jour ne pouvant être blâmée par eux devant les nouveaux municipaux qui devaient les remplacer, se continua naturellement les jours suivants. Il ne fut plus question de l'arrêté du 29 septembre; la famille royale se réunit chaque jour aux heures des repas ainsi qu'à la promenade, et Cléry la servit comme par le passé.

La Reine et Madame Élisabeth témoignèrent, après le dîner, le désir de visiter l'appartement qu'on leur préparait au-dessus de celui du Roi. Les commissaires les y conduisirent. Elles prièrent les ouvriers de se hâter, mais la besogne dura encore trois semaines. Pendant ce temps-là, Cléry partagea son temps entre tous les prisonniers, faisant leurs chambres, réglant leurs dépenses et cherchant le moyen de conserver quelques rapports entre eux. On comprend que ce séjour de la famille royale dans deux tours séparées et sans communication intérieure, en rendant la surveillance des municipaux plus difficile, la rendait aussi plus inquiète. La chose la plus futile et la plus insignifiante, dès qu'elle était relative à un membre de la famille prisonnière au Temple, empruntait immédiatement à cette circonstance un caractère sérieux. Un pauvre vicaire de Fontenay de Vincennes adressait à Madame Élisabeth quelques prétendus vers sans rime ni raison, et écrits dans une langue qui n'appartient ni à la prose ni à la poésie. Ce fatras, portant l'adresse de Madame Élisabeth au Temple, fut remis au conseil général de la Commune[29], qui le transmit (p. 52) à la commission des vingt-quatre. (Voir aux pièces justificatives, no II.)

On tenait éloignés du Temple les journaux qui racontaient les sanglants malheurs de la France, les pamphlets qui pervertissaient la conscience publique; mais l'injure, la menace, la calomnie adressées directement aux Capets servaient souvent de passe-port aux gazettes dans ce lazaret politique et moral où la famille royale prolongeait sans fin sa douloureuse quarantaine, et dans lequel on ne laissait pénétrer que ce qui pouvait ajouter aux tortures du présent les appréhensions d'un plus sinistre avenir. Ces misérables feuilles, dont le cynisme et le dévergondage étaient sans bornes, on les plaçait à dessein sur une commode ou sur une cheminée dans les appartements. Ni l'âge ni la vertu n'étaient épargnés. Une brochure prouvait qu'il fallait étouffer les deux petits louveteaux, c'est ainsi qu'elle appelait les enfants du Roi; une autre versait l'outrage à pleins flots sur Madame Élisabeth, cherchant à détruire l'admiration qu'inspiraient au public son caractère angélique et son dévouement fraternel.

Un petit conflit d'attributions élevé entre Cléry et Tison, leurs prétentions jalouses aussi bien que l'habitude que prenait individuellement chaque détenu de s'adresser pour un service quelconque au commissaire qu'il croyait le mieux disposé en sa faveur, firent prendre par le conseil du Temple un arrêté pour réglementer la manière dont la famille royale présenterait à l'avenir ses demandes au conseil. Le municipal James, qui protégeait Tison, lui dit en lui annonçant le résultat de la délibération du conseil: «Sois content, le ministère est formé; tu as le département des femmes.»

La séparation complète de la famille royale était pressentie dans cet arrêté. Le vendredi 26 octobre, la Reine, ses enfants et Madame Élisabeth furent installés dans la (p. 53) grosse tour. Ce moment tant souhaité par les prisonniers, et qui semblait leur promettre quelques consolations, fut marqué, de la part des municipaux, par un trait d'hostilité contre la Reine. Le conseil du Temple, composé de Roché, Jérosme, Cochois et Massé, et sur la motion d'un d'entre eux, ennemi personnel de Marie-Antoinette, prit un arrêté qui, sous la forme d'une mesure de convenance et d'ordre, retirait le jeune Louis-Charles des mains de sa mère et le remettait entre celles de son père[30]. Sans avoir préalablement notifié cette décision à Marie-Antoinette, le soir même de son entrée dans son nouvel appartement, on lui enleva son fils. La Commune s'était empressée de ratifier cet arrêté[31]. Dans cette même journée, pendant le dîner (p. 54) de la famille royale, un greffier et un huissier, tous deux en costume, et suivis de six gendarmes, étaient venus chercher Cléry pour le conduire à l'hôtel de ville, d'où, après six heures passées au cachot, et un long interrogatoire, il fut reconduit, à minuit, au Temple par les quatre officiers municipaux désignés pour y prendre le service.

Avant d'aller plus loin, il convient de mettre sous les yeux du lecteur un tableau fidèle du Temple tel qu'il existait au moment où les travaux exécutés pour la captivité de la famille royale furent terminés. Le plan que nous intercalons à cette page donnera d'abord une idée générale et exacte de l'enclos du Temple à cette époque. Essayons de faire connaître maintenant la nouvelle demeure que la truelle de la révolution venait de restaurer pour Louis XVI et pour sa famille dans le vieux donjon des Templiers.

La grosse tour, dont la hauteur dépassait cent cinquante pieds et dont les murs avaient neuf pieds d'épaisseur dans leur moyenne proportion, formait quatre étages voûtés et soutenus au milieu par un gros pilier depuis le bas jusqu'au quatrième étage. L'intérieur était d'environ trente-quatre à trente-six pieds en carré.

Le rez-de-chaussée, qui n'avait subi aucun changement, était resté avec ses murailles nues; mais par la sévérité même de son architecture, par les arêtes de sa voûte, par le fût lourd et l'élégant chapiteau de son pilier, et aussi par les quatre lits à colonnes torses adossés aux quatre murs de sa vaste salle, il rappelait les temps et les choses d'autrefois.

Cette pièce était destinée aux commissaires de la Commune (p. 55) qui n'étaient point de service à la porte du Roi et de la Reine. Ils y prenaient leurs repas, y couchaient, et s'y assemblaient pour délibérer. Aussi appela-t-on cette pièce la chambre du conseil. Des tourelles placées aux quatre angles, la première contenait l'escalier qui allait jusqu'aux créneaux, la seconde servait d'armoire aux municipaux, la troisième de bûcher et la quatrième de garde-robe. L'entrée de chaque étage était fermée par deux portes, la première en bois de chêne garni de clous, la seconde en fer.

Le premier étage, demeuré aussi dans son intégrité première, était la répétition du rez-de-chaussée, moins ses lits à colonnes. Il servait de corps de garde, et était, après celui du palais du Temple, le poste le plus important de l'enclos. Aux deux parois les plus larges de la muraille, on avait établi des planches légèrement inclinées formant avec quelques matelas un lit de repos pour la garde. Au milieu de la salle, autour du pilier, les armes se groupaient en faisceau.

Le second étage, qui ne formait primitivement, comme les autres étages, qu'une seule pièce, avait été divisé en quatre chambres par des cloisons en planches, avec de faux plafonds de toile. La première pièce était une antichambre qui, par trois portes différentes, communiquait aux trois autres pièces. En face de la porte d'entrée était la chambre du Roi; on y plaça un lit pour son fils. De l'antichambre on entrait également dans la salle à manger, qui en était séparée par une seule cloison à vitrage. La chambre de Louis XVI avait une cheminée; un grand poêle ouvrant dans l'antichambre, mais placé au centre du carré de la tour, c'est-à-dire à la place même où se trouve le pilier aux étages inférieurs, chauffait les autres chambres. Une croisée éclairait chaque pièce, mais les barreaux de fer et les abat-jour, scellés et posés en dehors, empêchaient l'air de circuler. Les cloisons de l'appartement étaient recouvertes (p. 56) d'un papier peint. Celui de l'antichambre représentait des pierres de taille superposées comme on les figure au théâtre pour simuler l'intérieur d'une prison. A gauche en entrant, on avait placardé au milieu du mur la Déclaration des droits de l'homme, écrite en très-gros caractères et encadrée dans une large bordure tricolore. Le papier de la chambre du Roi était jaune glacé, semé de fleurs blanches. En entrant, on voyait la cheminée en face, la fenêtre à main droite, ainsi que la tourelle; à main gauche, le lit de Louis XVI, et à ses pieds le petit lit de son fils. Sur la console de la cheminée était posée une pendule portant gravés sur son cadran de porcelaine ces mots: Lepaute, horloger du Roi; mais dès l'installation de Louis (le 29 septembre) dans la grosse tour, les représentants de la Commune avaient collé un pain à cacheter sur le mot Roi. Les plaques de fonte de la cheminée portaient ces mots: Liberté, égalité, propriété, sûreté. La tourelle servait à Louis XVI de cabinet de lecture et d'oratoire. Ses murs enduits de plâtre étaient revêtus d'une peinture gris de lin. On y avait placé un tout petit poêle. Près du lit du jeune prince s'ouvrait une porte sur un couloir conduisant à gauche dans la chambre de Cléry, et plus loin, en inclinant à droite, à la garde-robe placée dans une seconde tourelle. Le lit de Cléry, parallèle à celui de son maître, n'en était séparé que par l'épaisseur de la cloison. La troisième tourelle, donnant dans la salle à manger, servait de bûcher.

TROISIÈME ÉTAGE.

A. Escalier.
  1. Porte de chêne.
  2. Porte de fer.
B. Antichambre.
  Une table en noyer.
  Un lit de repos et des chaises.
C. Chambre de la Reine.
  3. Lit de la Reine, à colonnes en damas vert avec ses housses, un sommier et deux matelas, un traversin, une couverture piqûre de Marseille.
  4. Lit de Madame Royale, couchette à deux dossiers, une paillasse, un sommier, trois matelas, un traversin et deux couvertures en coton.
  5. Commode en bois d'acajou, à dessus de marbre, surmontée d'un miroir de toilette.
  6. Canapé garni de son carreau et de ses deux oreillers.
  7. Cheminée, ornée de la pendule que nous avons indiquée, et d'une glace de 45 pouces sur 36.
  8. Un paravent en bois de quatre feuilles, couleur d'acajou.
  Deux tables de nuit.
D. Cabinet de la Reine.
E. Chambre de Madame Élisabeth.
  9. Lit en fer, garni de sa housse de toile de Jouy doublée de taffetas vert, un sommier, deux matelas, un lit de plume, un traversin et une couverture piqûre de Marseille.
  10. Commode en placage, à dessus de marbre.
  11. Une table en bois de noyer.
  12. Cheminée avec une glace de 45 pouces sur 32.
  Deux chaises, deux fauteuils couverts en perse.
  Flambeaux argentés.
F. Garde-robe.
G. Chambre de Tison.
  Un lit, une commode en placage, à dessus de marbre. Un miroir de toilette; une pendule de Lepaute posée sur la commode, plusieurs chaises dont deux de canne. Flambeaux argentés.
H. Cabinet où fut enfermé Tison en septembre 1793.

Le troisième étage, contenant le logement de Marie-Antoinette et celui de Madame Élisabeth, était la répétition du second moins le couloir. La chambre de la Reine était au-dessus de celle du Roi, et son lit placé au même endroit que le lit du Roi. Celui de Marie-Thérèse était entre la cheminée et la porte du couloir supprimé. Le papier de la chambre, aussi bien que celui de la tourelle qui servait de cabinet de toilette, était entremêlé de zones vertes et (p. 57) bleues d'une nuance extrêmement tendre. La cheminée était ornée d'une pendule représentant la Fortune et sa (p. 58) roue,—singulière ironie en présence de la grandeur renversée! La chambre de Madame Élisabeth et celle de Tison étaient tapissées d'un même papier jaune très-commun. Leur ameublement était à peu près le même aussi: un lit de fer, une table en bois de noyer, une commode en placage, tels étaient les principaux meubles de Madame Élisabeth. Le plan descriptif de cet étage achèvera de le faire bien connaître.

Les détails d'ameublement que nous donnons à la suite de ce plan sont parfaitement authentiques: ils ont été puisés dans deux inventaires, l'un fait à la date du 25 octobre 1792, lors de l'entrée de la famille royale dans la grosse tour, et l'autre le 19 janvier 1793[32].

Le quatrième étage, ne devant pas être habité, était resté dans sa simplicité première. Sa voûte élevée, l'absence du pilier central, le faisaient paraître plus grandiose que les autres étages. Quelques vieux meubles de rebut et quantité de planches étaient relégués dans les bas-côtés de cette vaste salle. Entre les créneaux et le toit de la grande tour régnait une galerie servant quelquefois de promenade. Les entre-deux des créneaux furent garnis de planches, jalousies sans treillis enlevant au promeneur toute possibilité de voir ou d'être vu[33].

Les habitudes de la famille ne subirent point de changements par suite de sa réunion dans la grosse tour. Louis XVI, en présence d'événements qui ne lassaient ni sa patience ni son courage, cherchait le plus souvent ses distractions dans la lecture; plus émue que lui, Marie-Antoinette s'occupait de ses enfants, demandait en vain au travail manuel un apaisement aux troubles de son esprit, et faisait matin et soir de courtes prières. Quant à Madame Élisabeth, elle (p. 59) ne s'inquiétait plus de la méchanceté des hommes. Quelquefois, dans la journée, au milieu des jurements et des blasphèmes, elle s'isolait dans sa chambre, s'agenouillait près de son lit avec une ferveur angélique, ou, assise sur une chaise, se recueillait dans ses méditations avec un calme inaltérable. Souvent, après le dîner, quand la promenade au jardin n'avait pas lieu, les enfants jouaient dans l'antichambre au siam ou au volant; Madame Élisabeth assistait à leurs jeux, assise près d'une table et un livre à la main. Cléry restait habituellement dans cette pièce, et, se conformant aux ordres de cette princesse, il s'asseyait aussi, et prenait un livre pour paraître occupé de son côté. Il était facile de voir que la division de la famille, ainsi parquée en deux chambres, contrariait et inquiétait parfois les commissaires chargés de ne laisser jamais le Roi et la Reine seuls, et ne voulant point se séparer eux-mêmes, tant ils se méfiaient l'un de l'autre, espions tout ensemble et espionnés. Madame Élisabeth profitait de ce moment pour entrer en communication avec Cléry: celui-ci prêtait l'oreille, et, pour ne pas être surpris par les municipaux, répondait sans détourner les yeux de sa lecture. Marie-Thérèse et son frère, d'accord avec leur tante, facilitaient cet entretien par leurs jeux bruyants ou par quelques signes annonçant l'entrée des commissaires. Les captifs n'avaient pas moins à se défier de Tison, dont les municipaux, plus d'une fois dénoncés par lui, avaient aussi à redouter la surveillance.

Du reste, une recrudescence se manifestait dans les rigueurs ombrageuses du plus grand nombre des représentants de la Commune, et se traduisait par des actes souvent ridicules. A la fin des repas, Madame Élisabeth remettait à Cléry un petit couteau à lame d'or pour qu'il le nettoyât; un municipal, plus d'une fois, le lui arracha des mains, afin d'examiner si quelque papier n'était pas caché (p. 60) au fond de la gaîne. Madame Élisabeth avait chargé Cléry de renvoyer un livre de piété à la duchesse de Sérent; les municipaux s'emparèrent de ce livre, et en coupèrent toutes les marges, de peur qu'on n'y eût écrit quelque avis avec de l'encre sympathique. Le linge remis à la blanchisseuse était minutieusement inspecté à la sortie; au retour, il était déployé pièce par pièce et examiné au grand jour. Le livre de la blanchisseuse, tout autre papier servant d'enveloppe, étaient présentés au feu, afin de s'assurer s'il n'y avait aucune écriture secrète. C'étaient là les moindres avanies de la captivité.

On se ferait difficilement une idée des précautions que le conseil de la Commune prenait pour que rien de ce qui se passait au Temple n'échappât à sa surveillance. Le docteur Leclerc avait porté à la Reine, pour sa fille, un paquet de drogues et une ordonnance de médecine. Le conseil général s'alarma de cette démarche, et dans sa séance du 27 octobre, réclama le paquet remis à Marie-Antoinette, et manda à sa barre M. Leclerc. «La femme de Louis Capet, dit celui-ci, me parla de la nécessité de faire des remèdes pour sa fille qui a une dartre sur la joue, et me demanda quels étoient ceux qu'elle devoit employer: il faut respecter les malheureux, et la fille ne doit pas être punie des fautes du père; d'ailleurs elle a une jolie figure, et il seroit dommage que cette dartre lui restât, car c'est un chef-d'œuvre de la nature. (Ici l'orateur fut interrompu par le président, qui ajouta: La peau du serpent est aussi un chef-d'œuvre de la nature; le conseil vous invite à continuer sans digression.) Je lui ai ordonné, dit alors M. Leclerc, de la squine et de la salsepareille, drogues très-simples qui ne peuvent être falsifiées: j'ai envoyé ce remède avec l'autorisation des commissaires, et l'ordonnance a été signée par eux.»

Le conseil général prit l'arrêté suivant: «Le conseil (p. 61) général, prévoyant les conséquences dangereuses qui peuvent résulter de pareils procédés, déclare qu'il improuve la conduite du commissaire Leclerc; et, pour prévenir de pareils abus qui pourroient compromettre la surveillance et la responsabilité de la Commune, défend à toutes les personnes qui se trouvent au Temple, pour quelque fonction que ce soit, médecins, chirurgiens, pharmaciens, etc., de donner aucun avis ni remède de quelque nature qu'il soit, à aucun individu de la famille ci-devant royale, sous quelque prétexte que ce puisse être; et dans le cas où un membre de la famille royale auroit besoin de secours, le conseil déclare qu'il y sera pourvu par les maîtres de l'art reconnus par le conseil de la Commune; improuve ledit Leclerc, et le renvoie avec ses drogues, son ordonnance et le présent arrêté, au conseil général de la Commune.»

Le plus grand tourment de Madame Élisabeth après le chagrin que lui causait la situation du Roi et de la Reine, c'était la désolation de ses amies, c'était le silence qu'elle était condamnée à garder vis-à-vis d'elles pour ne pas les compromettre, c'était l'inquiétude où elle était sur leur sort. Si elle reçoit de l'une d'elles une preuve de souvenir ou d'attachement, elle, elle craint que ce gage d'un bon sentiment ne soit imputé à crime. Aussi croit-elle de son devoir de les prier de renoncer, au moins pour un temps, aux dangereuses tentatives que leur inspire leur ingénieuse sollicitude pour nouer des rapports avec elle. La duchesse de Sérent a le courage de désobéir, et ne cesse de lui faire parvenir des témoignages de sa constante attention: un de ses messages est surpris. Interrogée par le comité révolutionnaire de sa section, madame de Sérent ose répondre qu'elle a l'honneur d'être dame de Madame Élisabeth de France, et qu'elle ne fait que remplir un devoir sacré en veillant à ce qui peut lui être nécessaire.

De longs mois s'écoulèrent sans qu'Élisabeth reçût d'au-delà (p. 62) des frontières des nouvelles de sa famille. Son frère, le comte d'Artois, assidu à lui écrire régulièrement, se taisait lui-même. Une lettre cependant, une seule lettre lui arriva sous les verrous du Temple: cette lettre était écrite par sa tante Adélaïde; elle était datée de Rome, et relative aux événements de juin. Ce fut Manuel qui la remit lui-même à la princesse. Cet acte de bienveillance ne devait pas se renouveler. L'ère des perquisitions commença: une surveillance minutieuse et tracassière, une inquisition de tous les instants rendirent toute correspondance impossible. Les portes de la France demeurèrent fermées aussi bien que celles de la tour du Temple.

Le 14 novembre, la maladie vint ajouter à toutes les épreuves de la famille royale. Louis XVI, le premier, eut une fluxion qui l'incommoda extrêmement. La Reine et Madame Élisabeth demandèrent qu'on fît appeler M. Dubois-Foucou, son dentiste; le conseil du Temple s'y opposa. Le conseil général de la Commune arrêta que le conseil du Temple lui transmettrait tous les matins le bulletin de la santé des prisonniers, et, apprenant que la maladie du Roi s'était aggravée, il nomma deux commissaires pour aller «instruire la Convention de la santé du ci-devant.» La fièvre étant survenue, le 22, la Commune avertie s'alarma, permit à M. Le Monnier, ancien premier médecin du Roi, d'entrer à la tour, accompagné de M. Robert, chirurgien, et réclama chaque jour un bulletin de la santé du malade. L'émotion de M. Le Monnier fut grande en revoyant son ancien maître, ainsi que Madame Élisabeth, à laquelle il avait voué la plus profonde affection. Il vint au Temple deux fois par jour pendant la semaine que dura la maladie du Roi. Marie-Antoinette demanda au conseil du Temple qu'il lui fût permis de transférer pendant ce temps-là le lit de son fils dans sa chambre. Le conseil le lui refusa. L'enfant eut une forte coqueluche accompagnée de fièvre; sa (p. 63) mère et Madame Élisabeth demandèrent à le veiller: «Vous lui avez refusé la grâce de monter auprès de nous, accordez-nous celle de descendre auprès de lui.» Prière inutile! La révolution ne se bornait plus à persécuter la Reine, elle persécutait la mère. Marie-Antoinette prit elle-même le mal qu'elle voulait guérir. La maladie se communiqua aussi à sa fille et à Madame Élisabeth, qui eût regretté peut-être d'être exempte du fléau qui atteignait tous les siens. Les médecins et les geôliers se rencontrèrent chaque jour.

En voyant la maladie entrer dans cette prison, il semble que la Providence prenait à tâche d'éprouver cette grande et malheureuse famille par tous les genres de souffrance.

Cléry tomba malade à son tour. La fièvre et une forte douleur au côté l'obligèrent de garder le lit. Il essaya de se lever pour habiller son maître: Louis refusa ses soins, lui ordonna de se coucher, et fit lui-même la toilette de son fils. Le petit Prince ayant recouvré la santé, se tint pendant une grande partie de la journée dans la chambre de Cléry, et de temps en temps lui apportait de la tisane.

Dans la soirée, Louis XVI profita d'un moment où il était moins surveillé pour aller voir lui-même son valet de chambre; il le fit boire, et il lui dit avec bonté: «Je voudrois vous donner moi-même des soins, mais vous savez combien nous sommes observés; prenez courage, demain vous verrez mon médecin.»

A l'heure du souper, la famille royale entra chez Cléry, et Madame Élisabeth, sans que les commissaires s'en aperçussent, lui remit une fiole qui contenait un looch. Cette princesse, qui était extrêmement enrhumée, s'en privait pour lui; il voulut refuser, elle insista. Après le souper, Marie-Antoinette déshabilla et coucha son fils, et Madame Élisabeth roula les cheveux de son frère.

Revenu le lendemain, M. Le Monnier ordonna une saignée à Cléry. Celui-ci resta six jours au lit; chaque jour la (p. 64) famille royale allait le visiter: Madame Élisabeth lui apportait des drogues qu'elle avait demandées comme pour elle. Le malade reprit une partie de ses forces; sa fermeté s'emparant de celle dont il était témoin, il lutta avec énergie contre un mal qui l'aurait rendu incapable de rendre les services qu'il voulait rendre. Le moral a tant d'influence sur le physique, qu'on peut croire que cette résolution de guérir à tout prix contribua autant que les remèdes à lui rendre la santé.

Un soir, après avoir couché le petit Prince, Cléry se retirait pour faire place à la Reine, qui venait, avec les princesses, embrasser son fils et lui donner le bonsoir dans son lit. Madame Élisabeth, que la surveillance des commissaires avait empêchée de parler à Cléry, profita de ce moment pour remettre à l'enfant une petite boîte d'ipécacuanha, en lui disant: «Ceci est pour Cléry, je vous prie de le lui remettre dès qu'il reviendra.» Les princesses remontèrent dans leur chambre, Louis XVI passa dans son cabinet, Cléry alla souper, et ne rentra que vers onze heures pour préparer le lit du Roi. Comme il était seul dans la chambre (Louis XVI étant encore dans la tourelle), le jeune prince l'appela à voix basse. Cléry, étonné qu'il ne dormît pas à pareille heure, lui en demanda le motif: »C'est que ma tante m'a remis une petite boîte pour vous, lui dit-il, et je n'ai pas voulu m'endormir sans vous l'avoir donnée; il étoit temps que vous vinssiez, car mes yeux se sont fermés plusieurs fois.»—«Les miens se remplirent de larmes, ajoute Cléry en racontant le trait que nous venons de rappeler. Le Dauphin s'en aperçut, m'embrassa, et deux minutes après il dormoit profondément.»

Quoique placée sur le second plan dans la hiérarchie de la famille, et quoique aimant à s'effacer elle-même, Madame Élisabeth, on le voit, était toujours au premier rang dès qu'il s'agissait d'être utile ou de consoler. C'était un spectacle (p. 65) touchant que celui de cette femme angélique réclamant avidement sa part des tortures de sa famille; puis suspendant le souvenir de ses propres infortunes pour s'occuper des infortunes des autres, et renouvelant auprès d'un serviteur souffrant la tradition des exemples de son aïeul saint Louis, dont les mains royales se plaisaient à servir, dans les malades et les infirmes, les membres mêmes de Jésus-Christ.

Une nouvelle municipalité avait, dans la journée du dimanche 2 décembre, remplacé la Commune du 10 août. Un assez grand nombre des anciens membres avaient été réélus. Il n'y avait eu jusqu'à ce jour qu'un seul commissaire auprès du Roi et un auprès de la Reine: la nouvelle Commune décida qu'il y en aurait deux à l'avenir. Conformément à cet arrêté, huit municipaux se trouvèrent dès le 3 décembre de service au Temple, quatre, comme nous l'avons dit, en surveillance près de la famille royale, et les quatre autres se tenant dans la salle du Conseil. Chaque jour, ils se renouvelaient par moitié. On arrivait le soir à neuf heures, on soupait, et l'on tirait au sort pour savoir qui serait de garde chez le Roi ou chez la Reine. On passait tour à tour vingt-quatre heures auprès des détenus, vingt-quatre heures dans la salle du Conseil. Ceux que leur billet avait désignés pour la nuit montaient après le souper, et restaient près des prisonniers jusqu'au lendemain onze heures. Après le dîner, ils reprenaient leur poste jusqu'à l'arrivée des nouveaux municipaux. C'est à cette époque que l'on commença au rez-de-chaussée de la tour des dispositions pour y installer quelques jours après le conseil, qui se tenait dans une des salles du château du Temple.

Le nombre des commissaires excita entre eux une émulation de zèle révolutionnaire qui se traduisit par un redoublement de rigueurs envers les prisonniers.

La surveillance devint plus active, la servitude plus étroite; (p. 66) on redoubla de dureté envers Cléry, on renouvela à Turgy, à Chrétien et à Marchand, qui avaient obtenu un certificat des anciens municipaux[34], la défense expresse de lui parler. Il restait peu d'espoir aux détenus de pouvoir désormais apprendre aucune nouvelle. Frappée d'un fatal pressentiment, Madame Élisabeth épiait avidement les regards et les paroles de Cléry; mais Cléry ne savait plus rien, et craignait tout. Cependant il ne désespérait pas tout à fait d'être informé des événements du dehors par sa femme, qui, sous le prétexte d'apporter du linge et d'autres objets nécessaires, avait obtenu la permission de venir au Temple une fois par semaine. Elle était toujours accompagnée d'une amie qui passait pour une parente. Le jeudi 6 décembre, madame Cléry arriva avec son honnête et courageuse complice. Son mari, prévenu, descendit au conseil. Tandis que, pour détourner les soupçons des nouveaux commissaires, elle affectait de lui parler à haute voix et de lui donner des détails assez oiseux sur ses affaires domestiques: «Mardi prochain, disait tout bas son amie, on conduit le Roi à la Convention; le procès va commencer; le Roi pourra prendre un conseil; tout cela est certain.»

Le soir, Cléry trouva le moyen, au coucher du Roi, de lui rendre compte de ce qu'il avait appris. Il lui fit pressentir qu'on avait le projet de le séparer de sa famille pendant le procès, et ajouta qu'il ne restait plus que quatre jours pour concerter quelque moyen de correspondance entre le second et le troisième étage. Le lendemain, après le déjeuner, Louis XVI fit part à la Reine des confidences qu'il avait reçues, et la Reine les transmit à Madame Élisabeth. Quelques actes semblaient déjà confirmer la triste annonce du procès. Le Roi venait de rentrer avec son fils dans son appartement, lorsqu'un municipal, à la tête d'une députation de la Commune, vint lui lire, d'une voix qui (p. 67) trahissait son émotion, l'arrêté qui ordonnait «d'enlever aux détenus du Temple, ainsi qu'à ceux qui les servent ou qui les approchent de près, toute espèce d'instruments tranchants ou autres armes offensives et défensives, en général tout ce dont on prive les autres prisonniers présumés criminels.» Louis XVI prit lui-même dans ses poches un couteau et un petit nécessaire de maroquin rouge dont il tira des ciseaux et un canif, et remit ces objets au commissaire. Les envoyés de la Commune firent des recherches dans toutes les pièces du second étage; ils confisquèrent les rasoirs, le compas à rouler les cheveux, le couteau de toilette, de petits instruments pour nettoyer les dents, et d'autres objets d'or et d'argent; puis ils montèrent au troisième, où ils notifièrent le même arrêté. «Si ce n'est que ça, dit la Reine avec un dépit marqué, il faudrait aussi nous prendre nos aiguilles, car elles piquent bien vivement.» Elle en eût peut-être dit davantage si Madame Élisabeth ne lui eût fait signe du coude pour l'inviter au silence. Marie-Antoinette et ses deux compagnes remirent leurs ciseaux. Les municipaux leur prirent jusqu'aux petits meubles utiles à leur travail. «Savez-vous bien, leur dit l'un d'eux, que nous avons ordre de vous enlever aussi Tison et Cléry, et de goûter à tous les mets que l'on vous sert?»

Il faut le dire, les commissaires ne remplissaient pas à la lettre les ordres rigoureux que leur avait transmis le conseil général de la Commune. Les fabricateurs des lois ne les feraient pas toujours si dures s'ils devaient en être les exécuteurs. Quand vint l'heure du dîner, quelques municipaux, sous la pression de l'arrêté dont ils avaient donné lecture, voyaient de graves inconvénients à ce que la famille royale se servît de fourchettes et de couteaux; d'autres consentaient à laisser les fourchettes; la contestation dura quelques instants; enfin, l'influence bienveillante dont nous venons de parler l'emporta, et la majorité décida qu'aucun (p. 68) changement ne serait fait, mais qu'à la fin de chaque repas couteaux et fourchettes seraient enlevés.

La privation des petits instruments de travail retirés aux captives leur devint d'autant plus pénible qu'elles furent obligées de renoncer à différents ouvrages qui jusqu'alors avaient contribué à les distraire des longs ennuis de la prison. Un jour, Madame Élisabeth cousait les habits de Louis XVI, et n'ayant point de ciseaux, elle rompit le fil avec ses dents. «Quel contraste! lui dit le Roi, qui fixait sur elle un regard attendri, il ne vous manquait rien dans votre jolie maison de Montreuil.—Ah! mon frère, répondit-elle, puis-je avoir des regrets quand je partage vos malheurs?»

Le samedi 8 décembre vint au Temple une commission chargée de vérifier les dépenses des détenus. Mandé devant elle pour donner des explications, Cléry eut l'occasion d'apprendre d'un municipal bien intentionné que la séparation de Louis d'avec sa famille, arrêtée seulement par la Commune, n'avait point été encore prononcée par la Convention. De son côté, Turgy était parvenu à se procurer un journal qui contenait le décret portant que Louis Capet serait traduit à la barre de la Convention; il remit à Cléry ce journal, ainsi qu'un mémoire publié par Necker sur le procès du Roi. Le seul moyen que trouva Cléry de communiquer ces deux pièces à la famille royale fut de les cacher sous un vieux meuble dans le cabinet de garde-robe, et d'en prévenir Madame Élisabeth.

La visite de ces deux commissions qui venaient de se succéder à la Tour, l'une chargée d'enlever les armes offensives et défensives, l'autre de régler les dépenses, amena un nouvel arrêté du conseil général qui modifia quelques mesures prises antérieurement[35]. A dater de ce jour, le (p. 69) conseil du Temple fut transféré d'une salle du palais au rez-de-chaussée de la Tour, disposé pour le recevoir. Aux aides de cuisine Turgy, Chrétien et Marchand, il fut interdit de sortir à l'avenir du Temple; quant aux deux officiers municipaux de garde auprès des prisonniers de chaque étage, ils avaient devancé l'ordre formel qu'ils reçurent de demeurer tous deux pendant la nuit dans l'antichambre: depuis le 2 décembre, ils s'étaient, à cet égard, conformés à l'invitation verbale de la Commune.

Aux mesures de précaution exercées dans l'intérieur du Temple répondaient au dehors les dispositions de police les plus sévères. A la veille du jour où l'on allait juger les attentats portés à la souveraineté du peuple et prononcer sur leur auteur, Roland, ministre de l'intérieur, mandait aux administrateurs des départements de Paris qu'il était de leur devoir d'être en séance permanente. Il les prévenait que le conseil exécutif aurait séances extraordinaires tous les jours, matin et soir; qu'il fallait que, sitôt la réception de sa lettre, ils lui envoyassent aux Tuileries une députation, à l'effet de concerter toutes les mesures que nécessiterait (p. 70) la tranquillité publique; qu'il fallait de même qu'à l'instant ils se déclarassent aussi en séance permanente, et que leurs bureaux fussent dans une perpétuelle activité; qu'ils devaient requérir la même permanence de la municipalité, et avoir avec elle et avec le commandant de la force publique une correspondance non interrompue.

Le mardi 11 décembre, dès cinq heures du matin, la générale battait dans tous les quartiers de Paris, et peu d'instants après la cavalerie et le canon entraient dans la cour du Temple. Ce bruit et cet appareil eussent terrifié la famille royale si elle n'en avait pas connu la cause. Elle feignit cependant de l'ignorer, et demanda aux municipaux des explications qu'elle n'obtint pas. A neuf heures, comme les autres jours, Louis XVI et son fils montèrent pour le déjeuner dans l'appartement du troisième étage. Ils restèrent pendant une heure réunis en famille; mais la présence permanente des commissaires mit obstacle à toute confidence et à tout épanchement.

A dix heures, on se sépara: les regards exprimaient seuls ce que les lèvres ne pouvaient dire. L'enfant, comme de coutume, descendit avec son père. A onze heures, deux municipaux vinrent le chercher pour le conduire chez sa mère. Louis XVI demanda le motif de cet enlèvement. Les commissaires répondirent qu'ils exécutaient les ordres qu'ils avaient reçus. Louis embrassa son fils, et chargea Cléry de l'accompagner. Un municipal presque aussitôt rentra chez le Roi pour lui annoncer que le maire de Paris était au conseil avec un nombreux cortége, et qu'il allait monter. Louis XVI resta pendant deux heures d'attente livré à ses tristes pensées. Le secrétaire-greffier de la Commune avait oublié l'ampliation du décret de la Convention, et il avait fallu envoyer chercher cet acte, afin de pouvoir procéder régulièrement. Ce ne fut qu'à une heure que Chambon se présenta, accompagné de Chaumette, procureur (p. 71) général de la Commune, de Coulombeau, secrétaire-greffier, de Santerre, commandant de la garde nationale; le maire annonça à Louis qu'il venait le chercher pour le conduire à la Convention, en vertu d'un décret dont le secrétaire-greffier allait lui faire lecture. Coulombeau lut le décret. A cette expression: Louis Capet sera traduit, etc., «Capet n'est pas mon nom, dit le Roi; un de mes ancêtres l'a porté, mais ce n'est pas celui de ma famille.» Puis, s'adressant à Chambon: «J'aurais désiré, monsieur, que les commissaires m'eussent laissé mon fils pendant les deux heures que j'ai passées à vous attendre. Au reste, ce traitement est une suite de celui que j'éprouve ici depuis quatre mois. Je vais vous suivre, non pour obéir à la Convention, mais parce que mes ennemis ont la force en main.» Deux minutes après, on entendit de la Tour du Temple le bruit de la voiture qui allait jeter devant une assemblée arbitrairement érigée en tribunal le Prince de qui, selon les lois traditionnelles, émanait toute justice, et au nom duquel, pendant plus de dix-huit ans, avaient été rendus tous les arrêts des tribunaux en France. On devine les angoisses des prisonnières, n'ayant autour d'elles que des surveillants ennemis ou indifférents, condamnés au mutisme. Elles virent bientôt entrer chez elles Cléry, amené par un commissaire. Ce municipal, homme d'extérieur honnête et de manières polies, resté seul avec Cléry après le départ du Roi, lui avait appris que Louis ne reverrait plus sa famille, mais que le maire de Paris devait encore consulter quelques membres de la Convention sur cette séparation. Cléry avait profité du bon vouloir de ce commissaire pour se faire conduire près du petit Prince, qui était chez sa mère.

On servit le dîner, comme de coutume, dans la salle à manger du Roi. Le repas fut court et silencieux. Les prisonnières remontèrent aussitôt chez la Reine. Un seul municipal resta près d'elle après le dîner; c'était un jeune (p. 72) homme d'environ vingt-quatre ans, de la section du Temple, et de garde à la Tour pour la première fois. Tandis que Marie-Antoinette liait conversation avec lui, l'interrogeant sur son état, ses parents, etc., Madame Élisabeth passait dans sa chambre et faisait signe à Cléry de la suivre. Elle apprit par lui que la Commune avait résolu de séparer le Roi de sa famille; que la Convention ne s'était pas encore prononcée à cet égard, mais que le maire devait en faire la demande, et que probablement cette séparation aurait lieu dès le soir même. «La Reine et moi, lui dit Madame Élisabeth, nous nous attendons à tout, et nous ne nous faisons aucune illusion sur le sort que l'on prépare au Roi; il mourra victime de sa bonté et de son amour pour son peuple, au bonheur duquel il n'a cessé de travailler depuis son avénement au trône. Qu'il est cruellement trompé, ce peuple! La religion du Roi et sa grande confiance dans la Providence le soutiendront dans cette suprême adversité.... Enfin, Cléry, ajouta Madame Élisabeth, pensant qu'elle parlait à son confident pour la dernière fois, vous allez rester seul près de mon frère, redoublez, s'il est possible, de soins pour lui; ne négligez aucun moyen pour nous faire parvenir de ses nouvelles; mais pour tout autre objet, ne vous exposez pas, car alors nous n'aurions plus personne à qui nous confier.»

Madame Élisabeth et Cléry cherchèrent ensemble les moyens à employer pour entretenir une correspondance. Turgy fut nommé comme seul digne d'être admis dans le secret. On convint que Cléry, comme de coutume, garderait le linge du petit Prince; que tous les deux jours il enverrait ce qui serait nécessaire à cet enfant, et profiterait de cette occasion pour donner des nouvelles du Roi. «Si le Roi étoit indisposé, ajouta Madame Élisabeth, je tiens essentiellement à en être instruite. Prenez ce mouchoir, vous le retiendrez tant que mon frère se portera bien; s'il (p. 73) arrivait qu'il fût malade, vous me l'enverriez dans le linge de mon neveu. Prenez soin de le plier de cette manière-ci si l'indisposition est légère, et de cette manière-là si le mal est plus grave. Avez-vous entendu parler de la Reine aux municipaux? demanda encore Madame Élisabeth avec une sorte de terreur. Savez-vous quel sort on lui réserve? Hélas! que peut-on lui reprocher?—Rien, Madame, répondit Cléry; mais que peut-on reprocher au Roi?—Oh! rien, rien, dit Madame Élisabeth; mais le Roi, peut-être le regardent-ils comme une victime nécessaire à leurs projets, à leur sûreté même, tandis que la Reine, au contraire, et ses enfants, ne sont pas un obstacle à leur ambition.» Et comme Cléry exprimait l'espoir que le Roi ne serait condamné qu'à la déportation: «Oh! je ne conserve aucune espérance», répondit Madame Élisabeth en étouffant un sanglot.

La crainte d'être surpris par un commissaire mit fin à cet entretien, le plus long et le plus libre que Madame Élisabeth ait eu avec le serviteur de son frère. Elle rejoignit la Reine. Tison dit alors à Cléry: «Vous n'êtes jamais resté si longtemps avec Élisabeth; il est à craindre que le municipal ne s'en soit aperçu.—Il n'y a rien à craindre, répondit nonchalamment Cléry; Madame Élisabeth me parlait de son neveu, lequel probablement demeurera désormais auprès de sa mère.» Un instant après, Cléry, rentré chez Marie-Antoinette, était informé par un regard de cette princesse qu'elle était déjà instruite des arrangements concertés.

A six heures, le conseil du Temple manda Cléry, et lui fit lecture d'un arrêté de la Commune lui interdisant toute communication avec la femme, la sœur et les enfants de Capet durant le procès.

A six heures et demie, Louis XVI, escorté comme à son départ, revint à la Tour. Il demande aussitôt qu'on le conduise auprès de sa famille, on s'y refuse. Il insiste pour (p. 74) que du moins on la prévienne de son retour; on lui promet que son désir sur ce point sera satisfait. La Reine, instruite sur-le-champ de son arrivée, demande à le voir; les commissaires répondent qu'ils n'ont pas le droit d'y consentir. Elle le fait demander au maire, qui n'a point encore quitté la salle du Conseil; Chambon ne donne aucune réponse.

Après les agitations de cette journée, et malgré l'obsession des quatre municipaux qui l'environnent, Louis se remet tranquillement à sa lecture. A huit heures et demie, prévenu que son souper est prêt, il dit aux commissaires: «Ma famille ne descendra-t-elle pas?» Point de réponse. «Mais au moins, ajoute-t-il, mon fils passera la nuit chez moi, son lit et ses effets sont ici.» Même silence. En se levant de table, Louis insiste de nouveau sur le désir de voir sa famille; on lui répond qu'on attend la décision de la Convention. Cléry donne alors ce qui est nécessaire pour le coucher de l'enfant. Le Roi se coucha à la même heure et avec le même calme que de coutume.

La même tranquillité était loin de régner au troisième étage: la Reine avait donné son lit à son fils, et resta toute la nuit debout, dans une douleur si morne que sa fille et sa sœur ne voulaient pas la quitter; mais elle les força de rentrer chez elles en les conjurant de se coucher[36], ce qu'elles firent. Marie-Thérèse seule s'endormit bientôt: heureux âge où le sommeil a encore plus d'empire que la douleur!

Le lendemain 12 décembre, la famille séparée demanda encore à se revoir. Mais on lui répondit encore qu'on attendait les ordres de la Convention. Dans la journée, une députation de l'Assemblée apporta au Temple le décret qui autorisait Louis XVI à prendre un conseil. Le Prince désigna Target, un des principaux rédacteurs de la Constitution, à son défaut Tronchet, et les deux s'il lui était permis (p. 75) de les prendre. Il ajouta qu'il serait nécessaire qu'on lui fournît de l'encre, du papier et des plumes. Les députés firent leur rapport à la Convention, qui chargea immédiatement le ministre de la justice de transmettre à Target et à Tronchet le choix que Louis avait fait d'eux pour le défendre, ordonna que les municipaux de service au Temple les laisseraient communiquer librement avec l'accusé, et fourniraient à celui-ci de l'encre, des plumes et du papier. Le jeudi 13, au matin, la députation revint à la Tour, et apprit au Roi le refus de Target, qui se trouvait, disait-il, par l'état d'épuisement de sa santé, dans l'impossibilité d'accepter une tâche qui aurait réclamé toutes ses forces[37]. (p. 76) Elle lui dit qu'on avait envoyé chercher M. Tronchet à sa campagne de Palaiseau, et qu'on l'attendait dans la journée; puis elle lui donna lecture de plusieurs lettres adressées à la Convention, et qui toutes sollicitaient l'honneur que Target venait de refuser. Une de ces lettres était de M. de Malesherbes[38]. Une foule de Français se présentaient, sollicitant aussi la gloire de défendre un prince malheureux. Un grand nombre de pétitions arrivaient de tous les points de la France.

«Je suis sensible aux offres que me font ces personnes de me servir de conseil, répondit Louis XVI, et je vous prie de leur en témoigner ma reconnoissance. J'accepte M. de Malesherbes pour mon conseil. Si M. Tronchet ne peut me prêter ses services, je me concerterai avec M. de Malesherbes pour en choisir un autre.»

Le Roi signa le procès-verbal de son acceptation, et le remit aux députés.

(p. 77) Dans la matinée du 14 décembre, Tronchet se présenta au Temple. Arrêté, selon la consigne, dans le palais qui sépare la cour du jardin, il attendit que les commissaires vinssent l'y reconnaître. Conduit par eux dans la salle du Conseil, il y fut fouillé, puis il fut introduit dans la chambre de Louis XVI, comme le permettait le décret. En présence du jurisconsulte, le Prince se sentant appuyé sur son droit, réclama avec force la faculté de voir sa famille. N'osant ni accueillir ni repousser cette demande, le conseil du Temple en référa au conseil général de la Commune.

Dans la même journée, Malesherbes fut aussi introduit, non sans avoir subi les formalités acerbes qui n'épargnaient personne. «Ah! c'est vous, mon ami? lui dit Louis XVI en le serrant dans ses bras et en le faisant entrer dans la tourelle; vous venez m'aider de vos conseils; vous ne craignez pas d'exposer votre vie pour sauver la mienne; mais tout sera inutile!—Non, Sire, je n'expose point ma vie, et je veux croire que celle de Votre Majesté ne court aucun danger. Sa cause est si juste et ses moyens de défense si puissants!—Si! si! ils me feront périr; mais ce sera gagner ma cause que de laisser une mémoire sans tache. Ma sœur, continua-t-il, m'a donné le nom et la demeure d'un prêtre insermenté qui pourrait m'assister dans mes derniers moments. Je vous prie de l'aller trouver de ma part, de lui remettre ce mot, et de le disposer à m'accorder ses secours. C'est une étrange commission pour un philosophe, n'est-ce pas? Ah! mon ami, combien je vous souhaiterais de penser comme moi! La religion instruit et console tout autrement que la philosophie.—Sire, cette commission n'a rien de si pressé, répondit Malesherbes.—Rien ne l'est davantage pour moi,» reprit le Roi. Le billet portait cette adresse: A monsieur Edgeworth de Firmont, aux Récollets, à Paris.

Les deux défenseurs de Louis écrivirent à la Convention (p. 78) pour réclamer la communication des chefs d'accusation. Dès le lendemain, l'Assemblée, sur le rapport de sa commission des vingt et un, décréta que quatre membres de cette commission, nommés par elle-même, «se transporteraient sur-le-champ au Temple, remettraient à Louis les copies collationnées des pièces probantes de ses crimes, en dresseraient procès-verbal, puis placeraient sous ses yeux les originaux des pièces qui ne lui avaient point été présentées à la barre, et constateraient s'il les a reconnues.»

Dans cette même journée, la Convention s'occupa aussi de la demande qu'avait faite le Roi de communiquer avec sa famille. L'autorisation fut d'abord accordée sans restriction; Tallien prétendit que la Commune de Paris ne se prêterait point à l'exécution d'un tel décret. L'Assemblée se sentit blessée par cette observation injurieuse, et ordonna que son auteur serait censuré et inscrit nominativement au procès-verbal[39]. Cependant l'autorisation déjà donnée fut combattue de nouveau; un moyen terme, qui était un refus déguisé, fut adopté, et vers une heure, le décret suivant fut apporté à la Tour: «La Convention nationale décrète que Louis Capet pourra voir ses enfants, lesquels ne pourront, jusqu'à jugement définitif, communiquer avec leur mère ni avec leur tante.» Louis XVI dit à Cléry: «Vous voyez dans quelle cruelle alternative ils me placent! Je ne puis me résoudre à garder mes enfants avec moi: pour ma fille, cela est impossible, et pour mon fils, je sens tout le chagrin que la Reine en éprouverait; il faut donc consentir à ce nouveau sacrifice. Ainsi, faites transporter son lit dans la chambre de sa mère.»

L'ordre généreux du Roi fut exécuté sur-le-champ. Le jeune Prince avait passé les trois dernières nuits couché sur un matelas. Cléry garda ses habits et son linge, et tous (p. 79) les deux jours il envoyait ce qui lui était nécessaire, selon les conventions secrètes arrêtées avec Madame Élisabeth.

La députation de la commission des vingt et un, dont nous avons parlé, arriva au Temple vers trois heures et demie de l'après-midi. Elle était composée de Borie, Dufriche-Valazé, Poulain-Grandprey et Cochon, et accompagnée de Gauthier, employé au bureau des procès-verbaux de la Convention, nommé secrétaire de la commission; de Varennes, huissier de la Convention, et de Devaux, maréchal des logis des grenadiers de la gendarmerie nationale, commandant l'escorte des députés. Les municipaux vinrent vérifier leurs pouvoirs. L'un d'eux, nommé Périac, fit quelques difficultés pour recevoir Gauthier, Varennes et Devaux. «Le décret, dit-il, ne fait pas mention d'eux, et nous ne pouvons légalement les laisser entrer dans la Tour.» Cet obstacle levé par les autres membres de la Commune, la députation elle-même pénétra avec son entourage dans l'appartement de Louis XVI. Tronchet était près de ce prince. Borie annonça l'objet de la mission dont ses collègues et lui étaient chargés. La grande table de l'antichambre fut dressée au milieu de la chambre du Roi; on y plaça toutes les pièces du procès. Chacun prit place à l'entour: les conventionnels d'un côté, et de l'autre Louis XVI et son défenseur. Les deux commissaires de service s'assirent aussi dans la chambre; l'un d'eux était Mercereau, qui, après avoir travaillé quelque temps au Temple comme tailleur de pierre, y apparaissait cette fois comme membre du conseil général de la Commune.

Conformément aux dispositions du décret, copie fut remise au Roi des pièces qu'on lui avait déjà communiquées à la barre, ainsi qu'une copie de l'inventaire énonciatif de ces pièces. Toutes furent successivement cotées, puis ensuite parafées par Louis XVI et par deux membres de la commission, Grandprey et Cochon. Le parafe du Roi (p. 80) n'était autre que la lettre L majuscule. On lui communiqua ensuite les originaux des pièces qui ne lui avaient point été présentées à la barre, et qui se trouvaient comprises en un second inventaire au nombre de cent sept; Gauthier, secrétaire de la commission, en donnait lecture; Valazé demandait au Roi: «Avez-vous connaissance, etc.?» Louis XVI répondait ordinairement oui ou non, sans autre explication. Borie les présentait à sa signature, ainsi que la copie que chaque fois Grandprey proposait de lui lire, et dont Louis le dispensait toujours. Cochon faisait l'appel par liasse et par numéro, et le secrétaire les enregistrait à mesure qu'elles étaient remises au Roi.

Cette opération, commencée avant quatre heures, ne touchait pas encore à son terme, lorsqu'à neuf heures et demie Louis XVI interrompit la séance pour demander aux députés s'ils voulaient souper. Ils acceptèrent. Cléry leur fit aussitôt servir une volaille froide et quelques fruits dans la salle à manger. Tronchet ne voulut rien prendre, et demeura avec le Roi dans sa chambre. La Convention avait beau faire: la majesté du Roi survivait dans l'abaissement de l'accusé. Où avait-on vu avant cela un prévenu s'occupant des représentants de ses accusateurs comme un hôte s'occupe de ses invités, et veillant à ce que rien ne manquât à ceux qui s'occupaient de préparer son arrêt de mort?

Après le souper, l'interrogatoire du royal accusé fut repris. Quelques-unes des liasses qu'on plaçait sous ses yeux (entre autres les numéros 18 et 53) contenaient des projets de constitution apostillés de sa main; plusieurs autres pièces (cotées 5, 6, 22, 31, 78) étaient également annotées par lui, tantôt avec de l'encre, tantôt au crayon; la lettre cotée 30, adressée à M. de Bouillé, était tout entière de son écriture[40]; calme et presque distrait, il recevait (p. 81) toutes ces pièces comme un grand seigneur reçoit les comptes de son intendant[41]. Minuit sonnait au moment où s'acheva cette longue et pénible séance, en laquelle, au fantôme froid et hypocrite des procédures légales de la Convention nationale, la royauté déchue et accusée n'avait pu opposer que son calme et sa résignation. La commission sortit. Louis prit quelque nourriture, et sans se plaindre de la fatigue qu'il avait éprouvée, il demanda à Cléry si l'on avait retardé le souper de sa famille. Sur sa réponse négative: «J'aurais craint que ce retard n'eût inquiété la Reine et ma sœur», dit-il; puis il fit sa prière, se coucha, et s'endormit.

Malesherbes et Tronchet s'effrayaient, si ce n'est de la gravité, du moins du nombre des pièces d'accusation qu'il leur faudrait réfuter une à une; ils s'effrayaient davantage en réfléchissant que la Convention avait décrété qu'elle entendrait pour la dernière fois l'accusé le 26 décembre. Le Roi d'ailleurs s'opposait absolument à ce qu'ils sollicitassent aucun délai. Malesherbes le premier, craignant d'être vaincu par le temps ou trahi par sa propre force, songea à réclamer le concours d'un jeune avocat qui s'était fait un nom brillant au barreau de Paris; il proposa M. de Sèze à son collègue, et tous deux le proposèrent à Louis XVI. Le Prince ne connaissait M. de Sèze que de réputation. «Faites, dit-il en souriant: les médecins s'assemblent nombreux quand le danger est grand. Vous me prouvez que la maladie est de la dernière gravité; je vous montrerai, moi, que je suis bon malade.» Ses conseils demandèrent donc à l'Assemblée que, vu la brièveté du délai accordé, M. de Sèze leur fût adjoint dans la défense qui leur était confiée. Leur proposition fut accueillie dans la séance du lundi 17 décembre. Le jour même, vers les cinq heures du soir, les trois défenseurs vinrent au Temple, et depuis ce jour (p. 82) jusqu'au 26 décembre, ils virent régulièrement le Roi tous les trois. Ce malheureux Prince se sentait encouragé par leur zèle et leur dévouement; mais le fond de sa pensée était demeuré le même. Un jour, il prit à part M. de Malesherbes, et lui rappela que, dès leur première entrevue, il l'avait chargé d'une négociation qui l'intéressait vivement. «Si je n'ai pas cru, dit Malesherbes, rendre plus tôt compte au Roi de ma mission, je me suis toutefois conformé à ses ordres. M. Edgeworth ne demeure point aux Récollets; il a un pied-à-terre rue du Bac, mais depuis le mois de septembre il habite Choisy-le-Roy. Ne le connaissant point personnellement, je lui donnai rendez-vous chez madame de Sénozan, ma sœur. Là, Sire, je lui ai remis votre message, qui eût été sans doute une invitation pressante pour tout autre, mais qui était et qui est resté un ordre pour un tel homme. Il espère comme moi que la perversité humaine n'exigera jamais qu'il ait à vous donner une aussi cruelle preuve de dévouement. Il m'a chargé de mettre à vos pieds tout ce que lui dictait dans une circonstance si pénible un cœur flétri par la douleur.—Remerciez-le de ma part, répondit Louis XVI, et priez-le de ne pas quitter Paris dans ce moment.»

Cependant Cléry avait trouvé le moyen de faire arriver par Turgy des nouvelles du Roi à Madame Élisabeth. Il fut lui-même, dans la journée du 17, averti par Turgy que cette princesse, en lui remettant sa serviette après le dîner, lui avait glissé dans la main un billet écrit avec des piqûres d'épingle, par lequel elle suppliait le Roi de lui écrire un mot de sa main. Cléry remit au Roi à son coucher ce billet de Madame Élisabeth. Possesseur de papier et d'encre depuis le commencement de son procès, Louis, dès le lendemain matin, écrivit à sa sœur une lettre qu'il remit décachetée à Cléry. «Il n'y a rien là qui puisse vous compromettre, lui dit-il, prenez-en lecture.» Le discret serviteur (p. 83) se permit sur ce point de désobéir à son maître, et remit la lettre à Turgy. Celui-ci rapporta la réponse dans un peloton de fil qu'il fit rouler sous le lit de Cléry en passant près de la porte de sa chambre. Ce mode de correspondance, inauguré ainsi, continua. Louis remettait des billets à Cléry, Cléry les revêtait de fil, de coton ou de laine, et les déposait dans l'armoire où étaient les assiettes pour le service de la table; Turgy presque immédiatement allait les prendre et les remettait à Madame Élisabeth. Moins observé que son camarade, Turgy, pour lui faire parvenir les réponses, avait recours à différents moyens; mais Cléry en inventa un qui remédia à bien des difficultés et épargna bien des périls. La bougie fournie pour le service du Roi était livrée en paquets ficelés; Cléry conserva la ficelle, et lorsqu'il en eut une assez grande quantité, il annonça à son maître qu'il pouvait à l'avenir rendre sa correspondance plus active. La fenêtre de la chambre de Madame Élisabeth répondait perpendiculairement à la fenêtre du petit corridor qui communiquait de la chambre de Louis XVI à celle de Cléry. En attachant les lettres à une ficelle, Madame Élisabeth pouvait donc les laisser glisser de sa croisée à celle de l'étage inférieur; l'abat-jour en forme de hotte placé à la fenêtre du corridor ne permettait pas de craindre que le message pût tomber dans le jardin; la ficelle qui descendrait la lettre pourrait remonter la réponse; on pourrait même, par la même voie, faire parvenir aux princesses un peu de papier et un peu d'encre, ressources dont elles étaient privées. La grande difficulté était levée: Cléry possédait la ficelle! Grâce aux intelligences entre lui et Turgy, Madame Élisabeth fut bientôt instruite du nouveau mode de correspondance qui avait été imaginé. Elle fut mise en possession de la ficelle, et, dans la matinée du 20 décembre, elle avertit Louis XVI qu'elle en ferait usage à huit heures du soir. C'est ainsi que le génie de la captivité (p. 84) inspirait aux membres infortunés de cette famille auguste les moyens de triompher de la surveillance haineuse qui croyait avoir rendu toute communication entre eux impossible.

Ce jour-là, à quatre heures et demie, la députation de la commission des vingt et un, qui s'était présentée au Temple cinq jours auparavant, fut de nouveau introduite auprès de Louis, s'installa comme la première fois autour d'une table, et donna lecture à ce Prince de cinquante et une nouvelles pièces qu'il signa et parafa comme les précédentes. Ce travail dura une heure. Les membres de la commission et les défenseurs de Louis se rencontrèrent au pied de la Tour. Descendus avec les uns, Mathey et un municipal remontèrent avec les autres. Les affaires dont ses conseils devaient l'entretenir ne faisaient point oublier au Roi l'avis qu'il avait reçu de sa sœur. De son côté, Cléry avait tout disposé: il avait fermé la porte de sa chambre et celle du corridor, et s'était mis à causer tranquillement dans l'antichambre avec les commissaires de la Commune. Dès que l'aiguille marqua huit heures à la pendule de sa cheminée, Louis XVI se leva et sortit un instant: ses défenseurs ne se doutèrent point, en le voyant reparaître trois minutes après, qu'il venait de recevoir des nouvelles de sa famille et de lui transmettre lui-même les expressions de sa tendresse.

Le Roi fit monter par cette poste aérienne quelques feuilles de papier blanc qui lui revinrent avec de douces consolations. C'était toujours à huit heures du soir qu'avait lieu cette correspondance.

Louis XVI, depuis quelques jours, souffrait de la longueur de sa barbe; Cléry s'adressa aux municipaux pour obtenir des rasoirs. De leur côté, les princesses demandaient qu'il leur fût prêté des ciseaux pour se couper les ongles. Le conseil du Temple s'assembla pour statuer sur (p. 85) ces deux requêtes, et après un long examen, les renvoya à la décision de la Commune[42]. Celle-ci prit la résolution suivante:

«Le conseil général, considérant que par l'événement du décret qui permet aux conseils de Louis Capet de communiquer librement avec lui, le conseil général n'est responsable que de l'évasion du prisonnier, consent que les rasoirs et les ciseaux demandés par les prisonniers leur soient accordés; arrête en outre que le présent arrêté ainsi (p. 86) que celui pris par les commissaires du Temple seront envoyés à la Convention.»

Par suite de cet arrêté, le conseil du Temple confia deux rasoirs à Louis, à la condition de ne s'en servir que sous les yeux de deux municipaux, auxquels les rasoirs seraient tout aussitôt rendus; il en fut de même pour les ciseaux prêtés aux princesses.

Noël approchait. Madame Élisabeth se préoccupait de la manière dont cette grande fête serait célébrée à Paris. Le lundi soir 24 décembre, Toulan et Lepitre se retrouvèrent ensemble de service au Temple. «La veille de Noël, raconte ce dernier, Chaumette fit arrêter que la messe de minuit ne seroit point célébrée; on lui représenta inutilement que cette défense pourroit donner lieu à quelque émeute; que le peuple n'étoit pas aussi philosophe que Chaumette et qu'il tenoit encore à ses anciens usages. On arrêta que des officiers municipaux ou des membres du conseil se rendroient aux différentes paroisses et s'opposeraient à ce qu'on ouvrît les portes. Qu'arriva-t-il? les membres de la Commune furent bafoués et battus; la messe fut chantée, et Chaumette en devint plus furieux contre la religion et ses ministres. Le 25 décembre, en entrant chez la Reine, je lui avois parlé de cet arrêté de la Commune, dont j'ignorois les suites. Le soir, nous vîmes arriver Beugniau, maître maçon, l'un de mes collègues, le visage légèrement balafré. Ce fut lui qui nous raconta de quelle manière les femmes de la halle l'avoient accueilli à Saint-Eustache.» Madame Élisabeth apprit ces détails sans étonnement et sans chagrin. «Il est bon, dit-elle, que le peuple sache que ceux qui prétendent le rendre libre ne veulent de liberté ni pour sa conscience ni pour ses prières.»

Le jour de Noël, Louis, resté seul avec lui-même, écrivit son testament. Bien que personne n'ignore ces pages de piété, de clémence et de tendresse, nous croyons devoir (p. 87) en reproduire les passages qui se rapportent plus directement à notre sujet:

«Je recommande à Dieu ma femme, mes enfants, ma sœur, mes tantes, mes frères, et tous ceux qui me sont attachés par les liens du sang ou par quelque autre manière que ce puisse être. Je prie Dieu particulièrement de jeter des yeux de miséricorde sur ma femme, mes enfants et ma sœur, qui souffrent depuis longtemps avec moi, de les soutenir par sa grâce s'ils viennent à me perdre, et tant qu'ils resteront dans ce monde périssable.

»Je prie ma sœur de vouloir bien continuer sa tendresse à mes enfants, et de leur tenir lieu de mère s'ils avoient le malheur de perdre la leur.

»Je recommande bien vivement à mes enfants, après ce qu'ils doivent à Dieu, qui doit marcher avant tout, de rester toujours unis entre eux, soumis et obéissants à leur mère, et reconnoissants de tous les soins et les peines qu'elle se donne pour eux, et en mémoire de moi, je les prie de regarder ma sœur comme une seconde mère.»

Le mercredi 26 décembre, le Roi, de peur que le bruit des tambours et le mouvement des troupes n'effrayassent sa famille, pria, dès le lever du jour, les commissaires de la prévenir qu'il allait être conduit à la barre de la Convention nationale. Il était cinq heures quand la voiture et son escorte rentrèrent au Temple: la journée avait été longue pour les prisonnières. Devinant leur inquiétude, Louis, dès qu'il fut rentré dans son appartement, prit la plume, et sans doute il pensa avec tristesse que les mots qu'il traçait avec empressement pour les rassurer ne leur parviendraient que trois heures plus tard. Ce ne fut en effet qu'à huit heures du soir qu'une lettre passait, par un fil invisible, du second au troisième étage de la tour.

Le 1er janvier 1793, Cléry entra avant le jour dans la chambre de son maître, et entr'ouvrant les rideaux de son (p. 88) lit, lui demanda à voix basse la permission de lui présenter des vœux pour la fin de ses malheurs. «Je reçois vos souhaits», lui dit Louis XVI en lui tendant une main que Cléry baisa et mouilla de ses larmes. Le Roi se leva, poussa la porte entr'ouverte de sa chambre, et pria un commissaire d'aller s'informer de sa part de l'état de la santé de sa famille et de lui transmettre l'expression de ses vœux pour la nouvelle année. Les municipaux furent émus de l'accent avec lequel étaient prononcées ces simples paroles, si poignantes dans une telle situation. Le municipal chargé de cette mission rentra bientôt chez le Roi. «Votre famille, dit-il, vous remercie de vos souhaits, et vous adresse les siens.—Quel jour de nouvelle année!» dit Louis XVI.

La jeune Marie-Thérèse tomba malade. Son père fut informé par la correspondance nocturne de sa situation; il s'en inquiéta assez pour ne plus songer à sa position personnelle. Dans ses épanchements avec ses défenseurs, sa parole, ses pensées revenaient sans cesse vers sa famille. «Au milieu de toutes mes tribulations, disait-il, la Providence m'a ménagé de tendres consolations; ma vie a dû un grand charme à mes enfants, à la Reine et à ma sœur. Je ne vous parlerai point de mes enfants, déjà si malheureux..... à leur âge! continua-t-il avec émotion; ni de ma sœur, dont la vie n'a été qu'affection, dévouement et courage. L'Espagne et le Piémont avaient paru désirer son alliance; à la mort de Christine de Saxe, les chanoinesses de Remiremont lui offrirent de l'élire abbesse; rien n'a pu la séparer de moi; elle s'est attachée à mes malheurs comme d'autres s'étaient attachés à mes prospérités! Mais je veux vous entretenir d'un cruel sujet de peine pour mon cœur; c'est de l'injustice des Français pour la Reine.»

Alors il expliqua longuement la conduite de cette princesse, qui, ennemie de l'étiquette et de la contrainte, avait été jugée si sévèrement. «Ses manières, ajouta-t-il, nouvelles (p. 89) à la cour, se rapprochaient trop de mon goût naturel pour que je voulusse les contrarier..... D'abord, le public applaudissait à l'abandon des anciens usages; ensuite, il en a fait un crime..... Les factieux, dit-il en terminant, ne mettent cet acharnement à décrier et à noircir la Reine que pour préparer le peuple à la voir périr. Oui, mes amis, sa mort est résolue. En lui laissant la vie, on craindrait qu'elle ne me vengeât. Infortunée princesse! notre mariage lui promit un trône; aujourd'hui, quelle perspective lui offre-t-il?» L'émotion du Prince avait gagné ses trois défenseurs.

Cependant Louis XVI était toujours préoccupé de la santé de sa fille. Les nouvelles qu'il en recevait chaque soir n'étaient pas entièrement satisfaisantes. Un municipal officieusement chargé par lui de s'informer de l'état des choses avait gardé le silence. Louis craignait que, pour lui épargner de la peine, on ne lui cachât une partie de la vérité. Il confia son inquiétude à ses défenseurs. Ceux-ci promirent de se plaindre au conseil de ce silence, qui devenait une torture de plus pour le Prince captif; mais à huit heures, les ayant quittés un instant, le Roi rentra, et comprimant à regret la joie de son cœur: «Messieurs, leur dit-il avant de se séparer, j'ai réfléchi sur la démarche que vous voulez faire: je vous prie de la remettre à demain, et même de ne la point tenter avant de m'avoir revu.» A leur arrivée, le lendemain, il leur dit: «Je sais maintenant que ma fille est mieux; que Brunyer doit venir la voir, et que la Reine est tranquille. Dieu soit loué!» C'était, on l'a deviné, une lettre de Madame Élisabeth, qui la veille au soir, avait apporté le calme et le bonheur dans l'âme de cet infortuné Prince.

Le procès touchait à sa fin. Le jeudi matin 17 janvier, Paris apprit le vote de mort rendu dans la nuit. A neuf heures, les trois défenseurs arrivèrent au Temple. Cléry alla au-devant (p. 90) d'eux. «Tout est perdu, lui dit Malesherbes, le Roi est condamné.» Louis XVI était assis dans sa chambre, le dos tourné vers la porte, les coudes appuyés sur une table, le visage couvert de ses deux mains. S'étant levé pour recevoir ses visiteurs, il leur dit: «Depuis deux heures, je réfléchissais sur le passé; je recherchais dans ma mémoire si, durant le cours de mon règne, j'ai donné volontairement à mes sujets un sujet de plainte contre moi. Eh bien! je vous le jure en toute sincérité, comme un homme qui va paraître devant Dieu, j'ai constamment voulu le bonheur de mon peuple, et je n'ai pas formé un seul vœu qui lui fût contraire.»

Le contraste des douces paroles du Prince avec l'arrêt de mort qu'on lui apportait, avait jeté le trouble dans l'âme de ses défenseurs. Malesherbes ne put contenir sa douleur; il se jeta aux pieds du Roi, et, suffoqué par les sanglots, il demeura sans voix. Louis XVI le releva et le serra dans ses bras avec effusion: «Je m'attendais à ce que vos larmes m'apprennent; remettez-vous donc, mon cher Malesherbes. Tant mieux; oui, mieux vaut sortir enfin d'incertitude! Si vous m'aimez, loin de vous attrister, ne m'enviez pas le seul asile qui me reste.» Et comme M. de Malesherbes essayait de lui persuader que tout espoir n'était pas perdu: «Non, il n'y a plus d'espoir, dit-il; la nation est égarée, et je suis prêt à m'immoler pour elle.—Sire, en sortant de la Convention, quelques personnes m'ont entouré, et m'ont assuré que de fidèles sujets arracheraient le Roi des mains de ses bourreaux ou périront avec lui.—Les connaissez-vous? demanda le Roi.—Non, Sire; mais je pourrais les retrouver.—Eh bien, tâchez de les rejoindre, et déclarez-leur que je les remercie du zèle qu'ils me témoignent. Toute tentative exposerait leurs jours sans sauver les miens. Quand l'usage de la force pouvait me conserver le trône et la vie, j'ai refusé de m'en servir: voudrais-je (p. 91) aujourd'hui faire couler pour moi le sang français!—Du moins, dit Tronchet, le Roi ne peut nous empêcher de nous servir de tous les moyens légaux. Nous le prions donc d'écrire de sa main et de signer la déclaration que voici.» Pressé par les instances de ses trois amis, Louis copia et signa les lignes suivantes, que Tronchet venait de rédiger sur le coin de la table:

«Je dois à mon honneur, je dois à ma famille, de ne point souscrire à un jugement qui m'inculpe d'un crime que je ne puis me reprocher. En conséquence, je déclare que j'interjette appel à la nation elle-même du jugement de ses représentants, et je donne par ces présentes à mes défenseurs le pouvoir spécial, et je charge spécialement leur fidélité, de faire connoître cet appel à la Convention nationale par tous les moyens qui seront en leur pouvoir, et de demander qu'il en soit fait mention dans le procès-verbal de ses séances.

»Fait à la tour du Temple, ce 16 janvier 1793.»

Ayant tracé cet écrit, le Roi hésitait encore à le remettre à ses conseils. «Donnez, Sire, dit de Sèze, c'est beaucoup plus dans l'intérêt du peuple que dans celui du Roi que nous vous le demandons.—Non, reprit Louis XVI avec une bonté souriante qu'il est impossible de peindre, c'est beaucoup plus dans mon intérêt que dans celui du peuple que vous me le demandez; mais moi, je vous le donne dans son intérêt beaucoup plus que dans le mien. Le sacrifice de ma vie est si peu de chose auprès de sa gloire ou auprès de son bonheur! Et ne croyez pas, messieurs, que la Reine et ma sœur montrent moins de force et de résignation que moi. Mourir est préférable à leur sort.»

Les défenseurs se retirèrent le cœur brisé, et cependant ils ne se doutaient pas qu'ils avaient vu le Roi pour la dernière fois. Le reste de la journée s'écoula lentement; la soirée fut encore plus triste. Louis XVI, comme de coutume, (p. 92) reçut des nouvelles de sa famille; mais les consolations qui s'échangeaient la nuit entre les deux étages se tournaient en afflictions profondes: le crieur avait appris au Temple la condamnation du Roi: femme, sœur, enfants, tout était plongé dans le désespoir.

Guadet appuya l'ajournement demandé par de Sèze, Tronchet et Malesherbes. Merlin (de Douai) et Tallien le combattirent, le premier au nom du droit, le second par pitié. «C'est, dit Merlin (de Douai), dans l'institution des jurés qu'il est question du nombre des voix nécessaire pour la condamnation d'un accusé. Mais il n'en est pas question dans le Code pénal. C'est là l'erreur de Tronchet; il ne faut pas accorder les honneurs de l'ajournement à une erreur aussi grossière.» La Convention, convaincue par cet argument équivoque de l'auteur de la loi sur les suspects, décréta qu'il n'y avait pas lieu à délibérer sur l'ajournement proposé, et ajourna au lendemain la question de savoir si, oui ou non, il y aurait sursis à l'exécution du décret de mort contre Louis.

Tallien s'opposa à la remise de la séance au lendemain. «Je motive mon opinion, s'écria-t-il, sur une raison d'humanité; je le répète, sur une raison d'humanité. Louis XVI sait qu'il est condamné; il sait que la motion a été faite de surseoir à son exécution; ne prolongeons pas les moments de sa souffrance; il est barbare de le laisser plus longtemps dans l'agonie; ne lui donnons pas dix fois la mort.» Cet homme, qui, après une séance de trente-six heures agitée par les passions les plus effrénées, réclamait une solution définitive de la question qui tenait la France et l'Europe en émoi, cet homme, qui invoquait l'humanité avec des cris de sang, ne fut point écouté: sur la demande de la Révellière-Lepaux et de Daunou, l'ajournement pur et simple fut prononcé. Mais la nuit ne porta point conseil aux Legendre, aux Couthon, aux Duhem, aux Robespierre. Dès (p. 93) la séance du lendemain, toute délibération sur le sursis fut écartée par eux et leurs séides. Buzot leur dit en vain: «Le défaut de formes vous sera reproché un jour si vous ne mettez un intervalle entre votre jugement et son exécution; et ce reproche, qui ne vous paraît rien aujourd'hui, vous paraîtra terrible lorsque les passions du moment auront fait place aux malheurs qui suivront l'exécution de ce jugement rendu, d'ailleurs, à une simple majorité de cinq voix.»

Manuel, qui avait aussi donné de terribles gages à la révolution, s'indigna tout à coup des violences et des séductions exercées sur la conscience des députés. Obsédé de remords et sous le coup de cette terreur morale qui se change en courage, il osa, comme l'intrépide Lanjuinais, reprocher aux juges du malheureux Roi la violation de toutes les formes et de tous les principes. Ses complices s'étonnèrent d'un langage nouveau dans sa bouche, et le marquèrent pour le bourreau. Révolté de l'acharnement de Robespierre et de ses adhérents contre toute délibération sur le sursis, il quitta le bureau; on voulut s'opposer à son passage; il sortit néanmoins, et rentra quelques minutes après. Mais le soir, comme il se retirait, il fut assailli par les mêmes députés, et ses jours coururent le plus grand danger. Il ne reparut plus à l'Assemblée, et donna sa démission dans des termes qui rachèteront une partie de ses torts aux yeux de la postérité[43].

(p. 94) Le dimanche 20 janvier, à deux heures, le conseil exécutif vint notifier au prisonnier les décrets qui le condamnaient à la peine de mort. La lecture de ces décrets lui fut faite par Grouvelle, secrétaire du conseil. Le Roi l'entendit sans que la moindre altération parût sur ses traits. Il tira de sa poche un portefeuille dans lequel il plaça le décret qu'il venait de prendre de la main de Grouvelle; puis retirant un autre papier de ce même portefeuille, il dit à Garat: «Monsieur le ministre de la justice, je vous prie de remettre sur-le-champ cette lettre à la Convention nationale.» Garat paraissant hésiter, Louis XVI ajouta: «Je vais vous en faire lecture»; et il lut d'une voix ferme ce qui suit:

«Je demande un délai de trois jours pour pouvoir me préparer à paroître devant Dieu. Je demande pour cela de pouvoir librement voir la personne que j'indiquerai aux commissaires de la Commune, et que cette personne soit à l'abri de toute crainte et de toute inquiétude pour cet acte de charité qu'elle remplira près de moi.

(p. 95)»Je demande d'être délivré de la surveillance perpétuelle que le conseil général a établie depuis quelques jours.

»Je demande, dans cet intervalle, de pouvoir voir ma famille quand je le demanderai, et sans témoins. Je désirerois bien que la Convention nationale s'occupât tout de suite du sort de ma famille, et qu'elle lui permît de se retirer librement où elle le jugeroit à propos.

»Je recommande à la bienfaisance de la nation toutes les personnes qui m'étoient attachées: il y en a beaucoup qui avoient mis toute leur fortune dans leurs charges, et qui, n'ayant plus d'appointements, doivent être dans le besoin, ainsi que d'autres qui ne vivoient que de leurs appointements. Dans les pensionnaires, il y a beaucoup de vieillards, de femmes et d'enfants, qui n'avoient que cela pour vivre.

»Fait à la tour du Temple, le vingt janvier mil sept cent quatre-vingt-treize.

»LOUIS.»

Garat assura le Roi qu'il allait remettre sa lettre à la Convention. «Monsieur, ajouta Louis XVI, si la Convention accorde ma demande pour la personne que je désire, voici son adresse.» Ouvrant alors de nouveau son portefeuille, il en tira un papier sur lequel étaient écrits ces mots: M. Edgeworth de Firmont, rue du Bac, no 483. Le Roi remit cette adresse à un municipal, et fit quelques pas en arrière; Garat et ceux qui l'accompagnaient sortirent[44]. Le ministre se hâta de communiquer à ses collègues les dernières demandes du Roi, d'appeler sur elles les décisions de la Convention, et d'envoyer chercher le prêtre que réclamait le condamné.

Il était quatre heures et demie lorsque Garat lui-même (p. 96) rapporta au Roi la réponse de la Convention, dont voici les termes: «Il est libre à Louis d'appeler tel ministre du culte qu'il jugera à propos, et de voir sa famille librement et sans témoin; la nation, toujours grande et toujours juste, s'occupera du sort de sa famille; il sera accordé aux créanciers de sa maison de justes indemnités; la Convention nationale passe à l'ordre du jour sur le sursis de trois jours.»

Louis XVI ne fit aucune observation. Les moments qui lui restent vont se partager entre sa famille, objet de ses affections terrestres, et son Créateur, qui le rappelle à lui. L'abbé Edgeworth parut bientôt. «Arrivé à l'appartement du Roi, dont toutes les portes étoient ouvertes, a-t-il écrit lui-même, j'aperçus ce Prince au milieu d'un groupe de huit ou dix personnes: c'étoit le ministre de la justice, accompagné de quelques membres de la Commune, qui venoit de lui lire le fatal décret qui fixoit irrévocablement sa mort au lendemain.

»Il étoit au milieu d'eux calme, tranquille, gracieux même; et pas un de ceux qui l'environnoient n'avoit l'air aussi assuré que lui. Dès que je parus, il leur fit signe de la main de se retirer; ils obéirent; lui-même ferma la porte après eux, et je restai seul dans la chambre avec lui. Jusqu'ici j'avois assez bien réussi à concentrer les différents mouvements qui agitoient mon âme; mais à la vue de ce Prince, autrefois si grand et alors si malheureux, je ne fus plus maître de moi-même; mes larmes s'échappèrent malgré moi, et je tombai à ses pieds sans pouvoir lui faire entendre d'autre langage que celui de ma douleur; cette vue l'attendrit mille fois plus que le décret qu'on venoit de lui lire. Il ne répondit d'abord à mes larmes que par les siennes; mais bientôt reprenant son courage: «Pardonnez, me dit-il, monsieur, pardonnez à ce moment de foiblesse, si toutefois on peut le nommer ainsi. Depuis (p. 97) longtemps je vis au milieu de mes ennemis, et l'habitude m'a en quelque sorte familiarisé avec eux; mais la vue d'un sujet fidèle parle tout autrement à mon cœur; c'est un spectacle auquel mes yeux ne sont plus accoutumés, et il m'attendrit malgré moi.»

A huit heures, la conversation fut interrompue par un commissaire qui prévint le Roi que sa famille allait descendre. Louis XVI ne put dissimuler son émotion: «Si l'on ne me permet point de monter chez elle, dit-il aux municipaux, je pourrai du moins la voir seule dans ma chambre?—Non, répondit l'un d'eux, nous avons arrêté avec le ministre de la justice que ce sera dans la salle à manger.—Vous avez entendu, répliqua Louis XVI, que le décret de la Convention me permet de la voir sans témoin.—Cela est vrai, dirent les commissaires, vous serez en particulier; on fermera la porte, mais par le vitrage nous aurons les yeux sur vous.—Faites descendre ma famille.» Le Roi entra dans la salle à manger; Cléry l'y suivit, et s'occupa à ranger la table de côté et à placer des chaises dans le fond. Louis XVI lui dit: «Il faudrait apporter un peu d'eau et un verre.» Sur une table se trouvait une carafe d'eau à la glace; Cléry n'apporta qu'un verre, qu'il plaça près de cette carafe. «Si la Reine buvait de cette eau-là, lui dit le Roi, elle pourrait en être incommodée: apportez de l'eau qui ne soit pas à la glace. Je craindrais que la vue de M. de Firmont ne fît trop de mal à ma famille: priez-le de ne pas sortir de mon cabinet.»

En disant ces mots, Louis XVI prêtait l'oreille au bruit du dehors, allait, venait, s'arrêtait à tout moment à la porte d'entrée..... Enfin cette porte s'ouvre: Marie-Antoinette paraît la première, tenant son fils par la main; ensuite Marie-Thérèse et Madame Élisabeth. Des cris de douleur se mêlent seuls aux embrassements qui s'échangent. La Reine fait un mouvement comme pour entraîner le Roi dans sa (p. 98) chambre. «Non, lui dit celui-ci, passons dans cette salle, c'est là seulement que je puis vous voir.» Ils entrent dans la salle à manger, dont les commissaires referment la porte, qui, ainsi que la cloison, est en vitrage. On s'assied, la Reine à la gauche du Roi, Madame Élisabeth à sa droite, la jeune princesse presque en face, et le petit prince entre les jambes de son père. Pendant plus d'un quart d'heure, pas une parole ne put se faire entendre. Ce n'étaient même pas des larmes, ce n'étaient même pas des sanglots: c'était un cri perçant de désespoir qui devait être entendu dans les cours, dans le jardin et dans les rues voisines. Le Roi, la Reine, leurs enfants, leur sœur, tous se lamentaient à la fois. Enfin les larmes coulèrent, et ne s'arrêtèrent que lorsqu'on n'eut plus la force d'en répandre. Alors Louis XVI parla de son procès comme si c'était le procès d'un autre, excusa ses juges et recommanda de leur pardonner. Sa femme demanda avec instance que toute la famille passât la nuit avec lui; il se refusa cette consolation, en disant qu'il avait besoin de calme et de recueillement.

Cette scène inexprimable dura sept quarts d'heure. Le Roi en voulut marquer la fin de manière à graver ses derniers sentiments dans le cœur de ses enfants. «Mon père, raconte Madame Royale, au moment de se séparer de nous pour jamais, nous fit promettre à tous de ne jamais songer à venger sa mort. Il était bien assuré que nous regardions comme sacré l'accomplissement de sa dernière volonté; mais la grande jeunesse de mon frère lui fit désirer de produire sur lui une impression encore plus forte. Il le prit sur ses genoux, et lui dit: Mon fils, vous avez entendu ce que je viens de dire; mais comme le serment a encore quelque chose de plus sacré que les paroles, jurez en levant la main que vous accomplirez la dernière volonté de votre père. Mon frère lui obéit en fondant en larmes, et cette bonté si touchante fit encore redoubler les nôtres.»

(p. 99) A dix heures un quart, le Roi se leva le premier; tous s'attachèrent à lui: la Reine le prit par le bras droit, Madame Élisabeth par le bras gauche; Marie-Thérèse, du même côté que sa tante, mais un peu devant, tenait son père embrassé par le milieu du corps; le Dauphin, placé devant sa mère, la tenait d'une main et donnait l'autre à son père. Tous firent quelques pas vers la porte d'entrée; les gémissements redoublèrent. «Je vous assure, dit alors Louis XVI, que je vous verrai demain matin à huit heures.—Vous nous le promettez?—Je vous le promets.—Pourquoi pas à sept heures? dit Marie-Antoinette.—Eh bien, oui, répond le Roi, à sept heures; adieu!...» A ce mot d'adieu, Madame Royale tombe évanouie aux pieds de son père. Madame Élisabeth et Cléry la relèvent et la soutiennent. Le Roi, pressé de mettre fin à une telle scène, leur donne un dernier embrassement et s'arrache de leurs bras. Les portes se ferment, mais elles n'empêchent point le Roi d'entendre les cris de désespoir des princesses qui remontent lentement dans leur chambre. L'exaltation de la Reine avait quelque chose de fébrile qui agitait tout son être. Madame Élisabeth, tenant ses genoux embrassés et pleurant à chaudes larmes, la conjura de se calmer, en faisant à Dieu l'offrande de ses angoisses et en implorant sa miséricorde. Dans l'excès de son désespoir, la Reine ne pouvait prier, la Reine ne pouvait être consolée. Elle essaya de déshabiller son fils, accablé lui-même de fatigue et de chagrin; elle espérait qu'à son âge le sommeil s'emparerait bientôt de lui et lui enlèverait le sentiment de ses peines. Mais la pauvre mère présumait trop de ses propres forces, et peut-être sans l'assistance de sa belle-sœur ne serait-elle point parvenue à coucher son enfant.

Dès qu'il fut endormi, Madame Élisabeth et Marie-Thérèse supplièrent la Reine de se coucher. La Reine leur résista longtemps; puis, pour les tranquilliser, elle finit par (p. 100) se jeter tout habillée sur son lit. Mais que cette nuit fut longue et terrible! Depuis onze heures du soir jusqu'à cinq heures du matin, sa sœur et sa fille l'entendirent incessamment trembler de froid et de terreur. Souvent elles avaient prêté l'oreille au bruit de ce qui pouvait se passer dans la tour: elles n'avaient rien entendu.

Le 21, avant le jour, Madame Élisabeth se leva et fit une courte prière, pendant laquelle la Reine s'habilla. Les deux princesses habillèrent alors les enfants. Le rappel commençait à battre dans les sections de Paris. Chaque bruit du dehors retentissait au cœur des prisonniers du Temple. Marie-Antoinette, Madame Élisabeth, les deux enfants, déjà debout, attendaient dans une agitation indicible l'époux, le frère, le père qu'ils ne devaient plus revoir. A six heures un quart, on ouvrit leur porte, et ce fut pour eux tout ensemble comme un rayon d'espoir et un mouvement de terreur. La Reine s'informa douloureusement de ce qui se passait. «Ma sœur, lui dit Madame Élisabeth, c'est un livre qu'on vient chercher pour la messe du Roi. Un instant après, cette sainte princesse se mit à genoux; sa nièce s'agenouilla aussitôt à peu de distance d'elle. La Reine, qui sanglotait en embrassant son fils, se calma à l'aspect de ces deux femmes courbées devant Dieu, et quelques minutes après, elle s'agenouilla avec le Dauphin devant une chaise qui les séparait, mais sur laquelle leurs mains s'entrelaçaient en se joignant. De temps en temps, la Reine levait la tête et regardait la pendule; sa sœur et ses enfants en faisaient autant; chaque minute qui s'écoulait ajoutait aux tortures de cette famille infortunée. Cette aiguille qui marchait allait marquer la mort de ce qu'elles avaient de plus cher au monde. Quoi de plus atroce que de pleurer un mari, un père, un frère plein de vie, comme s'il n'était déjà plus, sans pouvoir arrêter ni le cours inflexible des heures ni la cruauté des hommes aussi implacable que le (p. 101) temps! Un redoublement de bruit se fit dans l'enceinte et au dehors même du Temple. C'était le moment du départ. Nulle parole ne peut rendre la scène déchirante qui se passa alors. De malheureuses femmes en proie au désespoir, essayant d'obtenir une pitié impossible; un enfant s'échappant de leurs bras et courant, éperdu, égaré, vers les commissaires, vers les geôliers, et s'écriant avec des sanglots: «Laissez-moi passer, messieurs, laissez-moi passer!—Où veux-tu aller?—Parler au peuple pour qu'il ne fasse pas mourir mon père. Au nom de Dieu, laissez-moi passer!»

Pauvre enfant! il ignorait que les commissaires étaient sourds, que les geôliers étaient insensibles, que le peuple était opprimé, abusé ou perverti; il ignorait qu'une minorité audacieuse et perverse étouffait tous les élans généreux de la France!

(p. 103) LIVRE NEUVIÈME.
DEPUIS LA MORT DE LOUIS XVI JUSQU'À LA TRANSLATION DE MARIE-ANTOINETTE À LA CONCIERGERIE.
21 JANVIER—2 AOÛT 1793.

«Ne craignez rien de ce que vous avez à souffrir... Soyez fidèles jusqu'à la mort, et je vous donnerai la couronne de vie.»

Apocalypse, chap. II, v. 10.

La voiture qui emportait Louis XVI s'acheminait vers l'échafaud. — Angoisses de sa famille. — La Reine craignant que l'émotion et toute abstinence de nourriture ne fassent défaillir ses enfants, les engage à prendre quelque nourriture. — Entretien avec Cléry. — Vêtements de deuil demandés. — Bruit nocturne. — Paroles de Madame Élisabeth. — La jeune Marie-Thérèse malade. — Mot touchant de cette princesse. — Les vêtements de deuil sont apportés. — Pressentiment de la Reine. — Exhortation de Madame Élisabeth. — Lepitre et Toulan de service au Temple. — Louis XVII chante un couplet adressé à sa tante. — Soins de celle-ci prodigués aux deux enfants. — Projet d'évasion proposé à la Reine et à Madame Élisabeth. — L'exécution est ajournée. — Toulan remet à la Reine l'anneau nuptial et le cachet du Roi. — Sur les instances de Madame Élisabeth, le projet d'évasion est repris. — Au moment de l'exécution, la Reine refuse, ne voulant pas être sauvée sans ses enfants. — Elle remercie Toulan, et lui rend l'anneau et le cachet du Roi, le priant de les remettre à M. de Jarjayes. — Défection de Dumouriez. — Création du Comité de salut public. — Louis XVII proclamé roi à l'étranger. — Acrimonie et cruauté des Tison. — Dénonciation faite par eux à la Commune. — Hébert se rend à la tour. — Fouille à laquelle il préside. — Louis XVII malade. — Le médecin ordinaire des prisons commis pour lui donner des soins. — Lutte des Girondins et des Montagnards. — La commission des douze. — Les barrières fermées. — Michonis. — Graves paroles de Madame Élisabeth et de la Reine. — Le baron de Batz: complot formé par lui pour délivrer la famille royale. — Insuccès fortuit que Simon s'approprie. — Arrêtés du Comité de salut public. — Louis XVII séparé de sa mère et de sa tante. — Désespoir de la Reine; consolations que lui prodigue Madame Élisabeth. — Bruit répandu de l'évasion du petit Capet. — Députation envoyée au Temple pour s'assurer de ce qu'il y a de vrai dans ce bruit. — Réclamations stériles adressées par Marie-Antoinette à cette députation. — Manière dont Drouet rend compte de sa mission à la Convention. — Tison converti par les vertus de la Reine et de Madame Élisabeth. — La femme Tison à leurs pieds est relevée par elles. — Éloge qu'elle fait d'elles à Meusnier. — La femme Tison folle et en proie aux convulsions. Elle est soignée par les princesses, puis conduite à l'Hôtel-Dieu, où une femme de police est placée près d'elle, chargée de recueillir tout ce qu'elle pourra dire dans son délire. — Tison essaye de racheter par son dévouement le mal qu'il a fait aux royales prisonnières, et leur cache avec soin les mauvais traitements que Simon fait subir à leur enfant. — Il leur apprend que presque tous les jours on le conduit au jardin pour y jouer, et souvent aussi (p. 104) sur la plate-forme de la Tour pour y respirer un bon air. — Longues stations de sa mère, de sa tante, de sa sœur, au sommet de la Tour pour y apercevoir passer ce cher enfant. Elles le voient, mais pour leur malheur!

Le bruit sourd qui avait annoncé la sortie du Roi de la tour du Temple se prolongea longtemps, et ce bruit, en s'affaiblissant dans l'espace, ne pouvait qu'aggraver encore les angoisses de sa famille; car à mesure que ce bruit s'éloignait, le Roi se rapprochait de l'échafaud. Marie-Antoinette, craignant que ses enfants, épuisés par le manque de nourriture aussi bien que par la privation du sommeil, n'eussent pas la force de supporter cette terrible épreuve, les engagea, vers dix heures, à prendre quelque nourriture; les pauvres enfants refusèrent, en recommençant à pleurer. Une demi-heure après, des cris de joie et des détonations d'armes se firent entendre. Madame Élisabeth, levant les yeux au ciel, s'écria: «Les monstres! les voilà contents!» A cette exclamation, Marie-Thérèse jeta des cris perçants; son petit frère fondit en larmes; leur mère, le front baissé, les yeux hagards, demeura plongée dans un désespoir morne et immobile qui ressemblait à la mort. Dans l'après-midi, la Reine et Madame Élisabeth demandèrent à voir Cléry: la vue de cet honnête homme resté dans la tour jusqu'au dernier moment avec Louis XVI augmenta tout ensemble et soulagea leur douleur: au récit des adieux et des dernières paroles de celui qui n'était plus, leurs pleurs coulèrent; elles réclamèrent les objets légués par lui, objets précieux dont Cléry venait de faire la déclaration au conseil du Temple, et dont nous parlerons plus loin. Marie-Antoinette fit demander des vêtements de deuil à ce même conseil, qui en référa à la Commune.

Les angoisses de cette journée ne devaient point finir avec elle. Deux heures du matin sonnaient, et le repos n'était point encore venu pour les trois captives. La jeune Marie-Thérèse, par obéissance, s'était couchée, mais elle (p. 105) n'avait point fermé les yeux; sa mère et sa tante, assises auprès du lit du petit Prince endormi, causaient, mêlant leurs afflictions et leurs larmes. Le sommeil de l'enfant était calme, et semblait sourire. «Il a maintenant l'âge qu'avait son frère lorsqu'il mourut à Meudon: heureux ceux de notre maison qui sont partis les premiers! ils n'ont point assisté à la ruine de notre famille.» Surprise d'entendre, à une telle heure, parler chez la Reine, la femme Tison s'était levée; elle frappa à la porte, s'enquérant du motif de ce nocturne entretien. Son mari, qui venait de réveiller les commissaires de service, la suivait de près. Madame Élisabeth entr'ouvrit la porte, et leur dit avec douceur: «De grâce, laissez-nous pleurer en paix.» L'inquisition s'arrêta désarmée par cette voix angélique.

Depuis quelques jours, Marie-Thérèse était indisposée; elle éprouvait dans tout le corps une grande fatigue, et ses jambes étaient enflées. Le chagrin avait fait empirer son mal, et pendant plusieurs jours ses compagnes n'avaient pu obtenir l'entrée de M. Brunyer dans la tour[45]. «Heureusement, dit-elle avec une simplicité touchante, heureusement le chagrin augmenta ma maladie au point de faire une diversion favorable au désespoir de ma mère.» Marie-Antoinette et Élisabeth passèrent les nuits à son chevet, dirigeant, appliquant elles-mêmes le traitement prescrit par le médecin, autorisé enfin à être admis auprès d'elles. Les habits de (p. 106) deuil demandés furent accordés le 23[46]. Dans la journée du 27, on en apporta une partie au Temple[47]. La Reine ne pouvait voir ses enfants vêtus de noir sans que son cœur se brisât. Elle dit un jour à Madame Élisabeth: «Je n'ai peut-être pas donné dans le temps au Roi tous les conseils qui pouvaient le sauver, mais je le rejoindrai sur l'échafaud; oui, ma sœur, j'y monterai aussi.—J'espère que Dieu ne permettra pas un tel malheur, répondit Madame Élisabeth; mais soyons prêtes, ma sœur, à obéir à sa volonté. Il se montre aujourd'hui sévère dans ses châtiments et dans ses vengeances: prions-le de nous donner la force d'accomplir tout ce qu'il exigera de nous.»

Lepitre et Toulan, ces deux commissaires de la Commune qui s'étaient déjà créé par leur zèle des titres à la confiance de la famille royale, reparurent bientôt au Temple, et les pauvres recluses purent obtenir d'eux les détails qu'elles avaient vainement réclamés de leurs collègues. En effet, Toulan et Lepitre avaient pris soin de se munir des journaux qui rendaient compte de la mort du Roi, et ces papiers furent lus avec cette poignante avidité de la douleur empressée à connaître toutes les circonstances les mieux faites pour l'alimenter.

Lepitre, qui avait conçu l'idée d'offrir à la Reine et à Madame Élisabeth des consolations prises à la source même de leurs peines, leur présenta, le jeudi 7 février, une romance qu'il avait composée sur la mort de Louis XVI, et que madame Cléry avait mise en musique. Il se trouva de (p. 107) nouveau de service au Temple le 1er mars, trois semaines après avoir fait hommage de son œuvre; il en reçut la plus douce récompense que son cœur pût ambitionner: la Reine le fit entrer dans la chambre de Madame Élisabeth; Marie-Thérèse se mit au piano, et son frère, debout auprès d'elle, chanta la romance[48], dont le dernier couplet est adressé à Madame Élisabeth; le voici:

«Et toi, dont les soins, la tendresse,
Ont adouci tant de malheurs,
Ta récompense est dans les cœurs
Que tu formes à la sagesse...
Ah! souviens-toi des derniers vœux
Qu'en mourant exprima ton frère;
Reste toujours près de ma mère,
Et ses enfants en auront deux.»

La Reine était assise à côté de son fils, suivant avec attention les modulations émues de sa voix et les dirigeant avec soin. M. Lepitre a raconté cette scène[49]: «Nos larmes coulèrent, dit-il, et nous gardâmes un morne silence. Mais qui pourra peindre le spectacle que j'avois sous les (p. 108) yeux? la fille de Louis à son clavecin; sa mère, assise auprès d'elle, tenant son fils dans ses bras et les yeux mouillés de pleurs, dirigeant avec peine le jeu et la voix de ses enfants; Madame Élisabeth, debout à côté de sa sœur, et mêlant ses soupirs aux tristes accents de son neveu.»

Madame Élisabeth remarquait avec une satisfaction attendrie que la Reine était uniquement occupée de ses enfants, et elle bénissait le ciel du repos qu'il laissait à cette pauvre mère dans l'accomplissement de la seule tâche qui pouvait lui être chère encore. Madame Élisabeth l'y secondait avec tout son dévouement: leur sombre douleur à toutes deux ne s'éclairait d'un rayon fugitif qu'à cause de leur tendresse pour leurs deux enfants, quoique cette tendresse leur rendît souvent plus poignant le sentiment de leurs périls:—leur fille déjà faite aux regrets et aux inquiétudes, mais forte, résignée, et recueillant avec courage les leçons du malheur; près d'elle, son petit frère, animant tout de sa parole et de son sourire. La sollicitude de la Reine et de Madame Élisabeth à l'égard de cet enfant devait s'étendre à tous les soins, car la prière faite par le Roi en allant au supplice de voir Cléry reprendre son service auprès du jeune Prince avait été rejetée par la Commune. Les deux institutrices essayaient, par les ressources qu'elles avaient en elles-mêmes, de suppléer à l'absence des éléments d'instruction nécessaires: l'écriture, la géographie, l'histoire, eurent tant bien que mal leurs heures accoutumées. Quant à l'éducation proprement dite, il est facile de croire que jamais enfant n'avait été placé à meilleure école; car dans quel autre lieu du monde et sous quelle influence plus persuasive eût-il pu recevoir de plus généreuses exhortations et de plus magnanimes exemples? Les recommandations de son père mourant n'étaient-elles pas chaque jour mises en pratique sous ses yeux? Sa mère et sa tante perdaient-elles une occasion d'excuser devant lui leurs persécuteurs, (p. 109) en les représentant égarés par le vertige des passions révolutionnaires bien plus que par le mouvement de leur cœur? Non-seulement elles lui prêchaient le pardon des injures, mais encore, dans les lectures de l'histoire de France qu'elles lui faisaient journellement, elles avaient soin d'exalter les belles actions, les traits de clémence ou d'héroïsme qu'elles y rencontraient.

Madame Élisabeth vit se former avec bonheur, mais non sans inquiétude, le projet conçu par Toulan de faire évader du Temple la Reine et ses enfants; ne songeant jamais à sa propre personne, elle s'effrayait des périls d'une entreprise dont le plan, par sa hardiesse même, plaisait à Marie-Antoinette: celle-ci toutefois, avant de l'adopter, désira qu'il obtînt l'approbation de M. de Jarjayes, homme grave déjà signalé à sa confiance par le succès de quelques missions importantes. Après deux longues conférences, Jarjayes et Toulan arrêtèrent leur plan, qui rendait indispensable l'association d'un second commissaire. Leur choix devait naturellement se porter sur Lepitre. Dans une troisième conférence, où celui-ci fut appelé, on s'entendit sur les moyens d'exécution. M. de Jarjayes se chargea de faire confectionner des habits d'homme pour la Reine et pour Madame Élisabeth, et les deux municipaux s'engagèrent à introduire ces habits dans la tour en les cachant sous la pelisse que l'un et l'autre avaient coutume de mettre par-dessus leur vêtement. Les deux princesses, à l'aide de ce déguisement, rehaussé de l'écharpe tricolore, devaient sortir munies de cartes telles que les avaient les commissaires et toutes personnes autorisées à entrer à la tour. La réalisation de ce plan ne paraissait point offrir de grandes difficultés; mais l'évasion des deux enfants présentait mille dangers aussi insurmontables les uns que les autres. Le petit Prince surtout était l'objet d'une surveillance active et incessante qui rendait pour lui impossible toute chance (p. 110) de salut. Une chance cependant, quoique presque impossible, parut susceptible d'être tentée. Un homme du peuple, nommé Jacques, venait le matin à la tour nettoyer les quinquets et les réverbères, et revenait le soir les allumer. Deux enfants à peu près de l'âge et de la taille des enfants de la Reine l'accompagnaient ordinairement et l'aidaient, dans son travail. Il n'eût pas été prudent de mettre dans la confidence cet employé subalterne qui ne parlait jamais ni aux municipaux ni aux geôliers, et ne connaissait au Temple que sa consigne. Mais voici ce que Toulan imagina: «Le lampiste, dit-il à ses complices, remplit son office entre cinq et six heures; son dernier réverbère est allumé et lui-même est déjà sorti du Temple lorsque, à sept heures, les sentinelles sont relevées. Dès qu'il se sera retiré et que les factionnaires seront relevés, un homme accoutré comme le lampiste, passant à la faveur d'une carte d'entrée sous l'œil des premiers guichetiers, arrivera, sa boîte de fer-blanc au bras, à l'appartement de la Reine; je me trouverai là, et, le gourmandant hautement de n'être pas venu lui-même arranger ses quinquets: «N'avez-vous pas de honte, lui dirai-je, d'avoir envoyé vos deux enfants pour faire votre besogne à votre place?» Puis alors je lui remettrai les enfants de la Reine, et le prétendu lampiste s'en ira avec ses deux jeunes apprentis, et tous trois gagneront le coin des boulevards, où les attendra M. de Jarjayes.»

Ce plan, qui fut agréé par Jarjayes et Lepitre, rendait nécessaire l'adjonction d'un nouveau confident digne d'entrer dans ce généreux complot et de jouer le rôle du lampiste. «J'ai un de mes amis, continua Toulan, homme discret et courageux, qui acceptera, j'en suis certain, sa part de cette périlleuse entreprise. Il se nomme Ricard, et est inspecteur des domaines nationaux. Je réponds de lui.»—On voit, d'après cet exposé, que Toulan se chargeait de présider spécialement aux dispositions relatives à l'évasion (p. 111) de la tour, et Jarjayes aux mesures concernant la fuite hors du territoire français.

Chacun se tint prêt. Ricard, averti, se munit d'un costume parfaitement semblable à celui du lampiste; Jarjayes s'assura de trois cabriolets auxquels, au premier signal et au lieu convenu, devaient s'atteler de vigoureux chevaux. Il fut convenu que la Reine et son fils monteraient dans la première de ces voitures, conduite par M. de Jarjayes; Marie-Thérèse dans la seconde, conduite par Lepitre, et Madame Élisabeth dans la troisième, conduite par Toulan. Une fois son office rempli, Ricard se serait débarrassé de son déguisement, et serait rentré en son domicile sans que personne eût pu soupçonner la part heureuse prise par lui à un événement qui allait occuper le monde.

Le succès de l'entreprise semblait assuré: Lepitre, président de la commission des passe-ports, avait délivré lui-même les passe-ports en règle; les incidents étaient calculés de manière qu'on ne pouvait se mettre à la poursuite des prisonniers que de longues heures après leur départ. Enfin, on avait réuni une somme considérable d'argent, ce nerf de toutes les entreprises. On devait gagner les côtes de la Normandie: Jarjayes s'était assuré des moyens de passer en Angleterre; un bateau se tenait à sa disposition sur un point convenu, près du Havre. Enfin, il n'était point impossible d'espérer que des mesures combinées avec une habileté qui n'avait rien oublié dans ses prévisions et ses calculs, et avec tant d'intelligence et de dévouement, conjureraient cette fois les chances fatales qui emportaient vers l'abîme les débris de la maison de France. Mais il était écrit qu'en toute circonstance la fortune se tournerait contre elle. Cette fois, l'obstacle ne vint pas, comme au voyage de Varennes, du zèle inintelligent de ses amis; il naquit d'un grand mouvement excité le (p. 112) 7 mars dans Paris par la nouvelle du succès des armes étrangères[50] et par la cherté des subsistances. Le lendemain 8 avait été le jour fixé pour l'évasion. On comprend qu'au milieu des émotions causées dans Paris, tout ensemble par l'inquiétude de l'invasion et l'appréhension de la famine, l'entreprise de Toulan dut être forcément remise. Les débats enflammés de la Convention, la violence de la Commune, le tumulte de la rue, tenaient en éveil la sollicitude du gouvernement et provoquaient son attention.

Or sa surveillance, aux jours d'émeute, se portait toujours sur la prison de la famille royale. Celle-ci, qui entendait parfaitement le bruissement tumultueux de la grande ville, ne sachant à quelle cause l'attribuer, craignait que le complot ourdi pour sa délivrance n'eût été éventé, et que ses amis ne fussent compromis. Sa joie fut vive en voyant, le 8, Toulan arriver au Temple, et plus vive encore en apprenant de lui qu'aucune ombre de soupçon ne s'était manifestée. «J'aurais été désolée, lui dit la veuve de Louis XVI, de quitter ce séjour sans en emporter quelques objets qui me sont précieux et qui m'ont été légués par une main qui me fut chère et qui m'est sacrée: je veux parler de l'anneau nuptial et du cachet que le Roi portait toujours, et qu'il avait chargé Cléry de me remettre avec les cheveux de ma sœur Élisabeth et de mes enfants.» Toulan ne fit aucune réponse à ce sujet; mais il n'ignorait pas que Cléry, le jour où il avait été rendu à la liberté, avait, sur les ordres des municipaux, remis au conseil du Temple les effets dont le conseil de la Commune l'avait laissé dépositaire le 21 janvier, et que ces effets, parmi lesquels se trouvaient les objets dont parlait la Reine, avaient été placés sous les scellés dans la chambre du feu Roi. Le surlendemain, avant sa sortie du Temple, Toulan (p. 113) remit à Marie-Antoinette les objets qu'elle avait désirés, et qu'il avait retirés de dessous les scellés.

Il avait eu le temps et l'adresse d'en faire exécuter d'à peu près semblables, et l'audace de les substituer aux premiers. On éprouve un sentiment qui ressemble à une consolation, à voir que la Reine de France, dans tout l'éclat de sa puissance et de sa gloire, à Versailles, n'eût point été servie avec plus de zèle et d'habileté.

L'effervescence des esprits était loin de se calmer. Le 12, la conduite du général Dumouriez était dénoncée à la Convention par la section Poissonnière de Paris; le 13, pour la première fois, la Vendée, déjà frémissante depuis quelque temps, levait ouvertement le drapeau; et d'ailleurs, le tour de service de Toulan et de Lepitre ne pouvant se produire qu'au bout d'un certain nombre de jours, tout projet de délivrance se trouva ajourné. Madame Élisabeth ne s'était pas fait d'illusion sur les difficultés de la tentative, et cependant elle la regretta comme une chance de salut perdue pour la Reine. Les jours suivants amenèrent encore des événements qui ne firent que développer le système de l'intimidation. La surveillance exercée sur l'enfant royal devint extrême. Jarjayes, Toulan et Lepitre, forcés de limiter leur entreprise aux bornes du possible, concentrèrent leur pensée de délivrance sur la Reine et sur Madame Élisabeth. Mais ici se présentait une nouvelle difficulté: comment obtenir de Marie-Antoinette et de Madame Élisabeth de se séparer de leurs enfants? Déjà, à une époque moins affreuse, la Reine avait déclaré que si on voulait la sauver, il fallait sauver ses enfants avec elle. Quant à Madame Élisabeth, on sait que cette grande âme s'oubliait en toute occasion. Elle employa toute l'éloquence de son cœur à persuader à sa sœur que c'était un devoir impérieux pour elle de profiter des ressources qui lui restaient pour échapper à ses ennemis. «Vos jours, lui dit-elle, (p. 114) peuvent être menacés, tandis que ceux de vos enfants et les miens mêmes ne sont exposés à aucun danger. Vos enfants sont couverts par leur âge, et moi par ma nullité. Sans doute, ma sœur, les bruits odieux qui ont quelquefois troublé votre oreille sont imprégnés de l'exagération populaire; mais cependant ils arrivent au vrai lorsqu'ils expriment l'animosité publique excitée contre vous. L'égarement du peuple à votre égard est tel que vous deviendriez coupable d'en attendre les effets. Vous avez une grande confiance en M. de Jarjayes, et, vous le voyez, il vous envoie lui-même ses supplications les plus vives pour vous engager à vous prêter à l'exécution du nouveau plan dont Toulan vous apporte les détails. Peut-être est-ce la main invisible de la Providence qui vous tend cette planche dans le naufrage; ne la repoussez pas, je vous en supplie: je vous le demande au nom de vos enfants, au nom de celui dont la mémoire vous est sainte, et, si vous le permettez, au nom de mon amour pour vous.»

La voix pénétrante de Madame Élisabeth se fit route au cœur de la Reine. Celle-ci approuva le plan; elle promit de s'y conformer. Le jour fut pris, le jour arriva... La veille au soir, la mère et la tante étaient assises au chevet du lit du jeune Prince endormi. Sa sœur était couchée aussi, mais la porte de sa chambre était ouverte, et Marie-Thérèse, occupée de l'air rêveur et triste qu'elle avait vu à sa mère toute la journée, n'avait point encore rencontré le sommeil. Elle entendit ainsi les paroles que plus tard elle a répétées. Cédant au sacrifice qu'on lui avait demandé, Marie-Antoinette était donc assise auprès du lit de son fils: «Dieu veuille, dit-elle, que cet enfant soit heureux!—Il le sera, ma sœur, répondit Madame Élisabeth en montrant à la Reine la figure douce et fière du Dauphin.—Toute jeunesse est courte comme toute joie, murmura Marie-Antoinette avec un serrement de cœur; on en finit avec le (p. 115) bonheur comme avec toute chose.» Puis, se levant, elle fit quelques pas dans sa chambre en disant: «Et vous-même, ma bonne sœur, quand et comment vous reverrai-je?... C'est impossible! c'est impossible!»

La jeune Marie-Thérèse avait recueilli ces paroles, mais ce n'est que quelque temps après que le sens lui en fut expliqué par sa tante. Cette exclamation de la Reine n'était autre chose que le rejet du moyen de salut qui lui était offert. Son parti était pris: l'amour de ses enfants l'emportait sur toute autre considération, sur les prières de sa sœur, sur l'instinct de sa propre conservation, sur la parole même donnée au dévouement de ses courageux amis. Toutefois, se reprochant presque comme un parjure une promesse qu'elle ne voulait plus tenir, elle sentit qu'elle devait des explications et une amende honorable à ces âmes généreuses, résolues à s'exposer pour elle; et le lendemain, aussitôt qu'elle put parler à Toulan, qui arrivait tout ému de la grande action qu'il allait accomplir: «Vous allez m'en vouloir, lui dit-elle, mais j'ai réfléchi; il n'y a ici que danger: vaut mieux mort que remords.» Dans le cours de la journée, elle trouva encore le moyen de glisser dans l'oreille de Toulan ces paroles dont se souvenait cet homme intrépide en montant sur l'échafaud le 30 juin 1794: «Je mourrai malheureuse si je n'ai pu vous prouver ma gratitude[51].—Et moi, madame, malheureux si je n'ai pu vous (p. 116) montrer mon dévouement.—D'après ce qui se passe, dit encore la Reine, comme frappée d'une sinistre prévision, je puis m'attendre d'un instant à l'autre à me voir privée de toute communication. Voici l'alliance, le cachet et le petit paquet de cheveux que je dois à vous seul d'avoir recouvrés. Je vous charge de les déposer entre les mains de M. de Jarjayes, en le priant de les faire parvenir à Monsieur et au comte d'Artois, ainsi que des lettres que ma sœur et moi avons écrites à nos frères[52]

Madame Élisabeth écrivait ces lignes à Monsieur:

«Je jouis d'avance du plaisir que vous éprouverez en recevant ce gage de l'amitié et de la confiance; être réunie avec vous et vous voir heureux est tout ce que je désire: vous savez si je vous aime. Je vous embrasse de tout mon cœur.

»E. M.»

Et au comte d'Artois:

«Quel bonheur pour moi, mon cher ami, mon frère, de pouvoir, après un si long espace de temps, vous parler de tous mes sentiments! Que j'ai souffert pour vous! Un (p. 117) temps viendra, j'espère, où je pourrai vous embrasser, et vous dire que jamais vous ne trouverez une amie plus vraie et plus tendre que moi; vous n'en doutez pas, j'espère.

»E. M.»

Ce ne fut que dans les premiers jours de mai que M. de Jarjayes put faire parvenir ces messages à leur destination, le cachet et le paquet de cheveux au comte de Provence, et l'anneau et les cheveux de Louis XVI au comte d'Artois[53].

Le gouvernement révolutionnaire rencontrait dans sa marche obstacle sur obstacle. Le midi de la France semblait répondre aux cris de la Vendée. Les puissances liguées contre la France, heureuses de voir les torches de la guerre civile allumées dans nos provinces, se partageaient tranquillement les lambeaux de la Pologne. Dumouriez, qui venait de livrer à l'Allemagne le ministre de la guerre et les commissaires de la Convention, mettait à l'abri des lignes autrichiennes sa tête cotée à trois cent mille francs. L'annonce de ces événements dictait à la Commune de nouvelles mesures de précaution[54]; elle inspirait (p. 118) à la Convention de nouveaux décrets qui faisaient doubler la garde du Temple[55], créaient un comité de salut (p. 119) public et mettaient en arrestation toute la famille des Bourbons. Ces mouvements, qui agitaient la France et l'Europe, ne troublaient pas le morne intérieur de la tour du Temple; et le fils de Louis XVI, reconnu Roi de France par l'étranger, proclamé sous le nom de Louis XVII sur quelques points du territoire national, n'avait pour palais qu'une prison, pour courtisans, pour ministres et pour gardes qu'une mère assiégée par toutes les angoisses, mais armée d'un caractère aussi grand que ses malheurs; qu'une sœur plus âgée que lui, assez âgée, hélas! pour partager les douleurs de sa mère et pour comprendre l'abaissement de sa famille; qu'une tante enfin qui, portant le ciel dans son cœur, avait le don d'apaiser les plus vives douleurs par le baume de sa parole, et de rasséréner les âmes par son regard.

Tison et sa femme remplissaient jusqu'au bout la mission odieuse dont ils s'étaient chargés. Le petit Prince, comme s'il les eût pénétrés, les avait pris en horreur. Malgré les recommandations de sa mère et de sa tante, il lui était impossible de déguiser les sentiments qu'ils lui inspiraient. Gourmandés un jour assez vertement par Vincent, commissaire de service, les deux Cerbères imputèrent aux dénonciations de Louis-Charles la réprimande qu'ils recevaient. Le soir, dès que Vincent eut été remplacé, ils entrèrent chez la Reine, et se répandirent en récriminations contre l'enfant, en lui jetant les épithètes d'espion et de délateur, qu'ils auraient pu si justement s'appliquer à eux-mêmes. Marie-Antoinette leur répondit avec dignité: «Sachez qu'aucun des nôtres n'est d'un caractère à frapper les gens dans l'ombre ni moi à le tolérer.» Le ménage Tison se retira blessé au vif, vomissant des imprécations contre la Reine et des malédictions contre son enfant. Celui-ci protestait avec énergie, avec indignation. «Ils sont en colère, lui dit avec douceur Madame Élisabeth; (p. 120) pardonnez-leur.» Ces derniers mots furent entendus de Tison; il revint sur ses pas comme un furieux: «Pardonnez-leur! cria-t-il; ah çà, où sommes-nous? oubliez-vous que c'est le peuple seul qui a le droit de pardonner?»

Tison continua avec un redoublement de zèle son rôle d'espionnage. Les trames de Toulan, quoique cachées avec une extrême habileté, n'avaient point été ourdies de façon que l'ombre de chaque fil fût demeurée imperceptible à cet Argus du Temple. Mais suspect aux commissaires modérés, il ne recevait jamais d'eux la moindre confidence, et le soupçon était entré dans son esprit bien plus par instinct que par observation. Il comprit que, pour arriver à tout savoir, il fallait capter la confiance des municipaux. Il se fit souple avec les inconnus, bienveillant avec les honnêtes, et demeura rude avec les rébarbatifs, tout en allant jusqu'à exalter devant les sensibles la gentillesse du jeune Capet. Quand l'hypocrite crut avoir conquis la sympathie de quelques mandataires de la Commune, bien qu'il n'eût encore que de vagues soupçons, il écrivit, de concert avec sa femme, le 19 avril, au conseil du Temple, que la veuve et la sœur du dernier tyran avaient gagné quelques officiers municipaux; qu'elles étaient instruites par eux de tous les événements; quelles en recevaient les papiers publics, et que, par leur moyen, elles entretenaient des correspondances[56]. En témoignage de ce dernier fait, la femme (p. 121) Tison apporta au conseil un flambeau trouvé par elle dans la chambre de Madame Élisabeth, et fit remarquer aux commissaires une goutte de cire à cacheter qui était tombée sur une bobèche. Turgy, en effet, raconte[57] que, le matin même, cette princesse lui avait remis un billet cacheté en le priant de le faire parvenir à son confesseur, l'abbé Edgeworth.

Hébert se rendit le lendemain à la tour, non pas dans le courant de la journée, où la famille royale vivait sur un qui-vive continuel, mais à dix heures et demie du soir, (p. 122) quand devait être commencée pour elle l'heure de la quiétude intérieure. Espérait-il, en arrivant à l'improviste, les prendre en flagrant délit de correspondance clandestine? La citoyenne Tison fut requise pour fouiller les femmes. Elle trouva sur Marie-Antoinette un portefeuille de maroquin rouge sur lequel quelques adresses étaient écrites au crayon, et chez Madame Élisabeth, le bâton de cire à cacheter mentionné plus haut, et qui était enfermé dans un papier avec de la poudre de buis. Encouragés par ces découvertes, les inquisiteurs se remirent à l'œuvre. Ils arrachèrent de son lit l'enfant qui dormait profondément: sa mère le prit tout transi de froid dans ses bras. Ils fouillèrent dans les matelas, dans les paillasses, dans les vêtements, et ne trouvèrent rien. Nous nous trompons: en fouillant dans les effets de Marie-Thérèse, ils firent une découverte. «Ils me prirent, dit Madame Royale dans le récit qu'elle a laissé de la captivité du Temple, ils me prirent un Sacré-Cœur et une prière pour la France.» La visite ne se termina qu'à deux heures du matin[58].

(p. 123) Trois jours après, les commissaires de la Commune envoyés au Temple pour lever les scellés apposés sur l'appartement de Louis XVI firent de nouvelles perquisitions dans celui des prisonnières. Ces perquisitions demeurèrent sans résultat; on trouva seulement un chapeau d'homme enfermé dans une cassette placée sous le lit de Madame Élisabeth. «D'où vient ce chapeau?—C'est un chapeau qui a appartenu à mon frère, dit Madame Élisabeth.—Qui vous l'a donné?—Lui-même, quand nous habitions ensemble la petite tour.—Pourquoi est-il là, et à quoi peut vous servir le chapeau de votre frère?—Je le garde pour conserver quelque chose de lui.—Nous, nous allons le conserver dans la salle du conseil, comme un témoignage de vos relations avec le dehors du Temple; car Capet n'avait qu'un chapeau, et il l'a laissé sur les marches de la (p. 124) guillotine.—Je vous assure, messieurs, que ce chapeau me vient de mon frère; c'est la seule chose que je possède de tout ce qui lui a appartenu.—Je vous fais observer qu'il n'est guère d'usage de conserver un chapeau comme un gage de tendresse.—Il m'est très-précieux, et je vous prie instamment d'obtenir qu'il me soit rendu.»

Cependant les commissaires dénoncés par Tison avaient été suspendus de leurs fonctions. Le conseil de la Commune eut plus que jamais l'œil et la main sur le Temple. Toute consolation s'éteignit autour des prisonnières. Pour surcroît de tourment, le petit Prince tomba malade dans les premiers jours du mois de mai. Marie-Antoinette demanda qu'on laissât entrer à la tour M. Brunyer, médecin ordinaire de ses enfants. Le conseil du Temple en référa au conseil général de la Commune. Celui-ci, «dans sa séance du 10 mai, arrêta que le médecin ordinaire des prisons irait soigner le petit Capet, attendu que ce serait blesser l'égalité que de lui en envoyer un autre.» Du reste, M. Thierry, médecin des prisons, était environné de l'estime publique. Il se rendit avec empressement au Temple, et ayant examiné le Dauphin, rassura tout d'abord la Reine et Madame Élisabeth sur sa situation. A leur prière, il alla conférer avec M. Brunyer, en qui elles avaient toute confiance, et pendant plusieurs semaines, revint chaque jour à la tour. Cette indisposition, quoique n'offrant pas un danger sérieux, ne laissa pas que de tenir en haleine jour et nuit les sollicitudes de ces deux cœurs maternels attachés au chevet du jeune malade pendant tout le temps que dura le traitement.

La grande lutte des Girondins et des Montagnards, les événements de la Vendée, les hécatombes de la guillotine qui allaient se multipliant, les cent événements qui remuaient profondément la ville, n'avaient pu arracher la Reine et Madame Élisabeth à leurs préoccupations, lorsque, (p. 125) le 31 mai, elles entendirent un tel bruit au dehors qu'elles se figurèrent que le quartier brûlait. La générale, le tocsin et le canon d'alarme ébranlaient la ville: au Luxembourg, à Saint-Lazare, à l'Abbaye, dans toutes les prisons d'État, les détenus poussaient des cris pitoyables, s'imaginant entendre à leur porte les massacreurs de septembre. Madame Élisabeth interroge les municipaux. «Bah! lui répondit l'un d'eux, c'est la commission des douze qui cause tout ce tapage.» En effet, la cité révolutionnaire était sens dessus dessous: une commission de douze députés, chargée de rechercher les complots ourdis contre la liberté, était publiquement accusée d'exercer contre les meilleurs patriotes la plus inique inquisition. C'était là le thème exploité avec ardeur par les séides de Robespierre, qui espérait qu'une insurrection le pousserait à la dictature. Le décret qui créait cette commission, rendu le 18 mai, cassé par un décret du 27, rétabli par un décret du 28, tant étaient rapides le flux et le reflux des volontés et des événements dans ces temps de crise, avait fait sortir de dessous terre toute la population anarchique de Paris. Les barrières furent fermées; un décret d'accusation fut lancé «contre tous les députés infidèles au mandat qu'ils avaient reçu de leurs commettants, afin de s'emparer des traîtres et de découvrir les complots formés pour la perte de la République.» Cette journée, qui assurait la prééminence aux Montagnards, fut fertile en dénonciations contre les hommes soupçonnés d'être les agents actifs de la famille royale ou ses partisans secrets. L'épouvante qu'elle inspirait au dehors, la Convention la ressentit au dedans. Elle livra ses chefs pour se faire pardonner par la Montagne de les avoir soutenus. La chute des Girondins produisit une impression de terreur dans toute la France. Ils étaient, relativement à leurs antagonistes, la dernière expression des idées modérées. On comprit que leur chute faisait arriver les hommes (p. 126) et les théories extrêmes, et on les regretta de toute la crainte qu'inspiraient leurs héritiers.

Parmi les membres de la Commune que les dénonciations n'avaient point épargnés se trouvait Michonis, qui avait eu l'adresse de traverser sans se compromettre les circonstances les plus difficiles, et d'écarter par d'habiles apologies des soupçons qui devenaient un arrêt de mort. De service au Temple, il instruisit les princesses des événements qui venaient de se passer, et essaya de les rassurer sur les intentions des Montagnards. «Monsieur Michonis, lui dit Madame Élisabeth, les hommes de la révolution qui ont rompu avec l'idée de Dieu ne s'appartiennent pas, et ils ignorent eux-mêmes où Dieu les mène.» Et comme ce commissaire disait à Marie-Antoinette qu'elle serait probablement réclamée par l'Empereur: «Que m'importe! répondit la Reine avec une douleur calme et froide; à Vienne, je serais ce que je suis ici, ce que j'étais aux Tuileries; mon unique désir est de me réunir à mon mari lorsque le Ciel jugera que je ne suis plus nécessaire à mes enfants.»

Les graves paroles des deux prisonnières avaient fait une profonde impression sur l'esprit de Michonis. Il crut comprendre qu'il n'y avait plus de salut pour elles que dans la fuite. Il entra dans un complot tendant à enlever de leur prison la veuve, la sœur et les enfants de Louis XVI. Le baron de Batz était le chef de cette hasardeuse entreprise, dont nous emprunterons le récit à notre Histoire de Louis XVII.

«Les recherches dont M. de Batz était l'objet depuis la tentative du 21 janvier n'avaient point éloigné de Paris cet intrépide serviteur d'une cause que le malheur rendait si belle, et qui exerçait en outre sur les âmes magnanimes la séduction irrésistible du péril. La lutte opiniâtre de cet homme contre le pouvoir redoutable qui opprimait la nation (p. 127) est une des merveilles de ce temps. Partout présent et toujours invisible, aussi habile à dresser ses embûches qu'à esquiver celles de l'ennemi, il avait à sa dévotion les agents les plus prudents, et à ses gages les espions les plus actifs. Sa parole était plus insinuante encore que sa bourse n'était persuasive; et, avec une admirable adresse, il avait gagné plusieurs membres de la Commune et de la Convention, qui, si les circonstances ne leur permirent point de lui apporter une coopération efficace, lui restèrent du moins fidèles par un inviolable silence. Conspirateur acharné, ses entreprises manquées, il les recommençait avec une nouvelle ardeur, et il restait intrépidement dans cette ville où sa tête était mise à prix. Son nom entraînait toujours de graves mesures, des perquisitions sévères. L'insaisissable conjuré avait des asiles impénétrables dans Paris et dans les environs; mais son gîte le plus habituel et peut-être le plus sûr était chez Cortey, épicier, rue de la Loi[59], recommandé par sa réputation de civisme aux suffrages de ses concitoyens, qui l'avaient nommé capitaine-commandant de la garde nationale de la section Lepelletier. Cortey était lié aussi avec Chrétien, qui était juré du tribunal révolutionnaire, et dont l'influence était toute-puissante dans les comités de cette section. Ce fut grâce à lui que Cortey fut compris au nombre des chefs de poste auxquels était confiée la garde du Temple, lorsqu'un détachement de leur bataillon y faisait partie de la force armée. A couvert sous la bonne renommée révolutionnaire de son hôte, et caché dans le fond de sa maison, le baron de Batz lui confia ses projets, ainsi qu'à Michonis, et prit de concert avec eux toutes les mesures relatives à l'exécution. Après cette ouverture, la première fois que Cortey fut de garde au Temple, Batz lui demanda de le comprendre, sous un nom supposé, dans la liste des hommes que sa (p. 128) compagnie fournissait à ce poste, afin qu'en s'introduisant ainsi dans la tour, il pût se faire, au préalable, une idée exacte des localités. L'officier se prêta à son désir: il l'inscrivit, sous le nom de Forget, au contrôle des hommes de service, et le fit ainsi pénétrer dans le Temple, où il monta la garde. Il fallait aussi, pour l'exécution du plan arrêté, attendre que le tour de garde de Cortey coïncidât avec le tour de service de Michonis. Le concours des deux autorités était indispensable, et plusieurs jours s'écoulèrent avant que le capitaine et le commissaire civil fussent simultanément en fonction. Batz profita de ce temps pour s'assurer, conjointement avec son hôte, d'une trentaine d'hommes de la section dont ils avaient l'un et l'autre entrevu les sentiments, apprécié le caractère ou éprouvé la discrétion. La bonhomie de Cortey séduisit les uns, la parole flatteuse de Batz entraîna les autres. Michonis, avec sa prudence habituelle, ne parut point de sa personne dans ce périlleux embauchage: il se réservait, du reste, un rôle aussi courageux en se chargeant de tout diriger dans l'intérieur de la tour.

»Le jour attendu arrive: l'officier et le municipal sont ensemble de service. Cortey entre au Temple avec son détachement, dans lequel figure de Batz, sous son nom de guerre. Le chef du poste arrange le mouvement du service de la manière la plus favorable au succès de l'entreprise: vingt-huit hommes sur lesquels il peut compter seront, depuis minuit jusqu'à deux heures, de faction ou de patrouille; le commissaire civil, de son côté, prend ses mesures pour être lui-même de garde à la même heure dans l'appartement de la famille royale. Les hommes de faction dans l'escalier de la tour auront endossé par-dessus leur habit d'amples redingotes d'uniforme; Michonis leur prendra ce vêtement surabondant et en revêtira les Princesses, qui, sous ce déguisement et l'arme au bras, seront (p. 129) incorporées dans une patrouille au milieu de laquelle on enveloppera l'enfant-Roi. Les sentinelles de garde dans les cours, initiées au secret, se tairont si la nuit est peu noire ou les réverbères peu discrets. Cortey commandera en personne la nombreuse patrouille et lui fera ouvrir la grande porte du Temple, prérogative qui n'appartient pendant la nuit qu'au commandant du poste. Une fois dehors, le salut du Prince et de sa famille est assuré: des voitures sont disposées pour une fuite rapide, rue Charlot, où la patrouille en passant doit laisser les prisonniers ainsi que Batz, Michonis, Cortey, et quelques autres qui comme eux ont brûlé leurs vaisseaux.

»La journée, qui s'était passée sans aucun symptôme d'orage, semblait présager une nuit heureuse. Il était onze heures et demie. Michonis déjà depuis quelque temps était de service dans l'appartement des prisonniers, et ses collègues se reposaient ou jouaient dans la salle du Conseil, à l'exception de Simon, qui depuis environ une heure était sorti de la tour. Tous les hommes qui allaient prendre leur tour de garde à minuit étaient au poste. Tout à coup Simon arrive, il entre bruyamment au corps de garde, il ordonne d'un ton brusque de faire l'appel de tous les hommes présents: «Heureusement que je te vois ici, dit-il à Cortey, sans ta présence je ne serois pas tranquille.» M. de Batz voit que tout est découvert; la pensée lui vient de brûler la cervelle à Simon et de tenter immédiatement l'évasion par la force. Maîtrisant son premier mouvement, il a vite compris que l'explosion d'une arme à feu, en causant une alerte générale, fera échouer son entreprise et aggravera forcément le sort de la famille royale; il a compris que, n'étant pas encore maître des postes de la tour et de l'escalier, les hommes mêmes qui l'environnent et sur lesquels il pouvait compter pour une complicité passive, lui feront peut-être défaut s'il s'agit d'une coopération active et énergique, (p. 130) et, après tout, d'une mort presque certaine. Batz est demeuré impassible; l'appel terminé, Simon est monté à la tour; il exhibe un ordre du conseil général qui enjoint à Michonis de lui remettre ses fonctions et de se rendre sur-le-champ à la Commune. Michonis écoute sans surprise, obéit sans hésitation; il rencontre Cortey dans la première cour: «Que signifie tout cela? lui dit-il.—Sois tranquille, lui répond tout bas le capitaine, Forget est parti.»

»En effet, le chef du poste n'avait pas perdu une minute. Aussitôt que Simon lui eut tourné le dos pour monter à la tour, il avait, sous le prétexte d'un bruit entendu dans la rue voisine, lancé au dehors une patrouille de huit hommes qui n'étaient revenus que sept. Le sang-froid de Batz, la présence d'esprit de Cortey avaient sauvé la vie à tous.

»Simon n'était pas resté inactif; il avait fait une perquisition dans l'appartement des Princesses, dans les tours et dans toutes les dépendances de l'enclos; il avait interrogé tous les préposés: ses recherches étaient restées sans résultat. Rien de suspect ne lui était apparu dans l'enceinte du Temple; tout y était calme comme de coutume. Honteux de l'alarme inutile qu'il a causée, Simon fait après coup doubler tous les postes; il cherche ainsi, par les précautions qu'il prend, à accréditer l'idée d'un danger auquel il ne croit plus.

»Or, voici ce qui s'était passé d'après le dire de Simon. Un gendarme d'ordonnance au Temple avait trouvé le soir, vers neuf heures, gisant sur le pavé devant la grande porte, un papier sans adresse, portant sous son pli cacheté ces mots: «Michonis vous trahira cette nuit: veillez!» Ce papier, ouvert par le gendarme, avait été remis par lui à Simon, le seul des six[60] commissaires du jour qu'il connût (p. 131) particulièrement. Simon s'était rendu en toute hâte avec ce billet au conseil général, qui lui avait intimé l'ordre de relever son collègue de ses fonctions et de l'inviter à se rendre sans retard à la barre de la Commune.

»Docile à cet appel, Michonis eut à subir le plus minutieux interrogatoire. Il répondit à tout avec adresse, réfuta avec une bonhomie pleine d'autorité cet écrit anonyme forgé par quelque adversaire politique pour le compromettre, et représenta d'ailleurs Simon, ce qui était vrai, comme son ennemi personnel. La physionomie ouverte et l'apparente candeur du prévenu lui avaient déjà gagné l'absolution, lorsque le lendemain matin son antagoniste nocturne ayant rendu compte du résultat si stérile de sa mission, le conseil général demeura convaincu que si avec son humeur inquiète Simon était capable de rêver un complot, (p. 132) Michonis avec son franc caractère était incapable d'en former un.»

A quoi tiennent les destinées humaines! Sans ce mot anonyme jeté dans un ruisseau et fortuitement trouvé par un gendarme, il est probable que la famille royale échappait à ses geôliers, et que la révolution française n'eût point été flétrie par le meurtre juridique de deux femmes, et par le meurtre plus lent et plus exécrable encore d'un enfant de dix ans.

Méconnu par la Commune, Simon chercha ailleurs un appréciateur de son zèle. Il instruisit Robespierre de l'avis qu'il avait reçu et des machinations qui ne cessaient de se produire au Temple. Les dénonciations de Simon trouvaient toute créance de ce côté. Le dominateur n'ignorait pas que la conspiration était partout, que le nom du fils de Louis XVI était l'objet permanent des espérances royalistes aussi bien que le prétexte des récriminations révolutionnaires. C'était toujours pour un enfant et contre un enfant que se tramaient tous les complots plus ou moins obscurs de cette époque; hier c'était un projet d'évasion médité dans l'ombre, aujourd'hui une conspiration armée à la tête de laquelle se trouvait le général Dillon. Les commérages de la rue s'emparaient de ces bruits plus ou moins fondés. Sans chercher à connaître la vérité, le comité de salut public arrêta, le 1er juillet 1793:

«Que le maire de Paris demeurerait chargé de prendre toutes les mesures convenables pour l'arrestation dudit Arthur Dillon et de ses complices présumés;

Qu'il serait de suite procédé à l'apposition des scellés sur leurs papiers;

Que le jeune Louis, fils de Capet, serait séparé de sa mère et placé dans un appartement à part, le mieux défendu de tout le local du Temple[61]

(p. 133) Un autre arrêté du comité de salut public, daté également du 1er juillet, portait que le fils de Capet, séparé de sa mère, serait remis dans les mains d'un instituteur, au choix du conseil général de la Commune.

Ces deux mesures, sanctionnées par la Convention, furent mises à exécution le 3 juillet.

Dix heures allaient sonner. Le Dauphin, couché depuis plus d'une heure, dormait profondément. Son lit n'avait pas de rideaux; un châle tendu par les soins de sa mère mettait seul ses paupières closes à l'abri de la lumière. La veillée devait se prolonger plus tard que de coutume: la Reine et Madame Élisabeth s'étaient imposé la tâche de réparer les vêtements endommagés de la famille. Assise entre elles deux, Marie-Thérèse était ce soir-là leur lectrice. Après quelques pages du Dictionnaire historique[62], la jeune fille avait ouvert une Semaine sainte, et commençait à y lire des prières tirées des saintes Écritures. Ce livre, qui appartenait à Madame Élisabeth, avait été introduit dans la tour au mois de mars, quelques jours avant Pâques[63]. (p. 134) La Reine et sa sœur, tout en écoutant la lecture, avaient l'oreille et les yeux tournés vers le lit qui renfermait l'être si cher à leur cœur, et souvent, pour mieux entendre sa respiration, elles laissaient tomber l'ouvrage de leurs mains. La veillée allait ainsi, lorsque des bruits de pas retentirent. Les portes tournent sur leurs gonds, et six commissaires entrent dans la chambre. Un d'eux, prenant la parole: «Nous venons vous notifier l'ordre du comité de salut public, portant que le fils de Capet sera séparé de sa mère et de sa famille.» La Reine à ces mots se lève, et, pâle, tremblante de frayeur, elle s'écrie: «M'enlever mon enfant! Non, non, cela n'est pas possible.» Marie-Thérèse, debout près de sa mère, semblait repousser avec elle un ordre si dur; Madame Élisabeth, le cœur serré, regardait muette et immobile, et, les mains étendues sur le livre saint, paraissait prendre Dieu à témoin de l'impossibilité d'une pareille cruauté.

Après un moment de silence, la Reine, surmontant le frisson qui parcourait tout son être et rendait sa voix frémissante, reprit ainsi: «La Commune, messieurs, ne peut songer à me séparer de mon fils; il est si jeune, il est si faible, mes soins lui sont si nécessaires!—Le comité a pris cet arrêté, répliqua le municipal; la Convention a ratifié la mesure, et nous devons en assurer l'exécution immédiate.» La malheureuse mère s'écria: «Je ne pourrai jamais me résigner à cette séparation; au nom du Ciel, n'exigez pas de moi cette épreuve cruelle.» Et Marie-Thérèse pleurait de sa douleur et de celle de sa mère. Madame Élisabeth, s'élançant vers le lit du Dauphin, s'écria: «Au nom de ce que vous aimez le plus au monde, au nom de vos femmes, au nom de vos enfants, n'enlevez pas à cette (p. 135) mère le fils qu'elle chérit.» Puis les sanglots étouffaient les plaintes et les supplications. Rien ne put attendrir les membres de la Commune: «Ces criailleries ne servent à rien, disaient-ils: on ne vous le tuera pas, votre enfant, livrez-nous-le de bon gré, ou nous saurons nous en rendre maîtres.» Mère, tante et sœur étaient devant le lit; elles en défendaient les abords, mais elles furent vaincues par la force brutale; violemment agité dans la lutte, le rideau factice se détache, et tombant sur la tête de l'enfant, le réveille. Celui-ci voit ce qui se passe, il se jette du lit dans les bras de sa mère, et s'écrie: «Maman! maman! ne me quittez pas!» Et sa mère le presse sur son sein, le rassure, le défend, se cramponne au pilier du lit. «Ne nous battons pas contre des femmes, dit un des municipaux resté muet jusqu'à ce moment; citoyens, faisons monter la garde.» Et déjà il s'était approché du guichetier, demeuré debout près de la porte. «Ne faites pas cela, s'écria Madame Élisabeth; ce que vous exigez par la force, il faut bien que nous l'acceptions; mais, de grâce, donnez-nous le temps de respirer. Cet enfant a besoin de sommeil; ailleurs il ne pourrait dormir. Demain matin il vous sera remis. Laissez-le au moins passer la nuit dans cette chambre, et obtenez qu'il y soit ramené tous les soirs.» A ces mots, prononcés avec l'accent le plus émouvant, le silence succéda. La Reine reprit la parole: «Promettez-moi, dit-elle, qu'il restera dans l'enceinte de la tour, et que chaque jour il me sera permis de le voir, ne fût-ce qu'aux heures du repas.—Nous n'avons pas de comptes à te rendre, et il ne t'appartient pas d'interroger les intentions de la patrie. Parbleu, parce qu'on t'enlève ton enfant, te voilà bien malheureuse! Les nôtres vont bien tous les jours se faire casser la tête par les balles des ennemis que tu attires sur nos frontières.—Mon fils est trop jeune pour pouvoir encore servir son pays, dit la Reine avec douceur; mais j'espère (p. 136) qu'un jour, si Dieu le permet, il sera fier de lui consacrer sa vie.»

Prières, supplications, larmes, furent stériles, et elles devaient l'être. Il fallut habiller l'enfant. Combien cette toilette fut longue, et que de pleurs mouillèrent ces vêtements tournés et retournés en tous sens, et passés de mains en mains, afin d'éloigner de quelques secondes le moment de la séparation! Madame Élisabeth mêlait ses soins à ceux de la Reine, et si le cœur de cette dernière était brisé, le sien l'était bien cruellement aussi. Les municipaux perdirent patience, et exigèrent la remise de l'enfant. Enfin, Marie-Antoinette ayant ramassé au fond de son cœur le peu de force qui lui restait, prit son fils devant elle, et s'asseyant sur une chaise, elle rapprocha d'elle cet enfant si cher et posa les mains sur ses petites épaules; puis calme, immobile, recueillie dans sa douleur, sans verser une larme, sans pousser un soupir, elle lui dit d'une voix solennelle: «Mon enfant, nous allons nous quitter. Souvenez-vous de vos devoirs quand nous ne serons plus près de vous pour vous les rappeler. N'oubliez jamais le bon Dieu qui vous éprouve, ni votre mère qui vous aime, ni votre tante ni votre sœur, qui vous ont donné tant de preuves de tendresse. Soyez sage, patient et honnête, et votre père vous bénira du haut du Ciel.» Elle dit, baise son fils au front, et le pousse vers sa tante, qui l'embrasse, ainsi que sa sœur. Le pauvre enfant revient encore à sa mère, et s'attache à ses genoux de toutes ses forces; mais la Reine le regardant d'un air doux et ferme: «Mon fils, il faut obéir, il le faut.—Allons, tu n'as plus, j'espère, de doctrine à lui faire, dit un commissaire; il faut avouer que tu as fièrement abusé de notre patience.—Tu pouvois te dispenser de lui faire la leçon», disait un autre; et entraînant violemment l'enfant, il sortit avec lui. Le dernier qui quitta la chambre avait gardé le silence pendant cette pénible (p. 137) scène. Son maintien était convenable. Croyant sans doute rassurer la sollicitude maternelle, il dit à la Reine d'un ton qui trahissait une certaine émotion: «Ne vous tourmentez pas, la nation est généreuse, elle pourvoira à l'éducation de votre fils[64]

A peine la porte fut-elle refermée que la pauvre mère ne fut plus maîtresse de son chagrin: c'étaient des cris de douleur, des sanglots, des grincements de dents. L'énergie de son caractère s'était usée dans la lutte, et maintenant, tout entière au sentiment de son profond malheur, elle se roulait sur la couche déserte de son enfant en demandant à Dieu ce qu'elle avait pu faire pour être condamnée à une telle torture. Madame Élisabeth reprit son rôle de consolatrice: se plaçant sur une chaise près du lit où était la Reine, elle laissa passer ces premières explosions du désespoir, et se borna à traduire par un serrement de main et un regard bien tendre ce que ses propres larmes l'empêchaient elle-même de dire. Mais dès que la Reine fut un peu calmée: «Ma sœur, lui dit-elle, j'ai admiré tout à l'heure la fermeté de votre âme, et j'ai remercié Dieu de ce témoignage de sa grâce. Et certainement, vis-à-vis de Dieu, qui nous regarde et nous éprouve, vous n'aurez pas moins de courage que vous n'en avez montré vis-à-vis de (p. 138) ces hommes. Ne lui demandons pas pourquoi il nous châtie; il le sait, lui, et cela suffit. Sans chercher à sonder ses desseins, acceptons la croix qu'il nous envoie et n'hésitons pas à la porter. On ne devient pas l'héritier de Jésus-Christ sans avoir été le compagnon de ses souffrances. Remettons-nous volontairement entre ses mains et supportons tout en pensant à lui.» Ces paroles pleines d'onction avaient pénétré dans le cœur de Marie-Antoinette, qui n'y répondit qu'en embrassant tendrement sa sœur. Les nerfs de la pauvre mère s'étaient un peu détendus, et ses larmes coulèrent plus facilement. Quelques instants après, elle se leva; elle embrassa sa fille et lui dit de se coucher. Les larmes recommencèrent en se disant bonsoir. Puis, comme Madame Élisabeth se mettait à serrer les petits vêtements de l'enfant, demeurés sur la table, et qui réclamaient encore le travail de leurs mains, les pleurs éclatèrent de nouveau, et les deux pauvres mères se jetèrent dans les bras l'une de l'autre.

Les prisonnières ignorèrent ce que le cher enfant était devenu. Elles supposaient qu'il n'avait pas quitté le Temple, mais elles ne savaient ni dans quelles mains il avait été remis, ni comment il était traité. Cette incertitude où elles étaient de son sort augmentait encore l'amertume de leurs regrets. Quatre jours s'étaient écoulés, lorsque la nouvelle se répandit dans Paris que la conspiration d'Arthur Dillon, malgré l'arrestation de ce général, avait eu un plein succès, et que Louis XVII, enlevé de la tour, avait été porté en triomphe à Saint-Cloud. Pour faire tomber ce bruit qui agitait Paris et amenait une foule de monde aux abords du Temple, une députation du comité de sûreté générale, dont Drouet et Chabot faisaient partie, y fut dépêchée, afin de constater officiellement la présence du petit Capet. Après avoir ordonné de le faire descendre dans le jardin, afin qu'il puisse être vu de toute la garde montante, (p. 139) les deux députés que nous avons nommés ont un entretien à huis clos avec Simon et les municipaux dans la chambre du conseil; puis ils se présentent dans l'appartement des prisonnières, où, avec l'allure qui leur est propre, ils exercent une véritable perquisition. «Nous sommes venus voir, dit Drouet, s'il ne vous manque rien ou si vous n'avez rien de trop.—Il me manque mon fils, dit la Reine; il est vraiment trop cruel de m'en séparer si longtemps.—Votre fils ne manque pas de soins: on lui a donné un précepteur patriote, et vous n'avez pas plus à vous plaindre de la manière dont on le traite que de celle dont vous êtes ici traitée vous-même.—Je ne me plains que d'une chose, monsieur, c'est de l'absence d'un enfant qui ne m'avait jamais quittée. Depuis cinq jours il m'a été arraché, il ne m'a pas été permis de le voir une seule fois, et cependant il est encore malade[65]; il a besoin de mes soins. Il m'est impossible de croire que la Convention ne comprenne pas la légitimité de mes plaintes.»

Dans le compte qu'il rendit de cette visite à la Convention nationale, Drouet s'exprima ainsi: «Nous sommes montés à l'appartement des femmes, et nous avons trouvé Marie-Antoinette, sa fille et sa sœur, jouissant d'une parfaite santé. On se plaît encore à répandre chez les nations étrangères qu'elles sont maltraitées, et, de leur aveu, fait en présence des commissaires de la Commune, rien ne manque à leur commodité.»—Et Drouet ne dit pas un mot des plaintes qu'avait élevées Marie-Antoinette sur la cruelle séquestration de son fils. La Reine et Madame Élisabeth ne cessaient d'interroger municipaux, gardiens, (p. 140) geôliers; tous répondaient qu'elles ne devaient pas s'inquiéter de l'enfant; qu'il était en bonnes mains, et qu'il ne manquait pas de soins. Ces assurances ne pouvaient les satisfaire. Il fallait qu'elles vissent leur enfant: elles le demandaient à tous avec des prières déchirantes; mais que pouvaient répondre les représentants de la Commune, sinon que le gouvernement avait jugé la mesure nécessaire et que force était de s'y conformer? Les refus ou le silence que rencontraient leurs supplications augmentaient chaque jour leur anxiété. Toutefois elles étaient loin de soupçonner dans quelles mains le Dauphin était tombé: elles ignoraient qu'on ne le leur avait enlevé que pour anéantir en lui tout à la fois et la force physique, et la vie intellectuelle, et la beauté morale. Leurs frayeurs à cet égard allaient loin, mais elles n'approchaient pas de la vérité. Lasses d'implorer la justice des municipaux, elles s'adressèrent à la pitié de Tison. Tison ne fut point sourd à leurs plaintes. Gagné depuis quelque temps par la résignation et la bonté des prisonnières, il s'était beaucoup amendé: placé près d'elles comme un espion, insensiblement il devenait pour elles un complice. Sa femme, désavouant plus tôt que lui tout son passé, s'était un jour jetée aux pieds de la Reine, en s'écriant devant les commissaires et sans faire attention à leur présence: «Madame, je demande pardon à Votre Majesté, je suis cause de votre mort et de celle de Madame Élisabeth.» Les princesses s'empressèrent de la relever et tâchèrent de la calmer; mais la fièvre nerveuse qui l'agitait se prolongea quelques jours. Ce ne fut plus alors un pardon, ce furent des soins que les princesses lui apportèrent. Madame Élisabeth particulièrement l'environna d'attentions et de paroles consolantes. La malade disait un jour à Meunier: «Je les plains de toute mon âme; c'est une famille généreuse que les pauvres ne remplaceront pas. Si vous pouviez comme moi les voir de (p. 141) près, vous diriez qu'il n'y a rien d'aussi grand sur la terre. Qui les a vues comme vous aux Tuileries n'a rien vu; il faut les avoir vues comme moi au Temple.» Les remords de cette pauvre femme avaient troublé sa raison[66]. Elle fut en proie à d'affreuses convulsions; on lui donna une garde[67]; transportée dans une chambre du palais, il fallut plusieurs hommes pour la contenir[68]. Au bout de six jours, elle fut conduite à l'Hôtel-Dieu[69]. Elle ne reparut plus au (p. 142) Temple. On mit auprès d'elle, dit Marie-Thérèse[70], une femme de la police pour recueillir tout ce que, dans son délire, elle pourrait laisser échapper sur la famille royale.

La conversion du mari, nous l'avons dit, avait suivi celle de la femme. Par une conduite toute nouvelle, Tison tâcha de racheter ses méfaits. Il se tint à l'affût de tout ce qui pourrait intéresser la Reine, et lui apportait presque chaque jour des nouvelles de son fils; toutefois le sentiment de respectueuse pitié qui était entré dans son âme lui enseignant une délicatesse que ses précédents n'auraient pas fait soupçonner, il avait soin de lui cacher les horribles traitements que l'enfant subissait, et dont Tison lui-même était indigné. Il parla de Simon devant les princesses, mais sans le nommer, sans le dépeindre, sans laisser entrevoir que ce mentor donné au Dauphin n'était autre que le municipal qui avait toujours affecté devant le Roi et devant elles le langage le plus injurieux. Mais il se plaisait à leur raconter que l'enfant allait chaque jour prendre ses ébats au jardin, et qu'habituellement il y jouait au ballon; que quelquefois on le conduisait sur la plate-forme de la tour, où il jouissait d'un air excellent, et qu'enfin il avait toutes les apparences de la santé. Rassurées sur ce point, les royales confidentes essayaient de se faire initier à des détails plus intimes de son éducation. Tison s'arrêta prudemment: craignant de détruire dans le cœur de ces pauvres femmes le peu de bien qu'y avaient fait les renseignements qu'il venait de leur donner, il se borna à répondre qu'il lui était impossible de savoir lui-même ce qui se passait dans l'intérieur de l'appartement.

La nouvelle de la promenade sur la plate-forme fit naître (p. 143) un espoir auquel les prisonnières se livrèrent avec bonheur. Un petit escalier tournant pratiqué dans la garde-robe conduisait aux combles; au faîte de ce petit escalier, un jour de souffrance était ouvert dans l'épaisseur de la muraille; de là il était possible d'apercevoir, de tourelle à tourelle, l'enfant au moment où il arrivait sur la plate-forme. Rien ne ressemblait plus à une vision, à un éclair, que cette apparition fugitive, et il fallait des yeux maternels pour reconnaître ainsi l'enfant. Dans un billet écrit à Turgy, Madame Élisabeth fait mention de cette circonstance: «Dites à Fidèle, ma sœur a voulu que vous le sachiez, que nous voyons tous les jours le petit par la fenêtre de l'escalier de la garde-robe; mais que cela ne vous empêche pas de nous en donner des nouvelles.»

Cette faible consolation leur laissa entrevoir la possibilité d'un bonheur plus réel. La plate-forme se trouvait partagée en deux parties par une clôture en bois, et formait ainsi deux promenades, dont l'une était assignée au prisonnier du second étage et l'autre aux prisonnières du troisième. Les planches de séparation étaient disposées de telle manière qu'on ne pouvait se voir qu'à travers les fentes, et de loin, mais de plus près cependant que par l'escalier de la garde-robe, et surtout un peu plus longtemps. Dès lors, mère, tante et sœur n'eurent qu'une pensée, se trouver sur la tour au moment de la promenade du petit, comme elles l'appelaient dans leur doux langage. Mais comment ménager cette coïncidence? «Nous montions sur la tour bien souvent, dit Madame Royale dans son récit, parce que mon frère y alloit de son côté, et que le seul plaisir de ma mère étoit de le voir passer de loin par une petite fente.» Malheureusement il arrivoit bien rarement que l'heure fixée par les commissaires pour la promenade des prisonnières se rencontrât avec l'heure arrêtée par Simon pour la promenade de l'enfant. La rencontre si vivement (p. 144) désirée et si longtemps attendue dépendait donc d'un hasard heureux ou de la pitié complaisante des municipaux. «C'est égal, comme le dit Marie-Thérèse, on montoit toujours; on ne savoit pas si le petit viendroit, mais il pouvoit venir. Que d'heures occupées à saisir son passage! Que de fois, l'oreille collée sur la cloison de planches, les pauvres recluses, attentives, muettes, ont senti leur cœur battre au moindre mouvement qui se faisoit dans l'escalier! Hélas! ce faible bruit, avidement recueilli par leur inquiète impatience, étoit presque toujours trompeur: un commissaire qui montoit ou descendoit à la salle du conseil, un préposé qui faisoit sa ronde, une sentinelle qu'on relevoit dans l'escalier, avaient, sans le savoir, agité trois âmes d'une ardente espérance et d'un immense regret. Puis, l'heure de la récréation étant passée, il fallait redescendre sous les verrous.»

La tentative de la veille était reprise le lendemain: infructueuse encore, elle était reprise les jours suivants. L'espérance, fût-elle toujours trompée, ne meurt pas au cœur d'une mère.

La persévérance de la Reine obtint enfin son couronnement; mais le couronnement d'épines, le seul qu'elle connût depuis plusieurs années. Le mardi 30 juillet, il lui fut donné d'entrevoir encore son enfant, mais cette ombre de bonheur si longtemps épiée, si pieusement demandée au Ciel, le Ciel ne la lui accordait que pour son supplice. Oui, elle vit son fils... Il ne portait plus le deuil de son père; il avait sur la tête le bonnet rouge; il avait près de lui ce municipal jacobin qui s'était signalé devant Louis XVI et devant elle-même par son insolence et ses outrages. Par une fatalité singulière, Simon, au moment de monter sur la plate-forme, avait appris l'entrée du duc d'York dans Valenciennes, et sa colère s'épanchait sur son élève, dont il harcelait la marche par des jurements et des blasphèmes. (p. 145) L'infortunée Reine, sans jeter un seul cri, tombe dans les bras de sa sœur, témoin comme elle de ce spectacle, et toutes deux entraînent Marie-Thérèse, qui accourait aussi à la cloison, et dont elles épargnent la jeune âme en se donnant par un regard le mutuel conseil de tout lui cacher. «Il ne passera pas, disent-elles, il est inutile d'attendre plus longtemps.» Et l'on se dirige de l'autre côté de la plate-forme. Au bout de quelques minutes, les larmes gagnent la pauvre mère; elle se détourne pour les cacher... et pour revenir épier son enfant. Madame Élisabeth est demeurée près de sa nièce, afin de laisser la mère maîtresse de ses regards. Peu de temps après, en effet, le jeune Prince repassa, mais cette fois la tête baissée, et marchant à côté de Simon qui ne jurait plus. Le silence du maître, l'attitude de soumission de l'enfant, firent presque autant de mal à la Reine que les brutalités de Simon. Immobile et muette, elle resta quelques instants à la même place; Tison vint l'y trouver. Alors, relevant la tête, qu'elle tenait penchée entre ses mains, elle s'écria: «Vous m'avez trompée!—Non, Madame, je ne vous ai point trompée; tout ce que je vous ai dit est vrai; seulement, par ménagement, je ne voulais pas tout vous dire. Maintenant je vous dirai tout, puisque je n'ai plus rien à vous cacher.» Madame Élisabeth s'approcha de la Reine avec Marie-Thérèse, et par un regard elle l'interrogea sur ce qu'elle venait de voir. Un mouvement de paupière, qui traduisait toute la douleur enfermée dans son âme, fut la seule réponse de la Reine.

Ainsi fut nettement connu le déplorable état du Dauphin: Simon ne lui parlait qu'en jurant, ne lui commandait qu'en le menaçant, et voulait le contraindre à chanter des couplets obscènes ou des chansons régicides. L'enfant résistait, et les coups n'avaient encore rien obtenu de lui. Ces détails restèrent entièrement ignorés de Madame Royale, (p. 146) et sa tante fit tous ses efforts pour qu'ils n'arrivassent point dans toute leur horreur à la connaissance de la Reine. Elle dit à Tison: «De grâce, cachons désormais ces atrocités à ma sœur: dites-moi tout à moi, Tison, je saurai adoucir les scènes affligeantes et choisir le moment de les lui transmettre. Faites cette recommandation, s'il est possible, à tous ceux qui donnent des nouvelles de mon neveu. J'espère, Tison, que vous trouverez chez eux cette pitié que je réclame de vous pour cette pauvre mère.»

Les longs martyres de la veuve et de la sœur de Louis XVI eurent ici leur phase la plus douloureuse. Leur enfant malade, elles ne pouvaient le soigner! Malheureux, elles ne pouvaient le consoler! En danger, elles ne pouvaient le secourir! Son âme innocente faiblissait peut-être, et elles ne pouvaient la soutenir! Est-il un supplice comparable à ce supplice?

Le soir, Madame Royale dit à sa tante: «Mon Dieu! comme ma mère a été triste aujourd'hui!—Chère enfant, lui répondit Madame Élisabeth, votre mère est triste, il est vrai, mais non pas de chagrins nouveaux. Ceux que vous lui connaissez, et que toutes deux nous partageons, l'ont accablée un peu plus aujourd'hui peut-être que ces jours passés. Il est des moments où l'émotion des souvenirs domine l'âme la plus forte. Priez, chère enfant, demandez à Dieu que ces souvenirs soient moins poignants pour votre mère.»—La jeune fille fit sa prière, et s'endormit profondément.

Sa mère et sa tante veillèrent longtemps. Allant et venant, elles parcouraient cet humble réduit où, pendant de si longs jours, elle l'avaient vu, malgré les privations, les verrous et les injures, si vif, si léger, si affectueux et parfois si riant; travaillant, chantant et priant; elles rappelaient les pensées, les paroles et les actions de cœur du cher petit, et comment, lorsqu'il les voyait tristes et souffrantes, (p. 147) il savait trouver, pour les distraire et les égayer, quelques étincelles de sa gentille humeur d'autrefois.

Elles remontèrent à la plate-forme le lendemain et le surlendemain. Elles y restèrent longtemps: rien ne parut. Oh! pourquoi cette terrible révélation leur avait-elle été faite? Marie-Antoinette ne revit pas son fils ces jours-là; elle ne devait plus le revoir, et elle allait emporter du Temple une source nouvelle et intarissable de larmes, d'inquiétudes et de tourments.

Le 1er août, la Convention nationale décréta:

«Marie-Antoinette est envoyée au tribunal extraordinaire; elle sera transférée sur-le-champ à la Conciergerie.

»Tous les individus de la famille Capet seront déportés hors du territoire de la République, à l'exception des deux enfants de Louis Capet et des individus de la famille qui sont sous le glaive de la loi.

»Élisabeth Capet ne pourra être déportée qu'après le jugement de Marie-Antoinette.

»Les membres de la famille Capet qui sont hors le glaive de la loi seront déportés après le jugement, s'ils sont absous.

»La dépense des deux enfants de Louis Capet sera réduite à ce qui est nécessaire pour l'entretien et à la nourriture de deux individus.

»Les tombeaux et mausolées des ci-devant rois, élevés dans l'église de Saint-Denis, dans les temples et autres lieux, dans toute l'étendue de la République, seront détruits le 10 août prochain.»

Le 2 août, à deux heures du matin, on vint éveiller les trois prisonnières pour lire à la Reine le décret qui ordonnait sa translation à la Conciergerie. Marie-Thérèse nous a laissé le récit des derniers instants passés avec sa mère: «Elle entendit, dit-elle, la lecture de ce décret sans s'émouvoir et sans dire une seule parole.» Mais Madame Élisabeth (p. 148) et Madame Royale se hâtèrent de demander à suivre la Reine, ce qui leur fut refusé. Pendant tout le temps que la Reine fit le paquet de ses vêtements, les municipaux ne la quittèrent point: elle fut même obligée de s'habiller devant eux. On lui demanda ses poches, qu'elle donna; ils les fouillèrent et prirent tout ce qu'elles contenaient, quoiqu'il n'y eût rien d'important. Ils en firent un paquet pour l'envoyer au tribunal révolutionnaire, et dirent à la Reine que ce paquet serait ouvert devant elle au tribunal. Ils ne lui laissèrent qu'un mouchoir et un flacon. Elle partit après avoir embrassé sa fille, en l'engageant à conserver tout son courage, et en lui recommandant d'avoir bien soin de sa tante et de lui obéir comme à une seconde mère. Puis elle se jeta dans les bras de sa sœur et lui recommanda ses enfants. La jeune Princesse était tellement saisie et son affliction était si profonde de se voir séparée de sa mère, qu'elle n'eut pas la force de lui répondre. Enfin Madame Élisabeth ayant adressé quelques mots à l'oreille de la Reine, elle partit sans jeter davantage les yeux sur sa fille, dans la crainte de perdre sa fermeté. Elle fut obligée de s'arrêter au bas de la tour, parce que les municipaux voulurent faire un procès-verbal pour la décharge de sa personne. En sortant, elle se frappa la tête au guichet, faute de penser à se baisser; et comme on lui demanda si elle ne s'était pas fait de mal: «Oh! non, dit-elle, rien à présent ne peut plus me faire de mal.»—Elle monta en voiture avec un municipal et deux gendarmes.

(p. 149) LIVRE DIXIÈME.
DEPUIS LE DÉPART DE LA REINE JUSQU'À CELUI DE MADAME ÉLISABETH.—INTERROGATOIRE DE CETTE PRINCESSE.
2 AOÛT 1793—9 MAI 1794.

«Le second malheur est passé, et le troisième viendra bientôt.»

Apocalypse, chap. XI, vers. 14.

Correspondance secrète établie entre la Conciergerie et le Temple. — M. Hue. — Madame Richard. — Eau de Ville-d'Avray adressée à la Conciergerie comme elle l'avait été au Temple. — Rosalie Lamorlière. — Paquet de linges, hardes et vêtements arrivant du Temple à la Conciergerie. En ouvrant ce paquet et en remarquant le soin avec lequel il avait été composé, Marie-Antoinette s'attendrit et reconnaît les attentions de sa sœur Élisabeth. — Aiguilles à tricoter demandées par la Reine, point accordées par les municipaux. — Blasphèmes et jurements de Simon. — Chansons révolutionnaires auxquelles se mêle la petite voix de Louis XVII. — Madame Élisabeth conjure les commissaires de la Commune d'obtenir de Simon un peu plus de modération. — Le municipal Barelle. — La fille Tison. — Hébert, accompagné de quatre membres du conseil de la Commune, se présente au Temple le 21 septembre. — Arrêtés acerbes. — Nouvelle perquisition le 24. — Privations noblement supportées. — La garde-robe de Louis XVI brûlée sur la place de Grève. — Procès de la Reine. — Le maire et le procureur de la commune au Temple. — Odieuse déposition arrachée au jeune Prince. — Le lendemain, ces deux officiers de la Commune retournent au Temple avec David, membre de la Convention. — Nouvel interrogatoire, où sont appelés l'enfant royal, sa sœur et sa tante. — Hue arrêté; plus de nouvelles de la Reine. — Madame Élisabeth aperçoit Louis XVII. — Chaumette se plaint au conseil de la Commune des dépenses excessives que nécessite le maintien de trois individus dans la tour du Temple. — Invention d'un nouveau document pour essayer de compromettre Madame Élisabeth. — Dernier écrit de la Reine. — Tison mis au secret. — Mort de Marie-Antoinette. — Fournées de victimes. — Terreur. — Madame Élisabeth indignement calomniée. — L'huissier Monet au Temple. — Adieux d'Élisabeth et de Marie-Thérèse. — La Conciergerie. — Premier interrogatoire de Madame Élisabeth.

Peu de jours après le départ de la Reine, Madame Élisabeth et sa nièce parvinrent à se procurer de ses nouvelles par l'entremise de M. Hue, qui fut assez heureux pour établir quelque communication entre la Conciergerie et la tour du Temple. Cet excellent homme n'avait pas tardé à rencontrer un auxiliaire dans une femme préposée à la garde même de Marie-Antoinette, madame Richard, désignée (p. 150) sous le nom de Sensible dans la correspondance de Madame Élisabeth. Cette femme obtint des administrateurs de la police que les bouteilles d'eau de Ville-d'Avray qui étaient chaque jour envoyées au Temple pendant la captivité de la Reine dans cette demeure lui fussent adressées aussi chaque jour à la Conciergerie. Bien que cette attention parût contraire à l'esprit d'égalité dont le peuple avait salué l'inauguration avec tant d'enthousiasme, cette faveur d'une eau privilégiée ne fut point refusée à la veuve Capet, dont l'estomac ne pouvait supporter une autre eau.

Ce ne fut pas tout. Madame Élisabeth n'ignorait pas le dénûment absolu où sa sœur se trouvait à la Conciergerie. Il ne lui suffisait pas de consoler l'orphelin, elle essaya d'être utile à la veuve. Une déclaration de Rosalie Lamorlière, servante à la Conciergerie durant la captivité de Marie-Antoinette, nous a fait savoir ce qui suit: «Le 2 août, pendant la nuit, quand la Reine arriva du Temple, je remarquai, dit-elle, qu'on n'avoit amené avec elle aucune espèce de hardes ni de vêtements. Le lendemain et tous les jours suivants, cette malheureuse princesse demandait du linge, et madame Richard, craignant de se compromettre, n'osoit ni lui en prêter ni lui en fournir. Enfin le municipal Michonis, qui dans le cœur étoit honnête homme, se transporta au Temple, et, le dixième jour, on apporta du donjon un paquet que la Reine ouvrit promptement. C'étoient de belles chemises de batiste, des mouchoirs de poche, des fichus, des bas de soie ou de filoselle noirs, un déshabillé blanc pour le matin, quelques bonnets de nuit et plusieurs bouts de rubans de largeur inégale. Madame s'attendrit en parcourant ce linge, et se retournant vers madame Richard et moi, elle dit: «A la manière soignée de tout ceci, je reconnois les attentions et la main de ma pauvre sœur Élisabeth.»

Au nombre des objets réclamés par la Reine figuraient (p. 151) ses aiguilles à tricoter et des bas qu'elle avait commencés pour son fils[71]. Ces choses furent remises avec empressement par Madame Élisabeth; mais les officiers municipaux prétendirent qu'il était à craindre que la veuve Capet ne se servît des aiguilles pour attenter à sa vie, et que par conséquent ils devaient s'abstenir de les joindre à l'envoi. La Reine fut ainsi trompée dans son espérance de travail; mais elle avait des nouvelles de sa fille et de sa sœur, et sa fille et sa sœur avaient de ses nouvelles[72]: ce fut un jour de consolation pour les deux captivités.

Tison, resté avec sa fille à la tour, communiquait à Madame (p. 152) Élisabeth les renseignements qu'il pouvait se procurer sur l'état de son neveu. Les détails que lui transmettait Tison sur la cruauté de Simon lui semblaient toujours exagérés; cette belle âme avait de la peine à croire que la férocité humaine pût aller si loin. Mais un jour elle fut condamnée à perdre ce reste d'illusion: Simon élevait si haut la voix que ses jurements et ses blasphèmes montaient jusqu'à elle, et ce qu'il y avait de plus douloureux, c'est que ces jurements et ces blasphèmes étaient parfois suivis des cris plaintifs d'un enfant. Madame Élisabeth, qui avait tout caché à sa nièce, ne peut plus révoquer en doute devant elle la conduite de Simon. La pauvre sœur a entendu les lamentations du frère, et, chose plus triste encore, elle a distingué le son de sa voix mêlée à celle du ménage Simon dans les chansons révolutionnaires. «Nous l'entendions tous les jours, dit-elle dans le récit de la captivité du Temple, chanter avec Simon la Carmagnole et autres horreurs pareilles... La Reine heureusement ne les a pas entendues, elle étoit partie; c'est un supplice dont le Ciel l'a préservée.» Le cœur de la jeune fille, partagé entre la pensée de sa mère et celle de son frère, éprouvait d'inexprimables angoisses, que sa tante essayait en vain de soulager: il y avait des heures où la sainte mélancolie de la captivité s'emparait de l'une comme de l'autre et attristait leur front. Plus d'une fois les deux prisonnières se regardaient comme pour chercher des larmes dans leurs yeux. Les yeux de Madame Élisabeth, habitués à regarder le ciel, n'avaient pas de larmes. Cette femme forte soutenait sa jeune compagne non-seulement par sa parole, mais par son attitude même. La spiritualité d'Élisabeth était solide et pratique: la prière et la victoire sur soi-même faisaient la base de sa doctrine. On ne dira jamais assez avec quel dévouement, avec quelle sollicitude Madame Élisabeth lui prodiguait les trésors de sa raison et de son cœur. Réclamant (p. 153) pour elle tous les sacrifices, elle usait de précautions infinies, d'un art angélique pour écarter des lèvres de ceux qui lui étaient chers le calice dont elle se réservait toutes les amertumes. Sa raison persuasive savait adoucir les maux pour les rendre plus supportables, et sa piété, éclairée par la foi, savait féconder les douleurs et les rendre méritoires en les offrant au Ciel. C'est à cette école sacrée, sévère apprentissage d'une vie sévère, que la fille de Louis XVI puisa ces leçons de foi et d'héroïsme qui ont élevé son âme au-dessus des plus hautes infortunes.

Au tourment de savoir le Dauphin dans une telle situation se joignit bientôt la douleur de ne pouvoir se procurer aucune nouvelle de la Reine[73]. Toute relation avait cessé (p. 154) avec la Conciergerie. La plus rigoureuse surveillance aussi bien que la terreur avaient enlevé à Madame Élisabeth ces (p. 155) rares intermédiaires par lesquels elle était plus d'une fois parvenue à adoucir la position de la Reine en lui faisant passer des nouvelles rassurantes sur ses enfants. Elle-même, dès la nuit où Marie-Antoinette avait été enlevée du Temple, avait cru, dans la crainte de la compromettre, devoir anéantir des crayons et quelques petites feuilles de papier qu'elle tenait cachés dans un coin sous le papier qui tapissait sa chambre. Tout instrument matériel de correspondance lui faisait donc défaut. Mais que ne peut le génie de la captivité? La malheureuse Reine parvint à faire réclamer des effets qu'elle avait laissés à la tour[74] et dont elle avait, disait-elle, le plus pressant besoin. Par ce moyen, la prison du Temple et le cachot de la Conciergerie échangèrent encore une fois quelques paroles. Celles que Madame Élisabeth envoyait à sa belle-sœur donnaient sur le pauvre petit Prince des renseignements qui n'étaient pas (p. 156) exacts: il est des situations où la conscience la plus droite se fait un devoir de taire la vérité.

Si nous ne l'avons point dit encore, nos lecteurs ont compris sans doute que Madame Élisabeth n'avait rien négligé pour obtenir de Simon un peu plus de réserve dans ses paroles et de modération dans ses gestes. Bien que, dans la prison du Temple, elle fût moins communicative que la Reine, et que, en général, elle montrât plus de fierté que sa belle-sœur, parlant beaucoup moins aux mandataires de la Commune, pas un municipal de maintien convenable ou de physionomie avenante n'était depuis quelque temps venu au Temple sans qu'elle lui eût adressé ses plaintes, en le conjurant d'intervenir auprès du farouche précepteur. Mais les uns ne voulurent pas examiner ce que ces plaintes avaient de fondé, ne se sentant ni le droit ni le pouvoir d'improuver la conduite de Simon; les autres, trouvant ces plaintes injustes ou tout au moins exagérées, les repoussèrent avec dédain; d'autres enfin, plus fanatiques, répondirent à ces plaintes par l'éloge de celui-là même contre lequel elles étaient portées. Un seul fut accessible aux prières de Madame Élisabeth: ce fut Barelle, maçon de son métier, homme simple et sans éducation, mais d'un cœur bienveillant; il était père, il porta courageusement quelques observations au démagogue acariâtre dont il avait lui-même entendu les jurements pendant qu'il était de service chez les Princesses. Ces observations, bien que revêtues de formes polies et caressantes, furent mal reçues. Simon rejeta sur le caractère roide et indocile de son élève les rigueurs dont il était parfois obligé d'user. «Je sais ce que je fais et ce que j'ai à faire, ajouta-t-il; à ma place vous iriez peut-être plus vite.» L'intervention de Barelle n'eut d'autre effet que de rendre plus dure la captivité du jeune Louis.

Le 26 août, la fille de Tison, qui allait quitter le Temple, (p. 157) demanda à voir le petit Capet. Faut-il voir dans sa démarche un désir personnel de dire adieu au charmant enfant, que, malgré la première influence de ses parents, elle n'avait jamais pu voir sans émotion, ou faut-il y trouver une suggestion de Madame Élisabeth, dans l'espoir d'obtenir quelques renseignements sur son neveu? Quoi qu'il en soit, cette démarche n'eut d'autre résultat que de faire passer à l'examen le plus minutieux la personne de la jeune fille, ainsi que le paquet qu'elle portait à sa mère à l'Hôtel-Dieu[75].

Le 21 septembre, Hébert, substitut du procureur de la Commune, accompagné de Jonquoy, Lelièvre, Camus et Grenard, officiers municipaux, se présente à la tour. Marie-Thérèse, assise près de sa tante, tenait en main un almanach républicain qu'elle s'empressa de refermer. «Si vos saints ne s'y trouvent pas, lui dit Hébert, vous y trouverez nos fêtes nationales. Nous aurons demain une cérémonie civique en l'honneur de l'anniversaire de la République. Le peuple sera notre Dieu: il ne doit point y en avoir d'autre; mais ce n'est pas de cela qu'il s'agit aujourd'hui.»

Il leur déclare alors qu'il est porteur d'un arrêté de la Commune qui ordonne de resserrer plus étroitement encore les deux prisonnières, et de leur retirer la personne qui les sert. «Dans toutes les maisons de détention, leur dit-il, les détenus n'ont personne pour les servir; l'exception faite pour vous offense la justice et la moralité publiques, l'égalité devant régner dans les prisons comme partout (p. 158) ailleurs. A l'avenir, Hanriot et le porteur d'eau auront seuls le droit d'entrer ici[76]

Le substitut du procureur est obéi. Tison, disgracié, est refoulé dans la tourelle qui lui servira de prison. A l'avenir, les deux recluses feront leur lit et balayeront leur chambre; leur porte ne s'ouvrira plus que pour laisser arriver leurs aliments; elles ne doivent plus voir un visage humain ni entendre une voix humaine. Le sombre visiteur qu'elles viennent de recevoir provoque des mesures qui rendront plus dur encore le régime de leur prison. Les deux arrêtés suivants sont pris le lendemain par la Commission du Temple:

Du 22 septembre 1793, l'an II de la République une et indivisible.

Le conseil, considérant que la plus grande économie doit régner et être observée, arrête ce qui suit:

1o Qu'à compter de ce jour, l'usage de la pâtisserie et de la volaille, pour toute table, sera supprimé;

2o Que les détenues n'auront à leur déjeuner qu'une sorte d'aliment;

3o Qu'à leur dîner, il ne leur sera donné qu'un potage, (p. 159) un bouilli et un plat quelconque. Il leur sera délivré en outre une demi-bouteille de vin ordinaire, par jour, pour chacune d'elles;

4o Au souper, elles auront deux plats.

Le second arrêté porte:

1o Qu'à compter de ce jour, il ne sera plus fourni de bougie dans l'intérieur de la tour; que les prisonniers ne seront plus éclairés qu'avec de la chandelle; qu'il ne sera brûlé de bougie qu'au bureau du conseil;

2o Que l'argenterie, la porcelaine sera interdite, et que l'on ne servira plus que des couverts d'étain et de la faïence commune.

Les commissaires de service au Temple,

Viallard, Robin, Tonnelier, Véron.

Une perquisition plus rigoureuse que les précédentes était faite, le 24 septembre, chez Madame Élisabeth[77]. (p. 160) L'inauguration du nouveau régime prescrit par les arrêtés que nous venons de transcrire avait été faite avec un zèle irréprochable. Non-seulement toute délicatesse était supprimée dans la nourriture, mais des draps d'écurie en toile jaune étaient substitués aux draps blancs, la faïence à la porcelaine, l'étain à l'argenterie, la chandelle à la bougie. Madame Élisabeth supportait les privations aussi bien que les outrages avec un calme impassible et religieux qui étonnait ses gardiens. Elle ne redoutait la persécution que pour sa nièce, objet de ses soins et de sa tendresse. Elle acceptait avec une sorte de joie le changement apporté à ses aliments. Les jours d'abstinence, elle conserva tant qu'elle le put l'habitude du maigre, ne mangeant que du pain lorsque la nourriture qu'on lui présentait n'était pas conforme aux prescriptions de l'Église. On cessa de lui fournir de l'eau de Ville-d'Avray, à laquelle elle était accoutumée depuis son jeune âge. Ce fut pour elle une privation réelle; mais sa piété reçut comme une mortification le refus qu'on lui en fit.

Au premier repas qui suivit l'arrêté dont nous avons le texte plus haut, Madame Élisabeth dit à sa jeune compagne: «C'est le pain du pauvre: nous sommes pauvres aussi. Combien d'infortunés en ont moins encore!»

Madame Élisabeth ignorait que cette recrudescence de colère ne s'arrêtait pas aux vivants: elle s'attaquait à celui qui n'était plus. La Commune faisait brûler sur un bûcher, en place de Grève, la garde-robe de Louis XVI, placée jusque-là sous les scellés[78].

(p. 161) Madame Élisabeth avait eu, dès ses premiers ans, de petites incommodités qui n'affectaient point le fond de son tempérament. Les chagrins les ayant rendues moins supportables, elle se fit mettre un cautère au bras. Longtemps on lui refusa de l'onguent pour le panser. Moins inhumain que les autres, un municipal lui en fit donner un jour; mais elle ne put jamais obtenir pour sa nièce le jus d'herbes dont cette Princesse faisait usage[79].

La Convention était pressée de voir s'instruire le procès de Marie-Antoinette; elle sentait derrière elle les impatiences de la Commune, bien autrement implacables que les siennes. Le 3 octobre, sur la proposition d'un de ses membres, «elle décréta que le tribunal révolutionnaire s'occuperoit sans délai et sans interruption du jugement de la veuve Capet.» Fouquier, dont la conscience n'était cependant pas, comme on sait, très-scrupuleuse, répondit au président de la Convention qu'il lui était impossible de s'occuper de ce procès, n'en ayant point les pièces élémentaires[80]. (p. 162) Hébert, de concert avec Simon et le citoyen Daujon, officier municipal, avait conçu le projet de fournir à ce procès une pièce devant laquelle devaient pâlir toutes celles du dossier accusateur. Dans la matinée du 13 vendémiaire an II (4 octobre 1793), Chaumette est prévenu par Simon que le petit Capet se trouve disposé à répondre à toutes les questions qu'on aurait à lui faire dans l'intérêt de la justice. Le maire et le procureur de la Commune annoncent qu'ils se rendront au Temple le surlendemain, et le conseil général désigne deux de ses membres pour les accompagner[81].

En effet, le 15 vendémiaire (6 octobre), Pache et Chaumette et les deux municipaux arrivent à la tour. Leur entrée dans la chambre de Simon impose à l'enfant, dont l'ivresse, préparée avant l'heure, commençait à se dissiper. Heussée, administrateur de police, donne lecture d'un interrogatoire écrit d'avance, et, si l'on en croit une tradition contemporaine, rédigé par Daujon. Dans ce factum, produit d'une imagination perverse, le petit Prince répond comme on voulait qu'il répondît, et à cette heure on vient lui demander de signer comme on voulait qu'il signât. Encouragé, poursuivi, harcelé, fatigué par ses visiteurs, il signe. Cette signature toute tremblée avec laquelle on espérait accuser la Reine n'accuse que ceux qui ont conduit, (p. 163) nous voulons dire qui ont égaré la main de l'enfant. L'acte, signé aussi de Pache, Chaumette et Hébert; de Friry et Laurent, commissaires du conseil général; de Séguy, commissaire de service au Temple; de Heussée, administrateur de police, et de Simon, est emporté comme un trésor au comité de sûreté générale.

Cependant les ennemis de la Reine se demandent si le poison de la calomnie placé sur les lèvres du fils suffit pour tuer l'honneur de la mère, et s'il ne convient pas d'appuyer de témoignages sérieux la déposition d'un enfant auquel il est facile de faire dire ce qu'on veut. Dès le lendemain 16 vendémiaire (7 octobre), Pache et Chaumette retournent au Temple; David, ami de Chaumette et membre du comité de sûreté générale, demande à les accompagner; il en est de même de Daujon, qui, selon la tradition dont j'ai parlé, venait de recevoir au sein du comité quelques félicitations au sujet de la pièce dont il était le rédacteur. Peut-être espèrent-ils, à l'aide de leurs questions captieuses, surprendre à la fille et à la sœur de Louis XVI quelques mots qui, interprétés avec adresse, pourront appuyer l'échafaudage des calomnies entassées contre la Reine. Pache, Chaumette et David, introduits dans la tour, s'installent dans la salle du conseil et donnent l'ordre d'y faire descendre la fille de Capet. Frappées de stupeur et d'effroi, les deux prisonnières demandent instamment qu'on ne les sépare point. La jeune orpheline, forcée d'obéir, descend. Pour la première fois depuis qu'elle est enfermée dans le Temple, Madame Élisabeth se trouve seule. Le tendre et dernier objet de ses affections lui est-il enlevé sans retour? Jusqu'à présent ceux qui sont descendus ne sont pas remontés. Le père a rencontré en bas le bourreau, et, ce qui est plus effrayant encore, le fils y a trouvé Simon. L'esprit de Madame Élisabeth est livré aux conjectures les plus cruelles; mais elle est loin de deviner ce qui (p. 164) ne s'est vu dans les annales d'aucune nation; et, certes, elle taxerait de mensonge l'écho de la tour, s'il lui apportait en ce moment ce qui se dit dans la salle du Conseil. Elle-même pourra-t-elle le croire quand elle sera condamnée à l'entendre?

Marie-Thérèse, arrivée au bas de l'escalier, avait rencontré son frère, et elle le pressait dans ses bras. Simon le lui arracha. L'enfant sortait de la salle où David avait demandé à revoir le fils du tyran et à l'entendre déclarer qu'il reconnaissait comme exact et vrai ce qu'il avait dit et signé la veille. L'enfant déconcerté avait fait un signe affirmatif, et, sur l'injonction de son maître, avait répondu: «Oui.»

Sa sœur est introduite. Le maire de Paris, le premier, l'interroge sur les intelligences de ses parents avec les princes étrangers, intelligences qu'elle doit avoir connues. Les réponses de Marie-Thérèse sont si nettes et si fermes que les commissaires ne jugent pas à propos de pousser plus loin cette banale imputation. Chaumette aborde alors les questions qui étaient l'objet sérieux de l'interrogatoire. La jeune fille écoute d'abord sans rien comprendre, puis tout à coup la rougeur lui monte au visage, et les paroles de Chaumette, devenues plus explicites et plus claires, soulèvent de mépris et d'horreur tout ce qu'il y avait de sang chrétien et de sang filial dans cette angélique enfant. «Chaumette, dit-elle dans sa relation, m'interrogea sur mille vilaines choses dont on accusoit ma mère et ma tante. Je fus atterrée par une telle horreur, et si indignée que, malgré toute la peur que j'éprouvois, je ne pus m'empêcher de dire que c'étoit une infamie; malgré mes larmes, ils insistèrent beaucoup. Il y a des choses que je n'ai pas comprises, mais ce que je comprenois étoit si horrible que je pleurois d'indignation.»

Les cyniques accusateurs ne s'arrêtèrent pas devant le (p. 165) cri de la nature insultée. Ils rappelèrent le jeune Louis rampant sous la domination de son maître; ils établirent entre ces deux témoins la confrontation la plus pénible, la contradiction la plus cruelle, et firent ainsi, pendant trois heures, en présence d'un frère de huit ans, subir à l'innocence d'une jeune fille aussi pure que le lis qui sert d'emblème à sa royale maison, l'ignominieux supplice d'un interrogatoire que la vertu ne saurait comprendre, et dont l'indignation ne suffit pas pour faire justice. Le procès-verbal de cet interrogatoire porte encore la signature de Louis-Charles Capet, tracée d'une main vacillante; elle est précédée de celle de Marie-Thérèse et suivie de celle de leurs interrogateurs.

Madame Royale demanda alors à être réunie à sa mère. «Cela est impossible, lui répondit Chaumette; retirez-vous, et ne dites rien à votre tante, que nous allons faire descendre.»

Marie-Thérèse se jetait à peine dans les bras de Madame Élisabeth que celle-ci lui est enlevée, sans savoir ce qui s'est passé, sans savoir ce qu'elle doit espérer ou craindre. Descendue à la salle du Conseil, Pache et Chaumette l'interrogent. Comme elle répondait à leurs questions avec une sorte de dignité fière, Chaumette s'en offensa au point de lui dire: «Baissez un peu le ton; vous êtes devant vos magistrats: laissez là vos arrogances de cour.» Madame Élisabeth ne répond rien; mais connaissant quelque peu David pour l'avoir vu dans plus d'une occasion à Versailles, où son titre de premier peintre du Roi lui donnait ses entrées, et lui voyant sa tabatière à la main: «Monsieur David, lui dit-elle de ce ton de douceur et de bonté qui lui était familier, voudriez-vous me donner une prise de tabac? Je suis bien enrhumée du cerveau.» Et en même temps elle faisait un geste comme pour la prendre. «Apprenez, lui répond David, que vous n'êtes pas faite pour (p. 166) mettre vos doigts dans ma tabatière.» Puis il versa un peu de tabac dans le creux que forme le pouce, et l'offrit à Madame Élisabeth, qui lui tourna le dos. Après ce lâche outrage fait, je ne dirai pas à une princesse, mais à une femme, à une femme prisonnière et malheureuse, l'interrogatoire reprit son cours. Il n'avait d'abord touché qu'aux choses de la politique, et maintenant il déroule sous les yeux de Madame Élisabeth ce long tissu d'infamies dont on a chargé la Reine et elle-même. Ses perfides questionneurs voient bientôt qu'ils attendraient en vain de ce ferme esprit une phrase ambiguë dont il leur deviendrait possible d'abuser. Toutefois, avant de mettre fin à leur poursuite, ils confrontent l'enfant avec Madame Élisabeth, afin de faire rougir devant lui la vertu de sa tante, comme ils avaient fait rougir l'innocence de sa sœur. Cet interrogatoire est signé de Madame Élisabeth, de Louis-Charles, de David, de Pache, de Chaumette, de Daujon, de Séguy, de Laurent et de Heussée, administrateur de police. Nous donnons ici le fac-simile de ces signatures.

L'odieuse épreuve est terminée. Remontée dans sa chambre: «Oh! mon enfant!» s'écrie Madame Élisabeth en tendant les bras à sa nièce. Le silence seul peut exprimer le bouleversement et la confusion qu'elles éprouvent également. Leurs larmes coulent; pour la première fois leurs regards s'évitent. Un instant elles demeurent étroitement embrassées, puis elles se mettent à genoux, offrant leur humiliation et leur douleur au Dieu des humbles et des affligés.

Leurs réponses nettes et exemptes de toute équivoque avaient déconcerté les combinaisons des pervers, réduits à s'en tenir au procès-verbal attribué à Daujon et adopté par Hébert. La visite des commissaires au Temple ne fut pas toutefois sans résultat: les images dont on avait souillé l'imagination des pauvres prisonnières laissaient un grand (p. 167) trouble dans leur âme; puis la captivité devint plus morne et plus dure. Turgy, qui, employé au service intérieur de la tour, était le seul qui ne leur fût pas indifférent ou hostile, fut expulsé avec un certain nombre de personnes jugées inutiles ou devenues suspectes[82]. Voici le dernier billet que Madame Élisabeth lui écrivit:

«Le 11 octobre 1793, à deux heures un quart.

»Je suis bien affligée. Ménagez-vous pour le temps où nous serons plus heureux et où nous pourrons vous récompenser. Emportez la consolation d'avoir servi de bons et malheureux maîtres.

»Recommandez à Fidèle (Toulan) de ne pas trop se hasarder pour nos signaux (par le cor). Si le hasard vous fait voir madame Mallemain, dites-lui de nos nouvelles, et que je pense à elle.

»Adieu, honnête homme et fidèle sujet: que le Dieu auquel vous êtes fidèle vous soutienne et vous console dans ce que vous avez à souffrir!»

Le 13 octobre, M. Hue fut arrêté. De ce moment, Madame Élisabeth ne put rien apprendre de ce qui se passait. Toute intelligence cessa pour elle au dehors comme au dedans. Elle n'eut plus de nouvelles de la Reine. Nous n'avons point à regretter pour elle cette privation. Marie-Antoinette, (p. 168) dont le procès commençait le 14, montait le 16 sur l'échafaud. L'ignorance de toute chose où vit Madame Élisabeth peut accroître ses inquiétudes, mais elle lui épargne une plus grande douleur. Il est à remarquer que les municipaux de service, les gardiens, tous les employés, et Simon lui-même, gardèrent en cette circonstance une charitable discrétion.

Quelques jours après, vers le soir, Madame Élisabeth entendit un bruit de querelle dans l'appartement de Simon. Elle craignit naturellement que cette rude voix, qui lui était bien connue, ne s'adressât à la victime accoutumée. Cette pensée l'occupa la nuit et le lendemain et le surlendemain; n'entendant plus rien et privée de toute nouvelle, elle monta au comble de la tourelle par l'escalier de la garde-robe, et s'établit en observation à la petite fenêtre que nous avons indiquée. Le second jour, elle fut payée de ses peines: le maître et l'élève se montrèrent sur la plate-forme; ils s'arrêtèrent même un instant, de manière à être vus de la patiente spectatrice, si bien qu'elle ne put savoir si elle n'avait point été aperçue elle-même ou si elle devait n'attribuer qu'au hasard le regard qu'à leur passage l'un et l'autre avaient dirigé de son côté.

Madame Élisabeth et Marie-Thérèse, qui avaient été confrontées avec l'enfant dans la scène du 7 octobre, avaient pu se convaincre par leurs yeux qu'il était extrêmement changé; mais l'altération de ses traits n'était rien auprès de la révolution qui s'était opérée dans ses idées et son langage, et c'était ce changement moral qui sans doute avait le plus péniblement affecté sa tante. Jamais, on doit le croire, elle ne sentit plus vivement la profonde infortune de sa famille. Cependant, courbée sous la main de Dieu, qui semblait chaque jour s'appesantir davantage, elle s'abandonnait avec résignation à sa volonté, et le remerciait des consolations qu'il daignait encore lui permettre; car cette prison du (p. 169) Temple, où elle pouvait pleurer tranquillement avec sa nièce, pouvait d'un jour à l'autre lui être enlevée!—Chaumette, en effet, avait plus d'une fois représenté cette maison d'arrêt comme un asile spécial, exceptionnel, aristocratique, contraire au principe d'égalité proclamé par la République. Dans le courant du mois de novembre, il reprit cette question au point de vue de l'économie, et «fit sentir au conseil général de la Commune le ridicule de conserver dans la tour du Temple trois individus qui nécessitaient une surcharge de service et des dépenses excessives[83].» Faisant droit au réquisitoire de son procureur, la Commune arrêta qu'elle se porterait en masse à la Convention pour demander la translation des prisonniers du Temple dans les prisons ordinaires, et leur assujettissement au traitement uniforme de tous les détenus. Plus circonspect que le conseil général, le Comité de salut public reçut avec réserve la proposition de cette mesure: il manda Chaumette, écouta ses raisons, les discuta, et finit par maintenir dans ses priviléges cette dure prison que la Commune révolutionnaire chicanait aux enfants des rois émancipateurs des communes.

Ces enfants des rois, dans l'abjection, conservaient toute leur dignité. Rocher, un des gardiens du Temple, disait le 12 novembre 1793: «Madame Élisabeth ne voulait pas me saluer; elle y est maintenant forcée, parce qu'il faut (p. 170) qu'elle se baisse pour passer sous le guichet. Je fume ma pipe, et je lui lâche une bouffée à son passage.» La municipalité de Paris ne se tint pas pour battue: elle essaya de se venger de l'échec qu'elle venait d'éprouver, et renouvela dans les appartements du Temple de rigoureuses perquisitions, avec l'espoir d'y découvrir des papiers ou indices quelconques capables de compromettre Madame Élisabeth. Elle ne fut pas plus heureuse sur ce terrain. Mais il n'y avait pas d'obstacles qui pussent l'empêcher d'arriver au but qu'elle voulait atteindre: elle emprunta de nouveau la main du pauvre petit orphelin du Temple pour frapper la seconde mère qu'elle avait résolu de lui enlever. Simon, dans la fabrication de cette nouvelle œuvre, ne fut secondé ni par les conseils d'Hébert ni par la rédaction de Daujon. Aussi le procès-verbal que, seul, il fit dresser aux municipaux, se ressent-il de l'absence de complices aussi habiles. Nos lecteurs en jugeront.

COMMUNE DE PARIS.

«Le cinquième jour du deuxième mois de l'an second de la République une et indivisible, à huit heures du soir;

»Le citoyen Simon est venu au conseil du Temple pour lui faire part d'une conversation qu'il avoit eue avec le petit Capet, par laquelle un membre de la Commune paroissoit avoir eu des intelligences avec sa mère. Simon ne voulant pas nommer le membre sans qu'au préalable le conseil eût reçu lui-même la déclaration du petit, alors le conseil a nommé les citoyens Foloppe et Figuet pour interroger le petit Capet; ces deux membres sont de suite montés dans sa chambre, où étant, et en présence de la citoyenne Simon, ils ont fait rouler la conversation sur différentes choses, et l'amenant insensiblement sur les membres de la Commune, il a dit:

»Qu'un jour Simon étant de service au Temple auprès (p. 171) de sa mère avec Jobert, ledit Jobert avoit remis ce jour-là deux billets sans que Simon fut (sic) aperçu; que cette espièglerie avoit fait rire beaucoup ces dames, d'autant plus qu'elles avoient trompé la vigilance de Simon, mais que lui déclarant n'avoit point vu les billets, seulement que ces dames le lui avoient dit.

»Les commissaires dénommés descendus au conseil ont donné lecture de la présente déclaration; alors Simon a dit qu'elle étoit conforme à celle que le petit Capet lui avoit fait (sic) verbalement.

»Lecture faite au petit Capet de la présente déclaration, a dit qu'elle contient vérité, y persiste et a signé.

»Et avant de signer, le petit Capet a dit que sa mère craignoit sa tante, et que sa tante étoit celle qui exécutoit mieux les complots.»

Fac-similé d'écriture.

Ce document, qui nous semble plus absurde encore que révoltant, ne satisfit pas la Commune; elle demanda des déclarations de faits plus explicites et plus graves. Un nouveau procès-verbal fut fabriqué, mais n'offrant guère plus de garanties et de preuves que le précédent.

(p. 172) Voici ce procès-verbal:

«Cejourd'hui 13 frimaire, l'an II de la République une et indivisible, nous, commissaires de la Commune, de service au Temple, sur l'avertissement à nous donné par le citoyen Simon, que Charles Capet avoit à dénoncer des faits qu'il nous importoit de connoître pour le salut de la République, nous nous sommes transportés, quatre heures de relevée, dans l'appartement dudit Charles Capet, qui nous a déclaré ce qui suit:

»Que, depuis environ quinze jours ou trois semaines, il entend les détenues frapper tous les jours consécutifs, entre six heures et neuf heures; que, depuis avant-hier, ce bruit s'est fait un peu plus tard et a duré plus longtemps que tous les jours précédents; que ce bruit paroît partir de l'endroit correspondant au bûcher; que, de plus, il connoît, à la marche qu'il distingue de ce bruit, que, pendant ce temps, les détenues quittent la place du bûcher par lui indiquée pour se transporter dans l'embrasure de la fenêtre de leur chambre à coucher, ce qui fait présumer qu'elles cachent quelques objets dans ces embrasures; il pense que ce pourroit être de faux assignats, mais qu'il n'en est pas sûr, et qu'elles pourroient les passer par la fenêtre pour les communiquer à quelqu'un.

»Ledit Charles nous a également déclaré que, dans le temps qu'il étoit avec les détenues, il a vu un morceau de bois garni d'une épingle crochue et d'un long ruban, avec lequel il suppose que les détenues ont pu communiquer par lettres avec feu Capet.

»Et de plus, que ledit Charles se rappelle qu'il lui a été dit que, s'il descendoit avec son père, il lui fit ressouvenir de passer tous les jours, à huit heures et demie du soir, dans le passage qui conduit à la tourelle, où se trouve une fenêtre de l'appartement des détenues.

»Charles Capet nous a déclaré de plus qu'il étoit fortement (p. 173) persuadé que les détenues avoient quelques intelligences ou correspondances avec quelqu'un.

»De plus, nous a déclaré qu'il avoit entendu lire dans une lettre que Cléry avoit proposé à feu Capet le moyen de correspondance présumé par lui déclarant; que Capet avoit répondu à Cléry que cela ne pouvoit se pratiquer, et que cette réponse n'avoit été faite à Cléry qu'à la fin qu'il ne se doutât pas de ladite correspondance.

»Déclare qu'il a vu les détenues fort inquiètes, parce qu'une de leurs lettres étoit tombée dans la cour.

»Ayant demandé au citoyen Simon s'il avoit connoissance du bruit ci-dessus énoncé, il a répondu qu'ayant l'ouïe un peu dure, il n'avoit rien entendu; mais la citoyenne Simon, son épouse, a confirmé les dires dudit Charles Capet relativement au bruit.

»Ledit citoyen Simon nous a dit que, depuis environ huit jours, ledit Charles Capet se tourmentoit pour faire sa déclaration aux membres du conseil.

»Lecture faite auxdits déclarants, ont reconnu contenir vérité et ont signé ledit jour et an que dessus.

»Signé: Charles Capet, Simon, femme Simon,
Remy, Séguy, Robin, Sillans.

Un détail nous frappe, c'est le refus fait par Simon de s'associer à sa femme et à son élève dans la première déposition que contient cette pièce, et qui est relative au bruit entendu dans l'appartement des prisonnières. Dans le prétexte qu'il allègue de sa surdité pour n'avoir point connaissance de ce bruit, ne serait-on pas disposé à voir plutôt de sa part un calcul raisonné pour donner plus de crédit à ses autres allégations, notamment à celle-ci, que, depuis environ huit jours, Charles Capet se tourmentait pour faire sa déclaration aux membres du conseil.

Je ne crois pas que dans la longue suite des méfaits révolutionnaires (p. 174) il y ait eu rien de plus odieux que cette intrigue ténébreuse, ourdie pour exploiter la peur et l'ignorance d'un enfant qui, vaincu par les mauvais traitements, témoigne contre la mémoire de son père, concourt à la mort de sa mère, déjà sur les marches de l'échafaud, et contribue à pousser vers le même but sa seconde mère, l'angélique Élisabeth. Employer l'innocence au crime, n'est-ce pas un plaisir de démon?

La Commune de Paris recula devant l'impossibilité d'asseoir une accusation capitale sur de pareils motifs; mais le récit d'un enfant dénonçant lui-même les petites intrigues de sa tante et de sa mère ne pouvait que plaire à la moralité du conseil général[84]. On sait combien Marie-Antoinette, jusqu'à ses derniers moments, fut préoccupée de la crainte que les paroles odieuses mises dans la bouche de son fils ne tombassent sur le cœur meurtri de Madame Élisabeth, ou ne fussent même dirigées contre elle comme un moyen de calomnie. «J'ai à vous parler, lui dit-elle dans cette lettre admirable qu'elle lui a laissée en montant à l'échafaud, et que Madame Élisabeth n'a jamais lue, j'ai à vous parler d'une chose bien pénible à mon cœur: je sais combien cet enfant doit vous avoir fait de la peine; pardonnez-lui, ma chère sœur; pensez à l'âge qu'il a, et combien il est facile de faire dire à un enfant ce qu'on veut, et même ce qu'il ne comprend pas.»

Madame Élisabeth n'avait point à pardonner: elle n'ignorait pas plus que la Reine la source de toutes ces suggestions perfides, et jamais elle n'a songé à en accuser un enfant. Les paroles de celui-ci pouvaient devenir la cause de sa mort, mais non le sujet du moindre ressentiment.

Tison, enfermé, nous l'avons dit, dans la tourelle depuis le 21 septembre, supportait en silence la captivité comme (p. 175) une expiation de sa conduite passée. Cependant, inquiet de sa femme et de sa fille, dont il ne pouvait avoir de nouvelles, il se décida, le 10 décembre, à solliciter sa liberté. Sa demande fut combattue par Hébert, jaloux de conserver sous sa main un témoin capable de fournir d'utiles renseignements sur la sœur du tyran. Le Comité de salut public ordonna qu'avant de statuer sur la pétition, on interrogerait soigneusement le pétitionnaire. L'interrogatoire n'ayant amené aucune charge contre Madame Élisabeth, le Comité, loin d'accorder une grâce qui n'était point achetée par une délation, arrêta que Tison serait mis au secret et réduit au plus strict nécessaire.

A dater de cette époque, Madame Élisabeth entra dans une phase d'abandon et de solitude qu'il nous devient impossible de décrire: misère monotone, sombre, terne, privée de cet éclat qui rayonne d'ordinaire à l'entour des infortunes royales. Mais elle ne se plaignait pas: elle n'avait de pitié que pour sa petite compagne, qui était dans un âge où le malheur est comme une surprise faite à la nature. Madame Élisabeth lui parlait avec cette onction religieuse puisée aux sources d'eaux vives de la foi, de l'espérance et de l'amour, qui transfigurent l'âme et lui font trouver partout son Thabor. «Les souffrances de cette vie, disait-elle, n'ont aucune proportion avec la gloire future qu'elles nous font mériter. Jésus-Christ n'a-t-il pas marché devant nous chargé de la croix? Souvenez-vous, mon enfant, des paroles que votre père vous adressait la veille du jour où, pour la première fois, vous alliez recevoir le sang de l'Agneau. Il vous disait: La religion est la source du bonheur et notre soutien dans l'adversité; ne croyez pas que vous en soyez à l'abri: vous ne savez pas, ma fille, à quoi la Providence vous destine...»

Les paroles prononcées par le Roi dans son palais prolongeaient ainsi leur écho dans une prison qui donnait à (p. 176) leurs accents quelque chose de prophétique, et devenait pour sa fille le meilleur des enseignements.

Un jour, Madame Élisabeth ayant ouvert un papier qu'elle portait sur elle, et qui contenait des cheveux du Roi son frère et de la Reine Marie-Antoinette (Dieu lui envoya-t-il en ce moment le pressentiment de sa destinée prochaine?), Madame Élisabeth, dis-je, coupa une tresse de ses propres cheveux, la plaça avec les deux autres mèches dans le même paquet, et le remettant à sa nièce:

«Gardez, lui dit-elle, ma fille, ces tristes souvenirs: c'est le seul héritage que puissent vous transmettre votre père, votre mère, qui vous ont tant aimé, et moi qui vous aime aussi bien tendrement. On m'a enlevé plumes, papier, crayon: je ne puis rien vous léguer par écrit; du moins, ma chère enfant, retenez bien les consolations que je vous ai données: elles suppléeront aux livres qui vous manquent. Élevez votre âme à Dieu; il nous éprouve parce qu'il nous aime: il nous apprend le néant des grandeurs. Ah! mon enfant, dit-elle en pleurant et en la serrant dans ses bras, Dieu seul est vrai, Dieu seul est grand[85]

Retranchées, pour ainsi dire, du nombre des vivants, les deux recluses passaient leurs jours, occupées l'une de l'autre, s'entretenant de leurs souvenirs, de leurs craintes mêlées de bien peu d'espérances, mais d'une soumission entière à la volonté de Dieu. Elles n'apprirent plus rien de ce qui se passait sur la terre; elles ignorèrent l'échafaud dressé par Robespierre et Danton pour immoler Hébert et les hébertistes[86]; l'échafaud dressé douze jours après par (p. 177) Robespierre pour abattre Danton[87]; puis, huit jours plus tard, pour abattre Chaumette[88]. La terreur régnait sur la France. Du haut des guillotines, ses sanglantes forteresses, la minorité commandait. Devant elle se taisait la nation, la liberté s'agenouillait, l'humanité se voilait la face. Les Saint-Just, les Collot d'Herbois, les Carrier, les Lebon, allaient porter dans les provinces l'épouvante et la mort. La famine désolait le pays; les passions révolutionnaires s'agitaient dans les clubs et par les rues, hâtant l'action mortelle de la misère. Au front de chaque maison pend un écriteau proclamant la liberté ou la mort. Sur chaque porte est affichée la liste des habitants de la maison, moyen de contrôle si l'on veut savoir, table de proscription si l'on veut tuer[89]. Onze mille quatre cents aristocrates sont entassés (p. 178) dans les palais et les couvents de Paris, transformés en prisons. Le crime et la peur sont partout; dans les rues, on évite de se reconnaître, ou si on s'aborde, on échange deux mots à voix basse; on marche vite, à moins qu'un crieur proclamant l'arrêt des condamnés, on ne s'arrête pour écouter le nom d'un parent, d'un ami, peut-être son propre nom. La nuit est aussi troublée que le jour. Des arrestations se font aux flambeaux; des domestiques ont dénoncé leurs maîtres à leurs sections, tandis que d'autres servent sans gages des maîtres restés sans ressources. Comme (p. 179) si le temps ne suffisait pas aux juges pour condamner, on adopte le système des jugements en masse. La guillotine en permanence abat les têtes sans les compter[90]. Le sang qui coule à flots, loin d'étancher la soif des tyrans, semble l'irriter encore. Il n'y a plus de rois à jeter en holocauste au sphinx de la révolution, et la nation épouvantée se trouve face à face avec la sombre énigme de son existence. Tout est tumulte, désordre, vertige et rage: la civilisation et la barbarie se cherchent dans les ténèbres pour s'arracher leur secret; duel horrible, pareil à celui de ces deux hommes enfermés dans une cave avec des poignards, et qui ne se voyaient qu'aux éclairs de leurs yeux. La patience des opprimés apparaît dans ces jours horribles comme un phénomène aussi inexplicable que la perversité des oppresseurs. L'intelligence politique s'était retirée dans quelques âmes méditatives qui réfléchissaient à l'écart, ou dans quelques cerveaux astucieux qui remuaient la multitude. Le reste n'avait plus de confiance en soi-même, et laissait faire, comme courbé sous la main de Dieu: tremblant et résigné, tout un peuple attendait dans une muette épouvante, pareil à ces Indiens qui, lorsque le tigre apparaît, se prosternent, ferment les yeux, et restent immobiles jusqu'à ce que la bête rugissante ait choisi sa proie.

Madame Élisabeth se prosternait aussi, mais c'était les yeux levés vers le ciel. Retenue autrefois à la cour par son (p. 180) dévouement pour son frère, elle n'y avait vécu que pour prendre sa part des tribulations et des larmes. Aujourd'hui, tout ce que l'intérêt a de plus tendre, la religion de plus sublime, l'amitié de plus consolateur, elle le met en œuvre pour former l'esprit et le cœur de sa royale nièce. Sans désirer la bienvenue de ce grand libérateur qu'on appelle la mort, elle se met en mesure de le recevoir dignement; mais sa belle âme, quoique impatiente peut-être d'entrer dans les secrets de Dieu, tient à ce monde par le malheur qu'elle y partage, par les chagrins qu'elle y adoucit. L'état d'incertitude où elle se trouve du sort du Dauphin vient accroître l'anxiété que lui cause l'absence de toute nouvelle de la Reine. Depuis plusieurs mois, elle n'a entendu ni chansons ni jurements retentir dans l'appartement du second étage. Elle est montée mainte et mainte fois aux combles par l'escalier de la garde-robe, et jamais, depuis la fin de janvier, elle n'a aperçu l'enfant. A-t-il été délivré? Habite-t-il une autre partie du Temple? De grands changements se préparent-ils?

Oui, un grand changement se préparait. Déjà, dès le quintidi frimaire de l'an II (25 novembre 1793), la municipalité de Paris avait adressé à la Convention nationale la pétition suivante:

«Législateurs,

»Vous avez décrété l'égalité source du bonheur public; elle s'établit sur des bases désormais inébranlables; et cependant elle est violée, cette égalité, et de la manière la plus révoltante, dans les vils restes de la tyrannie, dans les prisonniers du Temple. Pourroient-ils encore, ces restes abominables, être comptés pour quelque chose dans les circonstances actuelles, ce ne seroit qu'en raison de l'intérêt que la patrie auroit d'empêcher qu'ils ne déchirassent son sein et ne renouvelassent les atrocités commises par (p. 181) les deux monstres qui leur ont donné le jour. Si donc tel est à leur égard le seul et unique intérêt de la République, c'est sous sa surveillance entière qu'ils doivent être placés, et ils ne sont plus ces temps horribles où une faction liberticide, dont le glaive de la loi a fait justice, avoit choisi comme moyen de vengeance contre une Commune patriote qu'elle abhorroit, une responsabilité qui outrageoit toutes les lois et qui pèse depuis plus de quinze mois sur la tête de chacun des membres de la Commune de Paris.

»La raison, la justice, l'égalité vous crient, législateurs, de faire cesser cette responsabilité.

»Et comme il est plus que temps de rendre à leurs travaux deux cent cinquante sans-culottes qu'on emploie injustement chaque jour à la garde des prisonniers du Temple, la Commune de Paris attend de votre sagesse:

»1o Que vous enverrez au plus tôt l'infâme Élisabeth au tribunal révolutionnaire;

»2o Qu'à l'égard de la postérité du tyran, vous prendrez des mesures promptes pour la faire transférer dans telle prison que vous aurez choisie, pour y être renfermée avec les précautions convenables, à l'effet d'y être traitée dans le système de l'égalité et de la même manière que les autres détenus dont la République a eu besoin de s'assurer.

»Dunouy, Renard, Le Clerc,
»Legrand, r. de la Commune; Dorigny

Envoyée à sa date au Comité de sûreté générale, cette adresse y avait sommeillé six mois. Mais les vœux qu'elle exprimait n'avaient point été mis en oubli dans la région la plus ardente de la révolution.

Ce n'est pas la première fois que cette pensée m'est venue en écrivant ce triste récit: si l'on songeait aux infortunes du Temple, si grandes et si imméritées, il n'y a pas de malheureux qui ne se réconciliât avec son malheur, pas (p. 182) de misérable accablé par sa destinée qui ne bénît Dieu sous le poids de son fardeau. Que ceux qui se plaignent de la méchanceté des hommes pensent à Madame Élisabeth, et ils cesseront de se laisser abattre par le découragement.

«Il n'est pas, écrivait le Père Lenfant dès le mois d'avril 1791, il n'est pas jusqu'à la vertu la plus pure, la plus soutenue et la plus universellement reconnue, qui ne soit indignement outragée. Madame Élisabeth est déchirée par les plus sanglantes et les plus absurdes calomnies[91]

Ces outrages s'étaient accrus avec le besoin qu'éprouvaient les niveleurs de trouver criminelles toutes les supériorités sociales; ces calomnies s'étaient propagées avec l'intérêt qu'avaient les pervers à légitimer les tortures exercées contre les personnes de sang royal. La moralité de Madame Élisabeth fut insultée dans ce récit immonde que la Commune de Paris fit signer au royal Enfant du Temple pour compromettre sa mère et sa tante et les envoyer à l'échafaud. La mort même ne désarmera point les persécuteurs. Trois ans après l'immolation de Madame Élisabeth, sa mémoire sera outragée dans un ouvrage qui aura la prétention de donner les portraits des personnages célèbres de la Révolution[92].

(p. 183) Laissez les années se succéder, un temps viendra où les calomnies se tairont, où la vérité apparaîtra dans tout son jour.

Madame Élisabeth arrive au terme que Dieu lui a assigné dans ses rigueurs comme dans ses miséricordes. Elle avait exprimé la résolution de partager les chagrins et les périls de sa famille: elle a tenu toutes ses promesses; à Versailles, dans les troubles du 6 octobre; à Paris, dans la morne solitude des Tuileries; sur la route de Varennes, dans la néfaste journée du 20 juin, dans la nuit sanglante du 10 août, dans la loge du Logographe, témoin des affronts et des menaces; dans la tour du Temple, témoin des adieux et de l'agonie. Oui, elle a tenu toutes les promesses qu'elle avait faites à Dieu: Dieu à cette heure va tenir les siennes.

Qu'importe la route quand le ciel est le but! Au-dessus de l'injustice des hommes apparaît la justice de Dieu qui récompense, et quand c'est la vertu qui meurt, l'échafaud n'est qu'un degré qui rapproche du ciel.

Le 20 floréal an II (9 mai 1794), vers sept heures du soir, l'huissier Monet se rendit au Temple accompagné des citoyens Fontaine, adjudant général d'artillerie de l'armée parisienne, et Saraillée, aide de camp du général Hanriot; il présenta aux membres du conseil Mouret, Eudes, Magendie et Godefroi, une lettre de Fouquier, accusateur public près le tribunal révolutionnaire, portant invitation de remettre entre les mains desdits susnommés la sœur de Louis Capet[93].

Les préliminaires d'usage s'étaient prolongés dans la salle du Conseil, et pendant la conversation engagée entre les commissaires et leurs sinistres visiteurs, l'heure s'était écoulée: déjà Madame Élisabeth et Marie-Thérèse se disposaient à se coucher, lorsqu'elles entendirent ouvrir les verrous. Elles se hâtent de passer leur robe, qu'elles venaient (p. 184) d'ôter. «Citoyenne, dit un des commissaires en ouvrant la porte de Madame Élisabeth, descends tout de suite, on a besoin de toi.—Ma nièce reste-t-elle ici?—Cela ne te regarde pas, on s'en occupera après.»

Madame Élisabeth embrasse sa jeune compagne, et, pour calmer ses inquiétudes, lui dit: «Soyez tranquille, je vais remonter.—Non, tu ne remonteras pas, répond le commissaire Eudes[94]; prends ton bonnet et descends.» Elle obéit, relève l'orpheline, qui s'affaisse dans ses bras, et lui dit: «Allons, ayez du courage et de la fermeté, espérez toujours en Dieu, servez-vous des bons principes de religion que vos parents vous ont donnés, et soyez fidèle aux dernières recommandations de votre père et de votre mère.» La tante et la nièce demeurent un instant embrassées; puis s'arrachant brusquement à cette étreinte, Madame Élisabeth se dirige d'un pas rapide vers la porte extérieure en disant encore: «Pensez à Dieu, mon enfant!»

Madame Élisabeth descend. On la fait entrer dans la salle du Conseil. Là, pendant que l'on rédige le procès-verbal de décharge des geôliers, on visite ses poches. Les envoyés de Fouquier signent sur le registre du Temple la remise qui leur est faite de la prisonnière. Ils la font traverser, sous une pluie battante, le jardin et la première cour; là, ils montent dans un fiacre avec elle et la conduisent à la Conciergerie, où elle est déposée dans le greffe. Il était en ce moment huit heures. A dix heures, on la conduit du greffe dans la salle du conseil du tribunal révolutionnaire. Là, par-devant Gabriel Deliége, juge, assisté de Ducray, commis greffier, et en présence de Fouquier, elle subit son premier interrogatoire.

PREMIER INTERROGATOIRE DE MADAME ÉLISABETH.

«Cejourd'hui, vingt floréal de l'an deux de la République (p. 185) française, une et indivisible, nous, Gabriel Deliége, juge président du tribunal révolutionnaire établi à Paris par la loi du 10 mars 1793, sans aucun recours au tribunal de cassation, et encore en vertu des pouvoirs délégués au tribunal par la loi du 5 avril de la même année, assisté de Anne Ducray, commis greffier du tribunal, en l'une des salles de l'auditoire au palais, et en présence d'Antoine-Quentin Fouquier, l'accusateur public, avons fait amener de la maison de la Conciergerie la cy-après nommée, auquel avons demandé ses noms, âge, profession, pays et demeure;

A répondu se nommer Élisabeth-Marie Capet, sœur de Louis Capet, âgée de trente ans, native de Versailles, département de Seine-et-Oise.

Avez-vous, avec le dernier tyran, conspiré contre la sûreté et la liberté du peuple françois?

J'ignore à qui vous donnez ce titre, mais je n'ai jamais désiré que le bonheur des François.

Avez-vous entretenu des correspondances et intelligences avec les ennemis intérieurs et extérieurs de la République, notamment avec les frères de Capet et les vôtres, et ne leur avez-vous pas fourni des secours en argent?

Je n'ai jamais connu que des amis des François; jamais je n'ai fourni des secours à mes frères, et, depuis le mois d'août 1792, je n'ai reçu de leurs nouvelles ni ne leur ai donné des miennes.

Ne leur avez-vous pas fait passer des diamants?

Non.

Je vous observe que votre réponse n'est point exacte sur l'article des diamants, attendu qu'il est notoire que vous avez fait vendre vos diamants en Hollande et autres pays étrangers, et que vous en avez fait passer le prix en provenant, par vos agents, à vos frères, pour les aider à soutenir leur rébellion contre le peuple françois.

(p. 186) Je dénie le fait, parce qu'il est faux.

Je vous observe que dans le procès qui eut lieu en novembre 1792, relativement au prétendu vol des diamants fait au ci-devant Garde-meuble, il a été établi et prouvé aux débats qu'il avoit été distrait une portion de diamants dont vous vous pariez autrefois; qu'il a pareillement été prouvé que le prix en avoit été transmis à vos frères par vos ordres: pourquoi je vous somme de vous expliquer catégoriquement sur ces faits.

J'ignore les vols dont vous venez de me parler. J'étois à cette époque au Temple, et je persiste au surplus dans ma précédente dénégation.

N'avez-vous pas eu connoissance que le voyage déterminé par votre frère Capet et Marie-Antoinette pour Saint-Cloud, à l'époque du 18 avril 1791, n'avoit été imaginé que pour saisir l'occasion favorable de sortir de France?

Je n'ai eu connoissance de ce voyage que par l'intention qu'avoit mon frère de prendre l'air, attendu qu'il n'étoit pas bien portant.

Je vous demande s'il n'est pas vrai au contraire que ce voyage n'a été arrêté que par suite des conseils des différentes personnes qui se rendoient alors habituellement au ci-devant château des Thuileries, notamment de Bonnal, ex-évêque de Clermont, et autres prélats et évêques; et vous-même, n'avez-vous pas sollicité le départ de votre frère?

Je n'ai point sollicité le départ de mon frère, qui n'a été décidé que d'après l'avis des médecins.

N'est-ce pas pareillement a votre sollicitation et à celle de Marie-Antoinette, votre belle-sœur, que Capet, votre frère, a fui de Paris dans la nuit du 20 au 21 juin 1791?

J'ai appris dans la journée du 20 que nous devions tous partir dans la nuit suivante, et je me suis conformée à cet égard aux ordres de mon frère.

Le motif de ce voyage n'étoit-il pas de sortir de France (p. 187) et de vous réunir aux émigrés et aux ennemis du peuple françois?

Jamais mon frère ni moi n'avions eu l'intention de quitter notre pays.

Je vous observe que cette réponse ne paroît pas exacte, car il est notoire que Bouillé avoit donné les ordres à différents corps de troupes de se trouver au point convenu pour protéger cette évasion, de manière de pouvoir vous faire sortir, ainsi que votre frère et autres, du territoire françois, et que même tout étoit préparé à l'abbaye d'Orval, située sur le territoire du despote autrichien, pour vous recevoir. Je vous observe au surplus que les noms par vous supposés et votre frère ne permettent pas de douter de vos intentions.

Mon frère devoit aller à Montmédy, et je ne lui connoissois point d'autres intentions.

Avez-vous connoissance qu'il ait été tenu des conciliabules secrets chez Marie-Antoinette, ci-devant Reine, lesquels s'appeloient comités autrichiens.

J'ai parfaite connoissance qu'il n'y en a jamais eu.

Je vous observe qu'il est cependant notoire que ces conciliabules tenoient de deux jours l'un depuis minuit jusqu'à trois heures du matin, et que même ceux qui y étoient admis passoient par la pièce que l'on appelloit alors la Galerie des tableaux.

Je n'en ai aucune connoissance.

N'étiez-vous pas aux Thuileries le 28 février 1791, 20 juin et 10 août 1792?

J'étois au château les trois jours, et notamment le 10 août 1792, jusqu'au moment où je me suis rendu avec mon frère à l'Assemblée nationale.

Ledit jour 28 février, n'avez-vous pas eu connoissance que le rassemblement des ci-devant marquis, chevaliers et (p. 188) autres, armés de sabres et de pistolets, étoit encore pour favoriser une nouvelle évasion de votre frère et de toute la famille, et que l'affaire de Vincennes arrivée le même jour n'a été imaginée que pour faire diversion?

Je n'en ai aucune connoissance.

Qu'avez-vous fait dans la nuit du 9 au 10 août?

Je suis restée dans la chambre de mon frère, et nous avons veillé.

Je vous observe qu'ayant chacun vos appartements, il paroît étrange que vous vous soyez réunis dans celui de votre frère, et sans doute cette réunion avoit un motif que je vous interpelle d'expliquer.

Je n'avois d'autre motif que celui de me réunir toujours chez mon frère lorsqu'il y avoit du mouvement dans Paris.

Cette même nuit, n'avez-vous pas été avec Marie-Antoinette dans une salle où étoient les Suisses occupés à faire des cartouches, et notamment n'y avez-vous pas été de neuf heures et demie à dix heures du soir?

Je n'y ai pas été, et n'ai nulle connoissance de cette salle.

Je vous observe que cette réponse n'est point exacte, car il est encore établi dans différents procès qui ont eu lieu au tribunal du 17 août 1792, que Marie-Antoinette et vous aviez été plusieurs fois dans la nuit trouver les gardes suisses; que vous les aviez fait boire, et les aviez engagés à confectionner la fabrication des cartouches, dont Marie-Antoinette avoit mordu plusieurs.

Cela n'a pas existé, et je n'en ai aucune connoissance.

Je vous représente que les faits sont trop notoires pour ne pas vous rappeler les différentes circonstances relatives à ceux par vous déniés, et pour ne pas savoir le motif qui avoit déterminé le rassemblement des troupes de tout genre qui se sont trouvées réunies cette nuit aux Thuileries. Pourquoi je vous somme de nouveau de déclarer si vous persistez (p. 189) dans vos précédentes dénégations, et à nier les motifs de ce rassemblement.

Je persiste dans mes précédentes dénégations, et j'ajoute que je ne connoissois point de motifs de rassemblement. Je sais seulement, comme je l'ai déjà dit, que les corps constitués pour la sûreté de Paris étoient venus avertir mon frère qu'il y avoit du mouvement dans les faubourgs, et que dans ces occasions la garde nationale se rassembloit pour sa sûreté, comme la constitution le prescrivoit.

Lors de l'évasion du 20 juin, n'est-ce pas vous qui avez emmené les enfants?

Non, je suis sortie seule.

Avez-vous un défenseur ou voulez-vous en nommer un?

Je n'en connois pas.—Pourquoi lui avons nommé le citoyen Chauveau pour conseil.

Lecture du présent interrogatoire, a persisté et a signé avec nous et notre greffier.

Signatures.

Le lecteur doit remarquer que la signature de Madame Élisabeth est ici telle qu'elle se trouve dans tous les actes de sa vie. Ses interrogateurs n'exigèrent point d'elle, à ce qu'il paraît, d'y ajouter ce nom de Capet que la Révolution avoit inventé pour les Bourbons, s'imaginant que c'étoit le nom du chef de leur race.

Après avoir mis sa signature au bas de chaque page de (p. 190) cet interrogatoire, Élisabeth-Marie fut ramenée dans sa prison. Elle ne se faisait aucune illusion sur le sort qui lui était réservé, et elle ne songea plus qu'à paraître, non pas devant ses juges de la terre, car elle n'avait rien à attendre de ceux-là que la fin de ses tourments, mais devant le Juge tout-puissant dont elle espérait sa récompense. Elle savait qu'elle eût en vain réclamé l'assistance d'un prêtre catholique non assermenté, et elle ne voulut point perdre quelques minutes à implorer une faveur qui avait été accordée au Roi son frère, mais qui depuis un an eût été regardée comme un crime. Elle se résigna, offrit directement au Seigneur miséricordieux le sacrifice de sa vie, et puisa dans sa foi vive la force dont elle avait besoin pour l'accomplir dignement.

(p. 191) LIVRE ONZIÈME.
MEURTRE DE MADAME ÉLISABETH.

«Le ciel est mon trône, et la terre est mon marchepied.»

Actes des Apôtres, chap. VIII, v. 49.

La Conciergerie au mois de mars 1793. — Ce qu'elle était au mois de mai 1794. — Madame de la Fayette. — Haly, concierge de la prison du collége du Plessis. — Paroles de Fouquier. — Chauveau-Lagarde demande à voir Madame Élisabeth: refus de l'accusateur public, sous le prétexte qu'elle ne sera pas jugée de sitôt. — Poussé par une anxiété instinctive, Chauveau-Lagarde entre le lendemain dans la salle des assises, et aperçoit Madame Élisabeth au premier rang des accusés. — Leur interrogatoire. — Le Moniteur n'a point dit qu'Élisabeth fut défendue; elle le fut pourtant, bien qu'elle ne l'eût pas demandé et qu'elle s'inquiétât peu de l'être. — Résumé des débats; questions posées par le président; verdict des jurés; arrêt de mort. — Parmi les vingt-cinq condamnés, on signale une femme enceinte; Madame Élisabeth fait avertir les juges, et la sauve. — Paroles de Fouquier au président; réponse de Dumas. — Les condamnés sont conduits dans la salle des apprêts suprêmes. — Influence qu'exerce sur eux Madame Élisabeth; consolations qu'elle leur prodigue; courage qu'elle leur inspire. — Madame de Sénozan. — MM. de Montmorin et Bullier. — M. de Brienne, ancien ministre de la guerre et maire de Brienne; paroles que lui adresse Madame Élisabeth. — Désespoir de madame de Montmorin, puis sa résignation. — Madame de Crussol d'Amboise. — Grande satisfaction de Madame Élisabeth: tous ses compagnons d'infortune font résolûment à Dieu le sacrifice de leur vie. — Dernier appel. — Madame Élisabeth assise sur la charrette à côté de mesdames de Sénozan et de Crussol. — A la descente du pont Neuf, le mouchoir qui couvre la tête de Madame Élisabeth tombe aux pieds du bourreau. — Arrivé à la place de la Révolution, celui-ci lui tend la main comme pour l'aider à descendre; Élisabeth détourne la tête. — Devant l'échafaud, nul ne défaillit. — Madame de Crussol appelée la première. — Comment, dans ce dernier moment, Élisabeth apprend que la Reine n'existe plus. — Madame Élisabeth immolée la dernière. — Son corps est jeté dans un panier avec les autres cadavres, et sa tête avec les autres têtes dans un second panier. — La charrette se met en marche. — Rues du Rocher et d'Errancis, barrière de Monceaux, Clos du Christ. — Fournées précédentes d'Hébert et des hébertistes, de Danton et des quatorze compagnons de mort que son généreux ami Robespierre lui avait donnés, de la conspiration des prisons, puis enfin de Malesherbes et de ses enfants. — Le cadavre de Madame Élisabeth et les vingt-trois autres sont mis à nu et inhumés ensemble dans une fosse de douze à quinze pieds de largeur et autant de longueur. — Douleur que produit en Europe le meurtre de Madame Élisabeth, et particulièrement à Turin et au château de Wartegg, près Rorschach, où vivait retirée la famille de Bombelles. — Madame de Raigecourt adresse ses respectueuses condoléances à la jeune Marie-Thérèse; réponse de celle-ci. — Lettre du comte de Provence à madame des Montiers. — La commune révolutionnaire de Versailles s'emparant de la maison Élisabeth, Jacques et Marie, mis en prison, y sont oubliés. — Leur misère éveille la pitié des magistrats; leur détention est déclarée une injustice, mais aucune indemnité ne leur est attribuée. — Retirés à Bulle, (p. 192) ils y passent en paix une quarantaine d'années. — Fondation d'une manufacture d'horlogerie dans la maison de Montreuil. — L'entreprise demeure sans succès.

On se ferait difficilement une idée de ce qu'étaient les prisons de Paris pendant la révolution. Déjà, dans un Rapport au ministre de l'intérieur sur l'état des prisons de la Conciergerie, à la date du 17 mars 1793, le citoyen Grandpré s'exprimait ainsi:

«Je viens de faire une nouvelle visite des prisons de la Conciergerie. L'impression horrible que j'ai éprouvée à la vue des malheureux amoncelés dans cette affreuse demeure est inexprimable, et je ne puis concevoir encore la barbarie des officiers de police chargés de la surveiller et l'insouciance des tribunaux à absoudre ou condamner les accusés. Toutes les prisons ont été vidées à l'époque à jamais exécrable des 2 et 3 septembre dernier. Cependant elles contiennent aujourd'hui 950 individus. Il y en a 320 à l'hôtel de la Force, 44 à Sainte-Pélagie, 206 à Bicêtre, et 380 à la Conciergerie. Cette dernière prison, qui, par sa position près du tribunal criminel, a toujours été destinée pour les criminels, et qui ne devroit être considérée, d'après la nouvelle organisation, que comme maison de justice, sert cependant tout à la fois de maison d'arrêt, de maison de justice et de force. Il faut toute la surveillance et tout le dévouement d'un concierge incorruptible et de guichetiers éprouvés tels que ceux qui en ont la garde, pour qu'il n'y arrive pas chaque jour des événements sans nombre et des évasions multipliées, comme cela arrive journellement dans presque tous les départements. J'y ai vu une trentaine d'hommes et femmes condamnés à mort, qui tous se sont pourvus en cassation, dont les procès languissent, et qui emploient tout le temps qu'on leur laisse à faire toutes sortes de tentatives soit pour attenter à leur vie, soit pour opérer un soulèvement au dehors ou même au dedans; et (p. 193) leur rassemblement prodigieux, en leur montrant leur force, fait craindre à tout moment que leurs projets ne réussissent. Ce qui contribue plus à les désespérer et à leur faire tout entreprendre, c'est l'inhumanité avec laquelle on les entasse dans la même chambre et les tourments incalculables qu'ils éprouvent pendant la nuit. Je les ai visitées à l'ouverture, et je ne connois point d'expression assez forte pour peindre le sentiment d'horreur que j'ai éprouvé en voyant dans une seule pièce 26 hommes rassemblés, couchés sur 21 paillasses, respirant l'air le plus infect, et couverts de lambeaux à moitié pourris; dans une autre, 45 hommes entassés sur 10 grabats; dans une troisième, 38 moribonds pressés sur 9 couchettes; dans une quatrième, très-petite, 14 hommes ne pouvant trouver de place dans 4 cases; enfin, dans une cinquième, sixième et septième pièce, 85 malheureux se froissant les uns les autres pour pouvoir s'étendre sur 16 paillasses remplies de vermine, et ne pouvant tous trouver le moyen de poser leur tête. Un pareil spectacle m'a fait reculer d'épouvante, et je frissonne encore en voulant en donner une idée. Les femmes sont traitées de la même manière. 54 d'entre elles sont forcées de se coucher sur 19 paillasses ou de se relayer alternativement pour rester debout et ne pas étouffer en se mettant les unes sur les autres. Il y a dans cette maison 47 hommes et 12 femmes qui ont le privilége d'être à la pension et de coucher dans des lits séparés. Cette distinction m'a paru barbare, injuste et injurieuse à l'humanité. La loi qui distribue le pain également entre chaque détenu ne peut avoir eu l'intention de donner à l'homme aisé un asile commode et de mettre l'indigent dans un tombeau. Toute inégalité doit disparoître devant elle. De quelque état ou condition qu'ils soient, elle voit les accusés du même œil, et leur promet à tous le même traitement jusqu'à l'instant de leur jugement. Mais la justice semble (p. 194) endormie; ses oracles ne se rendent plus, ou le peu qui lui échappent sont sans effet, au moyen du tribunal de cassation, où l'appel en est porté, et où les affaires restent en suspens. Cependant les prisons s'engorgent chaque jour: presque aucun prisonnier n'en sort; un grand nombre y arrive sans cesse; au milieu de cette effroyable quantité, le juré d'accusation se tait, ou ne se livre que négligemment à des fonctions dont le terme trop éloigné l'effarouche; il choisit les individus dont il veut s'occuper de préférence, et des malheureux arrêtés depuis plusieurs mois ont la douleur de n'avoir pas encore été interrogés: il y en a dans ce cas 34, dont j'indique les noms et la date de l'arrestation dans un tableau joint au présent rapport.

»Je dois encore appeler l'attention du ministre sur le sort d'un assez grand nombre de malheureux échappés au carnage du mois de septembre, et réintégrés depuis dans les prisons, en vertu d'ordres la plupart arbitraires et sans cause. La crise perpétuelle où se trouve la République, les mouvemens intérieurs et fréquents qui en sont la suite, les bruits qu'on ne cesse de répandre d'un nouveau massacre, l'image toujours présente de celui qui s'est effectué sous leurs yeux, jettent la terreur dans l'âme de ces infortunés; ils souffrent mille morts chaque jour et maudissent le moment qui ne leur a sauvé la vie que pour les livrer de nouveau au supplice journalier d'une incertitude cent fois plus cruelle que tous les genres de mort possibles. Regardera-t-on comme une absolution de leurs fautes l'épreuve à laquelle ils ont été soumis aux journées de septembre et la liberté qui leur a été accordée? C'est une question que le ministre Roland a soumise le 16 novembre au ministre de la justice, et sur laquelle il seroit important de prononcer. Il n'y a pas de délit qui ne doive être effacé pour des gens qui ont été plusieurs jours sous le couteau, et la situation pénible où ils se retrouvent en ce moment, et dans (p. 195) laquelle ils sont depuis plusieurs mois, les met sans doute dans le cas de l'indulgence.

»Paris, le 17 mars 1793, l'an II de la République française.

»Grandpré.»

Les choses ne se passaient plus ainsi en mai 1794. La justice n'était plus endormie, pour nous servir des termes du rapport qu'on vient de lire. Les inquiétudes de l'attente étaient épargnées au suspect et les longues terreurs au condamné. Les prisons se remplissaient chaque jour, mais chaque jour elles étaient vidées par le bourreau.

Un prisonnier de 1794 nous a laissé la description de la Conciergerie telle qu'elle était à cette époque:

«La première entrée, dit-il, est fermée de deux guichets[95]. Ces deux guichets sont à peu près à trois pieds l'un de l'autre. Ils sont tenus chacun par un porte-clefs. Tous les porte-clefs ne sont pas admis indistinctement à l'honneur de ces premiers guichets: on choisit les plus vigoureux et ceux qui ont le coup d'œil plus subtil. Il faut, disent-ils, avoir de la tête pour de pareilles fonctions. Aussi les postulants attendent-ils quelquefois longtemps. Un bouquet placé au-dessus de la porte annonce une nouvelle promotion. Le promu se fait coiffer ce jour-là par un perruquier, met ses plus beaux habits. Son air satisfait et capable annonce qu'il sent sa dignité et qu'il n'est pas au-dessous du choix dont on l'a honoré. Le soir, les flots de vin redoublent et terminent un si beau jour.

»Dans la première pièce, appelée guichet, au bout d'une grande table, sur un fauteuil, est le gouverneur de la maison, (p. 196) ou bien la respectable moitié de lui-même, ou bien le plus ancien des porte-clefs, qui les représente en ce cas. Ces gouverneurs-là sont devenus, par le temps où nous sommes, des personnages très-considérables. Les parents, amis ou amies des prisonniers, font ordinairement une cour très-assidue au concierge Richard pour se faire entr'ouvrir un guichet. On le salue profondément; quand il est de bonne humeur, il sourit; quand au contraire il est morose, il fronce le sourcil; c'est Jupiter qui fait trembler l'Olympe d'un coup d'œil. Aussi les prisonniers ont-ils toujours l'attention d'épier ses bons moments, et alors on s'évertue à présenter humblement le placet.

»C'est de ce fauteuil qu'émanent les ordres pour la police de la maison. C'est à ce fauteuil que sont évoquées les querelles des guichetiers entre eux et des guichetiers avec les prisonniers. C'est à ce fauteuil que les malheureux détenus portent leurs humbles réclamations quand ils obtiennent la faveur d'y être admis. C'est de ce fauteuil que part quelquefois un regard de protection qui console, et souvent un coup d'œil qui foudroie. Du reste, la femme Richard tient sa maison d'une manière étonnante: on n'a ni plus de mémoire, ni plus de présence d'esprit, ni une connoissance plus exacte des détails les plus minutieux.

»Outre le concierge ou son représentant, il y a dans le guichet un ancien porte-clefs qui divague. C'est, sans qu'il y paroisse, l'inspecteur des personnes qui entrent ou qui sortent. Quand il a des distractions, on entend sortir du fauteuil ces vigilantes paroles: «Allumez le miston!» (Allumez, mot d'argot qui veut dire regarde sous le nez, miston, de l'individu.) Le guichetier les répète à ses camarades qui sont de service aux portes. Lorsqu'il entre un nouveau prisonnier, on recommande aux guichetiers d'allumer le miston, afin qu'il soit généralement connu et ne puisse se donner pour étranger.

(p. 197)»A main gauche en entrant dans le guichet est le greffe. Cette pièce est partagée en deux par des barreaux. Une moitié est destinée aux écritures, l'autre moitié est le lieu où l'on dépose les condamnés; c'est là qu'ils ont quelquefois attendu trente-six heures le moment fatal où l'exécuteur des jugements criminels (que les guichetiers appellent dans leur langage tôle) leur fait subir les redoutables apprêts de leur supplice[96]

(p. 198) C'est dans cette pièce que Madame Élisabeth avait passé les deux heures qui avaient précédé son interrogatoire.

(p. 199) Peut-être sera-t-on disposé à croire qu'entre cet interrogatoire et le jugement il y eut l'intervalle de temps nécessaire (p. 200) pour que l'accusée pût réunir ses moyens de défense. Ce serait mal connaître l'époque révolutionnaire que de (p. 201) céder à une pareille illusion. Madame de la Fayette[97], si admirable par le caractère aussi énergique que généreux (p. 202) qu'elle déploya au milieu de ces scènes d'horreur, raconte qu'ayant été transférée de la Force au collége du Plessis, Haly, concierge de cette dernière prison, lui dit un jour: «Je sors de chez Fouquier-Tinville; je l'ai trouvé étendu sur le tapis, pâle, anéanti; ses filles le caressoient et essuyoient la sueur de son front. Il me répondit lorsque je lui demandai ses ordres pour la liste du lendemain: «Laissez-moi, Haly, je n'y suffis pas; quel métier!» Puis, comme par instinct, il ajouta: «Voyez mon secrétaire; il m'en faut soixante, n'importe lesquels; qu'il les assortisse[98]

On le voit, c'est irrégulièrement et au hasard que l'on tuait dans ce temps-là. Aussi l'interrogatoire que nous avons donné plus haut n'est qu'une comédie dérisoire qui ne présente aucune garantie à l'innocence.

On n'impute même à l'accusée aucun grief qui lui soit personnel. Elle est la sœur de Louis XVI, l'amie de Marie-Antoinette: voilà ses crimes. Si le tribunal est d'avance résolu à tuer la prévenue, la prévenue sait elle-même, à n'en pas douter, qu'elle n'a pas de justice à attendre du tribunal.

Cependant quelqu'un, se disant autorisé par Madame Élisabeth, restée en réalité étrangère à cette démarche, était allé avertir M. Chauveau-Lagarde qu'il était désigné pour la défendre. Il se présenta aussitôt à la prison, afin de s'entretenir avec elle de son acte d'accusation. On ne lui permit point de lui parler. Il réclama près de Fouquier-Tinville, qui lui répondit: «Vous ne pouvez la voir aujourd'hui; rien (p. 203) ne presse: elle ne sera pas jugée de sitôt.» Cependant, malgré la fausse assertion de Fouquier, le procès de madame Élisabeth allait bientôt commencer. Je ne sais quel vague pressentiment, quelle appréhension et quelle anxiété douloureuse poussèrent le lendemain matin M. Chauveau-Lagarde dans la salle des assises. Quelle fut sa surprise lorsqu'il aperçut Madame Élisabeth, vêtue de blanc, environnée d'un grand nombre d'accusés, assise sur le haut des gradins, où on l'avait placée la première pour la mettre plus en évidence! Toute conférence avec elle lui était nécessairement interdite. Elle ignore même sans doute qu'un homme, dans cette enceinte, se lèvera pour la défendre. Parmi les personnes qu'on lui a associées, au nombre de vingt-quatre dans l'acte d'accusation, il en est quelques-unes qu'elle a quelquefois rencontrées à la cour: la marquise de Sénozan, sœur de Malesherbes; madame de Crussol d'Amboise; M. de Loménie, ancien ministre de la guerre, et madame de Montmorin, veuve de l'ancien ministre des affaires étrangères massacré à l'Abbaye le 2 septembre 1792. La sœur de Louis XVI était inconnue de presque tous les autres accusés. Cependant, dès le matin, quelqu'un, dans les corridors de la Conciergerie, ayant prononcé le nom d'Élisabeth, ce nom, du guichet au greffe, de la prison au préau, avait couru de bouche en bouche, et l'attention de tous les prisonniers s'était portée sur elle. La sœur de Louis XVI n'en fut pas troublée: toujours maîtresse d'elle-même, elle avait tant de sérénité et de sang-froid qu'elle en communiquait aux âmes les plus troublées: elle ne songeait qu'à donner des consolations, la paix du cœur et la grâce de Dieu à ces infortunes sans espoir, pour lesquelles toutes portes étaient fermées, excepté celle qui ouvrait du côté du ciel.

Cependant René-François Dumas, président du tribunal, a ouvert l'audience; Gabriel Deliége et Antoine-Marie Maire, juges, sont assis à ses côtés.

(p. 204) Gilbert Liendon, substitut de l'accusateur public, soutient l'accusation; Charles-Adrien Legris, greffier, rédige le procès-verbal.

Les jurés, au nombre de quinze, sont les citoyens Trinchard, Laporte, Renaudin, Gravier, Brochet, Auvrest, Duplay, Fauvel, Fauvetty, Meyère, Prieur, Besnard, Fiévée, Sambat et Desboisseaux.

Le président Dumas, s'adressant à Madame Élisabeth:

Quel est votre nom?

R. Élisabeth-Marie.

Le Moniteur ne dit pas, mais un grand nombre de personnes présentes ont raconté qu'à cette première question Madame Élisabeth répondit: «Je me nomme Élisabeth-Marie de France, sœur de Louis XVI, tante de Louis XVII, votre Roi.» J'ai connu moi-même une personne digne de foi qui m'a assuré avoir entendu ces paroles, et j'ai l'intime conviction qu'elles ont été prononcées.

D. Votre âge?

R. Trente ans.

D. Où êtes-vous née?

R. A Versailles.

D. Où résidez-vous?

R. A Paris.

ACTE D'ACCUSATION.

Antoine-Quentin Fouquier, Accusateur Public du Tribunal Révolutionnaire, établi à Paris par décret de la Convention nationale du 10 mars 1793, l'an deuxième de la République, sans aucun recours au Tribunal de cassation, en vertu du pouvoir à lui donné par l'article deux d'un autre décret de la Convention du 5 avril suivant, portant: «Que l'Accusateur Public dudit Tribunal est autorisé à faire arrêter, poursuivre et juger sur la dénonciation des autorités constituées ou des citoyens».

Expose,

Le greffier donne lecture de l'acte d'accusation, dont la teneur suit[99]:

«Antoine-Quentin Fouquier,

»Accusateur public du Tribunal Révolutionnaire établi à Paris par décret de la Convention Nationale du 10 mars 1793, (p. 205) l'an deuxième de la République, sans aucun recours au Tribunal de cassation, en vertu du pouvoir à lui donné par l'article deux d'un autre décret de la Convention du 5 avril suivant, portant «que l'Accusateur public dudit Tribunal est autorisé à faire arrêter, poursuivre et juger, sur la dénonciation des autorités constituées ou des citoyens;»

»Expose que, par différents arrêtés du comité de sûreté générale de la Convention, des comités révolutionnaires de différentes sections de Paris, du département de l'Yonne, et en vertu de mandats d'arrêt décernés par l'accusateur public, ont été traduits au Tribunal:

1o Marie Élisabeth Capet, sœur de Louis Capet, le dernier des tirans des Français, âgée de trente ans, née à Versailles;

2o Anne Duwaes, veuve de L'aigle, cy devant marquise, née à Keisnist, dans la campagne de Westphalie, demeurant à Montagne belair, cy devant Saint Germain en Laye, département de Seine et Oise, âgée de cinquante cinq ans;

3o Louis Bernardin Leneuf Sourdeval, âgé de soixante neuf ans, né à Caen, ex comte, demeurant actuellement à Chatou, département de Seine et Oise, avant demeurant dans le district de Caen, département du Calvados;

4o Anne Nicole Lamoignon, veuve du cy devant marquis de Senozan, âgée de soixante seize ans, né à Paris, y demeurant;

5o Claude Louise Angélique Bersin, femme séparée de corps et de biens, depuis huit ans, de Crussol d'Amboise, âgée de soixante et quatre ans, cy devant marquise, née à Paris, y demeurant;

6o Georges Folloppe, âgé de soixante quatre ans, officier municipal de la Commune de Paris et pharmacien, né à Écales Alix, près d'Yvetot, demeurant à Paris, rue et porte Honoré;

(p. 206) 7o Denise Buard, fille, âgée de cinquante deux ans, vivant de son bien, née à Paris, y demeurant, rue Florentin, no 674;

8o Louis Pierre Marcel Letellier, dit Bullier, âgé de 21 ans et demi, cy devant employé à l'habillement, né à Paris, y demeurant, rue Florentin, no 674;

9o Charles Cressy Champmilon, âgé de trente trois ans, cy devant noble, ayant servi en qualité de sous lieutenant dans le cy devant régiment de vieille marine, natif de Courlon, près Sens, département de l'Yonne, depuis s'annonçant avoir fait le commerce;

10o Théodore Hall, âgé de vingt six ans, manufacturier et négotiant, natif de Sens, y demeurant, département de l'Yonne;

11o Alexandre François Lomenie, âgé de trente six ans, né à Marseille, y demeurant, cy devant colonel du régiment des chasseurs, cy devant Champagne, qu'il a quitté en mil sept cent quatre vingt dix, ex comte, domicilie à Brienne, et arrêté à Sens en visite;

12o Louis Marie Athanase Lomenie, âgé de soixante quatre ans, né à Paris, ex ministre de la guerre, et depuis la révolution maire de Brienne[100];

13o Antoine Hugues Calixte Montmorin, âgé de vingt deux ans, né à Versailles, sous lieutenant dans le cinquième régiment de chasseurs à cheval, grade dont il a donné sa démission le cinq septembre mil sept cent quatre vingt douze, demeurant à Passy, département de l'Yonne;

14o Jean Baptiste Lhoste, âgé de quarante sept ans, né à Forges, dans le cy devant Clermontois, agent de Serilly, dont il étoit le domestique, demeurant à Paris;

15o Martial Lomenie, ex coadjuteur de l'évêché du département (p. 207) de l'Yonne, âgé de trente ans, né à Marseille, demeurant à Sens, ex noble;

16o Antoine Jean François Megret de Serilly, âgé de quarante huit ans, né à Paris, cy devant trésorier général de la guerre jusqu'en mil sept cent quatre vingt sept, et cultivateur depuis mil sept cent quatre vingt neuf, demeurant à Passy, district de Sens, département (sic);

17o Antoine Jean Marie Megret Détigny, âgé de quarante six ans, né à Paris, cy devant sous aide major des cy devant gardes françaises, qu'il a quitté en mil sept cent quatre vingt sept, ex noble, demeurant à Sens, département de Lyonne;

18o Charles Lomenie, âgé de trente trois ans, né à Marseille, cy devant chevallier de Saint Louis et de Cincinnatus, domiciliée à Brienne, département de Laube.

19o Françoise Gabrielle Taneffe, veuve Montmorin, ex ministre des affaires étrangères, née à Chadrin, en Auvergne, département du Puy de Dôme, âgée de cinquante sept ans, demeurante, lors de son arrestation, à Passy, département de Lyonne, chez la nommée Serilly;

20o Anne Marie Charlotte Lomenie, divorcée de l'émigré Canizy, âgée de vingt neuf ans, née à Paris, domiciliée à Sens, département de Lyonne, et à Paris, rue Georges, section du Mont-Blanc, no 18;

21. Marie Anne Catherine Rosset, âgée de quarante quatre ans, née à Rochefort, département de la Charente, femme de Charles Christophe Rossel-Cercy, officier de marine émigré, demeurant, lors de son arrestation, à Sens;

22. Élisabeth Jacqueline Lhermitte, femme de Rosset, âgée de soixante cinq ans, née à Paris, demeurant à Sens. Son mari cy devant lieutenant colonel des carabiniers, maréchal de camp, ex noble, émigré;

(p. 208) 23. Louis Claude Lhermitte de Chambertrand, âgé de soixante ans, né à Sens, y demeurant, prêtre et ex chanoine de la cy devant cathédrale de Sens, ex noble;

24. Anne Marie Louise Thomas, fe Serilly, âgée de trente un ans, née à Paris, demeurant à Passy, département de Lyonne;

25. Et Jean Baptiste Dubois, âgé de quarante un ans, né à Merfy, district de Reims, département de la Marne, domestique d'Étigny, qui demeurait chez sa mère, vieille rue du Temple;

»Que c'est à la famille des Capets que le peuple français doit tous les maux sous le poids desquels il a gémi pendant tant de siècles.

»C'est au moment où l'excès de l'oppression a forcé le peuple de briser ses chaînes, que toute cette famille s'est réunie pour le plonger dans un esclavage plus cruel encore que celui dont il vouloit sortir. Les crimes de tous genres, les forfaits amoncelés de Capet, de la Messaline Antoinette, des deux frères Capet et d'Élisabeth, sont trop connus pour qu'il soit nécessaire d'en retracer ici l'horrible tableau. Ils sont écrits en caractères de sang dans les annalles de la révolution, et les atrocités inouies exercées par les barbares émigrés ou les sanguinaires satellites des despotes, les meurtres, les incendies, les ravages enfin, ces assassinats inconnus aux monstres les plus féroces, qu'ils commettent sur le territoire français, sont encore commandés par cette détestable famille, et pour livrer de nouveau une grande nation au despotisme et aux fureurs de quelques individus.

»Élisabeth a partagé tous ses crimes: elle a coopéré à toutes les trames, à tous les complots formés par ses infâmes frères, par la scéleratte et impudique Antoinette, et toute la horde des conspirateurs qui s'étoient réunis autour d'eux; elle est associée à tous leurs projets; elle encourage les assassins (p. 209) de la patrie, les complots de juillet mil sept cent quatre vingt neuf, la conjuration du six octobre suivant, dont les Destaing et les Villeroy, et d'autres qui viennent d'être frappés du glaive de la loi, étoient les agents; enfin toute cette chaîne non interrompue de conspirations, pendant quatre ans entiers, ont été suivis et secondés de tous les moyens qui étoient au pouvoir d'Élisabeth. C'est elle qui, au mois de juin mil sept cent quatre vingt onze, fait passer les diamants, qui étoient une propriété nationale, a l'infâme d'Artois, son frère, pour le mettre en état d'exécuter les projets concertés avec lui, et soudoyer des assassins contre la patrie: c'est elle qui entretient avec son autre frère, devenu aujourdhuy l'objet de la dérision, du mépris des despotes coalisés chez lesquels il est allé déposer son imbécille et lourde nullité, la correspondance la plus active; c'est elle qui vouloit, par l'orgueil et le dédain le plus insultant, avilir et humilier les hommes libres qui consacroient leur temps à garder leur tyran; c'est elle enfin qui prodiguoit des soins aux assassins envoyés aux Champs élisées par le despote provoquer les braves Marseillois, et pansoit les blessures qu'ils avoient reçues dans leur fuite précipitée.

»Élisabeth avoit médité avec Capet et Antoinette le massacre des citoyens de Paris dans l'immortelle journée du dix aoust. Elle veilloit dans l'espoir d'être témoin de ce carnage nocturne. Elle aidoit la barbare Antoinette a mordre des balles, et encourageoit par ses discours des jeunes personnes que des prêtres fanatiques avoient conduites au château pour cette horrible occupation. Enfin, trompée dans l'espoir que toute cette horde de conspirateurs avoit que tous les citoyens se présenteroient pendant la nuit pour renverser la tyrannie, elle fuit au jour avec le tyran et sa femme, et va attendre dans le temple de la souveraineté nationale que la horde d'esclaves soudoyés et dévoués aux (p. 210) forfaits de cette cour parricide aye noyé dans le sang des citoyens la liberté, et lui aye fourni les moyens d'égorger ensuite ces représentants, au milieu desquels ils avoient été chercher un asile.

»Enfin on l'a vu, depuis le supplice mérité du plus coupable des tyrans qui ait déshonoré la nature humaine, provoquer le rétablissement de la tyrannie en prodiguant avec Antoinette au fils de Capet les hommages de la royauté et les prétendus honneurs du throne[101]

En vérité, on se demande si l'on rêve quand on lit ce libelle de Fouquier, où les arguments sont des sophismes, où les épithètes sont des injures, où les faits relatés sont des mensonges. Mais on se souvient que si un tel accusateur pouvait les imaginer, et si un tel tribunal était digne de les entendre, Madame Élisabeth aussi était capable de les pardonner.

Procès-verbal de la séance du tribunal révolutionnaire, établi par la loi du 10 mars 1793, et en vertu de la loi du 5 avril de la même année, séant à Paris, au palais de justice.

Du vingt et un floréal de l'an second de la République françoise, dix heures du matin.

L'audience ouverte au public, le tribunal, composé des citoyens René-François Dumas, président; Gabriel Deliége et Antoine-Marie Maire, juges; de Gilbert Lieudon, adjoint de l'accusateur public, et Charles-Adrien Legris, commis greffier.

Sont entrés:

Les citoyens Trinchard, Laporte, Renaudin, Gravier, Brochet, Auvrest, Duplay, Fauvel, Fauvetty, Meyer, (p. 211) Prieur, Besnard, Fiévée, Sambatz et Desboisseaux, jurés de jugement; ensuite ont été introduits à la barre, libres et sans fers, et placés de manière qu'ils étoient vus et entendus du tribunal et des auditeurs: Élisabeth Capet; Anne Duwaes, veuve de l'Aigle; Louis-Bernardin Leneuf Sourdeval; Anne-Nicole Lamoignon, veuve Sénozan; Georges Foloppe, Denise Buard, Louis-Pierre-Marcel Le Tellier, et dix-huit autres ci-après nommés, accusés; et aussi les citoyens Chauveau, la Fleutrie, Boutroux, Duchâteau, Julienne, Sezille, leurs conseils et défenseurs officieux, qui ont prêté le serment de n'employer que la vérité dans la défense des accusés, et de se comporter avec décence et modération; ensuite les témoins de l'accusateur public ont été pareillement introduits.

Le président, en présence de tout l'auditoire, composé comme ci-dessus, a fait prêter auxdits jurés, à chacun individuellement, le serment suivant: «Citoyen, vous jurez et promettez d'examiner avec l'attention la plus scrupuleuse les charges portées contre les dénommés, accusés présents devant vous (ci-devant nommés), de ne communiquer avec personne jusqu'après votre déclaration; de n'écouter ni la haine ou la méchanceté, ni la crainte ou l'affection; de vous décider d'après les charges et moyens de défense, et suivant votre confiance et votre intime conviction, avec l'impartialité et la fermeté qui conviennent à un homme libre.» Après avoir prêté ledit serment, lesdits jurés se sont placés sur leurs siéges dans l'intérieur de l'auditoire, en face des accusés et des témoins.

Le président a dit aux accusés qu'ils pouvoient s'asseoir; après quoi il leur a demandé leurs nom, âge, profession, demeure, et le lieu de leur naissance.

A quoi ils ont répondu se nommer Élisabeth Capet, sœur de Louis Capet, dernier tyran des François, demeurant à Paris.

(p. 212) 2. Anne Duwaes, veuve de l'Aigle, ci-devant marquise, âgée de cinquante-cinq ans, née à Keisnith, en Allemagne, demeurant à la montagne du Bon-Air, ci-devant Saint-Germain en Laye, département de Seine-et-Oise.

3. Louis-Bernardin Leneuf Sourdeval, âgé de soixante-neuf ans, etc.

[Suit la liste, voir page 205.]

Le président a averti les accusés d'être attentifs à ce qu'ils alloient entendre, et il a ordonné au greffier de lire l'acte d'accusation. Le greffier a fait ladite lecture, ainsi que la loi relative aux faux témoins, à haute et intelligible voix. Le président a dit aux accusés: «Voilà de quoi vous êtes accusés; vous allez entendre les charges qui vont être produites contre vous.»

Le témoin présenté par l'accusateur public et assigné à sa requête a été introduit en l'audience, et après avoir entendu la lecture faite par le greffier, s'est retiré.

Le président a ensuite fait appeler le témoin pour faire sa déclaration, et avant de la faire il lui a fait prêter le serment suivant: «Tu jures et promets de parler sans haine, sans crainte, de dire la vérité, toute la vérité, rien que la vérité»; ensuite il lui a demandé s'il est parent, ami, allié, serviteur ou domestique des accusés ou de l'accusateur public; si c'est des accusés présents devant lui, qu'il lui a fait examiner, qu'il entend parler; s'il les connoissoit avant le fait qui a donné lieu à l'accusation, à quoi il a répondu de la manière et ainsi qu'il suit:

La citoyenne Marie Bocage, femme Journaud, âgée de trente-trois ans, née à la montagne du Bon-Air, ci-devant Saint-Germain en Laye, domestique, demeurant audit lieu, connoît l'accusée veuve de l'Aigle; n'est parente, dépose, etc.

Le président fait les questions suivantes à Madame Élisabeth:

(p. 213) Où étiez-vous dans les journées des 12, 13 et 14 juillet 1789, c'est-à-dire aux époques des premiers complots de la cour contre le peuple?

J'étois dans le sein de ma famille. Je n'ai connu aucun des complots dont vous me parlez; ce sont des événements que j'étois loin de prévoir et de seconder.

Lors de la fuite du tyran, votre frère, à Varennes, ne l'avez-vous pas accompagné?

Tout m'ordonnoit de suivre mon frère, et je m'en suis fait un devoir dans cette occasion comme dans toute autre.

N'avez-vous pas figuré dans l'orgie infâme et scandaleuse des gardes du corps, et n'avez-vous pas fait le tour de la table avec Marie-Antoinette pour faire répéter à chacun des convives le serment affreux d'exterminer les patriotes pour étouffer la liberté dans sa naissance et rétablir le trône chancelant?

J'ignore absolument si l'orgie dont il s'agit a eu lieu, mais je déclare n'en avoir été aucunement instruite.

Vous ne dites pas la vérité, et votre dénégation ne peut vous être d'aucune utilité, lorsqu'elle est démentie d'une part par la notoriété publique, et de l'autre par la vraisemblance qui persuade à tout homme sensé qu'une femme aussi intimement liée que vous l'étiez avec Marie-Antoinette, et par les liens du sang et par ceux de l'amitié la plus étroite, n'a pu se dispenser de partager ses machinations, d'en avoir eu communication et de les avoir favorisées de tout son pouvoir; vous avez nécessairement, d'accord avec la femme du tyran, provoqué le serment abominable prêté par les satellites de la cour, d'assassiner et anéantir la liberté dans son principe; vous avez également provoqué les outrages sanglants faits au signe précieux de la liberté, la cocarde tricolore, en la faisant fouler aux pieds par tous vos complices?

(p. 214) J'ai déjà déclaré que tous ces laits m'étoient étrangers, je n'y dois point d'autre réponse.

Où étiez-vous dans la journée du 10 août 1792?

J'étois au château, ma résidence ordinaire et naturelle depuis quelque temps.

N'avez-vous pas passé la nuit du 9 au 10 août dans la chambre de votre frère, et n'avez-vous pas eu avec lui des conférences secrètes qui vous ont expliqué le but, le motif de tous les mouvements et préparatifs qui se faisoient sous vos yeux?

J'ai passé chez mon frère la nuit dont vous me parlez; jamais je ne l'ai quitté; il avoit beaucoup de confiance en moi, et cependant je n'ai rien remarqué dans sa conduite ni dans ses discours qui pût m'annoncer ce qui s'est passé depuis.

Mais votre réponse blesse à la fois la vérité et la vraisemblance, et une femme comme vous, qui a manifesté dans tout le cours de la révolution une opposition aussi frappante au nouvel ordre de choses, ne peut être crue lorsqu'elle veut faire croire qu'elle ignore la cause des rassemblements de toute espèce qui se faisoient au château la veille du 10 août. Voudriez-vous nous dire ce qui vous a empêchée de vous coucher la nuit du 9 au 10 août?

Je ne me suis pas couchée parce que les corps constitués étoient venus faire part à mon frère de l'agitation, de la fermentation des habitants de Paris, et des dangers qui pouvoient en résulter.

Vous dissimulez en vain, surtout d'après les différents aveux de la femme Capet, qui vous a désignée comme ayant assisté à l'orgie des gardes du corps, comme l'ayant soutenue dans ses craintes et ses alarmes du 10 août sur les jours de Capet et de tout ce qui pouvoit l'intéresser. Mais ce que vous nieriez infructueusement, c'est la part active que vous avez prise à l'action qui s'est engagée entre (p. 215) les patriotes et les satellites de la tyrannie; c'est votre zèle et votre ardeur à servir les ennemis du peuple, à leur fournir des balles que vous preniez la peine de mâcher, comme devant être dirigées contre les patriotes, comme destinées à les moissonner. Ce sont les vœux bien publics que vous faisiez pour que la victoire demeurât au pouvoir des partisans de votre frère, les encouragements en tout genre que vous donniez aux assassins de la patrie: que répondez-vous à ces derniers faits?

Tous ces faits qui me sont imputés sont autant d'indignités dont je suis bien loin de m'être souillée.

Lors du voyage de Varennes, n'avez-vous pas fait précéder l'évasion honteuse du tyran de la soustraction des diamants dits de la couronne, appartenant alors à la nation, et ne les avez-vous pas envoyés à d'Artois?

Ces diamants n'ont pas été envoyés à d'Artois; je me suis bornée à les déposer entre les mains d'une personne de confiance.

Voudriez-vous désigner le dépositaire de ces diamants, nous le nommer?

M. de Choiseul est celui que j'avois choisi pour recevoir ce dépôt.

Que sont devenus les diamants que vous dites avoir confiés à Choiseul?

J'ignore absolument quel a pu être le sort de ces diamants, n'ayant pas eu l'occasion de voir M. de Choiseul; je n'en ai point eu d'inquiétude et je ne m'en suis nullement occupée.

Vous ne cessez d'en imposer sur toutes les interpellations qui vous sont faites, et singulièrement sur le fait des diamants; car un procès-verbal du 12 septembre 1792, bien rédigé en connoissance de cause par les représentants du peuple lors de l'affaire relative au vol de ces diamants, constate d'une manière sans réplique que ces diamants ont (p. 216) été envoyés à d'Artois. N'avez-vous pas entretenu des correspondances avec votre frère, le ci-devant Monsieur?

Je ne me rappelle pas d'en avoir entretenu, surtout depuis qu'elles sont prohibées.

N'avez-vous pas donné des soins en pansant vous-même les blessures des assassins envoyés aux Champs-Élysées par votre frère contre les braves Marseillois?

Je n'ai jamais su que mon frère eût envoyé des assassins contre qui que ce soit; s'il m'est arrivé de donner des secours à quelques blessés, l'humanité seule a pu me conduire dans le pansement de leurs blessures; je n'ai point eu besoin de m'informer de la cause de leurs maux pour m'occuper de leur soulagement; je ne m'en fais pas un mérite, et je ne m'imagine pas que l'on puisse m'en faire un crime!

Il est difficile d'accorder ces sentiments d'humanité dont vous vous parez avec cette joie cruelle que vous avez montrée en voyant couler des flots de sang dans la journée du 10 août. Tout nous autorise à croire que vous n'êtes humaine que pour les assassins du peuple, et que vous avez toute la férocité des animaux les plus sanguinaires pour les défenseurs de la liberté; loin de secourir ces derniers, vous provoquiez leur massacre par vos applaudissements; loin de désarmer les meurtriers du peuple, vous leur prodiguiez à pleines mains les instruments de la mort à l'aide desquels vous vous flattiez, vous et vos complices, de rétablir le despotisme et la tyrannie. Voilà l'humanité des dominateurs des nations, qui de tout temps ont sacrifié des millions d'hommes à leurs caprices, à leur ambition et à leur cupidité! L'accusée Élisabeth, dont le plan de défense est de nier tout ce qui est à sa charge, aura-t-elle la bonne foi de convenir qu'elle a bercé le petit Capet dans l'espoir de succéder au trône de son père, et qu'elle a ainsi provoqué la royauté?

Je causois familièrement avec cet infortuné, qui m'étoit cher à plus d'un titre, et je lui administrois en conséquence (p. 217) les consolations qui me paroissoient capables de le dédommager de la perte de ceux qui lui avoient donné le jour.

C'est convenir en d'autres termes que vous nourrissiez le petit Capet des projets de vengeance que vous et les vôtres n'avez cessé de former contre la liberté, et que vous vous flattiez de relever les débris d'un trône brisé en l'inondant du sang des patriotes!

Le président procède ensuite à l'interrogatoire des autres accusés, interrogatoire qui se borne à quelques questions insignifiantes. Le Moniteur, et après lui les historiens, ne font aucune mention des paroles du défenseur de Madame Élisabeth; et ce silence semblerait annoncer que Madame Élisabeth ne fut pas défendue. Cependant si le débat fut rapide, si tout rapport entre l'accusée et son défenseur a été matériellement interdit, il est notoire que Chauveau-Lagarde se leva après l'interrogatoire, et fit entendre une courte plaidoirie, dont il nous a donné lui-même la substance:

«Je fis observer, dit-il, qu'il n'y avoit au procès qu'un protocole banal d'accusation, sans pièces, sans interrogatoire, sans témoins, et que par conséquent, là où il n'existoit aucun élément légal de conviction, il ne sauroit y avoir de conviction légale.

»J'ajoutai qu'on ne pouvoit donc opposer à l'auguste accusée que ses réponses aux questions qu'on venoit de lui faire, puisque c'étoit dans ces réponses elles seules que tous les débats consistoient; mais que ces réponses elles-mêmes, loin de la condamner, devoient au contraire l'honorer à tous les yeux, puisqu'elles ne prouvoient rien autre chose que la bonté de son cœur et l'héroïsme de son amitié.

»Puis, après avoir développé ces premières idées, je finis en disant qu'au lieu d'une défense je n'aurois plus à présenter pour Madame Élisabeth que son apologie; mais que dans l'impuissance où j'étois d'en trouver une qui fût (p. 218) digne d'elle, il ne me restoit plus qu'une seule observation à faire: c'est que la Princesse qui avoit été à la cour de France le plus parfait modèle de toutes les vertus ne pouvoit pas être l'ennemie des François.

»Il est impossible de peindre la fureur avec laquelle Dumas m'apostropha, en me reprochant d'avoir eu l'audace de parler de ce qu'il appeloit les prétendues vertus de l'accusée, et d'avoir ainsi corrompu la morale publique. Il fut aisé de s'apercevoir que Madame Élisabeth, qui jusqu'alors étoit restée calme et comme insensible à ses propres dangers, fut émue de ceux auxquels je venois de m'exposer.»

Après que l'accusateur public et les défenseurs ont été entendus, le président déclare les débats fermés; il fait le résumé du procès, je dois dire des différents procès, car il y en avait autant que d'accusés; puis il remet au président du jury l'écrit suivant, servant de préambule à une question qui est uniformément la même pour chacun des accusés:

«Il a existé des complots et conspirations formés par Capet, sa femme, sa famille, ses agents et ses complices, par suite desquels des provocations à la guerre extérieure de la part des tyrans coalisés, à la guerre civile dans l'intérieur, ont été formées, des secours en hommes et en argent ont été fournis aux ennemis, des troupes ont été rassemblées, des dispositions ont été faites, des chefs nommés pour assassiner le peuple, anéantir la liberté et rétablir le despotisme.

»Anne-Élisabeth Capet est-elle complice de ces complots?»

Les jurés, après quelques minutes de délibération, rentrent à la salle d'audience, et donnent une déclaration affirmative contre Madame Élisabeth et les autres accusés.

Vu par le tribunal révolutionnaire l'acte d'accusation dressé par l'accusateur public près icelui,

1. Contre Élisabeth Capet, sœur de Louis Capet, dernier tyran des François, née à Paris, y demeurant;

(p. 219) 2. Anne Duwaes, veuve de l'Aigle, ci-devant marquise, âgée de cinquante-cinq ans, née à Keisnith, en Allemagne, demeurant à la montagne du Bon-Air, ci-devant Saint-Germain en Laye, département de Seine-et-Oise.

3. Louis Bernardin Leneuf Sourdeval, etc....

[Suit la liste des 25 accusés précédemment donnée.] et dont la teneur suit:

Antoine-Quentin Fouquier, accusateur public, etc., expose, etc.

[Répétition de l'acte d'accusation.]

L'ordonnance de prise de corps rendue par le tribunal ledit jour contre Élisabeth Capet, Anne Duwaes, veuve de l'Aigle, Louis-Bernardin Leneuf Sourdeval, etc....

[Suit la liste des 25 accusés.]

Le procès-verbal d'écrou et remise de leurs personnes en la maison de justice de la Conciergerie, aussi du même jour; et la déclaration du juré du jugement faite individuellement et à haute et intelligible voix en l'audience publique du tribunal, portant «qu'il a existé des complots et conspirations formés par Capet, etc.»

[Ici répétition de l'ordonnance de prise de corps rendue par le tribunal.]

Qu'il est constant que

Élisabeth Capet, Anne Duwaes, veuve de l'Aigle; Louis-Bernardin Leneuf Sourdeval, etc.,

[Liste des 25.]

sont convaincus d'être complices de ces complots;

Le tribunal, après avoir entendu l'accusateur public sur l'application de la loi, condamne Élisabeth Capet, Anne Duwaes, veuve de l'Aigle; Louis-Bernard Leneuf Sourdeval, Anne-Nicole Lamoignon, veuve Sénozan; Claude-Louise-Angélique Bersin, femme Crussol d'Amboise; Georges Foloppe, Denise Buard, Louis-Pierre-Marcel Letellier, dit Bullier; Charles Cressy-Champmilon, Théodore Hall, (p. 220) Alexandre-François Loménie, Louis-Marie-Athanase Loménie, Antoine-Hugues-Calixte Montmorin, Jean-Baptiste l'Hoste, Martial Loménie, Antoine-Jean-François Mégret-Sérilly, Antoine-Jean-Marie Mégret-d'Étigny, Charles Loménie, Françoise-Gabrielle Taneff, veuve Montmorin; Anne-Marie-Charlotte Loménie, femme divorcée de l'émigré Canilly; Marie-Anne-Catherine Rosset, femme Rosset-Cercy; Élisabeth Jacqueline l'Hermite, femme Rosset; Louis-Claude l'Hermite-Chambertrand; Anne-Marie-Louise Thomas, femme Mégret-Sérilly, et Jean-Baptiste Dubois, À LA PEINE DE MORT, conformément à l'article quatre de la première section du titre premier de la deuxième partie du Code pénal, dont a été fait lecture, et lequel est ainsi conçu: «Toute manœuvre, toute intelligence avec les ennemis de la France tendant soit à faciliter leur entrée dans les dépendances de l'empire françois, soit à leur livrer des villes, forteresses, ports, vaisseaux, magasins ou arsenaux appartenant à la France, soit à leur fournir des secours en soldats, argent, vivres ou munitions, soit à favoriser d'une manière quelconque le progrès de leurs armes sur le territoire françois ou contre nos forces de terre ou de mer, soit à ébranler la fidélité des officiers, soldats et des autres citoyens envers la nation françoise, seront punis de mort», et encore en conformité de l'article deux de la seconde section du titre premier de la seconde partie du Code pénal, dont a été pareillement fait lecture, et lequel est ainsi conçu: «Toutes conspirations et complots tendant à troubler l'État par une guerre civile en armant les citoyens les uns contre les autres ou contre l'exercice de l'autorité légitime, seront punis de mort»;

Déclare les biens desdits Élisabeth Capet, veuve de l'Aigle, Leneuf Sourdeval, etc.,

[Suit la liste.]

acquis à la République. En conséquence de l'article deux (p. 221) du titre deux de la loi du dix mars mil sept cent quatre-vingt-treize (vieux style), dont a été aussi fait lecture, et lequel est ainsi conçu: «Les biens de ceux qui seront condamnés à la peine de mort seront acquis à la République, sauf à pourvoir à la subsistance des veuves, enfants, s'ils n'ont pas de biens d'ailleurs»,

Ordonne qu'à la diligence de l'accusateur public le présent jugement sera exécuté dans les vingt-quatre heures sur la place de la Révolution de cette ville, et qu'il sera imprimé, lu, publié et affiché dans toute l'étendue de la République.

Fait et prononcé en l'audience publique du tribunal le vingt et unième jour de floréal, l'an deuxième de la République françoise une et indivisible, par les citoyens René-François Dumas, président; Gabriel Deliége et Antoine-Marie Maire, juges, qui ont signé le présent jugement avec le greffier.

Signatures.

(p. 222) En conséquence, ils sont tous condamnés à mort. Comme nos lecteurs ont pu le remarquer, les noms de dix femmes figuraient dans l'acte d'accusation. Une d'elles, quoique enceinte, avait refusé de se soustraire, par sa déclaration, au sort commun. Madame Élisabeth fait avertir les juges, et la sauve[102].

(p. 223) Les mots de peine de mort et d'exécution dans les vingt-quatre heures avaient produit un léger mouvement sur les bancs où sont assis les accusés. Mais ces mots, Madame Élisabeth les a entendus sans changer de visage. Oublieuse d'elle-même, sa pensée, qui est toute en Dieu, se reporte sur ceux qu'on a associés à sa condamnation, et avec lesquels elle est ramenée pour quelques instants à la Conciergerie.

Au moment où elle sortait du tribunal, Fouquier dit au président: «Il faut avouer cependant qu'elle n'a pas poussé une plainte.—De quoi se plaindroit-elle donc, Élisabeth de France[103]? répondit Dumas avec une gaieté ironique. Ne (p. 224) lui avons-nous pas formé aujourd'hui une cour d'aristocrates digne d'elle? Et rien ne l'empêchera de se croire encore dans les salons de Versailles quand elle va se voir, au pied de la sainte guillotine, entourée de toute cette fidèle noblesse[104]

Ces vingt-quatre personnes marquées pour l'échafaud, défilant lentement sous de longues voûtes au milieu des spectateurs, qui, pour les voir passer, se rangent en haie avec une inconcevable avidité, sont conduites dans la salle des condamnés à mort pour y attendre le bourreau. Cette salle, longue, étroite, obscure, n'est séparée du greffe que par une porte et une cloison vitrées, et n'a pour tout mobilier que des bancs de bois adossés à la muraille.

Réunie à ces infortunés, qu'elle regarde comme autant d'amis qui doivent l'accompagner au Ciel, Madame Élisabeth a bientôt pris au milieu d'eux la place qui lui appartient: elle leur parle avec un calme et une douceur inexprimables; elle domine leurs tortures morales par la sérénité de son regard, par la tranquillité de son maintien, par l'ascendant de sa parole. Telle nous l'avons vue à Versailles, à Montreuil, au milieu de ses amies dévouées qui faisaient le charme de sa vie, s'oubliant pour ne songer qu'à elles, prenant intérêt à tout ce qui les intéressait, et ne laissant jamais échapper l'occasion de jeter dans leur âme une de ces semences évangéliques que récolte le divin Moissonneur, telle nous la retrouvons dans ces dernières heures à la Conciergerie, au milieu des victimes qui doivent l'accompagner à l'échafaud, aussi douce, aussi aimable, aussi calme, mais le front déjà rayonnant de l'auréole de son martyre.

Elle excite leur confiance en Celui qui couronne les (p. 225) épreuves supportées avec courage, les sacrifices saintement accomplis. Sous cette parole pénétrante, Madame de Sénozan, la plus âgée des vingt-cinq victimes, se rassure, et offre à Dieu le peu qui lui reste de vie avec la même facilité que MM. de Montmorin et Bullier, ces deux jeunes gens de vingt ans, font l'abandon des longues perspectives ouvertes devant eux dans le temps. M. de Loménie, ancien ministre de la guerre et maire de Brienne, que n'ont pu sauver les vives réclamations des communes voisines de cette ville, s'indignait avec une sorte d'exaltation, non pas d'être condamné, mais de se voir imputer à crime, par Fouquier, les témoignages d'affection et de gratitude que lui ont conquis les services rendus par lui à son département. Madame Élisabeth s'approche de lui, et lui dit avec douceur: «S'il est beau de mériter l'estime de ses concitoyens, croyez qu'il est encore plus beau de mériter la clémence de Dieu. Vous avez montré à vos compatriotes à faire le bien: vous leur montrerez comment on meurt quand on a la conscience en paix[105]

Madame de Montmorin, dont presque toute la famille a été mise à mort par la révolution, ne peut se faire à l'idée de l'immolation de son fils; celui-ci la rassure avec le courage et la tendresse du dévouement filial. Le sacrifice exigé semble impossible à cette mère désespérée: «Je veux bien mourir, dit-elle en sanglotant, mais je ne puis le voir mourir.—Vous aimez votre fils, lui dit alors Madame Élisabeth, et vous ne voulez pas qu'il vous accompagne! Vous allez trouver les félicités du Ciel, et vous voulez qu'il demeure sur cette terre, où il n'y a aujourd'hui que tourments et douleurs!» Sous l'impression de ces paroles, le cœur de (p. 226) madame de Montmorin s'ouvre à un rayon d'extase; ses fibres se détendent, ses larmes coulent, et serrant avec transport son enfant dans ses bras: «Viens, viens, s'écrie-t-elle, nous monterons ensemble[106]

Les êtres les plus susceptibles de faiblesse dans le cours ordinaire de la vie bravent héroïquement la mort quand un grand sentiment les anime. La marquise de Crussol d'Amboise faisait habituellement coucher deux de ses femmes dans sa chambre: une araignée lui faisait peur; l'idée d'un péril même imaginaire la remplissait d'épouvante. L'exemple de Madame Élisabeth la transforme tout à coup: elle est calme au tribunal, dans la prison, devant la mort.

L'émotion s'est communiquée à tous les condamnés. Madame Élisabeth leur apparaît, à cette heure terrible, illuminée du triple reflet du divin Maître; car devant ces cœurs brisés qui l'entouraient, elle manifeste la vérité qui éclaire, la douceur qui attire, la sainteté qui édifie.

«On n'exige point de nous, dit-elle, comme des anciens martyrs, le sacrifice de nos croyances; on ne nous demande que l'abandon de notre misérable vie: faisons à Dieu ce faible sacrifice avec résignation.» Rien de plus propre à remuer profondément les âmes que ce souffle ardent de la foi qui domine le sentiment de la douleur. Jamais cette ferme et vivifiante espérance, dont l'Église a fait une vertu, jamais la charité, jamais le courage, n'ont inspiré des paroles plus tendres et plus héroïques. Quelle paupière ne se mouillerait au cri de cette belle âme qui console et (p. 227) qui relève tant d'âmes déchirées ou abattues! Élisabeth ne cherche point à combattre et à ne pas mourir, elle ne proteste pas contre l'iniquité des hommes, elle n'a pas un mot de regret, encore moins un mot de reproche: elle va vers Dieu avec confiance; elle ne veut pas y aller seule, elle entraîne ses compagnons, et leur montre les bras miséricordieux qui leur sont ouverts.

Cette femme angélique rencontrait donc, dans ce dernier moment, un grand sujet de joie: elle avait ranimé des âmes endolories ou inertes; elle avait fait pénétrer la vigueur de la foi dans les défaillances de la nature. Elle avait fait de cette dernière heure d'agonie l'épreuve préparatoire du sacrifice; elle avait émoussé l'aiguillon de la mort, et fait poindre à des yeux déjà fermés au monde les lueurs anticipées de la délivrance.

Le dernier appel se fait bientôt entendre. La toilette funèbre s'accomplit. Les portes de la prison s'ouvrent, et les charrettes du bourreau, que Barère appelait les bières des vivants, reçoivent les condamnés. Madame Élisabeth se trouve assise sur la même charrette que mesdames de Sénozan et de Crussol d'Amboise, et elle s'entretient avec elles pendant le trajet de la Conciergerie à la place Louis XV. Aux plaintes qui échappent à quelques-uns des condamnés, elle répond par de touchantes exhortations. À la descente du pont Neuf, rapporte un témoin oculaire, le mouchoir blanc qui couvre la tête de la Princesse se détache et tombe aux pieds de l'exécuteur, qui le ramasse. Dès ce moment, Madame Élisabeth, demeurée seule, tête nue, au milieu de ses compagnons d'infortune, attire par cela même tous les regards; et c'est ainsi que tant de personnes, qui, sans cette circonstance, ne l'eussent peut-être point remarquée, ont pu rendre témoignage du calme et de la sérénité de ses traits. On arrive à la place de la Révolution: Madame descend la première. Le bourreau, comme pour (p. 228) l'aider, lui tend la main. La princesse regarde de côté, et ne s'appuie pas sur cette main qui s'offre à elle. Les victimes avaient trouvé au pied de l'échafaud une banquette sur laquelle on les fit asseoir. On présume que cette attention inaccoutumée était due à un calcul de prudence: le gouvernement révolutionnaire avait craint, a-t-on dit, que la fournée étant considérable, il ne se trouvât quelques patients qu'une trop longue attente devant l'instrument de mort eût fait défaillir. Aucun ne défaillit[107]. Encouragé par la présence et le regard de la sœur de Louis XVI, chaque condamné s'est promis de se lever bravement à l'appel de son nom, et d'accomplir sa tache avec fermeté. Le premier nom prononcé par l'exécuteur est celui de madame de Crussol. Madame de Crussol se lève aussitôt, va s'incliner devant Madame Élisabeth, et témoignant hautement le respect et l'amour que la princesse lui inspire, elle lui demande la permission de l'embrasser. «Bien volontiers, et de tout mon cœur», lui dit Madame Élisabeth avec cette expression d'affabilité qui lui était si naturelle; et la royale victime avançant son visage, lui donne le baiser d'adieu, de supplice (p. 229) et de gloire[108]. Toutes les femmes qui suivirent obtinrent le même témoignage d'affection. Elles montèrent ainsi à l'échafaud, sacrées par cet angélique baiser, qui rappelle les actes des martyrs, pour la bienheureuse immortalité. Les hommes s'honorèrent aussi de leur respect pour Madame Élisabeth, en allant, chacun à son tour, courber devant elle la tête qui, une minute après, tombait sous le couperet de la guillotine. Déjà plusieurs têtes étaient tombées, lorsqu'un homme de la lie du peuple, curieux de savoir quelle était la personne qu'on saluait ainsi, parvint à apercevoir sa figure, et reconnut Madame Élisabeth. «On a beau lui faire des salamalecs, dit-il avec une expression cynique, la voilà f..... comme l'Autrichienne.» Cet homme était assez près du banc pour que sa parole y fût entendue. Madame Élisabeth, qui n'avait que de vagues soupçons sur le meurtre de la Reine, bénit le Ciel en apprenant qu'elle avait cessé de souffrir et qu'elle allait la retrouver au sein de Dieu. Pendant tout le temps que dura le sacrifice, la sainte femme qui semblait y présider ne cessa de dire le De profundis. Celle qui allait mourir priait pour les morts. Elle était réservée à périr la dernière. Les maîtres de la guillotine ne pouvant la tuer qu'une fois, voulurent du moins qu'elle se sentît mourir autant de fois qu'elle verrait de victimes immolées sous ses yeux. Quand la vingt-troisième vint s'incliner devant elle, elle lui dit: «Courage et foi dans la miséricorde de Dieu»; puis elle se lève elle-même pour se tenir prête à l'appel de l'exécuteur. Elle monte d'un pas ferme les marches de l'échafaud; ici encore le bourreau lui tend la main; mais l'attitude de la victime lui fait comprendre qu'elle est assez forte pour y monter (p. 230) sans secours, et, regardant le ciel, elle se livre à l'exécuteur. Son fichu tombant à terre au moment où on l'attache à la planche fatale, laisse apercevoir une médaille d'argent représentant une Immaculée Conception de la Vierge, qui était, ainsi qu'une petite clef de portefeuille, attachée à son cou par un menu cordon de soie[109]. L'aide du bourreau se mettant en devoir de lui enlever ce signe de piété, elle lui dit: «Au nom de votre mère, monsieur, couvrez-moi.» Ce fut le dernier mot de Madame Élisabeth. Jusqu'alors, à aucune exécution on n'avait remarqué autant d'émotion autour de la guillotine. Il n'y eut pas de cris de Vive la République! Chacun s'en alla triste de son côté. Le témoin oculaire dont je tiens ces détails ajouta: «Au moment où j'aperçus la charrette sur laquelle on plaçait les cadavres et les têtes des victimes, je suis partie comme le vent[110]

Procès-verbal d'exécution de mort.

L'an {quatre} de la République Française, le {vingt un floréal} à la requête du citoyen Accusateur-public près le Tribunal Révolutionnaire, établi au Palais, à Paris, par la loi du 10 mars 1793, sans aucun recours au Tribunal de cassation, lequel fait élection au Greffe dudit Tribunal séant au Palais; je me suis {......} Huissier-audiencier audit Tribunal, soussigné, transporté en la maison-de-Justice audit Tribunal, pour l'exécution du Jugement rendu par le Tribunal {Cejourd'huy} contre {Marie Élizabeth Capet} qui {la} condamne à la peine de mort, pour les causes énoncées audit jugement, et de suite je l'{ai} remis{e} à l'exécuteur des jugemens criminels, et à la Gendarmerie qui {l'ont} conduit sur la place de {la révolution} où, sur un échaffaud dressé sur ladite place, {laquelle a}, en notre présence, subi la peine de mort; et de tout ce que dessus, ai fait et rédigé le présent procès-verbal, pour servir et valoir ce que de raison, dont acte.

{signature}

Enregistré {gratis}, à Paris, le {23 floréal} l'an {quatre} de la République une et indivisible.

{signature}

«Toutes les relations et tous les mémoires de ce temps s'accordent à dire qu'à l'instant où Madame Élisabeth reçut (p. 231) le coup mortel, une odeur de rose se répandit sur toute la place Louis XV[111]

A deux pas de la guillotine stationnait une charrette[112] attelée de deux chevaux, et contenant deux grands paniers destinés à recevoir l'un les corps, l'autre les têtes des suppliciés. L'horreur qu'éprouveront ceux qui liront ces détails, je l'éprouve avant eux en les écrivant. Lorsque les (p. 232) bourreaux eurent jeté au panier la vingt-quatrième tête, qui était celle de Madame Élisabeth, ils étendirent son corps, couvert de ses vêtements, sur le monceau de cadavres entassés dans l'autre panier; il s'ensuivit que ses vêtements étaient à peine ensanglantés, tandis que ceux placés au fond du panier semblaient avoir été baignés dans le sang.

PLAN DU CIMETIÈRE DE MONCEAUX, CONNU SOUS LE NOM DE CLOS DU CHRIST.

La charrette se met en marche, escortée par la gendarmerie. La foule s'ouvre devant elle. Quelques cris de Vive la République! poussés au départ par un reste d'agents de la police municipale, s'éteignent bientôt. Le convoi marchant lentement, suit les rues des Champs-Élysées, de la Madeleine, de l'Arcade, de la Pologne, Saint-Lazare et du Rocher. Le peuple s'arrête pour le voir passer: de rares fenêtres légèrement entr'ouvertes laissent apercevoir le front de quelques personnes muettes et immobiles, peut-être agenouillées. Le cortége gravit très-lentement la rue du Rocher, et s'arrête un instant (sans doute pour laisser souffler les chevaux) à l'endroit où finit la montée et où cette voie quittait, à cette époque, le nom de rue du Rocher pour prendre celui de rue des Errancis, rue n'existant alors qu'au tracé et conduisant à la barrière de Monceaux. A cent pas en deçà de cette barrière, le convoi passe entre la seule maison qui s'élevait sur cette route et un tas de pierres qui lui faisait face à droite, servant naguère de piédestal à un calvaire abattu par la révolution. Il arrive à la barrière, il la franchit; puis, prenant à gauche, il tourne le dos au pavillon de l'octroi, et fait halte devant une porte charretière pratiquée dans le mur d'enceinte de la ville et marqué par la lettre F dans le plan que nous mettons ici sous les yeux du lecteur. Cette porte s'ouvre, et la charrette entre dans un enclos qui, depuis deux mois environ, servait de cimetière aux suppliciés du tribunal révolutionnaire. Le cimetière de la Madeleine, doublement peuplé par la faux naturelle de la mort et par le couperet de la guillotine, (p. 233) n'avait plus de terre pour recouvrir les os des trépassés. Il y avait longtemps d'ailleurs que les habitants du quartier s'étaient plaints des miasmes fétides qui s'exhalaient de ce cimetière[113].

Dès que la charrette est entrée dans le nouvel enclos, la porte se referme immédiatement: gendarmes et curieux se retirent; deux charretiers et un commissaire de police accompagnent seuls la voiture.

Ce terrain, qui, comme on le voit, s'élargissait en s'étendant vers le parc de Monceaux avec lequel il était contigu, était naguère consacré à la culture: une moitié était encore en plates-bandes, et l'autre conservait la trace de sillons interrompus çà et là par des tranchées ouvertes et dont quelques-unes avaient été remplies dans les jours précédents, ainsi que l'attestait la terre tout récemment remuée et fort mal nivelée en certains endroits, car on était pressé, et le triangle de la guillotine allait plus vite que la pioche du fossoyeur. Ce champ de repos avait été inauguré le (p. 234) 4 germinal an II (24 mars 1794) par cette fournée de victimes que Robespierre et Danton, malgré leur antipathie mutuelle, avaient d'un commun accord marquées pour l'échafaud, le jour où ils s'étaient aperçus qu'Hébert et ses partisans cherchaient à élever la puissance de la Commune au-dessus de celle de la Convention[114].

Danton n'avait pas tardé à rejoindre dans ce lieu les adversaires qu'il y avait envoyés, et son cadavre y avait été apporté avec ceux des quatorze compagnons de mort que Robespierre lui avait donnés.

Huit jours après, une large tranchée y avait reçu encore une bande de vingt et un suppliciés pour lesquels on avait inventé un nouveau crime, la conspiration des prisons, conspiration dans laquelle Chaumette se trouvait être le complice d'Arthur Dillon et de la jeune veuve de Camille Desmoulins; puis neuf jours à peine étaient écoulés, et de la guillotine était arrivée encore en cet enclos une nouvelle colonie funèbre, à la tête de laquelle figurait le vertueux Malesherbes, appuyé sur deux générations de ses enfants.

Et maintenant voici que sous cette terre où sont déjà ensevelis quelques-uns des juges de son frère, la fille des Rois Très-Chrétiens vient dormir son dernier sommeil avec sa nombreuse escorte de martyrs. Au bord de la fosse indiquée dans le plan par la lettre H, la charrette s'arrête. Cette fosse, d'après les appréciations du fossoyeur dont nous aurons occasion de parler plus loin, a été creusée sur une largeur de douze à quinze pieds et autant de longueur, à quelques pas du petit mur qui sépare l'enclos du jardin. On procède au déchargement de la voiture sanglante. D'après la déclaration du témoin oculaire que nous venons (p. 235) de citer, le corps de Madame Élisabeth, reconnu par les charretiers à ses vêtements et à la place qu'il occupait sur le sommet de la charrette, est posé le premier ou des premiers sur le bord de la fosse, où il est aussitôt mis à nu, car les barbares de ce temps-là ne respectaient ni la vie ni la mort.

Tous les corps sont successivement dépouillés de leurs habits avant d'être précipités dans la fosse. Un registre est tenu de ces effets divers, qui doivent être ensuite remis à l'Hôtel-Dieu. De temps à autre les fossoyeurs descendent dans la fosse pour ranger les cadavres, afin qu'ils n'y soient pas trop entassés: ils placent alternativement un corps, le tronc tourné du côté du mur, et un autre, le tronc vers le milieu de la fosse; il y avait par conséquent, dans sa largeur, deux rangs de corps par couche horizontale. Afin de ménager l'emplacement, on étend sur ce premier rang horizontal d'autres couches de cadavres, placés comme les premiers, c'est-à-dire le haut du corps et les pieds en sens opposés; chaque couche de corps est recouverte d'environ six pouces de terre, et les fosses sont recouvertes d'environ trois pieds de terre dans la partie supérieure. Le corps de Madame Élisabeth, toujours d'après le témoignage du fossoyeur, doit être couché sur le ventre, dans le fond de la fosse, du côté le plus rapproché du mur.

Les têtes ayant été placées indistinctement dans les vides, le fossoyeur n'a pu indiquer où pouvait être enfouie celle de Madame Élisabeth. On verra dans l'Appendice que nous donnons à la fin du volume, avant les Pièces justificatives, la correspondance à laquelle ont donné lieu les recherches qui ont été faites en 1817 pour retrouver les dépouilles de Madame Élisabeth: ces pièces administratives peuvent seules donner une idée des horribles détails d'une telle inhumation.

La nouvelle du meurtre de Madame Élisabeth avait ému l'Europe; mais chez aucun peuple, dans aucune famille, (p. 236) la douleur n'avait été plus profonde qu'à la cour de Turin. Le prince et la princesse de Piémont espéraient que le meurtre du Roi et de la Reine de France avait assouvi la colère de la révolution, et malgré les épouvantes qu'inspirait la tyrannie de la démagogie, ils s'étaient persuadé que Madame Élisabeth n'en serait pas victime. S'il était en France une personne que l'affection de Clotilde distinguât de toutes les autres, c'était assurément sa sœur, sa première amie, qu'elle avait élevée par l'exemple autant que madame de Mackau par les conseils. Les souvenirs de l'enfance, la communauté de la foi, les déceptions de la vie, les terreurs et les deuils des dernières années, tout avait concouru à resserrer pour elles les liens du sang, et à les attacher plus étroitement l'une à l'autre.

Le prince de Piémont fut instruit avant sa femme du meurtre de Madame Élisabeth. Ce prince, qui partageait la piété et tous les sentiments de famille de sa compagne, se présente devant elle, le front incliné, les yeux humides et le crucifix à la main, et lui dit ces simples paroles: «Il faut faire un grand sacrifice.»

Clotilde avait compris. Les déchirements de son cœur lui avaient dit que sa sœur n'était plus.

«Clotilde triomphant aussitôt d'elle-même, rapporte l'historien de sa vie[115], éleva ses yeux vers le ciel, et adorant Dieu et ses incompréhensibles décrets, répondit sans différer, avec une présence d'esprit admirable: «Le sacrifice en est fait.» Il est vrai qu'elle eut à peine prononcé ces édifiantes paroles qu'elle s'évanouit, et cet évanouissement, dont elle ne fut pas la maîtresse, nous paraît être une nouvelle preuve de sa force et de sa vertu, puisqu'en attestant sa sensibilité, il attestait aussi la violence qu'elle avait dû se faire pour étouffer la voix du sang et les plaintes de la (p. 237) nature. Au reste, revenue à elle, elle reprit son premier calme, et quelques moments après, appelée comme à l'ordinaire pour se mettre à table avec la famille royale, elle y alla avec courage et maîtrisa son trouble, cacha sous son front serein la tristesse dont elle était pénétrée. Tous ceux qui étaient présents en furent attendris et édifiés.

»Une procession publique de pénitence avait déjà été annoncée pour ce jour-là: on voulait la renvoyer, ou du moins empêcher la princesse d'y assister; mais elle ne céda rien, et persista à vouloir la suivre avec les autres. La douleur de son âme était peinte sur son visage, et elle n'en poursuivait pas moins son chemin avec le plus profond recueillement. Ceux qui la voyaient passer pleuraient de tendresse et de compassion, tandis que n'accordant rien à l'humanité, elle ne versait pas une larme, elle n'interrompait point ses prières. Une de ses femmes de chambre marchait derrière elle pour être plus à portée de la secourir si elle se trouvait incommodée, comme on avait lieu de le craindre; mais elle eut la force de faire toutes les stations, et arrivée à l'église des Pères Philippins, elle leur annonça elle-même la fin déplorable de sa sœur, et d'un œil sec, leur demanda pour elle l'assistance de leurs prières.

»Il est cependant un degré au-dessus duquel ne put s'élever la vertu: Clotilde avait combattu et triomphé; mais ce combat intérieur avait été si violent, il lui en avait tant coûté pour remporter la victoire, que le tour de la procession terminé, elle se trouva dans un épuisement total; ses pieds ne pouvaient plus la soutenir, et, rentrée dans son appartement, elle fut obligée de se mettre au lit.

»Dès ce moment elle ne parla plus de Madame Élisabeth que pour rappeler les belles qualités dont elle était ornée et faire l'éloge de ses vertus. Elle garda aussi sur ses bourreaux un silence profond, voyant dans ce tragique événement (p. 238) un de ces coups que la Providence divine frappe quelquefois pour purifier les âmes; et étant d'ailleurs persuadée que l'esprit humain ne peut sonder les décrets éternels, et que souvent ce qui nous fait le plus de peine est précisément ce qui doit le plus contribuer à notre bien spirituel. Elle voulut avoir une copie de la prière que l'illustre victime avait composée elle-même, récitée tous les jours de sa longue captivité, et répétée encore au pied de l'horrible échafaud[116]

(p. 239) La fatale nouvelle circulait et faisait partout couler bien des larmes, mais nulle part peut-être plus qu'au château de Wartegg, près de Rohrschak, dans le canton de Saint-Gall en Suisse[117], où vivait retirée la famille de Bombelles. Sans être parfaitement rassurée sur le sort de la princesse, elle s'était attachée avec ardeur à cette pensée que la perversité humaine s'arrêterait devant un crime non-seulement si odieux, mais si inutile.

Le journal qui en contient le récit arrive un matin au château, et à l'instant le meurtre est su de tout le monde. Madame de Bombelles seule, qui est encore au lit, ne le sait pas. Un domestique entre dans son appartement; ses larmes et le nom de Madame Élisabeth qu'il prononce ont tout fait comprendre. Madame de Bombelles jette un cri et tombe sur son oreiller, sans mouvement et sans vie. Son mari accourt, l'environne de soins; elle respire et fait un effort pour se relever, mais le choc terrible que lui a imprimé la fatale nouvelle a pour ainsi dire faussé chez elle les ressorts de la nature, et un rire effrayant éclate sur ses lèvres plissées et tordues par la douleur. A l'aspect de cet accès de démence, une sorte d'intuition venue du cœur inspire à M. de Bombelles le seul moyen peut-être qui pût (p. 240) rappeler la nature à elle-même. «Ses enfants! s'écrie-t-il, vite ses enfants!»—Ses enfants, qui savent déjà que le bourreau vient de leur prendre une mère, accourent et se précipitent sur le lit de celle qu'ils sont menacés de perdre encore. Leur effroi, leurs cris, leurs larmes, le nom d'Élisabeth prononcé au milieu des sanglots, cette scène déchirante où la tendresse et le désespoir mêlent et confondent leurs plus douces émotions et leurs plus terribles angoisses, finissent par ramener madame de Bombelles au sentiment vrai de son inconsolable douleur.

Le château de Wartegg prit le deuil: père, mère, enfants, ne pouvaient se regarder sans verser des larmes; le souvenir de Madame Élisabeth devint l'entretien incessant de cette famille éplorée. Privée de sa fortune par la révolution, elle vivait à l'étranger des libéralités de la maison royale de Naples, que le malheur força bientôt à se réduire elle-même. Les événements qui suivirent obligèrent madame de Bombelles à quitter la Suisse. Elle se rendit dans le village de Menowitz, aux environs de Brünn, en Moravie, et peu de temps après dans la ville même de Brünn. Les années s'écoulèrent sans adoucir ses regrets, la mémoire de sa royale amie remplissait toutes ses pensées et inspirait toutes ses actions. Elle avait à peine le nécessaire, et elle trouvait le moyen d'ouvrir autour d'elle cette source de bonnes œuvres dont Madame Élisabeth lui avait donné le secret. A la suite d'une couche malheureuse, elle mourut au mois de septembre 1800, à l'âge de trente-huit ans, dans cette ville de Brünn, témoin de ses vertus et de sa charité, et où sa mémoire est demeurée en vénération[118].

(p. 241) On comprend la profonde affliction que durent ressentir les autres amies de Madame Élisabeth, et en particulier (p. 242) madame de Raigecourt et madame des Montiers. Madame de Raigecourt, qui crut devoir envoyer ses respectueuses condoléances à Madame Royale, sortie sept mois après de la prison du Temple, reçut d'elle la lettre suivante, datée de Vienne:

«12 mars 1796.

»Madame, votre visage ni votre nom assurément ne me sont inconnus; on a du plaisir à se rappeler les personnes fidèles, et vous êtes du nombre: je sais bien l'attachement que vous aviez pour ma vertueuse tante Élisabeth; elle vous aimait beaucoup aussi, et m'a souvent parlé de vous et du chagrin qu'elle avait d'être séparée de vous. Je vous remercie de la joie que vous témoignez de ma délivrance, c'est un miracle que le ciel réservait à l'Empereur, et dont je serai toujours reconnaissante. Je sais que vous n'êtes sortie que par l'ordre de ma tante; je partage tous les tourments que vous avez soufferts, et assurément je prendrai toujours le plus grand intérêt à tout ce qui vous arrive comme à l'amie de ma chère tante Élisabeth. Vous me dites que vous avez un de ses portraits bien ressemblant; je voudrais que vous me le fissiez passer; je vous promets de vous le rendre; je vous prie de l'envoyer sûrement à l'évêque de Nancy, qui est chargé de mes affaires ici.

»Marie-Thérèse de France.»

De son côté madame des Montiers avait écrit au comte de Provence pour lui exprimer la part bien vive qu'elle prenait à ses douleurs fraternelles. Le prince lui répondit de sa main:

(p. 243) «A Vérone, ce 30 mai 1794.

«Si je puis éprouver, Madame, quelque consolation dans ma juste et profonde douleur, c'est en pensant qu'elle est partagée par les personnes qui veulent bien avoir quelque bonté pour moi. Personne ne sait mieux que moi combien ma pauvre sœur avoit d'amitié pour vous, ni combien vous l'aimiez, et je juge de votre douleur par celle que je ressens moi-même. Puisse l'attachement aussi pur qu'invariable que vous me connoissez pour vous, vous être de quelque consolation! Soyez au moins bien persuadée que c'en sera une pour moi, dans des temps plus heureux, de faire tous mes efforts pour vous adoucir la cruelle et irréparable perte que nous venons de faire.

»Adieu, Madame, recevez avec votre bonté ordinaire l'assurance des tendres et respectueux sentiments que je vous ai voués, et qui dureront autant que ma vie.

»Louis-Stanislas-Xavier.»

Les regrets exprimés ici par un frère de Madame Élisabeth ne font pas oublier ceux que les plus humbles serviteurs de cette princesse lui conservèrent jusqu'à leurs derniers jours. Jacques et Marie n'avaient cessé, tant qu'ils l'avaient pu, d'être fidèles à l'ordre établi à Montreuil par leur royale maîtresse; mais, après le 10 août, la famille royale ayant été conduite au Temple, la Commune révolutionnaire de Versailles ne tarda point à s'emparer de cette demeure de Montreuil que les pauvres avaient pris coutume de regarder comme la maison nourricière de leurs enfants. Jacques et Marie, qui savaient peu dissimuler leurs sentiments et dont l'origine helvétique était un crime aux yeux des révolutionnaires, furent arrêtés et mis en prison, où ils furent longtemps oubliés. Ils en sortirent au mois de ventôse an II, et sollicitèrent la bienfaisance des directeurs du district (p. 244) de Versailles[119]. Leur extrême misère éveilla la pitié des magistrats de ce temps, qui déclarèrent que leur détention avait été une injustice et qu'ils avaient droit à des indemnités. Malgré nos persévérantes recherches, il nous a été impossible de trouver la preuve qu'un secours quelconque leur ait été accordé, et nous ne pouvons dire comment ils parvinrent à traverser la France et à regagner, avec leur enfant, l'heureuse contrée où ils avaient échangé leurs premières paroles d'amour. L'honneur d'avoir appartenu (p. 245) à Madame Élisabeth les environna de l'estime et de l'intérêt de tous les habitants de Bulle. La révolution, qu'ils avaient cru fuir, vint les trouver dans leur pays natal[120]; mais leur union tranquille n'en fut pas troublée. Jacques et Marie ne cessèrent point de pleurer leur bienfaitrice, sur laquelle (p. 246) chaque jour on se plaisait à les interroger. Ils apprirent à leurs enfants à prier pour elle et à bénir sa mémoire. Dieu ne voulut pas que ces deux êtres, qui avaient tant souffert ici-bas de leur première séparation, fussent séparés longtemps dans un monde meilleur. Marie mourut la première; elle mourut le 5 janvier 1835[121]; Jacques alla la rejoindre le 2 septembre de l'année suivante[122].

Montreuil avait perdu la maison hospitalière où tous les enfants étaient assurés de trouver leur nourriture. Le district de Versailles, n'ignorant pas le regret et la gêne que causait à tant de familles le tarissement de cette source de secours toujours ouverte à leurs besoins, crut devoir prendre un arrêté qui convertissait en hospice la maison Élisabeth. C'était rendre un hommage involontaire à la bonté de cette princesse, qui avait fait de sa demeure le point de mire vers lequel se tournaient toutes les souffrances, de sorte qu'on ne faisait que continuer ses traditions en la transformant en Hôtel-Dieu. Mais cette mesure, fort belle sur le papier, ne reçut aucune exécution; l'asile de Montreuil demeura sombre et muet: l'âme de la charité était absente.

Dans la maison Élisabeth (c'est ainsi que l'on continuait de l'appeler) restèrent installés les anciens serviteurs de la princesse, ainsi que les gardiens des scellés que la révolution y avait envoyés.

En vertu d'une loi du 7 messidor an III (jeudi 25 juin 1795), portant qu'une horlogerie automatique serait sans délai formée à Versailles, Charles Delacroix, représentant du peuple, en mission dans le département de Seine-et-Oise, arrêta, le 29 brumaire an IV (20 novembre 1795), que la maison dite Élisabeth, l'orangerie et la vacherie qui en dépendent, les cours et terrains situés entre lesdits (p. 247) bâtiments, seraient affectés à cet établissement, placé sous la direction des citoyens Lemaire et Glaesner[123].

Malgré la jouissance gratuite de ces bâtiments et terrains concédés pendant quinze ans, la manufacture d'horlogerie, qui devait recevoir chaque année cent élèves, ne prospéra point; elle fut supprimée par un arrêté du Premier Consul, daté du 17 ventôse an IX[124] (8 mars 1801), et mise à la disposition de la régie du domaine national et de l'enregistrement.

L'architecte du palais national de Versailles ayant déclaré que la maison Élisabeth étoit tellement endommagée qu'il faudroit employer une somme de 25,000 francs pour sa réparation, et la régie, de son côté, ayant observé que, vu le grand nombre des bâtiments inoccupés dans cette ville, les locations de ladite maison y seroient difficiles et d'un foible produit, on en conclut qu'il était plus avantageux de la vendre dans l'état où elle se trouvait que de la réparer[125]. Cette proposition fut agréée par l'autorité supérieure; la vente aux enchères fut annoncée pour le 27 messidor de l'an X (vendredi 16 juillet 1802), et la maison Élisabeth, avec ses dépendances, fut adjugée moyennant les prix et somme de 75,900 francs, au citoyen Jean-Michel-Maximilien Villers, demeurant à Paris, rue de l'Université, no 269[126].

Avant son aliénation définitive, la demeure de Madame Élisabeth avait été condamnée à la stérilité. Dès le mois d'octobre 1792, ses vaches nourricières avaient été vendues; ses belles fleurs, orgueil de ses jardins, avaient été enlevées et dispersées[127]. Sa maison, d'abord mais inutilement désignée pour devenir un hospice, puis consacrée à une institution industrielle, avait subi des dégradations déplorables, sans servir à des travaux utiles.

(p. 248) Un triste et invincible attrait nous ramène à ce cimetière où gisent les restes vénérables de Madame Élisabeth, et qui, pendant la période révolutionnaire, était plus connu du charretier du bourreau que du conducteur des pompes funèbres. Les inhumations des victimes tombées sur l'échafaud de la place du 21 janvier s'y succèdent chaque jour. Ennuyé de tuer en détail, le tribunal révolutionnaire, le 29 prairial an II (17 juin 1794), avait livré à la guillotine, par amalgame et en masse, selon l'expression de Fouquier-Tinville, cinquante-quatre victimes, différentes de rang et d'opinion, et étrangères les unes aux autres. Le 10 thermidor envoya dans ce champ funèbre les principaux chefs du parti qui venait de succomber, les deux Robespierre, Saint-Just, Couthon, Hanriot, Dumas, et ce Simon dont le nom odieux est lié à jamais à celui d'un héroïque enfant. Mais cette fournée n'était que de vingt-deux hommes.

Le lendemain, 11 thermidor, il y eut une fournée bien autrement considérable: les vainqueurs avaient eu le loisir de faire des désignations nombreuses, et d'atteindre la plupart des membres de la Commune qui avaient longtemps prévalu contre la Convention. L'exécution de soixante et onze condamnés envoyés à l'échafaud par leurs anciens complices forma un lac de sang sur la place où Madame Élisabeth avait été frappée.

Il ne faut pas croire que la guillotine chômât après ces satisfactions terribles données aux exigences de la réaction: la recomposition du tribunal révolutionnaire, la fermeture du club des Jacobins, la dépanthéonisation (expression du temps) des restes de Marat, ne suffirent point pour apaiser les indignations de la conscience publique. Le sang appelle le sang. Parmi les suppliciés, on ne compta pas seulement les criminels auteurs de tant de supplices, les Carrier, les Fouquier-Tinville, les Lebon: les vainqueurs du 10 thermidor n'étaient guère moins pervers que les vaincus. (p. 249) Ce fut ainsi que la réaction atteignit souvent l'innocence et la vertu, qui ne désapprenaient pas encore le chemin de l'échafaud.

Ce champ de repos où arrivaient concurremment les cercueils fermés par une mort naturelle, aussi bien que les cadavres mutilés par le bourreau, ne tarda point à se remplir.

Disons aussi qu'à partir du 26 prairial an II (14 juin 1794), l'échafaud fut transporté de la place de la Révolution à la porte Saint-Antoine; puis, deux jours après, à la barrière du Trône renversé, où il resta en permanence jusqu'au 9 thermidor.

Deux ans après, par un arrêté de l'administration centrale du département de la Seine, le cimetière de Montmartre fut ouvert[128], et celui de Monceaux ne servit plus aux sépultures. La grande porte, pratiquée dans le mur d'enceinte de Paris et donnant accès dans le champ du Christ, (p. 250) demeura fermée. Les orphelins qu'avait faits la révolution n'avaient point assisté aux funérailles de leurs pères; ils ignoraient même, pour la plupart, le lieu où elle avait enfoui leurs restes. Longtemps la stérile curiosité d'un public dominé par la terreur s'inquiéta beaucoup plus des prisons que des cimetières, beaucoup plus de la guillotine que de la sépulture. La plupart de ceux qui avaient connu le champ du Christ en oublièrent la route. Le silence se fit à l'entour comme au dedans. Les années s'écoulèrent, emportant avec elles les traditions du passé, abattant quelques pauvres croix de bois pourries au milieu des grandes herbes et effaçant tout vestige de tombes.

PLAN DE L'ANCIEN CIMETIÈRE DE LA MADELEINE
Converti en jardin par M. Descloseaux, rue d'Anjou Saint-Honoré, no 48,
DANS LEQUEL ONT ÉTÉ DÉPOSÉS
LES RESTES DU ROI LOUIS XVI ET DE LA REINE MARIE-ANTOINETTE.

Maison et Jardin de M. Descloseaux.

En 1790, M. Viger de Jolival, ancien directeur des fermes, avait fait l'acquisition de la maison du Christ, du jardin et de l'enclos qui en dépendent. La ville de Paris s'empara du petit enclos, contigu au jardin, et en fit un cimetière; plus tard, ce même enclos fut loué à un habitant de Monceaux qui y fauchait de l'herbe et y semait des pommes de terre. M. Viger n'ignorait pas que parmi les victimes qui y étaient inhumées se trouvaient les restes de Madame Élisabeth. Il fit entourer d'un treillage l'endroit indiqué dans notre plan[129] par la lettre G, et y fit poser une pierre tumulaire sur laquelle étaient écrits ces deux mots: Madame Élisabeth. Mais les déclarations de Joly, fossoyeur du cimetière à l'époque du 21 floréal an II (10 mai 1794) semblent prouver que M. Viger se trompait sur l'emplacement de la sépulture de cette princesse. Son erreur était encore plus grave au sujet de la dépouille mortelle du duc d'Orléans, qu'il prétendait être ensevelie à l'endroit désigné par la lettre K. Les restes de ce prince n'avaient point été amenés dans ce cimetière, qui ne fut ouvert que cinq mois après sa mort: ils reposaient dans celui de la Madeleine, en un coin diamétralement opposé à l'angle où se trouvaient (p. 251) les tombes du roi Louis XVI et de la reine Marie-Antoinette. Les deux branches de la maison de Bourbon demeurèrent séparées dans la mort, comme elles l'avaient été dans la vie. Nous ne croyons pas nous écarter trop de notre sujet en reproduisant ici le plan du cimetière de la Madeleine, avec quelques indications qui ne seront peut-être pas sans intérêt pour le lecteur.

M. Viger, après avoir fait dans sa propriété de l'enclos du Christ les deux réserves dont nous avons parlé, rendit le reste du champ à la culture. La porte charretière pratiquée dans le mur d'enceinte et par où entraient les charrettes remplies par le bourreau, ne s'ouvrit plus qu'à de bien rares intervalles pour laisser passer le laboureur. Un homme qui travaillait enfant dans ces lieux, et qui plus d'une fois m'y a conduit dans le cours de ces quinze dernières années[130], me racontait que son père l'envoyait souvent travailler dans le champ du Christ, en lui recommandant de ne pas toucher aux terrains marqués par une claire-voie.

Les choses en étaient là, lorsque s'accomplirent les graves événements de 1814. La maison de Bourbon n'avait pu enterrer ses morts après la grande bataille de la révolution. Il était naturel qu'en rentrant sur le sol de la patrie elle s'occupât de ce soin pieux. D'ailleurs, le retour des exilés, ces absents temporaires, rappelait les morts, ces absents éternels, ensevelis avec trop peu de larmes, paucioribus lacrymis, comme l'a écrit le grand historien de Rome; et depuis que les roulements de tambour et les fanfares de la victoire ne retentissaient plus, il semblait qu'on entendait sortir de ces sillons où l'on avait fauché une génération humaine, un bruit de gémissements et de sanglots. La restauration de la maison de Bourbon ramenait elle-même la pensée publique sur les royales victimes de la Révolution.

(p. 252) La loi qui avait consacré un deuil général en expiation du crime commis le 21 janvier 1793, avait prescrit qu'un monument serait élevé au fils et à la sœur de Louis XVI. Nous avons, dans un ouvrage relatif à la vie, à l'agonie et à la mort de Louis XVII, exposé les motifs qui rendirent stériles, relativement à ce jeune prince, les dispositions de cette loi. Les difficultés qui s'était présentées pour retrouver les restes de l'orphelin du Temple devenaient plus grandes encore pour rechercher ceux de Madame Élisabeth, enfouis dans une fosse commune avec les dépouilles des vingt-trois autres personnes frappées avec elle sur l'échafaud du 21 floréal. Le gouvernement de la Restauration n'avait recueilli que des renseignements inexacts sur la sépulture des victimes révolutionnaires.

Un respectable vieillard, M. Descloseaux, propriétaire rue d'Anjou d'une maison contiguë au cimetière de la Madeleine, avait été témoin oculaire de l'inhumation des restes du roi Louis XVI et de la reine Marie-Antoinette dans ce cimetière, et s'était persuadé que tous les suppliciés de la place de la Révolution y avaient été également ensevelis. Sa déclaration, formulée dans ce sens et signée par lui, le 4 juin 1814, avait accrédité une erreur que lui-même, mieux informé plus tard, s'empressa de réparer par un acte authentique à la date du 22 mai 1816[131].

(p. 253) L'année suivante, dans les derniers jours du mois de mars, fut dressé un acte notarié établissant la notoriété du cimetière de Monceaux[132].

(p. 254) Dès le 11 janvier 1817, M. Bélanger, dessinateur ordinaire du cabinet et de la chambre du Roi, avait adressé le rapport suivant à M. de Pradel, chargé du portefeuille de la maison de Sa Majesté:

«Monsieur le Comte,

»Le corps de Madame Élisabeth de France a été porté dans une fosse commune, près la barrière de Mousseaux, (p. 255) dans un terrain (intra muros) qui appartient à M. Viger, ancien directeur des fermes. Ce domaine contient environ sept arpents, sur lequel il existe deux maisons d'habitation séparées l'une de l'autre.

(p. 256)»Dans la même fosse qui contient les restes de cette auguste et infortunée princesse, se trouvent réunis ceux des personnes qui ont partagé la gloire de son martyre.

»Toute espèce de translation étant impossible, on peut, ainsi que vous l'avez sagement proposé, faire de ce local, sans beaucoup de dépense, un lieu d'expiation et de recueillement, dont les dispositions, d'après les détails du plan que j'ai l'honneur de vous adresser, offriraient l'aspect austère d'une enceinte religieuse, où quelque petit monument attesterait aux siècles à venir jusqu'à quel excès de déraison et de délire peut se porter un peuple quand il brise ses institutions sociales et qu'il rompt le joug salutaire des lois de la morale et de la religion.

»J'ai rédigé le projet que j'ai l'honneur de vous adresser sur des dispositions d'économie. Une enceinte fermée, plantée de cyprès et autres arbres convenables à un champ de repos, une pyramide élevée sur la fosse, des cyprès mémoratifs avec quelque inscription, une chapelle sépulcrale simple dans ses décors, qui offrirait aux habitants de Mousseaux, qui n'ont plus d'église pour la célébration de la messe, les jours de fêtes et dimanches, un lieu de recueillement.

»Ce domaine offre la disposition avantageuse de deux maisons d'habitation, l'une convenable pour l'ecclésiastique qui desservirait la chapelle, et l'autre au concierge qui gardera le champ du repos.

»J'estime toute cette dépense, y compris l'acquisition des sept arpents de terre, des deux maisons, des embellissements, des plantations et de la construction de la chapelle, à trois cent mille francs.

»Des détails plus précis donneraient peut-être des résultats plus économiques.

»Je m'estimerai heureux si, témoin de tant de profanations (p. 257) politiques et sacrées, je pouvais avoir contribué à la décision qui sera prononcée à cet égard.

»J'ai l'honneur d'être avec respect, Monsieur le comte, votre très-humble et très-obéissant serviteur,

»Bélanger.»

»Paris, le 11 janvier 1817.»

De son côté, M. Viger de Jolival avait, le 25 du même mois, tenté près des vicaires généraux du diocèse de Paris une démarche ayant pour but de les intéresser à la cession qu'il était disposé à faire de sa propriété au gouvernement du Roi, et, le 4 février, il écrivait au préfet de la Seine relativement au monument à élever à la mémoire de Madame Élisabeth. Il crut aussi devoir adresser une requête analogue à M. le vicomte de Montmorency[133]. Ni les propositions de M. Bélanger ni celles de M. Viger de Jolival ne furent accueillies. Nous dirons dans l'Appendice que nous inscrirons à la fin de ce volume, avant les Pièces justificatives, les difficultés, pour ainsi dire insurmontables, que rencontrèrent les recherches qui furent tentées pour arriver à la découverte certaine des restes de Madame Élisabeth. M. Lainé, ministre de l'intérieur, sous l'autorité duquel le préfet de police avait dirigé ces lamentables travaux, regarda comme un devoir de soumettre au Roi les lettres qui en exposaient les détails. Louis XVIII, assez peu crédule de sa nature, et pour qui les reliques de Louis XVI et de Marie-Antoinette, malgré les actes publics qui en établissaient l'authenticité, paraissaient à peine offrir une garantie suffisante, donna l'ordre de s'abstenir de recherches qui, lorsqu'elles ne sont pas motivées par des indications certaines, (p. 258) ressemblent à une profanation: or celles-ci ne pouvaient avoir pour résultat qu'une découverte d'ossements douteux. On renonça donc à toute pensée d'exhumation.

On avait voulu trop faire et l'on ne fit point assez. La plus simple convenance conseillait d'acquérir ce cimetière et d'y ériger un monument. On n'en fit rien. M. Viger de Jolival perdit l'espoir de céder au gouvernement royal le terrain qui contenait les restes d'Élisabeth, de Malesherbes, des fermiers généraux, des présidents du Parlement de Paris et d'une multitude de personnages considérables.

Peut-être l'empressement du propriétaire du terrain à en tirer parti diminua-t-il la disposition du gouvernement à l'acquérir, parce que celui-ci ne vit qu'une spéculation dans une affaire où il y avait des considérations d'un ordre supérieur à envisager. Cependant, si l'enquête, poursuivie avec tant de soin, n'avait pu donner d'indications précises sur les moyens de discerner les reliques de la sœur de Louis XVI au milieu de tant de restes, elle avait mis deux points hors de doute: la présence des dépouilles mortelles de la princesse dans l'enclos du Christ, et l'indication de la fosse où elles reposent, avec un grand nombre des plus illustres victimes de la révolution, et à quelques pas des proscripteurs les plus redoutables de cette époque néfaste, couchés dans la paix du même tombeau. Cela suffisait pour que l'enclos marqué de tels souvenirs fût conservé comme une de ces pages d'histoire qui, respectées au milieu de tous les changements, parlent du passé à l'avenir.

Le temps a marché. Peu à peu la spéculation s'est emparée de ces terrains. Quelques chétives maisons s'y sont assises, quelques hangars s'y sont élevés; mais ceux qui les habitent ou qui les exploitent ne se doutent pas de ce qui s'est passé dans ces lieux. La population, qui se renouvelle encore plus vite aux abords des barrières qu'au centre (p. 259) même de la cité, ignore tellement à quel usage ces terrains ont servi, qu'un terrassier ayant trouvé, il y a quelques années, des ossements humains en creusant les fondations d'un bâtiment, mille conjectures étranges ont occupé l'imagination des habitants de ce quartier. Dans ces derniers temps encore, de nouveaux ossements, appartenant à des individus des deux sexes, et remontant, d'après les examens de la science, à soixante-dix ou soixante-quinze ans, sont apparus en grand nombre sous la pioche des ouvriers occupés à des fouilles au boulevard de Monceaux. Ces débris, remplissant plusieurs tombereaux, ont été transportés aux Catacombes[134].

Ainsi donc, si Madame Élisabeth avait mis tous ses soins à fuir l'ostentation pendant sa vie, Dieu a voulu lui ménager jusque dans la mort l'obscurité qu'elle avait aimée.

Madame, après avoir prêché l'humilité devant l'échafaud, vous vous y êtes humblement offerte. Vos dépouilles ont été, avec les dépouilles de tous vos compagnons funèbres, enfouies pêle-mêle dans la terre, et pas une pierre n'en marquera même la place!

Mais les haines qui vous ont persécutée sont éteintes: les calomnies qui s'étaient dressées contre vous se sont dissipées comme ces nuées qu'amasse un jour d'orage, et que le vent emporte, en détruisant l'obstacle passager qui empêchait la terre de jouir de la lumière du soleil, dont l'éclat, invisible un moment aux regards des hommes, n'a pas cessé de rayonner dans le ciel. C'est l'image de votre sublime (p. 260) vertu méconnue un jour sur la terre, toujours connue du regard de Dieu.

Vous aviez ému et attendri le monde par l'onction de votre parole. Aujourd'hui vous le tiendrez et plus ému et plus attendri encore par la douceur de votre souvenir; car vous avez parlé plus haut dans votre mort que dans votre vie.

Cédant à une inspiration venue de notre cœur, et soutenu dans notre tâche par le culte que nous vous avions voué, nous avons consacré de longues journées à rassembler quelques nouveaux détails sur votre personne; nous les avons enregistrés dans ce livre avec conscience, avec respect; et bien souvent des larmes sont venues obscurcir notre vue et arrêter notre plume, en vous surprenant si sévère pour vous-même, si soumise aux volontés de Dieu, qui devenaient les vôtres, si miséricordieuse envers les faibles, si bonne pour vos amies, si généreuse envers vos ennemis, et si douce envers la mort. Mais je ne veux plus parler de vous avec ce chagrin amer qui convient mal à l'admiration de l'angélique sérénité de votre grande âme; j'ai été à la peine en racontant votre martyre, je suis maintenant au triomphe: je me reprocherais ma douleur comme une impiété, ne voulant plus voir dans votre mort que votre triomphe éternel.

Par une rencontre où nous aimons mieux voir le doigt de la Providence qu'un concours de circonstances tout fortuit, la révolution sembla exécuter, après votre mort, les ordres que vous-même eussiez donnés, si vous eussiez cru pouvoir commander, et devoir être obéie. Les vêtements dont vous étiez couverte à votre dernière heure furent portés dans un hospice pour servir aux pauvres et aux malades, ces membres souffrants de Notre-Seigneur, que vous secouriez pendant votre vie; votre maison de Montreuil, que vous aviez tant aimée, garda le nom de maison Élisabeth (p. 261) et fut destinée à devenir un hôtel-Dieu; enfin, le champ du Christ reçut votre corps, tandis que votre âme montait au ciel.

Mais ce n'est point à nous qu'il appartient de vous honorer dignement. Sans chercher à devancer le cours des âges, il nous est permis de prévoir qu'un hommage bien autrement éclatant sera rendu un jour à votre mémoire: il est une autorité sacrée, qui, comme Dieu, n'oublie pas les âmes qui sortent victorieuses du siècle, par la simplicité dans le courage, par l'humilité dans la vertu, par la candeur dans l'héroïsme. Un jour viendra, nous le croyons, où, d'après les souvenirs et les témoignages des événements et des hommes, l'Église inscrira le nom d'Élisabeth dans ces impérissables légendes où les générations chrétiennes vont chercher leurs protecteurs et leurs modèles.

(p. 263) APPENDICE.
DOCUMENTS CONCERNANT LES RECHERCHES QUI ONT ÉTÉ FAITES AUX MOIS DE MARS, D'AVRIL ET DE MAI POUR RETROUVER ET CONSTATER LES RESTES DE MADAME ÉLISABETH.

Le 22 mars, le ministre de l'intérieur (M. Lainé), en adressant au préfet de la Seine (M. de Chabrol) une lettre de M. Viger de Jolival, ancien directeur des fermes, lui demandait des renseignements sur l'inhumation de Madame Élisabeth.

Cette lettre et cette note furent transmises par le préfet de la Seine, en ces termes, au préfet de police:

«M. le comte de Chabrol a l'honneur de transmettre confidentiellement à son collègue M. le comte Anglès une note accompagnée d'une lettre à la date du 22 mars qu'il vient de recevoir de S. Exc. le ministre de l'intérieur, et à laquelle M. le comte Anglès a sans doute plus de moyens que lui de répondre d'une manière positive; il le prie de vouloir bien réunir tous les renseignements qui peuvent répondre aux vues du ministre.

»Il le prie d'agréer l'assurance de sa haute considération.

»Paris, le 24 mars 1817.»

Un scrupule administratif occupa les bureaux de la police. Était-il dans les convenances que le préfet de police fût mis en action par le préfet de la Seine pour une opération dont ce dernier avait été chargé confidentiellement par le ministre?

(p. 264) Interrogé sur cette question, un chef de bureau de la préfecture de police répondait à M. le comte Anglès:

«25 mars 1817.

»En proposant à Son Excellence le projet de lettre ci-joint pour le ministre de l'intérieur, au sujet des communications de M. le préfet du département (reconnaissance du lieu d'inhumation des restes de Madame Élisabeth), on a l'honneur de lui faire part d'un scrupule naturel: le ministre de l'intérieur sera-t-il ou non dans le cas de se formaliser d'une communication faite par M. le préfet de la Seine de pièces qui lui avaient été adressées à lui seul, et de voir, hors des convenances peut-être, M. le préfet de police mis en action par M. le préfet de la Seine pour une opération dont ce dernier avait été chargé directement et particulièrement par le ministre?

»Le ministre n'a rien transmis, rien demandé à M. le préfet de police; ce n'est pas non plus de la part du ministre que M. le préfet du département laisse à M. le préfet de police à suivre une opération dont il a recueilli et transmis les premiers éléments à S. Exc. le ministre de l'intérieur, qui ne les avait demandés qu'à lui, préfet du département, et confidentiellement.

»M. le préfet de police n'a-t-il pas à craindre de commettre M. le préfet du département avec le ministre par une lettre qui n'est point provoquée?

»A considérer la démarcation naturelle des attributions des autorités, il semble qu'il y a inconvénient et irrégularité dans la marche actuelle de cette affaire; peut-être, pour la suite qu'elle doit avoir conformément aux intentions du Roi, prendrait-elle une direction claire plutôt des instructions que Son Excellence prendrait directement du ministre, que par la voie d'une correspondance dont il peut être ou mécontent ou surpris.

»Boucher.»

La lettre suivante, formulée par M. Boucher, fut adoptée (p. 265) et adressée par le ministre d'État, préfet de police, à M. le ministre de l'intérieur.

«25 mars 1817.

»Monseigneur,

»M. le préfet du département de la Seine m'a transmis confidentiellement une lettre que Votre Excellence lui a écrite le 22 de ce mois pour lui demander les renseignements qu'il pourrait se procurer sur l'époque et le lieu de l'inhumation des restes de Madame Élisabeth.

»Je vois par une note transmise à M. le préfet du département par Votre Excellence, et dont il me donne également communication, que M. le préfet lui avait adressé déjà des renseignements qu'il avait obtenus du sieur Viger de Jolival, propriétaire du terrain où l'inhumation avait eu lieu, ainsi que le plan descriptif de la propriété avec un aperçu du monument; mais que ces documents ne satisfaisaient point Votre Excellence sur la question essentielle, celle de l'authenticité.

»M. le préfet du département fonde la communication qu'il me fait par une note en date d'hier sur la présomption que j'aurais plus de moyens que lui de répondre aux vues de Votre Excellence.

»Comme je n'ai aucune connaissance de ce qui a été fait à cet égard dans le principe, et que les premiers renseignements recueillis par M. le préfet du département sont entre les mains de Son Excellence, je ne puis que la prier de vouloir bien me faire connaître si son intention serait que je fisse des recherches et une enquête pour obtenir des informations plus positives.

»Dans ce cas, il me serait nécessaire d'avoir toutes les notions antérieures qui sont parvenues à Votre Excellence et à M. le préfet du département.

»J'ai l'honneur, etc., etc.»

M. le vicomte Lainé répondit:

«Paris, le 31 mars 1817.

»Monsieur le comte, M. Viger de Jolival, propriétaire de (p. 266) la maison dite du Christ, barrière de Mousseaux, et d'un terrain en dépendant, a déclaré que S. A. R. Madame Élisabeth avait été inhumée dans ce terrain.

»Le Roi m'a ordonné de faire à ce sujet toutes les recherches convenables.

»Je vous serai obligé de me communiquer tous les renseignements que vous pourrez vous procurer pour constater ce fait d'une manière indubitable et pour faire reconnaître les cendres de Madame Élisabeth, que l'on dit avoir été ensevelie en même temps que plusieurs autres personnes. Ce doit être là le but des recherches, afin que la translation à Saint-Denis puisse être opérée, suivant le degré de certitude qui aura été acquis.

»J'ai l'honneur d'être, etc.

»Le ministre secrétaire d'État au département de l'intérieur,

»Lainé.»

Cette lettre étant demeurée sans réponse, le ministre de l'intérieur en fit le rappel au préfet de police le 18 avril, en ajoutant: «Je vous prie de me répondre sur cette demande le plus tôt possible.»

De son côté, M. de Giry, administrateur des affaires ecclésiastiques au ministère de l'intérieur, avait, dès le 1er avril, écrit officieusement à M. Anglès:

«Paris, le [1er avril] 1817.

»Voici ce qui est arrivé au sujet des recherches à faire pour constater tout ce qui peut avoir trait aux cendres de Madame Élisabeth.

»Le ministre me remit, il y a quelques jours, une note portant que M. Viger de Jolival, propriétaire d'une maison dite du Christ et jardin en dépendant, barrière de Mousseaux, avait fourni à M. le préfet de la Seine et à MM. les vicaires généraux des renseignements et un projet sur un monument à élever en l'honneur de Madame Élisabeth sur le terrain même, après acquisition faite (par la ville de Paris).

(p. 267)»Je finissais le travail ordinaire; le ministre, en me remettant la note, qui m'était alors inconnue, n'ajouta que ces mots: «Voyez tout ce que l'on peut faire.»

»Averti par la lecture qu'il y avait des antécédents, je me les fis remettre. Ils étaient déjà parvenus, avec envoi de M. le préfet, dans un bureau qui avait traité sous le rapport d'acquisition (160,000 fr.) et de monument. Que pourrait-on faire si l'on n'y mettait encore autant et plus, et puis des gardiens dans ce quartier isolé, et puis un service journalier, etc.? J'entrevis quatre à cinq cent mille francs de dépense.

»J'arrivai au travail avec deux lettres: une aux vicaires généraux pour avoir tout ce qui leur avait été communiqué; l'autre est celle que M. le comte de Chabrol a renvoyée à M. le comte Anglès. L'avis joint était de ma façon, parce que je craignais que M. le préfet ne suivît la chose dans le sens du premier projet, et qu'il me paraissait qu'on ne pouvait trop appuyer sur la nécessité de constater les cendres, de les distinguer et de les transférer alors à Saint-Denis, plutôt que de s'arrêter à tout autre plan d'exécution imparfaite et dispendieuse.

»Je ne songeai pas dans le moment au préfet de police; le ministre n'y songea pas davantage; mais hier, averti ou mieux avisé, il a écrit à M. le préfet de police. La lettre, soumise aux formalités du départ, se sera croisée.

»Il paraît que l'idée de translation à Saint-Denis, dans le cas où l'on réussirait à distinguer les cendres de Madame Élisabeth, est conforme à l'intention du Roi.

»Il paraît encore que l'intérêt du propriétaire, déjà bercé de l'idée de vendre, pourra rendre la vérification plus difficile. Ce n'est pas le cas de parler d'adresse et d'habileté au ministre préfet qui veille sur Paris.

»Au surplus, j'ai parlé ce matin à M. Lainé de la question que vous m'avez adressée, mon très-honoré et très-cher ministre, et je lui en ai parlé comme je devais le faire, et de manière à remplir votre commission en entier. Je puis donc vous assurer que l'énoncé de la note Jolival, portant que le préfet de la Seine et les vicaires généraux de Paris avaient ses (p. 268) premiers renseignements, a été (sans autre réflexion) la cause que l'on s'est adressé à cet administrateur et à MM. les vicaires généraux.

»Quant aux antécédents, ils sont uniquement relatifs à la dépense à mettre à la charge de la ville de Paris. Ils s'étaient passés entre M. le préfet et M. le sous-secrétaire d'État en dernier lieu.

»Enfin M. Lainé se défend même d'avoir coopéré à ce qui regarde les restes de Molière et de la Fontaine. Il m'a répondu qu'au surplus cela avait dû être traité comme objet d'art. M'a-t-il bien ou mal entendu?

»Je n'ai pas voulu insister.

»Mais, j'ose vous le répéter, quoique sans doute la chose soit superflue, s'il est reconnu qu'acheter et bâtir serait intempestif, que transférer à Saint-Denis serait dans les vœux du Roi, il y aura des précautions à prendre pour éluder l'intérêt du propriétaire.

»J'écris de chez moi, les affaires courantes ne me l'ayant pas permis dans la journée. Pardon de la prolixité, mais les enfants et les grands me détournent également. Demain j'aurai l'honneur de vous envoyer le dossier entier.

»Veuillez agréer mon respectueux et profond dévouement,

»De Giry.»

Le préfet de police autorisa M. de Chanay, chef de la première division, à prendre lui-même dans l'enclos du Christ des renseignements sur le lieu de l'inhumation du corps de Madame Élisabeth.

«Paris, 18 avril 1817.

»Le ministre d'État, préfet de police, autorisons le sieur de Chanay, chef de la première division des bureaux de notre préfecture, à se transporter à la barrière de Mousseaux, où est située la maison dite du Christ, appartenant à M. Viger de Jolival, et à visiter l'enclos de ladite maison, à l'effet de reconnaître les lieux et d'y prendre des renseignements sur le lieu de l'inhumation du corps de S. A. R. Madame Élisabeth, (p. 269) sœur du Roi, et d'y recevoir en forme la déclaration du sieur Joly, ancien concierge de ce local, aujourd'hui concierge du cimetière Montmartre, qui sera invité à s'y rendre pour le même objet.—Ledit chef de division se fera assister, s'il le juge nécessaire, du commissaire de police du quartier du Roule et d'un officier de paix, afin de pouvoir faire sur les lieux toutes les observations demandées et y recevoir toutes les déclarations qui pourraient fournir d'utiles renseignements.

»Le ministre d'État, préfet de police,
»Comte Anglès

Le 21 avril, M. Boucher, chef de bureau à la préfecture de police, soumettait à son chef le rapport suivant:

«21 avril 1817.

»On a l'honneur de rendre compte à Son Excellence du résultat des premières démarches qui ont été faites pour parvenir à des renseignements positifs sur la sépulture distincte des restes de Son Altesse Royale Madame Élisabeth, sœur du Roi Louis XVI.

»M. de Giry, qui dirige l'administration des affaires ecclésiastiques au ministère de l'intérieur, avait expliqué dans une lettre particulière à Son Excellence la raison pour laquelle les premières communications avaient été faites au département de la Seine. L'enclos connu sous le nom de la maison du Christ, barrière de Mousseaux, dans lequel les dépouilles mortelles de Madame Élisabeth ont été déposées avec les restes de beaucoup d'autres victimes des fureurs révolutionnaires, est une propriété à M. Viger de Jolival, qui offrait de la vendre.

»M. de Giry avait annoncé à Son Excellence l'envoi prochain de pièces essentielles pour suivre cette affaire, et qu'il veut bien confier aujourd'hui. Ces pièces et les renseignements que j'ai recueillis conduiront-ils au but désiré, la connaissance positive de la sépulture de Madame Élisabeth, assez positive enfin pour qu'il y fait un moyen de la constater? On le dit à regret à Son Excellence, on ne le croit pas. M. Viger (p. 270) de Jolival le faisait déjà bien entrevoir dans une lettre qu'il écrivait à MM. les vicaires généraux au mois de février dernier; la phrase est précise: «C'est donc à vous, Messieurs, leur dit-il, qu'il appartient de faire connaître publiquement le lieu où reposent (mêlés, il est vrai, avec ceux de beaucoup de victimes moins illustres, mais non moins innocentes) les restes infortunés de la sœur du bon Roi Louis XVI.»

»D'après les intentions de S. Exc. le ministre de l'intérieur, MM. les vicaires généraux s'étaient empressés de recueillir des renseignements de M. Desclozeaux et de M. Bélanger, architecte, indépendamment de ceux qu'ils avaient eus de M. Viger de Jolival.

»Le certificat de M. Desclozeaux ne fait connaître autre chose sinon que les restes de Madame Élisabeth ont bien été déposés dans l'enclos du Christ, à Mousseaux, et non au cimetière de la rue d'Anjou, comme aurait pu le faire croire une liste imprimée des victimes du tribunal révolutionnaire.

»Une lettre adressée par M. Bélanger à MM. les vicaires généraux fait également présumer qu'il n'y aurait aucun moyen de distinguer les restes de Madame Élisabeth, et que toutes les victimes de ce temps affreux ont été confondues dans une même fosse.

»M. Bélanger ne parle que du lieu où gît la fosse et du monument expiatoire qu'on pourrait élever au-dessus, en forme de pyramide, dont il donna le dessin.

»Enfin MM. les vicaires généraux, dans une lettre qu'ils écrivirent au ministre de l'intérieur le 26 mars 1817, en lui transmettant ces pièces avec quelques autres, firent bien entrevoir la difficulté qu'il y aurait de parvenir à séparer les cendres de Madame Élisabeth, qui ont été confondues avec celles de tant d'autres victimes. Et M. Jalabert, que j'ai eu l'avantage de voir ce matin, n'a pas dissimulé qu'il regardait la chose comme impossible; aussi le vœu de MM. les vicaires généraux se bornait-il à l'érection d'un monument et d'une chapelle expiatoire[135]. M. de Giry m'avait conseillé une démarche (p. 271) auprès de M. Desclozeaux, dont la mort ne lui était plus sans doute revenue à la mémoire; mais je n'en ai pas moins recueilli de mesdames Desclozeaux des détails dont elles avaient été informées comme leur père. Il en résulterait que bien avant le 10 mai 1794, jour où périt Madame Élisabeth, c'est-à-dire depuis la fin de mars, nombre de victimes avaient déjà été précipitées dans une grande fosse, où l'on entassait les corps sans ménagement comme sans distinction; que le 10 mai les vingt-cinq victimes avaient été transportées dans un même panier; que depuis ce jour jusqu'à la fin de juin, et sans discontinuité dans ce laps de temps, d'autres victimes ont été entassées par douzaines dans ce même endroit; que la gaieté sanguinaire, la férocité, la monstruosité des êtres qui recevaient les corps et faisaient le service de la fosse sont au-dessus de toute expression, au point qu'il aurait été fort dangereux d'annoncer quelque sensibilité à leurs yeux et de vouloir se livrer à quelque devoir d'humanité ou de pitié.

»En un mot, d'après tout ce que les dames Desclozeaux (p. 272) ont su de leur père, le projet de parvenir à distinguer les restes de Madame Élisabeth dans le mélange de tant de restes ne pourrait jamais conduire à un résultat; en un mot, il serait impossible d'en venir à constater, premier point cependant pour remplir les intentions de Sa Majesté.

»Néanmoins il se peut qu'on ait, en termes vagues, donné le nom de fosse à un endroit spacieux jusqu'à un certain point, s'il faut s'en rapporter au devis estimatif que M. de Jolival a donné de sa propriété. Il y est dit que sur dix-neuf cent trente et une toises quarrées, six cents ont servi aux inhumations. Une inspection du terrain deviendrait donc absolument nécessaire pour qu'on put émettre une dernière opinion.

»On ne pouvait se permettre de se présenter sans mission et sans instructions ni auprès de M. de Jolival ni dans sa propriété. M. de Giry a fait entendre à Son Excellence qu'il fallait quelque adresse pour une communication à ce propriétaire, qui avait calculé d'avance le prix d'une vente, et qui comptait sur l'emploi de son terrain pour un monument distingué, surtout M. de Jolival ignorant les intentions de Sa Majesté pour qu'il soit fait un transport à Saint-Denis des restes de Madame Élisabeth, dispositions, on le sent, qui dérangent tous les calculs du propriétaire.

»Il n'y a qu'un ordre de Son Excellence, et un ordre dont les motifs ne seraient pas donnés, qui puisse faciliter l'accès dans le terrain; peut-être est-ce au propriétaire lui-même qu'il faudrait ensuite l'exhiber, à moins que Son Excellence ne pensât que, vu l'urgence, il pût être seulement exhibé au concierge ou portier de la maison. Ce dernier passe pour connaître assez bien la disposition des lieux.

»L'assistance d'un commissaire de police serait-elle alors nécessaire pour qu'il pût verbaliser au besoin? C'est une question que Son Excellence est priée de résoudre; mais, au surplus, peut-être ne serait-il pas inutile que la personne qui ira visiter le terrain soit accompagnée d'un architecte.

»A moins que Son Excellence ne préfère une autre mesure, qui serait d'obtenir tous les documents préliminaires par voie secrète et par une entremise ménagée auprès du concierge.

(p. 273)»Son Excellence écrirait au ministre de l'intérieur pour lui faire connaître que les démarches ont été faites pour obtenir les premiers résultats sans lesquels il serait impossible que les intentions de Sa Majesté fussent remplies, mais que ce qu'on a pu recueillir de renseignements jusqu'à ce moment ne laisse malheureusement entrevoir aucun succès; qu'aussitôt qu'on en aura complétement acquis la certitude, on s'empressera de l'en informer.

»Boucher.»

Sur les données de ce rapport, approuvé par le comte Anglés, la lettre suivante fut rédigée et envoyée au ministre:

«22 avril 1817.

»Monseigneur,

»Votre Excellence, sur la déclaration de M. Viger de Jolival, propriétaire d'une maison dite du Christ, près la barrière de Mousseaux, que S. A. R. Madame Élisabeth, sœur du Roi Louis XVI, avait été inhumée dans ce terrain, m'a chargé de faire les recherches nécessaires pour parvenir à constater le fait d'une manière indubitable, afin que les cendres de cette princesse pussent être transférées à Saint-Denis suivant les intentions du Roi.

»J'ai fait prendre à cet égard tous les renseignements sur l'exactitude desquels on dût compter. Ils s'accordent bien sur la notoriété de l'inhumation de Madame Élisabeth au terrain dont il s'agit; mais, d'après tous les détails que j'ai recueillis jusqu'à ce moment, j'entrevois les plus grands obstacles à faire reconnaître les cendres de cette princesse, qui paraissent se trouver confondues avec celles du grand nombre de victimes déposées dans le temps en ce même lieu sans aucune distinction. Je crains en conséquence, Monseigneur, qu'il me soit impossible d'en venir à constater d'abord le lieu positif de l'inhumation, et encore moins ensuite l'identité des cendres, deux points également importants. Il me paraît que MM. les vicaires généraux, dans les indications qu'ils cherchent à se procurer de leur côté, ne conçoivent pas plus d'espérance (p. 274) que moi, et ils se proposent d'écrire à ce sujet à Votre Excellence.

»Cependant je fais continuer les démarches et les recherches avec le plus grand soin, et je m'empresserai d'informer Votre Excellence de leur résultat.

»J'ai l'honneur, etc.

»Le ministre d'État, etc.»

Pendant que les premiers magistrats de la cité réunissaient leurs efforts pour découvrir le lieu de la sépulture d'Élisabeth, l'archiviste Peuchet, occupé du même objet, confessait de son côté son impuissance; mais ses regrets se voilaient aussitôt d'une pieuse consolation. «Si ses restes nous échappent, dit-il dans un billet à cette date du 22 avril, nous avons d'elle un exemple parfait à suivre de piété, de grandeur et de résignation sublime.»

Deux jours après, l'officier de paix Burger adressait à la préfecture de police le résultat de sa visite au cimetière de Monceaux.

«Ce 24 avril 1817.

»Rapport particulier sur la sépulture de Madame Élisabeth.

»Je me suis transporté hier matin à la barrière de Mousseaux, près de laquelle est située la maison dite du Christ, appartenant à M. Viger de Jolival. Dans l'enclos de cette propriété se trouve un terrain de la forme d'un triangle équilatéral d'une petite dimension; c'est dans ce lieu que reposent les restes de cette princesse, avec une grande quantité d'autres victimes.

»Le concierge de cette maison s'est d'abord refusé d'acquiescer à la demande que je lui fis de visiter le cimetière, sous prétexte que son maître a recommandé de ne laisser pénétrer en ces lieux d'autres personnes que celles munies de cartes; cependant il ne tint pas contre l'offre d'une récompense, et j'obtins ainsi la permission de m'y promener.

»J'entrai par la porte D et traversai la cour; de là le concierge me conduisit directement au cimetière par la porte I, (p. 275) la seule qui communique maintenant avec ce lieu funèbre. Ce terrain est inculte et sauvage; il n'a point été travaillé depuis l'époque fatale où il servit de sépulture; seulement une seule fois le concierge d'aujourd'hui, en fouillant prés de la porte C, trouva un squelette qu'il enterra aussitôt.

»Non loin de l'entrée du jardin, à l'endroit indiqué H, le terrain s'est affaissé d'environ deux pieds; toutes les années il baisse davantage: c'est là que, d'après le dire de tout le monde, repose l'infortunée princesse, avec une quantité d'autres victimes. Cette fosse, puisque c'en était une, avait à sa base comme à la superficie une étendue de trois toises carrées dans tous les sens et dix-huit à vingt pieds de profondeur.

»Le concierge me fit remarquer un tertre de gazon, G, sur lequel est une pierre avec cette inscription: Madame Élisabeth; je lui demandai s'il était bien sûr que ce fût effectivement l'endroit où avait été déposée la princesse; que j'avais lu qu'elle avait été malheureusement confondue avec les autres victimes de la journée du 10 mai. «Le fossoyeur, qui existe encore, répliqua-t-il, a eu soin de distinguer ces restes précieux; cela est tellement vrai que l'exhumation doit avoir lieu le 10 mai prochain et le transport du corps être fait à Saint-Denis.» Je vis bien que mon conducteur était peu informé, et je le jugeai surtout lorsqu'il m'assura avec la même croyance qu'à la fosse H était enterré M. le duc d'Orléans. Je lui demandai encore depuis combien de temps il servait M. Viger: il m'a dit cinq ans. Je le quittai après lui avoir préalablement fait donner l'adresse du fossoyeur en question; il m'indiqua M. Joly, concierge du cimetière de Montmartre. Je m'y rendis sur-le-champ, j'eus le bonheur de le rencontrer. Cet homme reçut d'abord mes ouvertures avec défiance et retenue; je m'efforçai de lui inspirer des sentiments plus favorables, en lui persuadant que c'est le gouvernement, justement impatient de savoir si l'on pouvait espérer un résultat satisfaisant, qui avait ordonné une enquête. M. Joly m'annonça que c'est lui qui, au péril de sa vie, avait mis le Roi dans un cercueil, dans le temps qu'il exerçait le même emploi au cimetière de la Madeleine; que, transféré de (p. 276) là à Mousseaux, il a enterré, le 10 mai 1794, Madame Élisabeth avec vingt à vingt-cinq personnes, tant hommes que femmes, et qu'elles ont toutes été enfermées dans la même fosse (H). Je lui demandai s'il n'y avait pas d'autres témoins de l'enterrement; il dit que hors le charretier, qui est mort, et un commissaire de police dont il ignore le sort, personne autre n'était présent. Je questionnai M. Joly sur diverses circonstances qui ont accompagné cette inhumation et les indices qui pourraient aider nos recherches; il me donna les détails suivants: le 10 mai dans l'après-midi, une charrette conduisit par la porte F les corps de vingt à vingt-cinq malheureux, les têtes toutes ensemble dans un panier et les corps pèle-mèle dans un autre. M. Joly apprit du charretier que Madame Élisabeth était du nombre des victimes. Avant de les jeter dans la fosse (qui ne contenait encore aucun cadavre), on dépouilla les corps de leurs vêtements, bijoux ou autres marques, et ils furent ainsi ensevelis ensemble, sans distinction, et recouverts seulement de trois pieds de terre. Ainsi il n'est pas permis d'espérer qu'un signe quelconque puisse aider à découvrir l'objet des recherches. Cependant M. Joly, qui seul peut donner des renseignements positifs, n'a point paru m'avoir fait une entière confidence de ce qu'il sait; et, tout en avouant que la chose était bien difficile, il ne détruit pas l'espoir de trouver le corps. Il pourrait se faire qu'ayant mis tant de zèle et de dévouement à conserver les restes précieux du Roi martyr, il ait rangé le corps de Madame Élisabeth de manière à le retrouver lorsque le temps et les circonstances le permettraient. Quoi qu'il en soit, M. Joly m'a promis de venir chez moi samedi prochain pour m'entretenir de cette affaire et nous aider, s'il est possible, pour le succès de cette pieuse entreprise.

»Burger.»

Ce récit de Burger, suivi de près d'une nouvelle lettre du ministère de l'intérieur, échauffa le zèle préfectoral.

«Paris, le 26 avril 1817.

»Monsieur le comte, en me prévenant que vos premières (p. 277) démarches pour constater l'identité des cendres de S. A. R. Madame Élisabeth, sœur du Roi, vous laissent peu d'espoir de réussir, vous m'annoncez que vous avez ordonné de nouvelles recherches dont vous me communiquerez le résultat.

»Cet objet tient aux affections les plus chères de Sa Majesté et appartient à l'histoire. Il est donc convenable qu'il reste au moins des témoignages irrécusables que rien n'a été négligé pour arriver au plus haut degré de certitude.

»Je vous serai obligé, en conséquence, lorsque vous croirez avoir épuisé tous les moyens d'y parvenir, de m'adresser un rapport circonstancié des informations prises et des témoignages recueillis.

»J'ai l'honneur, etc.

»Le ministre secrétaire d'État au département de l'intérieur,

»Lainé.»

Je prie M. de Chanay de recevoir en forme la déclaration du sieur Joly et de donner suite à son projet de visiter ce terrain.

(Note de M. Anglés.) B.

Au rapport de Burger, qui laissait entrevoir non pas la probabilité, mais la possibilité du succès; à cette lettre du ministre, qui au nom du Roi lui-même encourageait l'entreprise, se joignirent les dépositions de l'ancien concierge de Monceaux qui permettaient de concevoir quelque espérance. Voici dans quels termes M. de Chanay, chargé par son chef d'intervenir dans cette affaire, rendait compte au préfet du premier interrogatoire qu'il fit subir au sieur Joly:

«Rapport particulier.

»J'ai entendu le concierge Joly. Cet homme paraît sage et de très-bonne foi; il est assuré que le corps de Madame Élisabeth de France est dans le lieu qu'il indique. Il sait même comment le corps a été placé et dans quelle direction; mais il est à une grande profondeur, et une quantité de corps ont été rangés par couches dans cette même fosse, que le sieur Joly estime avoir été creusée sur une largeur de douze pieds et (p. 278) autant en longueur. La nudité absolue de tous les corps ôte tout espoir de retrouver des signes qui puissent les faire reconnaître.

»La seule indication de M. Joly qui pût conduire à un résultat, c'est qu'il assure que dans la couche où a été placé le corps de Son Altesse Royale, il n'y a eu de placés que des corps masculins. Si cela était bien certain, il se présenterait sans doute de grandes difficultés pour parvenir à cette couche; mais enfin ce succès ne semblerait pas impossible en y employant du temps, des soins, des précautions et peu de monde, et en suivant les indications du sieur Joly assisté d'un commissaire spécialement désigné.

»Mais dans tous les cas, soit qu'on ne juge pas à propos de faire cette recherche difficile, soit qu'on se borne à vouloir faire reconnaître l'emplacement exact de la fosse où cette précieuse victime a été placée, il semble qu'il serait convenable de constater la dimension de cette fosse et sa situation tandis que le sieur Joly est vivant et disposé à donner tous les renseignements que sa mémoire lui fournit.

»Il est même probable que la vue des lieux lui rappellerait quelques détails qui, s'ils n'étaient pas utiles pour retrouver les restes de l'auguste princesse, seraient du moins précieux comme renseignements certains sur le lieu où ils sont placés. Il s'est souvenu qu'au moment de cette inhumation il tournait le dos au soleil, et il sait à quelle distance du mur la fosse a été ouverte, etc.

»Dans cet état de choses, sans avoir plus que M. le préfet l'espoir d'un résultat satisfaisant, j'ai l'honneur de lui proposer de m'autoriser à y aller avec M. Burger et le concierge Joly et M. Rouhaut, comme curieux et en donnant quelque argent au concierge du lieu, ou d'y aller avec une invitation officielle au propriétaire de laisser examiner les lieux.

»Dans tous les cas, je ferais un rapport avec plus de certitude et circonstancié, n'y eût-il d'autre résultat pour Votre Excellence que de faire constater l'emplacement de l'inhumation, que le propriétaire indique d'ailleurs d'une manière erronée. Ce serait n'avoir perdu ni son temps ni sa peine.

(p. 279)»Je prie Son Excellence de vouloir bien faire connaître ses intentions.

»D. Ch.»

M. de Chanay remettait, le 29 avril, au ministre d'État, préfet de police, la déclaration et les réponses du sieur Joly, ainsi qu'un rapport circonstancié, et de la visite qu'il avait faite sur les lieux, et des renseignements qu'il y avait recueillis. Voici ces documents:

«Paris, le 29 avril 1817.

»J'ai l'honneur de transmettre à M. le préfet la déclaration et les réponses du sieur Joly, ainsi que mon rapport circonstancié de la visite que j'ai faite hier sur les lieux.

»Votre Excellence jugera peut-être convenable, pour éviter toutes les indiscrétions, d'en parler elle-même au ministre et de lui communiquer confidentiellement ces pièces.

»Ch.»

I.

Déclaration.

«L'an mil huit cent dix-sept, le vingt-huit avril, à onze heures du matin, se sont présentés à mon domicile, près et hors la barrière de Clichy, no 42, les sieurs de Chanay, chef de la première division de la préfecture de police, et Burger, officier de paix, lesquels m'ayant déclaré que, en vertu des ordres de S. Exc. le ministre d'État, préfet de police, dont ils sont porteurs, ils sont chargés de visiter le clos de la maison du Christ, sis près et en dedans la barrière de Mousseaux, afin de recueillir les plus petits détails comme les moindres circonstances qui pourraient aider à connaître le lieu de la sépulture de S. A. R. Madame Élisabeth, déposée par moi dans ledit enclos le 10 mai 1794, avec nombre d'autres victimes suppliciées le même jour. A ces causes, ces messieurs m'ont invité à les accompagner dans l'enclos dit du Christ, ce à quoi j'ai déféré sur l'heure.

»En sortant de mon domicile, nous descendîmes le boulevard extérieur de la barrière de Clichy à celle de Mousseaux, (p. 280) et rentrâmes dans Paris par la rue du Rocher, sur laquelle la maison du Christ fait face à droite, et frappâmes à l'entrée principale, située rue de Valois. Le concierge, après quelques difficultés, nous laissa pénétrer dans l'enceinte intérieure; de là nous entrâmes dans le jardin, obliquant à droite pour nous porter vers le mur de séparation du jardin d'avec l'enclos autrefois destiné aux sépultures. Non loin de la porte de communication, j'indiquai à M. Burger, qui se trouvait près de moi, l'endroit où doit se trouver la fosse où repose la princesse, et lui ajoutai que s'il existait deux fosses, c'était dans celle longeant parallèlement le mur de séparation le plus proche de la porte cochère donnant sur l'extérieur, par où entraient les victimes, que la princesse avait été inhumée.

»En effet, après avoir franchi le terrain qui nous séparait encore de ce lieu funèbre, je reconnus parfaitement les lieux que je visitais pour la seconde fois depuis l'époque fatale de la révolution. A quatre pieds en avant de la porte, nous obliquâmes légèrement à droite, et nous distinguâmes facilement l'emplacement d'une fosse par l'affaissement des terres; c'est là que M. Viger de Jolival fit élever une (sic) tertre de gazon et placer une pierre carrée sur laquelle on lit Madame Élisabeth. Après m'être recueilli, je vis clairement que ce n'est point dans cette fosse que repose la princesse; et, soutenant mon premier dire, je cherchai la seconde, qui devait être située non loin, en approchant perpendiculairement vers la porte cochère placée au nord-est de l'enclos. Je n'eus point de peine à reconnaître l'emplacement de cette fosse, dont l'affaissement, beaucoup plus sensible que dans la première, laissait aisément distinguer un espace de douze à quinze pieds carrés, auquel il manquait à peu près un pied et demi pour être au niveau du terrain. Cette dimension est à quelque chose près la surface de toutes les fosses que nous ouvrions en ce lieu. Ainsi, en me rappelant, aussi bien qu'un si long espace de temps me permit de le faire, j'avais indiqué d'avance et la disposition de la fosse où se trouve la princesse, sa grandeur, et distingué la véritable d'entre celles qui sont en ce lieu. Une circonstance particulière avait aidé ma mémoire: je (p. 281) me rappelai que ma mère, morte environ trois ans après l'inhumation de la princesse, je la plaçai dans la même direction de la fosse et contre le mur; ma femme fit une croix au-dessus avec une pierre; je distinguai encore ce signe, et les sieurs de Chanay et Burger l'ont reconnu avec moi.

»Ces détails ne laissant plus aucun doute sur l'endroit de la sépulture, je me plaçai sur le côté nord-ouest de la fosse, dans la même position où j'étais au moment où la charrette arrivant sur les bords, déchargea les cadavres; ma mémoire me confirma alors l'idée, que j'avais annoncée d'avance, qu'à l'heure de six et sept heures du soir je travaillai le soleil sur le dos et la face tournée du côté du mur du jardin. Mon camarade, un commissaire de police et les charretiers furent les seuls individus présents à l'inhumation; à l'exception du commissaire de police, dont j'ignore le sort, il n'existe plus d'autre témoin oculaire. Nous dépouillâmes les corps et les jetâmes sans aucun vêtement dans la fosse; je reconnus Madame Élisabeth au dire des charretiers et à ses habits; elle a été pareillement dépouillée et jetée sans distinction dans la fosse; mais je me rappelle qu'après que tous les cadavres furent descendus, nous nous plaçâmes dans la fosse pour les ranger par ordre; que Madame Élisabeth se trouve au milieu de la première ou de la seconde couche, le tronc perpendiculairement posé du côté du mur, et les pieds vers le côté nord-ouest de la fosse; je me rappelle également que son corps se trouve avec plusieurs corps masculins rangés ainsi que je vais l'indiquer, c'est-à-dire que, pour ménager les places, nous placions alternativement un tronc et les pieds, de manière qu'une couche de cadavres se trouvait serrée sans aucun intervalle de terre. Après avoir rempli l'espace vide, nous recouvrions les corps avec environ six pouces de terre.

»La fosse que j'indique comme devant renfermer les cendres de Madame Élisabeth est la moins profonde du même côté: elle peut avoir de douze à quinze pieds de profondeur; ainsi Madame Élisabeth, couchée sur le ventre entre plusieurs hommes de la manière que je l'indique, doit se trouver au fond ou à quatorze pouces du sol.

(p. 282)»D'après cette déclaration, qui est conforme à l'exacte vérité, j'estime que la recherche du corps, quoique pénible et difficile, peut être tentée avec quelque apparence de succès. Pour y parvenir, il faudrait avec soin ouvrir une tranchée perpendiculairement au mur du jardin, au côté nord-est de la fosse, afin de déterminer la profondeur et le nombre de couches de cadavres; qu'ensuite, pour déterminer d'une manière certaine qu'il n'existe pas d'autre fosse plus près de la porte que celle dont il est question, il serait nécessaire d'ouvrir un boyau d'une vingtaine de pieds sur six de profondeur, à partir de la fosse et longeant parallèlement le mur du jardin.

»Le soussigné déclare en outre qu'il a été nommé en 1789 concierge du cimetière de la Madeleine; qu'en l'an II, lors de la fermeture de ce cimetière, il a été appelé à Mousseaux, où il est resté jusqu'à la fermeture en l'an V; qu'ensuite, nommé à celui de Saint-Roch, il y est pareillement resté jusqu'à sa fermeture en l'an VI, et qu'il occupe maintenant la même place à Montmartre depuis cette époque.

»De tout quoi j'ai fait la présente déclaration les jour, mois et an que dessus.

»De Chanay, chef de la 1re division.
»Joly.
»Burger

II.

NOUVELLES QUESTIONS EXPLICATIVES A FAIRE. RÉPONSES AUX QUESTIONS.
1o Pouvez-vous vous rappeler quelle était la profondeur de la fosse quand vous y descendîtes le 10 mai pour y ranger les corps? Vous aviez une échelle sans doute? 1o M. Joly ne se rappelle précisément ni la profondeur de la fosse à cette époque ni la hauteur de l'échelle dont on se servait pour y descendre.
2o La terre du fond semblait-elle dure comme une terre où il n'y a pas eu de précédente et plus profonde inhumation? 2o M. Joly ne s'en souvient pas.
(p. 283) 3o Quand on déchargeait les corps de la charrette, les précipitait-on l'un après l'autre après leur dépouillement, ou les dépouillait-on tous avant de les précipiter? 3o Quand la charrette était arrivée sur le bord de la fosse, on procédait au dépouillement des vêtements. (Un registre était tenu de ces effets divers, qui étaient ensuite remis à l'Hôtel-Dieu.) De temps à autre les fossoyeurs descendaient dans la fosse pour ranger les corps afin qu'ils ne fussent pas trop entassés.
4o Puisque vous assurez que le corps de la princesse est placé le tronc du côté du mur, il faut ou que vous l'ayez reconnu et distingué dans la fosse, ou qu'il y ait été précipité le dernier ou des derniers, après avoir remarqué par vous et votre camarade sur le bord de la fosse. 4o Réponse affirmative sur tous les points de la question. A ajouté que le conducteur de la voiture avait dit: Que c'était son corps, qu'il était le dernier ou des derniers placés sur la charrette, par conséquent au-dessus des autres, et les vêtements étaient aussi peu ensanglantés.
  Tous les autres l'étaient beaucoup.
5o Comment ont été placées les têtes des corps? 5o Les têtes ont été placées indistinctivement dans les vides.
6o De quelle épaisseur de terre environ étaient recouvertes les couches de corps? 6o Il est difficile d'estimer même approximativement le nombre des corps de chaque couche: 1o parce que, outre les suppliciés, il arrivait des corps envoyés par l'état civils et des cercueils; ceux-ci tenaient plus de place; 2o parce qu'il y avait des enfants; 3o parce qu'une même couche étant composée de deux rangs, elle n'était pas faite le même jour. A l'égard de 10 mai, le sieur Joly se rappelle très-bien que les suppliciés furent placés dans la partie de la fosse la plus rapprochée du mur; que le même jour la partie antérieure de la fosse ne fut point (p. 284) remplie, et enfin que le corps de la princesse a été placé vers le milieu de la fosse dans le rang supérieur de la couche et la face antérieure du corps tournée sur le rang inférieur.
7o Combien estimez-vous qu'il pouvait y avoir de corps par chaque couche sur toute la surface carrée de la fosse? 7o et 8o Les couches des corps étaient chacune recouvertes d'environ six pouces de terre et les fosses recouvertes dans la partie supérieure d'environ trois pieds de terre, de sorte que les premiers corps ou les premiers vestiges qu'on en trouverait devraient être à trois pieds environ au-dessus de la superficie. Il faut cependant remarquer que lorsque le sieur Joly a quitté l'enclos il y avait quelques élévations ou tertres qui ont disparu, soit qu'on ait enlevé des terres restant des remblais, soit que pour cultiver le sol on ait nivelé toutes les inégalités. Ces renseignements ne peuvent être justement donnés que par le propriétaire.
8o La fosse a-t-elle été remplie jusqu'au niveau de la superficie? A quelle profondeur estimez-vous qu'on trouve les restes des derniers corps inhumés?

Nous avons signé et parafé les questions et réponses ci-dessus ne varientur.

Paris, 29 avril 1817, à la préfecture de police,

De Chanay,
Chef de la 1re division.

Joly.

(p. 285) III.

Rapport particulier à S. E. le ministre d'État, préfet de police, sur le résultat d'une visite dans l'enclos du sieur de Jolival, pour constater le lieu de l'inhumation de S. A. R. Madame Élisabeth, sœur du Roi.

«Ce matin, 28 avril 1817, à midi, conformément aux ordres de Votre Excellence et pour remplir avec le plus possible d'exactitude et de soin les intentions de S. Exc. le ministre de l'intérieur, et donner toute la suite convenable aux indications précédemment recueillies, je me suis rendu à la barrière de Clichy et au cimetière Montmartre, accompagné de l'officier de paix Burger, qui avait pris les premières informations et obtenu les premiers documents du nommé Joly, anciennement employé aux inhumations de l'enclos de la maison dite du Christ près Mousseaux. Là j'ai invité ledit Joly, aujourd'hui concierge du cimetière Montmartre, à me suivre dans l'enclos du sieur Viger de Jolival, ce qu'il a fait aussitôt avec empressement.

»Arrivés à la grande porte d'entrée de ladite maison, le jardinier nous l'a ouverte; j'ai demandé la liberté d'entrer dans le jardin et de visiter l'enclos. Ayant reconnu l'officier de paix Burger, il a consenti à nous laisser entrer, mais seulement pour peu de temps, craignant, a-t-il dit, qu'une trop longue visite ne fût pour lui un sujet de reproche.

»Après lui avoir promis de n'y rester que le temps nécessaire pour de simples vérifications, nous avons traversé la cour et une partie du jardin, nous dirigeant à l'ouest vers le mur qui sépare le jardin du petit enclos de l'inhumation. Le jardinier était en avant avec le sieur Burger; j'étais à dessein resté en arrière avec le sieur Joly. Arrivés à environ trente pas d'une petite porte ouverte sur l'enclos dont nous étions encore séparés par le mur, je me suis arrêté et j'ai demandé au sieur Joly s'il se remettait parfaitement dans l'esprit la disposition du local; aussitôt, me montrant de la main une partie du mur à droite de la petite porte qui en peut être (p. 286) éloignée de douze ou quinze pas: C'est là derrière, m'a-t-il dit, qu'est la fosse. Je fais remarquer cette circonstance à Son Excellence, parce qu'elle prouve que le sieur Joly connaît bien l'emplacement et parce que cette indication donnée sans voir le terrain prouve qu'il en avait un souvenir exact. En effet, étant entré dans l'enclos par la petite porte et ayant aussitôt regardé à droite vers le point indiqué, j'ai vu un terrain couvert de gazon en partie affaissé sur une surface carrée de quatorze ou quinze pieds, comme il l'avait annoncé.

»Cette indication est encore essentielle parce qu'il y a évidemment eu deux larges fosses, et que le propriétaire même du terrain ayant négligé ou cru inutile de consulter le nommé Joly[136] (seul témoin, à ce qu'il paraît, des inhumations faites dans ces temps funestes), a cru que Madame Élisabeth a été inhumée dans la grande fosse qui est presque en face de la petite porte; dans cette persuasion ou plutôt cette erreur, il a fait planter sur le terrain affaissé de cette fosse plus nouvelle quelques arbustes et arbres verts, et sur un tertre de gazon il a fait poser une pierre grise polie où on lit ces mots: Madame Élisabeth. Ces plantations, cette espèce de monument provisoire sont nouveaux, les arbres ne semblent pas avoir deux ans. Tout porte à faire penser que les cendres de l'auguste victime ne sont point là, mais bien dans l'autre fosse, plus ancienne et moins vaste, indiquée par le sieur Joly avant d'être dans l'enclos et indiquée avec précision.

»Quelque pénibles que soient ces détails, il est nécessaire que je les rapporte pendant qu'ils sont bien présents à mon esprit, parce qu'ils donnent dans leur ensemble la preuve de la véracité des indications du nommé Joly.

(p. 287)»Dans l'interrogatoire que je lui avais fait deux jours avant, il m'avait répondu entre autres circonstances que le 10 mai, à l'heure de l'inhumation, quand ils étaient en face de la fosse, ils tournaient le dos au soleil couchant; cette position nous a paru à peu près exacte. La fosse rapprochée du mur par le côté de l'est ne pouvait être abordée que par le côté ouest ou sud-ouest, et les côtés nord et sud devaient être occupés par la terre sortie de la fosse.

»Une autre observation doit être placée ici, quoique peu importante, c'est que la femme du sieur Joly se souvient que la mère de son mari a été inhumée contre le mur et que cette fosse était très-près de la fosse où ont été placés les restes de Son Altesse Royale et des autres victimes inhumées le même jour que la princesse. Or le lieu de cette fosse particulière est indiqué par le sieur Joly et sa femme entre la fosse la plus rapprochée du mur et la partie de l'enclos qui la sépare de la grande porte par où l'on amenait les corps sur des charrettes.

»Le sieur Joly a constamment assuré qu'il devait y avoir deux fosses, visibles par l'affaissement du terrain et situées à gauche en entrant par la grande porte de l'enclos: l'une plus près du mur et plus près de la grande porte, dont la dimension pouvait être de douze à quinze pieds carrés; l'autre plus éloignée de la grande porte et plus au milieu du terrain de l'enclos. C'est dans cette seconde fosse que le propriétaire a présumé qu'étaient placés les restes de la princesse. C'est dans la première que le sieur Joly assure et a la conviction entière que Son Altesse Royale a été inhumée.

»Il faut encore avoir le courage d'écrire des détails plus minutieux et plus affligeants.

»Le sieur Joly s'est rappelé la position qu'il occupait alors sur ce même terrain et pour l'emploi terrible qu'il remplissait à cette cruelle époque. Il avait dix-huit ou dix-neuf ans, il était fossoyeur; ils étaient deux, l'autre est mort, le charretier également. Nul autre individu n'entrait dans l'enclos pour l'inhumation[137]. Des gendarmes ou des soldats fermaient (p. 288) la porte quand la charrette était entrée, et de peur que des curieux ne vissent à travers la porte, on bouchait avec une planche ou une pierre les trous qui se trouvaient dans la porte.

»Le local bien reconnu par le sieur Joly, il ne paraît point douteux que la fosse indiquée par lui ne soit bien celle où ont été placés les corps des victimes immolées le 10 mai 1794.

»Mais voici des détails affreux et plus positifs encore à l'égard de l'auguste princesse.

»La sœur de nos rois fut assassinée la dernière parmi les victimes de ce jour; sa tête, séparée du corps, fut montrée au peuple et mise avec les têtes des autres victimes dans un seul et même panier; mais le corps de la princesse, recouvert de ses vêtements, fut placé le dernier sur la charrette. Arrivée dans l'enclos de l'inhumation, la charrette fut déchargée, le corps de la princesse fut posé le premier ou des premiers sur le bord de la fosse; là son corps fut reconnu, dit le sieur Joly, désigné et dépouillé de tout vêtement: c'était l'usage ou l'ordre de ces barbares, qui ne respectaient ni la vie ni la mort. Tous les corps étaient ainsi dépouillés avant d'être précipités dans la fosse; ainsi, dans ces remuements successifs, le corps de la princesse devait avoir été précipité le dernier ou l'un des derniers. C'est ce qui explique comment il se trouve, suivant le témoignage du fossoyeur, placé dans le fond de la fosse et du coté le plus rapproché du mur, celui par où les fossoyeurs, quand ils étaient descendus, arrangeaient les corps de manière à ce qu'ils occupassent le moins d'espace possible, et en outre, deux rangs de corps étaient placés immédiatement les uns sur les autres, mais horizontalement et recouverts d'une couche de terre, épaisse d'environ un demi-pied. Les fossoyeurs plaçaient alternativement un corps le tronc du côté du mur et un autre le tronc vers le milieu de la fosse, et dans sa largeur il y avait par conséquent deux rangs de corps par couche horizontale[138]. Il serait inutile (p. 289) de faire le douloureux calcul du nombre de rangs et de couches que comportait une fosse de dix-huit pieds environ de profondeur sur douze ou quinze d'ouverture en carré. Le fossoyeur Joly n'est pas sûr du nombre qu'elle a reçu, et il n'est que trop probable qu'elle a été remplie, puisque plus tard on en a rempli une seconde.

»Mais ce qu'il importe de conclure de ces affreux détails, c'est que les indications du fossoyeur Joly présentent de grandes probabilités, et que les renseignements qu'il donne sont très-vraisemblables.

»Le sieur Joly, soit par conviction produite par le souvenir, soit par l'effet de ses calculs sur les dispositions qu'il a faites sur le bord et à l'intérieur de la fosse et dans l'enclos, dit:

»1o Je suis assuré que le corps de la princesse est là dans cette fosse et non ailleurs.

»2o Je suis assuré que le corps de la princesse est l'un des premiers rangés dans la fosse ce jour-là, et par conséquent il est dans la partie de la fosse la plus proche du mur et de la grande porte, vers le milieu de la couche.

»3o Il assure que ce corps a été rangé le tronc du côté du mur et les pieds vers le milieu de la fosse.

»4o Il croit être assuré que les corps placés auprès sont des corps de sexe masculin.

»Voilà ce qu'il a constamment répété, comme en ayant la conviction.

»Ce que le sieur Joly ne peut affirmer, c'est la profondeur positive de la fosse à l'époque du 10 mai (il croit qu'elle était d'environ dix-huit pieds). Il ne se rappelle pas certainement si la fosse était nouvellement creusée ou si elle était plus ancienne et s'il y avait eu déjà des inhumations.

(p. 290)»Il croit aussi que dans la suite on y a placé des corps enfermés dans des cercueils, ce qui diminuerait le nombre des corps qu'elle aurait pu contenir.

»Résulte-t-il de ces détails et de ces indications des renseignements suffisants et assez sûrs pour que l'on puisse et doive entreprendre des recherches et en attendre des résultats certains, ou se bornera-t-on à regarder comme certaine l'existence des cendres de l'auguste princesse dans cette fosse? Sur le témoignage du fossoyeur Joly, qui dans ses indications paraît sage, raisonnable, véridique et sûr de son fait, qui paraît d'ailleurs être le seul témoin vivant de ces tristes événements, se bornera-t-on à projeter un monument digne des vertus de la sœur de nos Rois, pour l'élever sur ce terrain consacré par d'aussi cruels souvenirs? C'est ce qu'il appartient au Gouvernement de décider.

»Pour moi, Monseigneur, en vous rendant ce compte de la mission douloureuse et cependant si intéressante que vous m'avez confiée, je crois avoir donné une preuve nouvelle et irrécusable de mon zèle et de mon dévouement sans bornes à notre auguste Souverain. Sans la pensée qu'un sujet fidèle et dévoué pouvait seul y mettre ces soins et ce vif intérêt qui peuvent approcher du succès que vous désiriez obtenir, je n'aurais point eu le courage et la présence d'esprit nécessaires pour ces recherches.

»S'il m'était permis à la suite de ce rapport de vous exprimer mon opinion particulière, je dirais à Votre Excellence avec plus d'assurance à présent:

»1o Qu'un succès complet me semble toujours difficile, mais non impossible;

»2o Que pour arriver à un résultat, dans le cas où il serait jugé possible et même probable, il me semblerait convenable de faire cette recherche sans éclat, en silence, discrètement, avec très-peu d'ouvriers, en y employant beaucoup de temps et de précautions, et après avoir combiné tous les préparatifs de ce travail et les moyens de le poursuivre; après avoir consulté quelques personnes habiles et pris les arrangements convenables avec le propriétaire du terrain.

(p. 291)»Si Votre Excellence, après avoir rendu ce nouveau compte de nos démarches au Ministre de l'intérieur, en recevait l'autorisation de faire procéder à une fouille pour vérifier la justesse des indications contenues dans la déclaration du sieur Joly, il me semblerait aussi prudent de mettre le moins possible de personnes dans le secret de cette recherche incertaine[139].

Le concierge Joly, l'officier de paix Burger, deux ouvriers adroits, discrets et intelligents, suffiraient pour cette épreuve. Nous nous chargerions avec zèle du soin de découvrir des ouvriers capables de ce travail et de consulter des personnes habiles pour les diriger.

»Il faudrait faire une enceinte fermée par des planches dans l'enclos même, pour éviter les regards des curieux, empêcher les journaux indiscrets d'en occuper le public; et si les indications se trouvaient justifiées, alors seulement on appellerait à les reconnaître les témoins ou plutôt les juges du succès. Si au contraire les indications ne se réalisaient pas, on cesserait les recherches et l'on se bornerait à croire le témoignage du fossoyeur Joly, qui affirme que les restes de la princesse ont été placés là, mais sans pouvoir les reconnaître parmi ceux des autres victimes.

»De Chanay.»

Pendant le cours de ces investigations, poursuivies avec autant de zèle que de persévérance, un service solennel était célébré pour Madame Élisabeth dans toutes les paroisses de France le 10 mai, jour anniversaire de sa mort.

Le 11 mai, le ministre d'État, préfet de police, mettait sous les yeux du ministre de l'intérieur les détails qu'il était parvenu à recueillir sur l'inhumation de la princesse:

(p. 292) Paris, le 11 mai 1817.

«Monseigneur,

»La lettre que j'ai eu l'honneur d'écrire à Votre Excellence le 22 avril dernier, en l'informant que les démarches faites jusqu'alors pour constater l'identité des cendres de S. A. R. Madame Élisabeth me laissaient peu d'espoir de réussir, annonçait que de nouvelles recherches devaient avoir lieu par suite des dispositions que j'avais prises: je m'empresse de mettre sous les yeux de Votre Excellence, conformément à la lettre du 26 du même mois, le détail des informations et des témoignages que je suis parvenu jusqu'à présent à recueillir.

»Je m'étais assuré qu'il n'existait plus qu'un seul homme, le sieur Joly, anciennement employé aux inhumations de l'enclos de la maison dite du Christ près Mousseaux, et aujourd'hui concierge du cimetière Montmartre, qui pût donner, comme témoin oculaire, les indications désirées. Le sieur Joly avait assisté à la sépulture de Madame Élisabeth; ses souvenirs, sa présence dans l'enclos où la sépulture avait été faite, ses remarques, devaient être constatés avec la plus scrupuleuse exactitude. Des questions utiles pouvaient être suggérées par ses observations sur le lieu même, et il fallait s'y présenter avec beaucoup de précautions, autant à cause du secret que la nature des recherches rendait nécessaire que par rapport au propriétaire, qui s'était flatté d'abord de tirer un grand parti de son terrain, sur lequel on avait proposé d'ériger un monument à la mémoire de l'auguste victime: je jugeai donc convenable de remettre à M. de Chanay, chef de la première division des bureaux de ma préfecture, le soin de visiter l'enclos avec le sieur Joly, et je le fis accompagner d'un officier de paix, le sieur Burger, qui déjà avait été chargé de prendre auprès du sieur Joly les premiers documents.

»Le 28 avril, à midi, cette visite eut lieu. Après avoir traversé la cour et une partie du jardin de M. Viger de Jolival, on s'est dirigé à l'ouest vers le mur qui sépare le jardin du petit enclos de l'inhumation. A trente pas d'une petite porte ouverte sur l'enclos, et avant d'arriver au mur de séparation, (p. 293) Joly, interrogé s'il se remettait parfaitement dans l'esprit la disposition du local, montra aussitôt de la main une partie de ce mur à droite de la petite porte et qui peut en être éloignée de douze à quinze pas, en disant: C'est là derrière qu'est la fosse! Cette indication, donnée de loin et sans hésiter, prouverait qu'il avait un souvenir exact du lieu de la sépulture, et d'autant plus qu'étant entré dans l'enclos par la petite porte et ayant aussitôt regardé à droite vers le point indiqué, on a vu un terrain en partie couvert de gazon et affaissé sur une surface carrée de quatorze à quinze pieds, comme Joly l'avait annoncé.

»L'indication donnée par ce dernier est encore d'autant plus essentielle qu'elle a fait reconnaître que ce n'est point dans la grande fosse, presque en face de la petite porte, mais dans l'autre fosse, plus ancienne et moins vaste, qu'ont dû avoir été déposés les restes de S. A. R. Madame Élisabeth. Ainsi M. Viger de Jolival s'était évidemment trompé en faisant placer sur le terrain affaissé de la première fosse une pierre sur laquelle on lisait l'inscription: Madame Élisabeth.

»Le sieur Joly a constamment assuré qu'il devait y avoir deux fosses visibles par l'affaissement du terrain et situées à gauche en entrant par la grande porte de l'enclos, l'une plus près du mur et de la grande porte, et dont la dimension pouvait être de douze à quinze pieds carrés, l'autre plus éloignée de la grande porte et plus au milieu du terrain de l'enclos. C'est dans la première de ces fosses que le sieur Joly assure, d'après son entière conviction, que Son Altesse Royale a été inhumée.

»On a vérifié une circonstance particulière précédemment énoncée par le sieur Joly dans ses interrogatoires à ma préfecture: il avait dit que le 10 mai, à l'heure de l'inhumation, lorsque lui et les autres personnes qui s'y trouvaient étaient en face de la fosse, ils tournaient le dos au soleil couchant; cette position a paru à peu près exacte, la fosse, rapprochée du mur par le côté de l'est, ne pouvant être abordée que par le côté ouest ou sud-ouest, parce que les côtés nord et sud devaient être occupés par les terres extraites de la fosse.

(p. 294)»Le local ainsi reconnu d'après les indications du sieur Joly, il restait à remplir une tâche bien douloureuse, celle de constater les détails qui pouvaient aider à identifier les cendres de l'illustre martyre. Quelque affligeants que soient ces détails, il est cependant indispensable de les retracer ici.

»Madame Élisabeth fut la dernière des victimes qui périrent le 10 mai 1794. Cette tête auguste fut mise avec les autres dans un seul et même panier. Le corps de la princesse, recouvert de ses vêtements, fut placé le dernier sur la charrette. Lorsque la charrette, arrivée dans l'enclos, fut déchargée, le corps de la princesse fut posé le premier, ou l'un des premiers, sur le bord de la fosse. Là, son corps fut reconnu, a dit le sieur Joly, dépouillé de tout vêtement avant d'être précipité dans la fosse, où il l'a été probablement le dernier ou l'un des derniers, à cause des remuements successifs des autres corps dépouillés de même. C'est ce qui expliquerait comment il se trouve (suivant le témoignage du fossoyeur, le sieur Joly) placé dans le fond de la fosse et du côté le plus rapproché du mur.

»Le sieur Joly assure que le corps de la princesse a été rangé le ventre tourné vers la terre, de manière que le tronc se trouve du côté du mur et les pieds vers le milieu de la fosse; il croit de plus être assuré que les corps placés de l'un et de l'autre côté auprès de celui de la princesse sont des corps du sexe masculin. Pour ménager l'espace, les corps étaient placés immédiatement les uns sur les autres, en ligne horizontale, chaque corps ayant alternativement le tronc du côté du mur et le tronc vers le milieu de la fosse. Par conséquent il y avait deux rangs de corps par chaque couche horizontale. On mettait aussi les pieds et les troncs des corps en opposition, de même que les faces, afin de ménager le terrain.

»Ce que le sieur Joly n'a pu affirmer, c'est l'exacte profondeur de la fosse à l'époque du 10 mai 1794. Il croit qu'elle était d'environ dix-huit pieds de profondeur sur douze à quinze d'ouverture en carré, et qu'il y a été fait aussi des inhumations ordinaires de corps enfermés dans des cercueils.

(p. 295)»En résultat, les indications du sieur Joly semblent présenter des probabilités; qu'il soit aujourd'hui le seul témoin oculaire encore existant, c'est ce qu'il est naturel de conclure de l'inutilité des recherches qui ont été faites pour en découvrir d'autres que lui, et des détails qu'il a donnés sur ce qui se passait à l'époque cruelle des exécutions révolutionnaires. Il n'y avait à Mousseaux que deux fossoyeurs, lui compris. Ces deux hommes et le conducteur de la fatale charrette étaient seuls admis dans l'enclos. Il leur a survécu. Aucun agent de la commune n'assistait, s'il faut l'en croire, à l'inhumation des victimes, et jamais agent de la commune ou commissaire de police, à cette époque[140], n'entrait dans l'enclos que pour constater des inhumations ordinaires; mais quant aux victimes des fureurs révolutionnaires, il n'était jamais dressé de procès-verbal de leur inhumation (toujours suivant les dépositions du sieur Joly), et seulement on prenait la note de leurs dépouilles. Des gendarmes ou des soldats fermaient la porte de l'enclos dès que la charrette y était entrée, et ne laissaient aux curieux aucun moyen de voir ce qui se faisait dans l'intérieur, et même les trous qui se trouvaient dans la porte étaient bouchés avec une pierre.

»La déclaration du sieur Joly, en date du 28 avril dernier, a fourni la matière des détails dont j'ai l'honneur de rendre compte à Votre Excellence.

»Je joins ici une copie de la déclaration du sieur Joly, ainsi qu'un plan qui mettra Votre Excellence plus à portée d'en suivre les détails topographiques.

»Je regrette vivement de ne pouvoir donner à Votre Excellence, au lieu de certitudes, que des probabilités pour le succès des recherches et des travaux qui tendraient à faire reconnaître les restes de l'auguste princesse parmi ceux de tant d'autres victimes, mais du moins Votre Excellence pourra juger de ce qui resterait à faire, et décider si les informations dont j'ai l'honneur de lui soumettre les résultats présentent assez d'espoir de succès pour donner lieu à des recherches ultérieures, (p. 296) et dans ce cas je la prierais de vouloir bien me faire connaître ses intentions.

»J'ai l'honneur, etc.

»Le ministre d'État, préfet.»

Là s'arrêtent les documents relatifs à la sépulture de Madame Élisabeth. Il fallut donc perdre l'espoir de retrouver, d'une manière certaine, ses précieux restes. Obligé de renoncer à se défaire d'une façon lucrative de son enclos, M. Viger de Jolival chercha à se dédommager de cet échec.

La lettre suivante initie le lecteur à une démarche que M. Viger tenta près du commissaire de police du quartier du Roule. Celui-ci comprit tout ce que cette démarche offrait d'inconvenant et d'inadmissible. Il la fit connaître en ces termes au préfet de police:

Paris, ce 20 mai 1817.

«Monsieur le comte,

»M. Viger de Jolival, propriétaire d'une maison rue de Valois, no 15, devenu acquéreur d'un terrain qui servit de sépulture à dix-sept cent quarante-cinq victimes des fureurs du temps, parmi lesquelles reposent les restes de Madame Élisabeth, m'a proposé, comme moyen d'éviter l'assujettissement de donner l'entrée de son jardin aux personnes qui se présentent assez souvent par curiosité pour visiter ce lieu, de l'autoriser à placer sur le mur extérieur, en face de l'endroit où l'on pense que le corps de Son Altesse Royale a été inhumé, une inscription indicative à ce sujet.

»Avant de soumettre sa demande à Votre Excellence et afin d'être plus à même de vous la présenter, j'ai visité le terrain accompagné de son jardinier: il résulte de cet examen que deux fosses larges et profondes, remarquables par le surbaissement des terres, y ont été ouvertes; que celle à droite cache le plus grand nombre de ces victimes; que sur la seconde il a été élevé un petit tertre en verdure et placé une pierre funéraire portant pour inscription: Ici repose Madame Élisabeth.

»Près du mur de clôture de Paris, il existe un autre surbaissement (p. 297) petit, mais visible, au-dessus duquel est un pied de rosier qui paraît déjà ancien, et contre l'enduit du mur une rayure qui semble avoir été faite avec un corps quelconque et à dessein.

»Ce jardinier a fait sur cet endroit une remarque que son habitude de manier la terre lui aura suggérée, et d'après laquelle cette princesse et les vingt-quatre personnes qui partagèrent son martyre pourraient avoir été déposées: c'est en face de ce même endroit et contre le mur extérieur que M. Viger désirerait être autorisé à placer l'inscription qu'il a projetée; je lui ferai connaître la réponse de Votre Excellence.

»Recevez, Monsieur le comte, l'assurance de mon respect.

»Le commissaire de police du quartier du Roule,
»Bruzelin

Une note, conservée aux archives de la préfecture de police, est ainsi conçue: «Le 29 mai 1817, écrit à M. le commissaire de police du quartier du Roule, de la part de M. de Chanay, que S. Exc. le ministre d'État, préfet de police, n'accueillerait point du tout la proposition que M. Viger de Jolival paraît avoir l'intention de lui faire.

»M. Boucher a signé la lettre adressée à M. le commissaire de police.»


Ainsi se termina cette triste et pieuse croisade, dont le résultat final n'était malheureusement que trop prévu. Aux regrets du Roi et de la famille royale s'associèrent tous les cœurs généreux et compatissants. Le Parisien, si vite oublieux, s'étonna d'apprendre que dans ce coin de terre obscur et caché à l'extrémité de sa ville la petite-fille et la sœur des Rois eût été enterrée sans linceul et sans bière. Il ignorait, et il ignore encore le nombre des holocaustes dont le dénoûment s'est accompli en cette étroite enceinte, aujourd'hui envahie par le boulevard Malesherbes. En publiant ici in extenso les fournées de suppliciés dont les restes ont été enfouis dans le clos du Christ, c'est en quelque sorte une révélation que nous croyons apporter à nos concitoyens. (p. 298) Il est à regretter que l'édilité parisienne, habituellement jalouse de concilier ce qui est dû aux convenances morales avec les justes exigences des améliorations utiles, n'ait pas été avertie à temps, de manière à pouvoir tenir compte, dans ses plans, des pieux souvenirs recueillis sur ce point obscur de la grande cité, et que, le premier, j'ai mis en lumière. Malheureusement, le compas de l'architecte et la truelle du maçon ont marché plus vite que l'enquête du chercheur des choses d'autrefois et la plume de l'écrivain.

Le 4 germinal an II, le cimetière de la Madeleine fut fermé; celui de Monceaux fut ouvert, et reçut ce jour-là les restes mortels d'Hébert et des hébertistes. Voici la liste des exécutions et des décès:

Le Tribunal révolutionnaire établi à Paris par décret de la Convention nationale du 10 mars 1793, l'an deuxième de la République, sans aucun recours au Tribunal de cassation, en vertu du pouvoir à lui donné par l'article deux d'un autre décret de la Convention du 5 avril suivant, portant «que l'Accusateur public dudit Tribunal est autorisé à faire arrêter, poursuivre et juger, sur la dénonciation des autorités constituées ou des citoyens:» (le même préambule se retrouve en tête de chaque jugement).

Par jugement du 4 germinal an II (24 mars 1794), appert:

1. Jacques-René Hébert, substitut de l'agent national de la Commune de Paris, âgé de 35 ans, natif d'Alençon, département de l'Orne, domicilié à Paris, rue Neuve-de-Égalité.

2. Charles-Philippe Ronsin, avant la révolution homme de lettres, puis commissaire de guerre ordonnateur, adjoint au ministre de la guerre, général de l'armée révolutionnaire, âgé de 42 ans, natif de Soissons, département de l'Aisne, domicilié à Paris, boulevard Montmartre, no 27.

3. Antoine-François Momoro, imprimeur-libraire et administrateur du département de Paris, âgé de 38 ans, natif de Besançon, département du Doubs, domicilié à Paris, rue de la Harpe, no 71.

4. François-Nicolas Vincent, ci-devant clerc de procureur, puis membre de la Commune, et actuellement secrétaire général du département de la guerre, âgé de 27 ans, natif de Paris, y domicilié, rue des Citoyennes, section de Mutius-Scévola.

5. Michel Laumur, ci-devant lieutenant-colonel de la marine et colonel d'infanterie au 6e régiment de l'armée du Nord, et général de brigade, âgé de 63 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Croix-des-Petits-Champs, no 42.

6. Jean-Conrad Kock, banquier, âgé de 38 ans, natif d'Ulm, en Hollande, (p. 299) habitant en France depuis 1787, demeurant à Passy, près Paris, et encore à Paris, rue Neuve-de-l'Égalité, no 314.

7. Pierre-Jean Proly, négociant, puis rédacteur de journal, âgé de 42 ans, natif de Bruxelles, en France depuis 1782, demeurant à Paris, rue Vivienne, no 7.

8. François Desfieux, marchand de vin de Bordeaux, âgé de 39 ans, natif de Bordeaux, domicilié à Paris, rue des Filles-Saint-Thomas, no 20.

9. Anacharsis Clootz (Jean-Baptiste), homme de lettres, ci-devant député à la Convention nationale, âgé de 38 ans, natif de Clèves, dans la Belgique, habitant en France depuis 27 ans, demeurant à Paris, rue de Mesnard, no 563.

10. Jacob Peyrera, manufacturier de tabac, âgé de 51 ans, natif de Bayonne, département des Basses-Pyrénées, demeurant à Paris, rue Saint-Denis, no 413, section Bon-Conseil.

11. Marie-Anne-Catherine Latreille, âgée de 34 ans, native de Montreuil-Belley, département de Rhône-et-Loire, demeurant à Paris depuis six mois, rue et maison Bussy, femme Questineau.

12. Jean-Antoine-Florent Armand, élève en chirurgie, âgé de 26 ans, natif de Chaylac, département de l'Ardèche, domicilié à Paris depuis un an, rue et maison Bussy.

13. Jean-Baptiste Aucard, employé au comité des recherches du département de Paris, âgé de 52 ans, natif de Grenoble, département de l'Isère, domicilié à Paris, rue des Mauvais-Garçons Saint-Germain, ci-devant coupeur de gants, journalier.

14. Frédéric-Pierre Ducroquet, ci-devant perruquier-coiffeur et parfumeur, et depuis commissaire aux accaparements, âgé de 31 ans, natif d'Amiens, département de la Somme, demeurant à Paris, rue du Paon, no 2, section de Marat.

15. Armand-Hubert Leclerc, chef de division au bureau de la guerre, âgé de 44 ans, natif de Cany, département de la Seine-Inférieure, domicilié à Paris, rue Grange-Batelière, no 10, et ancien archiviste du ci-devant évêché de Beauvais.

16. Jean-Charles Bourgeois, ci-devant menuisier, employé dans les bureaux de la guerre, et commandant de la force armée de sa section, âgé de 26 ans, natif de Paris, y demeurant, rue des Sans-Culottes, ci-devant Guisarde, section de Mutius-Scévola.

17. Albert Mazuel, ancien cordonnier, depuis brodeur, et après aide de camp de Bouchotte, ministre de la guerre, chef d'escadron de la cavalerie révolutionnaire, commandant temporaire de la Ville-Affranchie, âgé de 28 ans, natif de Commune-Affranchie.

18. Antoine Descomble, ancien garçon épicier, âgé de 29 ans, natif de Besançon, département du Doubs, domicilié à Paris, rue Sainte-Croix de la Bretonnerie, no 21, section des Droits-de-l'Homme.

19. Pierre-Ulric Dubuisson, homme de lettres, nommé à différentes époques commissaire du pouvoir exécutif, âgé de 48 ans, natif de Laval, département de la Mayenne, domicilié à Paris, rue Saint-Honoré, no 1447;

(p. 300) Avoir été condamnés à la peine de mort;—et ordonné que l'exécution dudit jugement aurait lieu sur la place publique de la Révolution de cette ville, ledit jugement étant signé du président et du greffier.

Par procès-verbal dressé par Tirard et Napier, huissiers du tribunal révolutionnaire, appert avoir été constaté que le jugement ci-dessus a été exécuté sur la place publique de la Révolution de cette ville, où les ci-dessus nommés ont été mis à mort.

Pour extrait conforme, Signé: Wolf, commis greffier.


La même clause se retrouve à la fin de chaque jugement. Nous nous bornerons, dans tous ceux qui vont suivre, à donner le nom de l'huissier du tribunal révolutionnaire qui a été témoin de l'exécution à mort des victimes, et le nom du greffier qui en a certifié l'extrait conforme.

Le Moniteur du 5 germinal an II dit que «la femme Questineau s'étant déclarée enceinte, a obtenu un sursis.» Nous voyons pourtant le nom de cette femme parmi ceux des victimes. Le Moniteur ajoute:

«Le citoyen Taboureau, de la section de Marat, est le seul des accusés qui ait été acquitté.»

C'est Laboureau qu'il faut lire. Ce Laboureau était un médecin qui fit plus tard un rapport sur ce qu'il avait vu et entendu dans la prison sur les accusés. En 1790, il avait publié un journal sous ce titre: l'Avocat du peuple.


Par jugement du tribunal révolutionnaire du 5 germinal an II (25 mars 1794), appert:

1. Joseph-Jacques Rouganne de Vichy, âgé de 63 ans, y demeurant, département de l'Allier, ci-devant inspecteur des marchandises anglaises, demeurant à Vichy, département de l'Allier;

2. Jean Rouganne-Desbaradines, âgé de 52 ans, né à Cuny, y demeurant, département de l'Allier, ci-devant garde du dernier tyran;

3. Et Pierre Rouganne-Belbat, âgé de 31 ans, natif d'Aigueperse, département du Puy-de-Dôme, y demeurant, vivant de son revenu;

Avoir été condamnés à la peine de mort, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


Par jugement du tribunal révolutionnaire du 6 germinal an II (26 mars 1794), appert:

1. Charles-Auguste la Cour-Balleroy, âgé de 74 ans, de la commune de Balleroy, district de Bayeux, y demeurant, ci-devant lieutenant général.

2. Et François-Auguste la Cour-Balleroy, son frère, âgé de 67 ans, né de Paris, y demeurant, ci-devant commandeur de Malte et maréchal de camp;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


(p. 301) Du même jour, appert:

Jean-Louis Gouttes, âgé de 54 ans, né de Tulles, département de la Corrèze, ci-devant évêque du département de Seine-et-Loire, demeurant à Autun, chef-lieu du département;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


Du même jour, appert:

Étienne Thiry, âgé de 24 ans, né à Sedan, maréchal des logis au 8e régiment de hussards, demeurant à Paris, place des Victoires-Nationales;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


Du même jour, appert:

Denis Loisel, âgé de 42 ans, né de Mondétour, garde des bois nationaux, demeurant à Boississe-le-Bertrand, district de Melun;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


Par jugement du tribunal révolutionnaire du 7 germinal an II (27 mars 1794), appert:

Marie-Catherine Chamboran, née à Confolent, département de la Haute-Vienne, âgée de 59 ans, ci-devant religieuse carmélite à Saint-Denis (Franciade), y demeurant.

Avoir été condamnée, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


Du même jour, appert:

Claire-Madeleine Lambertie, femme Villemin, âgée de 41 ans, vivant de son bien, née à Montluçon, demeurant à Paris;

Avoir été condamnée, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


Du même jour, appert:

Henri Moreau, âgé de 67 ans, né à Montpellier, département de l'Hérault, ci-devant accusateur public, près le point central de l'armée du Nord;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


Par jugement du tribunal révolutionnaire du 8 germinal an II (28 mars 1794), appert:

Jacques Pernet, âgé de 56 ans, né à Bar-sur-Aube, ci-devant chevalier de Saint-Louis, ancien capitaine de dragons, cultivateur, demeurant à Tranault, département de l'Aube;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


(p. 302) Du même jour, appert:

Jean-Baptiste Presselet, ci-devant capucin, né à Acqs, département de la Haute-Saône, demeurant à Gray, même département;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


Par jugement du 9 germinal an II (29 mars 1794), appert:

Jean-Baptiste Colignon, âgé de 61 ans, né de Metz, y demeurant, imprimeur;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Hervé.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


Du même jour, appert:

Louis-François Poiré, âgé de 36 ans, huissier à la Convention nationale, né d'Autribois, demeurant à Paris, rue Saint-Dominique, section Grenelle;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Hervé.

Pour extrait conforme, Wolff, huissier.


Du même jour, appert:

Jean-Valery-Marie Harelle, âgé de 30 ans, né de l'Aigle, y demeurant, négociant;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Hervé.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


Du même jour, 9 germinal an II (29 mars 1794), appert:

1. Jacques-Nicolas Adam, âgé de 36 ans, ex-religieux bénédictin, né à Paris, y demeurant, à Saint-Martin-des-Champs;

2. Jean-Baptiste Courtin, âgé de 79 ans, né à Rouen, ex-religieux bénédictin, demeurant audit couvent Saint-Martin;

3. Et Joseph-Antoine Meffre, âgé de 57 ans, né à Aubignan, district de Carpentras, demeurant audit couvent Saint-Martin;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Hervé.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


Par jugement du 11 germinal an II (31 mars 1794), appert:

Jean-François Hollet, âgé de 34 ans, bijoutier, natif de Luciennes, département de Seine-et-Oise, demeurant à Paris, aux Trois-Bouteilles, marché Saint-Martin;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Nappier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Louis-François Lavergne-Chanlorier, âgé de 50 ans passés, né à Angoulême, y demeurant ordinairement, commandant de la ville de Longwy;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Nappier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


(p. 303) Du même jour, appert:

Philippe-Barthélemy-Simon Gaillard, âgé de 26 ans, né à Cormille, département de Seine-et-Oise, garçon papetier à Paris, y demeurant;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Nappier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, 11 germinal (31 mars 1794), appert:

Victoire Regnier, femme Lavergne, âgée d'environ 26 ans, née à Angoulême, demeurant à Paris, rue Traversière, faubourg Germain;

Avoir été condamnée, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Nappier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Joseph Nègre, âgé de 61 ans, né à Lavergne, département du Lot, ci-devant fermier de Barbotan, demeurant à Julliac;

2. Et Joseph-Claire Barbotan, âgé de 75 ans, ex-comte et ex-constituant, né et demeurant à Borner, district de Nogard, département du Gard;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Nappier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 12 germinal an II (1er avril 1794), appert:

Louis-Simon Collivet, âgé de 25 ans, natif de Lagny, département de l'Orne, demeurant à Paris, rue de la Verrerie, chez le citoyen Delorme, marchand épicier;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Euloge Schneider, âgé de 37 ans, natif de Winfeld, demeurant à Strasbourg, département du Bas-Rhin, ci-devant accusateur public près le tribunal criminel dudit département;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Charles-Victoire-François Sallabery, âgé de 62 ans, né à Paris, ci-devant noble et président de la chambre des comptes de Paris, juge de paix de la ville de Blois, officier municipal de la même ville, y demeurant;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Antoine Brochet, dit Saint-Prest, âgé de 25 ans, ex-noble et garde de Capet, né à Paris, demeurant à Gray, district de la Ferté-Bernard, département de la Sarthe;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


(p. 304) Par jugement du 13 germinal an II (2 avril 1794), appert:

Jean Marquet, âgé de 27 ans, né à Cyray, département de la Charente, y demeurant, marchand de beurre frais.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Nappier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 16 germinal an II (5 avril 1794), appert:

1. Philippe-François-Nazaire Fabre Déglantine, ci-devant homme de lettres et député à la Convention nationale, âgé de 39 ans, natif de Carcassonne, domicilié à Paris, rue Ville-l'Évêque.

2. Joseph Launay, homme de loi et député à la Convention nationale, âgé de 39 ans, natif d'Angers, domicilié ordinairement à Anvers, et à Paris, boulevard Montmartre, no 5.

3. François Chabot, ci-devant capucin et représentant du peuple, âgé de 37 ans, natif de Saint-Geniest, département de l'Aveyron, domicilié à Paris, rue d'Anjou, no 19.

4. Lucie-Simplice-Camille-Benoist Desmoulins, homme de lettres, âgé de 33 ans, natif de Guise, district de Vervins, domicilié à Paris, place du Théâtre-Français.

5. Jean-François Lacroix, soldat, capitaine de milice, puis homme de loi et ex-député à la Convention nationale, âgé de 40 ans, natif de Pont-Audemer, département de l'Eure, domicilié à Paris, rue Lazare, no 6.

6. Pierre Phelippeaux, homme de loi et député à la Convention nationale, âgé de 35 ans, natif de Ferrière, département de l'Oise, domicilié à Paris, rue de l'Échelle, no 3.

7. Claude Bazire, commis aux Archives des états de la Bourgogne, commandant de la garde et député à la Convention nationale, âgé de 29 ans, natif de Dijon, département de la Côte-d'Or, domicilié à Paris, rue Saint-Pierre-Montmartre.

8. Marie-Jean Hérault de Séchelles, député à la Convention nationale, âgé de 34 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Basse-du-Rempart, no 14.

9. Georges-Jacques Danton, député à la Convention nationale, âgé de 34 ans, natif de Darcy-sur-Aube, département de l'Aube, domicilié à Paris, rue et section de Marat.

10. Marc-René Sahuguet Despagnac, ci-devant abbé et employé aux fournitures des haras, âgé de 41 ans, natif de Brie, département de la Corrèze, domicilié à Paris, rue de l'Université, près l'ancienne barrière.

11. Simon Kotloo Junius Frey, fournisseur à l'armée, âgé de 35 ans, natif de Bruyen, en Moravie, domicilié à Paris, rue d'Anjou Saint-Honoré, no 19.

12. André-Marie Gusman, âgé de 41 ans, natif de Grenade, en Espagne, naturalisé Français en 1751.

13. Emmanuel Frey, âgé de 27 ans, natif de Bruyen, en Moravie, domicilié à Paris, rue d'Anjou Saint-Honoré, no 19.

14. Jean-Frédéric Deiderinchen, avocat de la cour du roi de Danemark, âgé de 51 ans, natif de Luxembourg, pays de Holstein, en Danemark, domicilié à Paris, rue des Petits-Augustins.

(p. 305) 15. François-Joseph Westermann, ci-devant aide de camp de Dumouriez, depuis général de division, âgé de 38 ans, natif de Motzheim, département du Bas-Rhin.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Nappier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 17 germinal an II (6 avril 1794), appert:

Louis Hannapier des Ormes, âgé de 45 ans, né à Orléans, résidant dans la commune de Saint-Hilaire-Saint-Mesmin, district d'Orléans, département du Loiret, cultivateur et ci-devant maître particulier des eaux et forêts à Beaugency, même département;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Nappier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Pierre Reignier, âgé de 38 ans, né et demeurant à Pontoise, département de Seine-et-Oise, tailleur d'habits;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Philippe Barron de Channois, ex-noble, âgé de 66 ans, né à Châtillon-sur-Indre, département de l'Indre, propriétaire, demeurant en la commune de Genille, département d'Indre-et-Loire;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exéc. dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 18 germinal an II (7 avril 1794), appert:

1. Jean-François Jullien, âgé de 60 ans, né à Loris, département du Loiret, ex-officier municipal de la commune de Montargis, y demeurant, et chirurgien;

2. Marie-Joseph-Hippolyte Pelé-Varenues, âgé de 57 ans passés, né à Sens, ci-devant receveur particulier des finances et receveur du district de Montargis, y demeurant;

3. François-Joseph Bizot, âgé de 50 ans, né à Besançon, ex-maire de la commune de Montargis, y demeurant;

4. Et Charles-Léonard Lavillette, âgé de 45 ans, natif de Clamecy, ci-devant président de l'élection de Montargis, juge du district de Bois-Commun et administrateur du directoire du district de Montargis, y demeurant;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exéc. dressé par Tavernier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Antoine-Louis-Claude Saint-Germain d'Apchon, ex-marquis et maréchal de camp, âgé de 45 ans, né à Paris, demeurant rue Saint-Louis, no 87, section de l'Indivisibilité;

(p. 306) 2. Et Élisabeth-Thérèse Pacorée, âgée de 69 ans passés, veuve de Pericard, ex-maître des comptes, belle-mère de d'Apchon, née à Paris, même demeure que dessus;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exéc. dressé par Tavernier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Jean-Joseph Mouzin, âgé de 28 ans, notaire à Dijon, département de la Côte-d'Or, né et demeurant audit Dijon;

2. Et Bernard Perruchot, âgé de 35 ans ½, demeurant à Montant, district de Saint-Jean-de-Losne, département de la Côte-d'Or, ci-devant notaire.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exéc. dressé par Tavernier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour 18 germinal (7 avril 1794), appert:

1. François-Pierre Lamotte-Senonnes, âgé de 36 ans, ci-devant noble, né à Senonnes, département de la Mayenne, demeurant à Bonneuil, district de Bourg-l'Égalité;

2. Et Susanne Drouillard, âgée de 33 ans, née à Saint-Domingue, épouse dudit Senonnes;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tavernier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 19 germinal (8 avril 1794), appert:

1. Jean-Pierre Danquechin-Dorval, âgé de 40 ans passés, ex-noble, cultivateur, officier public et municipal de la commune de Montreuil, près Paris, y demeurant;

2. Pierre-Saturnin Lardin, âgé de 31 ans, né à Nogent-sur-Marne, demeurant à Montreuil, près Paris, vigneron;

3. Et Louise-Adélaïde Danquechin, âgée de 27 ans, femme de Pierre Saturnin Lardin, demeurant avec lui audit Montreuil;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Hervé.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Jeanne Agronde Marsilly, veuve de Pierre-Armand Henique de Chenely, âgée de 47 ans, née à Dijon, département de la Côte-d'Or, demeurant à Paris, rue de la Harpe;

Avoir été condamnée, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Hervé.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Joseph-Louis Gaudron, âgé de 27 ans et ½, né à Limeray, district d'Amboise, département d'Indre-et-Loire, ex-curé constitutionnel de Négron, y demeurant, même département;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Hervé.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


(p. 307) Du même jour, appert:

Guillaume Gemptel, âgé de 26 ans, né à Bousie, dans la ci-devant Normandie, cuisinier, demeurant à Paris, maison ci-devant appelée des Anglais;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Hervé.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Angélique Boiry, femme de Pierre-Antoine Bonfant, âgée de 50 ans, née à Douay, département du Nord, femme de chambre de la femme d'Hervilly, ex-noble, demeurant à Daignecourt, département de la Somme;

Avoir été condamnée, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Hervé.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 23 germinal (12 avril 1794), appert:

Claude Chouchon, dit Chanson, âgé de 66 ans, né et demeurant à Montélimart, département de la Drôme, ex-général de brigade de l'armée des Pyrénées-Orientales;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 24 germinal (13 avril 1794), appert:

Louis-Guillaume-André Brossard, âgé de 39 ans passés, né à Terrasson, département de la Dordogne, secrétaire du comité révolutionnaire de la ville de Périgueux, y demeurant;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tirard.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, exécution du 24 germinal an II (13 avril 1794):

1. Philibert Simon, député à la Convention nationale, natif de Rumilly (Mont-Blanc), domicilié à Paris, rue Traversière-Honoré.

2. Arthur Dillon, ci-devant général divisionnaire, âgé de 43 ans, natif de Braywick, en Angleterre, domicilié à Paris, rue Jacob, no 38.

3. Jean-Baptiste Gobel, ci-devant évêque de Paris, âgé de 67 ans, natif de Thann, département du Haut-Rhin, domicilié à Paris, île de la Fraternité, quai de l'Égalité, no 13.

4. Jean-Michel Beysser, général de brigade dans l'armée de l'Ouest, âgé de 40 ans, natif de Ribauviller, en Alsace, département du Haut-Rhin, domicilié ordinairement à Lorient.

5. Gaspard Chaumette, agent national de la Commune de Paris, ci-devant procureur de ladite Commune, âgé de 31 ans, natif de Nevers (Nièvre), domicilié à Paris, rue de l'Observatoire, aux Visitandines, et avant rue du Paon, section de Marat.

6. Marie-Marguerite-Françoise Goupil, âgée de 38 ans, native de Paris, (p. 308) y domiciliée, rue Neuve-de-l'Égalité, cour des Forges, veuve de..... Hébert.

7. Jean-Baptiste-Ernest Bucher (de l'Épinois), commandant de la garde nationale de Mesnil-Saint-Denis, âgé de 43 ans, natif d'Amiens, département de la Somme, domicilié à Mesnil-Saint-Denis, district de Versailles, département de Seine-et-Oise.

8. Marie-Marc-Antoine Barras, ancien administrateur du district de Toulouse, âgé de 30 ans, natif de Toulouse, département de la Haute-Garonne, y domicilié.

9. Jean-Jacques Lacombe, vivant de son revenu, âgé de 33 ans, natif de Cajac (Lot), domicilié à Paris, maison garnie des Français, rue de Thionville, no 30, section de Marat.

10. Jean-Maurice-François Lebrasse, lieutenant de gendarmerie près les tribunaux, âgé de 31 ans, natif de Rennes, département de l'Ille-et-Vilaine, domicilié à Paris, rue Jacques, no 27.

11. Anne-Lucile-Philippe Laridon Duplessis, âgée de 23 ans, native de Paris, y domiciliée, rue du Théâtre-Français, veuve de Lucie-Simplice-Camille-Benoît Desmoulins.

12. Antoine Duret, adjudant général de l'armée des Alpes, âgé de 44 ans, natif de Roanne-en-Forez, domicilié à Montbrissey, département de la Loire, lors de son arrestation à Feure.

13. Guillaume Lassalle, officier de marine, âgé de 24 ans, natif de Boulogne-sur-Mer, département du Pas-de-Calais, domicilié à Paris, maison de France, rue Neuve-de-l'Égalité.

14. Alexandre Nourry Grammont, officier de la cavalerie révolutionnaire, et avant employé au bureau de la guerre, âgé de 19 ans, natif de Limoges, département de la Haute-Vienne, domicilié à Paris, passage des Petits-Pères, no 3, section de Guillaume-Tell.

15. Nourry Grammont, ci-devant artiste du théâtre Montansier, ensuite adjudant général de l'armée révolutionnaire, âgé de 42 ans, natif de La Rochelle (Charente-Inférieure), domicilié à Paris, passage des Petits-Pères, section de Guillaume-Tell.

16. Jean-Marie Lepallus, juge de la commission révolutionnaire de Feure, âgé de 26 ans, natif de Matour, district de Charonne, département de Saône-et-Loire, domicilié ordinairement à Néardor, département de Rhône-et-Loire.

17. Jean-François Lambert, porte-clefs de la maison d'arrêt du Luxembourg, âgé de 25 ans, natif de Boysne, département du Loiret, domicilié à Paris, rue de la Convention.

18. Marie-Sébastien Brumeau-Lacroix, membre du comité révolutionnaire de la section de l'Unité, âgé de 26 ans, domicilié à Paris, rue du Colombier.

19. Edme Rameau, prêtre, âgé de 41 ans, natif d'Auxerre, département de l'Yonne, domicilié à Paris, rue Sauveur.

20. Louis-Guillaume-André Brossard, secrétaire du comité révolutionnaire de la ville de Périgueux, âgé de 32 ans, natif de Terrasson, département de la Dordogne, demeurant à Périgueux.

(p. 309) 21. Étienne Ragondet, ci-devant marchand de chevaux, commandant du bataillon de la section de la République, et inspecteur dans les charrois des armées, âgé de 46 ans, natif de Paris, demeurant à Capy, près Péronne, département de la Somme.

Vu l'extrait du jugement du tribunal criminel révolutionnaire et du procès-verbal d'exécution dressé par (le nom en blanc), en date du 24 germinal (13 avril).

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 25 germinal (14 avril 1794), appert:

Jacques-Augustin Labarbery de Refluvel, âgé de 60 ans, ex-noble, ci-devant capitaine dans les gardes françaises, et ci-devant seigneur de Villers-Vermont, né à Paris, y demeurant, rue des Francs-Bourgeois, au Marais;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

François-Charles Gattey, âgé de 38 ans, né à Autun, libraire, demeurant à Paris, maison Égalité, no 14;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tirart.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Henri Morisset, âgé de 39 ans, né à Pereuse, département de l'Yonne, juge au tribunal du district de Montargis, département du Loiret, y demeurant, chapelier et procureur de la commune de Château-Renard;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tirart.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 26 germinal (15 avril 1794), appert:

1. Aimé Courandin, âgé de 31 ans, né à Angers, département de Maine-et-Loire, ci-devant conseiller du tyran Capet, au présidial d'Angers, et ensuite juge du tribunal du district d'Angers, y demeurant;

2. Louis-Étienne Brevet, dit Beaujour, âgé de 30 ans, né à Angers, ci-devant avocat du tyran Capet au présidial d'Angers, ensuite commissaire national près le tribunal du district d'Angers, y demeurant;

3. Jean-Baptiste la Réveillière, âgé de 41 ans, né à Montaigu, département de la Vendée, ci-devant conseiller au présidial d'Angers, et ensuite président du tribunal criminel du département de Maine-et-Loire, demeurant à Angers;

4. Bieusie Louis Dieusie, âgé de 45 ans, né à Mésange, district d'Ancenis, département de la Loire-Inférieure, ex-noble et député à l'Assemblée constituante, cultivateur, et président du département de Maine-et-Loire, demeurant à Angers;

(p. 310) 5. Et Joseph-François-Alexandre Teissier Duclozeau, âgé de 40 ans, né aux Rosiers, district de Saumur, physicien, ci-devant membre du conseil général du département de Maine-et-Loire, et ensuite volontaire dans le 3e bataillon du même département, demeurant à Vannes;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Victoire Lescale, femme Roger, âgée de 40 ans, sans état, née à Villotte-devant-Loupy, district de Bar-sur-Ornain, département de la Meuse;

Avoir été condamnée, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Chateau.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Marie-Claudine Gattey, âgée de 39 ans, née à Autun, département de la Côte-d'Or, ci-devant religieuse de Saint-Lazare, demeurant à Paris, chez la veuve Leyrand, rue Boucher, no 14;

Avoir été condamnée, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Gaspard Roger, âgé de 38 ans, né et demeurant à Neuville-sur-Ornain, département de la Meuse, salpêtrier;

2. Marie-Jeanne Lescale, âgée de 52 ans, fille vivant de son industrie, née à Villot, même département, demeurant audit Neuville;

3. Charles-Mathias d'Alençon, âgé de 67 ans, ex-noble et comte, né à Bar, demeurant audit Neuville;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 27 germinal (16 avril 1794), appert:

Hugues-Louis-Jean Pelletier Chambure, âgé de 37 ans, natif de Tonnerre, département de l'Yonne, employé dans les subsistances militaires en qualité de sous-directeur, à Arras;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Monet.

Pour copie conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Jean Huet, âgé de 32 ans, né à Orléans, département du Loiret, perruquier, demeurant à Paris, rue Nicaise;

2. Pierre Laville, âgé de 31 ans, né à Monpont, district de Mussidan, département de la Dordogne, cordonnier, demeurant à Paris, rue Rohan, no 33; membre du comité révolutionnaire de la section des Tuileries;

3. Et Pierre Lapeyre, âgé de 30 ans, né à Lachaud, district de Périgueux, département de la Dordogne, chirurgien, demeurant à Paris, rue de (p. 311) Rohan, no 62, et membre du comité révolutionnaire de la section des Tuileries;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Monet.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

François-Clément Cassegrain, âgé de 76 ans, né à Paris, demeurant à Pithiviers-le-Vieil, département (en blanc), curé de Pithiviers;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Monet.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Nicolas Lutterot, âgé de 33 ans, né à Sens, département de l'Yonne, charpentier, demeurant à Sens.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Monet.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement rendu au tribunal révolutionnaire le 28 germinal an II (17 avril 1794), etc., appert:

1. Charles Acot, dit Thibault, âgé de 23 ans, né à Autigny, département de l'Yonne, marchand de vin, demeurant à Paris, rue de la Vannerie, no 49;

2. Hyacinthe Mermin, âgé de 30 ans, frotteur, né à Avançay, département du Mont-Blanc, demeurant à Paris, rue Saint-Landry, en la Cité, no 8;

3. Pierre-Louis Henry, âgé de 33 ans, marchand de toiles et d'indiennes, né à Méry, département de la Marne, demeurant à Paris, rue de la Vannerie, no 49;

4. Hyacinthe Simille, âgé de 29 ans, frotteur, né à Avançay, département du Mont-Blanc, demeurant à Paris, rue André des Arts;

5. Et Jean-Louis Pautone, âgé de 31 ans, né à Buri, département de Seine-et-Oise, garçon pâtissier traiteur, demeurant à Paris, rue Jean Fleury.

Avoir été condamnés à la peine de mort et ordonné que l'exécution dudit jugement aurait lieu sur la place publique de la Révolution de cette ville, ledit jugement signé du président et du greffier.

Par procès-verbal dressé par Degaiguée, etc., appert que lesdits Charles Acot dit Thibault, H. Mermin, Pierre-Louis Henry, Hyacinthe Simille, et Jean-Louis Pautone, ont été mis à mort.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Joseph Baudot, âgé de 44 ans, né à Besançon, département du Doubs, ci-devant bénédictin, principal du collége de Toul, et desservant de Tremblecourt, y demeurant, département de la Meurthe.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Jean-Pierre Challot, âgé de 28 ans, né à Château-Roué, département de (p. 312) la Meurthe, ci-devant desservant de la cure de Marsal, même département, y demeurant.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour copie conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Jean Decous, âgé de 70 ans, né à Treignat, département de la Corrèze, ci-devant curé de la commune de Neuvy, demeurant à Limoges.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 29 germinal (18 avril 1794), appert:

Brice Prévôt, âgé de 28 ans, né à Saint-Front, département de l'Orne, demeurant à Paris, cul-de-sac Berthault, chapelier.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

François Magny, âgé de 24 ans, tailleur d'habits, né à Limoges, y demeurant, soldat au 6e régiment de Hussards-Cavalerie.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement rendu au tribunal révolutionnaire, le 29 germinal, au palais, etc. (18 avril 1794), appert:

1. Antoine-Grégoire Genest, âgé de 27 ans, né à Paris, y demeurant, rue des Moineaux, banquier;

2. Pierre Hariage de Guiberville, âgé de 72 ans, né à Paris, y demeurant, cul-de-sac de Taitbout, ci-devant président au Parlement;

3. Marie-Claude Hariage, veuve Debonnaire, âgée de 45 ans, ex-noble, née à Paris, y demeurant, rue Neuve-des-Capucines;

4. Marie-Charlotte Debonnaire, femme divorcée de Louis-François le Peletier, ci-devant officier dans le régiment de Capet, âgée de 21 ans, née à Paris, y demeurant;

5. Marie la Laurencie-Charras, âgée de 42 ans, native de Charras, département de la Charente, demeurant à Asnières;

6. Didier-René-François Mesnard de Chousy, âgé de 64 ans, attaché à la maison Capet, demeurant à Paris, rue de Clichy;

7. Jean-Didier-René Mesnard de Chousy, fils, âgé de 35 ans, natif de Versailles, demeurant à Paris, rue Lazare, section du Mont-Blanc;

8. Marie-Adrienne Gonnel, veuve Vierville, âgée de 49 ans, native de Paris, y demeurant, rue de Clichy, no 14;

9. Adélaïde-Marguerite Demerle, femme divorcée de Duchilleur, âgée de 41 ans, native de Paris, y demeurant, rue du Faubourg-Montmartre;

10. Louis-Georges Gougenot, âgé de 36 ans, natif de Paris, ci-devant syndic de la ci-devant compagnie des Indes, demeurant rue le Peletier;

(p. 313) 11. Angélique-Michel Destat Bellecourt, âgé de 33 ans, natif de Paris, ci-devant officier au service de la Russie, demeurant rue Basse-du-Rempart;

12. Jeanne-Marie Nogué, veuve de Robin Divry, femme d'Angélique-Michel Destat de Bellecourt, native de Bayonne, âgée de 30 ans, demeurant à Paris, rue Basse-du-Rempart, no 9;

13. Sébastien Rollat, ex-noble, âgé de 52 ans, natif de Brujac, département de l'Allier, demeurant à Paris, rue des Filles-Saint-Thomas;

14. René Rollat, fils dudit Rollat, né à Paris, âgé de 39 ans, ancien officier à la suite du ci-devant régiment Colonel général dragons, demeurant à Paris, rue des Filles-Saint-Thomas;

15. Jean Robin, âgé de 43 ans, officier de maison chez le nommé Hariage Guiberville, natif de Valence, demeurant à Paris, cul-de-sac Taitbout;

16. François-Michel Paymal, âgé de 29 ans, natif de Versailles, département de Seine-et-Oise, domestique de la nommée Hariage, demeurant à Paris, rue Neuve-des-Capucines;

17. Et Jean-Joseph Laborde, âgé de 70 ans, né à Juca en Espagne, ci-devant banquier du gouvernement, demeurant à Mireville, département de Seine-et-Marne;

Avoir été condamnés à la peine de mort, et ordonné que l'exécution dudit jugement aurait lieu sur la place publique de la Révolution de cette ville, etc. Par procès-verbal d'exécution, signé par Auvray, appert les ci-dessus nommés avoir été mis à mort.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement rendu au tribunal révolutionnaire, séant à Paris, au palais, le 1er floréal an II (20 avril 1794), appert:

1. Louis le Peletier Rozambo, âgé de 46 ans, ex-noble, ci-devant président à mortier au ci-devant parlement de Paris, né à Paris, demeurant à Malesherbes, département du Loiret;

2. Urbain-Élisabeth Segla, âgé de 37 ans, ex-noble, ci-devant conseiller au ci-devant parlement de Toulouse, né à Toulouse, département de la Haute-Garonne, y demeurant;

3. Philippe-Joseph-Marie Cussac, âgé de 67 ans, ex-noble, ci-devant conseiller au ci-devant parlement de Toulouse, né à Toulouse, y demeurant;

4. Jean-Jacques Balsac Firmi, âgé de 60 ans, ex-noble, ci-devant conseiller de grand'chambre au ci-devant parlement de Toulouse, né à Senergues, département de l'Aveyron, demeurant à Toulouse;

5. Jean-François Montaigu, âgé de 64 ans, ex-noble, ci-devant conseiller de grand'chambre au ci-devant parlement de Toulouse, né à Toulouse, y demeurant;

6. Anne-Joseph Lafont, âgé de 60 ans, ex-noble, et ci-devant conseiller de grand'chambre au ci-devant parlement de Toulouse, demeurant à Toulouse;

7. Joseph-Julien-Honoré Rigaut, âgé de 45 ans, ex-noble, ci-devant conseiller (p. 314) au ci-devant parlement de Toulouse, né à Castres, département du Tarn, demeurant à Toulouse;

8. Nicolas-Étienne le Noir, âgé de 38 ans, ex-noble, ci-devant conseiller au ci-devant parlement de Paris, première chambre des requêtes, né à Paris, y demeurant, rue Apolline;

9. François-Matthieu du Port, âgé de 76 ans, ex-noble, ci-devant conseiller de grand'chambre au ci-devant parlement de Paris, né à Paris, y demeurant, rue Saint-Louis, au Marais;

10. Louis-Jean-Népomucène-Marie-François Camus Laguibourgère, âgé de 46 ans, né à Rennes, département d'Ille-et-Vilaine, demeurant à Paris, rue Jacques, vis-à-vis des Mathurins;

11. Henry-Louis Fredy, âgé de 74 ans, ex-noble, conseiller de grand'chambre au ci-devant parlement de Paris, né à Paris, y demeurant, rue Antoine;

12. Charles-Jean-Pierre Dupuis de Marée, âgé de 61 ans, ex-noble, ci-devant conseiller de grand'chambre au ci-devant parlement de Paris, né à Paris, y demeurant, rue Michel le Peltier;

13. Léonard-Louis Saguier de Mardeuil, âgé de 59 ans, ex-noble, conseiller au ci-devant parlement de Paris, né à Châlons, département de la Marne, demeurant à Paris, rue de la Fraternité;

14. Étienne Pasquier, âgé de 58 ans, ex-noble, ci-devant conseiller de grand'chambre au ci-devant parlement de Paris, né à Paris, y demeurant, rue Madeleine, no 8;

15. Pierre-Daniel Bourrée Corberon, âgé de 77 ans, ex-noble, ci-devant président de la première chambre des enquêtes du ci-devant parlement de Paris, né à Paris, demeurant à Toulouse;

16. Barthélemy-Gabriel Rolland, âgé de 64 ans, ex-noble, ci-devant président des requêtes du ci-devant parlement de Paris, né à Paris, demeurant à Chambaudouin, département du Loiret;

17. Jean-Baptiste Louis Oursain Debure, âgé de 47 ans, ci-devant noble et conseiller des requêtes du palais du ci-devant parlement de Paris, né à Paris, demeurant rue Boucherat;

18. Jean-François-Manie Rouhette, âgé de 27 ans, ex-noble, ci-devant conseiller des requêtes du parlement de Paris, né à Paris, y demeurant, rue Paul;

19. Antoine-Louis-Hyacinthe Hocquart, âgé de 55 ans, ex-noble, ci-devant premier président de la cy-devant cour des aides à Paris, né à Paris, y demeurant;

20. Nicolas-Agnès-François Nort, âgé de 68 ans, ex-noble et ci-devant comte colonel d'infanterie, né à Rennes, département d'Ille-et-Vilaine, demeurant aux Invalides;

21. Armand-Guillaume-François de Gourgues, âgé de 57 ans, ex-noble, ci-devant président à mortier au ci-devant parlement de Paris, né à Paris, demeurant à Poissy, département de Seine-et-Oise;

22. Jean-Baptiste-Gaspard Bochard Saron, âgé de 64 ans, ex-noble, ci-devant premier président du parlement de Paris, né à Paris, y demeurant, rue de l'Université;

(p. 315) 23. Édouard-François-Matthieu Molé-Champlatreux, âgé de 34 ans, ex-noble, ci-devant président au ci-devant parlement de Paris, né à Paris, y demeurant, rue Dominique, faubourg Germain;

24. Henri-Guy Sallier, âgé de 60 ans, ex-noble, ci-devant président de la ci-devant cour des aides de Paris, né à Rochembray, demeurant à Paris, rue du Grand-Chantier;

25. Anne-Louis-François-de-Paule le Fèvre d'Ormesson, âgé de 42 ans, ex-noble, ci-devant président du parlement de Paris, né à Paris, y demeurant, rue Guillaume, faubourg Germain, ex-constituant, et commissaire aux monuments publics et ex-bibliothécaire;

Avoir été condamnés à la peine de mort, et ordonné que l'exécution dudit jugement aurait lieu sur la place publique de la Révolution de cette ville, ledit jugement signé du président et du greffier.

Par procès-verbal dressé par Auvray, l'un des huissiers du tribunal révolutionnaire, en date du 1er floréal, appert avoir été constaté que le jugement ci-dessus a été exécuté sur la place publique de la Révolution de cette ville, où lesdits ci-dessus nommés ont été mis à mort.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement rendu au tribunal révolutionnaire, etc., le 1er floréal an II (20 avril 1794), appert:

1. Nicolas Saint-Blin, âgé de 40 ans, né à Paris, ci-devant noble et comte, demeurant à Villeberny, district de Semur, département de la Côte-d'Or;

2. Auguste-Louis-Zacharie Espiard de Dalleray, âgé de 63 ans, né à Dijon et y demeurant, vivant de son revenu, ci-devant conseiller au parlement de Dijon;

3. Pierre Guillemin, âgé de 29 ans, né à Dijon et y demeurant, clerc de notaire avant la révolution, et depuis commis aux ponts-et-chaussées;

4. Pierre-Jacques-Barthélemy Guénichot, ex-noble, âgé de 27 ans, né à Dijon, demeurant à Nogent, district de Semur, département de la Côte-d'Or;

5. Charles-Joseph-Jullien, âgé de 49 ans, né à Joinville, département de la Haute-Marne, ci-devant cordelier et curé d'Autricourt, y demeurant;

6. Et Théophile Berlier, âgé de 60 ans, né à Châtillon, ci-devant garde-manteau de la ci-devant maîtrise des eaux et forêts de Châtillon-sur-Seine, y demeurant, département de la Ferre;

Avoir été condamnés à la peine de mort et ordonné que l'exécution dudit jugement aurait lieu sur la place publique de la Révolution de cette ville, ledit jugement signé du président et du greffier, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du tribunal révolutionnaire du 2 floréal an II (21 avril 1794), appert:

François-Philippe de Caux, âgé de 54 ans, natif de Rouge-Moutiers, (p. 316) district de Pont-Audemer, département de l'Eure, demeurant à Bretot, même district, prêtre et ci-devant titulaire de la chapelle de Bretot;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Alexandre Beaugrand, âgé de 50 ans, né à Sens, département de l'Yonne, demeurant à Orbeaux, district de Pithiviers, département du Loiret;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Pierre Lafargue, âgé de 55 ans, né à Cognac, district de Cognac, département de la Charente, agent de commerce et fermier, demeurant à Paris, rue Neuve de l'Égalité, no 304;

2. Marie-Marguerite-Geneviève-Victoire Lemesle, femme Boulani, âgée de 50 ans, née..., demeurant à Dieppe, département de la Seine-Inférieure;

3. André-Guillaume Bellepacaume, âgé de 51 ans, né et demeurant à Paris, place des Trois-Maries, no 36, section du Muséum, ci-devant marchand mercier, actuellement sans état;

4. Jean-François-Joseph Descamps, âgé de 28 ans, natif d'Aire, district de Saint-Omer, département du Pas-de-Calais, imprimeur, demeurant à Douai;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du tribunal révolutionnaire du 3 floréal an II (22 avril 1794), appert:

1. Jacques Duval Despréménil, ex-constituant, âgé de 48 ans, natif de Pondichéry, domicilié à Mériffou, commune de La Remuée, département de la Seine-Inférieure.

2. Jacques-Guillaume Thouret, ex-constituant, ex-président du tribunal de cassation, âgé de 48 ans, natif de Pont-l'Évêque, département du Calvados, domicilié à Paris, rue des Petits-Augustins, no 21.

3. Isaac-René-Gui Lechappelier, ex-constituant, âgé de 39 ans, natif de Rennes, département de l'Ille-et-Vilaine, y domicilié, et ayant un domicile à Paris, rue Montmartre.

4. François Hell, ci-devant procureur général syndic des états d'Alsace, grand bailli de Langres et administrateur du département du Haut-Rhin, âgé de 63 ans, natif de Keseinhem, susdit département, domicilié à Paris, rue Helvétius.

5. Chrétien-Guillaume Lamoignon Malesherbes, ex-noble et ex-ministre du tyran, âgé de 72 ans, natif de Paris, domicilié à Malesherbes, département du Loiret.

6. Antoinette-Marguerite-Thérèse Lamoignon Malesherbes, native de Paris, domiciliée à Malesherbes, département du Loiret, veuve de..... Lepelletier Rozambo.

(p. 317) 7. Aline-Thérèse Lepelletier Rozambo, âgée de 23 ans, native de Paris, domiciliée à Malesherbes, département du Loiret, mariée à..... Châteaubriand.

8. Jean-Baptiste-Auguste Châteaubriand, ex-noble et ex-capitaine de cavalerie, âgé de 34 ans, natif de Saint-Malo, département de l'Ille-et-Vilaine, domicilié à Malesherbes, département du Loiret.

9. Diane-Adélaïde Rochechouart, ex-noble, âgée de 64 ans, native de Paris, y domiciliée, rue Grange-Batelière, veuve de..... Duchatelet.

10. Béatrix Choiseul, ex-noble, âgée de 64 ans, native de Lunéville, domiciliée à Paris, rue Grange-Batelière, mariée à..... Grammont.

11. Victoire Boucher Rochechouart, ex-noble, âgée de 49 ans, native de Paris, y domiciliée, rue du Mont-Blanc, veuve de..... Pontville.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tavernier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

12. Louis-Pierre Mousset, charpentier et ci-devant procureur de la Commune de Donnery, âgé de 42 ans, natif de Saint-Marceau d'Orléans, département du Loiret, domicilié audit Donnery.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tavernier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du tribunal révolutionnaire du 4 floréal (23 avril 1794), appert:

François-Abraham Reclesne, âgé de 61 ans, ci-devant noble, né à Lyonne, canton de Cognat, district de Gannat, département de l'Allier, y demeurant.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Louis-Benjamin Calmer, âgé de 44 ans, à la Haye en Hollande, naturalisé Français depuis 1769, ci-devant marchand d'étoffes et ensuite courtier de change, demeurant à Paris, rue Choiseul, no 13, section le Pelletier;

2. François Gallay, âgé de 50 ans, né à Martigny en Suisse, frotteur domestique chez le citoyen Baglion, demeurant rue Dominique-Germain;

3. Marguerite Horiout, femme Farizol, âgée de 50 ans, née à Baugon, département de l'Orne, ouvrière, demeurant à Paris, rue de Grenelle, au Gros-Caillou;

4. Marie-Louise Coutelet, veuve Neuve-Église, âgée de 36 ans, née à Rennes, chef dans les filatures nationales établies maison des ci-devant Jacobins, rue Jacques;

5. Louis Roux, âgé de 50 ans, né à Bourgoing, département de l'Isère, tabletier, demeurant à Paris, rue des Arcis, no 205;

6. Jean Chemin, âgé de 50 ans, né à Logny, département de l'Orne, domestique (p. 318) chez le citoyen Cardinal, demeurant à Paris, rue de Malte, section du Temple.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour 4 floréal an II (23 avril 1794), appert:

1. Jeanne-Élisabeth Bertaux, âgée de 48 ans, fille, sage-femme née à Pithiviers, département du Loiret, demeurant à Paris, rue de Bièvre;

2. François Bonin, âgé de 47 ans, imprimeur, né à Sonchamp, département de l'Eure, demeurant à Paris, rue Zacharie;

3. Matthieu Schwerger, âgé de 40 ans, cordonnier, né à Menzenger en Brisgau, demeurant à Paris, rue de la Harpe;

4. Jean Pommeraye, âgé de 40 ans, né à Orléans, ci-devant perruquier et canonnier de la section de la Réunion, casernée à Popincourt;

5. Jean-François Noël, âgé de 34 ans, né à Verneuil, district de Beauvais, demeurant à Paris, rue de la Verrerie, maison de Reims.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Antoine Barthélemy, âgé de 40 ans, homme de loi, commissaire du pouvoir exécutif près le tribunal du district de Gannat, département de l'Allier, né à Riom, département du Puy-de-Dôme, ci-devant procureur de la commune de Gannat, y demeurant.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée,

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Fournée des habitants de Verdun, immolés le 5 floréal an II (24 avril 1794).

L'âge des Vierges de Verdun, accusées d'avoir offert des dragées au roi de Prusse, a été l'objet de discussions. On les a rajeunies, on les a vieillies, suivant qu'on a interrogé à ce sujet le Moniteur ou le bulletin du tribunal révolutionnaire. Ayant eu soin de prendre mes vérifications sur la minute même de leur jugement, je puis offrir à mes lecteurs des renseignements authentiques:

1. Henri-François Croyer, âgé de 52 ans, ci-devant capitaine d'ouvriers d'artillerie, né à Laon (Aisne), demeurant à Verdun;

2. Jean-Baptiste Pellegrin, âgé de 52 ans, capitaine de gendarmerie, natif de Gondrecourt (Meuse), demeurant à Verdun;

3. Michel Joulin, âgé de 31 ans, gendarme, né à Cornet, en Anjou, demeurant à Verdun;

4. Nicolas Milly, âgé de 31 ans, gendarme, natif de Verdun;

5. Badillon-Leclerc, âgé de 42 ans, gendarme, né à Thionville, demeurant à Verdun;

6. Gérard Desprez, âgé de 50 ans, né à Givet de Saint-Hilaire, Ardennes, demeurant à Verdun, gendarme de la brigade de Verdun;

(p. 319) 7. Pierre Thuilleur, âgé de 61 ans, né à Verdun, y demeurant;

8. Henri-Barthélemy Grimoard, âgé de 70 ans, colonel d'un régiment provincial, de l'artillerie de Metz, natif de Verdun, y demeurant;

9. Jean-Baptiste-Philibert Perrin, âgé de 50 ans, droguiste, né et demeurant à Verdun;

10. Alexandre-Joseph Neyon, âgé de 57 ans, lieutenant-colonel du 2e bataillon de la Meuse, natif de Soisy, demeurant à Driencourt, même département;

11. Jean-Baptiste Barthe, âgé de 60 ans ½, receveur de la commune et juge de paix de la ville de Verdun, y demeurant, né à Thierville, Meuse;

12. Nicolas Lamele, âgé de 47 ans, avoué, né à Morge-Moulin, district d'Étain, demeurant à Verdun;

13. Jacques-Nicolas d'Aubermesnil, âgé de 75 ans, ci-devant major de la citadelle de Verdun, et y demeurant, né à Aubermesnil, près Dieppe;

14. Anne Grandfèvre, femme Tabouillot, âgée de 46 ans, née à Verdun, vivant de son revenu, demeurant à Verdun;

15. Thérèse Pierson, femme Bestel, cordonnière, âgée de 41 ans, demeurant à Verdun;

16. Marie-Françoise Henry, femme Lalance, âgé de 69 ans, née à Verdun, y demeurant;

17. Françoise Herbignon, veuve Masson, en son vivant procureur du tyran en la ci-devant maîtrise des eaux et forêts, âgée de 55 ans, née près Bar-le-Duc, demeurant à Verdun;

18. Susanne Henry, fille de Henry, président du ci-devant bailliage de Verdun, âgée de 26 ans, née et demeurant à Verdun;

19. Gabrielle Henry, aussi fille dudit Henry, âgée de 25 ans, née et demeurant à Verdun;

20. Marguerite-Angélique Lagirouzière, fille de Lagirouzière, prévôt de campagne, âgée de 48 ans, demeurant à Verdun;

21. Geneviève-Élisabeth Dauphin, veuve Brigand, capitaine des grenadiers de France, âgée de 56 ans, demeurant à Verdun;

22. Anne Vatrin, fille de défunt Vatrin, ci-devant militaire, âgée de 25 ans, née à Étain, demeurant à Verdun;

23. Henriette Vatrin, fille dudit Vatrin, âgée de 23 ans, née à Étain, demeurant à Verdun;

24. Hélène Vatrin, aussi fille dudit Vatrin, née à Étain, âgée de 22 ans, demeurant à Verdun;

25. Jean Gossin, âgé de 69 ans, ci-devant chanoine de la Madeleine de Verdun, né à Fresne en Lorraine;

26. Jean-Michel Colloz, âgé de 72 ans, ci-devant bénédictin, prieur de Saint-Thierry, archiviste et bibliothécaire de Verdun, natif du duché de Bouillon, demeurant à Verdun;

27. Guillain Lefebvre, âgé de 62 ans, ci-devant bénédictin, natif de Cartigny, près Péronne (Somme), demeurant à Verdun;

28. Claude-Élisabeth Lacordière, âgé de 59 ans ½, doyen du chapitre de la cathédrale de Verdun, y demeurant;

(p. 320) 29. Christophe Herbillon, âgé de 76 ans, ci-devant curé de Saint-Médard de Verdun, né à Boureuil, près Varennes (Meurthe), demeurant à Bar-sur-Ornain;

30. Marguerite Croutte, âgée de 48 ans, née à Verdun, horlogère;

31. François Chotain fils, âgé de 31 ans, né à Verdun, y demeurant, perruquier;

32. François Fortain, âgé de 43 ans, marchand cirier, demeurant à Verdun.

33. Jacques Petit, âgé de 50 ans, né et demeurant à Verdun.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Monet.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.

L'âge de Claire Tabouillot et de Barbe Henry, dont les noms figuraient sur la liste des accusés, leur fit trouver grâce près de leurs juges, qui se bornèrent à les condamner à vingt ans de détention et à six heures d'exposition sur l'échafaud!


Par jugement du tribunal révolutionnaire du 6 floréal an II (23 avril 1794), appert:

Jean-Nicolas Lallemand, âgé de 41 ans ½, né à Dieuze, département de la Meurthe, ex-curé de la ci-devant paroisse de Houdelmont, même département, y demeurant.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Hervé.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Étienne-Alexandre-Jacques Anisson du Perron, âgé de 44 ans, né à Paris, y demeurant, rue des Orties du Louvre, directeur de l'Imprimerie nationale;

2. Louis-Charles-Nicolas-Emmanuel Letoffier, âgé de 68 ans, né à Banon, district de Rethel, département des Ardennes, cultivateur, demeurant à Corbeil;

3. François Gourou, âgé de 35 ans, né à Tours, fabricant de papiers, demeurant à Paris, rue Nicaise;

4. Jean-Claude Jacquet, âgé de 59 ans, né à Lons-le-Saulnier, homme de loi, demeurant à Paris, rue Feydeau, no 38;

5. Jean-Baptiste le Bault, âgé de 30 ans, né à Paris, receveur des propriétés d'Anisson du Perron, ci-devant secrétaire du district de Corbeil, demeurant à Ris.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Hervé.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du tribunal révolutionnaire du 7 floréal an II (26 avril 1794), appert:

François-Albert Mangin, âgé de 34 ans, né à Genicourt, département de la Meuse, demeurant à Paris, faubourg Poissonnière, no 11, ci-devant cocher de place et de particulier.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tirard.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


(p. 321) Du même jour, appert:

Armande-Amédée-Victoire Baillard-Trousseboire, femme Bellecise, âgée de 18 ans révolus, née à Paris, y demeurant, rue Thorigny, et à la Motte, district de Cusset, département de l'Allier, ex-noble.

Avoir été condamnée, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tirard.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Gabriel Trinquelague, demeurant à Uzès, département du Gard, ci-devant capitaine au 34e régiment d'infanterie.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tirard.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour 7 floréal an II (26 avril 1794), appert:

1. Jean-Joseph Duc, âgé de 32 ans, né à Caman, district de Cluse, département du Mont-Blanc, notaire;

2. Joseph-Philibert Curton, âgé de 44 ans, né à Samoen, même district, habitant de la commune de Tanninge, même département;

3. Jean-Baptiste Bojonet, âgé de 43 ans, né à Tanninge, département du Mont-Blanc, y demeurant;

4. Et Claude-François Pralon, âgé de 58 ans, né à Tanninge, département du Mont-Blanc, y demeurant;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tirard.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 8 floréal an II (27 avril 1794), appert:

1. Jean-Pierre Lambert, âgé de 28 ans, né à Guyenne, département de Seine-et-Marne, garçon boucher;

2. François-Germain Savoye, âgé de 42 ans, né à Bezet-Germain, district de Château-Thierry, département de l'Ain, y demeurant, postillon et charretier d'artillerie;

3. Pierre Guéniot, vigneron, né à Sulpice de Favières, département de Seine-et-Oise, demeurant à Jon-la-Montagne;

4. Et Claude-Toussaint Leclerc, âgé de 60 ans, vigneron et cultivateur à Beaunecourt, lieu de sa naissance, y demeurant, département de Seine-et-Oise, assesseur de juge de paix.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 9 floréal an II (28 avril 1794), appert:

1. Pierre-Jean Jean, âgé de 20 ans, né à Colmey, département de la Moselle, y demeurant, tisserand;

2. Et Jean-Nicolas Nicolas, âgé de 52 ans, né à Archicourt, département de la Moselle, cordonnier, demeurant à Colmey.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


(p. 322) Par jugement du 9 floréal an II (28 avril 1794), appert que:

1. Gabriel-Louis Neufville, ci-devant duc de Villeroy[141], âgé de 63 ans, natif de Paris, y demeurant, rue de Lille, ci-devant Bourbon, no 552, ci-devant duc et pair et capitaine de la première compagnie française des gardes du dernier tyran;

2. Louis Thiroux Crosne, âgé de 57 ans, né à Paris, ci-devant lieutenant de police et conseiller d'État, demeurant à Paris, rue de Bracque, au Marais;

3. Philippe-Antoine-Gabriel-Victor de la Tour-du-Pin Gouvernet, âgé de 72 ans, natif de Fourent en Champagne, ci-devant marquis et lieutenant général des armées, demeurant à Auteuil lors de son arrestation;

4. Jean-Frédéric la Tour-du-Pin, âgé de 67 ans, né à Grenoble, département de l'Isère, ancien lieutenant général des armées, et ci-devant ministre de la guerre, qualifié comte, demeurant, lors de son arrestation, chez la Tour-du-Moulin Gouvernet, son parent, à Auteuil;

5. Claude Lemelletier, âgé de 37 ans, né à Commune-Affranchie, département de Rhône-et-Loire, chirurgien, demeurant à Trévoux, département de l'Ain;

6. Jean-Marie-Angélique Gabet, âgé de 34 ans, né à Commune-Affranchie, ci-devant membre du tribunal de Trévoux, y demeurant, et lors de son arrestation, à Paris, maison de Varsovie, rue des Bons-Enfants;

7. Catherine-Louise Lamoignon, âgée de 78 ans, née à Paris, y demeurant, rue de Grenelle, faubourg Saint-Germain, ci-devant marquise;

8. Denis-François Angrand Dalleray, âgé de 78 ans, né à Paris, demeurant cul-de-sac Pocquet, section de l'Homme-Armé, ci-devant lieutenant civil;

9. Charles-Grangier la Ferrière, âgé de 56 ans, né à Pont-Château, département de la Loire-Inférieure, général de brigade, arrêté à Mende;

10. Charles-Pierre-César-Prosper Mergot-Moutagon, âgé de 50 ans, natif de Précigné, ex-noble, ci-devant garde du tyran Capet;

11. Nicolas-François-Olivier Despalières, ex-noble, âgé de 61 ans, natif de (p. 323) Moulins, département de l'Allier, demeurant à Paris, rue du Paon, ci-devant chanoine de Montpellier;

12. Marguerite-Marie-Louise Brangelogne, veuve de Paris-Montbrun, âgée de 69 ans, née à Paris, y demeurant, rue Avoye, no 5, ex-noble;

13. Jean-Louis Bravart Deissat Duprat, âgé de 50 ans, né à Boujac, près Riom, en Auvergne, demeurant à Busset, district de Cusset, département de l'Allier, ex-noble et ci-devant comte;

14. Marie-Nicole Brangelogne, âgée de 67 ans, née à Paris, y demeurant, rue Avoye, ex-noble et ex-religieuse;

15. Madeleine Thouret, âgée de 31 ans, né à Moulins, département de l'Allier, y demeurant;

16. Thomas Gouffé, âgé de 50 ans, natif d'Étiolles, département de Seine-et-Marne, homme de loi, demeurant à Paris;

17. Charles-Hyacinthe Humbert, âgé de 28 ans, né à Connois, département de la Meurthe, ci-devant sous-lieutenant du 47e régiment ci-devant Lorraine, et actuellement vivant de son revenu;

18. François-Joseph Feydeau, âgé de 50 ans, né à Metz, ci-devant capitaine dans le régiment infanterie ci-devant Dauphin, demeurant à Paris, rue Neuve-Eustache, no 4;

19. François-Jean Pichard du Page, âgé de 44 ans, né à Fontenay-le-Peuple, ci-devant homme de loi, ex-procureur général syndic du département de la Vendée, en 1791, actuellement de la commune de Fontenay-le-Peuple, y demeurant;

20. Jean Chopinet dit Chevalier, âgé de 23 ans, né à Moulins, département de l'Allier, maréchal des logis du 7e régiment de hussards, demeurant à Paris, rue des Hommes-Libres;

21. Paul-Louis Deveylle, ex-noble, âgé de 54 ans, né à Châtillon-les-Nonce, département de l'Ain, demeurant à Garneray;

22. Charles-Marc-Antoine Jardin, âgé de 71 ans, ci-devant greffier en chef au Châtelet;

23. Alexandre-Benjamin Ropiquet, âgé de 42 ans, marchand de toiles et de tabac, natif de Saint-Longys, département de la Sarthe, demeurant à Paris, rue des Hommes-Libres;

24. Jacques-Joseph Jocaille dit Saint-Hilaire, âgé de 50 ans, natif de Cambray, district de Cambray, département du Nord, demeurant audit lieu, ex-noble;

25. Pierre Martin, âgé de 55 ans, né à Orléans, y demeurant, département du Loiret;

26. Armand-Louis-François-Edme Béthune-Charost, âgé de 23 ans, natif de Paris, demeurant à Calais, même département, ci-devant duc;

27. Aymar-Charles-François-Nicolaï, âgé de 57 ans, né à Paris, rue des Enfants-Rouges, ci-devant premier président du grand conseil;

28. Marie-Louise-Victoire Sourches, veuve Vallière, née à Paris, y demeurant, rue du Grand-Chantier, no 11;

29. Louise-Antoinette Farjaun, veuve Bussy, âgée de 68 ans, née à Montpellier, ci-devant comtesse, arrêtée à Chartres, demeurant à Paris, rue du Grand-Chantier, no 11.

(p. 324) 30. Antoine-Jean Terray, âgé de 44 ans, ci-devant intendant de Lyon, aujourd'hui Commune-Affranchie, ex-noble, né à Paris, demeurant à Lamotte-du-Tilly, district de Nogent-sur-Seine, département de l'Aube;

31. Joseph-Fidèle Ginot, âgé de 28 ans, né à Poitiers, département de la Vienne, ci-devant avocat au Parlement de Paris, demeurant rue du Grand-Chantier;

32. Marie-Nicole Pernet, femme Terray, âgée de 43 ans, née à Dijon, département de la Côte-d'Or, demeurant audit lieu de Lamotte;

33. Charles-Henri Estaing, âgé de 65 ans, natif de Ravel, département du Puy-de-Dôme, ancien amiral et lieutenant général, demeurant à Paris, rue Helvétius, no 52, section le Peletier;

Ont été condamnés à la peine de mort, et ordonné que l'exécution dudit jugement aurait lieu sur la place publique de la Révolution de cette ville, ledit jugement signé du président et du greffier.

Par procès-verbal dressé par Degaignée, un des huissiers du tribunal révolutionnaire, en date du 9 floréal de l'an II de la République française, une et indivisible, appert avoir été constaté que le jugement ci-dessus a été exécuté sur la place publique de la Révolution de cette ville, où lesdits susnommés ont été mis à mort.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 12 floréal (1er mai 1794), appert:

1. Augustin-Henri Langlois de Pommeuse, âgé de 50 ans, né à Paris, y demeurant, rue Chapon au Marais, ci-devant conseiller au ci-devant parlement de Paris;

2. Adélaïde-Sophie Chuppin, femme dudit Langlois de Pommeuse, âgée de 43 ans, née à Paris, y demeurant, rue Chapon, avec son mari;

3. Auguste-Louis Langlois de Guérard, âgé de 46 ans, né à Paris, y demeurant, rue des Bons-Enfants, section de la Halle au blé, ci-devant officier aux gardes;

4. Étienne Vignié, âgé de 40 ans, né à Rigueux, département de Seine-et-Marne, demeurant à Pommeuse, prêtre et chapelain du nommé Langlois de Pommeuse;

5. Claude-Louis Deligny, âgé de 44 ans, né à Boutigny, demeurant à Paris, cultivateur fermier de Langlois de Pommeuse;

6. Et Gervais Seurre, âgé de 44 ans, né à Migneville, demeurant à Paris, domestique de Langlois de Pommeuse;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 12 floréal (1er mai 1794), appert:

1. Pierre Landois, âgé de 30 ans, né à Saint-Nicolas, département de l'Eure, demeurant à Evreux, huissier;

2. Et Jean Glutron, âgé de 39 ans, né à Brovelle, demeurant à Évreux, entrepreneur de convois militaires, aubergiste;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Nappier.

Pour copie conforme, Lécrivain, greffier en chef.


(p. 325) Du même jour, appert:

1. Louis-Ignace Chalmeton, âgé de 40 ans, né à Chambonas, département de l'Ardèche, demeurant à Uzès, département du Gard, avocat procureur syndic du district d'Uzès;

2. Claude Ancôme Bernard, âgé de 32 ans, né à Besançon, département du Doubs, y demeurant, marchand de bois, notable de la commune, juge au tribunal de commerce, commandant en second de la garde nationale;

3. Jean-Antoine Poulet, âgé de 60 ans, né à Besançon, y demeurant, notable et commissaire de section, agent de Beaufremont;

4. Guillaume Nogaret, âgé de 46 ans, né à Dijon, département de la Côte-d'Or, demeurant à Besançon, commis marchand;

5. François-Joseph Monthon, âgé de 35 ans, né à Turin en Savoye (sic), demeurant à Burginien, département du Mont-Blanc, garde du tyran, Sarde et lieutenant de gendarmerie;

6. Et Jacques Rabaut, âgé de 56 ans, né à Jason, département (en blanc), demeurant à Marseille, négociant armateur;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Nappier.

Pour copie conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 13 floréal an II (2 mai 1798), appert:

1. Denis Carbillet, âgé de 52 ans, né à Langres, département de la Haute-Marne, demeurant à Paris, rue des Petites-Écuries, ci-devant menuisier du ci-devant d'Artois, lieutenant du ci-devant bataillon dit Saint-Lazare, section Poissonnière;

2. Pierre Diacon, âgé de 50 ans, né à Colombines, près Neufchâtel en Suisse, ancien militaire de la maison de la guerre, actuellement inspecteur des armes à feu à l'Arsenal, à Paris, y demeurant;

3. Et Laurent Pétra, âgé de 55 ans, né à la Fère en Tardenois, département de l'Aisne, ci-devant curé de la commune de Lévemont, département de l'Oise, et y demeurant;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 14 floréal (3 mai 1794), appert:

Denis Repoux Chevagny, âgé de 72 ans, né à Lazy, département de la Nièvre, ci-devant auditeur des comptes de Dôle, demeurant à Lazy;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement rendu au tribunal révolutionnaire, établi par la loi du 10 mars 1793, l'an II de la République, séant à Paris, au palais, le 14 floréal (3 mai 1794), appert:

1. Gabriel Tassin, dit de l'Étang, âgé de 50 ans, né et demeurant à Paris, rue Neuve-des-Petits-Champs, ci-devant banquier et commandant des Filles Saint-Thomas;

(p. 326) 2. Louis-Daniel Tassin, âgé de 52 ans, né et demeurant à Paris, rue des Filles-Saint-Thomas, ci-devant banquier, électeur, député suppléant à l'Assemblée constituante, officier municipal et administrateur des vivres à Paris;

3. Jean-Philippe Wenmaring, né à Malchem, département du Bas-Rhin, demeurant à Paris, rue de Gramont, ci-devant commis banquier et capitaine des grenadiers du bataillon des Filles-Saint-Thomas;

4. Simon Picquet, âgé de 39 ans, né à Strasbourg, demeurant à Paris, rue Neuve-des-Petits-Champs, marchand brocanteur, ci-devant aide de camp de Crillon le cadet à l'armée des Ardennes;

5. Pierre-Étienne Engibeau, âgé de 37 ans et demeurant à Paris, rue Vivienne, no 63, traiteur et ci-devant grenadier des Filles-Saint-Thomas;

6. François Parizeau, âgé de 50 ans, né à Ville-Affranchie, demeurant à Paris, rue de la Loi, ci-devant commissaire de la comptabilité, grenadier des Filles-Saint-Thomas et aide de camp de Lafayette;

7. Charles-Jean-Baptiste Deschamps Tresfontaines, âgé de 51 ans, né à Rouen, département de la Seine-Inférieure, demeurant à Paris, rue Colbert, employé aux droits d'enregistrement en qualité de sous-chef;

8. Joseph-Louis Maulguet, âgé de 46 ans, né à Paris, demeurant à Villers-Cotterets, département de l'Aisne, ci-devant architecte;

9. Thomas-Simon Bérard, âgé de 53 ans, né à Commune-Affranchie, demeurant à Paris, rue Gramont, section le Peletier, ci-devant négociant armateur, ex-capitaine de la 3e compagnie du bataillon des Filles-Saint-Thomas;

10. Pierre-Jacques Perret, âgé de 36 ans, né à Manteville, département du Calvados, demeurant à Évreux, département de l'Eure, ayant un autre domicile à Paris, rue Dominique, ci-devant agent de change et commandant du bataillon des Petits-Pères;

11. Louis-Gabriel d'Hangest, âgé de 48 ans, né à Rumilly, département des Ardennes, demeurant à Paris, rue Chabannais, ci-devant mousquetaire et chevalier de Saint-Louis, et actuellement papetier, grenadier des Filles-Saint-Thomas;

12. François-Henri Laurent, âgé de 28 ans, vitrier, né et demeurant à Paris, rue Feydeau;

13. Et Étienne-Jacques-Armand Rougemont, né à Coursemont, département de la Sarthe, directeur de la comptabilité des loteries;

Avoir été condamnés à la peine de mort, et ordonné que l'exécution dudit jugement aurait lieu sur la place publique de la Révolution de cette ville, ledit jugement signé du président et du greffier.

Par procès-verbal dressé par Degaignée, l'un des huissiers du tribunal révolutionnaire, en date du 14 floréal, appert avoir été constaté que le jugement ci-dessus a été exécuté sur la place publique de la Révolution de cette ville, où lesdits susnommés ont été mis à mort.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 15 floréal an II (4 mai 1794), appert:

1. François Lacroix, âgé de 52 ans, natif de Nancy, département de la (p. 327) Meurthe, ci-devant employé à la loterie nationale, demeurant à Paris;

2. Auguste-Joseph Saintenoy, âgé de 18 ans ½, confiseur, né à Orchies, demeurant à Paris;

3. Jean-François Durand, âgé de 24 ans, natif de Neufchâteau, gendarme à pied à la 32e division stationnaire à l'armée du Nord;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 15 floréal (4 mai 1794), appert:

1. Claude-Antoine Cleriac Labeaume, âgé de 61 ans, né à Nancy, département de la Meurthe, ex-marquis, demeurant à Paris, rue Cérutti, no 2;

2. Antoine Dutailly, âgé de 52 ans, né à Besançon, département du Doubs, y demeurant, homme de loi, agent de Choiseul-la-Beaume;

3. Claude-Philippe Moniotte, âgé de 76 ans, né à Besançon, y demeurant, ex-conseiller au présidial et juge du tribunal du district de Besançon;

4. Jacques-Louis le Bègue Oyseville, âgé de 58 ans, né à Pithiviers, y demeurant, département du Loiret, ex-noble, maire et président du district de Pithiviers, y demeurant;

5. Julien-François Boire, âgé de 68 ans, né à Paris, y demeurant, quai des Tournelles, no 6, ex-avocat au parlement de Paris;

6. Marie-Pierre-Thomas Mauvielle, âgé de 59 ans, né à Coutances, département de la Manche, demeurant à Saint-Lô, même département;

7. Georges le Bienlais de Wiesval, âgé de 76 ans, né au Rocher, district d'Avranches, département de la Manche, demeurant à Paris, rue du Four-Germain, no 52, ex-noble, et lieutenant-colonel de cavalerie et chevalier de Saint-Louis;

8. Marc-Antoine Levis, âgé de 55 ans, né à Lugny, département de Saône-et-Loire, ex-comte et chevalier de Saint-Louis, et ex-député à l'Assemblée constituante, demeurant à Paris, rue Helvétius, no 53;

9. Théodore-Joseph Boissard, âgé de 56 ans, né à Pontarlier, département du Doubs, y demeurant, ex-avocat et procureur syndic du district de Pontarlier;

10. Et Charles-Jérôme, âgé de 37 ans, né à Paris, y demeurant, rue de Seine, no 1064, notaire;

Avoir été condamnés à la peine de mort, et ordonné que l'exécution dudit jugement aurait lieu sur la place publique de la Révolution de cette ville, le jugement signé du président et du greffier.

Par procès-verbal dressé par Degaignée, l'un des huissiers du tribunal, en date du 15 floréal, appert avoir été constaté que le jugement ci-dessus a été exécuté sur la place publique de la Révolution de cette ville, où lesdits susnommés ont été mis à mort.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 16 floréal an II (5 mai 1794), appert:

1. Jacques-Jean la Bussière, âgé de 53 ans, né de la commune de Dampierre, (p. 328) demeurant à Angelier, département de la Nièvre, ancien capitaine du régiment d'Auvergne, ex-noble;

2. Marie-Caconne-Joséphine Thomassine Duverne, âgée de 36 ans, native de Mingot, demeurant à Cosne, département de la Nièvre;

3. Jeanne Dreux, femme Lichy, ex-noble, âgée de 62 ans, native de Sauvigny, département de l'Allier, demeurant à Cosne;

4. Et Marie-Florence Valori, veuve de François-Étienne Mazin, noble, âgée de 67 ans, native du Quesnoy, demeurant à Dampierre, département de la Nièvre;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 16 floréal (5 mai 1794), appert:

1. Claude-Françoise Loisellier, âgée de 47 ans, de Paris, y demeurant, ci-devant faiseuse de modes;

2. Félicité-Mélanie Lunouf, âgée de 21 ans, née à Paris, demeurant rue Montmartre, ouvrière en robes;

3. Marie-Madeleine Virolle, âgée de 25 ans, née à Angoulême, coiffeuse, demeurant à Paris, rue Coquillière;

4. Jacques Duchesne, âgé de 60 ans, né à Verdun, demeurant à Chaillot, facteur militaire de la section des Champs-Élysées;

5. Et Jean Sauvage, âgé de 34 ans, armurier et canonnier du Panthéon français;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Hervé.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement rendu au tribunal révolutionnaire, etc., le 17 floréal an II (6 mai 1794), appert:

1. Henri-Jacques Poulet, âgé de 56 ans, natif de Metz, département de la Moselle, ex-noble et ci-devant conseiller au parlement de Metz, et procureur syndic du département de la Moselle;

2. Matthieu Sequer, âgé de 65 ans, né à Daillange, district de Briey, département de la Moselle, homme de loi, membre du directoire du département de la Moselle, demeurant à Briey;

3. Jean-Christophe Thibault, âgé de 60 ans, né à Isminy, district de Dieuze, département de la Meurthe, employé dans les salines, ex-administrateur du département de la Moselle, demeurant à Metz;

4. Martin Baulaire, âgé de 38 ans, né à Rodemack, district de Thionville, département de la Moselle, demeurant à Metz;

5. Jean-Claude Géant, âgé de 41 ans, natif de Ravil, district de Boulay, département de la Moselle, maire et aubergiste à Pont-à-Chaussy, ex-administrateur du département de la Moselle;

6. François Collin, âgé de 54 ans, né à Metz, département de la Moselle, ex-administrateur dudit département;

7. Michel Wagner, âgé de 43 ans, cultivateur et ex-administrateur du département de la Moselle, né à Sarre-Libre;

(p. 329) 8. Jacques Libre Briand, âgé de 34 ans, né à Paris, demeurant à Buchy, district de Morhange, département de la Moselle, et agent national près le même district;

9. Jean-Baptiste-Nicolas Flosse le jeune, âgé de 36 ans, né à Boulay, département de la Moselle, maître de poste et entrepreneur des étapes, membre du directoire du département de la Moselle, demeurant à Boullay;

10. Jacques-Libre Pierron, âgé de 32 ans, natif de Villers-la-Montague, district de Longwy, département de la Moselle, juge au tribunal de Briey, y demeurant;

11. Et Alexandre-Nicolas Courtois, âgé de 33 ans, natif de Longuyon, district de Longwy, département de la Moselle, suppléant au tribunal du district et ex-administrateur du département de la Moselle;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 17 floréal an II (6 mai 1794), appert:

1. Charles-Joseph Lejollivet, âgé de 67 ans, ingénieur vétéran des ponts-et-chaussées et architecte du ci-devant Roi, né à Orléans, demeurant à Dijon;

2. Denis Lamugnière, âgé de 65 ans, né à Poiseul-les-Saulx, département de la Côte-d'Or, greffier de la ci-devant maîtrise des eaux et forêts de Dijon, y demeurant;

3. Étienne Guelaud, âgé de 60 ans, né à Dijon, département de la Côte-d'or, avoué au tribunal de commerce dudit lieu, y demeurant;

4. Joseph Galleton, âgé de 50 ans, perruquier, né à Dijon, département de la Côte-d'Or, y demeurant;

5. Jean-Baptiste Thierry, âgé de 29 ans, perruquier, né à Dijon, y demeurant;

6. Claude Joudrier, âgé de 36 ans, perruquier, né à Dijon, y demeurant;

7. Jacques Testard, âgé de 49 ans, né à Saulieu, département de la Côte-d'Or, ci-devant procureur à Dijon, y demeurant;

8. François Bille, âgé de 26 ans, perruquier, né à Dijon, y demeurant;

9. Jean-Baptiste Sallez, âgé de 42 ans, né à Mâcon, limonadier, demeurant à Saulieu (Côte-d'Or);

10. Jean-Baptiste Guenot, âgé de 46 ans, né à Autun, département de la Haute-Saône, commis dans la régie des cuirs à Dôle avant la révolution, et depuis pour l'approvisionnement des armées, demeurant à Saint-Jean de Losne;

11. Claude Chaussier, âgé de 51 ans, marchand de bois pour le service de la marine, né à Dijon, y demeurant;

12. Alexandre Jaucourt, âgé de 56 ans, né à Cernay, département du Loiret, ex-marquis, demeurant à Arcomey;

13. Et Charlotte-Aimée Damoiseau, femme Montheraut, ex-noble, âgée de 67 ans, née à Vizerny, département de la Côte-d'Or, demeurant à Dijon;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par l'un des huissiers du tribunal révolutionnaire.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


(p. 330) Par jugement du 18 floréal (7 mai 1794), appert:

1. Jean-François Rameau, âgé de 57 ans, ex-député suppléant à l'Assemblée constituante et assesseur du juge de paix de Cosne, y demeurant;

2. Jean-Louis-Rameau, âgé de 72 ans, natif de Neuzy, assesseur du juge de paix de Cosne, y demeurant;

3. Et Jean-François Guillaumot, âgé de 27 ans, né à Clamecy, département de la Nièvre, demeurant à Cosne, ci-devant clerc de notaire;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

François Petit-Jean, âgé de 48 ans, né à Toul, y demeurant, département de la Meurthe, ci-devant trésorier des dépenses de la guerre;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. François-René-Louis Chevandier, âgé de 32 ans, né à Valdrôme, y demeurant, département de la Drôme, lieutenant dans la gendarmerie nationale;

2. Vincent Ferrier, âgé de 33 ans, né à Rieux, département de la Haute-Garonne, demeurant au Buis;

3. Joseph Sulpice, âgé de 23 ans, né au Mans, département de la Sarthe, ci-devant domestique chez Duclos Besignan, demeurant commune de ce nom, département de la Drôme;

4. Joseph-Hyacinthe Guintrand, âgé de 30 ans environ, matelassier, demeurant à Vezon, ci-devant Comtat, département de la Drôme;

5. Jean-Joseph Fity, âgé de 30 ans, né à Nevers, département de la Nièvre, menuisier, demeurant au Buis;

6. Et François Paschal, âgé de 30 ans, né à Lecan, département des Basses-Alpes, demeurant au Buis, département de la Drôme;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 19 floréal an II (8 mai 1794), appert:

1. Clément de Laage père, âgé de 70 ans, ci-devant fermier général, demeurant à Paris, rue Neuve-Grange-Batelière, né à Saintes, département de la Charente-Inférieure;

2. Louis-Balthazar Dangers-Bagneux, âgé de 55 ans, né à Paris, y demeurant, rue des Quatre-Fils, ci-devant fermier général;

3. Jacques Paulze, âgé de 71 ans, né à Montbrison, département de Seine-et-Oise, demeurant à Paris, rue des Piques, ci-devant fermier général;

4. Antoine-Laurent Lavoisier, âgé de 50 ans, né à Paris, y demeurant, boulevard de la Madeleine, section des Piques, ci-devant fermier général.

5. François Puissant, âgé de 59 ans, né au Port de l'Égalité, département du Morbihan, demeurant à Paris, rue Mesnard, ci-devant fermier général;

(p. 331) 6. Alexandre-Victor Saint-Amand, âgé de 74 ans, né à Marseille, ci-devant fermier général, demeurant à Paris, rue Neuve-des-Petits-Champs, vis-à-vis celle d'Antin;

7. Gilbert-Georges Monteloup, âgé de 68 ans, né à Montaigne, département du Puy-de-Dôme, ci-devant fermier général, demeurant à Paris, rue Honoré, no 88;

8. Adam-François-Paul Saint-Christau, âgé de 44 ans, né à Rennes, département d'Ille-et-Vilaine, ci-devant fermier général, demeurant à Paris rue Thévenot, et, à la campagne, à la Ferté-sous-Reuilly, département de l'Indre, district d'Issoudun;

9. Jean-Baptiste Boullongne, âgé de 45 ans, né à Paris, y demeurant, place de la Révolution, ci-devant fermier général;

10. Louis-Marie le Bas Courmon, âgé de 52 ans, né à Paris, y demeurant, rue Cérutti, ci-devant fermier général, et depuis régisseur général;

11. Charles-René Perceval Frileuse, âgé de 35 ans, né à Paris, y demeurant, rue Thérèse, section de la Montagne, et actuellement à Nantes-sur-Seine, ci-devant fermier général;

12. Nicolas-Jacques Papillon Dauteroche, âgé de 64 ans, né à Châlons, département de la Marne, district de ce nom, ci-devant fermier général, demeurant à Paris, rue Madeleine-Honoré;

13. Jean-Germain Maubert Neuilly, âgé de 64 ans, né à Paris, ci-devant fermier général, demeurant à Noisy-le-Grand;

14. Jacques-Joseph Brac la Perrière, âgé de 68 ans, né à Ville-Affranchie, département de Rhône-et-Loire, ci-devant fermier général, demeurant à Mantes-sur-Seine, département de Seine-et-Oise;

15. Claude-François Rougeot, âgé de 76 ans, natif de Dijon, département de la Côte-d'Or, ci-devant fermier général, demeurant à Paris, rue de la Révolution, no 23, ayant un domicile à Fontainebleau;

16. François-Jean Vente, âgé de 68 ans, né à Dieppe, département de la Seine-Inférieure, ci-devant fermier général, demeurant à Paris, rue de Gramont;

17. Denis-Henri Fabure, âgé de 47 ans, né à Paris, ci devant fermier général, demeurant à Caen, département du Calvados;

18. Nicolas Deveile, âgé de 44 ans, natif de Lagrele, département de Rhône-et-Loire, ex-fermier général, demeurant à Paris, place des Piques, section du même nom;

19. Clément Cugnat l'Épinay, âgé de 55 ans, né à Paris, ex-fermier général, y demeurant, rue de la Jussienne, section du Contrat-Social;

20. Jean-Louis Loiseau Béranger, âgé de 62 ans, né à Paris, ex-fermier général, rue Neuve-Luxembourg, section des Piques;

21. Louis-Adrien Prévost d'Arlincourt, âgé de 50 ans, natif d'Évreux, département d'Eure-et-Loir, ex-fermier général, demeurant à Migny-le-Hameau, district de Versailles, département de Seine-et-Oise;

22. Jérôme-François-Hector Saleur de Grizian, âgé de 64 ans, né à Paris, ci-devant fermier général, demeurant à Paris, rue des Moulins, section de la Montagne, no 496;

23. Étienne-Marc de Haye, âgé de 36 ans, natif de Paris, ci-devant fermier (p. 332) général, demeurant à Paris, place de la Révolution, no 3, et dans la commune de Saint-Firmin, district de Senlis, département de l'Oise;

24. François-Marie Ménage Pressigny, âgé de 60 ans, natif de Bordeaux, ex-fermier général, demeurant à Paris, rue des Jeûneurs, no 25, section de Brutus;

25. Guillaume Couturier, âgé de 60 ans, natif d'Orléans, ci-devant fermier général, demeurant à Paris, rue de Cléry, section de Brutus;

26. Louis-Philippe Durancel, âgé de 40 ans, natif de Paris, ex-fermier général, demeurant à Paris, rue Cadet, no 8, section du Faubourg-Montmartre;

27. Alexandre-Philibert-Pierre Perceval, âgé de 36 ans, né à Paris, ex-fermier général, demeurant à Grainville, district de Caen, département du Calvados;

28. Jean-François Didelot, âgé de 59 ans, né à Châlons-sur-Marne, ex-fermier général et régisseur, demeurant à Paris, rue de Buffaut, section du Faubourg-Montmartre;

Avoir été condamnés à la peine de mort, et ordonné que l'exécution dudit jugement aurait lieu sur la place publique de la Révolution de cette ville, ledit jugement signé du président et du greffier.

Par procès-verbal dressé par Leclerc, huissier du tribunal révolutionnaire, en date du 19 floréal, appert avoir été constaté que le jugement ci-dessus a été exécuté sur la place publique de la Révolution de cette ville, où les susnommés ont été mis à mort.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 21 floréal an II (10 mai 1794), appert:

1. Élisabeth-Marie-Hélène Capet, sœur de Louis Capet, âgée de 30 ans, native de Versailles, département de Seine-et-Oise, domiciliée à Paris;

2. Anne Duwaes, âgée de 55 ans, native de Keisnith, en Allemagne, domiciliée à la Montagne-du-Bon-Air, département de Seine-et-Oise, veuve de....... Laigle, ci-devant marquis;

3. Louis-Bernardin Leneuf Sourdeval, ex-comte, âgé de 69 ans, natif de Caen, département du Calvados, domicilié à Chatou, département de Seine-et-Oise;

4. Anne-Nicole Lamoignon, âgée de 76 ans, native de Paris, y domiciliée, veuve du ci-devant marquis de Senozan;

5. Claude-Louise-Angélique Bersin, ex-marquise, âgée de 64 ans, native de Paris, y domiciliée, femme séparée de corps et de biens de Crussol d'Amboise;

6. Georges Folloppe, pharmacien, ex-officier municipal de la Commune, âgé de 64 ans, natif de Écalalix, près Yvetot, domicilié à Paris, rue et porte Honoré;

7. Denise Buard, âgée de 52 ans, native de Paris, y domiciliée, rue Florentin, no 674;

8. Louis-Pierre-Marcel Letellier, dit Bullier, ci-devant employé à l'habillement (p. 333) des troupes, âgé de 21 ans et demi, natif de Paris, y domicilié, rue Florentin, no 674;

9. Charles Cressy Champmilon, ex-noble et ci-devant officier de marine, âgé de 33 ans, natif de Courton, près Sens, département de l'Yonne, y domicilié;

10. Théodore Hall, manufacturier et négociant, âgé de 26 ans, natif de Seuzy, département de l'Yonne, y domicilié;

11. Alexandre-François Lomenie, ex-comte, et ci-devant colonel du régiment des chasseurs dit Champagne, âgé de 36 ans, natif de Marseille, domicilié à Brienne, département de l'Aube;

12. Louis-Marie-Athanase Lomenie, ex-ministre de la guerre et maire de Brienne, âgé de 64 ans, natif de Paris, domicilié à Brienne, département de l'Aube;

13. Antoine-Hugues-Calixte Montmorin, sous-lieutenant dans le 5e régiment des chasseurs à cheval, âgé de 22 ans, natif de Versailles, département de Seine-et-Oise, domicilié à Passy;

14. Jean-Baptiste Lhoste, agent et domestique de Megret de Sérilly, âgé de 47 ans, natif de Forgère, domicilié à Paris;

15. Martial Lomenie, ex-noble et coadjuteur de l'évêché du département de l'Yonne, âgé de 30 ans, natif de Marseille, domicilié à Sens;

16. Antoine-Jean-François Megret de Sérilly, ci-devant trésorier général de la guerre, et depuis cultivateur, âgé de 48 ans, natif de Paris, domicilié à Passy, près Sens;

17. Antoine-Jean-Marie Megret Detigny, ex-noble, ci-devant sous-aide-major du régiment des ci-devant gardes françaises, âgé de 46 ans, natif de Paris, domicilié à Sens;

18. Charles Lomenie, ci-devant chevalier des ordres dits de Saint-Louis et de Cincinnatus, âgé de 33 ans, natif de Marseille, domicilié à Brienne, département de l'Aube;

19. Françoise-Gabrielle Tanneffe, âgée de 50 ans, native de Chadieu, département du Puy-de-Dôme, domiciliée chez Megret Sérilly, à Passy, département de l'Yonne, veuve de Montmorin, ministre des affaires étrangères;

20. Anne-Marie-Charlotte Lomenie, âgée de 29 ans, native de Paris, domiciliée à Sens et à Paris, rue Georges, section du Mont-Blanc, no 18, divorcée de l'émigré Canizy;

21. Marie-Anne-Catherine Rosset, âgée de 44 ans, native de Rochefort, département de la Charente, domiciliée à Sens, mariée à Charles-Christophe Rosset Cercy, ci-devant officier de marine, émigré;

22. Élisabeth-Jacqueline Lhermitte, âgée de 65 ans, mariée au ci-devant comte Rosset, ex-noble et ci-devant lieutenant-colonel des carabiniers, et maréchal de camp, émigré;

23. Louis-Claude Lhermitte Chambertrand, ex-chanoine de la ci-devant cathédrale de Sens, ex-noble, âgé de 60 ans, natif de Sens;

24. Anne-Marie-Louise Thomas, âgée de 31 ans, native de Paris, domiciliée à Passy, département de l'Yonne, mariée à Megret Sérilly;

(p. 334) 25. Jean-Baptiste Dubois, domestique de Megret Detigny, âgé de 41 ans, natif de Merfit, district de Reims, département de la Marne, domicilié chez ledit Megret Detigny.

Avoir été condamnés, etc. Vu l'extrait du jugement du tribunal révolutionnaire et du procès-verbal d'exécution dressé par Château, en date du 21 floréal.

Signé: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 22 floréal an II (11 mai 1794), appert:

1. Angélique Des Marais, âgée de 59 ans, née à Paris, y demeurant, rue Saint-Étienne, ci-devant religieuse des Filles Saint-Thomas;

2. Geneviève-Barbe Guoyon, âgée de 77 ans, née à Paris, demeurant rue Saint-Étienne, couturière;

3. Anne-Catherine Aubert, âgée de 39 ans, ex-religieuse, demeurant rue Saint-Étienne;

4. Antoine-Louis Desmonceaux, âgé de 37 ans, né à Paris, ci-devant vicaire de Saint-Paul, et actuellement commis des Receveurs de la Ville, demeurant à Paris;

5. Et Louis-Paul-François Lecointre, âgé de 73 ans, né à Nogent-le-Rotrou, ex-chanoine du Mans, demeurant à Paris, rue du Paon.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Joseph-Saint-Germain de Villeplat, âgé de 66 ans, ci-devant fermier général, né à Valence, département de la Drôme, demeurant à Fontainebleau;

2. Et Marie-Marguerite Pericard, veuve Ressy, âgée de 71 ans, née à Roinville, près Dourdan, demeurant à Paris, cul-de-sac Saint-Pharon;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 23 floréal an II (12 mai 1794), appert:

1. Hugues Lastic, âgé de 74 ans, ex-comte et noble, né à Saint-Martin-sous-Liron, district de Saint-Flour, département du Cantal, demeurant à Lescure, près Saint-Flour;

2. Pierre Raclet, âgé de 70 ans, né à Dijon, ex-directeur de la Régie générale, demeurant à Sommevoire, département de la Haute-Marne;

3. Nicolas-François Bocquenet, âgé de 52 ans, né à Coiffy, département de la Haute-Marne, homme de loi, demeurant à Chaumont, susdit département;

4. Alexandre Thomassin, âgé de 44 ans, né à Saint-Dizier, département de la Haute-Marne, ex-noble, demeurant à Saint-Dizier;

5. Alexandre-Claudine-Félicité Mandat, femme Thomassin, âgée de 26 ans, née à Neuilly, département de la Haute-Marne, demeurant à Saint-Dizier;

(p. 335) 6. Et Jean Fougeret, âgé de 60 ans, né à Paris, y demeurant, rue du Grand-Chantier, ex-receveur général des finances.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Joseph-Didier Vailleraut, âgé de 62 ans, né à Langres, département de la Haute-Marne, ci-devant curé de Montargis, y demeurant;

2. Et Jean-Baptiste-Benjamin Lambert, âgé de 23 ans, né à Dieppe, département de la Seine-Inférieure, surnuméraire au bureau de l'enregistrement à Dieppe, y demeurant.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 24 floréal an II (13 mai 1794), appert:

1. Jacques-Amable-Gilbert Rollet-Davaux, ex-noble, ex-président du ci-devant présidial de la ci-devant sénéchaussée de Riom, né à Riom, département du Puy-de-Dôme, âgé de 68 ans;

2. Adrienne-Françoise Vilaine Davaux, femme dudit Rollet, âgée de 59 ans, ex-noble, née à la Châtre, département de l'Indre, demeurant à Riom;

3. André Louher, âgé de 67 ans, notaire, etc., procureur fiscal dudit Rollet-Davaux, né à Billy, département de l'Allier, demeurant à Puyredan;

4. Jean-Baptiste Vlebeski, âgé de 48 ans, ci-devant contrôleur des vingtièmes, né à Longueville-en-Caux, département de la Seine-Inférieure, actuellement visiteur des rôles, demeurant à Dieppe, même département;

5. Et Anne-Joseph Lauloup, âgé de 65 ans, ex-noble et médecin à Saint-Loup, département des Côtes-du-Nord, y demeurant.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Leclerc.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Gilles Joüen, maréchal des logis du régiment ci-devant dragons Conty, demeurant à Pacy, département de l'Eure;

2. Et Étienne Mauger, âgé de 40 ans, né à Rouen, ex-bénédictin et curé constitutionnel de Wy, près de Rouen, y demeurant.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Leclerc.

Pour copie conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 25 floréal an II (14 mai 1794), appert:

1. Charles-Adrien Prévôt d'Arlincourt, âgé de 73 ans, ci-devant secrétaire de Capet et fermier général, natif de Doullens, département de la Somme, demeurant au Mont-Valérien;

2. Louis Mercier, âgé de 78 ans, né à Paris, y demeurant, rue Bergère, ci-devant fermier général;

(p. 336) 3. Jean-Claude-Doüet, âgé de 73 ans, né à Ville-Affranchie, département de Rhône-et-Loire, ci-devant fermier général, demeurant à Paris, rue Bergère;

4. Et Marie-Claude Bataille-Frances, femme Doüet, âgée de 60 ans, née à Strasbourg, département du Bas-Rhin, demeurant à Paris, rue Bergère.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Nappier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 25 floréal an II (14 mai 1794), appert:

1. François Dominique Mory, âgé de 56 ans, ex-noble, né à Nancy, département de la Meurthe, y demeurant, homme de lettres;

2. Léopold-Remi-François Mori, âgé de 18 ans et demi, né à Boudonville, près Nancy, pharmacien à l'hospice de Nancy, y demeurant;

3. Pierre-Agricole Sagny, âgé de 28 ans, né à Troly-aux-Bois, près Soissons, département de l'Aisne, hussard au 6e régiment, en garnison à Chauny;

4. Et Benoît Pinteux-Gournay, âgé de 24 ans, né à Limoges, département de la Haute-Vienne, tisserand, demeurant à Borny, département de l'Eure.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Nappier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

Jacques Yel, âgé de 47 ans, natif d'Arnouville, département du Cher, ci-devant procureur du ci-devant parlement de Paris, demeurant à La Motte, département du Cher.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Nappier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 26 floréal an II (15 mai 1794), appert:

1. Pierre-Antoine-Joseph Chiavarry, âgé de 38 ans, né à Arles, département des Bouches-du-Rhône, y demeurant, ex-noble et capitaine au ci-devant régiment Dauphin infanterie;

2. Antoine-Barthélemy Fassin, âgé de 41 ans, médecin, né à Arles, département des Bouches-du-Rhône, y demeurant;

3. Étienne Meynier, âgé de 65 ans, né à Nîmes, département du Gard, y demeurant, ex-noble et ex-constituant;

4. Alexandre Fénard, âgé de 44 ans, né à Bitche, département de la Moselle, ex-notaire, procureur syndic du district de Bitche, y demeurant;

5. Pierre Henry, âgé de 56 ans, né à Sarreguemines, département de la Moselle, demeurant à Bouquenom, greffier du tribunal de Neuf-Savardin, département du Bas-Rhin, membre du district de Bitche;

6. Dominique Knœpffler, âgé de 37 ans, né à Bitche, y demeurant, administrateur du district de Bitche;

(p. 337) 7. Et Matthieu Blass, âgé de 44 ans, né à Schwatzenhotz, cultivateur, demeurant à Bouquenom, administrateur du district de Bitche.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

François Bertrand, né à Saint-Fleury en Auvergne, département du Puy-de-Dôme, ferblantier, demeurant à Seurre, département de la Côte-d'Or.

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 27 floréal an II (16 mai 1794), appert:

1. Jean-Pierre Gravier, âgé de 56 ans, né à Colmars, département des Basses-Alpes, demeurant à Mons, district de Loudun, département de la Vienne, ci-devant secrétaire du tyran;

2. Antoine-Louis Lartigue, âgé de 60 ans, né à Toulouse, département de la Haute-Garonne, demeurant à Fontenay-aux-Roses, curé de ladite commune;

3. Jean-Baptiste Aubisso, âgé de 39 ans, né à Bergerac, département de la Dordogne, y demeurant, et à Paris, rue Helvétius, no 673, commissaire à Tirier;

4. Charles Bezard, âgé de 49 ans, né à Montpellier, demeurant à Paris, rue Neuve-des-Capucines, négociant, ex-administrateur de la caisse d'escompte;

5. Théodore Moreau, âgé de 28 ans, né à Paris, demeurant à Versailles, professeur de mathématiques, adjoint aux adjudants généraux de l'armée du Nord;

6. Et Pierre-Louis Rousselet, âgé de 52 ans, né à Beaugency, département du Loiret, ci-devant bénédictin, et curé constitutionnel de la commune de Damme-Marie-les-Fontaines, y demeurant;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Leclerc.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Jean-Baptiste Toulon, âgé de 36 ans, né à Saint-Martignan, district de Luçon, département de l'Allier, garde des bois nationaux, demeurant à Lonbeau, commune d'Archignac, même département;

2. François Toulon, âgé de 33 ans, aussi garde des bois nationaux, né audit Martignan, demeurant à Nocy, département de l'Allier;

3. Et Jean-Baptiste Baret, âgé de 33 ans, né à Vicq-sur-Hautbois, district de la Châtre, département de l'Indre, y demeurant, cultivateur, et ci-devant huissier;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Leclerc.

Pour copie conforme, Lécrivain, greffier en chef.


(p. 338) Par jugement du 28 floréal an II (17 mai 1794), appert:

1. Antoine Labattu, âgé de 48 ans, né à Valence-d'Agen, département de Lot-et-Garonne, demeurant à Paris, rue Bourg-l'Abbé, no 57, cordonnier soumissionnaire et fournisseur de souliers pour les armées de la République;

2. Bertrand Dora, âgé de 38 ans, né à Savignac, demeurant à Orléans, tailleur d'habits, membre du comité militaire de la commune d'Orléans, surveillant d'un atelier d'habillements pour les défenseurs de la République;

3. François Ledet, âgé de 28 ans, né à Ganville-d'Aumale, département de Paris, soumissionnaire et fournisseur de la République;

4. François Le Roy, âgé de 41 ans, né à Orléans, département du Loiret, y demeurant, tondeur de draps et fournisseur de la République;

5. Et Timothée Deligny, âgé de 55 ans, né à Paris, résidant à Rouen, département de la Seine-Inférieure, colleur de papiers.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


Du même jour, appert:

1. Claude Rougaune, âgé de 70 ans, ci-devant curé à Clermont-Ferrand, natif d'Écure, département de l'Allier, demeurant au Mont-Valérien, près Paris;

2. Guillaume-Jérôme Romé, ex-noble, âgé de 46 ans, né à Fécamp, département de la Seine-Inférieure, demeurant à Paris, rue de la Loi;

3. Jean-François-Sixte Isnard, âgé de 29 ans, né à Cygalière, district de Tarascon, département des Bouches-du-Rhône, ex-noble, se disant cultivateur, demeurant à Cygalière;

4. Raymond-Gabriel Dusaulnier, ex-noble, âgé de 61 ans, né à Brioude, demeurant à Boursat, département du Puy-de-Dôme;

5. Louis Millange, âgé de 45 ans, né à Valroque dans les Cévennes, district du Vigan, département du Gard, quartier-maître-trésorier du premier corps des hussards de la Liberté;

6. Et François Périllat, né à Grand-Bouvion, département du Mont-Blanc, demeurant à la Suze, même district.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Wolff, greffier.


Par jugement du 29 floréal an II (18 mai 1794), appert:

1. André Sabatery, âgé de 33 ans, né à Valréas, département de Vaucluse, maire de la commune de ce nom, demeurant audit Valréas;

2. Antoine Mathieu, âgé de 30 ans, né à Saint-Martin de Chichilienne, département de l'Isère, emballeur aux effets de campement de Franciade, département de Paris, y demeurant;

3. Jean Porta, âgé de 24 ans, maçon, né à Bansia, dans les États de Venise, demeurant à Paris, caserne Popincourt, canonnier;

4. Et Claude Cézeron, âgé de 26 ans, né à Paris, commis de receveur (p. 339) des rentes, demeurant à Paris, rue de l'Échiquier, section Poissonnière.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Monet.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Philibert-Pierre-Catherine Bourrée-Corberon, âgé de 47 ans, né à Paris, ex-noble, et lieutenant aide-major des gardes françaises, demeurant à Beauvais;

2. Jean-Félix Blanquet, âgé de 59 ans, né à Dieppe, département de la Seine-Inférieure, y demeurant, épicier armateur;

3. Jean-Louis Dipse, âgé de 56 ans, né district de Dieppe, y demeurant, vivant de son revenu;

4. Claude-François Colliez, âgé de 42 ans, né à Paris, agent de Bourrée de Corberon, demeurant à Troissereux, district de Beauvais;

5. Denis-Joseph Clerc, âgé de 56 ans, natif de Lacheux, district de Pontarlier, département du Doubs, y demeurant, fileur de laine;

6. Pierre-André Teyssert, âgé de 53 ans, né à Marseille, demeurant à Mâcon, département de Saône-et-Loire, teneur de livres de commerce;

7. Et Louis Pacot, âgé de 34 ans, né à Couvin, pays de Liége, ex-prêtre, demeurant à Guymenée, dans ledit pays.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Monet.

Pour extrait conforme, Neyrot, commis greffier.


Par jugement du 1er prairial (20 mai 1794), appert:

1. Jean-Antoine Teyssier, âgé de 50 ans, né à Nîmes, département du Gard, ex-baron, et ex-constituant, et ex-maire de Nîmes, demeurant à Lagny-sur-Marne;

2. Jacques-Marie Boyer-Brun, âgé de 39 ans, né à Nîmes, homme de lettres, ex-substitut du procureur de la commune de Nîmes, demeurant à Paris, rue des Fossés-Montmartre, no 7;

3. Jacques-François Descombiers, âgé de 66 ans, né à Nîmes, ex-noble, ancien lieutenant au ci-devant régiment royal d'infanterie, demeurant à Nîmes;

4. Jean Filsac, âgé de 36 ans, né à Cahors, département du Lot, y demeurant, homme de loi, et secrétaire général du département du Lot;

5. Pierre-Constant La Barthe, âgé de 74 ans, né à Cessac, département du Lot, ci-devant négociant, demeurant à Pradines, près Cahors;

6. Jean-Nicolas Burgère, âgé de 41 ans, né à Cahors, y demeurant, ex-notaire et ex-juge du tribunal du district de Cahors;

7. Charlotte-Geneviève Saisseval, veuve Dutillet, âgée de 49 ans, née à Paris, demeurant à Provins, département de Seine-et-Marne;

8. Et Marie-Thérèse Clerse, femme Rolland, âgée de 48 ans, née à Paris, femme de chambre de la femme Dutillet, demeurant à Provins;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


(p. 340) Du même jour, 1er prairial (20 mars 1794), appert:

1. François-Alexandre Suremain, âgé de 38 ans, ex-noble, vivant de ses revenus, natif d'Ossone, département de la Côte-d'Or;

2. Marie-Pierrette Heneveux, veuve de Le Pelaprat, âgée de 47 ans, native de Paris, libraire, demeurant à Paris, rue du Roule, no 11;

3. Michel Webert, âgé de 25 ans, né à Saverne, département du Bas-Rhin, libraire à Paris, y demeurant, passage du Cloître-Honoré;

4. Marie-Claudine Lucas de Blayre, âgée de 27 ans, née à Saint-Domingue, demeurant à Paris, rue Merry;

5. Gabriel-Charles Doyen, âgé de 31 ans, né à Versailles, département de Seine-et-Oise, ci-devant cuisinier de la femme du tyran, demeurant à Paris, rue Nicaise, no 506;

6. Joseph Houssaye, dit Laviolette, âgé de 21 ans, né à Amiens, département de la Somme, ci-devant bijoutier et depuis adjudant général de l'armée révolutionnaire, demeurant à Paris, maison de Molière, rue aux Ours;

7. Matthieu Marbey, âgé de 27 ans, né à Commune-Affranchie, bonnetier, demeurant à Paris, rue Française;

8. Antoine Brezillon, âgé de 40 ans, né à Grandpré, district du même nom, brigadier de gendarmerie nationale, à la résidence de la Chapelle-Égalité, district de Nemours, département de Seine-et-Marne.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 2 prairial (21 mai 1794), appert:

1. Claude Simard, âgé de 68 ans, né à Libreval, département du Cher, ex-prêtre, demeurant à Bourges;

2. Agate-Élisabeth Ragot, ex-religieuse, âgée de 54 ans, née à Libreval, département du Cher, demeurant à Bourges;

3. Et Louis-François Vassal, âgé de 35 ans, ex-noble, né à Fraicenet, département du Lot, demeurant à Paris, rue Thionville.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tirrard.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. François Tournacos, âgé de 37 ans, né à Metz, se disant baron allemand, demeurant à Luxembourg, en Allemagne;

2. Pierre-François Nicolas, né à Longehaut, district d'Ornans, département du Doubs, domestique de Kerry, Irlandais, demeurant à Paris, rue Michodière, section Le Pelletier;

3. Caprot Brunel, âgé de 44 ans, né à Capronne, département de la Haute-Loire, domestique chez Kierry, demeurant à Paris, rue Taitbout, section du Mont-Blanc;

4. Gabriel Delignon, âgé de 42 ans, né à Villaine, département de la Côte-d'Or, y demeurant, maître d'écriture;

5. Et Dominique Lafillard, âgé de 63 ans, ci-devant caissier de la maison (p. 341) d'Artois, argentier de la maison d'Angoulême, et depuis receveur des rentes et agent d'affaires, demeurant à Paris, rue des Fontaines.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tirrard.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 3 prairial (22 mai 1794), appert:

1. Claude-Alexandre Leflot, âgé de 43 ans, né à Nevers, département de la Nièvre, demeurant à Trigésus, capitaine général des douanes de la République;

2. Félix Royer, âgé de 28 ans, né à Bagnols, département du Gard, chasseur dans la légion des Alpes;

3. Pierre-Gervais Namys, âgé de 47 ans, né à Paris, y demeurant, rue Pagevin, employé aux Fermes, ci-devant capitaine de la section des Petits-Pères;

4. Et Louis-Philippe Bourgeois, âgé de 32 ans, né à Uzès, département du Gard, demeurant à Paris, perruquier.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 3 prairial (22 mai 1794), appert:

1. Cyr Vasseur, âgé de 42 ans, né à Harly-Pontlieu, département de la Somme, ci-devant caporal dans l'armée révolutionnaire, demeurant à Paris, rue Verneuil;

2. Jean-Baptiste Keutschen, âgé de 36 ans, né à Deynieux, dans la Forêt-Noire, en Allemagne, tailleur, demeurant à Paris, rue Croix, chaussée d'Antin, no 9;

3. Jean Jaroufflet, âgé de 51 ans, né à Moulins, département de l'Allier, y demeurant, notaire public;

4. Jean Coursin, âgé de 41 ans, né à Carnay, district d'Avranches, département de la Manche, brocanteur, demeurant à Paris, rue de la Licorne;

5. Louis Carré, âgé de 31 ans, né à Brienne, département de l'Aube, épicier, demeurant rue de Sartines, section de la Halle au Beurre;

6. Maria-Nicolas Gaidon, âgé de 34 ans, né à Méjuive, département du Mont-Blanc, fruitier, demeurant à Paris, rue d'Hauteville, section Poissonnière;

7. Pierre Paul, âgé de 40 ans, né à Paris, y demeurant, rue de la Mortellerie, marchand de cannes;

8. Et Jean Juery, âgé de 30 ans, né à Perrel, département du Cantal, brocanteur, demeurant à Paris, rue Honoré, en face des Jacobins.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 4 prairial (23 mai 1794), appert:

1. Joseph-Antoine Barrême, âgé de 31 ans, né à Tarascon, ex-noble, ex-hussard du premier régiment;

(p. 342) 2. Joseph-Henri Barrême, âgé de 35 ans, né à Tarascon, ex-noble, hussard et brigadier du premier régiment;

3. Joseph-Auguste Barrême, âgé de 32 ans, né à Tarascon, ex-noble, et hussard du premier régiment;

4. Anne Ferry, veuve Dupré, âgée de 52 ans, garde-malade, née à Malo, département de la Côte-d'Or, demeurant à Paris, quai de Gèvres, no 7;

5. Jean-Baptiste Lanoue, âgé de 37 ans, peintre en bâtiment, né à Paris, y demeurant, rue Quincampoix, no 33;

6. Nicolas Aubry, âgé de 72 ans, né à Divry, ci-devant Normandie, demeurant à Paris, rue Nicolas-du-Chardonnet, au dépôt des huiles;

7. Et Pierre-Louis Didier, âgé de 35 ans, commis papetier à Paris, y demeurant, rue et cul-de-sac Dominique d'Enfer, no 7.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Hervé.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Jean Canolle père, âgé de 50 ans, né à Benac, en Périgord, minéralogiste, demeurant à Paris, au Gros-Caillou;

2. Avoye Paville Costard, fille âgée de 25 ans, travaillant au Journal des Spectacles, née à Paris, y demeurant, rue des Fossés-Montmartre;

3. Alexandre Provenchère, âgé de 58 ans, né à Saint-Eubille, département de Seine-et-Oise, ex-administrateur de l'habillement des troupes de la République, demeurant à Paris, place du Chevalier du Guet;

4. André Dorly, âgé de 60 ans, né à Versailles, commissaire des guerres jusqu'au 1er juillet 1793, domicilié à Paris, rue Neuve des Petits-Champs, section de la Montagne;

5. Gabriel-Joseph Fortin, âgé de 44 ans, né à Paris, y demeurant, rue des Mauvaises-Paroles, ci-devant employé à l'habillement des troupes, et commis chez le nommé Leroux, négociant;

6. Antoine-Martin Barth, âgé de 33 ans, né à Paris, y demeurant, rue Denis, et fournisseur de la République;

7. Jean-François Lemarcant, âgé de 69 ans, né à... (en blanc), ouvrier en guêtres et fournisseur, demeurant à Paris.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Hervé.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 5 prairial (24 mai 1794), appert:

1. Jean-Baptiste-Marie-Thomas Domangeville, âgé de 30 ans, né à Paris, ex-noble, ancien capitaine au 5e régiment de cavalerie, demeurant à Vernasal, département de la Haute-Loire;

2. Simon Tisserand, âgé de 40 ans, né à Vesoul, département de la Haute-Saône, ci-devant postillon chez Duchâtelet, demeurant à Paris, rue Grenelle-Saint-Germain;

3. Et Jean-Baptiste Gauthier, âgé de 50 ans, né à Château-Porcien, (p. 343) département des Ardennes, concierge de la chambre d'arrêt de la mairie, demeurant à Paris, rue Martin.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Jean-Baptiste-Charles Durand, âgé de.... (en blanc) ans, né à Paris, employé au magasin des troupes, à Franciade, y demeurant;

2. Jean-Antoine Pascal, âgé de 41 ans, lieutenant de gendarmerie nationale, attaché à la force publique de l'armée du Rhin, né à Commune-Affranchie, demeurant à Paris;

3. Et François Paulin, âgé de 35 ans, professeur de géographie et de grammaire, né à la Chapelle, département de la Haute-Marne, demeurant à Paris, rue Montmartre, no 226.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 6 prairial (25 mai 1794), appert:

1. François Joly, âgé de 56 ans, ci-devant inspecteur général des rôles du département de la Côte-d'Or, né à Pontarlier-sur-Saône, même département, demeurant à Dijon;

2. Pierre Mauclair, âgé de 39 ans, brocanteur et ci-devant marchand de serre-tête, né à Troyes, département de l'Aube, demeurant à Paris, rue des Grands-Degrés, no 16;

3. Et Louis-Claude-Joseph Lancry-Pronleroy, âgé de 26 ans, ci-devant officier des gardes françaises, ex-noble et ex-comte, né à Paris, y demeurant, rue Basse-du-Rempart.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Jean-Baptiste-Charles Piragues Lille-Don, âgé de 58 ans, né à Lille-Don, département du Loiret, ex-noble, et cultivateur, demeurant à Villemandier, district de Montargis, même département;

2. Jacques-Jean-Baptiste Cuvier, âgé de 42 ans, ci-devant architecte, et depuis cultivateur et membre du comité révolutionnaire de la commune de Vanves, y demeurant, né à Paris;

3. Marie-Anne Demeaux, femme de Joseph Hébert, âgée de 50 ans, née à Notre-Dame de Guem, près Auxerre, département de l'Yonne, demeurant à Paris, rue de la Licorne, corroyeuse;

4. Catherine Pérard, âgée de 39 ans, née à Gissé en Bourgogne, près Flavigny, demeurant à Paris, rue du Poirier, blanchisseuse;

5. Pierre Prudhomme, âgé de 48 ans, né à Paris, y demeurant, rue et section de la Cité, marchand de poisson.

6. Et Françoise Lambert, femme Prudhomme, née à Toul, département (p. 344) d'Indre-et-Loire, âgée de soixante ans, marchande de poisson, demeurant à Paris.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 7 prairial (26 mai 1794), appert:

1. Claude-Michel-Louis Milscent, créole, âgé de 54 ans, né à Saint-Domingue, ci-devant capitaine des milices bourgeoises, et se disant homme de lettres et auteur du journal appelé le Créole, demeurant à Paris, rue Honoré, no 120;

2. Et Jean-Baptiste-Marie Hannonet, âgé de 51 ans, receveur de la régie des sels, né à Guiscard, département de l'Oise, et receveur du district de Noyon, y demeurant.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tirrard.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 8 préréal [sic] (27 mai 1794), appert:

1. Charles-Philibert-Marie-Gaston Lévis-Mirepoix, âgé de 41 ans, né à Saint-Martin d'Estraux, demeurant à Paris, rue de Verneuil, no 432, ex-noble, ex-constituant et ex-maréchal de camp;

2. Matthieu-Jouze Jourdan, âgé de 45 ans, né à Saint-Jean, département de la Haute-Loire, demeurant à Avignon, ci-devant négociant, depuis général de l'armée d'Avignon, et à présent chef d'escadron de la gendarmerie;

3. Jean Donnadieu, âgé de 50 ans, né à Arles, département des Bouches-du-Rhône, général de brigade, à l'armée du Bas-Rhin;

4. Antoine-Louis-Michel Judde, âgé de 46 ans, né à Paris, y demeurant, rue François, au Marais, ex-conseiller au ci-devant Châtelet de Paris;

5. Catherine Mathieu, femme Vigneron, âgée de 41 ans, née à Nancy, y demeurant;

6. Susanne Vigneron, âgée de 23 ans, née à Nancy, y demeurant;

7. Pierre-Félix Primeau, âgé de 42 ans, né à Vaussais, département des Deux-Sèvres, sous-lieutenant au 17e régiment de cavalerie;

8. Nicolas-Jacques Beauregard, âgé de 42 ans, né à Versailles, sous-lieutenant au 17e régiment de cavalerie;

9. Jacques-Joseph-Laurent Faret-Preberon, âgé de 44 ans, né à Salins, département du Jura, chef d'escadron du 17e régiment de cavalerie;

10. Avocalie-Joseph Daviot-Hery, âgé de 19 ans, né à Chinon, département d'Indre-et-Loire, lieutenant au 17e régiment de cavalerie;

11. Étienne Lecandre, âgé de 27 ans, né à Saintes, département de la Charente-Inférieure, capitaine au 17e régiment de cavalerie;

12. Jean-François Bugnolot, âgé de 25 ans, né au Petit-Bay, département de la Haute-Saône, chirurgien-major du 17e régiment de cavalerie;

13. Joseph Mollet, âgé de 48 ans, né à Saint-Michel, département des Basses-Alpes, sous-lieutenant au 17e régiment de cavalerie;

14. Claude Juy, âgé de 26 ans, né à Langres, département de la Haute-Marne, sous-lieutenant au 17e régiment de cavalerie;

(p. 345) 15. Pierre-Claude-Marie Prihé, âgé de 46 ans, né à Nevers, chef de brigade au 17e régiment;

16. Étienne-Philippe Vérillot, âgé de 26 ans, né à Langres, sous-lieutenant au 17e régiment;

17. Étienne Jourdeuil, âgé de 29 ans, né à Bussière, sous-lieutenant au 17e régiment;

18. Jean Arnaud, âgé de 44 ans, né à Limoges, sous-lieutenant au 17e régiment;

19. Claude Bonnot, âgé de 27 ans, né à Genets, adjudant au 17e régiment;

20. Et François Poisson, né à Épinal, âgé de 37 ans, sous-lieutenant au 17e régiment.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 8 prairial (27 mai 1794), appert:

1. Augustin Binet, âgé de 28 ans, né à Amiens, département de la Somme, y demeurant, coupeur de velours et sergent du 8e bataillon de la Somme;

2. Jean-Baptiste Avenet, âgé de 36 ans, né et demeurant à Saint-Germain-la-Campagne, département de l'Eure, dentiste;

3. Et Étienne Hourry, âgé de 50 ans, né à Pezé-le-Robert, terrassier.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 9 prairial (28 mai 1794), appert:

1. Claude-Joseph Villemin, âgé de 26 ans, journalier, né à Guyans en Venne, département du Doubs, y demeurant;

2. Sylvain Dumazet, âgé de 25 ans, ci-devant verrier, depuis colporteur à Paris, rue des Barres, section de l'Arsenal, né à Argenton, département de l'Indre;

3. Firmin Baillot, âgé de 37 ans, né à Lironville, département de la Meurthe, ci-devant volontaire du bataillon de la section des Gravilliers, enrôlé pour la Vendée, râpeur de tabac, demeurant à Paris, rue de Crussol, marais du Temple;

4. Françoise Chevalier, âgée de 28 ans, née à Besançon, département du Doubs, y demeurant;

5. Félix Simon, âgé de 62 ans, cloutier, ensuite domestique de Trivelle, ci-devant conseiller au ci-devant parlement de Besançon, né à Rosureux, département du Doubs, y demeurant.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Pierre-François Fénaux, âgé de 40 ans, né à Dalincourt, département d'Évreux, charretier chez Claude Léger, demeurant à Rosay, département de Seine-et-Oise;

(p. 346) 2. Claude Léger, âgé de 49 ans, né à Villemur, département de (en blanc), demeurant à Rosay;

3. Martin Olivier, né à Saint-Martin des Champs, département de Seine-et-Oise, âgé de 58 ans, vigneron et maire de la commune dudit Saint-Martin des Champs, y demeurant;

4. Éloy Duhamel, âgé de 54 ans, né à Aix, département de Seine-et-Oise, tuileur et agent national de la commune de Saint-Martin des Champs, y demeurant;

5. Nicolas Letellier, âgé de 35 ans, né à Septeuil, département de Seine-et-Oise, vigneron et membre du comité de surveillance de la commune de Saint-Martin des Champs, y demeurant;

6. André Rageot, âgé de 36 ans, tailleur d'habits, membre du comité de surveillance de la commune de Saint-Martin des Champs, né à Guerville;

7. Jean Petit, âgé de 49 ans, né à Aulnay, département de Seine-et-Oise, tonnelier et maire de la commune d'Aulnay, y demeurant;

8. Guillaume Fréron, âgé de 45 ans, né à Arnouville, département de Seine-et-Oise, journalier, demeurant à Saint-Martin des Champs;

9. Et Marie-Anne Fréron, femme Rageot, âgée de 40 ans, née à Arnouville, département de Seine-et-Oise, couturière, demeurant à Saint-Martin des Champs;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 11 prairial (30 mai 1794), appert:

1. Augustin-François César-Dauphin-Leval, âgé de 49 ans, né à Montferrand, département du Puy-de-Dôme, ci-devant breveté du grade de colonel, et capitaine en second des grenadiers des gardes françaises, demeurant à Moncel-Gelat, même département;

2. Jean Joussineau de La Tourdonnois, âgé de 64 ans, né à Sinwit, département de la Corrèze, demeurant à la Rode, département du Puy-de-Dôme, ci-devant capitaine de carabiniers, ex-noble, ex-comte et ex-colonel à la suite de la cavalerie, demeurant à Paris, rue Traversière;

3. Claire Nantia, âgée de 41 ans, née à Nantia, département de la Haute-Vienne, ex-noble, demeurant à Rouel, département de la Haute-Vienne;

4. Louis-Jacques Ferruyant, âgé de 37 ans, né et demeurant à La Motte Terray, département des Deux-Sèvres, ci-devant trésorier de France;

5. Jean Dut, âgé de 24 ans, né à Morillac, département du Cantal, marchand forain, sans domicile fixe;

6. Pierre Morillon Dubellay, âgé de 77 ans, marchand de draps et soies, né et demeurant à Poitiers, département de la Vienne;

7. Jean-Antoine Guybora, âgé de 24 ans, vigneron, journalier, né et demeurant à Saint-Gerionne, département de la Marne, soldat du 11e régiment de hussards;

(p. 347) 8. Nicolas-Marie Compin, âgé de 64 ans, né à Malta, département de Saône-et-Loire, cultivateur et agent national de la commune d'Avrai;

9. Et Nicolas dit Montpansin, âgé de 65 ans, né à Saint-Pourçain, département de l'Allier, demeurant à Souitte, même département, ex-bailli des lazaristes et ex-subdélégué.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Leclerc.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 11 prairial (30 mai 1794), appert:

1. Louis César Bégu, âgé de 40 ans, né à Tours, département d'Indre-et-Loire, ci-devant....... chef du premier bataillon dudit département, demeurant à Tours;

2. Claude Lacroix, âgé de 38 ans, né à Chaource, département de l'Aube, y demeurant, cultivateur, ci-devant garde de bois;

3. Pierre-Joseph Lecocq, âgé de 60 ans, né à Querqueville, près Cherbourg, département de la Manche, ex-curé de la commune de Cottençon, district de Provins, département de Seine-et-Marne;

4. Et Louis-Julien Moret, âgé de 46 ans, né à Arcis-sur-Aube, département de l'Aube, ex-curé, demeurant à Premier-Fait, même département.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Leclerc.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 12 prairial (31 mai 1794), appert:

1. Édouard-Marie Marguerie, âgé de 38 ans, ex-noble, major en second dans le 42e régiment d'infanterie, ex-colonel de la garde constitutionnelle du tyran, né à Bayeux, département du Calvados, résidant à Agy, près Bayeux;

2. Louis Duvivier, âgé de 60 ans, né à Paris, y demeurant, rue des Juifs, no 17, section des Droits de l'homme, employé à l'extraordinaire des guerres;

3. Jean-Baptiste-Pierre Bauffre, âgé de 66 ans, né à Châteauneuf, département d'Eure-et-Loir, demeurant à Paris, rue des Martyrs, no 59, section du Mont-Blanc;

4. Amable Chantemerle, âgé de 37 ans, instituteur et homme de lettres, ex-prêtre, né à Thiers, département du Puy-de-Dôme, demeurant à Paris, rue du Mont-Blanc, no 384;

5. Jean Pierson, âgé de 33 ans, né à Beffroy, district de Commercy, département de la Meuse, employé aux bureaux des émigrés, secrétaire de défunt Malesherbes, demeurant à Paris, rue des Martyrs;

6. Et Claude-François-Marie Simonet, âgé de 42 ans, né à Dijon, département de la Côte-d'Or, ex-fermier général, demeurant à Dijon.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


(p. 348) Du même jour, appert:

1. Joseph Pont, âgé de 51 ans, né à Tournus, département de Saône-et-Loire, ci-devant curé de Courteneau, y demeurant, même département;

2. Pierre Saint-Saulieu, âgé de 44 ans, né à Monteau, département de l'Eure, ci-devant feudiste, demeurant à l'abbaye de Cormeil;

3. Thomas Casimir Héry, âgé de 25 ans, né à Orléans, département du Loiret, se disant cultivateur, officier dans le 25e régiment, demeurant commune de Fleury, même département;

4. Thérèse-Françoise Lamarre, âgée de 60 ans, née à Bar-sur-Ornain, ci-devant noble, demeurant audit Bar;

5. Jean-Hyacinthe Caron, âgé de 36 ans, né à Arviny, district de Bar-sur-Ornain, ci-devant curé, demeurant à Moulins, même district;

6. Philippe Huguet, âgé de 30 ans, né à Bruxelles, faiseur de bas, demeurant à Paris, rue Pot-de-Fer;

7. Sylvain Hugault, âgé de 59 ans, né à Bourges, ci-devant curé d'Issoudun, demeurant à Issoudun, département d'Indre-et-Loire.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 13 prairial (1er juin 1794), appert:

1. Alexandre Brillon-Saint-Cyr, âgé de 52 ans, né à Paris, y demeurant, rue de Bercy, au Marais, ex-maître des comptes;

2. Louis-Joseph Germain, âgé de 38 ans, né à Paris, y demeurant, rue des Bourdonnais, marchand d'étoffes de soie;

3. Thomas-Augustin Bellet, âgé de 37 ans, né à Paris, y demeurant, rue des Blancs-Manteaux, ci-devant auditeur des comptes;

4. François-Martin Chauvereau, âgé de 37 ans, né à Tours, département d'Indre-et-Loire, commis marchand chez Germain, demeurant à Paris, rue Cloche-Perche;

5. Antoine-Charles Lherbette, âgé de 34 ans, né à Sainte-Menehould, département de la Haute-Marne, ci-devant agent de change, demeurant à Paris, rue des Blancs-Manteaux;

6. Louis Bois-Marié, âgé de 23 ans, né à Longny, district de Mortagne, département de l'Orne, demeurant à Paris, rue Jean-Fleury;

7. Jérôme-Robert Millin du Perreux, âgé de 62 ans, né à Nevers, département de la Nièvre, demeurant au Perreux, district de l'Égalité, département de Paris, administrateur des loteries;

8. Jean Auger, âgé de 23 ans, né à Paris, brigadier-fourrier au 8e régiment de hussards, demeurant à Chaillot;

9. Et Jacques-Adrien Mégard, âgé de 26 ans, né à Ratéville, département de la Seine-Inférieure, agent de Thorelli, Napolitain, demeurant à Paris, grande rue du faubourg Antoine.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Leclerc.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


(p. 349) Du même jour, appert:

1. Louis Martin-Brille, âgé de 30 ans, né à Limay, département de Seine-et-Oise, marchand de journaux, demeurant à Paris, rue des Lavandières, no 191;

2. Étienne Berthier, âgé de 43 ans, né à Besançon, département du Doubs, fondeur et doreur, demeurant à Dijon;

3. Jean Levasseur, âgé de 38 ans, né à Krienne, département de la Seine-Inférieure, ex-curé de la commune de Laumont-la-Poterie, même département;

4. Et Jacques Serigny, âgé de 53 ans, né à Bouillant, département de la Côte-d'Or, ex-curé de la commune de Lumigny, même département, y demeurant.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Leclerc.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 14 prairial (2 juin 1794), appert:

1. Bonaventure Ferrey, âgé de 32 ans, né à Gray, département de la Haute-Saône, demeurant à Saint-Denis-sur-Sarton, département de l'Orne, prêtre chapelain de l'église de Coutances, puis curé audit Saint-Denis;

2. Jean-Baptiste Barré, âgé de 68 ans, né et demeurant à Paris, rue Coq-Héron, no 424, ci-devant procureur au Châtelet et avoué;

3. Philippe Perrin, âgé de 26 ans, né à Cognac, département de la Charente, y demeurant, négociant en eaux-de-vie;

4. André-Jacques-Salomon Daniau, âgé de 26 ans, né à Cognac, demeurant à Ecoigneux, district de Saintes, même département, agriculteur;

5. Valérie Marentin, femme Pasquet Saint-Projet, âgée de 40 ans, née à la Rochefoucauld, département de la Haute-Charente, y demeurant, et à Perusel, campagne près la Rochefoucauld; son mari garde du tyran;

6. Louis-Auguste-François Bongard-d'Aspremont, âgé de 68 ans, né au Val d'Arnois, district de Dieppe, département de la Seine-Inférieure, demeurant à Jaucourt, district des Andelys, département de l'Eure, vivant de son bien, ex-noble et ex-marquis;

7. Louis Armand, âgé de 61 ans, né à Lainville, département de Seine-et-Marne, demeurant au Plessis-Mériot, département de Seine-et-Marne, garde-chasse du ci-devant duc de Mortemart, et ensuite vigneron;

8. Jean-François-Célestin Lecocq, âgé de 30 ans, né à Lille, département du Nord, y demeurant, ci-devant clerc de notaire, et depuis boulanger;

9. Jean-Pierre Maindouze, âgé de 53 ans, né à Toulouse, département de la Haute-Garonne, demeurant à Paris, rue du Théâtre-Français, commis en chef au bureau des affaires étrangères;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


(p. 350) Du même jour, appert:

1. Bernard-Louis Cassaigne, âgé de 41 ans, né à Béziers, département de l'Hérault, ex-vicaire de la ci-devant paroisse Saint-Nicolas des Champs, ensuite desservant de la commune de Luneray, près Dieppe, département de la Seine-Inférieure, y demeurant;

2. Marie-Joseph-Adrien Bourdet, âgé de 33 ans, né à Saint-Valery, département de l'Oise, ex-vicaire de la ci-devant paroisse Saint-André des Arts, à Paris, rue du Cimetière-André;

3. Et Jean-Baptiste Dupain, âgé de 21 ans, marchand de bois, né et demeurant à Paris, rue des Fossés-Saint-Bernard.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 15 prairial (3 juin 1794), appert:

1. Claude Lefranc, âgé de 54 ans, chirurgien appointé dans le 7e régiment de hussards, né à Ivry, près Paris, département de Seine-et-Marne, demeurant à Paris, rue du Battoir;

2. Philippe Martin, âgé de 65 ans, né à Delu, département de la Meuse, y demeurant, et cordonnier;

3. Alexandre Cordelois, âgé de 36 ans, né à Cambray, chirurgien, ci-devant adjudant général de la garde nationale du Quesnoy, demeurant à Wettingue, département du Nord;

4. Armand Quidet, âgé de 64 ans, né à Nourval, département des Ardennes, soldat invalide, demeurant à Vouziers;

5. Et Jean-Joseph de Flandres, âgé de 58 ans, brigadier de la deuxième division de la gendarmerie, natif d'Hanappe, département de l'Oise, demeurant à Bouchain, département du Nord.

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, 15 prairial (3 juin 1794), appert:

1. Louis-George Desrousseaux, âgé de 42 ans, né à Sedan, département des Ardennes, y demeurant, fabricant de draps, cultivateur, ex-maire de la commune de Sedan;

2. Jean-Baptiste-Delfine Le Gardeur, âgé de 52 ans, né à Sedan, y demeurant, fabricant, membre de la municipalité de Sedan;

3. François-Pierre Le Gardeur, âgé de 60 ans, né à Verdun, département de la Meuse, ci-devant fabricant de draps, ci-devant notable de la commune de Sedan, président du tribunal de commerce et du bureau de paix de la même commune, y demeurant;

4. Nicolas Rollin-Hussin père, âgé de 63 ans, né à Sedan, y demeurant, fabricant de draps et officier municipal de la même commune;

5. Yvon-Georges-Jacques Saint-Pierre, âgé de 55 ans, né aux Aussieux, département de la Seine-Inférieure, demeurant à Sedan, vivant de son revenu, ci-devant officier municipal de la commune de Sedan;

6. Pierre-Charles Fournier, âgé de 42 ans, né à Sedan, y demeurant, officier municipal de ladite commune et épicier;

(p. 351) 7. Jean-Baptiste Petit, fils, âgé de 50 ans, né à Mézières, département des Ardennes, médecin, officier municipal de la commune de Sedan, y demeurant;

8. Louis-François Gigoux Saint-Simon, âgé de 61 ans, avant la révolution aide-major de la place de Sedan, né à Mesle, département des Deux-Sèvres, officier municipal de la commune de Sedan, y demeurant;

9. Jean-Louis Lenoir Peyre, âgé de 39 ans, né à Sedan, teinturier, et ci-devant procureur de la commune de Sedan, y demeurant;

10. Nicolas Waroguier, âgé de 62 ans, né à Givet, district de Sainte-Menehould, ci-devant notable de la commune de Sedan, y demeurant;

11. Augustin Grosselin père, âgé de 66 ans, marchand épicier, ci-devant notable de la commune de Sedan, y demeurant;

12. Jean-Charles-Nicolas Lechanteur, âgé de 31 ans, né à Brillangois, district de Sedan, brasseur, ci-devant notable de la commune de Sedan, et actuellement administrateur du district de Sedan, y demeurant;

13. Henri Mesmer, âgé de 52 ans, né à Sedan, brasseur, ex-notable de la commune de Sedan, y demeurant;

14. Étienne Henneci, âgé de 46 ans, né à Sedan, libraire, ex-notable de la commune de Sedan, y demeurant;

15. Louis Edet-Jeames, âgé de 46 ans, né à Sedan, y demeurant, charpentier, et ex-notable de la commune de Sedan;

16. Étienne-Nicolas-Joseph Chayaux-Cailloux, âgé de 41 ans, né à Sedan, y demeurant, brasseur, et ex-notable de la commune de Sedan;

17. Pierre Gibon-Vermon, âgé de 44 ans, né à Sedan, y demeurant, brasseur, et ex-notable de la commune de Sedan;

18. Simon-Jacques Delatre, âgé de 44 ans, né à Sedan, y demeurant, ex-notable de Sedan;

19. Louis Edet, âgé de 64 ans, né à Sedan, y demeurant, menuisier, ex-notable de la commune de Sedan;

20. Jean-Baptiste Ludet père, âgé de 64 ans, chef armurier, et ex-notable de la commune de Sedan;

21. Antoine-Charles Rousseau, âgé de 56 ans, né à Paris, manufacturier de draps, ex-notable de la commune de Sedan, y demeurant;

22. Pierre Dalché père, âgé de 63 ans, né à Sedan, y demeurant, orfévre, ex-notable de la commune de Sedan;

23. Hermès Servais, âgé de 66 ans, né à Francquemont, manufacturier de poêles, ex-notable de la commune de Sedan, y demeurant;

24. Michel Noël, dit Laurent, âgé de 63 ans, né à Sedan, y demeurant, confiseur, et officier municipal de la commune de Sedan;

25. Louis-Joseph Béchet, âgé de 60 ans, né à Sedan, manufacturier, ex-officier municipal de la commune de Sedan, demeurant à Philippeville;

26. Paul-Stanislas-Édouard Béchet, âgé de 38 ans, né à Sedan, fabricant de draps, administrateur et receveur de l'hôpital de la même commune, et ci-devant officier municipal, demeurant à Sedan;

27. Et Claude Faussois, âgé de 65 ans, né à Montfaucon, district de Château-Thierry, département de la Marne, traiteur, ex-notable de la (p. 352) commune de Sedan, demeurant à Lagny-Baugny, département des Ardennes.

Avoir été condamnés à la peine de mort, et ordonné que l'exécution dudit jugement aurait lieu sur la place publique de la Révolution de cette ville, ledit jugement signé du président et du greffier.

Par procès-verbal dressé par Chasteau, huissier du tribunal révolutionnaire, le 15 prairial, appert avoir été constaté que le jugement ci-dessus a été exécuté sur la place publique de la Révolution de cette ville, où lesdits susnommés ont été mis à mort.

Pour extrait conforme: Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 16 prairial an II (4 juin 1794), appert:

Le tribunal criminel du département de Paris a condamné à la peine de mort Charles Le Brun, âgé de 40 ans, natif de Chelles, département de Seine-et-Marne, sans état, demeurant rue Bourtibourg, no 15, convaincu de complicité de fabrication et émission de faux assignats.

Il a été exécuté le même jour, à 8 heures 25 minutes du soir, sur la place de la Maison commune, en présence de Heurtin, l'un des huissiers du tribunal, qui en a dressé procès-verbal.

Certifié véritable et délivré par moi, Le Bois, accusateur public du tribunal criminel du département de Paris,

Le Bois.


Du même jour, appert:

1. François-Dauphin Goursac, âgé de 61 ans, né à Chassenuit, district de la Rochefoucauld, département de la Charente, ex-noble, ci-devant chevau-léger, retiré lieutenant de cavalerie, demeurant à la Rochefoucauld;

2. Thérèse Thomas, veuve de François Goursac, aussi ex-noble, âgée de 80 ans, née à Augoulême, demeurant à Goursac;

3. Jeanne-Dauphin Goursac, fille âgée de 54 ans, née à Chasseneuil, demeurant à Goursac, ex-noble;

4. Jacquette Gonin, femme divorcée de Pasquier Larevenchère, âgée de 43 ans, née à Chasseneuil, demeurant à la Rochefoucauld;

5. Jacques Clément, âgé de 41 ans, né à Derac, district d'Angoulême, ci-devant curé de Vervant, district de la Rochefoucauld, y demeurant;

6. Jacques-Dauphin Lapeyre, ex-noble, âgé de 53 ans, né à Roussine, district de la Rochefoucauld, cultivateur, demeurant à Breuil;

7. Et Marie-Louise Dufour, fille âgée de 66 ans, née à Limoges, femme de compagnie de Goursac, demeurant à Chasseneuil.

Avoir été condamnés à la peine de mort, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray, huissier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Du même jour, appert:

1. Étienne-Michel Le Duc Bieville, âgé de 69 ans, ex-noble, ex-conseiller au ci-devant parlement de Rouen, et ex-gentilhomme de la chambre (p. 353) du tyran, né à Rouen, département de Seine-et-Oise (sic), demeurant à Paris, rue Grange-Batelière;

2. Antoine-Louis Le Duc Bieville fils, âgé de 27 ans, ex-noble et lieutenant dans le ci-devant régiment de chasseurs des Vosges, né à Paris, demeurant à Belleville, près Paris;

3. Jean-François Du Fouleur, âgé de 38 ans, né à Paris, demeurant rue Montmartre, notaire;

4. Jean-Jacques Meynard, âgé de 46 ans, commis à la comptabilité, né à Alby, département du Tarn, demeurant à Paris, rue Montmartre;

5. Alexis Moreuil, âgé de 49 ans, ex-maître d'hôtel du ci-devant duc de la Marck, employé à la liquidation des dettes de la Commune de Paris, né à Ferrières, département de la Somme, demeurant à Paris, rue Faubourg-Honoré;

6. Nicolas-Toussaint Leteneur, âgé de 64 ans, ex-noble et ex-chevalier du ci-devant ordre Saint-Louis, né à Breteuil, département de l'Oise, demeurant à Versailles;

7. Bernard Sauriel, âgé de 33 ans, ex-lieutenant d'une compagnie de volontaires du 4e bataillon de la Meurthe, à Laronne, département de la Meurthe, demeurant au dépôt, à Nancy;

8. Jean-François Thirial, âgé de 40 ans, ex-constituant, médecin, né à Compiègne, département de l'Oise, demeurant à Versailles;

9. Grégoire-Philippe Lorenzo, âgé de 29 ans, homme de lettres, fonctionnaire public à Bruxelles comme commissaire, né à Dunkerque, département du Nord;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 17 prairial (5 juin 1794), appert:

1. Élisabeth-Marie Guiller, femme de Thomas Guiller, dit Nonac, ex-noble et ex-secrétaire du tyran, âgée de 45 ans, née à Châteauneuf, département d'Eure-et-Loir, demeurant à Choisy-sur-Seine;

2. Jean-Antoine Méraud, né à l'Écluse, département du Puy-de-Dôme, demeurant à la Meilleraye, département de la Sarthe, ex-curé constitutionnel dudit lieu;

3. Louis-Henri Villeneuve-Trans, âgé de 59 ans, né à Marseille, département des Bouches-du-Rhône, ex-noble et ex-colonel du ci-devant régiment de Roussillon infanterie, demeurant à Paris, rue Vivienne, no 4.

4. Joseph Daigue, domestique du ci-devant duc de Luxembourg, âgé de 32 ans, né à Pacy, département du Mont-Blanc, demeurant à Paris, rue Martin, section des Amis de la patrie;

5. Paul Mezeray, âgé de 45 ans, né à Montargis, département du Loiret, demeurant à Paris, rue Roquépine, employé aux domaines nationaux;

6. Et Marie-Madeleine Perrier, veuve Fontenay, ex-noble, âgée de 57 ans, née à Villiers, département de l'Orne, demeurant à Vincennes, département de Paris;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


(p. 354) Par jugement du 18 prairial (6 juin 1794), appert:

1. Charles-François Mercier d'Aubeville, âgé de 69 ans, ci-devant président de l'élection de Pithiviers, juge du tribunal du district de Pithiviers, demeurant audit lieu;

2. Thomas Roustat, âgé de 57 ans, cultivateur, garde-bois du ci-devant Terray, né à Quincy, département de l'Aube, demeurant à Lamotte, même département;

3. Jean Rolland, âgé de 40 ans, né à Lamotte, département de l'Aube, y demeurant;

4. Jean Vaudier-Dock, âgé de 25 ans, serrurier, né à Bruges, Flandre, y demeurant; déserteur autrichien;

5. Jacques Dauphin-Chadebeau, âgé de 43 ans, manouvrier, natif de la Paque, département de la Charente, demeurant à Goursac, même département;

6. Angélique Jacquemont, veuve Padel, âgée de 49 ans, travaillant en linge, née à Saint-Brie, département de l'Yonne, demeurant Pointe-Eustache;

7. Nicolas Vial, âgé de 71 ans, né à Commune-Affranchie, département de Rhône-et-Loire, demeurant à Charenton, près Paris, ancien négociant;

8. Victoire Leclerc, veuve Labathie, âgée de 34 ans, née à Compiègne, demeurant à Vitry-sur-Marne, département de la Marne;

9. Et Denise-Élisabeth Marchais, femme Vial, âgée de 53 ans, née à Paris, demeurant à Charenton;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Château.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du même jour 18 prairial an II (6 juin 1794), appert:

1. François-Joseph-Élisabeth Thomas Lavalette, âgé de 39 ans, né à Paris, ex-vicomte, ex-officier au ci-devant régiment des gardes françaises en qualité de lieutenant en second, demeurant à Paris, section Le Pelletier, no 171;

2. Joseph Aboulin, âgé de 39 ans, né à Cassade, district de Montauban, département du Lot, lieutenant au 18e régiment de dragons, y demeurant ordinairement;

3. Joseph Fournier, âgé de 31 ans, né à Burillier, district de Montagnac, département de la Dordogne, y demeurant, ex-curé constitutionnel et instituteur;

4. Thomas Delainey, âgé de 17 ans, Irlandais, déserteur du 9e régiment, domicilié à Paris;

5. Patrice Roden, âgé de 28 ans, tisserand, né en Irlande, soldat déserteur dans le régiment de Berne;

6. Pierre-Jacques Soubry, âgé de 33 ans, laboureur, né dans la Flandre autrichienne;

7. Albert Calvert, âgé de 28 ans, né à Bruges, en Flandre, y demeurant, charpentier;

8. Joseph Forrest, âgé de 27 ans, né à Bruges, y demeurant, écrivain;

(p. 355) 9. Jacques Mordolk, âgé de 20 ans, perruquier, né en Écosse, valet de chambre du comte de Notriock;

10. Guillaume-Jacques Cousin, âgé de 45 ans, né à Rouen, département de la Seine-Inférieure, demeurant à Paris, rue de la Loi, no 206;

11. William Newton, âgé de 33 ans, né en Angleterre, colonel de cavalerie à l'École militaire, demeurant à Paris, rue de la Loi;

12. Et Élisabeth-Françoise Forceville, âgée de 42 ans, née à Forceville, district d'Amiens, département de la Somme, ex-noble, demeurant à Paris, rue de l'Observatoire;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Chasteau.

Pour extrait conforme: Neirot, commis greffier.


Par jugement du 19 prairial an II (7 juin 1794), appert:

1. Pierre Lecointre, âgé de 18 ans et demi, volontaire dans le 10e régiment d'artillerie légère, né à Saint-Jouy, département de la Seine-Inférieure, y demeurant;

2. Guillaume Thezut, âgé de 38 ans, ex-noble, né à Aumont, département de Saône-et-Loire, y demeurant;

3. Louis Le Coq, âgé de 30 ans, né à Balancourt, département de Seine-et-Oise, potier de terre, et ci-devant domestique de Roland, ex-ministre, demeurant à Paris, rue de la Tannerie;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tavernier.

Neirot, commis greffier.


Du même jour, 19 prairial (7 juin 1794), appert:

1. Charles-François, dit Cadet, âgé de 37 ans, né à Boissy-sur-Marne, département de Seine-et-Marne, cultivateur, demeurant à Champoget, même département;

2. Antoine Rayer, âgé de 34 ans, né aux Granges, commune dudit Boissy, y demeurant, cultivateur;

3. Pierre-Louis Bachelier, âgé de 44 ans, né à Doux, département de Seine-et-Marne, y demeurant, cultivateur;

4. Remy Lecinque, âgé de 50 ans, né à Nancy, département de la Meurthe, commissaire aux ventes, demeurant à Paris, rue de Touraine, no 3;

5. Pierre-Nicolas Domont, âgé de 36 ans, né à Louvancourt, département de la Somme, employé à l'administration des domaines nationaux;

6. Joseph-Simon Larget, âgé de 31 ans, né à Ongelat, département du Jura, employé à l'administration des domaines nationaux, demeurant à Paris, rue Chabannais;

7. Nicolas-Pierre Boucher, âgé de 45 ans, né à Bar-sur-Bugency, y demeurant, notaire et ex-administrateur du département des Ardennes;

8. Jacques Chauzy, âgé de 63 ans, né à Vaudé, département des Ardennes, y demeurant, cultivateur et ex-administrateur dudit département;

9. Jean-Baptiste-Antoine Bourgeois, âgé de 34 ans, né à Mézières, département de la Meurthe, y demeurant, administrateur du département des Ardennes;

(p. 356) 10. Jean-Sulpice Gromaire, âgé de 56 ans, né à Chomery, département des Ardennes, y demeurant, notaire et ex-administrateur du département des Ardennes;

11. Étienne Deshayes, âgé de 43 ans, né à Rethel, département des Ardennes, y demeurant, homme de loi, procureur général syndic du département des Ardennes;

12. Henry Dessaulty, âgé de 43 ans, né à Bierne, département des Ardennes, ex-noble, cultivateur, membre du conseil général dudit département, demeurant à Montlaurent;

13. Pierre Namur, âgé de 60 ans, né à Lugny (?), département des Ardennes, y demeurant, cultivateur, administrateur dudit département;

14. Jean Legrand, âgé de 45 ans, né à Gouvellemont, département des Ardennes, y demeurant, ex-administrateur dudit département, cultivateur;

15. Jean-Jacques Le Maire, âgé de 66 ans, né à Sainte-Menehould, département des Ardennes, cultivateur, ex-administrateur dudit département, demeurant à Champigneul;

16. Jean-Baptiste Blay, âgé de 29 ans, né à Wernencourt, département des Ardennes, y demeurant, laboureur, ex-administrateur dudit département;

17. Claude-Jean-Baptiste Gérard, âgé de 49 ans, né à Mouzon, département des Ardennes, ex-administrateur dudit département, demeurant à Sedan;

18. Marie-Claude-Gabriel Gérard, âgé de 34 ans, né audit Mouzon, district de Sedan, demeurant audit Sedan, homme de loi, ex-administrateur du département des Ardennes;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Tavernier.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 23 prairial (11 juin 1794), appert:

1. Étienne-Hubert-Bonaventure Chaput-Dubost, âgé de 54 ans, né à Cusset, département de l'Allier, ex-subdélégué, ex-procureur du tyran, et depuis son commissaire près le tribunal dudit Cusset;

2. Jeanne-Danielle Teyras, femme Chaput-Dubost, âgée de 52 ans, demeurant à Cusset;

3. Claude-Gilbert Chaput-Dubost, dit Champcourt, âgé de 26 ans, sans état, né et demeurant à Cusset;

4. Cosme-Marie Chaput-Dubost, âgé de 24 ans, sans état, né et demeurant à Cusset;

5. Denis Courtin, âgé de 58 ans, né à Saint-James, département du Cher, brigadier de la 32e division de gendarmerie, demeurant à Paris, rue du Théâtre-Français, no 7;

6. Nicolas Jaunin, âgé de 72 ans, né à Dijon, département de la Côte-d'Or, gagne-denier, demeurant à Paris, rue Montorgueil;

7. Bon-Jacques-René Hébert, âgé de 23 ans, né à Paris, y demeurant, rue des Tournelles, no 38, entrepreneur des bois de chauffage pour l'armée;

(p. 357) 8. Lambert Lamandin, âgé de 38 ans, né à Consart, district d'Avesnes, département du Nord, marchand de chevaux et de bois, fournisseur pour l'armée;

9. Saint-Clair Rouillon, âgé de 19 ans, préposé au bois de chauffage, né à Alençon, y demeurant;

10. Gabriel Guérin-Lucas, âgé de 41 ans, né à Châteauroux, actuellement Indreville, y demeurant, fournisseur soumissionnaire pour l'équipement des volontaires d'Indreville;

11. Et Pierre Robert, âgé de 37 ans, né à Saint-Georges-sur-Cher, demeurant à Paris, rue Saint-Gilles, au Marais, no 91;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Degaignée.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Par jugement du 29 prairial an II (17 juin 1794), appert:

1. Henry Admiral, âgé de 50 ans, natif de Auzolet, département du Puy-de-Dôme, domicilié à Paris, rue Favart, no 4, ci-devant domestique, ensuite attaché à la loterie ci-devant royale en qualité de garçon de bureau;

2. François Cardinal, instituteur et maître de pension, âgé de 40 ans, natif de Bussière, département de la Haute-Marne, domicilié à Paris, rue de Tracy, no 7;

3. Pierre-Balthasard Roussel, âgé de 26 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Helvétius, no 70;

4. Marie-Susanne Chevalier, âgée de 34 ans, native de Saint-Sauvan, département de la Vienne, domiciliée à Paris, rue Chabannais, no 47, femme séparée depuis trois ans de...... Lamartinière;

5. Claude Paindavoine, âgé de 53 ans, natif de Lépine, département de la Marne, domicilié à Paris, rue Neuve-des-Petits-Champs, no 19, concierge de la maison des ci-devant loteries;

6. Aimée-Cécile Renault, âgée de 20 ans, native de Paris, y domiciliée, rue de la Lanterne, fille d'Antoine Renault et de......;

7. Antoine Renault, papetier et cartier, âgé de 92 ans, natif de Paris, y domicilié, rue de la Lanterne, section de la Cité;

8. Antoine-Jacques Renault, papetier, âgé de 31 ans, natif de Paris, y domicilié, rue de la Lanterne.....;

9. Edme-Jeanne Renault, ex-religieuse, âgée de 60 ans, native de Paris, y domiciliée, rue Babylone, no 698;

10. Jean-Baptiste Portebœuf, âgé de 43 ans, natif de Thoiré, département de la Seine-Inférieure, domicilié à Paris, rue Honoré, no 510;

11. André Saintanac, élève en chirurgie et employé à l'hôpital militaire de Choisy-sur-Seine, âgé de 22 ans, natif de Bordeaux, département de Bec d'Ambès, domicilié audit Choisy, et précédemment à Paris, rue Quincampoix, maison garnie, ci-devant dite de la Couronne;

12. Anne-Madeleine-Lucile Parmentier, âgée de 52 ans, native de Clermont, département de l'Oise, domiciliée à Paris, rue Honoré, no 510; mariée à Alexandre Lemoine Crécy;

13. François Lafosse, chef de la surveillance de police de Paris, âgé de (p. 358) 44 ans, natif de Versailles, département de Seine-et-Oise, domicilié à Paris, rue du Faubourg-du-Temple, no 32;

14. Jean-Louis-Michel Devaux, employé, âgé de 29 ans, natif de Doullens, département de la Somme, domicilié à Paris, rue Barbe, section de Bonne-Nouvelle;

15. Louis-Eustache-Joseph Potier (Delille), âgé de 44 ans, natif de Lille, département du Nord, domicilié à Paris, rue Favart, imprimeur et membre du comité révolutionnaire de la section Lepelletier;

16. François-Charles Virot Sombreuil, ex-gouverneur des Invalides, âgé de 74 ans, natif de Insishain (sic), département du Haut-Rhin, domicilié à la maison nationale des Invalides;

17. Stanislas Virot Sombreuil, âgé de 26 ans, natif de Lechoisier, département de la Haute-Vienne, domicilié à Poissy, ex-capitaine de hussards et ex-capitaine de la garde nationale de Poissy;

18. Jean-Guet Henoc Rohan-Rochefort, ex-noble, domicilié à Rochefort, département de la Charente-Inférieure;

19. Pierre Laval-Montmorency, ex-noble, âgé de 25 ans, natif de Paris, y domicilié, rue du Bac;

20. Étienne Jardin, âgé de 48 ans, natif de Versailles, département de Seine-et-Oise, domicilié à Paris, rue Cadet, directeur des transports militaires depuis la révolution, et avant piqueur du tyran;

21. Charles-Marie-Antoine Sartine, ex-maître des requêtes, âgé de 34 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Vivienne, fils de.....;

22. Barthélemy Constant, gendarme, âgé de 42 ans, natif de Grasse, département du Var, domicilié à Paris, rue du Faubourg-Martin, no 185;

23. Joseph-Henry Burlandeux, ex-officier de paix, âgé de 39 ans, natif de Saullier, département du Var, domicilié à Paris, rue du Faubourg-Martin, no 64;

24. Louis-Marie-François Saint-Mauris de Montbarey, ex-prince et ancien militaire, âgé de 38 ans, natif de Paris, y domicilié, faubourg Honoré, no 49;

25. Joseph-Guillaume Lescuyer, musicien, âgé de 46 ans, natif d'Antibes, département du Var, domicilié à Paris, rue Poissonnière, no 16;

26. Achille Viart, ci-devant militaire, âgé de 51 ans, natif de....., en Amérique, domicilié à Mariac, département de Bec d'Ambès;

27. Jean-Louis Biret Tissot, domestique de la femme Grandmaison, âgé de 35 ans, natif de Paris, y domicilié, rue de Mesnard;

28. Théodore-Jauge, banquier, âgé de 47 ans, natif de Bordeaux, département de Bec d'Ambès, domicilié à Paris, rue du Mont-Blanc;

29. Catherine-Susanne Vincent, âgée de 45 ans, native de Paris, y domiciliée, rue de Mesnard, mariée à..... Gryois;

30. Françoise-Augustine Santuare, âgée de 40 ans, native de l'île Bourbon, en Afrique, domiciliée à Marefosse, département de la Seine-Inférieure, mariée à..... Desprémenil;

31. Charles-Armand-Augustin Depont, ex-noble, âgé de 49 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Notre-Dame-des-Champs;

(p. 359) 32. Joseph-Victor Cortey, épicier, âgé de 37 ans, natif de Symphorien, département de la Loire, domicilié à Paris, rue de la Loi;

33. François Paumier, ci-devant marchand de bois, âgé de 39 ans, natif de Aunay, département de la Nièvre;

34. Jean-François Deshayes, âgé de 68 ans, natif de Herserange, département de la Moselle, domicilié à Luçon, marchand et membre du comité de surveillance dudit lieu;

35. François-Augustin Ozanne, ex-officier de paix, âgé de 40 ans, natif de Paris, y domicilié, rue de la Vieille-Monnaie;

36. Charles-François-René Duhardaz Dauteville, ex-noble, âgé de 23 ans, natif du Mans, département de la Sarthe, domicilié à Paris, rue Basse-du-Rempart, no 20;

37. Louis Comte, négociant, âgé de 49 ans, natif de Varennes, département de Saône-et-Loire, domicilié à Paris, rue Thomas du Louvre, grande maison de France;

38. Jean-Baptiste Michonis, limonadier et ex-administrateur de police, âgé de 59 ans, natif de Paris, y domicilié;

39. Philippe-Charles-Élysée Baussancourt, sous-lieutenant de carabiniers, âgé de 27 ans, natif de Vitry-le-Français;

40. Louis Karadec, agent de change, âgé de 45 ans, natif de Lisieux, département du Calvados, domicilié à Paris, rue du Faubourg-du-Temple;

41. Théodore Marsan, âgé de 27 ans, natif de Toulouse, département de la Haute-Garonne, domicilié à Paris, rue de Cléry, no 95;

42. Nicolas-Joseph Egrée, brasseur, âgé de 40 ans, natif de Cateau-Cambrésis, département du Nord, domicilié à Suresnes, département de Paris;

43. Henri Menil-Simon, ci-devant capitaine de cavalerie, âgé de 53 ans, natif de Buley, département de la Nièvre, domicilié à Vigneux, département de Seine-et-Oise;

44. Jeanne-Françoise-Louise Demier Sainte-Amarante, âgée de 42 ans, native de Saintes, département de la Charente, domiciliée à Cercy, département de Seine-et-Oise;

45. Charlotte-Rose Sainte-Amarante, âgée de 19 ans, native de Paris, domiciliée à Cercy, département de la Nièvre, mariée à Sartine;

46. Louis Sainte-Amarante, âgé de 17 ans, natif de Paris, domicilié à Cercy;

47. Gabriel-Jean-Baptiste Briel, ex-prêtre, âgé de 56 ans, natif de Montier-sur-Faulx, département du Mont-Blanc, domicilié à Arcueil, et auparavant à Paris, rue Helvétius;

48. Marie Grandmaison, ci-devant Buret, ci-devant actrice des Italiens, âgée de 27 ans, native de Blois, département de Loir-et-Cher, domiciliée à Paris, rue Mesnard, no 7;

49. Marie-Nicole Bouchard, âgée de 18 ans, native de Paris, y domiciliée, rue Mesnard, no 7;

50. Jean-Baptiste Marino, peintre en porcelaine, administrateur de police, (p. 360) âgé de 37 ans, natif de Sceaux, district du Bourg de l'Égalité, domicilié à Paris, rue Helvétius;

51. Nicolas-André-Marie Froidure, ex-administrateur de police, âgé de 29 ans, natif de Tours, département d'Indre-et-Loire, domicilié à Paris, rue Honoré, no 91;

52. Antoine-Prosper Soulès, ex-administrateur de police et officier municipal, âgé de 31 ans, natif de Avize, département de la Marne, domicilié à Paris, rue Taranne, no 38.

53. François Dangé, ex-administrateur de police, âgé de 47 ans, natif de Chesey, département de Cher-et-Loir, domicilié à Paris, rue de la Roquette, no 36;

54. Marie-Maximilien-Hercule Rosset, se disant comte de Fleury[142], âgé de 23 ans, domicilié à Paris.

Avoir été condamnés à la peine de mort, etc. Procès-verbal d'exécution, en date du 29 prairial.

Signé: Lécrivain, greffier.
Claude-Antoine Deltroit, officier public.


Par jugement du 4 messidor (22 juin 1794), appert:

1. Thomas-Thérèse Vanyer, âgé de 61 ans, né à Paris, ex-chanoine de Saint-Quentin, département des Ardennes, y demeurant;

2. Pierre-Alexandre Lhuillier, âgé de 33 ans, né et demeurant à Paris, rue de Vendôme, receveur des rentes;

3. Remy Carra, âgé de 26 ans, chapelier, né à Saint-Chamond, département de Loire, demeurant à Paris, rue Marguerite, ex-maréchal des logis de la 3e compagnie de la légion allobroge;

4. Jean-Baptiste Calmar, âgé de 20 ans, marchand de rubans, né à Bonnet-la-Montagne, département de Loire, demeurant commune d'Armes, ci-devant Saint-Étienne;

(p. 361) 5. Jean Blanc, âgé de 57 ans, quincaillier, né à la Montagne, département de l'Aveyron, y demeurant;

6. Jean-Antoine Tricot, âgé de 55 ans, né à Paris, y demeurant, rue Jacob, ex-prêtre, chanoine de Saint-Quentin, département des Ardennes;

7. Et François-René Cucu d'Hérouville, âgé de 69 ans, né et demeurant à Paris, section des Droits de l'Homme, contrôleur des rentes et receveur de l'Hôtel-Dieu;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Leclerc.

Pour extrait conforme, Lécrivain, greffier en chef.


Le passage quotidien des charrettes du tribunal révolutionnaire par la longue rue Saint-Honoré, jusqu'à la rue Royale, fatiguait depuis longtemps ces quartiers populeux, saisis de dégoût et d'horreur, et, chaque jour, obligés de fermer leurs boutiques. Les plaintes des habitants, à la fin, avaient été écoutées. Le 21 prairial (9 juin 1794), les bières vivantes (c'est ainsi qu'on appelait les charrettes qui conduisaient les condamnés à la mort) avaient été dirigées sur la place Antoine, où la guillotine s'était installée, sur le terrain de la Bastille. Elle n'y fonctionna que trois jours: elle eut toutefois le temps d'y recevoir sept fournées; puis, sur les réclamations des citoyens du quartier, le fatal instrument dut s'éloigner encore jusqu'à cette porte de Paris qu'on appela, à cette époque, tour à tour la barrière du ci-devant Trône, ou du Trône renversé, ou place de la Déchéance, et enfin barrière de Vincennes. Il y eut une seule exception faite le 4 messidor (22 juin 1794) pour la construction de l'échafaud sur l'ancienne place Louis XV.

On comprend que les solennelles immolations de la grande journée du 10 thermidor, et celles qui devaient suivre, exigeassent une mise en scène plus grandiose et un plus formidable appareil: les vainqueurs ne négligèrent rien pour offrir cette satisfaction aux vaincus.

Exécution du 10 thermidor an II (28 juillet 1794).

1. Maximilien Robespierre, âgé de 35 ans, natif d'Arras, domicilié à Paris, rue Honoré, section des Piques;

2. Georges Couthon, âgé de 38 ans, natif d'Orzay, département du Puy-de-Dôme, domicilié à Paris, cour du Manége;

(p. 362) 3. Louis-Jean-Baptiste-Thomas Lavalette, âgé de 40 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Honoré, no 320;

4. François Hauriot, âgé de 35 ans, natif de Nanterre, près Paris, domicilié à Paris, rue de la Clef;

5. René-François Dumas, âgé de 37 ans, natif de Jussey, département de la Haute-Saône, domicilié à Paris, rue de Seine-Germain, maison de convenance;

6. Antoine Saint-Just, âgé de 26 ans, natif de Lisé, département de la Nièvre, domicilié à Paris, rue Caumartin, no 3;

7. Claude-François Payan, âgé de 27 ans, natif de Saul-les-Fontaines, département de la Drôme, domicilié à Paris, rue de la Liberté, section de Marat;

8. Jacques-Claude Bernard, âgé de 34 ans, domicilié à Paris, rue Bernard, section de Montreuil;

9. Adrien-Nicolas Gobeau, âgé de 26 ans, natif de Vincennes, département de Paris, domicilié à Paris, rue de la Chaise, no 530, section de la Croix-Rouge;

10. Antoine Gency, profession de tonnelier, âgé de 23 ans, natif de Reims, département de la Marne, domicilié à Paris, rue de Lourcine, faubourg Marcel;

11. Nicolas-Joseph Vivier, âgé de 50 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Germain-Muséum;

12. Jean-Baptiste-Edmond Lescot-Fleuriot, profession artiste, âgé de 43 ans, natif de Bruxelles, domicilié à Paris, à la mairie;

13. Antoine Simon, cordonnier, âgé de 58 ans, natif de Troyes, département de l'Aube, domicilié à Paris, rue Marat, no 32;

14. Denis-Étienne Laurent, âgé de 32 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Gît-le-Cœur, no 13;

15. Jacques-Louis-Frédéric Wouarnée, âgé de 29 ans, natif de Paris, y domicilié, rue de l'Hirondelle, no 10;

16. Jean-Étienne Forestier, profession fondeur, âgé de 47 ans, natif de Paris, y domicilié, rue du Plâtre-Avoye;

17. Augustin-Bon-Joseph Robespierre, natif d'Arras, domicilié à Paris, rue Florentin;

18. Nicolas Guérin, profession receveur à la ville, âgé de 52 ans, natif de Beaumont-sur-Orne, département du Calvados, domicilié à Paris, rue du Faubourg-Montmartre, no 50;

19. Jean-Baptiste-Mathieu Dhazard, profession perruquier, âgé de 36 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Honoré, no 101, section des Gardes-Françaises;

20. Christophe Cochefer, profession tapissier, natif de Gonesse, département de Seine-et-Oise, domicilié à Paris, rue Merry, no 413;

21. Charles-Jacques-Mathieu Bougon, âgé de 57 ans, natif de Trouville, département du Calvados, domicilié à Paris, rue Lazare, no 64, section du Mont-Blanc;

(p. 363) 22. Jean-Marie Quenet, profession marchand de bois, natif de Commune-Affranchie, domicilié à Paris, rue de la Mortellerie, no 78;

Avoir été condamnés à la peine de mort, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Neirot, commis greffier.

Pour extrait conforme, Trial, officier public.


Exécution du 11 thermidor an II (29 juillet 1794).

Le lendemain, la fournée fut plus considérable: les vainqueurs, qui avaient d'abord frappé leurs ennemis les plus redoutés, avaient eu le temps de faire des désignations plus nombreuses, et d'atteindre la plupart des membres de la Commune, qui avait longtemps prévalu contre la Convention. Le lecteur trouvera dans ces listes les noms de plusieurs commissaires du Temple.

1. Bertrand Arnaud, secrétaire et membre du conseil général de la Commune, âgé de 55 ans, natif de Tigne, département du Mont-Blanc, domicilié à Paris, rue Favart, no 4;

2. Jean-Baptiste Crépin Taillebot, profession maçon, âgé de 58 ans, natif de Jouy-le-Peuple, département de Seine-et-Oise, domicilié à Paris, rue du Faubourg-du-Temple;

3. Servais-Baudoin Boullanger, profession joaillier, âgé de 38 ans, natif de Liége, domicilié à Paris, rue Honoré, no 59;

4. Prosper Sijas, profession commis, âgé de 35 ans, natif de Vire, département du Calvados, domicilié à Paris, rue Grange-Batelière, no 21;

5. Pierre Remy, profession tabletier, âgé de 45 ans, natif de Chaumont, département de la Haute-Marne, domicilié à Paris, rue Louis, no 595, section de l'Indivisibilité;

6. Claude-Antoine Deltroit, profession meunier, âgé de 43 ans, natif de Pontoise, département de Seine-et-Oise, domicilié à Paris, quai de la Mégisserie, no 21;

7. Jean-Guillaume-François Vaucanu, profession mercier, âgé de 37 ans, natif de Germain-de-Montgommery, département du Calvados, domicilié à Paris, rue du Monceau;

8. Claude Bigant, profession peintre, âgé de 40 ans, natif de Paris, y domicilié, rue des Boulangers-Victor, no 5, section des Sans-Culottes;

9. Jean-Charles Lesire, profession cultivateur, âgé de 48 ans, natif de Rosay, département de Seine-et-Marne, domicilié à Paris, quai de l'Union, section de la Fraternité;

10. Jean-Baptiste-Emmanuel Legendre, âgé de 62 ans, natif de Paris, y domicilié, rue de la Monnaie, no 515, section du Muséum;

11. Jean-Philippe-Victor Charlemagne, profession instituteur, âgé de 26 ans, natif de Paris, y domicilié, rue de Cléry, no 92;

(p. 364) 12. Pierre-Nicolas Delacour, profession notaire, âgé de 37 ans, natif de Beauvais, département de l'Oise, domicilié à Paris, rue Neuve-Eustache, section de Brutus;

13. Augustin-Germain Jobert, profession négociant, âgé de 50 ans, natif de Montigny-sur-Aube, département de la Côte-d'Or, domicilié à Paris, rue des Prêcheurs;

14. Pierre-Louis Paris, âgé de 35 ans, natif de Paris, y domicilié, rue des Carmes, no 27, section du Panthéon;

15. Claude Jonquoy, profession tabletier, âgé 44 ans, natif de Massiac, département du Cantal, domicilié à Paris, rue Jean-Robert, no 15, section des Gravilliers;

16. René-Toussaint Daubancourt, profession coffretier, âgé de 53 ans, natif de Paris, y domicilié, rue des Petits-Champs, no 23, section de la Halle aux blés;

17. Jean-Baptiste Vincent, profession entrepreneur de bâtiments, âgé de 36 ans, natif de Moutier-Saint-Jean, département de la Côte-d'Or, domicilié à Paris, rue de Cléry, section de Bonne-Nouvelle;

18. Martin Wichterich, profession cordonnier, âgé de 45 ans, natif de Cologne, domicilié à Paris, rue de Lappe, section de Popincourt;

19. Pierre Henry, profession receveur de loterie, âgé de 48 ans, natif de Riz, département du Var, domicilié à Paris, rue Antoine, section de l'Indivisibilité;

20. Jean Cazenave, profession commis marchand, âgé de 38 ans, natif de Belleville, près Paris, domicilié à Paris, rue d'Orléans, section de l'Homme-Armé;

21. Jean-Louis Gibert, profession de pâtissier, âgé de 43 ans, natif de Luzancy-la-Marne, département de Seine-et-Marne, domicilié à Paris, faubourg Denis, no 25, section du Nord;

22. Pierre Girod, profession mercier, âgé de 27 ans, natif de Paris, y domicilié, rue des Deux-Ponts, no 10, section de la Fraternité, marié à Antoinette-Adélaïde Rominira;

23. François Pelletier, profession marchand de vins, âgé de 33 ans, natif de Cheminon, département de la Marne, domicilié à Paris, rue du Faubourg-Denis;

24. Nicolas Jérosme, profession tourneur, âgé de 44 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Jacques-la-Boucherie, no 213;

25. Jean-Baptiste Cochois, profession commis-marchand, âgé de 53 ans, natif de Paris, y domicilié, rue de l'Égalité;

26. Jean-Léonard Sarrot, profession peintre, âgé de 31 ans, natif de Paris, y domicilié, rue du Faubourg-Franciade, no 45;

27. René Grenard, profession fabricant de papier, âgé de 45 ans, natif de la Garenne, département de Seine-et-Oise, domicilié à Paris, rue et section des Piques;

28. Jacques Lasnier, profession homme d'affaires, âgé de 52 ans, natif de Bezoir-Laférière, département de Seine-et-Marne, domicilié à Paris, rue du Four-Germain, no 286;

29. Marc-Martial-André Mercier, profession libraire, âgé de 43 ans, natif (p. 365) de Paris, y domicilié, rue Neuve-des-Capucines, no 188, marié à Anne de By;

30. Jean-Pierre Bernard, profession homme de confiance, âgé de 38 ans, natif de la Chalade, département de la Meuse, domicilié à Paris, rue Germain-Muséum;

31. Étienne-Antoine Souars, âgé de 56 ans, natif d'Aubervilliers, dit les Vertus, district de Franciade, domicilié à Paris, rue des Vieux-Augustins, no 32;

32. Dominique Mettot, profession agent d'affaires, âgé de 45 ans, natif de Nancy, département de la Meurthe, domicilié à Paris, à la maison commune;

35. Louis-Joseph Mercier, profession menuisier, âgé de 40 ans, natif de Sacy-le-Grand, département de l'Oise, domicilié à Paris, rue des Trois-Pistolets, no 14, section de l'Arsenal;

34. Jean-Jacques Baurieux, profession horloger, âgé de 45 ans, natif de Dartois, département des Bouches-du-Rhône, domicilié à Paris, rue du Faubourg-Honoré, no 19;

35. Antoine Jametel, âgé de 54 ans, natif de Moissy, département de Seine-et-Marne, domicilié à Paris, rue de la Grande-Truanderie, no 18; marié à Louise-Pauline Noiseux;

36. Ponce Tanchou, profession graveur, âgé de 32 ans, natif de Bourges, département du Cher, domicilié à Paris, cloître Notre-Dame, no 42; marié à Jeanne-Louise Beliaz;

37. Marc-Louis Desvieux, âgé de 44 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Montorgueil;

38. François-Auguste Paff, profession bonnetier, âgé de 41 ans, natif de Paris, y domicilié, rue de la Joaillerie, section des Arcis, marié à Catherine-Françoise Bourgain;

39. Jacques-Mathurin Lelièvre, profession graveur, âgé de 40 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Martin, no 252;

40. Louis-François Dorigny, profession de charpentier, âgé de 36 ans, natif de Bruyère, département de l'Aisne, domicilié à Paris, rue Popincourt, no 17;

41. Pierre-Alexandre Louvet, profession peintre, âgé de 33 ans, natif de Paris, y domicilié, rue des Blancs-Manteaux, no 52; marié à Françoise Liédé;

42. Jean-Jacques Lubin, profession peintre, âgé de 29 ans, natif de Paris, y domicilié, rue de la Révolution, no 24;

43. Jacques-Pierre Coru, profession grainier, âgé de 63 ans, natif de Nocé, département de l'Orne, domicilié à Paris, rue Antoine, no 229;

44. Pierre-Simon-Joseph Jault, profession artiste, âgé de 30 ans, natif de Reims, département de la Marne, domicilié à Paris, rue Claude, no 371;

45. Jean-Baptiste Bergot, profession employé aux cuirs, âgé de 56 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Française, no 11;

46. Jacques-Nicolas Lumière, profession musicien, âgé de 45 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Thibautodé, no 4;

(p. 366) 47. Jean Paquotte, profession ciseleur, âgé de 48 ans, natif de Troyes, département de l'Aube, domicilié à Paris, à la ci-devant abbaye Germain, no 1114;

48. Jacques-Nicolas Blin, écrivain expert, âgé de 63 ans, natif d'Aubanton, département de l'Aisne, domicilié à Paris, rue Paul, no 37;

49. Marie-François Langlois, profession papetier, âgé de 37 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Jacques, no 196;

50. Jean-Nicolas-Langlois, profession serrurier, âgé de 49 ans, natif de Rouen, département de la Seine-Inférieure, domicilié à Paris, rue Georges, no 38;

51. Jacques Moine, profession commis teneur de livres, âgé de 39 ans, natif de Commune-Affranchie, domicilié à Paris, vieille rue du Temple, no 78;

52. Jean-Baptiste Chavigny, profession commis, âgé de 55 ans, natif de Paris, y domicilié, rue du Faubourg-Montmartre, no 42;

53. Charles Huant Desboisseaux, âgé de 39 ans, natif de Paris, y domicilié, rue de la Fraternité;

54. André Marcel, profession maçon, âgé de 53 ans, natif de Rosny, département de Seine-et-Oise, domicilié à Paris, faubourg Martin;

55. Martial Gamory, profession coiffeur, âgé de 46 ans, natif de Guéret, département de la Creuse, domicilié à Paris, rue du Coq-Honoré;

56. Pierre Haener, profession imprimeur, âgé de 52 ans, natif de Nancy, département de la Meurthe, domicilié à Paris, rue Martin, no 34;

57. Pierre-Jacques Le Grand, profession homme d'affaires, âgé de 51 ans, natif de Paris, y domicilié, rue d'Enfer, en la Cité, no 5;

58. Pierre-Léon Lamiral, profession fruitier, âgé de 38 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Beauregard, section de Bonne-Nouvelle, époux de Marie Grain;

59. Jean-Pierre Eudes, profession tailleur de pierre, âgé de 31 ans, natif de Paris, y domicilié, rue des Juifs, no 38;

60. Edme-Marguerite Lauvin, âgé de 60 ans, natif de Vezelay, département de l'Yonne, domicilié à Paris, rue Geoffroy-Lasnier, no 23;

61. Pierre Dumez, profession ingénieur, âgé de 37 ans, natif de la Ferté-sur-Ourcq, département de l'Aisne, domicilié à Paris, rue de la Harpe, no 26;

62. Denys Dumontier, profession tailleur, âgé de 51 ans, natif de Paris, y domicilié, rue de la Poterie;

63. Jean-Claude Girardin, profession éventailliste, âgé de 48 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Transnonain, no 38;

64. Jacques-Louis Cresson, profession ébéniste, âgé de 49 ans, natif de Paris, y domicilié, rue des Deux-Écus, no 38;

65. François-Laurent Chatelin, profession professeur de dessin, âgé de 43 ans, natif de Nancy, département de la Meurthe, domicilié à Paris, rue Quincampoix, no 98;

66. Joseph Alavoine, profession tailleur, âgé de 63 ans, natif de la Verrière, département de l'Oise, domicilié à Paris, Grands Piliers de la Tonnellerie;

(p. 367) 67. Pierre-François Deraux, profession jardinier, âgé de 53 ans, natif de Goupillère, département du Calvados, domicilié à Paris, rue Plumet, section du Bonnet-Rouge; marié à Élisabeth-Charlotte Dive;

68. Claude Benard, âgé de 28 ans, natif de Paris, y domicilié, rue Boucher;

69. Jacques Morel, profession écrivain, âgé de 55 ans, natif de Vandœuvre, département de l'Aube, domicilié à Paris, rue de Marché-aux-Poirées, no 559;

70. Nicolas Naudin, profession menuisier, âgé de 35 ans, natif de Ville-sur-Iron, département de la Moselle, domicilié à Paris, rue Charlot, no 5;

71. Joseph Ravel, profession chirurgien, âgé de 48 ans, natif de Tarascon, département des Bouches-du-Rhône, domicilié à Paris, rue Antoine, no 36;

Avoir été condamnés à la peine de mort, etc. Procès-verbal d'exécution, en date du 11 de ce mois.

Signé: Neirot, commis greffier (jusqu'à Jametel, le 35e sur la liste).
Ducray, commis greffier (depuis Tanchou, le 36e, jusqu'à la fin).


On le voit, ce jour-là, soixante et onze individus, déclarés complices de la Commune rebelle, montèrent sur l'échafaud de l'homme dont ils s'étaient faits les séides. Parmi eux, le lecteur aura remarqué Sijas, le président du conseil général dans la nuit du 9 au 10 thermidor; Jobert et Bergot, ces tristes administrateurs de police, célèbres par leur cruauté envers les détenus; puis Boulanger, ce commandant de la garde nationale qui se faisait suivre d'une guillotine. Parmi les condamnés, il faut citer encore Besnard, Desboisseaux et le musicien Lumière, la terreur de leurs sections.

Le 12 thermidor, le sanglant tribunal tint sa dernière séance. Douze démagogues, la plupart membres de la Commune, portèrent leurs têtes sur l'échafaud. Au milieu d'eux se dessinent deux hommes affreux, Nicolas et Arthur, le premier tout meurtri des coups injurieux dont Camille Desmoulins l'avait flagellé dans son Vieux Cordelier; le second, plus horriblement célèbre encore, pour avoir dévoré, au 10 août, le cœur d'un soldat suisse assassiné par lui.

Enfin, par un décret conventionnel du 14 thermidor (1er août 1794), l'exécrable loi du 22 prairial fut rapportée.


Par jugement rendu au tribunal révolutionnaire établi par la loi du (p. 368) 10 mars 1793, an deuxième de la République française (sic), séant à Paris, au Palais, le 12 thermidor (30 juillet 1794), appert:

1. Charles-Nicolas Leleu, âgé de 40 ans, né à Vitry-sur-Marne, perruquier et membre du conseil général de la Commune, demeurant à Paris, rue Dominique, faubourg Germain, no 335;

2. Léopold Nicolas, imprimeur et juré du tribunal révolutionnaire, âgé de 37 ans, né à Mirecourt, département des Vosges, demeurant à Paris, rue Honoré, no 355;

3. Jean-François Lechenard, âgé de 37 ans, né à Rans, district de Dôle, département du Jura, tailleur et juré au tribunal du 17 août, membre du conseil général de la Commune, demeurant à Paris, rue Montorgueil, no 59;

4. François Tortot, horloger et administrateur de police, âgé de 31 ans, né à Paris, y demeurant, rue Bernard, no 10, faubourg Antoine;

5. Pierre-François Guéniard, ébéniste, membre du conseil général de la Commune, né à Paris, y demeurant, rue de la Roquette, no 68;

6. Pierre Cietty, peintre et membre de la Commune, âgé de 41 ans, né à Trafuil, en Lombardie, demeurant à Paris, rue de Montreuil, no 51;

7. Jean-Étienne Lahure, âgé de 38 ans, né à Montreuil, département de Paris, bijoutier, commandant en second de la section de Popincourt, demeurant à Paris, rue de Popincourt;

8. François-Henri Camus, né à Paris, âgé de 47 ans, négociant avant la révolution, membre de la Commune de Paris, demeurant à Paris, rue Montmartre, 84;

9. Pierre-Eustache Gillet-Marie, âgé de 41 ans, né à Paris, y demeurant, rue de Bourgogne, no 1465, ex-membre du conseil général de la Commune;

10. Antoine Frery, né à Nancy, département de la Meurthe, demeurant à Paris, rue des Vieux-Augustins, âgé de 62 ans, membre du conseil général de la Commune;

11. Jean-Jacques Arthur, fabricant de papiers, membre de la Commune, âgé de 33 ans, né à Paris, y demeurant, rue des Piques;

12. Jean-Baptiste Grillet, âgé de 67 ans, né à Paris, y demeurant, rue Bertin-Poirée, no 16, peintre de portraits et membre de la Commune;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Leclerc.

Pour extrait conforme, Noirot, commis greffier.


Par jugement du 1er fructidor (18 août 1794), appert:

1. Antoine-Paul Lavaur, âgé de 31 ans, natif de Montfaucon, département du Lot, homme de loi, y demeurant;

2. Et Jean Saumont, dit Labran, âgé de 54 ans, cultivateur, natif de Roussinet, département de la Dordogne, demeurant à Busserole, même département;

Avoir été condamnés, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Leclerc.

Pour extrait conforme, Ducray, commis greffier.


(p. 369) Par jugement du 5 fructidor (22 août 1794), appert:

1. Jean-Baptiste Mitre Gouard, âgé de 29 ans, natif d'Aix, département des Bouches-du-Rhône, volontaire au premier bataillon des Phocéens, demeurant à Marseille;

2. Et François Deschamps, âgé de 29 ans, natif de Crévis, département de l'Aube, agent de la commission du commerce et aide de camp de Hanriot, demeurant à Paris, rue des Petits-Augustins, no 15;

Avoir été condamnés et exécutés sur la place publique de la Grève et de la Révolution (sic). Procès-verbal d'exécution dressé par Auvray.

Pour extrait conforme, Ducray, commis greffier.


Par jugement du 6 fructidor l'an II (23 août 1794), appert:

Pierre-André Coffinhal (n'a dit son âge ni le lieu de sa naissance), ex-président du tribunal révolutionnaire et membre de la Commune de Paris, y demeurant rue Regratière, section de la Fraternité;

Mis hors la loi par décret des 9 et 18 thermidor, a été livré à l'exécuteur des jugements criminels par ordonnance du tribunal en date dudit jour 18 thermidor, et exécuté le même jour sur la place de la Révolution, à six heures quinze minutes du soir, en présence de Heurtin, huissier du tribunal, qui en a dressé procès-verbal.


Par jugement du tribunal révolutionnaire du 15 fructidor an II (1er septembre 1794), appert:

Julien-Joseph Lemonnier, âgé de 38 ans, né à Paris, y demeurant rue de la Mortellerie, section de la Maison Commune, membre du comité civil et capitaine de la garde nationale;

Avoir été condamné, etc. Procès-verbal d'exécution dressé par Leclerc.

Pour extrait conforme, Noirot, commis greffier.


Julien-Joseph Lemonnier, si j'en crois les registres de l'Hôtel de ville, fut la dernière victime immolée sur la place de la Révolution, et, partant, probablement la dernière dont les restes furent inhumés dans l'enclos du Christ.

Les condamnés qui vinrent après, et dont le nombre diminua insensiblement, furent tous guillotinés en place de Grève. Leurs dépouilles furent vraisemblablement inhumées pour la plupart dans les cimetières de Sainte-Marguerite ou de Clamart. Quelques morts privilégiés furent seulement portés dans l'enclos funèbre de Picpus.

(p. 371) LETTRES
DE
MADAME ÉLISABETH.

Je crois devoir faire suivre la vie de Madame Élisabeth d'un certain nombre de ses lettres, choisies de manière à faire connaître la princesse dans les situations les plus diverses de fortune, d'esprit et de cœur. M. Feuillet de Conches, on le sait, a publié récemment la correspondance complète de Madame Élisabeth, beau monument élevé, par une main habile, à la gloire de cette princesse, et il a enrichi le texte de notes explicatives d'un grand intérêt. Les lettres que je vais donner, et dont je n'avais pu citer çà et là, dans le cours de mon récit, que quelques fragments détachés, seront les meilleures pièces justificatives de cet ouvrage. On y verra d'abord la princesse, au début de sa belle jeunesse, avec la vivacité d'un esprit pénétrant et l'indépendance d'un caractère inclinant à l'espièglerie. Puis on assistera aux progrès de son jugement; on verra se lever dans cette belle âme toutes les qualités et toutes les vertus, toutes les nobles aspirations, et l'on s'étonnera de cette sagesse précoce qui fit de Madame Élisabeth la plus utile et la meilleure des amies, comme elle était la plus dévouée et la plus courageuse des sœurs.

Sa correspondance avec la marquise de Bombelles et la marquise de Raigecourt, dont je dois la communication aux familles de ces deux nobles dames si dignes de l'affection que leur témoignait la princesse, met dans une vive (p. 372) lumière l'élévation de l'esprit, la droiture de la raison, la bonté et l'ouverture de cœur de la sœur de Louis XVI. Toujours elle s'occupe des intérêts, de la sécurité, du bonheur de ses deux amies, avant de s'occuper de ses propres convenances, du bonheur qu'elle aurait à les avoir auprès d'elle. Elle les aime mieux éloignées et tranquilles qu'en France exposées et menacées.

Ses lettres à madame la marquise des Montiers, plus jeune que ses deux autres amies, et dont elle appréciait l'esprit charmant, l'heureux naturel, en appréhendant un peu les saillies de son imagination, ont un autre caractère. La tendresse est la même, mais elle prend un accent presque maternel pour conseiller, avertir, diriger «son démon», comme elle appelle cette jeune et aimable femme, dans les situations difficiles où elle se trouve. Ce que Madame Élisabeth aime par-dessus tout dans ses amies, c'est leur âme. Leur dignité et leur honneur dans ce monde, leur salut dans l'autre, l'occupent bien autrement que leur félicité passagère, quoiqu'elle fasse tout pour y contribuer. Elle a pour elles une amitié vraiment chrétienne, et l'on voit qu'elle veut continuer éternellement dans le ciel les affections commencées ici-bas. Ces lettres à madame la marquise des Montiers sont complétement inédites. J'en dois la communication à l'obligeance de M. le comte Stanislas des Montiers, heureux comme toute sa famille de contribuer à tout ce qui peut servir à mettre en relief la gloire de Madame Élisabeth.

Ses lettres à madame Marie de Causans, qui se destinait à la vie religieuse, ont un autre caractère. Elles sont pleines d'une haute spiritualité, tempérée par cette prudence et ce bon sens qui forment comme le fond de la nature de Madame Élisabeth. Personne ne parle mieux de la soumission à la volonté de Dieu et de la résignation que cette princesse, qui devait pousser cette vertu jusqu'à l'héroïsme. (p. 373) En même temps elle prémunit la fille de sa vénérable amie, madame de Causans, contre les entraînements de l'imagination qui font quelquefois embrasser la vie religieuse à des personnes qui n'ont pas les dons nécessaires pour s'y sanctifier, et prennent pour une vocation réelle et durable un dégoût passager du monde ou un chagrin que le temps emportera avec tout le reste. Madame Élisabeth, si sévère pour elle-même, condamne le scrupule. Sa religion est sincère, profonde, pleine d'onction, mais éclairée, et elle s'étonne quand l'abbé de Lubersac lui donne des détails sur les superstitions que la population italienne mêle au catholicisme.

Je ne crois pas que dans toute cette correspondance il y ait des lettres plus remarquables que celles qui sont adressées à cet abbé de Lubersac, aumônier de Madame Victoire, qui avait émigré à Rome avec Mesdames de France, et qui, rentré à Paris dans le mois d'août 1792, périt dans les massacres de septembre. L'abbé de Lubersac traînait à l'étranger un noir chagrin;—étaient-ce les malheurs qu'il laissait derrière lui, étaient-ce ceux qu'il entrevoyait dans les ombres de l'avenir, qui plongeaient son esprit dans cette morne tristesse?—Madame Élisabeth, dont l'âme était plus fortement trempée, le soutenait par des conseils qui prenaient insensiblement la forme d'exhortations. Les rôles s'étaient peu à peu intervertis sans que les deux correspondants s'en aperçussent. La princesse soutenait le prêtre et l'aidait à porter sa croix, faisant ainsi l'apprentissage du rôle sublime qu'elle remplit plus tard auprès des compagnons de son funèbre itinéraire de la Conciergerie à l'échafaud.

Dans cette correspondance, qui remonte jusqu'à l'ancien régime, et à une époque (1778) où la révolution, comme l'a dit Chateaubriand, ne frappait pas encore à l'huis de l'histoire, et qui ne se ferme que le 10 août 1792, journée (p. 374) néfaste après laquelle la famille royale prisonnière entra au Temple, on retrouve, à mesure que les événements se succèdent, l'impression qu'ils produisent sur Madame Élisabeth, et l'appréciation qu'elle porte sur les hommes et sur les choses. La convocation des états généraux, le serment du Jeu de paume, le 15 juillet et la prise de la Bastille, les journées des 5 et 6 octobre, avec le lamentable retour à Paris de la famille royale prisonnière, la constitution civile du clergé, le fatal voyage à Varennes, la journée du 20 juin, cette préface du 10 août, viennent tour à tour jeter un sinistre reflet dans les lettres de Madame Élisabeth à ses amies, à l'abbé de Lubersac, au comte d'Artois. Une de ses plus remarquables lettres est adressée à ce prince, pour lequel elle avait la plus vive tendresse, et, si j'ose le dire, une de ces faiblesses de cœur que les sœurs sérieuses ont pour celui de leurs frères dont l'impétueuse ardeur a besoin d'être dirigée et retenue. Chose remarquable, Madame Élisabeth, cette princesse d'un cœur si bienveillant, incline presque toujours vers les partis de vigueur. Elle comprend que la faiblesse devant une révolution qui ne perd ni une occasion, ni une concession, ni une minute, contribue à tout perdre. Elle le répète souvent dans ses lettres. La vigueur dans la politique, l'union dans le parti royaliste et dans la famille royale, voilà ce que recommande Madame Élisabeth; et, dans sa lettre au comte d'Artois, elle insiste de la manière la plus forte et la plus raisonnable sur la nécessité de ne pas contrarier à Coblentz la politique de Louis XVI.

A mesure que les lettres se rapprochent par leurs dates de la fatale journée du 10 août, la faible lueur d'espérance qui jetait çà et là quelques reflets lumineux, pâlit et s'éteint. La princesse voit venir la catastrophe, mais elle sait où est pour elle le poste du devoir, de l'honneur et de la tendresse fraternelle; elle y reste. Advienne que pourra! elle (p. 375) remplira jusqu'au bout la sainte et angélique mission que la Providence lui a donnée. Les Sursum corda reviennent alors plus fréquents sous sa plume dans ses lettres avec ses amies; elle ne regarde plus, elle n'espère plus que du côté du ciel.


I
A MADAME DE BOMBELLES.

Vous croyez peut-être que je suis consolée, point du tout; d'autant plus que moi, qui déteste les explications, je viens d'en avoir une avec ma tante. La Reine y a été ce matin pour lui demander ce qu'elle avoit hier, et elle lui a dit qu'elle étoit fort mécontente de moi, parce que je ne lui avois pas écrit avant mon inoculation, et qu'elle devoit m'en parler. J'y ai donc été ce soir: je suis arrivée chez ma tante Victoire, qui m'a parlé avec beaucoup d'amitié, et qui m'a dit que j'avois eu tort de ne leur pas écrire, ce dont je suis convenue, et lui ai demandé pardon. De là, j'ai été chez ma tante Adélaïde, qui, le plus aigrement possible, m'a dit: «J'ai parlé à la Reine de vous ce matin. Que dites-vous de votre conduite, depuis qu'il est question de vous inoculer?—Comment, ma tante, lui ai-je dit, qu'est-ce que j'ai fait?—Vous ne nous avez pas seulement remerciées.» Et elle reprit, de ce que nous nous enfermions avec vous; et pendant Choisy et Marly nous n'avons pas entendu parler de vous.—Je lui représentai qu'entre ses deux voyages j'étois venue chez elle et que je l'avois remerciée; qu'en cela je n'avois fait que mon devoir, mais que je l'avois fait. A cette réponse, elle s'est un peu embarrassée, et m'a dit entre ses dents:—Ah! une fois en passant, mais je ne leur avois point écrit.—Je lui ai dit qu'en cela j'avois eu tort, et que je leur en demandois pardon; que (p. 376) pour la Muette et Meudon, je n'y avois aucune part et point de tort.—Elle m'a dit qu'elle ne me parloit point de cela; et sur ce elle a changé de conversation, étant toujours embarrassée. En sortant de chez elle, je lui ai encore dit que j'espérois qu'elle me pardonnoit; elle m'a répondu que ce n'étoit que la crainte qu'elle avoit eue d'être oubliée de moi qui l'avoit fâchée, m'aimant beaucoup, et qu'elle espéroit que cela ne seroit jamais.—Je lui ai dit que je tâcherois de mériter son amitié, et que je lui demandois de me conserver toujours la sienne. De là je suis revenue et ai mandé cela à la Reine, et puis à mon petit ange. Je ne puis te celer que je n'ai que la moitié des torts dont je suis convenue; mais il faut mettre la paix dans la maison, et dans ce quartier-là il faudroit au moins M. Le Chat pour l'établir bien solidement.

A propos, mon ange, je t'en prie, si tu as le temps, fais chercher Campana; fais-toi peindre pour ta petite servante; dis-lui de faire ton portrait de la grandeur de ceux des médaillons, et coiffée et habillée comme celui qu'il a fait de moi, et qui n'est pas comme le tien. Ne va pas l'oublier, car je te tuerois ainsi que ton fils. Mande-moi de ses nouvelles, et fais dépêcher Campana. La baronne doit revenir aujourd'hui, ainsi je ne te charge de rien pour elle, mais dis à madame de Travanet que je meurs d'envie de la voir; et dis aussi à la personne qui n'ose se nommer qu'elle ait soin d'acheter des polonoises, pour pouvoir rester chez la baronne, quand j'irai, ce qui, j'espère, sera bientôt. En vérité, madame Angélique, vous devez être bien contente de moi, car mes lettres sont assez longues et les lignes assez serrées; je vais arranger mes affaires et tu les trouveras en très-bon ordre. Mande-moi toutes les grimaces qu'a faites ta belle-sœur pendant le mariage, et toutes les bêtises qu'elle aura dites, qui certainement t'ont beaucoup ennuyée si tu les as écoutées, et qui m'amuseront beaucoup (p. 377) en les lisant. Adieu, ma petite sœur Saint-Ange; il me paroît qu'il y a mille ans que je ne t'ai vue. Je t'embrasse de tout mon cœur, et suis de Votre Altesse

La très-humble et très-obéissante servante et sujette.
Élisabeth de France,
dite la Folle.

Ce 27 novembre 1779.


II
A LA MARQUISE DE CAUSANS.

Du 3 septembre 1784.

Je vous ai fait promettre par votre fille de vous rendre un compte exact de ma journée de lundi[143]. Nous sommes parties à dix heures du matin: il faisait une pluie à verse; mais, malgré cela, tout le monde étoit de bonne humeur. Nous sommes arrivées, et avons été sur-le-champ à l'église; madame de Brébent y est entrée ensuite. La cérémonie a commencé, et tout s'est passé comme à celle de madame de Fontanges, excepté qu'elle a communié avec la même hostie sur laquelle elle avoit prononcé ses vœux; puis on l'a habillée, et elle a été sous le drap mortuaire. A suivi le moment que j'aime le mieux, qui est le baiser de paix. Il me fait toujours un effet que je ne puis rendre; c'est de si bon cœur que nous nous embrassons, quoique nous ne nous connoissions pas, qu'il est impossible de ne pas être attendrie; mais je n'ai pourtant pas pleuré: ce n'est pas mon usage. Pour Bombelles, elle étoit en sanglots, ce qui a été cause de grandes railleries, qu'elle a soutenues avec plus de courage que la migraine qui a suivi. Plusieurs de (p. 378) ces dames pleuroient aussi. Ainsi, vous n'eussiez pas été embarrassée, malgré les assistants. J'ai été fort heureuse, et voilà tout. Mais, le mercredi, j'avois oublié mon bonheur. Celui que je goûte ici est tranquille. Je m'occupe beaucoup depuis huit jours que j'y suis; j'écris des lettres innombrables: cela ne me plaît guère; mais lorsqu'on passe autant d'heures dans la journée sans voir autre chose que son chien, ma chère, on n'est pas fâché d'avoir ce genre d'occupation. Je vous prie de croire que sans cela j'en aurois beaucoup d'autres; par exemple le dessin. Il y a trois jours que je crie après M. B.[144] et qu'il ne vient pas: je meurs de peur qu'il ne soit mort. Quand je dis que je l'attends depuis trois jours, il faut compter que c'est depuis hier. Je vais commencer un petit dessin pour les dames de Saint-Cyr; il est charmant. Je n'ai pas dit à [Bombelles] que c'étoit pour elles, car je crois que cela l'auroit mise de mauvaise humeur.

J'attends avec impatience des nouvelles des courses de vos enfants. Je ne doute pas qu'ils n'aient été reçus à merveille; mais je voudrois bien qu'il me fût permis de croire à la guérison de votre jambe: je ne désire rien tant. Enfin, mon cœur, je juge d'après toutes les souffrances que vous éprouvez, que vous faites votre purgatoire dans ce monde; car, malgré vos douleurs, votre caractère est toujours le même: toujours la même amabilité, la même confiance en Dieu, enfin la même résignation, sans compter toutes les vertus qui naissent de cette résignation. Comment pouvez-vous, malgré toutes vos douleurs de corps et d'esprit, vous croire trop heureuse? C'est une grâce bien particulière de Dieu. Je l'en bénis, et de ce qu'il m'a choisie pour en être l'instrument. Soyez sûre, mon cœur, que rien ne me peut faire plus de plaisir que (p. 379) de penser que j'ai pu adoucir un peu l'amertume de vos maux. Que vous êtes bonne de m'associer à vos prières! Oui, mon cœur, aucune de vos enfants ne vous oubliera, je puis vous en répondre. J'oubliois de vous dire que, malgré le monde, j'avois passé quelque temps avec mon dépôt dans la chambre du conseil, et une grande partie du reste avec D.[145] et plusieurs autres dames.

Votre fille fera bien d'arriver, car je serois capable de lui enlever son trésor. Je sens que je m'y attache beaucoup, et je me propose de lui en faire peur.


III
A MADAME MARIE DE CAUSANS.

8 décembre 1785.

Je suis émue et affligée au dernier point, mon cœur, de l'état de votre mère: l'arrêt de Séguy[146] me fait frémir. J'écrirai à madame de Lastic[147] pour que l'on trouve des prétextes pour faire rester votre sœur à Fontainebleau. Ils seront d'autant plus aisés que, quoiqu'elle soit bien, de longtemps elle ne sera en état d'être transportée. Si vous ne craignez pas d'attendrir votre mère, dites-lui combien je partage ses douleurs, que je voudrois les prendre toutes, que je suis bien affligée de ne pouvoir lui rendre les soins que la tendre amitié que j'ai pour elle me dicteroit. Il m'en coûte bien, depuis trois semaines, d'être princesse: c'est une terrible charge souvent, mais jamais elle n'est plus désagréable que lorsqu'elle empêche le cœur d'agir.

Vous avez sous vos yeux, mon cœur, le triomphe de la (p. 380) religion: je ne doute pas que vous n'éprouviez, dans l'occasion, qu'elle seule peut nous faire supporter le malheur, et, s'il étoit possible, le rendre léger. Croyez que vous aurez la grâce d'une résignation parfaite à la volonté de Dieu. Il ne faut qu'un véritable désir pour l'obtenir, et vous sentez trop combien elle vous est nécessaire pour ne pas la désirer vivement. Espérez tout de ce Père qui vous aime si tendrement; il vous soutiendra, il partagera votre peine et la rendra moins pesante. Pardon, mon cœur, de ce petit morceau de sermon, quoiqu'il soit médiocre: dans la position où vous êtes, l'on est toujours bien aise d'entendre un peu parler de Dieu. C'est ce qui m'a encouragée à cette insolence.

Je prierai certainement les dames de Saint-Cyr de prier pour votre mère, et elles le feront de tout leur cœur, car elles aiment beaucoup votre mère. Je vous en prie, dites-lui que je prie aussi pour elle. J'ai eu peur, le jour que je l'ai vue, qu'elle ne fût fâchée, parce que je lui ai dit que je ne priois pas; et quoiqu'elles soient bien mauvaises, je les fais depuis ce moment exactement.

Madame de Choiseul[148] n'aura votre lettre que demain, parce que ces vilains pots[149] sont d'une inexactitude affreuse et qu'elle n'est arrivée que très-tard: le courrier était parti. Adieu, mon cœur; j'espère que vous avez un peu d'amitié pour moi: cela me feroit bien plaisir, vous aimant beaucoup. Je vous embrasse de tout mon cœur.


(p. 381) IV
A MADAME MARIE DE CAUSANS.

14 décembre 1785.

Votre lettre m'a touchée, mon cœur, à un point que je ne puis rendre que foiblement: la résignation et le courage de votre mère, son désir de recevoir encore Celui qui lui donne la paix et la tranquillité, l'état où vous êtes, tout ce que vous me dites, m'a émue à un point extrême. J'ai été bien attendrie de son souvenir, je vous l'ai déjà dit, mon cœur; mais je ne puis trop le répéter: c'est une vraie peine pour moi de ne pouvoir la soigner. Si je n'avois pas craint de l'émouvoir, j'aurois au moins été la voir; mais je me suis refusé cette consolation. Mais, mon cœur, si elle marquoit le moindre désir que j'y allasse, j'espère que vous me le manderiez, et que vous n'auriez nulle crainte de me faire voir un spectacle aussi touchant: il ne pourroit que m'édifier. Cependant, ne faites point naître ce désir: il seroit trop dangereux s'il ne venoit point d'elle.

Il seroit bien difficile que vous ayez des consolations sensibles dans le moment où vous êtes; mais votre résignation vous en attirera; et si vous voulez bien vous examiner, mon cœur, le calme que vous ressentiez ce matin ne vient-il pas de Dieu, peut-être même de la lecture que vous avez faite cette nuit, qui ne vous a point fait effet dans le moment, mais qui a gravé dans votre cœur les vérités qu'elle contient, et dont vous vous faites l'application sans vous en douter? Croyez que Dieu a beau avoir l'air sévère, il est toujours plein de miséricorde pour ceux qui le servent fidèlement. Ne recherchez point des consolations dans ce moment, ce ne seroit pas le moyen d'en obtenir; contentez-vous de continuer, comme vous faites, (p. 382) à lui offrir à tous moments vos peines et le sacrifice qu'il exige peut-être de vous. Regardez en même temps tout ce qui peut être un sujet de consolation: jugez votre malheur d'après celui des autres, et vous verrez encore que vous êtes moins à plaindre que vos sœurs. Vous jouissez au moins des derniers moments où vous pouvez voir, entendre votre mère, et lui rendre tous les soins que votre cœur vous dicte; au lieu qu'elles joindront au malheur de ne la plus voir celui de ne l'avoir pas vue jusqu'au dernier moment. Que cette idée vous fasse supporter votre peine, sans vous pénétrer de celle à venir des autres. Raigecourt ne saura pas de sitôt nos inquiétudes; je prierai madame de Lastic de me mander quand elle voudra revenir, pour que vous y envoyiez quelqu'un. On ne m'avoit point mandé qu'elle fût inquiète et agitée, mais qu'elle parloit souvent de son fils, et qu'on la distrayoit de cette idée. Je n'en suis pas fâchée; cela prouve qu'elle recouvre toutes ses facultés. Le pauvre curé qui a eu la bêtise de lui dire, en a, dit-on, une attaque de chagrin. Je suis bien aise pour votre mère, et pour vous surtout, que l'abbé Lenfant[150] soit (p. 383) venu; il vous aura fait du bien par sa morale et sa douceur, qui prêche aussi bien que lui.

J'espère, mon cœur, que vous serez convaincue que dans tous les temps vous trouverez en moi une amie prête à vous rendre tous les services que cette même amitié exigera, et que je n'oublierai jamais celle que votre mère veut bien avoir pour moi, qui en suis peut-être digne par le prix que j'y attache et le tendre retour dont je la paye. Je vous embrasse mille fois de tout mon cœur. J'espère que vous ne montrez mes lettres à personne: elles ne sont bonnes que pour vous, qui voulez bien les souffrir.


V
A MADAME MARIE DE CAUSANS.

[Cette lettre est écrite au commencement de l'année 1786, après la réception de celle qui annonçait la mort de madame de Causans, arrivée le 5 janvier 1786.]

Votre lettre m'a pénétrée, mon cœur, et d'admiration et de douleur. Oui, certainement, votre mère jouissoit déjà du bonheur qui lui est réservé: il est impossible de n'être pas consolé de la voir pénétrée de l'amour de Dieu et du désir de le posséder à jamais. Vous êtes bien heureuse, mon cœur, d'avoir aussi bien profité des exemples d'un aussi bon modèle. Dieu vous en récompensera, en vous accordant les grâces dont vous avez besoin dans cette occasion. Ayez confiance en lui, mon cœur: il n'abandonnera ni votre sœur ni vous, et lui donnera la force de soutenir cet assaut. Votre frère mandera à madame de Lastic ce qu'il voudra qu'elle fasse: elle pense qu'il faut attendre, (p. 384) pour commencer à lui dire que votre mère est malade, qu'elle soit retournée et l'amener à Versailles, sans lui rien dire de plus, pour éviter qu'elle retombe malade là-bas. Lorsqu'elle le saura, il me semble que rien ne peut vous empêcher de venir la voir. Cependant je vous prie de ne pas le faire sans que les médecins aient décidé qu'il n'y a pas d'inconvénients. Et soyez sûre que nous hâterons ce moment le plus que nous pourrons pour la consolation des deux, car je ne doute pas qu'elle ne le désire beaucoup.

Vous n'avez pas besoin de la prier de se souvenir de vous. Soyez sûre, mon cœur, qu'elle ne cessera de veiller sur ses enfants, et de demander tout ce qui leur sera utile: aussi suis-je bien reconnoissante que vous m'ayez mise du nombre. Je redoute, comme vous, ces foiblesses qui vous ont effrayée: il faut mettre, à son exemple, nos craintes et nos désirs au pied du crucifix; lui seul peut nous apprendre à supporter les épreuves auxquelles le Ciel nous destine. C'est là le livre des livres, mon cœur: lui seul élève et console l'âme affligée. Dieu étoit innocent, et il a souffert plus que nous ne pourrons jamais souffrir et dans notre cœur et dans notre corps: ne devons-[nous] pas nous trouver heureuses d'être aussi intimement unies à Celui qui a tout fait pour nous? Que cette idée nous encourage, mon cœur, nous fortifie! Il y a de cruels moments à passer dans la vie; mais c'est pour arriver à un bien précieux pour quiconque est un peu pénétré d'amour de Dieu: et qui sait si nous n'y serons pas bientôt, à cet instant redouté de tant de personnes, et si désiré de votre mère! Tâchons de mériter qu'il soit aussi calme et aussi exemplaire.

Quoique je vous exhorte, mon cœur, à la résignation, je puis vous assurer que je suis bien loin de l'être et pénétrée des grandes vérités dont je vous parle.

Je n'ai point envoyé Loustonneau à Fontainebleau; c'est lui qui, par amitié pour votre sœur, y a été: il reviendra (p. 385) demain, l'après-midi. Adieu, mon cœur; j'espère que vous êtes convaincue de l'amitié que j'ai pour vous, et que je n'ai pas besoin de vous l'assurer davantage.

Si vous allez à Suzy, vous continuerez à m'écrire, lorsque vous en aurez envie et besoin. Je n'en sais plus l'adresse. Je vous embrasse de tout mon cœur.


VI
A MADAME MARIE DE CAUSANS.

Ce 10 avril 1786.

Enfin, mon cœur, cette lettre vous trouvera à Paris. Je suis une bien ingrate créature: vous êtes si généreuse dans vos sacrifices, qu'il est indigne à moi de vous parler du bonheur que j'éprouve de sentir votre sœur plus près de moi. Je voudrois bien être déjà au mardi de Pâques: cela n'est pas trop bien; car cette semaine est bien bonne, bien sainte, bien capable de renouveler en nous cette ferveur qui a tant de penchant à se refroidir. Vous serez peut-être affligée de vous retrouver à Paris, et vous le serez surtout d'entrer à Bellechasse: cela est parfaitement simple; mais, mon cœur, vous êtes destinée à y vivre; il faut vous y rendre heureuse; et pour cela il faut vous faire un plan de vie tout occupée, où le monde n'entre pour rien, dont rien ne vous dérange, que vous suiviez du moment même où vous aurez mis le pied dans le couvent. Vous allez me trouver bien sévère; mais, mon cœur, l'homme est si foible, que nécessairement il se relâche toujours dans ses bonnes résolutions; et vous seriez bien étonnée si, ne vous ayant pas forcée dans le commencement, malgré tout ce que vous vous êtes promis, de découvrir, au bout de deux mois, que vous n'avez pas suivi votre plan, et que vous avez une peine presque insurmontable à vous y remettre! Je vous en parle par expérience: j'ai été très-dissipée (p. 386) cette année; le voyage de Saint-Cloud, et même l'été, m'avoient absolument ôté le goût de la vie presque solitaire que je mène. Je m'ennuyois, je me déplaisois chez moi; et enfin, si une grâce particulière ne fût venue m'aider, j'aurois peut-être fini par haïr parfaitement la vie tranquille et douce, loin du tumulte de ce monde, qui n'a que trop de charmes pour un cœur qui craint de rentrer en lui-même et de se voir tel qu'il est. Vous êtes, Dieu merci, loin de cet état; mais vous avouez vous-même que vous aimeriez le monde, le spectacle: vous n'y êtes pas destinée; votre état, votre âge, vos principes, les ordres de votre mère. Il faut donc éviter tout ce qui peut vous faire sentir ce vide, cet abandon, ce besoin que votre cœur a d'attachements, toutes armes dont le démon se sert et dont il se servira avec bien plus de force et de malice dans le moment où vous quitterez votre sœur. Il faut user de votre courage, mon cœur, de votre religion. Vous avez le bonheur d'avoir un confesseur en qui vous pouvez avoir toute confiance; c'est un grand don du Ciel: profitez-en: ouvrez-lui votre cœur sans aucune réserve; la plus petite vous priveroit peut-être de bien des grâces; et quel soulagement n'éprouve-t-on pas de pouvoir verser toutes ses peines dans le sein d'un ami sincère, éclairé, qui vous présentera toujours le véritable remède, qui vous entendra parfaitement lorsque vous lui parlerez de votre mère, de vos regrets, des lumières que vous trouviez en elle et qui vous manquent maintenant; qui vous rappellera les grands exemples qu'elle vous a donnés toute sa vie!

J'ai fait mes pâques ce matin; je me suis remis à la mémoire une certaine semaine sainte que j'ai passée avec votre mère. Que nous étions heureuses! jamais je n'en passerai de pareille. Mais elle m'a promis que je persévérerois; elle en sera la cause: ses exemples pendant sa vie, cette dernière parole, la lettre qu'elle m'a écrite, tout me (p. 387) donne de la confiance. Vous lui avez dit de me regarder au nombre de ses enfants: ah! j'y suis bien de cœur, car je l'aimois bien tendrement. Mais j'ai peur de vous attendrir en vous rappelant un souvenir aussi touchant que pénible pour votre cœur. Je me suis laissée aller au désir du mien en parlant d'un objet aussi intéressant pour l'un que pour l'autre: n'en parlez pas à votre sœur; sa santé exige plus de ménagement. Pardon aussi de mon sermon.


VII
A LA MARQUISE DE BOMBELLES.

Samedi [vraisemblablement de l'année 1786].

Je possède au monde deux amies, et elles sont toutes deux loin de moi. Cela est trop pénible: il faut absolument que l'une de vous revienne. Si vous ne revenez pas, j'irai à Saint-Cyr sans vous, et je me vengerai encore en mariant notre protégée sans vous. Mon cœur est plein du bonheur de cette pauvre enfant qui pleure de joie, et vous n'êtes pas là! J'ai visité deux autres familles pauvres sans vous! J'ai prié Dieu sans vous! Mais j'ai prié pour vous, car vous avez besoin de sa grâce, et j'ai besoin qu'il vous touche, vous qui m'abandonnez. Je ne sais pas comment cela se fait, je vous aime cependant toujours tendrement.

Élisabeth-Marie.


VIII
A MADAME DE BOMBELLES.

Ce 27 novembre 1786.

Tu vois que je t'obéis, mon enfant, car me voilà encore. Tu me gâtes; tu m'écris bien exactement, cela me fait bien plaisir; mais j'ai peur que tu ne te fasses mal à la tête. Il (p. 388) faut te ménager. Je prêche contre mon intérêt, car je suis bien heureuse lorsque je reconnois ton écriture; mais je t'aime, et j'aime mieux la santé que tout. Je suis bien aise que tu souffres mon bavardage avec tant de patience. Tu dis que Fontainebleau ne m'a pas gâtée, j'aime à le croire. Tu trouveras peut-être cette phrase un peu orgueilleuse; mais je t'assure, mon cœur, que je suis pourtant loin de croire que je puisse en rester là. Je sens que j'ai encore bien du chemin à faire pour être bien selon Dieu. Le monde juge bien légèrement, et sur peu de chose il vous établit une bonne ou mauvaise réputation. Il n'en est pas ainsi de Dieu: il ne vous juge que sur l'intérieur; et plus l'on en impose au dehors, plus il sera sévère pour le dedans. Je lisois l'autre jour un discours de l'abbé Asselin[151], sur la nécessité de se sanctifier, chacun dans l'état où le Ciel l'a placé; je vous assure, mon cœur, qu'il fait frémir pour ceux qui disent: «Je veux être bien, mais je n'ai pas la prétention d'être saint.» Il relève cela avec une force qui en prouve le ridicule d'une manière où il n'y a rien à répliquer. En tout, ce livre est superbe. Je suis fâchée de ne l'avoir pas connu avant ton départ, car je suis sûre qu'il t'auroit fait plaisir. Je ne sais si je t'ai dit que tu m'avois redonné du zèle pour l'abbé Nollet. Je vais le reprendre avec un peu plus de suite. J'aimerai à m'occuper de ta science favorite[152]; mais je n'espère pas y réussir comme toi:—Souvent mon esprit est ailleurs.

Je suis convaincue de ce que tu me mandes de tes succès: (p. 389) tu es faite pour en avoir. Si en France on a le mauvais goût de ne pas admirer ta grâce, au moins tu as la consolation de savoir que l'on t'aime pour de meilleures raisons. Je ne serois pas fâchée que la nécessité de faire des frais et de te rendre aimable te donne un peu plus d'habitude du monde, quoique tu aies ce qu'il faut pour y être bien, et qu'en effet tu y sois très-joliment. Un peu plus d'habitude ne te fera pas de mal. Je suis bien insolente ou bien mondaine, n'est-il pas vrai, mon cœur? Tu me pardonnes, j'espère, le premier, et tu ne crois pas au second. Ne va pourtant pas prendre les manières portugaises. Elles peuvent être parfaites, mais j'aime que tu ne te formes pas sur elles. Tu es bien bête d'avoir eu peur à tes audiences, puisque ton compliment étoit fait. Je trouve qu'il n'est embarrassant de parler que lorsque l'on ne s'est pas fait un discours. Étoit-il de toi? J'ai bien ri de ton molto obligato: cela tient beaucoup de l'effecticement de ton cher cousin.

J'ai bien envie de savoir des nouvelles de Charles. S'il étoit ici et que tu t'avisasses d'être inquiète, je me moquerois bien de toi. Aussi ne le suis-je pas; mais je voudrois que tu dormisses; rien n'est plus sain pour toi.

Je suis à Montreuil depuis neuf heures; il fait un temps charmant. Je me suis promenée avec R...[153] pendant une heure presque trois quarts. Lastic est restée avec Amédée, qui est grandie et embellie que c'est incroyable. Madame d'Albert de Rioms vient dîner chez moi, ce qui fait que ma lettre sera moins longue. Il faut pourtant que je te conte que madame du Chastelet est dame d'honneur de ma tante; après avoir bien dit qu'elle ne vouloit pas faire planche, elle a accepté. Je trouve que c'est complétement ridicule d'avoir fait bien du bruit, pour finir par se soumettre à la volonté du Roi, qui ne veut pas la titrer, car voilà ce qui lui tenoit au cœur. On est malheureux d'être ambitieux. Cela fait faire souvent (p. 390) de grandes bêtises. Ton collègue me fait frémir, et je suis bien aise que M. de Bombelles ne soit pas tenté de le prendre pour modèle. A propos de lui, la duchesse de Duras, que j'ai vue hier (et avec qui je suis comme un bijou), est un peu fâchée contre ton mari. Il lui avoit promis des instructions pour son fils, devoit les lui porter, ensuite les lui envoyer de Brest; mais il en a été comme de mon voyage, il est parti sans les lui donner. Elle m'en a parlé d'une manière qui t'auroit touchée, sans aucune aigreur; mais les larmes lui sont venues aux yeux en pensant que c'étoit un moyen de moins pour préserver son fils des dangers auxquels il va être exposé. Que ton mari répare bien vite avec toute la grâce dont il est capable. Tu as bien raison, mon cœur, de t'appliquer dans les commencements à te vaincre; sans madame de Travanet, tu serois perdue si tu cédois une fois, et deux ans sont bien longs à passer ensemble. Nous en parlerons plus amplement dans un autre moment. Je me dépêche trop pour avoir le sens commun, et je griffonne trop. Adieu; ces dames t'embrassent de tout leur cœur, et moi aussi. Que n'est-ce vrai!


IX
A MADAME DE BOMBELLES.

Ce 9 avril 1787.

(Lisez Mathieu Lœnsberg[154].)

M. de Calonne est renvoyé d'hier; sa malversation est si prouvée, que le Roi s'y est décidé, et que je ne crains pas de te mander la joie excessive que j'en ressens et que tout le monde partage. Il a eu ordre de rester à Versailles jusqu'au moment où son successeur sera nommé, pour lui rendre compte des affaires et de ses projets. On vient de (p. 391) me mander que c'étoit M. de Fourqueux qui le remplace. On me mande aussi que M. le Garde des sceaux est renvoyé, et M. de La Moignon a sa place. Je sais toujours si mal les nouvelles, par des voies si peu au fait, que je n'ose pas t'assurer ces dernières. Mais pour M. de Calonne, j'en suis bien sûre. Une de mes amies disoit, il y a quelque temps, que je ne l'aimois pas, mais que dans peu je changerois. Je ne sais si son renvoi y contribuera; il auroit fallu qu'il fît bien des choses pour me faire changer sur son compte. Il doit être un peu inquiet sur son sort. On dit que ses amis font une très-bonne contenance. Je crois que le diable n'y perd rien, et qu'ils sont loin d'être satisfaits. C'est M. de Montmorin qui lui a donné son audience de congé. J'espère que le baron de Breteuil n'aura pas voulu s'en charger; cela lui feroit honneur[155]. L'Assemblée continuera comme auparavant et sur les mêmes plans. Les Notables parleront avec plus de liberté, quoiqu'ils ne s'en gênassent guère, et j'espère qu'il en résultera du bien. Mon frère a de si bonnes intentions, il désire tant le bien, de rendre ses peuples heureux; il s'est conservé si pur, qu'il est impossible que Dieu ne bénisse pas toutes ses bonnes qualités par de grands succès. Il a fait ses pâques aujourd'hui. Dieu l'aura encouragé, lui aura fait connoître la bonne voie: j'espère beaucoup. Dans son compliment, le prédicateur l'a infiniment encouragé à prendre conseil de son cœur. Il avoit bien raison, car il est bien bon et bien supérieur à toute la Cour réunie. J'ai l'air d'une vraie campagnarde; je te dis que l'on m'a mandé tout cela, c'est que je suis à Montreuil depuis midi. J'ai été à vêpres à la paroisse. Elles sont aussi longues que l'année passée, et (p. 392) ton cher vicaire chante l'O filii d'une manière aussi agréable. Des Es. a pensé éclater, et moi de même.

Je suis au désespoir du sacrifice que tu me fais de ton singe, d'autant que je ne pourrai le garder; ma tante Victoire a une peur affreuse de ces animaux et seroit fâchée peut-être que j'en eusse un. Ainsi, mon cœur, malgré toutes ses grâces et la main dont il me vient, il faudra s'en détacher. Si tu veux, je te le renverrai, sinon j'en ferai présent à M. de Guéménée. J'en suis au désespoir, je sens que c'est très-maussade, que cela te contrariera beaucoup, et j'en suis d'autant plus fâchée. Ce qui me console, c'est qu'à cause de tes enfants tu serois peut-être obligée de t'en défaire, parce que cela pourroit être dangereux.

Félicie devient très-gentille, sa tache s'efface beaucoup; j'espère qu'elle ne paroîtra pas du tout. Avant ton arrivée, quoique je sois charmée du départ de M. de Calonne, j'ai peur que la petite ne s'en affecte pour son père, quoique pourtant il n'y gagne ni n'y perde, pas même un protecteur.

Tu es d'une philosophie qui m'enchante, mon cœur; tu en seras plus heureuse, et tu sais si je désire de te le savoir. Je ne comprends pas trop pourquoi tu dis que M. de C.[156] est mauvais politique; il me semble que l'on est fort content de lui, qu'il a fait d'assez belles choses, et que M. de Ségur vient de faire la bêtise la plus pommée que l'on puisse voir en accompagnant l'Impératrice sur la route de Kherson. Elle remue terriblement, la bonne dame, ce qui me déplaît beaucoup: je suis partisante du repos. En conséquence, ce que je t'ai mandé pour Minette n'aura, je crois, pas lieu. Ce n'étoit pas un homme assez bien né. Pour l'autre, mon cœur, je crois qu'il faut attendre comme nous avons déjà fait. Il y a bien des choses à voir et pour elle et pour moi. Car il ne suffit pas de trouver des gens qui prêtent; il faut voir comment on rendra, et si l'on ne se (p. 393) mettra pas dans l'impossibilité de faire d'autre chose nécessaire et pour le moins aussi juste. Tout cela, mon cœur, il sera temps d'y penser quand j'aurai vingt-cinq ans. Jusque-là.....


X
A MADAME DE BOMBELLES.

Ce 8 février 1788[157].

Ta lettre me fait bien de la peine, ma petite, par l'excessive inquiétude où tu étois de la pauvre Félicie. Tu auras su, bientôt après, sa mort, et le courage de sa mère; elle va bien à présent: l'enfant qu'elle va avoir la distraira de la perte qu'elle a faite, surtout nourrissant. Elle t'aura sûrement mandé que tous les avis de ce pays étoient contre, et que c'est un médecin de Stuttgard qui l'a décidée; j'ai peur qu'elle n'ait pas tout à fait raison. Cependant comme elle mènera une vie plus calme qu'à sa première nourriture, l'enfant pourra devenir plus fort. Je crois qu'elle ne me pardonneroit pas si elle savoit ce que je pense sur cela. Je voudrois bien que tu eusses le temps de la voir un peu avant son départ. Je ne t'avois point parlé de la maladie de Félicie, parce que ta mère étoit à Paris, et que je ne savois pas ce que l'on te mandoit, ce qui a fait que je ne t'ai pas écrit aussi la première poste après sa mort.

J'ai montré à ta mère ce que tu me marques pour ton logement; je voudrois que tu eusses celui de la Chapelle, mais il ne te convient pas, à ce que l'on te dit, et puis il est bien un peu cher, je crois qu'il va à cinq mille livres; mais il a l'agrément d'être le plus près de la pièce du Dragon, quoiqu'il y ait une très-petite rue à passer; enfin, ta mère, ton frère, la Chapelle, amies et Raigecourt, s'en (p. 394) occupent tant qu'ils peuvent; ainsi, si tu n'es pas bien logée, ce sera faute de s'entendre, plutôt que manque de s'en occuper.

Mon neveu[158] est toujours dans un état très-inquiétant, l'on ne s'en doute pas, ce qui me fait espérer qu'il s'en tirera; car, si tu t'en souviens, cela lui a porté bonheur dans le temps où il a été à la Muette. Cette tranquillité évite bien des peines, mais aussi le coup est-il bien plus cruel lorsqu'il est inattendu. Je crois t'avoir déjà dit tout cela, mais c'est que j'en suis pénétrée.

Raigecourt est toujours grosse, et je crois que, cette fois-ci, c'est pour tout de bon: elle a passé l'époque de sa seconde fausse couche et se ménage assez pour croire qu'elle n'aura pas d'accidents; le seul qu'elle ait jusqu'à ce moment, ce sont des maux de cœur affreux et une peur pas mal grande, qu'elle a dissimulée le plus qu'elle peut, mais qui, malgré cela, est très-visible. Si par hasard tu lui écris, ne lui en parle pas.

Le Parlement, dit-on, va encore s'assembler pour les lettres de cachet. Tout cela est du rabâchage pour ce moment-ci. Je voudrois qu'il ne fut plus question de lui lorsque tu reviendras, pour le bien que je te veux, car il est bien ennuyeux, presque autant que le temps, qui, hier, étoit superbe, doux, un beau soleil; aujourd'hui, il fait noir et froid, ce qui, comme tu sais, ne m'empêche pourtant pas de sortir. En conséquence je te quitte pour aller rejoindre M. Huvé[159], et donner des ordres. Je suis tout étonnée de penser que, l'année prochaine, je serai au moment de coucher ici; je sens que cela me paroîtra tout drôle. Adieu, ma petite, je t'aime et t'embrasse de tout mon cœur.

(p. 395) J'oubliois de te dire que je trouve ton D. un drôle d'homme de s'enflammer comme cela pour quelqu'un qu'il n'a jamais vu; tu feras très-sagement de traîner cette affaire en longueur, car je ne crois pas qu'elle ait lieu, et il vaut mieux que tu sois ici lorsqu'elle sera rompue tout à fait. Si tu étois encore en colère lorsque tu auras reçu ma lettre, tu l'auras tournée contre moi d'après ce que je te mandois, et cette idée m'affecte considérablement. Mon seul espoir est que ta fureur n'aura pas été longue. Adieu. Je te quitte tout de bon.


XI
A MADAME DE BOMBELLES.

Sans date, mais vers 1788 ou 89.

J'en suis à désirer que ton pauvre frère soit délivré de tous ses maux, et que sa vie ne se prolonge pas aux dépens de tout ce qu'il souffre au physique et au moral. Je suis désespérée de ne pouvoir partager les soins, et pense avec bien de la peine à l'état d'affliction où tu es en ce moment-ci. J'ai vu, ce matin, le baron[160]. J'y ai mené Bombon, qu'il a beaucoup caressé. J'ai été fort contente de ma conversation avec lui, et il a fini par me promettre de parler à la Reine et à la duchesse de Polignac. La seule chose qui m'ait déplu, c'est qu'il m'a dit qu'on vouloit donner C.....[161] à M. de la Luzerne. Il veut que je parle aussi à la Reine, mais il ne veut pas absolument que je parle de Dresde, prétendant qu'il ne faut lui présenter aucunes difficultés qui demandent réflexion, et je me suis promis, malgré (p. 396) cela, en me gardant bien de le lui dire, que je la prierois de déclarer qu'elle ne vouloit pas que tu fusses davantage en Allemagne. Somme toute, je suis contente. Je te ferai plus de détails quand je te verrai. Quoique ma lettre ennuie beaucoup les personnes qui me la voient écrire, il faut encore que je te dise que Rayneval, chez qui j'ai été avec madame Duval, m'a dit que le baron sortoit de chez lui, et qu'il lui avoit beaucoup parlé de toi. J'ai pensé que mon audience du matin n'y avoit rien gâté. Il faut encore que je te dise que j'ai fait un grand éloge au baron de ta raison, du froid et de la résignation avec lesquels tu soutenois toutes les persécutions que tu avois éprouvées; il est convenu de tout cela, et m'a dit qu'il avoit été parfaitement content de la manière dont tu lui avois parlé au sujet de tes affaires. Adieu, mon enfant, donne-moi de tes nouvelles demain matin; remercie ta sœur de ce qu'elle a bien voulu m'écrire, et dis à madame de Bombelles tout ce que j'éprouve pour elle dans ce moment-ci.


XII
A MADAME DE BOMBELLES.

Je suis dans l'enchantement de l'énorme gratification qu'on vous a donnée; j'ai peur que le Roi ne se ruine avec ces libéralités-là. Si j'étois de ton mari, malgré la modestie de cette somme, je la laisserois à M. d'Harvelay, pour prouver à M. de Vergennes que vous demandez davantage, parce que vous en avez véritablement besoin, et pour qu'il voie bien que c'est pour payer vos dettes, et que, puisque vous donnez un si petit à-compte, quand vous en aurez davantage, vous l'emploierez au même usage. J'espère bien que l'année prochaine il vous en donnera un peu plus. J'ai commencé par la lettre de M. de Vergennes, je lisois bien vite, parce que je croyois que j'allois voir des choses (p. 397) superbes, et j'ai été un peu étonnée. Au reste, après avoir bien réfléchi, je ne crois pas que cela soit mauvaise volonté de sa part; mais comme on a été obligé de donner des gratifications pour les fêtes, elles ont pu gêner et diminuer celle-là.

Adieu, mon cœur, j'espère que votre médecine vous fera du bien; tâchez de vous calmer.


XIII
A MADAME MARIE DE CAUSANS.

[Dans les premiers mois de 1789.]

Oui, certes, mon cœur, je vous écrirai avant que vous soyez au noviciat; mais j'espère bien qu'il ne vous sera pas défendu de recevoir des lettres après. Il est vrai que nous serons plus gênées par l'inspection de la maîtresse; mais cela ne m'empêchera pas de vous dire tout ce que je pense. Vous serez peut-être étonnée, mon cœur, que, d'après toutes les réflexions, consultations et épreuves que vous avez faites, je ne sois pas encore assez convaincue de la solidité et de la réalité de votre vocation, pour ne pas craindre que vous n'ayez pas réfléchi comme il faut. Premièrement, mon cœur, on ne peut connoître si une vocation est vraiment l'ouvrage de Dieu, que lorsque avec le désir de suivre sa volonté, l'on s'est pourtant permis de combattre de bonne foi le penchant qui porte à se consacrer à lui; sans cela, l'on court le risque de se méprendre, et de suivre une ferveur passagère qui tient souvent au besoin du cœur, qui, n'ayant pas d'objets d'attachement, croit se sauver du danger d'en former que le Ciel n'approuveroit pas, en se consacrant à Dieu. Ce motif est louable, mais il ne suffit pas; il tient à la passion, il tient au désir et au besoin que le cœur a de former un lien qui (p. 398) le remplisse, dans le moment, tout entier. Mais, je vous le demande, mon cœur, Dieu peut-il approuver cette offrande? peut-il être touché du sacrifice d'une âme qui ne se donne à lui que pour se débarrasser d'elle-même? Vous savez que, pour faire un vœu quelconque, il faut une volonté libre, réfléchie, dénuée de toute espèce de passion; il en est de même pour celui d'une religieuse, et ces dispositions sont encore plus essentielles. Le monde vous étoit odieux; mais étoit-ce dégoût ou regret? Ne croyez pas que si ce dernier l'emportoit, votre vocation soit naturelle et vraie. Non, mon cœur, le Ciel vous envoyoit une tentation, il falloit la supporter, et ne prendre votre résolution de vous consacrer à lui que lorsqu'elle auroit été passée.

Deuxièmement, mon cœur, il faut avoir l'esprit bien mortifié pour prendre l'engagement que vous voulez prendre. Voilà l'essentiel, la véritable vocation. Tout ce qui tient au corps coûte peu, l'on s'y accoutume; mais il n'en est pas de même de ce qui tient à l'esprit et au cœur.

Vous êtes tranquille sur le compte de d'Ampurie[162] parce que vous avez consulté l'archevêque; je rends hommage à ses vertus avec plaisir, mais permettez-moi de vous dire que, de l'aveu de ceux qui le connoissent le plus, il est impossible d'être moins capable de conduire une âme. Je ne vous en parle pas seulement d'après les autres, mon cœur, c'est d'après ce que j'ai vu. J'ai été dans le cas de (p. 399) connoître un prêtre que l'archevêque avoit laissé prêt à se livrer au plus grand désespoir, qu'il n'imaginoit de secourir ni de conseils ni de tout ce qui pouvoit contribuer à sa consolation. Cependant, mon cœur, ce n'étoit là que son strict devoir. Or, comment voulez-vous, d'après cela, que je sois tranquille sur le conseil qu'il vous a donné sur un simple aperçu, sans avoir causé avec vous, sans être entré dans des détails où il est impossible d'entrer par lettre, que je m'en rapporte au conseil du directeur du couvent, qui, tout honnête homme qu'il puisse être, ne peut pas être juge impartial dans cette affaire?

Si d'Ampurie n'est pas mariée dans trois ans, et qu'elle soit obligée d'aller à son Chapitre, vous en rapporterez-vous à ses dix-huit ans, pour croire qu'elle aura toujours une conduite sage, mesurée, qu'elle n'aura pas besoin du conseil d'une amie, d'une sœur qui lui servoit de mère, pour qui elle seroit parvenue à en avoir tous les sentiments? qu'en l'abandonnant à elle-même, vous remplirez le devoir le plus sacré que vous ayez jamais à remplir, celui d'une mère mourante qui s'en est rapportée à vous, qui vous a choisie comme celle qui pouvoit le plus la remplacer avec succès; d'une mère qui n'auroit certes pas abandonné ses enfants à toute la séduction du monde pour se livrer à un goût de retraite et de dévotion qu'elle n'auroit pas cru dans la règle? Non, mon cœur, il me sera toujours impossible de croire que vous remplissez votre devoir, que vous accomplissez la volonté de Dieu en vous consacrant à lui dans ce moment. Au nom de ce même Dieu que vous voulez servir d'une manière plus parfaite, consultez encore, mon cœur, mais consultez des gens plus éclairés, des gens qui n'aient aucun intérêt ni pour ni contre le parti que vous voulez prendre; exposez-leur votre position; laissez-vous examiner de bonne foi: vous seriez aussi coupable en exagérant votre désir comme en (p. 400) le dissimulant. Et, mon cœur, si, pendant votre noviciat, vous éprouvez la moindre peine, je vous le demande en grâce, consultez les mêmes personnes, ne vous en rapportez pas à ceux qui vous diroient que ce ne sont que des tentations; il faut les connoître, il faut les peser, voir si, lorsque vous serez engagée, elles ne feront pas le malheur de votre vie. Enfin, mon cœur, j'ose vous demander, au nom de l'amitié que vous avez pour moi, au nom de ce que vous avez de plus cher en ce monde, au nom de votre respectable mère, de ne négliger aucune des précautions que ceux qui vous sont attachés et qui ont des droits sur votre amitié pourront vous suggérer, pour vous assurer de plus en plus de la vérité de votre vocation. Ce sera peut-être une croix pour vous, mais elle vous attirera plus de grâces par la suite.

Travaillez à me rassurer, mon cœur, en me parlant des épreuves auxquelles vous vous êtes livrée. Je ne vous parle pas de celles du corps: elles sont absolument nulles pour moi, parce qu'elles ne tiennent qu'à l'habitude; mais si vous avez combattu votre vocation; si vous vous sentez parfaitement calme et libre de toutes peines d'esprit; que ce ne soit pas avec vivacité que vous vous livriez à Dieu. Si votre esprit est mortifié, si vous ne vous faites pas un tableau parfait du couvent où vous entrez, si vous comptez y trouver des gens qu'il vous faudra supporter, des objets de scandale[163]; car ne croyez pas, mon cœur, qu'un couvent en soit exempt aux yeux d'une religieuse: plus on est parfait, plus on veut rencontrer dans les autres les mêmes sentiments, et vous ne serez pas à l'abri de cette tentation; car, j'en conviens, cela en est une, mais qui devient une réalité par un excès d'amour de Dieu. Il est bien peu de (p. 401) couvents où la charité règne assez pour ne pas connoître ce défaut.

Enfin, mon cœur, dans quelque position que vous vous trouviez, comptez assez sur mon amitié et sur un vif intérêt de ma part, pour me parler toujours avec confiance de ce qui vous touche. J'ose dire le mériter, par les vrais sentiments que j'ai pour vous, et le tendre intérêt que m'inspireront toujours les enfants de votre respectable et tendre mère. Je vous embrasse et vous aime de tout mon cœur.

Je vous demande en grâce de ne pas vous contenter de lire une fois ma lettre.


XIV
A LA MARQUISE DE BOMBELLES.

Versailles, le 15 juillet 1789.

Que tu es aimable, mon cœur! Toutes les affreuses nouvelles d'hier n'avoient pu parvenir à me faire pleurer; mais la lecture de ta lettre, en portant de la consolation dans mon cœur par l'amitié que tu me témoignes, m'a fait verser bien des larmes. Il seroit bien triste pour moi de partir sans toi. Je ne sais pas si le Roi sortira de Versailles. Je ferois ce que tu désires, s'il en étoit question. Je ne sais pas ce que je désire sur cela. Dieu sait le meilleur parti à prendre. Nous avons un homme pieux à la tête du Conseil[164], peut-être l'éclairera-t-il! Priez beaucoup, mon cœur; ménagez-vous bien, ne troublez pas votre lait. Vous feriez mal, je crois, de sortir. Ainsi, ma petite, je fais le sacrifice de te voir. Sois convaincue qu'il en coûte à mon cœur. Je t'aime, ma petite, mieux que je ne puis le dire. Dans tous les temps, dans tous les moments, je penserai de même. J'espère que le mal n'est pas aussi grand que l'on se le figure. Ce qui me le fait croire, c'est le calme (p. 402) de Versailles. Il n'étoit pas bien sûr, hier, que M. de Launey fût pendu: on avoit pris, dans la journée, un autre homme pour lui. Je m'attacherai, comme tu me le conseilles, au char de Monsieur, mais je crois que les roues n'en valent rien. Adieu, mon cœur, je vous embrasse aussi tendrement que je vous aime.


XV
A MADAME DE BOMBELLES.

Versailles, le 5 août 1789.

La joie de vous savoir en bonne santé a été très-grande dans ce monde-ci. Les premières nouvelles que nous aurons seront encore mieux reçues, et par-dessus tout les quatrièmes. Dans toutes autres occasions, il seroit généreux de partager la joie de la petite baronne; mais dans celle-ci, elle ne peut pas même nous en savoir bon gré. Je vous ai tenu parole, mon enfant; je n'ai pas été fâchée de vous dire adieu; mais je ne sais pas si cela vient de là, mais je me sens d'une humeur de chien. Ne vous en donnez pourtant pas les gants. Oui, je vous le répète, et vous le répéterai et vous le dirai sans cesse, je suis charmée que vous alliez nourrir Henri IV dans un pays où l'air est plus chaud et par conséquent plus propre à l'éducation que vous voulez lui donner. Jouissez bien du bonheur de voir la petite; animez-vous l'une l'autre à tout ce qu'il est dans votre âme de chercher, pour fortifier votre moral, qui, étant éloigné d'un lieu qui vous est cher sous mille rapports, doit un peu souffrir. Réjouissez-vous des nouvelles que je vais vous apprendre, si vous ne les savez pas encore. D'abord, les ministres sont nommés et paroissent approuvés par le public. L'archevêque de Bordeaux[165] a les sceaux, (p. 403) celui de Vienne[166] la feuille des bénéfices, M. de la Tour du Pin-Paulin[167] la guerre, et le maréchal de Beauvau[168] au Conseil. (p. 404) Secondement, la nuit de mardi à mercredi, l'Assemblée a duré jusqu'à deux heures. La noblesse, avec un enthousiasme digne du cœur françois, a renoncé à tous ses droits féodaux et au droit de chasse. La pêche y sera, je crois, comprise. Le clergé a de même renoncé aux dîmes, aux casuels et à la possibilité d'avoir plusieurs bénéfices. Cet arrêté a été envoyé dans toutes les provinces. J'espère que cela fera finir la brûlure des châteaux. Ils se montent à soixante-dix. C'étoit à qui feroit le plus de sacrifices: tout le monde étoit magnétisé.

Il n'y a jamais eu tant de joie et de cris. On doit chanter un Te Deum à la chapelle et donner au Roi le titre de Restaurateur de la liberté françoise. On a aussi parlé d'abolir les engagements perpétuels, et la noblesse a renoncé aux places, pensions, etc. Cet article n'est pourtant pas totalement passé. Je crois, mon cœur, que vous serez assez contente des bonnes nouvelles que je vous apprends. Je n'ose pas me flatter que mes lettres soient toujours aussi intéressantes.

Votre mère, que je quitte dans l'instant....


XVI
A L'ABBÉ R. DE LUBERSAC.

16 octobre 1789.

Je ne puis résister, Monsieur, au désir de vous donner (p. 405) moi-même de mes nouvelles. Je sais l'intérêt que vous voulez bien y prendre; je ne doute pas qu'il ne me porte bonheur. Croyez qu'au milieu du trouble et de l'horreur qui nous poursuivent, j'ai bien pensé à vous, à la peine que vous éprouviez, et que j'ai eu une grande consolation en voyant votre écriture. Ah! Monsieur, quelles journées que celles du lundi et du mardi[169]! Elles ont fini pourtant beaucoup mieux que les cruautés qui s'étoient passées dans la nuit ne pouvoient le faire croire. Une fois entrés dans Paris, nous avons pu nous livrer à l'espérance, malgré les cris désagréables que nous entendions autour de la voiture: ceux de Vive le Roi! vive la Nation! étoient les plus forts. Une fois à l'hôtel de ville, ceux de Vive le Roi! furent les seuls qui se firent entendre. Les propos de ceux qui entouroient notre voiture étoient les meilleurs possibles. La Reine, qui a eu un courage incroyable, commence à être mieux vue par le peuple. J'espère qu'avec le temps, une conduite soutenue, nous pourrons regagner l'amour des Parisiens, qui n'ont été que trompés. Mais les gens de Versailles, Monsieur! Avez-vous jamais vu une ingratitude plus affreuse? Non, je crois que le Ciel, dans sa colère, a peuplé cette ville de monstres sortis des enfers. Qu'il faudra de temps pour leur faire sentir leurs torts! Et si j'étois roi, qu'il m'en faudroit pour croire à leur repentir! Que d'ingrats pour un honnête homme! Croiriez-vous bien, Monsieur, que tous nos malheurs, loin de me ramener à Dieu, me donnent un véritable dégoût pour tout ce qui est prière. Demandez au Ciel pour moi la grâce de ne pas tout abandonner. Je vous le demande en grâce; et prêchez-moi un peu, je vous prie: vous savez la confiance que j'ai en vous. Demandez aussi que tous les revers de la France fassent rentrer en eux-mêmes ceux qui pourroient peut-être y avoir contribué par leur irréligion. Adieu, Monsieur, (p. 406) croyez à toute l'estime que j'ai pour vous, et au regret que j'ai d'en être éloignée.

La personne qui vous remettra cette lettre se chargera de la réponse.


XVII
A LA MARQUISE DE BOMBELLES.

Ce 8 décembre 1789.

Je suis bien aise, mademoiselle Bombelinette, que vous ayez reçu ma lettre, puisqu'elle vous a fait plaisir, et je lui sais très-mauvais gré d'avoir été si longtemps en chemin. La vôtre a été beaucoup plus aimable. Vous ne pouvez pas vous faire une idée du bruit qu'il y a eu aujourd'hui à l'Assemblée. Nous entendions les cris en passant sur la terrasse des Feuillants. Cela faisoit horreur. On vouloit revenir sur un décret qui avoit passé samedi, non-seulement par assis et levé, mais encore par l'appel nominal. La même chose est arrivée ce matin, et il faut espérer que l'on ne reviendra plus sur ce décret, qui me paroît fort raisonnable: vous l'apprendrez par les gazettes.

Je ne mets point du tout de courage à ne point parler de Montreuil. Vous voulez, mon cœur, juger trop avantageusement de moi. Mais c'est qu'apparemment je n'y pensois pas lorsque je t'ai écrit. J'en ai souvent des nouvelles. Jacques vient tous les jours m'apporter ma crème. Flury[170], Coupry[171], Marie[172] et madame Du Coudray viennent me voir de temps en temps. Tout cela a l'air de m'aimer toujours; et M. Huret, que j'oubliois, n'est pas bien mal..... Venons maintenant à la maison. Le salon se meubloit lorsque je (p. 407) l'ai quitté. Il étoit disposé à être fort agréable. Jacques est dans son nouveau logement. Madame Jacques est grosse, et toutes mes vaches le sont aussi. Il y a en ce moment un veau qui vient de naître. Pour les poules, je ne vous en parlerai pas, parce que je les ai un peu délaissées. Je ne sais si vous aviez vu mon petit cabinet du fond meublé. Il est bien joli. Ma bibliothèque est presque finie. Pour la chapelle, Corille est tout seul à y travailler; tu juges si cela va vite. C'est même par charité pour lui que j'ai permis qu'il continuât à y mettre un peu de plâtre. Comme il y est tout seul, cela ne peut pas être compté comme une dépense. Je suis fâchée de ne pas y aller, tu le croiras facilement; mais les chevaux sont pour moi une bien plus grande privation. Cependant, comme je ne puis pas en faire usage, j'y pense le moins possible; mais je sens qu'à mesure que mon sang se calme, cette privation se fait plus sentir; j'en aurai plus de plaisir lorsque je pourrai satisfaire mon goût. Et ce pauvre Saint-Cyr, ah! il est bien malheureux! J'ai reçu hier une lettre charmante de Draquelonde; je leur parlerai de toi demain, car je compte y écrire. Te souviens-tu de Croisard, le fils de la femme de garde-robe de ma sœur? Eh bien, il est aujourd'hui attaché à mes pas en qualité de capitaine. Je dis attaché, parce que l'on ne nous quitte pas plus que l'ombre ne fait le corps. Ne crois pas que cela me contrarie. Comme mes courses ne sont pas variées, cela m'est bien égal. Au reste, je me promène tant que je peux. Sois bien tranquille: encore ce matin j'ai marché pendant une grande heure.

Minette et sa mère étoient à Chartres depuis longtemps. Elles y sont toujours. La fille dit qu'elle s'ennuie; je ne le crois pas trop, parce qu'elle y est plus distraite qu'à Versailles. Elle m'écrit assez souvent. Elle m'a mandé hier qu'elle avoit été à confesse, et que cela l'avoit tout soulagée, qu'elle vouloit y aller souvent. Je souhaite que cela (p. 408) soit vrai. As-tu déjà fait une nouvelle connoissance, et comment t'en trouves-tu? Ton curé n'est point content de ce que nous avons quitté Versailles. Adieu, ma chère petite; je t'aime et t'embrasse de tout mon cœur. Tu es bien gentille d'aimer beaucoup la Princesse, qui te le rend bien!


XVIII
A LA MARQUISE DE BOMBELLES.

Paris, ce 20 février 1890.

Tu n'auras qu'un mot de moi, ma pauvre Bombe; j'ai été avertie trop tard qu'il y avoit une occasion, et puis j'ai la tête et le cœur si pleins de la journée d'hier, que je n'ai pas trop la possibilité de penser à autre chose: le pauvre M. de Favras, dont tu as peut-être connu l'affaire par les journaux, a été pendu hier. Je souhaite que son sang ne retombe pas sur ses juges; mais personne (à l'exception du peuple et de cette classe d'êtres auxquels on ne peut pas donner le nom d'hommes, tant ce seroit avilir l'humanité) ne comprend pourquoi il a été condamné. Il a eu l'imprudence de vouloir servir son Roi, voilà son crime. J'espère que cette injuste exécution fera l'effet des persécutions, et que de ses cendres il renaîtra des gens qui aimeront encore leur patrie et qui la vengeront des traîtres qui la trompent. J'espère aussi que le Ciel, en faveur du courage qu'il a témoigné pendant quatre heures qu'il a été à l'hôtel de ville avant son exécution, lui aura pardonné ses péchés. Priez Dieu pour lui, mon cœur: vous ne pourrez pas faire une plus belle œuvre. Du reste, l'Assemblée est toujours la même: les monstres en sont les maîtres. Enfin, le croirois-tu? le Roi n'aura pas encore toute la puissance exécutrice nécessaire pour qu'il ne soit pas absolument nul dans son royaume. Depuis quatre jours, l'on s'occupe de faire (p. 409) une loi pour apaiser les troubles, eh bien! ils ne cessent de s'occuper d'autres choses beaucoup moins essentielles pour le bonheur des hommes. Enfin, Dieu récompensera les bons dans le Ciel, et punira ceux qui trompent le peuple, le Roi, et tous ceux qui, par la droiture de leur caractère, ne peuvent pas se résoudre à voir le mal tel qu'il est.

Adieu, ma petite, je me porte bien, je t'aime bien; fais-en autant, pour l'amour de ta Princesse, et espérons en un temps plus heureux. Ah! comme nous en jouirons! J'embrasse tes petits enfants de tout mon cœur.

Tu sais le règlement fait pour les moines et les religieux. N'en dis rien à personne, mais l'on dit qu'il sortira bien des gens des couvents, et même de religieuses. J'espère que la maison de Saint-Cyr n'éprouvera pas de changement. Mais son sort n'est pas encore décidé.

Ta mère se porte bien.


XIX
A LA MARQUISE DE BOMBELLES.

Paris, ce 1er mai 1790.

Tu es bien plus parfaite que moi; tu crains la guerre civile; moi, je t'avoue que je la regarde comme nécessaire: premièrement, je crois qu'elle existe, parce que toutes les fois qu'un royaume est divisé en deux partis, et que le parti le plus foible n'obtient la vie sauve qu'en se laissant dépouiller, il m'est impossible de ne pas appeler cela une guerre civile. De plus, jamais l'anarchie ne pourra finir sans cela; et je crois que plus on retardera, plus il y aura de sang répandu. Voilà mon principe. Il peut être faux; cependant, si j'étois roi, il seroit mon guide, et peut-être éviteroit-il de grands malheurs. Mais comme, Dieu merci, ce n'est pas moi qui gouverne, je me contente, tout en (p. 410) approuvant les projets de mon frère, de lui dire sans cesse qu'il ne sauroit être trop prudent et qu'il ne faut rien hasarder.

Je ne suis pas étonnée que la démarche que le Roi a faite le 4 février lui ait fait un grand tort dans l'esprit des étrangers. J'espère pourtant qu'elle n'a pas découragé nos alliés, et qu'ils auront enfin pitié de nous. Notre séjour ici nuit beaucoup aux affaires. Je voudrois pour tout au monde en être dehors, mais c'est bien difficile. Cependant, j'espère que cela viendra. Si j'ai cru un moment que nous avions bien fait de venir à Paris, depuis longtemps j'ai changé d'avis; mais, mon cœur, si nous avions su profiter du moment, croyez que nous aurions fait beaucoup de bien. Mais il falloit avoir de la fermeté; mais il falloit ne pas avoir peur que les provinces se fâchassent contre la capitale; il falloit affronter les dangers: nous en serions sortis vainqueurs.


XX
A MADAME DE BOMBELLES.

Paris, ce 18 mai 1790.

Tu auras vu par les papiers publics, ma chère enfant, qu'il avoit été question de ton mari à l'Assemblée, mais tu auras su en même temps que l'on n'avoit pas seulement écouté M. de Lameth. Ainsi, mon cœur, cela ne doit pas t'inquiéter. Il y avoit quelqu'un qui, à propos du discours de M. de Lameth, disoit qu'apparemment il craignoit que ton mari ne rendît Venise aristocrate, puisqu'il ne vouloit pas qu'il y restât. J'ai trouvé ce propos charmant. Ta mère, qui assurément n'est pas froide sur tes intérêts, n'est point agitée de ce qui s'est passé. Ainsi, mon cœur, laisse gronder l'orage sans te troubler.

(p. 411) Je t'envoie une lettre pour une femme que tu dois voir dans peu. Tu me manderas comment tu l'auras trouvée. Je te vois d'ici te changeant toutes les deux en fontaines. Dis à sa nièce bien des choses de ma part sur la perte qu'elle vient de faire. Et puis, parle beaucoup, avec le mari, de son corps, et tu seras aussi heureuse qu'il soit possible de l'être dans ce moment-ci. Pour moi, j'éprouve une vraie jouissance lorsque j'en reconnois quelques-uns dans les galeries.

Nous sommes enfin sortis de notre tanière. Le Roi va, je crois, monter à cheval pour la troisième fois, et moi j'y ai déjà monté une. Je n'ai pas été très-lasse, et je compte recommencer vendredi. Je vais ce matin à Bellevue. J'ai le besoin de voir un jardin anglois, et j'y vais pour cela. Pendant ce temps-là, l'Assemblée s'occupera d'ôter au Roi le droit de faire la paix ou la guerre. Bientôt, je pense qu'on lui ôtera le droit de porter sa couronne, car c'est à peu près tout ce qui lui reste. Tu sais sans doute ce qui se passe en Dauphiné et dans les provinces adjacentes. La mort de De Bossette fait horreur. Qu'est-ce qu'il étoit au mari de ta nièce? Adieu, ma petite, je t'embrasse et t'aime de tout mon cœur. Comment va ton petit monstre d'Henri?

J'oubliois de te parler de la raison de ton mari. J'en suis édifiée, touchée et enchantée. Je voudrois savoir ta réforme faite, parce que c'est toujours un moment désagréable.


XXI
A LA MARQUISE DE BOMBELLES.

Ce 27 juin 1790.

Il y a longtemps que je ne vous ai écrit, ma petite Bombelinette. Aussi je prends ce soir les avances, afin de (p. 412) n'être pas prise au dépourvu par la poste, comme il arrive souvent lorsque l'on a assez de goût pour la sainte paresse. Je ne vous parlerai pas de tous les décrets que l'on rend à la journée, et surtout de celui d'un certain samedi dont je ne sais plus le quantième. Il afflige peu des personnes qu'il attaque, mais bien les malveillants et ceux qui l'ont rendu, car il est devenu le sujet de la dissipation des sociétés. Pour moi, j'espère bien m'appeler mademoiselle Capet, ou Hugues, ou Robert, car je ne crois pas que je puisse prendre le véritable, celui de France. Cela m'amuse beaucoup; et si ces messieurs vouloient ne rendre que de ces décrets-là, je joindrois l'amour au profond respect dont je suis pénétrée pour eux. Tu trouveras mon style un peu léger, vu la circonstance; mais comme il ne contient pas de contre-révolution, tu me le pardonneras. Loin d'y penser, nous allons nous réjouir dans quinze jours avec toutes les milices du Royaume pour célébrer les fameuses journées du 14 et du 15 juillet, dont peut-être tu as entendu parler. On apprête le Champ de Mars. Il pourra contenir six cent mille âmes. J'espère, pour leur salut et pour le mien, qu'il ne fera pas le chaud qu'il a fait la semaine passée; car je crois que la messe que nous entendrons en ce moment pourroit être mal entendue, vu que, pour ma part, avec l'amour que j'ai pour le chaud, je crois que j'y crèverois. Sans cela, j'espère bien n'y pas laisser mon pauvre corps, qui pourroit bien, en quittant cet endroit, ne pas se rafraîchir de quelque temps; mais au contraire j'espère bien le ramener tout comme il y aura été. Pardonne-moi toutes ces bêtises; mais j'ai tant étouffé la semaine passée, et à la revue de la milice, et dans mon petit appartement, que j'en suis encore toute saisie. Et puis, il faut bien rire un peu, cela fait du bien. Madame d'Aumale me disoit toujours, dans mon enfance, qu'il falloit rire, que cela dilatoit les poumons.

(p. 413) J'achève ma lettre à Saint-Cloud. Me voilà rétablie dans le jardin, mon écritoire ou mon livre à la main; et là je prends patience et des forces pour le reste de ce que j'ai à faire. Ta mère, que je viens de quitter, se porte très-joliment. Adieu, je t'aime et t'embrasse de tout mon cœur. As-tu sevré ton petit monstre, et comment t'en trouves-tu?


XXII
A LA MARQUISE DE BOMBELLES.

Ce 10 juillet 1790.

J'ai reçu ta lettre par ce Monsieur qui est retourné à Venise, mais trop tard pour y pouvoir répondre, en ayant une autre à écrire plus pressée. Nous touchons, ma chère enfant, comme le dit la chanson, au moment de la crise de la Fédération. Elle aura lieu mercredi; je suis bien convaincue qu'il ne s'y passera rien de très-fâcheux. M. le duc d'Orléans n'est pas encore ici, peut-être y sera-t-il ce soir ou demain; peut-être ne reviendra-t-il jamais. J'ai l'opinion que c'est à peu près indifférent. Il est tombé dans un tel mépris que sa présence sera cause de peu de mouvement. L'Assemblée paroît décidément séparée en deux partis, celui de M. de La Fayette et celui de M. le duc d'Orléans, autrement appelé celui des Lameth. Je dis cela parce que le public le croit; moi j'ai l'opinion qu'ils ne sont pas aussi mal ensemble qu'ils veulent le paroître. Que cela soit ou que cela ne soit pas, il paroît que celui de M. de La Fayette est beaucoup plus considérable, et cela doit être un bien, parce qu'il est moins sanguinaire, et paroît vouloir servir le Roi en consolidant l'ouvrage immortel dont Target[173] accoucha le 4 février de l'an 90.

(p. 414) Toutes les réflexions que tu fais sur le séjour du [Roi] sont très-justes, il y a longtemps que j'en suis convaincue; celles qui suivent sont bonnes à suivre, sont même nécessaires. Mais de tout cela il n'en sera rien, à moins que le Ciel ne s'en mêle. Prie-le bien fort pour cela, car nous en avons grand besoin. Cela me fait bien de la peine, parce que j'ai une certaine frayeur que l'ennui ne gagne tant que l'on ne puisse résister au désir de s'amuser un peu, et d'une manière qui peut être ou fort utile ou fort malheureuse pour l'éternité. Le choix est difficile à faire dans deux choses aussi rapprochées que celles-là, quoiqu'au premier coup d'œil elles paroissent fort dissemblables. Mais ton esprit est si fin, si juste, qu'il apercevra sans peine le point qui les unit sans que je me donne la peine de le démontrer. Si tu me trouves le sens commun, il faut convenir que tu seras bien indulgente.

L'Assemblée a décrété hier que le Roi seroit seul avec elle dans la Fédération, le président à sa droite; le reste de sa famille sera, je crois, aux fenêtres de l'École militaire. Le Roi avoit désiré d'en être entouré; mais, comme de raison, on n'a pas pris garde aux désirs de celui qui n'a de pouvoir que celui que la Nation lui délègue. Tu sais que j'ai le bonheur de connoître beaucoup un des membres de cette auguste famille du siècle passé; eh bien, je vous fais part que tout cela lui est bien égal: elle n'en est affligée que par rapport à la Reine, pour qui c'est un soufflet donné à tour de bras, et d'autant mieux appliqué qu'il a été ménagé de loin, et que jusqu'au dernier moment on avoit dit au Roi que le contraire passeroit.

Je suis fâchée de penser que tu n'es plus à la campagne, parce que cela te fait du bien et du plaisir; mais je suis bien édifiée de ta résignation et de ton amour pour tes (p. 415) devoirs. J'espère que tes enfants te ressembleront et serviront Dieu et leur maître comme de bons chrétiens, et tes enfants doivent servir l'un et l'autre, ayant de si bons exemples sous leurs yeux. A propos, je suis bien fâchée que ma phrase t'ait déplu, ce n'étoit pas mon intention, comme tu peux bien l'imaginer. Je n'ai pensé qu'au temps qu'il y avoit que ton mari ne s'étoit occupé de ce métier qui demande un peu de pratique, surtout s'il le suivoit dans la position où il est[174]. Mais je te fais réparation, et te dirai que je suis convaincue que le zèle que certainement il y mettroit pourroit suppléer à ce qui lui manqueroit de science, si par hasard il en avoit perdu. Mais je ne puis te dissimuler que, malgré la grandeur de tes sentiments, je ne me soucie point du tout que ton mari soit appelé. J'ajouterai que je ne crois pas qu'il le doive en conscience, parce que son sort est fixé et qu'il ne peut le changer sans tout abandonner de bonne volonté ou de force. Pèse encore cette réflexion, et sois bien convaincue que je n'ai jamais eu le désir de te faire de la peine, notre amitié est trop vraie pour que tu puisses en douter. Tes parents se portent bien. Je t'embrasse de tout mon cœur; je suis bien fâchée de ce que tu me mandes de Font. J'espère que tu te trompes; si cela étoit, que nous serions ou bêtes ou malheureuses! etc. Mais plus j'y réfléchis, ainsi qu'à ses propos, et moins je le crois.

M. de N., je crois, n'avoit pas besoin des conseils de l'homme dont tu me parles pour le rejoindre. Je crois que l'autre n'auroit pas souffert un séjour plus long, mais c'est toujours fort bien à lui de l'avoir senti. S'il pouvoit de même se persuader de rester toujours où il est avec l'autre, cela seroit bien heureux pour tout le monde.


(p. 416) XXIII
LA MARQUISE DE BOMBELLES.

Ce 16 août 1790.

Eh bien, ma Bombe, tu es en colère contre moi; tu aurois raison si j'avois tort, mais, en conscience, je ne puis pas en convenir. Le Monsieur qui t'a apporté une lettre de ta mère en a, je crois, une de moi que je charge une autre personne de te remettre, ou si ce n'est pas lui, tu en recevras une du même temps; du moins il me semble qu'autant que je puis m'en ressouvenir, voilà la raison pour laquelle je ne lui en ai pas donné. Si je me trompe, et que je ne t'aie pas écrit du tout, c'est sûrement la faute du temps qui me manquoit; car tu sais bien que, dans tous les moments, je serai bien aise de causer à mon aise avec toi, et que celui-ci étant encore plus intéressant, je ne le laisserai pas échapper. Au reste, pour obtenir tout à fait mon pardon, je te promets de t'écrire par la première occasion, si pourtant j'ai quelque chose à te mander; car je ne crois pas que vous désiriez que je vous fasse des contes.

Je ne comprends pas pourquoi tu n'as pas encore reçu ton élixir, car Raigecourt te l'a envoyé il y a déjà quelque temps. Elle est à la campagne dans ce moment-ci, avec son mari, dans une nouvelle terre qu'ils ont achetée. Elle est agréable; mais ne pouvant en jouir pour Stani, elle lui fait beaucoup moins de plaisir. Je suis bien aise que ton pauvre Henry ne te donne plus d'inquiétude. La description que tu me fais de ta campagne fait bien envie. Jouissez-en bien, mon enfant; ne vous occupez point d'idées qui puissent rendre nul le bonheur que la nature vous offre. Joignez-y le véritable, celui d'une conscience bien pure, d'un cœur bien rempli de l'objet qui seul peut consoler (p. 417) dans les maux qui accablent notre patrie, et tu pourras te vanter d'être philosophe, et philosophe chrétien, bien loin des principes de tes anciens amis, que l'expérience doit te faire juger avec des yeux moins indulgents.

La mère Bastide vient de terminer sa longue carrière avec le calme qu'elle a eu toute sa vie. Je l'ai vue depuis sa mort, elle n'étoit pas du tout changée. C'est bien jaune un cadavre, mais cela ne fait pas trop d'horreur. Je ne sais plus si tu en as vu, je ne crois pas, à moins que cela ne fût la mère Beaugeard[175].

Nous sommes toujours à Saint-Cloud, toujours dans la même position, attendant avec résignation ce que le Ciel nous réserve. Bonsoir, ma chère Bombe; je t'embrasse de tout mon cœur, je t'aime beaucoup, et je voudrois bien être avec toi dans un petit coin de ta campagne. Bitche pense-t-il toujours à moi?


XXIV
A MADAME LA MARQUISE DES MONTIERS[176].

Ce 29 août 1790.

J'ai reçu votre lettre, mon cœur; elle m'a bien touchée; je n'ai jamais douté de vos sentiments pour moi, mais les marques que vous m'en donnez me font grand plaisir. Il m'auroit été infiniment agréable de vous revoir cet automne, mais je sens la position de votre mari, et je consens très-fort au projet qu'il a formé de passer l'hiver en pays étranger. Je vous avoue même que votre position me le fait désirer: ce pays-ci est tranquille, mais d'un moment à l'autre il peut ne l'être plus. Vous êtes trop vive (p. 418) pour vous exposer à faire vos couches dans un lieu où l'on peut craindre chaque jour quelque mouvement; votre santé n'y résisteroit pas; de plus, avec cette disposition-là, les suites de vos couches seroient beaucoup plus fâcheuses. Faites toutes ces réflexions pour vous aider, mon cœur, à faire le sacrifice que la fortune de votre mari et sa position vis-à-vis de sa mère vous obligent de faire. Si de vous dire que je l'approuve peut en effet vous le faire un peu mieux supporter, je vous le répéterai sans cesse; mais, mon cœur, ce que je ne saurois trop vous répéter, et que je voudrois que vous eussiez gravé dans le cœur et dans l'esprit, c'est que ce moment-ci doit être décisif pour votre bonheur et votre réputation. Vous allez être livrée à vous-même, dans un pays étranger, ne pouvant recevoir de conseil que de vous-même. Peut-être y rencontrerez-vous des Parisiens dont la réputation ne soit pas très-bonne: il est bien difficile dans un autre pays de ne pas voir ses compatriotes; mais ne les voyez qu'avec une telle prudence, réglez tellement vos démarches sur la raison, que nul ne puisse tenir un propos sur vous. Surtout, mon cœur, cherchez à plaire à votre mari; quoique vous ne m'ayez jamais parlé de lui, je le connois assez pour savoir qu'il a de bonnes qualités, mais qu'il peut en avoir qui ne vous plaisent pas autant. Faites-vous la loi de ne jamais vous arrêter sur celles-là, et surtout de ne jamais permettre que l'on vous en parle; vous le lui devez, vous vous le devez à vous-même. Cherchez à fixer son cœur: si vous le possédez bien, vous serez toujours heureuse. Rendez-lui sa maison agréable, qu'il y retrouve toujours une femme empressée à lui plaire, occupée de ses devoirs, de ses enfants, et vous gagnerez par là sa confiance; et si une fois vous l'avez bien, vous ferez, avec l'esprit que le Ciel vous a donné, et un peu d'adresse, tout ce que vous voudrez. Mais, ma chère enfant, songez avant tout à sanctifier toutes (p. 419) vos bonnes qualités par un grand amour pour Dieu; pratiquez votre religion, vous y trouverez une force, des ressources dans toutes vos peines, des consolations qu'elle seule peut faire goûter. Ah! y a-t-il un bonheur plus grand que celui d'être toujours bien avec sa conscience? Conservez-le, ce bonheur, et vous verrez que les tourments de la vie sont bien peu de chose comparés avec les tourments qu'éprouvent les gens livrés à toutes les passions. Que la dévotion de votre belle-mère ne vous en dégoûte pas: il est des gens à qui le Ciel n'accorde pas la grâce de la connoître sous son vrai jour; il faut prier que le Ciel l'éclaire. Je suis bien aise que votre mari connoisse ses défauts, mais je serois fâchée que par des plaisanteries ou autrement vous les lui fassiez remarquer. Pardon, mon cœur, de tout mon bavardage; mais je vous aime trop pour ne pas vous dire tout ce que je crois utile à votre bonheur. Vous me dites, avec toute l'amabilité dont vous êtes capable, que si vous valez quelque chose vous me le devez; prenez-y garde, c'est m'encourager à vous ennuyer encore.

Mandez-moi si vous avez reçu une lettre de moi, que je vous ai écrite peu de jours après la Fédération; il y en avoit une pour votre belle-mère: comme c'est une occasion, elle a été longtemps en chemin. Adieu, mon cœur, écrivez-moi tant que vous en aurez le désir. Si vous avez besoin d'ouvrir votre cœur, ouvrez-le-moi, et croyez que vous ne pouvez pas vous adresser à quelqu'un qui vous aime plus tendrement que moi. Vous me manderez votre adresse. J'oubliois de vous répondre pour M. d'A. Ne pouvant, vu la position de mes affaires, rien faire pour lui dans ce moment, je désire que vous priiez la personne qui vous en a parlé, s'il se trouvoit dans une position plus critique, qu'il est toujours à craindre que les circonstances amènent, de vous le mander; pour lors je ferois ce qu'il me seroit possible, et cela seroit plus naturel que de leur (p. 420) envoyer de but en blanc, je craindrois que leur amour-propre n'en fût choqué. Dites à votre mari de ma part que j'espère que votre économie, et la sienne, fera qu'au printemps je pourrai avoir le plaisir de vous voir. Recommandez-lui aussi de me donner de vos nouvelles dès que vous serez accouchée. J'embrasse vous et votre fils de tout mon cœur.

Dites bien des choses à votre belle-mère; je lui écrirai dans peu. Bombe se porte bien. Je suis bien fâchée que le mariage de Pauline ne se fasse pas.


XXV
A MADAME LA MARQUISE DES MONTIERS.

Ce 27 septembre 1790.

Te voilà donc à Genève, mon cœur, te voilà à seize lieues de tes parents, et ne pouvant pas y aller; je conçois la peine que cela te fait, mais je suis enchantée du courage que tu y as mis. Qu'il est bien fait d'éviter par des plaintes inutiles de mettre du froid, souvent de l'humeur, dans le ménage: une femme doit tout sacrifier pour que la paix y règne, et voilà ce que Démon commence à sentir; cela me fait un plaisir extrême, car j'aime Démon de tout mon cœur; je désire la voir heureuse, mais je veux par-dessus tout la savoir remplissant bien tous ses devoirs, ayant une bonne conduite, ferme et réfléchie, qui la mette dans le cas de n'avoir jamais de remords; et pour lors je serai assurée de son bonheur, parce qu'il consiste, par-dessus tout, dans la paix de la conscience, et qu'avec l'aide de Dieu, lorsque la conscience ne reproche rien, on supporte facilement les peines et les contrariétés dont ce monde est semé. Je ne vous gronderai pas, mon petit Démon, d'avoir le cœur serré, il est des occasions où il est (p. 421) difficile de lui faire violence, mais j'espérerai toujours qu'un courage chrétien vous mettra dans le cas de ne pas le montrer. Votre devoir vous fait la loi de respecter les volontés de votre mari, soumettez-vous-y, et n'employez jamais vis-à-vis de lui d'autres armes que celles de la persuasion.

Non, mon cœur, jamais je ne pourrai assimiler vos sentiments avec ceux de la personne dont vous me parlez; je ne doute pas de votre attachement, j'aime à croire que vous ne changerez jamais, et me fais un plaisir de penser que sous tous les rapports votre conduite me mettra dans le cas de vous aimer toujours. Ce seroit une vraie peine pour moi d'être obligée de changer; mais, mon cœur, si vous mettez quelque prix à mon amitié, songez que c'est à votre bonne conduite que vous la devrez. Si vous trouvez une occasion, mandez-moi, je vous en prie, ce qui vous a fait quitter si brusquement les Fraises; si vous avez eu quelques torts de vivacité, ayez la bonne foi de me les avouer, et mandez-moi un peu comment vous êtes avec votre mari. Si je vous fais des questions indiscrètes, pardonnez-les, mon cœur, à l'intérêt que je prends à tout ce qui vous touche. Vous ferez bien de nourrir votre fille (car je suis convaincue que vous en aurez une); ménagez-vous bien, calmez votre sang autant que possible, n'exagérez en rien l'éducation physique que vous lui donnerez, suivez les conseils des gens sages et éclairés, et surtout apprenez à tenir un enfant, car au premier jour vous l'étoufferez si vous n'avez pas plus de talent que vous n'en aviez pour Stani[177]. Il est bien gentil de penser à moi; j'espère que ta petite m'aimera un peu, à l'exemple de son frère.

Que vous faites bien, mon cœur, de ne chercher à vous lier qu'avec des femmes raisonnables! Rien de plus dangereux (p. 422) pour une jeune personne que des femmes qui n'ont pas de très-bons principes, rien ne les perd plus vite. Adieu, mon cœur, je vous embrasse bien tendrement; donnez-moi souvent de vos nouvelles.

A propos, j'oubliois de vous dire que l'on est très-sévère pour la femme dont nous parlions plus haut; ses principes du moment sont mauvais, mais je crois sa conduite intérieure intacte; elle est inconséquente, voilà ce qui la perdra de réputation, mais je crois pouvoir répondre que son cœur est pur et droit.


XXVI
A MADAME DE BOMBELLES.

Ce 2 décembre 1790.

Je profite, ma Bombe, du départ de l'ambassadeur[178] pour causer un petit moment avec toi, pour gémir sur les malheurs de ma patrie et sur le peu de remède qui se présente. La religion plus attaquée que jamais me donne lieu de craindre que Dieu ne nous abandonne totalement. On dit que les provinces souffrent avec peine l'exécution des décrets sur la cessation du service divin dans les cathédrales, mais avec cela elles sont fermées. Il en est ainsi de tout: on gémit, mais le mal ne s'en opère pas moins. De temps en temps la Providence nous ménage quelques rayons d'espoir, mais leur lumière est bien vite effacée. Mais ne nous livrons pas à des idées si tristes, parlons de l'oncle de la petite-fille de Vitry[179] que tu connois. Sa position est toujours critique; il paroît que son commerce se remettroit si ses parents vouloient l'aider, mais il a affaire à des gens peu confiants, et ce défaut-là est tellement dans (p. 423) leur caractère, qu'ils ne confieroient pas la moindre lettre de change aux gens les plus habiles pour la faire valoir. J'en ai encore la triste expérience sous mes yeux, et cela me fait de la peine, parce que tu sais combien je m'intéresse à eux. Et puis, je sens que l'oncle doit être fatigué et ennuyé à l'excès de voir sa maison de banque ruinée. Il pouvoit chercher d'autres amis que ses parents pour demander conseil, et comme la plus grande partie de l'héritage qu'il attend vient d'eux, il seroit ruiné à pure perte. Tout cela est affligeant. De tout côté, l'on voit des familles dans la désolation, pour les affaires publiques et particulières. Bon Dieu, dans quel temps nous avez-vous fait naître! Moi qui, il y a quelques années, me réjouissois de n'être pas née dans le siècle passé! Grand Dieu! que les lumières des hommes sont bornées, même dans les choses qui paroissent les plus simples!

Je n'ai pas été inquiète, comme je l'aurois pu, des dangers qu'a courus mon frère; tu sais qu'en général je ne crois au mal que lorsqu'il est fait. J'ai conservé ce caractère, quoiqu'une triste expérience eût dû me rendre plus craintive. Je crois que c'est une grâce du Ciel, car sans cela je n'existerois pas. Il a préservé ma famille de tant de maux que je serois ingrate si n'avois pas toute confiance en lui. Adieu, ma petite; prie-le bien pour le moment présent et pour l'avenir. Mais demande-lui par-dessus tout que la foi soit conservée dans ce royaume, et qu'il éloigne de nous les schismes qui nous menacent. Adieu, je t'aime de tout mon cœur, et suis par conséquent charmée de te savoir bien loin; c'est un des effets de la révolution.

Dites à la comtesse D.[180], en cas que cette lettre arrive avant celle que je lui écrirai lundi, qu'elle va être payée (p. 424) de ses appointements, mais qu'il faudroit qu'elle chargeât quelqu'un de sûr de recevoir pour elle, de manière que ses créanciers ne puissent pas s'emparer de cet argent.


XXVII
A MADAME DE RAIGECOURT.

30 décembre 1790.

Je vois d'ici ta perfection étant dans une douleur mortelle de l'acceptation que le Roi vient de donner. Dieu nous réservoit ce coup: qu'il soit le dernier, et qu'il ne permette pas que le schisme s'établisse. Voilà tout ce que je demande. La réponse du Pape n'est point arrivée, je crois; elle est bien intéressante. Au reste, mon cœur, cette acceptation a été donnée le jour de saint Étienne. Apparemment que ce bienheureux martyr doit être maintenant notre modèle. Tu sais que je n'ai point d'horreur pour les coups de pierres; ainsi cela m'arrange assez. On dit qu'il y a sept curés de Paris qui ont prêté le serment. Je ne croyois pas que le nombre fut aussi considérable. Tout cela fait un très-mauvais effet dans mon âme; car, loin de me rendre dévote, cela m'ôte tout espoir que la colère de Dieu s'apaise. Tu sens bien que ton curé est bien décidé à suivre la loi de l'Évangile, et non celle que l'on veut établir. On dit qu'un membre de la commune a voulu gagner celui de Sainte-Marguerite, en lui disant que l'estime que l'on avoit pour lui, la prépondérance qu'il avoit dans le monde, seroient capables de ramener la paix en entraînant les esprits. Le curé lui a répondu: «Monsieur, c'est par toutes les raisons que vous venez de me donner que je ne prêterai pas le serment, et que je n'agirai pas contre ma conscience.» Une chose que ceci m'a fait découvrir et qui fait horreur, c'est combien les curés de campagne sont peu instruits.

(p. 425) Je suis confondue de ce que tu m'as mandé de la part de ton mari. Tâche de me dire que tu lui as donné cet ordre. Ses affaires ne vont pas bien. La personne qui lui a fait connoître celui qui devoit lui faire faire cette acquisition lui a envoyé trois paquets avec prière d'en accuser réception. Il n'en a pas entendu parler. Demande-lui si c'est qu'il ne les a pas reçus, et réponds-moi, parce que je le dirai à la personne intéressée.

Adieu, je vous embrasse de tout mon cœur et vous aime de même.


XXVIII
A MADAME DE RAIGECOURT.

Ce 7 janvier 1791.

Des gens plus diligents que moi vous auront sûrement mandé ce qui s'est passé à l'Assemblée mardi: enfin, mon cœur, la Religion s'est rendue maîtresse de la peur. Dieu a parlé au cœur des évêques et des curés. Ils ont senti tout ce que leur caractère leur inspiroit de devoirs, ils ont déclaré qu'ils ne prêteroient pas le serment. Pour le moins vingt du côté de gauche se sont rétractés; on n'a pas voulu les écouter. Mais Dieu les voyoit, et leur aura pardonné une erreur causée par toutes les voies de séduction dont il est possible de se servir. Un curé du côté gauche a mis beaucoup de fermeté pour ne pas le prêter. On dit que cette journée désappointe bien des gens: tant pis pour eux; ils n'ont que ce qu'ils méritent; mais ce qu'il y a de triste, c'est qu'ils s'en vengeront, Dieu seul sait comment. Qu'il ne nous abandonne pas tout à fait, voilà à quoi nous devons borner nos vœux. Je n'ai point de goût pour les martyres; mais je sens que je serois très-aise d'avoir la certitude de le souffrir plutôt que d'abandonner le moindre article de ma foi. J'espère que si j'y suis destinée, Dieu (p. 426) m'en donnera la force. Il est si bon, si bon! C'est un père si occupé du véritable bonheur de ses enfants, que nous devons avoir toute confiance en lui. As-tu été touchée, le jour des Rois, de la bonté de Dieu qui appela les gentils à lui dans ce moment? Ces gentils, c'étoit nous. Remercions-le donc bien; soyons fidèles à notre foi; ranimons-la; ne perdons jamais de vue ce que nous lui devons, et sur tout le reste abandonnons-nous avec une confiance vraiment filiale.

J'ai eu, ces jours-ci, une peine bien réelle, que tu partageras sans doute: cette pauvre madame de Cimery[181] qui, comme tu sais, avoit mal au sein depuis cinq semaines, étoit presque alitée; dans la nuit du dimanche au lundi, son âme, après avoir reçu le matin son Créateur, a été prendre sa place dans le ciel; car j'espère bien qu'elle est heureuse, et qu'elle a reçu la récompense d'une vie entière de vertu et de malheur.

Je la regrette vivement: elle étoit d'une grande ressource pour moi; et jamais je ne la pourrai remplacer, non pas pour les qualités que je puis désirer dans une première femme, mais dans celles qui convenoient à mon cœur, à mon esprit et à mes sentiments. Je la regrette comme mon amie, mais je la crois heureuse, et cette idée me console.


XXIX
A MADAME DE BOMBELLES.

Ce 24 janvier 1791.

Enfin, ma Bombe, nous voilà arrivées à l'instant où il faut que je te dise ma façon de penser sur la conduite de ton mari. La délicatesse de ma conscience m'a empêchée (p. 427) jusqu'à ce moment de t'en parler. Tes parents, comme tu sais, désiroient vivement que ton mari se soumît à l'ordre de l'Assemblée et du Roi. L'état des affaires de ton mari pouvoit être d'un si grand poids, qu'il me paroissoit possible qu'il pût l'emporter sur les considérations qui ont décidé ton mari. D'autres parleroient de tes quatre enfants. Le sort qui les attend est cruel; mais j'avoue que lorsqu'il s'agit d'un serment que la conscience, l'opinion, l'attachement à ses maîtres dément, je ne trouve pas que leur infortune doive empêcher de le refuser. Il n'y a donc que ses dettes qui eussent pu l'engager à le prêter. Par elles, il se voyoit forcé; et comme il ne juroit que ce que le Roi a juré lui-même, et doit jurer de nouveau à la fin de la Constitution, il auroit été possible que ton mari imitât son maître, et suivît le sort qui entraîne les malheureux François. Des théologiens ont cette opinion. Je crois donc que cela eût été possible. Mais je t'avoue que si ton mari avoit seulement eu dix mille livres de rente, je n'aurois pas balancé à lui conseiller le refus le plus formel. Tu vois par tout ce que je te mande que je ne suis pas bien décidée sur ce que j'aurois fait à sa place. L'antique honneur, un certain esprit de noblesse chevaleresque qui ne mourra jamais dans les cœurs françois, me font estimer l'action de ton mari. Mais le risque qu'il court de manquer à ses créanciers, et le scrupule de jurer de maintenir de tout son pouvoir ce que dans le fond de l'âme on maudit journellement, tout cela se combat si vivement dans mon âme, qu'il ne me reste que la possibilité de partager les peines que tu vas éprouver, et d'être occupée de ce que tu vas devenir. Comment tes pauvres enfants s'habitueront-ils au mal-être, après avoir été élevés dans l'aisance? et puis le regret de ne pouvoir faire pour toi tout ce que mon cœur me dicte! Mais, ma petite, parle-moi toujours franchement de ta position, et sois sûre que je ferai tous les sacrifices (p. 428) possibles pour te la rendre moins désagréable. Je ne te promets pas de donner à ta pauvre Coty ce que tu lui donnois; mais sois sûre que je la secourrai le plus que je pourrai. J'espère que ton mari et toi conserverez la paix, la résignation et la douceur chrétiennes qui seules peuvent faire soutenir le malheur présent et ceux que l'on craint. Mon frère me dit un bien extrême de toi et de ton mari. Il est gentil, mon frère; il m'a écrit en arrivant; cela m'a fait bien plaisir. Mais je suis désolée de la longueur que les lettres mettent à arriver. Comme cela, on n'est plus au courant sur rien. Nous avons eu un peu de bruit aujourd'hui à la barrière de la Villette. Il y a eu un combat entre des chasseurs et des contrebandiers. Il y a trois hommes de tués, et à peu près douze blessés. On prétend que le peuple ne veut plus de barrières; cela ne laisseroit pas que d'embarrasser l'Assemblée sur le chapitre des impôts. Adieu, ma petite. Je t'embrasse de tout mon cœur et t'aime de même. Je laisse à ta mère à te rendre compte de sa conversation avec ton ministre.

Envoie cette lettre à mon frère, s'il n'est plus avec toi.


XXX
A MADAME DES MONTIERS[182].

Ce 11 février 1791.

Vous êtes bien aimable, mon Démon, de m'avoir donné de vos nouvelles le plus tôt que vous avez pu. Je suis charmée que votre couche ait été aussi heureuse, et qu'à ça près d'un peu de mal à la poitrine, vous soyez contente de votre santé. Je ne suis pas fâchée que vous n'ayez pas nourri, peut-être cette entreprise eût-elle été trop forte pour vous. Votre Adolphe est-il nourri chez vous, le voyez-vous (p. 429) souvent, vous sentez-vous déjà de la tendresse pour lui? Stani n'en est-il pas jaloux? Je sens, mon cœur, la peine très-réelle que vous avez éprouvée de n'avoir pas votre mère à vos couches; je la partage par toute l'amitié que j'ai pour vous, mais je vous félicite en même temps d'avoir eu assez d'empire sur vous pour n'en pas parler, et quoique vous en disiez, j'espère que ce sacrifice vous vaudra quelque grâce du Ciel. Vous êtes faite pour être bonne chrétienne, mon cœur; les malheurs publics et un peu les particuliers doivent vous déterminer à prendre ce parti, le meilleur de tous. Je crois vous l'avoir déjà mandé, votre mari vous aime, mais il est jaloux des sentiments que vous avez pour vos parents; il ne s'agit, pour vous rendre heureuse, que de faire vos efforts pour le convaincre que ces sentiments ne nuisent nullement à ceux que vous avez pour lui. Vous avez de l'esprit, employez-le à cela, et je vous réponds qu'après quelque temps d'épreuve vous finirez par être beaucoup plus heureuse que vous ne pouvez vous en flatter à présent. Que votre mère s'y prête en oubliant les torts de son gendre; un esprit du genre du sien ne peut être ramené que par la douceur et un oubli total des torts que son amour-propre lui reproche, et dont ce même amour-propre l'empêche de convenir. Mais votre conduite, vos complaisances adoucissant ce sentiment en lui, et le mettant à son aise avec vous, l'amèneront sans qu'il s'en doute à avoir en vous la confiance qu'une conduite sage et réfléchie vous aura méritée. Je voudrois pouvoir hâter ce moment; mes vœux sont bien vrais pour votre bonheur, et j'aime à être convaincue que vous serez heureuse un jour comme vous le mériterez.

Est-il vrai que madame de Staël a demandé publiquement pardon à sa mère, à un prêche, de s'être mariée contre son gré? Avez-vous du monde qui vous convienne à Genève? Mandez-moi un peu avec qui vous êtes liée, et si la (p. 430) vie que vous menez est un peu plus agréable. Votre belle-mère me marque que vous allez faire fondre cette grosseur que vous avez au cou. Si vous prenez ce parti, ménagez-vous pendant longtemps, mon cœur. Ne prendrez-vous pas aussi quelque chose pour votre poitrine? Donnez-moi des nouvelles de tout cela. Adieu, mon cœur, croyez à la vérité de mon amitié pour vous, au désir que j'ai de vous revoir, et au regret que m'inspire l'incertitude du moment où j'aurai ce plaisir. Je vous embrasse de tout mon cœur.


XXXI
A MADAME DE RAIGECOURT.

Ce 12 février 1791.

Je ne t'écris qu'un petit mot aujourd'hui: 1o l'heure de la poste me presse; 2o je vais monter à cheval avec la Reine et Lastic à ce triste bois de Boulogne. Mais il fait un si beau temps, que cela le rendra peut-être un peu plus gai. Je crois l'hiver tout à fait passé, et je m'en réjouis, autant que l'on peut prendre part au beau temps dans le château des Tuileries. Mes tantes partent de lundi en huit, malgré toutes les motions faites au Palais-Royal et au club des Jacobins établi à Sèvres. On dit qu'elles seront arrêtées et fouillées en chemin; c'est un petit mal auquel je ne crois pas. Je pense que cela a été beaucoup dit pour les effrayer et les empêcher de partir; mais heureusement on n'en est pas venu à bout. Je ne sais si je t'ai mandé que l'abbé Madier alloit avec elles: il partira huit jours après elles. Pense un peu, mon cœur, aux angoisses où je serai, la première fois que je m'adresserai à un autre prêtre, moi qui ai toujours été à l'abbé Madier depuis l'âge de neuf ou dix ans. Je suis à peu près décidée: je crois que je prendrai le confesseur de madame Doudeauville: (p. 431) on en dit beaucoup de bien, et j'espère qu'il n'est ni trop doux ni trop sévère. Je te manderai ce qui en est lorsque j'y aurai été. Je suis convaincue que tu enrages un peu dans le fond de l'âme de ce que je ne pense pas à ton curé, et tu vas croire que c'est parce que je l'ai vu; non, point du tout, c'est tout simplement parce que je ne crois pas qu'il me convînt; et puis, dans ce moment, j'aime mieux avoir un confesseur dont on parle moins, et que je puisse espérer de garder. Au reste, je sens que je vais trôler mon âme de confesseur en confesseur, ce qui ne laisse pas que de me déplaire, quoique j'en aie bonne envie. Devine, si tu peux, cette énigme. Sur ce, je te souhaite le bonsoir, et t'embrasse de tout mon cœur. Je ne sais plus quand tu accouches: mande-le-moi.

Dis bien des choses au maréchal de Broglie de ma part, et assure-le de l'estime que j'ai pour ses vertus. Parle aussi de moi à ta princesse.


XXXII
A MADAME DE RAIGECOURT.

Ce 15 février 1791.

J'ai reçu toutes tes lettres, ma pauvre Rage; celle du 25 ne m'est parvenue qu'hier, et celle du 7 avant-hier. Mais, avant que d'y répondre, il faut que je te demande mille fois pardon de ne t'avoir pas écrit depuis dimanche, pour te donner des nouvelles de ton curé; mais, par étourderie, je me suis persuadée que la poste partoit le dimanche au lieu du lundi. Et jeudi, j'ai eu plusieurs choses à faire dans la matinée; l'heure de la poste s'est passée, et je n'ai plus eu la possibilité que de me livrer à des regrets. Aussi, aujourd'hui je m'y prends à sept heures du matin, pour être bien sûre de n'y pas manquer. Lundi, je t'écrirai (p. 432) aussi; mais je puis te dire d'avance qu'il ne se passera rien de fâcheux. Ton curé dira la messe de bonne heure, et ne fera pas le prône. Les gros bonnets de la paroisse n'y seront pas non plus. Il y a un moine qui prêche dans la paroisse, qui a proposé au curé de faire le prône, pour empêcher les prêtres de courir des risques. Il disoit au curé que si on le tuoit, il n'y auroit pas grand mal à cela. C'est un des jeunes prêtres de la paroisse qui prêchera. On m'a dit son nom, mais je l'ai oublié.

Toute la communauté a été parfaite pour le curé, et ne l'a pas quitté tant qu'il a été dans l'église et la sacristie.

Je suis désolée, mon cœur, de la peur indigne que vous a faite M. Le Blond[183]. Nous sommes loin encore de toutes les idées qu'il t'a fait venir; je suis bien aise que ton enfant ne s'en soit pas ressenti. Si tu n'as pas de bon accoucheur, pourquoi ne ferois-tu pas venir M. Piron? C'est une dépense, il est vrai; mais pour ta santé et celle de ton enfant, il me semble que tu dois te la permettre. Je suis bien fâchée d'être si loin de toi, et de ne pouvoir me permettre de causer comme je le voudrois pour toi; mais, mon cœur, calme-toi. Je conçois que cette proposition paroisse difficile, mais cela est nécessaire. Tu te brûles le sang, tu te rends plus malheureuse encore que tu ne devrois: tout cela, mon cœur, n'est pas dans l'ordre de la Providence. Il faut se soumettre à ses décrets; il faut que cette soumission nous porte au calme, sans cela elle n'est que sur nos lèvres et non dans notre cœur.

Lorsque Jésus-Christ fut trahi, abandonné, il n'y eut que son cœur qui souffrit de tant d'outrages; son extérieur étoit calme, et prouvoit que Dieu étoit vraiment en lui. Nous devons l'imiter, et Dieu doit être en nous. Ainsi, mon cœur, calmez-vous, soumettez-vous, et adorez en paix les (p. 433) décrets de la Providence, sans vous permettre de porter vos regards sur un avenir affreux pour quiconque ne voit qu'avec des yeux humains. Mais heureusement vous n'êtes pas dans ce cas-là; et Dieu vous a trop comblée de grâces pour que vous ne mettiez pas votre vertu à attendre patiemment la fin de sa colère.

Quant à moi, mon cœur, je suis loin d'être dans votre position. Je ne dirai pas que la vertu en soit cause; mais, plus à portée des consolations, au milieu de beaucoup de peines, d'inquiétudes, je suis calme, et j'espère une éternité heureuse. Ne me crois ni folle ni gourmande. J'aime à bien dîner, mais j'aime pourtant encore autre chose. Quant à ce que tu me marques sur moi, crois, mon cœur, que je ne manquerai jamais à l'honneur, et que je saurai toujours remplir les obligations que m'imposent mes principes, ma position, ma réputation; et j'espère que Dieu me donnera la lumière nécessaire pour me conduire toujours sagement, et ne pas m'écarter de la voie qu'il m'a tracée. Mais pour juger de tout cela, mon cœur, il faudroit être près de moi. De loin, un acte de chevalerie enchante; vu de près, il n'est souvent qu'un mouvement de dépit ou de quelque autre sentiment qui ne vaut pas mieux aux yeux des gens sages.

J'ai donné à madame Navarre la place de madame de Cimery. Il m'en coûte beaucoup de lui voir prendre son service. Jusqu'à ce moment, il me semble que l'autre existe encore; et c'est une si grande perte pour moi, que je voudrois me faire illusion le plus possible. Madame Navarre est celle de mes femmes qui me convient le mieux; mais ce n'est pas et ce ne sera jamais madame de Cimery, car elle réunissoit tout. Adieu, mon cœur, je vous embrasse bien tendrement, et vous souhaite calme, patience, résignation, courage et confiance. C'est une étourderie de cet homme qui est si beau qui l'a forcé de prendre le parti qu'il a pris.

(p. 434) Quant aux deux êtres que vous et d'autres redoutez tant, on a tort de les croire dans la position que l'on dit: cela n'existera jamais; mais j'avoue qu'ils ont toutes les apparences pour eux[184].

On n'a pas demandé d'augmentation de chevaux pour moi. Ce qui peut avoir donné lieu à ce que l'on vous a dit, c'est que je veux avoir toujours un page et un écuyer avec moi; je trouve que cela doit être; mais cela ne convenoit pas aux gens de l'écurie, ce dont je me moque, trouvant indécent d'être avec des piqueurs dans ce moment-ci.


XXXIII
A MADAME DE BOMBELLES.

Ce 28 février 1791.

Tu sais sans doute que mes tantes sont parties. Tu sais sans doute qu'elles ont été arrêtées à Arnay-le-Duc. Tu sais sans doute que Monsieur a eu la visite, mardi dernier, des filles de la rue Saint-Honoré et de leur société, qui l'ont prié de ne pas sortir du royaume. Tu sais sans doute que jeudi, jour où l'on a appris que mes tantes étoient arrêtées, l'Assemblée a rendu un décret qui disoit que Arnay-le-Duc avoit eu tort, et que le pouvoir exécutif seroit supplié de donner des ordres pour qu'elles pussent continuer leur route. Tu sais sans doute que les chefs des Jacobins n'étant pas de cet avis, et voulant que le président engageât le Roi à les faire revenir, une foule de (p. 435) badauds s'est portée sous les fenêtres du Roi, parmi laquelle il y avoit peut-être une centaine de femmes qui se sont égosillées pendant quatre heures pour voir le Roi et lui faire la même demande que les Jacobins. Mais le Roi n'ayant pas paru, et la garde ayant fait une très-bonne contenance, il a bien fallu, lorsque l'on a eu la permission de la municipalité de repousser la force par la force, que le peuple cédât. A peine le tambour a-t-il paru sur la terrasse, que tout le monde a pris la fuite. M. de La Fayette et la garde se sont conduits parfaitement bien. Le château étoit comble de gens qui étoient pleins de bonne volonté. Le Roi a parlé avec force à M. Bailly. Enfin tout s'est passé le mieux du monde. Aussi hier n'y a-t-il jamais eu tant de monde chez le Roi et chez la Reine. Il y avoit longtemps que nous étions un peu seules au jeu; mais, hier, il étoit superbe. Je ne puis vous rendre le plaisir que j'ai éprouvé. Ah! mon cœur, le sang françois est toujours le même: on lui a donné une dose d'opium bien forte; mais elle n'a pas attaqué le fond de leur cœur. Il n'est point glacé, et l'on aura beau faire, il ne changera jamais. Pour moi, je sens que, depuis trois jours, j'aime ma patrie mille fois davantage.

Tout ce que tu me mandes de ton mari me fait grand plaisir. Ah! s'il peut parvenir à se débarrasser de l'empirique qui donne de si mauvaises drogues[185], cela seroit bien heureux. Les nouvelles que j'ai reçues de ses amis éloignés me font craindre qu'il ne le puisse pas. Le printemps avance beaucoup; sa santé pourroit bien s'en ressentir. A cette époque, les humeurs sont toujours bien plus en mouvement, et comme il n'a pas l'habitude de l'exercice, je crains qu'elles ne lui jouent un mauvais tour. Convenez qu'il n'y auroit pas pour lui de meilleur remède; mais lorsque l'on a été élevé à Paris, il semble que l'on soit (p. 436) destiné à ne faire jamais usage de ses jambes. Je sens même que, sans y être élevé, pour peu que l'on l'habite, on perd le goût de la promenade, ou, pour mieux dire, l'usage.

Voilà ta petite belle-sœur débarrassée d'une partie de sa nombreuse compagnie. M. le prince de C.[186] est à Worms, et sa fille doit le joindre dès qu'elle sera guérie.

Notre pauvre Saint-Cyr est plus que jamais dans la position la plus critique. On vend leur bien. Ta mère y a été la semaine passée; moi, je profiterai d'un jour calme pour y aller: j'en ai envie, et cela me coûtera horriblement. Il n'y a rien de pis que de n'avoir aucune consolation à présenter à des gens aussi malheureux. Adieu, je vous embrasse, ma chère Bombe, et vous aime du plus tendre de mon cœur.

Vous ai-je dit que l'abbé Madier alloit à Rome? La semaine prochaine je ferai une nouvelle connoissance, ce qui ne me fait pas grand plaisir.

Je crains fort que l'oncle de la petite de Vitry ne se joigne à son ami avant que celui-ci ait fait les premières avances. Il seroit pourtant bien avantageux qu'il pût venir le voir venir: tout le monde le désire; et moi, l'intérêt que j'y prends me le fait souhaiter pour son bonheur.

Ce 1er.

Nous avons eu du train hier. Les gens de bonne volonté, à force d'en avoir, ont trouvé le moyen de déplaire à la garde, qui étoit parfaitement disposée pour le Roi. On a voulu détruire Vincennes; mais la garde est arrivée à temps pour l'empêcher. Tout est calme ce matin. Nous nous portons tous bien. L'heure de la poste m'empêche d'entrer dans tous les détails que tu pourrois désirer; mais sois tranquille, tout est bien.


(p. 437) XXXIV
A MADAME DE RAIGECOURT.

11 mars 1791.

J'ai reçu ta lettre, qui ne me fait pas grand plaisir; je ne sais rien de ce que tu me mandes. Depuis longtemps, je n'avois point eu de nouvelles détaillées, et ce n'étoit qu'à force d'esprit que j'étois au courant. Cependant j'approuvois tout ce que tu me mandes. Si tu peux entrer un peu en détails sur tout ce que tu pourras; si ton mari est avec toi, qu'il écrive sous ta dictée, parce que cela te fatigue. Est-ce que tu n'as pas reçu mes crayons? Le Roi est malade depuis huit jours: la scène de lundi y a bien contribué[187]. Il va mieux. Adieu, je t'embrasse de tout mon cœur.


XXXV
A MADAME DE RAIGECOURT.

Ce 3 avril 1791.

Je t'écris dans un moment bien satisfaisant pour quiconque croit en Dieu et en son Église. Les curés intrus sont établis ce matin. J'ai entendu toutes les cloches de Saint-Roch. Je ne puis vous dissimuler que cela m'a mise dans une fureur affreuse; et puis je ne suis pas contente (p. 438) de moi. J'aurois dû me piquer de dévotion aujourd'hui, pour au moins réparer un peu tout ce que l'on fait contre Dieu: ne v'là-t-il pas qu'au lieu de cela j'ai été pis qu'une bûche! Je ne sais pas comment le bon Dieu fera pour me sauver, car je ne m'y prête guère. Le curé de Saint-Roch a dit sa messe à cinq heures et demie; il y a eu beaucoup de communions. Il a fait un fort beau discours, où il a parlé de la persécution. Les gens qui communioient étoient fort touchés. Sais-tu que Loustonneau est devenu un petit saint? Cela me fait plaisir; c'est là le fruit de la charité qu'il a toute sa vie exercée. Sais-tu que M. de Bonnay va à confesse au curé, et qu'il est dans la grande voie? Cela me fait encore bien plaisir. Tout ceci fait rentrer bien des gens en eux-mêmes. Je vois tout ce qui est répandu dans la bonne compagnie penser à merveille. J'ai causé, l'autre jour, avec M. de Nivernois sur la religion, et j'en fus parfaitement contente. Madame de Mirepoix est devenue très-pieuse. La petite de Maillé va à merveille; mais malheureusement le peuple et le bourgeois ne vont pas si bien. Il y en a beaucoup qui sont affligés, mais ce qui paroît, ce qui fait nombre, est bien mauvais. L'archevêque vient de donner une ordonnance superbe, mais sévère, sur notre position. Dieu veuille qu'elle soit suivie! Un homme qui la lisoit l'autre jour, dit, après l'avoir achevée: Si je perdois trois cent mille livres de rentes, j'en dirois autant. Et cet homme est pourtant ce que l'on appelle un honnête homme.

Je suis contente de mes gens: Deshaies est charmant. Il y en a dans le nombre qui ne sont pas aussi parfaits; mais celui-là est vraiment distingué. Mademoiselle Bénard, M. de Blaremberg, etc., tout cela est parfaitement. C'est une grande jouissance pour moi. Je ne puis penser sans frémir à la quinzaine de Pâques. Je voudrois bien ne la point passer ici; mais peut-on s'en flatter! Ah! mon cœur, vous avez beau grogner, votre grossesse vous a procuré (p. 439) un grand bonheur en vous éloignant du schisme et de la division la plus affreuse.

Je suis bien fâchée que tu souffres autant des dents. N'aurois-tu pas besoin d'être saignée? tu ne l'as pas été, je crois, depuis que tu es grosse. Comme tu as un travail difficile, ne ferois-tu pas bien de prendre cette précaution? Je ne demande pas mieux de tenir ta petite, si Monsieur le veut. Si tu veux, je lui donnerai le nom d'Hélène. Si tu voulois accoucher le 3 de mai, à une heure du matin[188], cela seroit très-bien, pourvu pourtant que cela lui promette un avenir plus heureux que le mien; qu'elle n'entende jamais parler d'états généraux ni de schisme.

Mirabeau a pris le parti d'aller voir dans l'autre monde si la révolution y étoit approuvée. Bon Dieu! quel réveil que le sien! On dit qu'il a vu une heure son curé. Il est mort avec tranquillité, se croyant empoisonné: il n'en avoit pourtant point les symptômes; au reste, il doit être ouvert aujourd'hui. On l'a montré au peuple après sa mort. Beaucoup en sont fâchés; les aristocrates le regrettent beaucoup. Depuis trois mois, il s'étoit montré pour le bon parti: on espéroit en ses talents. Pour moi, quoique très-aristocrate, je ne puis m'empêcher de regarder sa mort comme un trait de la Providence sur ce royaume. Je ne crois pas que ce soit par des gens sans principes et sans mœurs que Dieu veuille nous sauver. Je garde cette opinion pour moi, parce qu'elle n'est pas politique, mais j'aime mieux celles qui sont religieuses. Je suis sûre que tu seras de mon avis.

Le pauvre Lastic va encore éprouver un chagrin: son frère est nommé à Dresde et va partir dans trois mois (p. 440) avec femme et enfants. Cela mettra un grand vide dans son intérieur, et quand il est aussi triste par lui-même, c'est un vrai malheur.

M. d'Albignac[189] vient passer quelques jours ici. Je le verrai aujourd'hui; cela me fait bien plaisir. Tu m'avois promis de me donner de ses nouvelles, mais tu n'en as rien fait.

J'ai reçu par une voie sûre des nouvelles de Bombe. Le mari n'est pas aussi mal qu'elle le croit avec ⊖ et son ami ⍫[190]. Il croit avoir le crédit du bon sens; cela seroit bien heureux; mais, mon cœur, sur cela comme sur tout le reste, abandonnons-nous à la Providence.

Hélas! si nous avions la confiance nécessaire, nous serions sauvés; notre âme ne seroit pas triste. Que j'en suis loin! il me semble que l'air de Trèves n'est pas plus porté à la gaieté que celui-ci. Résignons-nous, mon cœur, cela seul peut fléchir la colère de Dieu; et demandons pour nos maîtres les dons du Saint-Esprit. De bonnes âmes se réunissent au nombre de sept, d'ici à Pâques, pour demander chacune un don pour le Roi, dans les communions qu'elles font, ou à la messe. Si tu pouvois établir cette dévotion dans les bonnes âmes qui habitent Trèves, tu ferois bien.

J'aurai, d'ici à quelques jours, des nouvelles détaillées de ce qui nous intéresse. Si je peux, je t'en ferai part.

Adieu, je t'embrasse de tout mon cœur. Le petit de Chamissot est-il arrivé à bon port?

Je viens d'apprendre que M. d'André ayant fait une (p. 441) motion pour que l'on s'occupât de l'élection des membres de la nouvelle législature, cela a été décrété tout d'une voix. Je ne le conçois pas.


XXXVI
A MADAME LA MARQUISE DE BOMBELLES,
A L'HÔTEL DE FRANCE, A STUTTGARD.

Ce 21 avril 1791.

Tu sens, ma Bombe, qu'il faut que je n'aie pas eu absolument le temps pour ne t'avoir pas écrit un mot ces jours-ci. Je ne te donnerai point de détails de la journée de lundi; je t'avoue que je ne les sais pas encore. Tout ce que je sais, c'est que le Roi vouloit aller à Saint-Cloud, qu'il s'est campé dans sa voiture où il est resté deux heures, que la garde et le peuple ont fermé le passage, et qu'il a été obligé de ne pas sortir. J'ignore combien l'on nous retiendra; j'imagine que ce sera jusqu'après Pâques. Nous nous portons tous bien; je t'écris à la hâte, parce que je fais ma toilette pour aller à l'office, car l'on veut bien encore nous permettre d'y assister. Adieu; crois que je serai toujours digne des sentiments de ceux qui veulent bien avoir de l'estime pour moi, et que quelque chose qu'il arrive, je vivrai et mourrai sans avoir rien à me reprocher vis-à-vis de Dieu et des hommes.

Je ne te parle pas de la joie que m'a fait éprouver la bonté de la Reine de Naples[191]; mais tu me connois assez pour suppléer à tout ce que je ne puis exprimer dans le moment, mais que mon cœur sent si bien. Je t'embrasse et t'aime de tout mon cœur.


(p. 442) XXXVII
A L'ABBÉ DE LUBERSAC.

23 mai 1791.

J'ai reçu votre lettre, Monsieur: les détails que vous me faites de votre voyage m'ont fait grand plaisir; et si je ne craignois pas de vous fatiguer, je vous prierois de les continuer. Les dangers que vous avez courus m'ont fait frémir; mais les regrets continuels que vous éprouvez me font une peine affreuse. Ah! Monsieur, poussez votre vertu jusqu'à vous en rendre maître: vous le devez pour ce Dieu à qui vous avez tout sacrifié; vous le devez au soin de votre santé. Songez combien votre existence est nécessaire à toute votre famille; et prenez sur vous de soutenir sans trop de découragement la nouvelle épreuve que le Ciel vous envoie. Il falloit pour votre perfection que Dieu vous détachât tout à fait des biens de ce monde, même des plus simples. Vous savez, plus que tout autre, combien Dieu donne de force pour supporter les maux de ce monde; tâchez donc de ne vous y point laisser aller. Ne vous persuadez point que l'air ne vous vaut rien; ménagez-vous, mais distrayez-vous par les beautés dont la ville que vous habitez est remplie. Après avoir admiré la main sublime qui forma ces immenses rochers, et ces torrents qui ont pensé vous entraîner dans leurs abîmes, admirez l'industrie que Dieu a donnée à l'homme, et comment il peut, grâce à cette industrie, tirer des chefs-d'œuvre des choses les plus brutes. Mais je m'aperçois que je me mêle de ce que je n'ai que faire; car je ne fais que rabâcher ce que vous me dites sans cesse. Pardonnez, Monsieur, au désir que j'ai de vous voir un peu sorti de ce fonds de tristesse qui vous suit partout. Je vous voudrois le calme de l'abbé Madier; mais il n'est pas donné à tout le monde: c'est une grâce (p. 443) spéciale. Je suis fâchée que vous soyez encore privé de sa société; cela eût été une ressource pour vous: j'espère qu'il se rétablira parfaitement de sa maladie. D'après l'intérêt que vous voulez bien prendre à moi, je vous dirai que le Ciel m'a fait la grâce de faire un choix pour le remplacer, qui, sous tous les rapports, me convient parfaitement. Il entend ce que je lui dis, et me présente toujours un remède efficace aux maux dont je lui fais l'aveu. Il a de l'esprit, de la douceur sans foiblesse, une grande connoissance du cœur humain et un grand amour pour Dieu. Remerciez ce Dieu pour moi de la grâce qu'il m'a faite de m'adresser à lui. Je prierai pour vous, puisque vous le désirez, dès demain. Je m'en humilierai; car je vous avoue que rien n'y porte tant à l'humilité que d'invoquer le Ciel pour des personnes de qui l'on est si éloigné d'approcher pour la vertu. Je compte recevoir demain ce Dieu si bon. Ah! Monsieur, que j'en suis indigne, et que je suis loin de m'en rendre digne! Cependant j'ai bonne envie de me sauver; car au moins faut-il ne pas perdre le fruit des épreuves que le Ciel vous envoie: elles sont bien fortes; elles le seroient encore plus pour des gens moins légers, et qui les sentiroient plus profondément. Mais, de quelque manière qu'elles soient senties, il faut qu'elles sauvent; et voilà pourquoi je me recommande instamment à vos prières. Je vous quitte à regret; mais il est tard, et il faut que ce soit à vous que j'écrive, pour n'avoir pas déjà quitté mon écritoire: mais lorsque je cause avec vous, j'éprouve une vraie satisfaction. Adieu, Monsieur; ne doutez pas de mes sentiments et du plaisir que me font vos lettres; aussi, tant que vos yeux n'en seront point fatigués, écrivez-moi, je vous en prie. Nous sommes assez tranquilles ici depuis l'affaire du 18 avril[192].


(p. 444) XXXVIII
A MADAME DE BOMBELLES.

Ce 10 juillet 1791.

J'ai reçu votre petite lettre, ma chère Bombe; j'y réponds de même. Quoique nous différions d'opinions, les marques d'amitié que vous m'y donnez me font un bien grand plaisir. Tu sais qu'en général j'y suis sensible, et tu peux juger si, dans un moment comme celui-ci, l'amitié ne devient pas mille fois plus précieuse. Tu as une mauvaise tête; ménage-la, mon cœur, tranquillise-toi: tout ce qui t'intéresse se porte bien. Que la petite trouve dans ce billet tout ce que je ne puis exprimer. Le mot qu'elle a mis dans la lettre m'a fait aussi un grand plaisir. J'espère qu'elle n'en doute pas. Paris et le Roi sont toujours dans la même position: le premier tranquille, et le second gardé à vue ainsi que la Reine. Même, hier, on a établi une espèce de camp sous leurs fenêtres, de peur qu'ils ne sautent dans le jardin, qui est hermétiquement fermé, et qui est rempli de sentinelles, entre autres deux ou trois sous ces mêmes fenêtres. Adieu, mon cœur, je vous embrasse tendrement ainsi que la petite. On dit que l'affaire du Roi sera rapportée bientôt et qu'après il aura sa liberté. La loi pour les émigrants est très-sévère; ils payeront les trois cinquièmes de leurs biens.

(p. 445) La fin de la lettre est écrite en encre sympathique.

Non, mon cœur, je suis bien loin de permettre votre retour. Ce n'est pas assurément que je ne fusse charmée de vous voir, mais c'est parce que je suis convaincue que tu ne serois pas en sûreté ici. Conserve-toi pour des moments plus heureux, où nous pourrons peut-être jouir en paix de l'amitié qui nous unit. J'ai été bien malheureuse; je le suis moins. Si je voyois un terme à tout ceci, je supporterois plus facilement ce qui arrive; mais c'est le temps de s'abandonner entièrement entre les mains de Dieu, chose en vérité à faire par le comte d'Artois. Nous devons même lui écrire pour l'y engager. Nos maîtres le veulent. Je ne crois pas que cela le décide. Notre voyage avec Barnave et Pétion s'est passé le plus ridiculement. Vous croyez sans doute que nous étions au supplice; point du tout. Ils ont été bien, surtout le premier, qui a beaucoup d'esprit et qui n'est point féroce comme on le dit. J'ai commencé par leur montrer franchement mon opinion sur leurs opérations, et nous avons, après, causé le reste du voyage, comme si nous étions étrangers à la chose. Barnave a sauvé les gardes du corps qui étoient avec nous, que la garde nationale vouloit massacrer en arrivant. On dit qu'à... [Là s'arrête le récit.]


XXXIX
A L'ABBÉ R. DE LUBERSAC.

29 juillet 1791.

J'ai reçu votre lettre ces jours-ci. J'espère, Monsieur, que vous ne doutez pas de l'intérêt avec lequel je l'ai lue. Votre santé me paroît moins mauvaise; mais je crains que les dernières nouvelles que vous avez reçues de votre pays ne vous aient fait une trop vive impression. Plus que jamais l'on est dans le cas de dire qu'un cœur sensible est un don (p. 446) cruel. Heureux celui qui pourroit être indifférent aux maux de sa patrie, de tout ce que l'on a de plus cher! J'ai éprouvé combien cet état étoit à désirer pour ce monde, et je vis dans l'espoir que le contraire peut être utile pour l'autre. Cependant, je vous l'avouerai, je suis bien loin de la résignation que je désirerois avoir. L'abandon à la volonté de Dieu n'est encore que dans la superficie de mon esprit. Cependant, après avoir été pendant près d'un mois dans un état violent, je commence à reprendre un peu mon assiette; les événements qui paroissent se calmer en sont cause. Dieu veuille que cela dure un peu, et que le Ciel se laisse toucher! Vous ne pouvez imaginer combien les âmes ferventes redoublent de zèle; le Ciel ne peut pas être sourd à tant de vœux qui lui sont offerts avec tant de confiance. C'est du cœur de Jésus que l'on semble attendre toutes les grâces dont on a besoin; la ferveur de cette dévotion semble redoubler: plus nos maux augmentent, plus on y adresse des vœux. Toutes les communautés font de ferventes prières; mais il faudroit que tout le monde s'unît pour fléchir le Ciel; et voilà ce qu'il faut commencer par obtenir, et ne s'occuper que du bien de la religion. Mais malheureusement il est très-aisé de fort bien parler sur tout cela, beaucoup plus que d'exécuter; voilà ce que j'éprouve sans cesse, et ce qui m'impatiente, au lieu de m'humilier.

Je suis fâchée pour vous que votre frère vous ait quitté; ce devoit être pour vous une grande ressource. Ne pourriez-vous pas obtenir de demeurer avec...? au moins vous auriez une société agréable; car vous me paroissez mener la vie du monde la plus triste et la moins conforme à votre santé.

Vous me demandez mon avis sur le projet que vous aviez formé. Si vous voulez que je vous parle franchement, je ne prendrois pas le sujet que vous aviez choisi. Nous sommes encore trop corrompus pour que des vertus auxquelles beaucoup ne croient pas puissent faire effet. De (p. 447) plus, il me seroit impossible de vous donner des renseignements sur cela; car je n'en ai aucun. Mais je crois que si vous avez le désir d'écrire, tout sujet de morale chrétienne sera bien traité par vous; et si vous voulez que je vous dise encore mon avis sur cela, je vous dirai que je choisirois plutôt un sujet fort de raisonnement que de sentiment; cela conviendroit mieux à la situation où se trouve votre âme. Songez, en lisant ceci, que vous avez voulu que je vous dise ce que je pensois; et ne doutez pas, je vous prie, de la parfaite estime que j'ai pour vous, et du plaisir que me font vos lettres.


XL
A MADAME LA MARQUISE DES MONTIERS[193].

Ce 30 août 1791.

Je ne puis vous dissimuler, mon cher Démon, que votre silence m'étonnoit et m'affligeoit, même la jalousie s'emparoit de moi, car je savois que vous aviez trouvé le temps d'écrire à Coblentz; mais enfin votre lettre, que j'ai reçue hier au soir, a remis tout dans l'ordre. Blanche est en Normandie depuis un mois; je ne sais si elle aura reçu vos lettres, elle n'en avoit point eu avant son départ. Je voudrois pouvoir me flatter, mon cœur, que votre retour sera aussi prompt que je le désire, mais sur cela il n'y a que la Providence qui puisse me donner cet espoir; elle est si bonne, que je suis pleine de confiance qu'elle me procurera le plaisir de vous revoir, toujours aimable, bonne, et conservant de l'amitié pour moi. Je voudrois pouvoir ajouter que deux ans auront mis du calme et de la bonne réflexion dans la tête de ce Démon que j'aime et embrasse de tout mon cœur.


(p. 448) XLI
A MADAME DE BOMBELLES.

Ce 8 septembre 1791.

Ce n'est pas, je crois, ma faute, ma Bombe, si tu n'as pas eu de mes nouvelles: ta mère m'a donné une adresse qui ne me paroît pas du tout devoir mener à ton château; mais elle me soutient qu'elle est bonne, il faut bien me soumettre à la croire. Je suis charmée que tu aies trouvé un peu de société, car cela fait toujours du bien, quand ce ne seroit que pour savoir des nouvelles et pouvoir renouveler un peu ses idées, ce dont on a grand besoin. Pour ici, on a beau faire, c'est toujours la même chose: la Révolution, ses suites, l'entrée des émigrés, voilà sur quoi roulent toutes les conversations des cercles de Paris. Tu sais sûrement que la Constitution est entre les mains du Roi depuis samedi, et qu'il réfléchit sur la réponse qu'il fera. Le temps nous apprendra ce qu'il aura décidé dans sa sagesse. Il faut demander à l'Esprit-Saint de lui faire part de quelques-uns de ses dons: il en a bon besoin. Je voudrois avoir quelque chose d'amusant à te mander; mais nous n'abondons pas dans cette marchandise, d'autant que le pain qui commence à renchérir ici, en rappelant un temps fort triste, fait craindre pour cet hiver assez de mouvements, sans compter tout ce dont on nous menace pour l'automne, ce qui est fort triste, car il n'y a plus moyen de se faire illusion, puisque l'Assemblée elle-même en parle comme d'un malheur auquel elle s'attend. Il est vrai que la force que donne l'amour de la liberté rassure beaucoup; et le patriotisme remplacera aisément l'ordre et la subordination des troupes. Adieu, je t'embrasse de tout mon cœur.


(p. 449) XLII
A MADAME DE BOMBELLES,
SOUS LE NOM DE MADAME DE SCHWARZENGALD.
A RORSCHACH, PAR SAINT-GALL, EN SUISSE.

Ce 22 septembre 1791.

Je suis charmée, ma petite Bombe, de la recrue que tu as faite pour ta société, car on a beau dire, l'hiver on en a un peu besoin, surtout un homme qui n'a pas la ressource de l'ouvrage. Je suis fâchée du chagrin que tu as éprouvé par la perte de M. de Rosenberg, ce sera une vraie consolation pour son frère d'être avec toi; mais je crains que cela n'attriste la solitude. Oui, mon cœur, je voudrois pouvoir m'y transporter. Que j'y trouverois de douceur! Mais la Providence m'a placée où je suis: ce n'est pas moi qui l'ai choisi; tu crois bien, qu'elle m'y retient, il faut donc s'y soumettre. Mon sort m'y paroîtroit plus doux si je voyois l'union dont je te parlois dans ma dernière lettre, et que je trouverois l'hiver court, si, malgré toutes les peines qu'il nous annonce, il pouvoit l'amener! Et que n'ai-je ici les moyens que j'aurois autre part! car j'y travaillerais avec bien du zèle. Mais mettons en Dieu notre confiance: il sait ce qu'il faut à chacun de ses enfants; il en aura soin, gardons-nous d'en douter. Nous ne sommes pas faits pour vivre heureux dans ce monde. La vue de l'éternité devroit soutenir tous et particulièrement ceux qui sont comblés de ses grâces. Sois tranquille pour ta mère, ma petite, elle se porte bien; je ne crois même pas que tu la trouves changée, si tu la voyois. Je ne comprends pas comment l'on peut supporter tout ce que l'on a à souffrir dans ce moment, les secousses étant fréquentes. Nous en avons éprouvé de bien douces, en revoyant des êtres qui ont couru de bien grands dangers, mais qui heureusement sont tous (p. 450) en bonne santé. La Providence a bien veillé sur eux; non, elle n'abandonne jamais. Oh! que l'on seroit heureux si l'on avoit une foi vive! Ton mari est donc allé faire une course légère, et tu es restée dans ta solitude, avec tes enfants, tes livres et ta pensée. En voilà bien assez pour toi.

Nous sommes toujours tranquilles ici. Il paroît une lettre des Princes[194], et une déclaration de l'Empereur et du roi de Prusse[195]. La lettre est bien forte; mais le reste ne l'est pas. Cependant plusieurs personnes croient y voir les Cieux ouverts. Pour moi, qui ne suis pas si crédule, je lève les mains au Ciel, et lui demande de nous préserver de maux inutiles. Tu en ferois, je crois, tout autant.

La vicomtesse est chez elle, Tilly et des Essarts en Bourbonnois, et Blanche en Normandie. Mais je pense qu'elle reviendra bientôt. Sais-tu que l'on nous a menés à l'Opéra mardi, et que lundi nous allons aux François! Nous faisons notre cœurs de spectacle. Lorsqu'il sera fini, j'en serai charmée.

Adieu, je t'embrasse et t'aime de tout mon cœur.


XLIII
A MADAME DE BOMBELLES.

Ce 6 octobre 1791.

Il y a aujourd'hui deux ans, ma chère Bombe, que nous étions encore dans le lieu de ma naissance. C'est vers cette (p. 451) heure-ci qu'il a été décidé que nous le quitterions. Cela est un peu triste, car jamais l'on ne verra une habitation plus agréable pour moi. Tu me demandes si je vais à M.[196] Non, mon cœur, et certes je n'irai pas que la ville dans laquelle il est n'ait avoué ses torts. J'en enrage; mais je crois le devoir. Quant à Saint-Cyr, je n'ose pas y aller: le village est si mal pour ces Dames que je ne puis y aller, dans la crainte que le lendemain l'on ne fasse une descente chez elles, disant que j'ai apporté une contre-révolution. Cependant, j'ai écrit à Ligondès pour la prier de me marquer le moment qu'elle croira que je pourrai avoir ce plaisir.

Je suis charmée de ce que tu me marques du bon sens de ton prince moine[197]. Si tout le monde avoit comme lui senti la nécessité de laisser chacun dans la place où la Providence l'a placé, nous n'aurions pas à gémir sur les maux de notre patrie. La nouvelle législature a commencé à attaquer les droits que la Constitution avoit donnés au Roi. Elle a décrété qu'elle devoit être indépendante de la volonté du Roi lorsqu'il y étoit, et qu'en conséquence ils seroient assis avant que le Roi s'assoie; qu'il n'auroit pas un fauteuil différent de celui du président, et que l'on ne lui donneroit plus le titre de Sire ni de Majesté; mais qu'en lui parlant on diroit toujours Roi des François[198]. Tout cela feroit rire, si (p. 452) l'on n'y découvroit pas un désir violent de détruire toute la Constitution. On dit que Thouret étoit dans une colère affreuse, et M. de Cordorcet enchanté.

Adieu, ma Bombe, voilà le commencement de nos nouvelles. D'ici à un mois, je crois qu'il y en aura bien d'autres du même genre. Mais à chaque chose suffit son mal. On parle d'un congrès à Aix-la-Chapelle. J'imagine que là l'on cherchera à prévoir tout ce que la nouvelle législature sera dans le cas d'entreprendre. Sans cela leur but manquera, crois-en ma prédiction. Dieu veuille que d'autres y pensent. Adieu, je t'embrasse de tout mon cœur.

L'Assemblée a rétracté le décret de la veille. Le Roi y va ce matin pour en faire l'ouverture, et leur lâchera un petit discours. J'ignore ce qu'il contiendra.


XLIV
A MADAME LA MARQUISE DES MONTIERS[199].

Ce 20 octobre 1791.

J'ai reçu votre jolie lettre, mon cher Démon. Non, mon cœur, vous auriez bien tort de craindre d'être oubliée, croyez que je n'ai point le sort dont on soupçonne bien des gens et que l'absence ne fait point de tort à mes sentiments. Non, tant que je ne saurai rien qui puisse m'affliger sur Démon, je l'aimerai bien tendrement; ainsi, lorsqu'il lui prendra fantaisie de s'inquiéter sur cela, en faisant son (p. 453) examen le soir, elle pourra répondre à tout ce que son imagination lui aura dit. Je crois lui avoir dit cela cent fois, mais si elle me prend pour une rabâcheuse avec quelque raison, elle se dira que c'est encore une preuve de la sincère amitié que j'ai pour elle. Je serai charmée, mon petit Démon, lorsque vous pourrez me venir voir, mais je n'en prévois pas l'époque. Votre mari est-il avec vous, mon cœur, ou êtes-vous avec votre mère? Et votre second fils, qu'en avez-vous fait? J'ai vu avant-hier votre beau-frère, il n'est pas embelli. On dit que les émigrés vont être maltraités par l'Assemblée; le sieur Brissot en fit hier la motion, qui doit être discutée. Adieu, mon petit Démon, je vous embrasse de tout mon cœur.


XLV
A MADAME DE RAIGECOURT.

[Vers la fin d'octobre.]

J'ai l'âme toute noire, ma chère Rage. Il faut que tu en prennes ton parti, et tu en devineras bien la raison, car je n'aime point du tout tout ce que je vois. Lis et entends. Dieu veuille que j'aie tort! Sais-tu bien que ce que tu me marques à la fin de ta lettre n'a pas le sens commun? Il y a quatre mois, cela eût été fort différent. Mais à présent c'est un être de raison que de penser que cela puisse faire le plus petit effet. Mais notre sort sera toujours d'être bêtes et maladroits, ce dont j'enrage de bon cœur. Quant à ce que tu me marques pour une certaine personne de ma connoissance, je te fais part qu'elle ne trouve pas que tu aies raison; que son opinion ne sera, je crois, jamais douteuse, mais que mille raisons lui font croire qu'elle est où elle doit être.—Si tu ne l'approuvois pas, elle en seroit bien fâchée. Mais je crois que, si elle pouvoit causer avec (p. 454) toi, elle te convaincroit. Lastic est ici d'avant-hier; ce qui a fait un sensible plaisir à ta très-humble servante, quoiqu'elle lui ait dit bien des choses qui lui font peine. La pauvre petite est bien malheureuse, sent bien vivement sa position; mais tout cela est soumis à la Providence d'une manière qu'il faudroit imiter. Nous irons galoper demain ensemble, et cela me plaît.

Je te fais compliment sur la dent d'Hélène: c'est en avoir de bien bonne heure. J'ai peur qu'elle ne te morde beaucoup. Adieu, ma petite. Je t'embrasse et t'aime de tout mon cœur. Le bien de ta belle-sœur est-il près de Saint-Domingue?


XLVI
A MADAME DE BOMBELLES,
SOUS LE NOM DE MADAME DE SCHWARZENGALD.
PAR SAINT-GALL, EN SUISSE, A RORSCHACH.

Ce 8 novembre 1791.

Sais-tu bien, ma Bombe, que si je ne comptois pas sur ton amitié, sur ton indulgence, je serois un peu honteuse du temps qu'il y a que je t'ai écrit? Mais que veux-tu? c'est pour mieux faire que j'ai eu tort. Je voulois t'écrire un peu longuement, et je ne m'en suis jamais trouvé le temps. Heureusement que l'arrivée de M. de Vaines[200] t'aura bien occupée et distraite de l'idée de n'avoir pas de nouvelles de ta patrie. Ta mère t'a écrit il y a huit jours, cela t'aura prouvé que tout étoit encore sur ses pieds; que, malgré tous les blasphèmes que l'on n'a cessé de vomir contre Dieu et ses ministres, le Ciel n'étoit pas encore tombé sur nous. Après-demain, l'on dit que l'on s'occupera des prêtres non assermentés, et de leur assurer paix, (p. 455) tranquillité et libre exercice de la religion. Cela te paroît suspect; mais patience, attends pour juger que le décret soit rendu.

Tu sais sans doute les tristes nouvelles des îles, elles sont confirmées d'hier par une lettre de M. de Blanchelande[201]. On craignoit la famine pour la ville du Cap, et il tenoit ses vaisseaux prêts pour faire embarquer les femmes et les enfants et les sauver, tandis qu'eux chercheroient à se défendre. Ils avoient envoyé demander secours aux Anglois. Voilà le commerce de la France totalement ruiné, et ce superbe royaume humilié jusque dans la poussière. Au moins, s'il l'étoit de cœur, Dieu pourroit en être touché; mais, hélas! que peut-on faire avec des cœurs corrompus, trompés par l'illusion la plus adroite et la plus perfide! Mais adieu, je t'aime et t'embrasse de tout mon cœur. Il fait, si tu veux le savoir, un froid de loup, depuis trois jours particulièrement. Il y a déjà assez de glace dans les bassins pour remplir les glacières. Si l'hiver est aussi (p. 456) froid qu'il s'annonce, je ne comprends pas ce que les pauvres deviendront.

J'ai eu hier l'avantage de voir ton cher beau-frère. Tu juges toute la joie que j'en ai ressentie. Mais, pour le coup, adieu.

La fin de la lettre est écrite en encre sympathique.

Enfin, ma Bombe, l'on sent ici la nécessité de se rapprocher de Coblentz. On va envoyer quelqu'un qui y restera et qui correspondra avec le baron de Breteuil[202]. Mais il me reste une crainte dans cette démarche, c'est qu'elle ne soit faite que pour arrêter des démarches fâcheuses et qui sont fort à craindre, et non pas pour arriver à une confiance méritée. Cependant, qu'arrivera-t-il si elle n'existe pas? C'est que nous serons la dupe de toutes les puissances de l'Europe. Cependant, ma Bombe, le moment est bien intéressant. Je suis d'avis que ton mari soit où il est, car je suis sûre qu'il penseroit comme moi, et qu'il engageroit le baron de Breteuil à se porter de bonne foi à ce nouvel ordre de choses. Nous voilà aux portes de l'hiver, c'est le moment des négociations. Elles peuvent avoir une (p. 457) heureuse issue, mais seulement si l'on agit d'accord. Si cela n'existe pas, souviens-toi de ce que je te dis:—Au printemps, ou la guerre civile la plus affreuse s'établira en France, ou chaque province se donnera un maître. Ne crois pas la politique de Vienne très-désintéressée: il s'en faut de beaucoup. Elle n'oublie pas que l'Alsace lui a appartenu. Toutes les autres sont bien aises d'avoir une raison pour nous laisser dans l'humiliation. Songe au temps qui s'est passé depuis notre retour de Varennes. Ces événements ont-ils remué l'Empereur? N'a-t-il pas été le premier à montrer de l'incertitude sur ce qu'il devoit faire? Croire, comme bien des gens l'assurent, que c'est la Reine qui l'arrête, me paroît un être de raison et presque un crime. Mais je me permets de penser que la politique vis-à-vis de cette puissance n'a pas été menée avec assez d'habileté. Si cela est, je trouve que l'on a eu tort; mais il seroit impardonnable si, d'après le décret qui a été rendu hier sur les émigrants, on n'en sentoit pas le danger. Juge à la quantité qui sont là s'il sera possible de les retenir, et ce que deviendront la France et son chef s'ils prennent ce parti sans secours étranger. Réfléchis à tout cela, ma Bombe; et si ton mari trouve qu'il y ait en effet un grand danger à.....[203], ou qu'il engage son ami à marcher de bonne foi, je m'attends bien que, dans le premier moment, l'homme qui sera chargé d'aller à Coblentz éprouvera peut-être quelques difficultés; mais il ne faut pas que cela l'alarme, parlant au nom du Roi, et ne mettant aucune roideur à soutenir son avis; mais en le raisonnant bien, il y entraînera les autres.

Adieu, accuse-moi la réception de cette lettre; et si ton mari fait quelques démarches vis-à-vis du baron, qu'il ne sache pas que je l'en ai prié, ni même que je t'ai parlé de tout cela.


(p. 458) XLVII
A L'ABBÉ DE LUBERSAC.

14 novembre 1791.

J'ai vu avec plaisir par votre dernière lettre, Monsieur, que votre santé étoit un peu moins mauvaise: l'hiver sera, dans le pays que vous habitez, un bien bon temps pour vous. Tous les détails que vous me donnez m'ont fait un grand plaisir. La dévotion des Romains ne me tente point du tout. Est-il possible qu'il y ait encore tant de superstition! Je ne connois rien qui rabaisse l'homme comme de penser que dans cette ville qui a été celle des lumières, qui devroit être la mieux instruite de la vraie piété, puisque c'est de là que nous recevons l'explication des devoirs qui nous sont tracés; que dans cette même ville l'on craigne de changer le genre de dévotion du peuple, crainte de l'arracher de son cœur; notre exemple n'encouragera certes pas sur cela: car, à force de lumières, nous sommes parvenus à une incrédulité, à une indifférence bien affligeante, et effrayante pour le moment présent et pour ses suites. Cependant l'on n'a point encore porté de décret contre les prêtres; l'Assemblée paroît vouloir y mettre une grande sévérité. Si vous lisez les papiers publics, vous devez voir qu'il n'y a pas d'indécence que l'on ne se permette contre eux: cependant Dieu permet que la religion se soutienne au milieu de cette demi-persécution. Les couvents, ouverts par ordre du département, présentent le spectacle le plus édifiant. Les églises sont remplies, les communions sont innombrables, et tout cela se passe avec le plus grand calme. Dieu veuille que quelques esprits malins ne viennent pas déranger tout cela! ce dont je ne serois point étonnée: car, pour nos péchés, Dieu leur a donné un bien grand pouvoir sur notre malheureuse patrie.

(p. 459) Il faut que je vous quitte, Monsieur, mais cela ne sera pas sans vous prier de ne pas m'oublier, et vous assurer, de mon côté, que je n'oublie point votre affaire: mais ce cruel moment, qui retarde tout, y met souvent obstacle. Ne vous inquiétez pas, et soyez convaincu de mes sentiments pour vous.


XLVIII
A MADAME LA MARQUISE DES MONTIERS[204].

Ce 17 janvier 1792.

Je vous fais mon compliment, mon cœur, de ce que votre fils s'est bien tiré de sa petite vérole; elle est si mauvaise cette année, que l'on doit regarder comme une grâce spéciale de la Providence de s'en tirer. Votre Stani est bien aimable de se souvenir de moi, cela sera un grand personnage lorsque je le reverrai; j'ai bien envie, mon cœur, que ce temps ne soit pas bien éloigné, j'espère que vous n'en doutez pas. Vous ne me parlez pas de votre santé; est-elle bonne, la ménagez-vous? On dit que vous lui faites faire quelques culbutes en phaéton. Je conçois l'indignation que vous avez éprouvée en voyant M. des Essarts au bal: il faut le plaindre, mon cœur, il le mérite; il n'a pas senti tout ce qu'il perdoit; un jour peut-être il le sentira: des Essarts, née pour plaire à tout ce qui savoit l'apprécier, n'a pas été heureuse en ce monde comme elle auroit dû l'être, à en juger par nos yeux; mais Dieu savoit bien ce qu'il faisoit: étant destinée à habiter peu de temps sur cette terre malheureuse, il l'a purifiée par mille épreuves diverses, afin de pouvoir la mieux récompenser. La pauvre petite jouit maintenant des sacrifices que Dieu a exigés d'elle. Sa mère est bien à plaindre, mais sa vertu et son courage sont au-dessus (p. 460) de tout ce que l'on peut dire; soumise à la volonté de Dieu, elle est calme et résignée à tout ce qu'il demande d'elle. Que de réflexions ces événements ne doivent-ils pas faire faire! Si Démon n'étoit pas de sa nature si étourdie, je dirois qu'elle en a sûrement fait son profit. Je regrette des Essarts de toute mon âme, mais quand je pense à ce qu'elle auroit peut-être eu à souffrir, j'admire la bonté de Dieu.

Je suis charmée, mon cœur, de ce que vous me dites sur des êtres qui me sont bien chers; je désire vivement les voir heureux, et bien d'autres encore. Adieu, ma petite Démon, je vous embrasse et vous aime de tout mon cœur.

Dites bien des choses à votre mari et à votre beau-frère, et embrassez Stani pour moi.


XLIX
A MADAME DE RAIGECOURT.

Ce 24 janvier 1792.

Tu veux que je te prêche, ma chère Raigecourt. J'en aurois bonne envie, si je croyois que cela te fût le moins du monde utile. Mais je ne puis te dissimuler que Dieu ne m'a pas accordé grâce pour cela. Si j'étois votre directeur, je sais bien ce que je vous dirois, et ce que j'exigerois de vous; mais ne l'étant pas, tout ce que je me permettrai de te dire, c'est que je ne crois pas que tu sois dans la voie de Dieu. Tu te fais illusion par l'humiliation où tu tiens ton esprit; sur la douleur que tu reçois toujours de la mort de ton fils. Cette humilité nourrit ton amour-propre, aigrit ton cœur, met ton âme à la gêne, et nuit au sacrifice que Dieu a exigé de toi, que tu n'as pas encore fait et qu'il attend avec toute la patience et la bonté d'un père et d'un ami indulgent. Mais, me direz-vous: je dis à Dieu qu'il a raison. C'est fort bien; mais je te connois, Raigecourt: cette parole (p. 461) ne s'échappe jamais sans un serrement de cœur affreux. Eh bien! si j'étois toi, je ne dirois plus cette parole, mais bien celle-ci: «Seigneur, je m'abandonne à tout ce qu'il plaira à votre bonté d'ordonner pour mon salut. Sauvez-moi, mon Dieu, et que je vous aime: voilà tout ce que je désire.»

Je joindrois à cette aspiration le sentiment de l'abandon du cœur, et le calme que nécessairement elle doit te faire éprouver. Joins à cela de demander à Dieu de faire lui-même pour vous et avec vous ce sacrifice que vous n'avez pas encore arraché de votre cœur. Joignez-le à celui de Jésus-Christ. Mettez-vous en esprit au pied de la Croix. Laissez couler le sang de Jésus-Christ sur vos plaies. Demandez-lui de les guérir. Et si après avoir mis tout cela en pratique, vous vous trouvez soulagée, et presque froide, prenez bien garde d'en remercier Dieu et de ne vous pas faire de reproche d'insensibilité, que vous croiriez peu mériter par le contraste de votre position. Mais, mon cœur, ne mettez tout ceci en pratique que si vous vous y sentez de l'attrait, si votre cœur est touché; car s'il ne l'est pas, tout cela ne vaudroit rien. Vis-à-vis de Dieu, l'esprit doit être mis totalement de côté, le cœur doit seul agir avec la plus grande simplicité et confiance.

J'ai fait remettre ta lettre: on m'a dit que l'on te répondroit. Nous avons eu du tapage pour le sucre tous ces jours-ci. Aujourd'hui tout est calme; du moins je le crois, car c'est sur le rapport des autres que je crois qu'il y en a eu, n'ayant pas vu le moindre mouvement.

La Princesse prend du quinquina. Son écriture n'est pas changée, ce qui me prouve qu'elle n'est pas très-affoiblie. Adieu, je t'embrasse de tout mon cœur et t'aime de même.

Je t'envoie des pratiques de dévotion que nous commençons samedi prochain.


(p. 462) L
AU COMTE D'ARTOIS.

Le 19 février 1792.

Vous savez, mon cher Frère, quelle est mon amitié pour vous, et si je me réjouis de vous savoir en bonne santé. Je crois, moi qui suis sur les lieux, que vous êtes injuste envers la personne: vous n'avez pas au fond de meilleure amie. Je prie Dieu qu'il répande sur vous ses bénédictions et ses lumières, et vous jugerez mieux. L'éloignement est par tous les côtés une calamité et une souffrance, puisqu'il jette des nuages où ne devroit luire que l'amitié. Je vous écrirai plus au long sur tout cela par l'occasion que vous savez, et je vous prouverai que jamais vous ne trouverez une amie plus vraie et plus tendre et dévouée que moi.


LI
A MADAME DE RAIGECOURT.

Ce 22 février 1792.

Je verrai, mon cœur, dans un moment où ma bourse sera moins vide, ce que je pourrai faire pour ces bons et saints Pères de la Vallée Sainte[205]. Quelle vie que celle-là! et combien nous devrions rougir en lui comparant la nôtre! Cependant une partie de ces saints n'ont peut-être pas autant de péchés que nous à expier. Ce qui doit consoler, c'est que Dieu n'exige pas de tout le monde ce qu'il exige d'eux, et que, pourvu que l'on soit fidèle dans le peu que l'on fait, il est content.

(p. 463) Je te trouve d'une grande sévérité pour Françoise[206]. Je souhaite que cela tourne bien. Mais je ne puis te dissimuler que je trouve que tu joues gros jeu. Songe qu'elle n'est peut-être pas destinée à vivre retirée dans un chapitre; qu'un temps viendra où elle pourra aller au bal, et que pour lors elle se livrera avec plus de fureur à ce plaisir. Je crois qu'il seroit plus prudent de l'y mener quelquefois, et de s'attacher, dans les conversations que tu pourrois avoir avec elle, à lui faire sentir le vide des plaisirs de ce bas monde. Au reste, mon cœur, je ne sais pas pourquoi je te parle de cela, car Dieu, que tu consultes sûrement avec soin, te donne les lumières dont tu as besoin pour la bien conduire, et puisque son confesseur est de cette sévérité-là, je n'ai rien à dire. Mais, mon cœur, est-ce le tien que tu lui as donné? Si cela est, pourquoi ne l'aimes-tu pas? Il me semble que ton zèle devroit être satisfait de la pâture qu'on lui donne. J'en juge d'après cet échantillon.

La Reine et ses enfants ont été avant-hier à la Comédie. Il y a eu un tapage infernal d'applaudissements. Les Jacobins ont voulu faire le train; mais ils ont été battus. On a fait répéter quatre fois le duo du valet et de la femme de chambre des Événements imprévus, où il est parlé de l'amour qu'ils ont pour leur maître et leur maîtresse; et au moment où ils disent: Il faut les rendre heureux, une grande partie de la salle s'est écriée: Oui, oui!... Conçois-tu notre nation! Il faut convenir qu'elle a de charmants moments. Sur ce, je te souhaite le bonsoir et te prie de bien prier Dieu, ce carême, pour qu'il nous regarde en pitié; mais, mon cœur, aie soin de ne penser qu'à sa gloire, et mets de côté tout ce qui tient au monde. Je t'embrasse.


(p. 464) LII
AU COMTE D'ARTOIS.

Le 23 février 1792.

Votre dernière lettre m'a été remise ce matin, mon cher Frère, et j'ai été bien heureuse d'y trouver moins d'amertume que dans la précédente. Cependant, je vous ai promis d'ajouter quelques mots à ce que je vous ai écrit il y a quelques jours, et je suis votre amie trop sincère pour ne pas le faire. Je trouve que le fils[207] a trop de sévérité pour la belle-mère[208]. Elle n'a pas les défauts qu'on lui reproche. Je crois qu'elle a pu écouter des conseils suspects, mais elle supporte les maux qui l'accablent avec un courage fort, et il faut encore plus la plaindre que la blâmer, car elle a de bonnes intentions. Elle cherche à fixer les incertitudes du père[209], qui, pour le malheur de sa famille, n'est plus le maître, et je ne sais si Dieu voudra que je me trompe, mais je crains bien qu'elle ne soit l'une des premières victimes de tout ce qui se passe, et j'ai le cœur trop serré à ce pressentiment pour avoir encore du blâme. Dieu est bon, il ne voudra pas continuer à laisser subsister le peu d'accord qu'il y a dans une famille à qui l'ensemble et la bonne harmonie seroient si utiles; j'en frémis quand j'y pense, et cela m'ôte le sommeil, car ce désaccord nous tuera tous. Vous savez la différence d'habitudes et de sociétés que votre sœur a toujours eue avec la belle-mère: malgré cela, on se sentiroit du rapprochement pour elle quand on la voit injustement accuser et quand on regarde en face l'avenir. C'est bien fâcheux que le fils n'ait rien voulu ou (p. 465) pu faire pour gagner l'ami intime[210] du frère de la belle-mère. Ce vieux renard la jouoit, et il eût fallu prendre sur soi, s'il avoit été possible, et faire le sacrifice de s'entendre avec lui pour le déjouer et prévenir le mal devenu effrayant aujourd'hui. De deux maux le moindre. Tous les gens de cette sorte me font peur: ils ont de l'esprit, mais à quoi leur est-il bon? Avec cela il faut aussi du cœur, et ils n'en ont pas. Ils n'ont que de l'intrigue, et c'est bien désagréable qu'ils entraînent tant de gens. Il auroit fallu être plus fins qu'eux.

Paris est presque tranquille. L'autre jour il y a eu à la Comédie, où étoit la Reine avec ses enfants, un tapage infernal qui a fini par une scène étonnante dont beaucoup de gens ont été attendris:—la plus grande partie de la salle a crié Vive le Roi! et Vive la Reine! à faire tomber les voûtes: on a battu ceux qui n'étoient pas du même avis, et on a fait répéter quatre fois un duo qui prêtoit à des rapprochements. Mais c'est un moment, un éclair comme en a la nation, et Dieu sait si cela continuera.

L'idée de l'Empereur me tourmente; s'il nous fait la guerre, il y aura une affreuse explosion. Que Dieu veille sur nous! Il a appesanti sa main sur ce royaume d'une manière visible. Prions-le, mon cher frère; lui seul connoît les cœurs et il est la seule digne espérance. Je vais passer ce carême à lui demander de nous regarder en pitié; d'arranger les affaires entre cette famille que j'aime tant; j'ai cela bien à cœur, je consacrerois ma vie à le demander à deux genoux, et je voudrois être digne d'être exaucée. Ce n'est que lui qui peut changer notre sort, faire cesser le vertige de cette nation si bonne au fond, et vous donner la santé et le repos. Adieu. Que me demandez-vous? Quelles sont mes occupations aujourd'hui? Si je monte à cheval et (p. 466) si je vais encore à Saint-Cyr?—A peine ose-t-on faire ses devoirs depuis plus d'un an! Je vous embrasse de tout mon cœur. Miserere nobis.


LIII
A MADAME DE RAIGECOURT.

Ce 6 avril 1792.

Comme je ne veux pas que tu me grondes, je t'écris le Jeudi saint: n'est-ce pas beau? Aussi tu n'auras qu'un très-petit mot. Voilà donc le roi de Suède assassiné! Chacun à son tour. Il a eu un courage incroyable. Nous ignorons encore sa mort; mais il y a à parier qu'il l'est, d'après la manière dont le pistolet étoit chargé.

Tu es toute en dévotion. As-tu eu un bel office, un beau reposoir? Ta petite te permet-elle d'y aller? Adieu, mon cœur; je t'embrasse bien tendrement. Quand tu sèvreras, je m'occuperai de te faire avoir un logement, car le tien est donné.


LIV
A MADAME DE RAIGECOURT.

Ce 18 avril 1792.

Je te fais mon compliment, mon cœur, de ce que ta petite a reçu les cérémonies du baptême: ta sœur ne m'a pas envoyé le discours de ton saint évêque[211]; j'espère l'avoir (p. 467) sous quelques jours. Tu crois peut-être que nous sommes encore dans l'agitation de la fête de Châteauvieux, point du tout: tout est fort tranquille. Le peuple a été voir dame Liberté tremblotante sur son char de triomphe, mais il haussoit les épaules. Trois ou quatre cents sans-culottes suivoient en criant: La Nation! la liberté! les sans-culottes! au diable La Fayette! Tout cela étoit bruyant, mais triste. Les gardes nationaux ne s'en sont point mêlés; au contraire, ils étoient en colère; et Pétion est, dit-on, honteux de sa conduite. Le lendemain, une pique et un bonnet rouge s'est promené dans le jardin, sans bruit, et n'y est pas resté longtemps.

Oui, mon cœur, je serai bien aise de te revoir; mais il faut voir la tournure que tout ceci prendra. La première fois que je t'écrirai, je te dirai si j'ai pu te trouver un logement. J'en ai bonne envie; car il me déplairoit beaucoup de te savoir à l'autre bout de Paris, et de ne pouvoir te voir autant que je le voudrois; au lieu que, si tu étois dans le château, nous passerions souvent les matinées ensemble. Je t'avoue que cette idée me tourne un peu la tête, et je la voudrois déjà voir exécutée; mais patience. Depuis trois ans nous sommes à ce régime; peut-être qu'à la fin nous nous en trouverons bien.

Bombe fait faire sa première communion à Louis; il me semble qu'il s'y prépare fort bien; elle y met tous ses soins. Tu as encore le temps d'attendre avant que d'en être là. Tu es bien heureuse, car cela doit bien troubler.

(p. 468) Le gouverneur de M. le Prince Royal est nommé d'aujourd'hui; c'est M. de Fleurieu[212], celui qui a été ministre. L'Assemblée, à cette nouvelle, a renvoyé la lettre du Roi au comité, pour savoir si c'est au Roi ou à elle à le nommer. C'est, dit-on, un honnête homme; pour moi, je ne le connois pas. Adieu, mon cœur, je t'embrasse et t'aime de tout mon cœur.

Le Roi de Suède est mort avec beaucoup de courage. Quel dommage qu'il ne fût pas catholique! il eût été un vrai héros. Son pays paroît tranquille.


LV
A L'ABBÉ DE LUBERSAC.

15 mai 1792.

Il y a bien longtemps que je ne vous ai écrit, Monsieur; ce n'est pas faute d'en avoir envie: mais je mène une vie si coupée, qu'il ne m'est pas possible d'écrire comme je le voudrois. Je ne puis vous dire assez combien j'ai été touchée de votre lettre. Le désir que vous me témoignez de me voir réunie à celles qui ont tant de bontés pour moi, m'a fait un grand plaisir; mais il est des positions où l'on ne peut pas disposer de soi, et c'est là la mienne: la ligne que je dois suivre m'est tracée si clairement par la Providence, qu'il faut bien que j'y reste; tout ce que je désire, c'est que vous vouliez bien prier pour moi, pour obtenir de la bonté de Dieu que je sois ce qu'il désire. S'il me réserve encore dans ma vie des moments de calme, ah! je sens que j'en jouirai bien, au lieu de me soumettre aux épreuves qu'il m'envoie! J'envie ceux qui, calmes intérieurement et tranquilles à l'extérieur, peuvent à tous les instants ramener leurs âmes vers Dieu, lui parler, et surtout (p. 469) l'écouter: pour moi, qui suis destinée à tout autre chose, cet état me paroît un vrai paradis.

Si Minette vaut quelque chose, c'est bien à vous qu'elle le devra. J'en ai été contente dans le court séjour qu'elle a fait ici: elle n'est pas heureuse, et c'est une bonne école. Elle a trouvé à Chartres un homme de mérite, à en juger d'après ce qu'elle dit, et en qui elle paroît avoir confiance. Je l'ai fort engagée à le voir souvent; j'espère qu'elle y est exacte.

Je vois avec peine approcher les chaleurs; c'est un mauvais temps pour vous: je désire beaucoup qu'elles soient moins fortes que l'année passée. Adieu, Monsieur: croyez que vos lettres me font un vrai plaisir, et que je serai charmée le jour où je pourrai vous revoir. En attendant, priez Dieu pour nous.

J'ai si peu de temps, qu'il m'est difficile de m'unir aux prières que l'on fait; mais j'y dresserai quelquefois mon intention, pour participer aux grâces qu'elles doivent attirer. Vous voyez que le moi n'est point du tout mort en moi.


LVI
A L'ABBÉ DE LUBERSAC.

22 juin 1792.

Cette lettre sera un peu longtemps en chemin; mais j'aime mieux ne pas laisser échapper une occasion de causer avec vous. Je suis persuadée que vous avez ressenti presque aussi vivement que nous, Monsieur, le coup qui vient de nous frapper[213]; il est d'autant plus affreux, qu'il déchire le (p. 470) cœur, et ôte tout repos d'esprit. L'avenir paroît un gouffre, d'où l'on ne peut sortir que par un miracle de la Providence; et le méritons-nous? A cette demande, on sent tout le courage manquer. Qui de nous peut se flatter qu'il lui sera répondu: Oui, tu le mérites! Tout le monde souffre; mais, hélas! nul ne fait pénitence; on ne retourne point son cœur vers Dieu. Moi-même combien de reproches n'ai-je pas à me faire! Entraînée par le tourbillon du malheur, je ne m'occupois pas de demander à Dieu les grâces dont nous avons besoin; je m'appuyois sur les secours humains, et j'étois plus coupable qu'un autre; car qui plus que moi est l'enfant de la Providence? Mais ce n'est pas tout de reconnoître ses fautes, il faut les réparer; je ne le puis seule, Monsieur: ayez la charité de m'aider. Demandez au Ciel, non pas un changement qu'il plaira à Dieu de nous envoyer quand il l'aura jugé convenable dans sa sagesse; mais bornons-nous à lui demander qu'il éclaire, qu'il touche les cœurs; que surtout il parle à deux êtres bien malheureux, mais qui le seront encore plus si Dieu ne les appelle à lui. Hélas! le sang de Jésus-Christ a coulé pour eux comme pour le solitaire qui pleure sans cesse des fautes légères. Dites-lui souvent: Si vous voulez, vous pouvez les guérir; et démontrez-lui bien la gloire qu'il en tirera. En me lisant, vous allez me croire un peu folle, mais pardonnez à l'excès des maux dont mon âme est atteinte: jamais je ne les ai si vivement sentis. Dieu les connoît; Dieu sait les remèdes qu'il doit appliquer, mais sa bonté permet qu'on lui fasse les demandes dont on a besoin: et j'use, comme vous voyez, de cette permission.

Je suis fâchée de vous écrire dans un style aussi noir; mais mon cœur l'est tellement, qu'il me seroit bien difficile de parler autrement. Ne croyez pas pour cela que ma (p. 471) santé s'en ressente; non, je me porte bien: Dieu me fait la grâce de conserver de la gaieté. Je désire vivement que la vôtre se conserve; je voudrois la savoir meilleure; mais comment l'espérer avec votre sensibilité? Rappelons-nous qu'il est une autre vie, où nous serons amplement récompensés des peines de celle-ci, et vivons dans l'espoir de nous y réunir un jour, après cependant avoir eu encore le plaisir de nous revoir dans celle-ci; car, malgré l'excès de ma noirceur, je ne puis croire que tout soit désespéré. Adieu, Monsieur: priez pour moi, je vous en prie, après avoir prié pour les autres, et donnez-moi souvent de vos nouvelles: c'est une consolation pour moi.


LVII
A MADAME DE RAIGECOURT.

3 juillet 1792.

Depuis trois jours on comptoit sur un grand mouvement dans Paris; mais on croyoit avoir pris les précautions nécessaires pour parer à tous les dangers. Mercredi matin, la cour et le jardin étoient pleins de troupes. A midi, on apprend que le faubourg Saint-Antoine étoit en marche; il portoit une pétition à l'Assemblée, et n'annonçoit pas le projet de traverser les Tuileries. Quinze cents hommes défilèrent dans l'Assemblée, peu de gardes nationaux, quelques invalides; le reste étoit des sans-culottes et des femmes. Trois officiers municipaux vinrent demander au Roi de permettre que la troupe défilât dans le jardin, disant que l'Assemblée étoit gênée par l'affluence, et les passages si encombrés, que les portes pourroient être forcées. Le Roi leur dit de s'entendre avec le commandant pour les faire défiler le long de la terrasse des Feuillants, et sortir par la porte du Manége. Peu de temps après les autres portes du (p. 472) jardin furent ouvertes, malgré les ordres donnés. Bientôt le jardin fut rempli. Les piques commencèrent à défiler en ordre sous la terrasse de devant le château, où il y avoit trois rangs de gardes nationaux; ils sortoient par la porte du pont Royal, et avoient l'air de passer sur le Carrousel, pour regagner le faubourg Saint-Antoine. A trois heures, ils firent mine de vouloir enfoncer la porte de la grande cour. Deux officiers municipaux l'ouvrirent. La garde nationale, qui n'avoit pas pu parvenir à obtenir des ordres depuis le matin, eut la douleur de les voir traverser la cour sans pouvoir leur barrer le chemin. Le département avoit donné ordre de repousser la force par la force; mais la municipalité n'en a pas tenu compte. Nous étions, dans ce moment, à la fenêtre du Roi. Le peu de personnes qui étoient chez son valet de chambre vinrent nous rejoindre. On ferme les portes; un moment après nous entendons cogner: c'étoient Aclocque et quelques grenadiers et volontaires qu'il amenoit; il demanda au Roi de se montrer seul. Le Roi passa dans sa première antichambre. Là, M. d'Hervilly vint le joindre avec encore trois ou quatre grenadiers qu'il avoit engagés à venir avec lui. Au moment où le Roi passoit dans son antichambre, des gens attachés à la Reine la firent rentrer de force chez son fils. Plus heureuse qu'elle, je ne trouvai personne qui m'arrachât d'auprès du Roi. A peine la Reine l'étoit-elle, que la porte fut enfoncée par les piques. Le Roi, dans cet instant, monta sur des coffres qui sont dans les fenêtres; le maréchal de Mouchy, MM. d'Hervilly, Aclocque et une douzaine de grenadiers l'entourèrent. Je restai auprès du panneau, environnée des ministres, de M. de Marsilly et de quelques gardes nationaux. Les piques entrèrent dans la chambre comme la foudre; ils cherchoient le Roi, surtout un, qui, dit-on, tenoit les plus mauvais propos. Un grenadier rangea son arme en disant: Malheureux! c'est ton Roi! Ils se mirent (p. 473) en même temps à crier: Vive le Roi! Le reste des piques répondit machinalement à ce cri; la chambre fut pleine en moins de temps que je n'en parle, tous demandant la sanction et le renvoi des ministres. Pendant quatre heures, le même cri fut répété. Des membres de l'Assemblée vinrent peu de temps après; MM. Vergniaux et Isnard parlèrent fort bien au peuple pour leur dire qu'ils avoient tort de demander ainsi au Roi la sanction, et les engagèrent à se retirer; mais ce fut comme s'ils ne parloient pas. Ils étoient bien longtemps avant que de pouvoir se faire entendre; et à peine avoient-ils prononcé un mot, que les cris recommençoient. Enfin Pétion et des membres de la municipalité arrivèrent; le premier harangua le peuple, et, après avoir loué la dignité et l'ordre avec lequel il avoit marché, il l'engagea à se retirer dans le même calme, afin que l'on ne pût lui reprocher de s'être livré à aucun excès dans une fête civique. Enfin, le peuple commença à défiler. J'oubliois de vous dire que, peu de temps après que le peuple fut entré, des grenadiers s'étoient fait jour et l'avoient éloigné du Roi. Pour moi, j'étois montée sur la fenêtre du côté de la chambre du Roi. Un grand nombre de gens attachés au Roi s'étoient présentés chez lui le matin; il leur fit donner ordre de s'éloigner, craignant la journée du dix-huit avril. Je voudrois m'étendre là-dessus; mais, ne le pouvant, je me promets simplement d'y revenir; tout ce que je puis dire, c'est que celui qui a donné l'ordre a bien fait, et que la conduite des autres est parfaite. Mais revenons à la Reine, que j'ai laissée entraînée malgré elle chez mon neveu; on avoit emporté si vite ce dernier dans le fond de l'appartement, qu'elle ne le vit plus en entrant chez lui; vous pouvez imaginer l'état de désespoir où elle fut. M. Hue, huissier, et M. de Vincent, officier, étoient avec lui; enfin on le lui ramena. Elle fit tout au monde pour rentrer chez le Roi, mais MM. de Choiseul et d'Haussonville, ainsi que nos (p. 474) dames qui étoient là, l'en empêchèrent. Un moment après, on entendit enfoncer les portes: il n'y en avoit plus qu'une que le peuple ne put trouver; et trompé par un des gens de mon neveu, qui lui dit que la Reine étoit à l'Assemblée, il se dispersa dans l'appartement. Pendant ce temps-là, les grenadiers entrèrent dans la chambre du conseil: on la mit, et les enfants, derrière la table du conseil; les grenadiers et d'autres personnes bien attachées l'entourèrent, et le peuple défila devant elle. Une femme lui mit le bonnet rouge sur la tête, ainsi qu'à mon neveu. Le Roi l'avoit presque du premier moment. Santerre, qui conduisoit le défilé, vint la haranguer, et lui dit qu'on la trompoit en lui disant que le peuple ne l'aimoit pas; quelle l'étoit, et qu'il l'assuroit qu'elle n'avoit rien à craindre. «L'on ne craint jamais rien, répondit-elle, lorsque l'on est avec de braves gens.» En même temps, elle tendit la main aux grenadiers qui étoient auprès d'elle, qui se jetèrent tous dessus. Cela fut fort touchant.

Les députés qui étoient venus étoient venus de bonne volonté. Une vraie députation arriva et engagea le Roi à rentrer chez lui. Comme on me le dit, et que je ne voulois pas me trouver rester dans la foule, je sortis environ une heure avant lui; je rejoignis la Reine, et vous jugez avec quel plaisir je l'embrassai. J'avois pourtant ignoré les risques qu'elle avoit courus. Le Roi rentré dans sa chambre, rien ne fut plus touchant que le moment où la Reine et ses enfants se jetèrent à son cou. Des députés qui étoient là fondoient en larmes: les députations se relevèrent de demi-heure en demi-heure, jusqu'à ce que le calme fût rétabli totalement. On leur montra les violences qui avoient été commises. Ils furent tous très-bien dans l'appartement du Roi, lequel fut parfait pour eux. A dix heures, le château étoit vide, et chacun se retira chez soi.

Le lendemain, la garde nationale, après avoir montré la (p. 475) plus grande douleur d'avoir eu les mains liées, et d'avoir vu devant ses yeux tout ce qui s'étoit passé, obtint de Pétion l'ordre de tirer. A sept heures, on dit que les faubourgs marchoient: la garde se mit sous les armes avec le plus grand zèle. Des députés de l'Assemblée vinrent de bonne volonté demander au Roi s'il croyoit qu'il y eût du danger, pour qu'elle se transportât chez lui. Le Roi les remercia. Vous verrez leur dialogue dans tous les journaux ainsi que celui de Pétion, qui vint dire au Roi que ce n'étoit que peu de monde qui vouloit planter un mai[214].

[La lettre jusqu'à cet alinéa est de main étrangère; le dernier paragraphe est seul de la main de Madame Élisabeth.]

Comme je savois que la duchesse de Duras t'avoit donné de mes nouvelles, et que je n'ai pas trouvé un instant pour t'écrire, je ne me suis pas trop tourmentée; aujourd'hui même, je n'ai qu'un moment. Nous sommes jusqu'à ce moment tranquilles; l'arrivée de M. de La Fayette fait un peu de mouvement dans les esprits. Les Jacobins dorment. Voilà le détail de la journée du 20. Adieu, je me porte bien, je t'aime, je t'embrasse, et suis bien aise que tu ne te sois pas trouvée dans cette bagarre.


LVIII
A MADAME DE RAIGECOURT.

Ce 8 juillet 1792.

Il faudroit vraiment toute l'éloquence de madame de Sévigné pour rendre tout ce qui s'est passé hier; car c'est (p. 476) bien la chose la plus surprenante, la plus extraordinaire, la plus grande, la plus petite, etc., etc. Mais heureusement l'expérience peut un peu aider la compréhension. Enfin, voilà les Jacobins, les Feuillants, les Républicains, les Monarchistes, qui, abjurant tous leurs discordes, et se réunissant près de l'arbre inébranlable de la Constitution et de la liberté, se sont promis bien sincèrement de marcher la loi à la main, et de ne pas s'en écarter[215]. Heureusement, le mois d'août s'approche, moment où toutes les feuilles étant bien développées, l'arbre de la liberté présentera un ombrage plus sûr. Notre ville est tranquille et le sera pour la fédération. Je tremble qu'il n'y ait quelque cérémonie religieuse: tu connois mon goût pour elles: demande à Dieu, mon cœur, qu'il me donne force et conseil. Adieu; je t'embrasse et t'aime de tout mon cœur.

(p. 477) NOTES, DOCUMENTS
ET
PIÈCES JUSTIFICATIVES.

I
LETTRE ÉCRITE DE PARIS PAR M. REPIQUET,

Fédéré d'Autun, district d'Autun, département de Saone et Loire, à M. Repiquet, son frère, citoyen audit Autun, sur les événements du 10 août 1792, l'an 4 de la liberté. Imprimée aux frais de la Société, des Amis de la Constitution de ladite ville.

Mon fraire, mon cher ami,

Je ne peut pas atantre que les chose soit terminé pour tan faire par, ainsi qua toute la société des ami de la constitussion d'Autun, qui sont mes fraire, que jesper que tu voudra bien leur témogné la fraternité qui ne finira qua la mort envair moi. Je te fait par de la bataille que nous avont u yaire vendredi dix aoust, comme je te lavais promis, que je ne quiterais Paris que quant le coup serait porté; mais se coup ne sera jamais houblié, car il doit aitre ymmortelle.

Ci je te parle, croit que c'est un raive; si j'éxiste, c'est que la mort n'a pas voulu de moi. Mon ami, je te diré que la nuit du neuf au disse, nous somme sorti des Jacobin à minuit, ayant les hordre de nos commissair.

Lhordre était de nous transporter tous les fédérés, les un au faubourgt St. Entoine, et les autre au Cordelié ou sont les Marsaillois; les autre dans les section les plus patriote, de fasson que nous avons passé cette maime nuit sans panser à dormir. Pour conquir sa liberté, il ne faut plus panser de fermé les yeux, au contraire, il faut les ouvrire, et avoir de bonnes aureille. Moi qui ne connais pas assés les section de Paris, je messuis transporté de suite avecque quelques un des jeune gens d'Autun, dans le bataillon de Marsaille, comme javais ma confiance en eux. Les fédérés de Nime, de Monpeillé, de Macon, (p. 478) nous nous somme tous joint, de fasson que nous nous somme trouvé aux environ de trois bataillon, tous desterminé à périre pour conquir la liberté. Nous lavons juré, nous la soutiendront: aprest nous, nos enfant prendront vengensse, et ils trionferont. Pour moi, mon ami, jétais chef de ploton, quand nous avons entré au tuillerie, il li en avait quelqun qui ne se soussiest pas di entrer, parce que les bal commensait desja a pleuvoir; pour les en courager dantrer, je leur ai dit courage mes enfent, ce nest pas sur nous quon tire.

Je neu pas prononsé ses mot quil en tomba catorse de mon ploton, et moi surpri de me voir qua trois de ma section, les gueux nous on tiré a mitraille, car ils croyoit nous faire reculer et doné la terreur au peuple. Mais des fédéré qui on juré devant leur munisipalité respective, qui sacrifirait leur sanc, leur fortune, pour la deffance de la patrie, ne peuve pas reculer. Nous ne pouvous pas mourire pour la plus bel cose, et moi comme tu sai qui suis acoutumé de mourir, je ni pansait pas.

Je nés pas encore vu tous les jeune gensse d'Autun; je les cherche tous les jour, tout ce que jan sait, quil se sont bien montré et bien ardie au feu: il ni a que Mersié de blessé dans une main, je ne sai sil en sera extropié. Je cherché dans les cor mort si je ne trouverai pas le petit Migniot, frère du charpantier de Marchau, que lon ma dit avoir été tué dans la compagni de Monpellié; mais il ma été impossible dans navoir de nouvelle. Comme nous étion tous séparés, il ni avait pas possible que nous fussion dans la maime compagnie, dhalleur il n'est pas possible de reconnaître personne dans les mort. On fait nombre de quatre mille, san conté que la riviere en est presque plaine, on dirait du bois a flotter. Le chatau des tuillerie brule toujours trai fort, le feu ne peut si éteindre, car sest un enfaire. Les diable son sorti et demande pardon au peuple; mais le peuple courageux et plaint de bonté, a méprisé ses demon, et les a lessé alé à leur malheureu sor. Le cheffe des diable avec proserpine se sont sauvé avec leur famille, dans l'assemblé nationalle ou on a commi que des péché mortelle; comme tu voi qui se ressemble sasemble. Il navais pas malle choisi, car il avait choisi des homme abillé de rouge, appelés Suisse, pour desfendre les crime qu'il comaitait dans ces enfair.

Enfin, mon ami, nous étion plus de cinq cent mille soldat commandé par le dieux de lunivert, nous ne lavons pas vu, mais nous lavon entendu; il a parlé dans nos cœur, nous étion tous fraire. Des charbonier, des masson, des porte fait, en généralle de toute les langue, nous navion que le maime langage; nous nous embrassion (p. 479) tous, et nous ne fesion qune maime famile. Jés étés mangés par des charbonnié et par baucoup douvrier, de sorte qu'il manbrassait. Enfin mon cher ami il li a eu des section de Paris qui ont tiré sur nous comme sur des lou garou, mais nous les avons baré par la rue de Grenelle et de la section des grenadier des file St. Thomas. Jan on compté 48 étandu, entrautre le capitaine qui étais d'une grosseur a faire peur a un enfant trouvé; on voyoit bien que ce bougre navais été nourie quau chatau des tuillerie, car il ni a que des cochon de cette espaisse. On ne veut pas dire combien ce qui li a de mort, car cest tairible: ce nest pas fini, car il ni a point de nosse quil ni ai de landemain. Aujourdhui jé vu couper au moins trois cent taite; on jette les corp dans la rivier, et porte les taite. On ne fini pas; tous les aristocrate i passeront: on prent leur non en écri, et il y a des comissaire pour montrer leur maison. Mais, mon ami, je te prie de faire par à tous les patriote DE FAIRE COULER DU SANG LE MOINS QU'IL SERA POSSIBLE dans notre pays, peut aitre que ces gensse ecaré ne tarderont pas à vous demandés pardon: nessités pas à les pardonner, mais faitte leur sentir quil sont dans la poussier; Paris leur doit doner exemple.

Toute la cavallerie étais pour nous et l'infanterie, mais il li en a eu baucoup de tué par les section aristocrate. Il ni a plus daristocrate à Paris, tous crie vive la nation; mais il ne faut pas si fié que quant nous en auront curé le ny. A linstant que je técri, on bat la généralle de toute par. Je fini vite en courant dans mon bataillon qui sont les Marsaillois. Les misérable ont perdu 150 homme, tant tué que blaissé, jé vu faire lapelle. Mon amie, tu sai que je né point d'ortograffe, et que je ne sé point faire de frase, mais au moin il me raiste que je parle de cœur en jurant de vivre libre ou mourir.

Ton fraire Repiquet.

Poste scriptome.

Je te diré quil métait arrivé davoir desja tué un Garde du Roi, près le pallais royale, et un autre le bras, qui na pas mieux vécu que le premier, car il avait lalter coupé, pour avoir dit vive le Roi, et merde pour la nation. Il li a un trop lon destaille pour tans faire par; tu le saura par les Autunois.

Jés tué quatre Suise dans les cavau des tuillerie, quil sestais cachés derrier des taunaux: il était comme des lievre caché. Le premier je lui ai coupé un bras, ausito une femme la porté au bout d'une pique. Pour ten dire davantage je ne peut; tout ce qui li a, que (p. 480) nous en avons tué soixante traise dans les cavos. Actuelment on peut me tué quent on voudra; jé tué le nombre que je demandais auparavant; mais puisque ji suis, il ne me turont quen ma présence.

Repiquet.

A AUTUN, DE L'IMPRIMERIE DE P. P. DE JUSSIEU, 1792.


II
COMMUNE DE PARIS.

Le 20 octobre 1792, l'an 4e de la liberté, 1er de la République française, et 1er de l'égalité.

SECRÉTAIRE-GREFFIER.

Je joins ici, Citoyens, une lettre adressée à Madame Élisabeth, dont ce renvoy par devers vous a été arrêté par le conseil général de la Commune.

Je vous prie de m'en accuser réception.

Méyée.

Les citoyens membres de la Convention nationale et composant la commission des 24.

Notre sœur Élisabeth,
Prenez votre chapelet,
Il sera la victoire,
Toute pleine, de gloire.

Commencés, par la Croix,
C'est le signe, des Roys,
Jésus, fils de Marie,
Ditte, qu'il vous marie,

Avec le Roy François,
Oh Dieu quelle joye.
N'est-ce pas un bon souhait?

Voilà une bonne proye.
Rions, chantons cette fois,
L'amour a fait son employe.

———

Je t'ay vu, mon Citron,
Dans la Loire, en plongeon;
(p. 481) Bien nager quelle gloire?
Estre mis dans l'histoire.

Ah le brave Français,
Je ne suis point Anglais,
Parti pour l'Allemagne?
Oui voilà ma campagne.

Traître, grand ennemi,
Trop infidèle ami!
Contre nous porter arme!

Quelle plus triste allarme!
J'aime le Roy François.
Comme moy donc, franc sois.

Citron est le chien du prince Louis, que j'ay vu en passant à Tours. Il s'amusoit avec luy, à le faire nager dans la Loire. J'ay fait ce petit sonnet à sa gloire. A ce titre, s'il pouvoit vous recréer un moment, je m'en féliciterois: et ma joye iroit de pair avec le respect dans lequel je suis pleinement,

Madame,

Votre serviteur le plus respectueux,
J. Guillemeteau,
Curé de Biarge et vic. de Fontenay de Vincennes.

7 octobre 1792.

A Madame, Madame Élisabeth, dans le Temple, rue du Temple, à Paris.

Madame Élisabeth dit dans une de ses lettres qu'elle était effrayée de l'ignorance du bas clergé: elle avait bien raison. B.


III

Après avoir esquissé, au livre huitième de cette histoire, la distribution intérieure de l'édifice du Temple, essayons de donner une idée générale de sa physionomie extérieure, un aperçu du personnel commis à sa garde et des dispositions prises par l'autorité républicaine.

A la grande porte de la rue du Temple était un portier nommé Darque, naguère bedeau du grand prieuré, homme simple et bon, qui n'avait pas la prétention de descendre du même sang que la glorieuse vierge d'Orléans, quoique souvent cette consonnance de noms lui attirât des plaisanteries grossières. Serviteur sexagénaire de l'hôtel (p. 482) de Conti, il avait été surpris par la Révolution dans l'exercice de ses fonctions paisibles et dans la quiétude de ses vieux jours. Du reste, il comprenait peu les choses qui se passaient alors sous ses yeux, et c'était un grand bienfait de la Providence; les vicissitudes qui entraînaient les hommes et les choses lui avaient laissé un abri sous le toit où il avait vieilli, et cela lui suffisait; il se regardait comme étant partie intrinsèque du Temple.

Dans la loge de Darque pendait un cordon à sonnette correspondant par un fil de fer à l'intérieur de la salle du conseil, située, dès le premier jour de la détention du Roi dans l'intérieur du palais du Temple, et, à dater du 8 décembre, au rez-de-chaussée de la grosse tour. Un nombre de coups convenu révélait aux officiers municipaux préposés à la garde du Temple la nature des messages ou l'importance des visiteurs. Un carillon prolongé annonçait la venue d'une autorité supérieure. A ce bruit, les municipaux venaient eux-mêmes reconnaître les personnages puissants et les introduire, s'il y avait lieu. Ces membres de la Commune furent d'abord au nombre de huit, jour et nuit de service dans l'intérieur du Temple, un près de Louis XVI, un près de Marie-Antoinette, et les six autres composant le conseil de la garde du Temple. Deux couchaient dans l'antichambre du Roi et deux dans celle de la Reine, les quatre autres dans la chambre du conseil. Ces huit commissaires, dont le service durait pendant quarante-huit heures, se renouvelaient chaque jour quatre par quatre, désignés par le sort dans le conseil de la Commune. Étant de service auprès des prisonniers, ils étaient tenus de ne répondre qu'aux questions vagues et sans importance qu'on leur faisait, et le plus laconiquement possible.

A droite et à gauche, dans la cour, s'élevaient plusieurs corps de bâtiment affectés à différents services; à droite, était l'appartement de Jubaud, ancien concierge du palais; le nouvel économe, du nom de Coru, occupa une partie de ce logement.

Dans le bâtiment de gauche, faisant face à l'habitation de Coru, demeurait l'ancien suisse du château du Temple, nommé Gachet, protégé de M. le comte d'Artois, vieux débris, comme Darque, de cet ancien régime sous lequel on buvait et l'on chantait, sans prévoir quel terrible visiteur viendrait briser les verres et interrompre les chansons. Les orages du temps avaient quelque peu assombri l'humeur joviale du vieux Gachet, mais ils n'avaient pas dérangé l'antique habitude qu'il avait prise de vendre à boire à ses voisins. Depuis 1784 sa petite industrie était exploitée par un vieux célibataire nommé (p. 483) Lefèvre; assez étranger au grand drame qui se jouait sous ses yeux, Lefèvre ne voyait dans le passage au Temple des officiers municipaux et de la force armée, qu'une chance heureuse pour son commerce, et, sans souhaiter malheur à la famille royale dont il avait reçu les bienfaits, il acceptait volontiers un état de choses qui achalandait son cabaret. La triste humanité est ainsi faite; quand on n'est pas soutenu par un sentiment plus haut, on juge l'histoire générale au point de vue de sa propre histoire. On s'assemblait chez le père Lefèvre pour savoir ce qui se passait, pour converser sur les affaires du jour: c'était le rendez-vous des nouvellistes du voisinage.

A gauche également, et sous le même toit que la buvette du père Lefèvre (car c'est ainsi qu'on appelait cet établissement), se trouvaient les cuisines qui alimentaient non-seulement les prisonniers, mais les commissaires de la Commune, les officiers, et dans la suite le poste tout entier de la force armée; enfin tous les employés tenus par leur service à ne pas sortir du Temple.

Le palais ou château faisait face à la porte d'entrée et fermait dans toute sa largeur la première cour. Dans le château était le grand poste du Temple. Il résulte des états journaliers du service de cette époque, que la garde du Temple se composait de: 1 commandant général, 1 chef de légion, 1 sous-adjudant général, 1 adjudant-major, 1 porte-drapeau, 20 artilleurs, 2 pièces de canon, et formait, avec les gardes nationaux, en y comprenant les officiers et sous-officiers, un effectif de deux cent quatre-vingt-sept hommes. Cette garde était fournie chaque jour au Temple tour à tour par les huit divisions de la garde nationale parisienne. Après la mort du Roi, cet effectif fut réduit à deux cent huit hommes, y compris quatorze canonniers.

On entrait au jardin par l'intérieur du château: ce fut pour obvier à cet inconvénient que, d'après l'ombrageuse inspiration de la Commune et sous sa surveillance sévère, le patriote Palloy (on ne le nommait jamais sans cette qualification) éleva plus tard, au milieu de l'espace qui séparait le château de la tour, un gros mur qui forma ainsi une nouvelle cour entre le château et le jardin.

Ce nouveau mur avait deux portes, l'une charretière, fermée par une forte cloison de chêne, garnie de barres de fer et de verrous, et que l'on ne pouvait ouvrir sans le concours de deux guichetiers, possesseurs chacun d'une clef différente.

La seconde porte, à gauche et tout à côté de la première, consistait en un guichet étroit; deux clefs étaient également nécessaires pour en opérer l'ouverture; ces clefs étaient aux mains de deux hommes (p. 484) dont les loges étaient situées à côté de ces deux portes, l'une en dedans, l'autre en dehors. Un fil de fer et une double sonnette ralliaient ces deux cases à travers le mur. Les deux guichetiers passaient là les jours et les nuits sans interruption aucune, dérangés à toute minute, dépendant l'un de l'autre, et condamnés, comme Sisyphe, à une action continuelle. L'un de ces suppliciés s'appelait Richard, l'autre Mancel.

Dès qu'on avait franchi ces portes, tous les bâtiments contigus à la tour ayant été démolis, le sombre édifice, dépositaire des débris de la royauté, apparaissait dans sa libre tristesse, dégagé de toutes parts, et renfermé, avec quelques bouquets d'arbres, entre quatre murailles nues. Son complet isolement lui imprimait encore un caractère plus religieux et plus redoutable. A ses angles, quatre tourelles rondes élançaient leurs toits aigus, que dominait de sa masse imposante le pignon également aigu du donjon. L'œil ne retrouvait dans leurs girouettes découpées à jour aucunes traces d'armoiries; aucun cartouche de pierre n'indiquait non plus, au-dessus de la porte d'entrée, la féodalité des âges de foi: le passage des templiers n'y était pas inscrit; les écussons des grands maîtres n'étalaient point leurs émaux sur un portail guilloché. Tout le monument était grave et empreint de la physionomie des temps guerriers, mais n'ayant rien d'épique ni de romanesque dans son architecture simple et sévère, dépouillée de ces belles fantaisies, de ces images capricieuses que le moyen âge taillait dans la pierre.

Depuis que, veuf de ses nobles hôtes, veuf aussi de son arsenal et de ses trophées, il avait, silencieux, servi d'asile à de poudreuses archives, une sombre mélancolie planait sur lui et semblait annoncer qu'il devait un jour servir de prison. On sentait, en effet, en le regardant, qu'absente à l'extérieur, la gaieté ne pouvait habiter le dedans, et que la main de l'adversité devait seule pousser des habitants dans une telle demeure. Théâtre parfaitement approprié à la terrible tragédie qui allait s'y accomplir, l'architecte, en le faisant si lugubre, semblait l'avoir prédestiné à l'usage qu'il venait de recevoir.

Voici l'état nominatif de toutes les personnes employées à la bouche et à la sûreté de la maison du Temple pendant les premiers temps de la captivité de la famille royale. Nous mettons en regard le traitement qui leur était alloué.

Gagnié[216], chef de cuisine 4,000 fr. par an.
Remy, chef d'office 3,000
(p. 485) Maçon, second chef d'office 2,400
Nivet, pâtissier 2,100
Meunier, rôtisseur[217] 2,400
Mauduit, argentier, homme du garde-manger 2,400
Penaut, garçon de cuisine 1,500
Marchand[218], garçon servant 1,500
Turgy[219], id. 1,500
Chrétien[220], id. 1,500
Guillot, garçon d'office 1,200
Adrien, laveur 1,200
Fontaine, garçon pour le service de la bouche 600
Tison, au service de Marie-Antoinette, d'Élisabeth, et de la fille d'Antoinette 6,000
La femme dudit Tison (Anne-Victoire Baudet) 3,000
Mathey, concierge de la Tour 6,000
Rocher, guichetier 6,000
Risbey, id. 6,000
Richard-Fontaine[221], gardien du guichet entre le Château et la tour 3,000
Mancel[222], d'abord balayeur, depuis collègue de Richard-Fontaine, aux gages de 1,000
Le Baron[223], concierge et gardien des scellés 2,000
Le Baron, porte-clef 1,200
Jérôme[224], id. 1,200
Gourlet[225], id. et garçon du conseil 1,200
Angot[226], scieur de bois 1,000
Vincent-Petit Ruffon, scieur et porteur de bois 1,200
Herse, id. 1,000
Jean Quenel, commissionnaire 1,000
(p. 486) Danjout, perruquier 600
Roekenstroh[227], surveillante de la lingerie 1,000
Roekenstroh, commis de l'économe (âgé de 15 ans et demi) 1,000
Darque, portier à la grande porte 1,500
Picquet[228], portier des écuries 600

Ce nombreux personnel fut successivement modifié et diminué; les traitements, qui tous étaient imputés sur le fonds de 500,000 francs décrété le 12 août 1792 pour la dépense du Roi et de sa famille, furent réduits; les abus qui s'étaient glissés dans une première organisation furent redressés par l'autorité; plusieurs employés furent destitués, d'autres remplacés. C'est ainsi que dès le 12 décembre 1792 Rocher et Risbey furent renvoyés; que Guillot, Adrien et Fontaine furent remplacés par Caron, Lermuzeaux et Vandebourg; que plus tard, le 13 octobre 1793, Turgy, Chrétien et Marchand furent congédiés; que Coru, l'économe qui avait pris la place de Jubaud, fut contraint de la donner à Lelièvre; et que celui-ci, compromis par des dénonciations, la perdit un instant, la reprit, et finit par la céder à Liénard. C'est sous ce dernier, en fructidor an II, que les grandes réformes furent opérées. Liénard en donna lui-même l'exemple, en proposant de restreindre son propre traitement à 3,000 francs. Gagnié fut remercié et remplacé par Meunier.

Un document indique aussi que Monnier, porte-clefs en chef de la tour (qui ne fut, à ce qu'il semble, employé que peu de temps en cette qualité, car son nom ne figure même pas sur les contrôles), avait été, sur la proposition de l'économe Lelièvre, remplacé par Gourlet le 1er ventôse an II.


IV

[Orthographe conservée.[229]]

Mémoire de madame Marie Antoinette,

Pare Sainte Foy dite Breton couturier.

Du 27 janvier 1793.

  Fait un pierrot grand deuille de fleures 24 #  
(p. 487)   Fournie les rubans 6  
  Fournie les busques et bouton 4   10 s.
Le 30. Une robe de même fleurés grand deuille 24  
  Fournie les rubans 6  
  Fournie les busque 2   10  
  Deux jupon de tafetas dHitaly noire 12  
  Fournie les rubans 2  
Le 28 mars refaitte un pierrot et le jupon de fleurés 15  
  Fournie les rubans 6  
  Fournie les busque et bouton 4   10
  Fournie une aune de fleurés pour les manches à 9# 9  
Le 3 avrille faitte un pierrot de fleurés grand deuille 24  
  Fournie les rubans 6  
  Fournie les busque et bouton 4  
  Un jupon de tafetas dHitaly noire 6  
23 mai un pierrot de fleurés grand deuille 15  
  Fournie deux aune un quare de fleürés pour ce pierrot—à 9# 20   5
  Plus une aune et 1 mis de florence pour corsage et doublure des manches à 6# 10s. f. 9   15
  Fournie les busque et bouton 4   10
         
  205 # 10  

Bon pour cent quarante-neuf livres dix sols.

C. (Coru.)


Mémoire des fournitures d'étoffe de soye faites pour le service de Marie-Antoinette.

Par Le Normand, marchand à Paris.

  Livré à mademoiselle Bertin:
Mars. 6 aunes fleuret noir large à 9# 54 #  
  2 voile noir a 3 6  
28... Livré à madame Chaumet:
  21 aunes double florence noir à 6 10 136   10
  Livré à madame Le Breton:
  11 aunes fleuret noir large à 10 110  
  5 aunes ½ tafétat noir première qualité à 12. 66  
  2 aunes ½ florence noire à 6 10 16   5
  388   15

(p. 488) Memoire de madame Élisabeth,
Pare Sainte Foy dite Breton couturier.

Du 27 janvier 1793...

  Une redingotte chemise de florence noire hoittés 30 #  
  Fournie la hoitte 5  
  Fournie du bougrand pour le collet 2   10 s.
  Fournie les rubans et bouton 6  
  Fournie les ballene 6   10  
  Un pierrot de fleures grand deüille 24  
  Fournie les rubans et bouton 6  
  Fournie les ballene 6   10
Le 29 déshoittés la robe de florence noire 15  
  Faitte deux jupon de tafetas dHithaly noire 12  
  Fournie les rubans 2  
Le 4 avrille refaite un pierrot et remis des manches neuf 15  
  Fournie une aune de fleürés pour manche à 9#, f. 9  
  Plus une aune de florence pour doublure à 6# 10 s. 6   10
  Fournie les rubans pour le jupon et pierrot 6  
  Fournie les ballene 6   10
Le 13 une redingotte chemise de florence noire 30  
  Fournie du bougrand pour le collet 2   10
  Fournie les rubans 6  
  Fournie les ballene 6   10
  Fournie les bouton 1   4
  Total 204 # 14  

Bon pour cent quarante livres dix sols.

C.


Barbier et Tétard, marchands de toutes sortes d'étoffes de soies d'or et d'argent, à la Barbe-d'Or, rue des Bourdonnois, au coin du cul-de-sac, vis-à-vis la rue de la Limace, à Paris.

Du 26 mars 1793.

Fourni à la fille d'Antoinette:  
  1 aune ½ fleuret noir 11 # »   6 # 10 s.
  1 ½ florence noir 6   10   19   15  
(p. 489) 5 avril, 1 aune » fleuret noir. »   »   11   »  
  » ½ florence noir 6   10   3   5  
23. 2 » florence noir. 6   10   13   »  
  Total. 63   10 s.

Certifié véritable et conforme à mon livret le présent mémoire montant à soixante et trois livres dix sols. Paris, le 4 avril 1793.

Barbier et Cie.


Barbier et Tétard, marchands de toutes sortes d'étoffes de soie d'or et d'argent, à la Barbe-d'Or, rue des Bourdonnois, au coin du cul-de-sac, vis-à-vis la rue de la Limace, à Paris.

Du 4 avril 1793.

Fourni à Élisabeth Capet:
  22 aunes florence noir. 6   10 s.   143 # »  
  10 fleuret noir. 11   »   110   »  
  6 aunes ½ taffetas noir. 11   »   71   10  
  Total. 324 # 10  

Certifié véritable et conforme à mon livret le présent mémoire montant à trois cent vingt-quatre livres dix sols. Paris, le 4 avril 1793.

Barbier et Cie.

(Archives de l'Empire, carton E, no 6,207.)


V

Mémoire des médicaments fournis au Temple pendant le mois de may, pour Marie Antoinette, ses enfants et sa sœure, par le citoyen Robert apothicaire authorisé par la commune et par les ordonnances du citoyen docteur Thiery.

Pour Marie Antoinette:
  1793. Mai 1er. Un bouillon medicinale fait au bain marie composé de veau, poulet, et plantes diverses. 5 #  
  2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. Chaque jours le même bouillon réitéré 45 #  
  Plus une boëte de gomme pectorale 3  
  11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. Chaque jours le bouillon cy dessus réitéré 50  
(p. 490) Pour le fils de Marie Antoinette:
  Mai 12. Douze onces de miel de Narbonne 3   12  
  13. Deux bouteilles de petit lait clarifié 2  
  14. Deux bouteilles idem. 2  
  15. 16. Bouteilles idem. 4  
  17. Une médecine composée de follicules manne choisis, coriandre, et sel de Glauber 3  
  La même médecine de précaution 3  
  Une bouteille de petit lait 1  
  Quatre onces de bayes de genievre 1   4  
  18. Une bouteille de petit lait 1  
  Une livre de miel de Narbonne 4   16  
  Suite et montant de l'autre part 128 # 12 s.
Pour le fils de Marie Antoinette:
  May 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. Chaque jours une bouteille de petit lait 10  
  29. La médecine du 17 réitérée 3  
  Idem la même médecine de précaution 3  
  30. 31. Le petit lait réitéré 2  
  Un cornet de baye de genievre 1   4  
  Une boette de parfums 2  
Pour Marie Thérèse Charlotte, fille de Marie Antoinette:
  Mai 1er. Un bouillon médicinal fait au bain marie, composé avec sucs de plantes, sel de Glauber, etc. 4  
  2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. Chaque jours le même bouillon réitéré 40  
  12. 13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. Chaque jours le bouillon idem. 40  
  22. 23. 24. 25. Le bouillon réitéré 16  
  Plus douze onces d'eau de roses 3  
  26. 27. 28. 29. 30. 31. Chaque jours le bouillon id. 24  
Pour Élisabeth sœure de Marie Antoinette:
  May 25. Quatre grands rouleaux de sparadrap de diapalme 20  
  296 # 16 s.

(p. 491) Memoire des medicaments fournis au Temple pendant le courant du mois de juin, pour Marie Antoinette, ses enfants et sa sœure, par le citoyen Robert apothicaire authorisé par la commune et par ordonnance du citoyen docteur Thiery.

Pour le fils de Marie Antoinette:
  1793. Juin 1er. Une bouteille de petit lait clarifié 1  
  2. 3. 4. 5. Chaque jours le petit lait réitéré 4  
  Plus fournis un thermometre pour les bains 4  
  6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. Chaque jouis une bouteille de petit lait 7  
  13. Un bouillon médicinal fait au bain marie, composé avec cuisses et reins de grenouilles, avec addition de sucs de plantes, et terre folliée minérale 5  
  14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. Chaque jours le bouillon réitéré 35  
  21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. 29. 30. Chaque jours le bouillon idem. 50  
Pour Marie Thérèse Charlotte, fille de Marie Antoinette.
  Juin 1er. Un bouillon médicinal fait au bain marie (composé avec sucs de plantes, sel de Glauber, etc.) 4  
  2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. Chaque jours le bouillon réitéré. 28  
  Plus douze onces d'eau de roses. 3  
  9. 10. 11. 12. 13. Chaque jours le bouillon. 20  
  14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. Chaque jours le bouillon réitéré 28  
  189 #  

Memoire des medicaments fournis au Temple pendant le mois de juillet pour Marie Antoinette, ses enfants et sa sœure par le citoyen Robert apothicaire, authorisé par la commune et par ordonnances du citoyen docteur Thiery.

Pour Marie Antoinette, sa fille et Élisabethe:
1793, l'an IIe de la République.
  Juillet 12. Une chopine d'eau de fleurs d'oranges double distillée au bain marie 12  
  Trois flacons de sel volatil de vinaigre camphré 18  
  Un cornet de genievre "   12  
(p. 492) Pour le fils de Marie Antoinette:
  Juillet 1. Un bouillon medicinal fait au bain marie avec veau, cuisses et reins de grenouilles, suc de plantes et terre folliée 5  
  2. Le bouillon réitéré 5  
  Douze onces de miel de Narbonne 4   16  
  3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. Chaque jours le bouillon ci-dessus réitéré 50  
  13. 14. 15. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. Chaque jours le bouillon idem. 50  
  23. 24. 25. Le bouillon idem. 15  
  26. Un lavement composé avec coralline de Corse, suc de citron et huile d'olive 1   10  
  Plus fournis une seringue, avec son canon d'yvoir 14  
  27. Un lavement 1   10  
  28. Le lavement idem. 1   10  
  Plus 4 onces de sirop vermifuge 1   4  
  29. 30. 31. Chaque jours le lavement 4   10  
  Plus 4 onces de sirop vermifuge 1   4  
Pour la citoyene Tison:
  Juillet 4. Une potion calmante 2  
  5. La potion idem. 2  
  Plus deux pintes de petit lait avec le sirop de violettes 4  
  6. Un rouleau d'orgeat 2   10  
  Deux pintes de petit lait réitéré 4  
  La potion double réitérée 4  
  7. Une pinte de petit lait 2  
  La potion double réitérée 4  
  8 et 9. Chaque jours le petit lait 4  
  Plus deux potions 4  
  218 # 6 s.

(Archives de l'Empire, série E, no 6207.)


(p. 493) VI
DÉTAILS DE LA CONDUITE DU CITOYEN LOMÉNIE

Depuis le 1er mai 1789 jusqu'à ce jour.

Au 1er mai 1789 j'étais à Paris, où je remplissais tous les devoirs d'un bon citoyen; j'en suis parti le 18 juin de cette année pour Brienne; je n'ai cessé d'y annoncer à mes concitoyens une révolution qui devait les rétablir dans leurs droits et faire un jour leur bonheur. Je n'ai cessé de prendre à tous les événements publics la part que tout bon patriote devait prendre; j'ai envoyé la plus grande partie de ma vaisselle, j'ai payé mes dons patriotiques; enfin l'établissement des assemblées primaires et des municipalités ayant été décrété, mes concitoyens me connaissant, me rendant justice depuis longtemps, me proposèrent d'être maire; je l'acceptai avec reconnaissance, en leur disant en même temps que s'ils avaient plus de confiance en quelque autre, je les priais de le choisir; que je me verrais avec le même plaisir un de leurs concitoyens sans charge, et que je n'acceptais celle qu'ils me proposaient que par l'espoir de pouvoir leur être utile et leur donner des preuves de mon attachement. Je fus élu maire à l'unanimité; je fus également électeur, et depuis ce moment jusqu'à ce jour je n'ai cessé d'être maire et de recevoir chaque jour des marques de la confiance de mes concitoyens. Je ne suis pas sorti de Brienne jusqu'au mois de décembre 1791, que pour aller passer de temps en temps trois ou quatre jours à Sens et trois fois en 1790, et deux autres en 1791, pour aller passer à Paris trois ou quatre jours chaque fois, en 1790. J'y ai passé un mois au mois de janvier. Au mois de décembre 1791 j'ai été à Paris et j'y suis resté jusqu'au mois de mai 1792, que je suis revenu à Brienne. Au mois de novembre précédent, lors du renouvellement des municipalités, je représentai à ma commune que devant aller à Paris où j'avais affaire, si elle pensait que mon voyage fût incompatible avec les fonctions de ma place de maire, je la priais de ne pas m'y réélire. Elle s'y refusa constamment, me réélut de nouveau, et pendant mon séjour à Paris j'ai fait deux ou trois petits voyages à Brienne pour venir remplir quelquefois (p. 494) les fonctions de ma place. Depuis le mois de mai 1792 jusqu'à ce jour je ne suis pas sorti de Brienne que pour aller quelquefois à Sens, voir trois fois ou quatre fois mon malheureux frère, qui vient de mourir victime des mauvais traitements que lui ont fait éprouver des hommes qui n'en méritent pas le nom; j'ai fait tous les dons patriotiques demandés, et bien au delà. Lors de l'invasion de l'ennemi jusqu'à Châlons, à quinze lieues de Brienne, je n'ai cessé d'exciter tous mes concitoyens à voler au secours de la patrie. Leur bonne volonté ayant été arrêtée par les ordres venus de n'envoyer que des hommes armés, j'ai engagé à mes dépens plusieurs citoyens, j'ai contribué à leur équipement, armement, et j'ai établi une correspondance avec nos armées pour avoir des nouvelles; mes chevaux ont été employés à cet usage et au service de la gendarmerie nationale et à des patrouilles continuelles pour surveiller les malveillants; ils l'ont été au transport des vivres et des fourrages. Je n'ai cessé d'exercer jour et nuit mes fonctions avec zèle et activité, et mes concitoyens me rendront sur cet objet la justice qui m'est due.

Depuis, je n'ai cessé d'exciter le zèle de mes concitoyens pour entrer au service de la patrie, j'en ai engagé près de vingt à mes dépens, et donné des gratifications aux autres; tous mes chevaux n'ont pas cessé de faire tous les envois utiles à la patrie; lorsque l'on a planté l'arbre de la liberté, j'ai parlé à mes concitoyens comme un bon patriote doit parler, et tous l'attesteront; j'ai établi à mes frais l'autel de la patrie. J'ai contribué à toutes les fêtes civiques et en ai presque toujours fait les frais. Je suis honteux de parler de ces misères, personne n'est plus persuadé que moi que c'est aux riches à faire ces dépenses, qu'ils sont trop heureux d'être en état de les faire, et que les égoïstes qui s'y refusent sont des hommes méprisables; mais on veut un compte de ma conduite, et je le rends.

L'armée de Mayence a passé à Brienne au mois d'août 1793, j'ai été averti de son passage la veille de celui de la première colonne, et l'on m'a annoncé que suivant toutes les apparences il faudrait fournir du pain; secondé par le zèle de mes concitoyens, auxquels je ne puis donner trop d'éloges, j'ai préparé dans la nuit même six mille rations de pain, j'en ai fourni à l'armée plus de quinze mille et à un prix très-inférieur à celui que payait la nation partout ailleurs; sachant la pénurie où était la ville de Troyes pour fournir cette armée, j'ai envoyé dix-huit cents rations de pain; la viande, le vin, le logement, tout a été fourni abondamment et de manière que les citoyens composant cette armée, en passant dans des villes bien plus considérables (p. 495) que Brienne, criaient: Vive la commune de Brienne! J'ai passé quatre jours et presque quatre.....[230] [Ici s'arrête ce fragment.]


(p. 496) VII
EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉPÔTS
AU GREFFE DU TRIBUNAL RÉVOLUTIONNAIRE.

[Orthographe conservée.]

Du 22 floréal.




Et a signé avec moi, greffier soussigné.

Wolff Richard.

Du même jour.

Est comparu le citoyen Desmouret, commis de l'exécuteur des jugemens criminels, lequel a déposé:

Et a signé avec moi, greffier soussigné.

Desmorest. Wolff.


VIII
ACTE DE DÉCÈS DE MARIE.

Anno millesimo octingentesimo trigesimo quinto, die vero quinta januarii, mortua est Maria Francisca, filia Francisci Josephi Magnin, ex Marsens, et Claudiæ natæ Bosson, ex loco Riaz, uxor vero Jacobi Bosson ex Bellegarde, Bulli habitans, et die septima ejusdem a me infra scripto parocho in cœmeteria ecclesiæ parochialis Sancti Petri ad Vincula urbis Bulli sepulta est.

Quod conforme sit originali testor:

J. J. Crausaz, parochus.

Bulli, die 8 7bris 1861.

Marie-Françoise, fille de François-Joseph Magnin, de Marsens, et de Claudie Bosson, du lieu de Riaz, femme de Jacques Bosson, de (p. 500) Bellegarde, demeurant à Bulle, y est morte le 5 janvier 1835, et a été enterrée le 7 du même mois dans le cimetière de l'église paroissiale de Saint-Pierre aux Liens de la ville de Bulle. B.


IX
ACTE DE DÉCÈS DE JACQUES.

38. Anno millesimo octingentesimo trigesimo sexto, die vero secunda septembris, obiit Jacobus, filius defuncti Jacobi Boschong vel Bosson ex Bellegarde [verbum radiatum, conju], viduus vero Mariæ-Franciscæ natæ Magnin, ex Marsens, defuncto die quinta januarii anno millesimo octingentesimo trigesimo quinto, Bulli habitans, et die quarta ejusdem mensis a me infra scripto parocho in cœmeterio ecclesiæ parochialis Sancti Petri ad Vincula urbis Bulli sepultus est.

Quod conforme sit originali testor.

J. J. Crausaz, parochus.

Bulli. die 8 7bris 1861.

L'an 1836, le 2 septembre, mourut Jacques, fils de feu Jacques Boschong ou Bosson, de Bellegarde, veuf de Marie-Françoise, née Magnin, de Marsens, décédée le 5 janvier 1835, demeurant à Bulle, et le quatrième jour du même mois a été enterré dans le cimetière de l'église paroissiale de Saint-Pierre aux Liens de la ville de Bulle. B.


X
MAISON DE MADAME ÉLISABETH.

I.
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS.
LIBERTÉ, ÉGALITÉ.

Charles Delacroix, représentant du peuple, en mission dans le département de Seine-et-Oise;

Vu la loi du 7 messidor dernier, portant, art. 5, qu'il sera formé sans délai à Versailles un établissement d'horlogerie automatique; que les citoyens Lemaire et Glaesner y jouiront pendant quinze années (p. 501) gratuitement d'une maison nationale qui sera déterminée par le comité d'agriculture et des arts et des finances réunis, sur le rapport de la commission des arts;

Que cette manufacture prendra chaque année cent élèves dont le régime sera le même que pour ceux de Besançon; copie certifiée de l'arrêté du comité de salut public, en date du 12 fructidor dernier; la lettre du comité d'agriculture et des arts, en date du 22 du courant, par laquelle il m'engage, pendant mon séjour à Versailles, à donner tous mes soins à l'établissement de ladite manufacture. Instruit qu'il avoit été pris un arrêté du comité des finances portant que ladite manufacture seroit établie dans la maison nationale du garde-meuble; mais que différents obstacles se sont opposés à l'exécution de ce projet, ainsi que de ceux qui y avoient substitué le ci-devant couvent des Ursulines ou celui des Récollets; qu'il est urgent de destiner à cet établissement une maison convenable et qui ne soit occupée par aucun établissement public:

Après avoir visité avec lesdits citoyens Lemaire et Glaesner et le citoyen Grenus, agent de la commission d'agriculture et des arts, la maison d'Élisabeth, située avenue de Paris, et m'être convaincu qu'elle présente des emplacements convenables et suffisants pour l'établissement des ateliers et le logement des ouvriers, n'exigera que des réparations peu considérables, telles que rétablissement de quelques cloisons, portes et cheminées, enlevées ou détruites pour l'établissement d'un hôpital qui y avoit été formé; j'arrête ce qui suit:

Article 1er. La maison dite d'Élisabeth, l'orangerie et la vacherie qui en dépendent, les cours et terrains situés entre lesdits bâtiments sont affectés à la manufacture d'horlogerie automatique établie à Versailles.

Art. 2. Lesdits terrains seront bornés au levant par un mur qui sera construit dans la direction de celui qui ferme le petit jardin de la vacherie, au levant, et prolongé jusqu'au mur de clôture du côté de l'avenue de Paris.

Art. 3. Les terrains au levant dudit mur resteront à la disposition de l'administration du district pour être aliénés. Elle sera tenue d'imposer à l'adjudicataire la clause expresse de construire ledit mur à ses frais dans six mois, pour tout délai, à compter de l'adjudication.

Art. 4. Les citoyens Lemaire et Glaesner seront remis sans délai en possession desdits bâtiments et terrains ci-dessus désignés.

Art. 5. Le citoyen Loiseleur, inspecteur des bâtiments nationaux à Versailles, est requis de faire le détail et devis estimatif des cloisons, (p. 502) cheminées et portes à rétablir dans lesdits bâtiments, et des menues réparations à y faire.

Art. 6. Lesdits ouvrages, attendu l'urgence, seront faits par économie sous l'inspection et surveillance immédiate dudit citoyen Loiseleur, qui rendra compte de l'exécution à l'administration dudit département et à la commission d'agriculture et des arts.

Art. 7. Les dépenses qu'exigeront ledit ouvrage seront acquittées par le receveur du district de Versailles et imputées sur les fonds mis à la disposition de ladite commission.

Art. 8. Le citoyen Loiseleur est autorisé à tirer des magasins des bâtiments nationaux les matériaux qui peuvent s'y trouver propres à la confection desdits travaux. Il l'est également à se faire délivrer, des exploitations qui se font dans le territoire de Versailles, les bois de charpente, madriers et planches qui ne se trouveraient pas dans les magasins des bâtiments nationaux, et qui seront nécessaires tant pour lesdits travaux que pour l'établissement des ateliers.

Art. 9. Il sera libre auxdits citoyens de défricher les bouquets de bois existants dans le local ci-dessus désigné, et de les cultiver ainsi qu'ils jugeront à propos.

Art. 10. Il sera dressé un état des lieux aussitôt après la confection des réparations et rétablissements ci-dessus désignés, lequel sera souscrit par lesdits citoyens Lemaire et Glaesner, avec l'obligation de les remettre en bon état, au terme prescrit par le décret ci-dessus cité pour leur jouissance. Ce terme court à compter du 1er brumaire prochain.

Art. 11. Le procureur général syndic du département, et par suite le commissaire national près ladite administration, est chargé de surveiller l'exécution du présent arrêté, qui sera de suite communiqué aux comités de salut public, des finances et d'agriculture et arts réunis. A Versailles, le 29 brumaire de l'an IV de la République françoise.

Signé: Ch. Delacroix. Pour copie conforme: Ch. Delacroix.

Pour copie conforme: François de Neufchateau.


(p. 503) II.

Extrait des registres des délibérations des consuls de la République.

Paris, le 17 ventôse l'an IX de la République française, une et indivisible (8 mars 1801).

Les consuls de la République, sur le rapport du ministre de l'intérieur, le conseil d'État entendu, arrêtent:

Article 1er. Les manufactures d'horlogerie établies à Versailles, sous la direction des citoyens Lemaire et Glaësner, et à Grenoble, sous celle des citoyens Flaissière et compagnie, sont supprimées.

Art. 2. Le ministre de l'intérieur réglera les indemnités qui peuvent être dues, soit aux entrepreneurs de ces horlogeries, en supposant qu'ils aient rempli leurs engagements, soit aux autres artistes venus de l'étranger pour partager leurs travaux, à la charge par les entrepreneurs de rendre compte de l'emploi des fonds qui ont été mis à leur disposition. Les fonds nécessaires au payement des indemnités seront pris sur ceux accordés annuellement pour l'encouragement des arts.

Art. 3. La régie des domaines nationaux fera faire sur-le-champ l'inventaire du mobilier appartenant à la nation, dépendant desdites manufactures, et elle en prendra possession. Les maisons nationales occupées par ces établissements seront rendues à la disposition de la régie dans le délai de trois mois.

Art. 4. Les ministres de l'intérieur et des finances sont chargés de l'exécution du présent arrêté.

Le Premier Consul, signé: Bonaparte.

Par le Premier Consul, le secrétaire d'État,
Signé: H. B. Maret.

Pour ampliation,
Le ministre de l'intérieur, Chaptal.


III.

Paris, le 9 fructidor an VIII de la République une et indivisible
(27 août 1800).

Le conseiller d'État ayant le département des domaines nationaux au préfet du département de Seine-et-Oise.

Vous savez, citoyen préfet, qu'un arrêté des consuls du 17 ventôse dernier a supprimé la manufacture d'horlogerie établie à Versailles, (p. 504) et ordonné que la maison dite Élisabeth, qui étoit affectée à cet établissement, seroit mise à la disposition de la régie du domaine national et de l'enregistrement dans le délai de trois mois.

L'architecte du palais national de Versailles ayant prévenu le ministre de l'intérieur que cette maison étoit tellement endommagée qu'il faudroit employer une somme de vingt-cinq mille francs pour la réparer, ce ministre, citoyen préfet, vous a demandé votre avis, et vous avez pensé, ainsi que le même ministre l'a marqué à celui des finances, le 3 floréal dernier, qu'il seroit plus avantageux de vendre cette maison, dans l'état où elle se trouve, que de la réparer.

De son côté, la régie des domaines a adressé au ministre des finances, le 18 du mois dernier, un devis dressé le 9 par l'architecte des bâtiments nationaux. Il en résulte que les frais de réparations indispensables s'élèveroient à 10,157 fr. 82 c., dont 4,018 fr. 61 c. à la charge des occupants, mais que la totalité de la dépense tomberoit vraisemblablement au compte de la République, attendu que les occupants jouissoient, soit comme attachés à la manufacture d'horlogerie, soit en vertu d'une permission du ministre de l'intérieur, et que lors de leur entrée en jouissance l'état des lieux n'a pas été constaté.

La régie a observé que, vu le grand nombre des bâtiments inoccupés à Versailles, les locations de la maison Élisabeth y seroient difficiles et d'un foible produit; qu'en conséquence il étoit plus avantageux d'aliéner cette maison.

Tout concourt donc, citoyen préfet, à ce que vous preniez des mesures pour l'aliénation de la maison dont il s'agit.

Je vous salue.

J. Regnier.


IV.

VENTE DES DOMAINES NATIONAUX
en exécution des lois des 15 et 16 floréal an X (5 et 6 mai 1802).
DÉPARTEMENT DE SEINE-ET-OISE.—Commune de Versailles.—3e arrondissement.

L'an X de la République française, le vingt-troisième jour du mois de messidor à midi, il a été procédé, devant le préfet du département de Seine-et-Oise, en exécution des lois des 15 et 16 floréal an X, à la réception des premières enchères pour la vente des biens nationaux désignés dans l'affiche approuvée le 8 dudit mois messidor, laquelle a été publiée et apposée dans les lieux prescrits par l'article II du titre III du décret du 14 mai 1790. En conséquence, il a été annoncé (p. 505) que les premières enchères alloient être reçues sur chacun des articles de l'affiche, lecture préalablement faite d'icelle et du cahier des charges rédigé par le directeur de la régie de l'enregistrement, présent à la séance.

ARTICLE II DE L'AFFICHE 71.
Biens provenant de la ci-devant liste civile.

La maison dite Élisabeth et ses dépendances, situées dans la ville de Versailles.

Cette propriété est divisée en cinq lots, suivant le procès-verbal d'estimation qui en a été dressé par le citoyen Duclos, le 5 vendémiaire an X, dûment enregistré, lesdits lots désignés et évalués ainsi qu'il suit:

PREMIER LOT.
Le premier lot indiqué par la lettre A au plan annexé audit procès-verbal, consistant dans le bâtiment d'habitation, une portion des deux premières cours et environ un hectare quatre-vingt-quatorze ares soixante centiares de jardin, est estimé valoir en revenu annuel la somme de dix-sept cents francs, ci.   1,700 f  
Lequel multiplié par six produit un capital de   10,200  
A quoi ajoutant 10 p. 100   1,020    
Il en résulte une première mise à prix de   11,220 f ci. 11,220 f
 
DEUXIÈME LOT.
Le deuxième lot, coté B au plan, composé des bâtiments dits les écuries et cuisines, des cours qu'ils renferment, d'une portion des deux premières cours, contenant environ un hectare cinquante ares soixante-douze centiares, est estimé valoir au revenu annuel   1,200 f  
Et en capital le revenu multiplié comme ci-dessus   7,200  
A quoi ajoutant 10 p. 100   720    
Il en résulte un total de   7,920 f ci. 7,920  
 
TROISIÈME LOT.
Le troisième lot, coté C au plan, composé des bâtiments dits le logement du jardinier, de la cour au-devant, et d'environ soixante-seize ares trente centiares de jardin, est estimé en revenu   240 f    
Total à reporter   19,140 f
(p. 506) Report   19,140 f
Et en capital le revenu multiplié par six donne   1,440  
A quoi ajoutant le dixième   144  
Il en résulte une première mise à prix de   1,594 f ci. 1,584
 
QUATRIÈME LOT.
Le quatrième, coté D au plan, composé du bâtiment dit l'orangerie et de celui connu sous la dénomination de la laiterie, d'une petite cour et d'environ trente-cinq ares cinquante-huit centiares de jardin; le tout estimé valoir un revenu annuel de 160 francs   160 f    
Lequel multiplié par six produit un capital de   960  
A quoi ajoutant 10 p. 100   96    
Il en résulte un total de   1,056   ci. 1,056  
 
CINQUIÈME LOT.
Le cinquième et dernier lot, coté E au plan, composé du bâtiment dit la conciergerie, d'une cour et d'une portion de jardin d'environ quinze ares vingt centiares, estimé, en revenu annuel, la somme de   200 f    
Lequel revenu multiplié par six produit un capital de   1,200  
A quoi ajoutant 10 p. 100   120  
Il en résulte une première mise à prix de   1,320 f ci. 1,320  
Total   23,100 f

Réserves.

Ne font point partie de la vente les glaces, tablettes, chambranles de marbre, bras de cheminées, bronzes incrustés ou tenant au corps principal de maçonnerie des cheminées, les jalousies, les poêles, bancs de pierre et autres ornements qui pourroient exister dans les bâtiments; ces objets sont réputés mobilier et seront vendus comme tels.

Charges particulières.

Dans le cas où la propriété dont il s'agit seroit adjugée partiellement, chaque acquéreur sera tenu de se conformer aux clauses et conditions insérées au procès-verbal d'estimation annexé au présent, et qui lui sont imposées relativement au partage du jardin, à la distribution (p. 507) des eaux, à la clôture des terrains respectivement affectés à chaque lot, à la mitoyenneté des murs et aux charges auxquelles seront spécialement assujettis les acquéreurs.

Pour l'exécution de ces clauses il sera délivré extrait dudit procès-verbal à chacun de ces acquéreurs, qui sera également tenu de laisser faire au citoyen Hubert, portier de ladite maison, la récolte des grains, fruits et légumes, existant actuellement sur les terrains dépendants de ladite propriété, sauf cependant à l'indemniser à dire d'experts, attendu que ledit Hubert a été autorisé à les cultiver par décision du préfet du 24 floréal dernier.

Nota. Il ne sera fait aucune coupure à la conduite qui donne l'eau au cinquième lot: cette conduite devant subsister telle qu'elle est.

Lecture faite à haute et intelligible voix, par le secrétaire général de la préfecture, des charges, clauses et conditions ci-dessus, les enchères ont été ouvertes:

Savoir:
11,220 f montant de la mise à prix du 1er lot.
7,920   2e lot.
1,584   3e lot.
1,056   4e lot.
1,320   5e lot.
Et enfin sur celle de 23,100   de l'ensemble

de la propriété, personne n'ayant enchéri, tant sur la mise à prix de chacun de ces lots que sur celle de la totalité du domaine, le préfet a renvoyé l'adjudication définitive au 27 du mois de messidor, jour indiqué par l'affiche, et le présent procès-verbal a été clos.

Et le vingt-septième jour du mois de messidor l'an X de la République française, le préfet du département de Seine-et-Oise, en présence du directeur de la régie de l'enregistrement, et lecture préalable faite par le secrétaire général du cahier des charges insérées dans le procès-verbal ci-dessus, a procédé, en exécution des lois précitées, à l'adjudication définitive du bien national (en question); duquel bien la désignation a été insérée dans le procès-verbal des premières enchères ci-dessus, suivant lequel il n'a point été porté d'enchère au-dessus de la mise à prix tant des différents lots que de l'ensemble de la propriété; en conséquence il a été allumé des feux, d'abord sur le montant de la mise à prix de chacun des lots telle qu'elle est établie d'autre part.

(p. 508) PREMIER LOT.

Au huitième feu, la dernière enchère est restée au citoyen Durand, moyennant 34,600 francs; un neuvième feu s'étant éteint sans que pendant sa durée il ait été mis aucune enchère, le préfet en a donné acte audit citoyen Durand.

DEUXIÈME LOT.

Au quatrième feu, la dernière enchère est restée au citoyen Durand pour 17,400 francs. Un cinquième feu s'étant éteint, sans qu'il ait été fait aucune offre, le préfet en a pareillement donné acte audit Durand.

TROISIÈME LOT.

Au troisième feu, la dernière enchère est restée au citoyen Boucher pour 6,800 francs. Un sixième feu s'étant éteint sans que pendant sa durée il ait été mis aucune enchère, le préfet en a aussi donné acte au citoyen Boucher.

QUATRIÈME LOT.

Au quatrième feu, la dernière est restée au citoyen Cossin pour 6,750 francs. Un cinquième feu s'étant éteint sans qu'il ait été fait aucune offre, le préfet en a donné acte au citoyen Cossin.

CINQUIÈME LOT.

Au sixième feu, la dernière enchère est restée au citoyen Boucher pour 7,850 francs. Un septième feu s'étant éteint sans que pendant sa durée il ait été mis aucune enchère, le préfet en a donné acte audit citoyen Boucher.

Cette opération terminée, les enchères ont été reçues en la manière accoutumée sur l'ensemble du domaine, prenant pour base la somme de 73,400 francs, montant des offres faites pour acquérir divisément cette même propriété.

Au premier feu, la dernière enchère est restée au citoyen Durand, moyennant la somme de 75,200 francs; au deuxième, au citoyen Villers pour 75,600 francs; au troisième, au même, moyennant 75,900 francs.

Un autre feu ayant été allumé et s'étant éteint sans que pendant sa durée il ait été mis aucune enchère, le préfet a déclaré le citoyen Jean-Michel-Maximilien Villers, demeurant à Paris, rue de l'Université, 269, adjudicataire définitif, et lui a adjugé la totalité de la maison dite Élisabeth et ses dépendances, tel que ce domaine est ci-devant désigné, moyennant le prix et somme de soixante-quinze mille neuf (p. 509) cents francs, aux charges, clauses et conditions insérées dans le premier procès-verbal d'enchères, sous l'obligation et garantie de tous les biens meubles et immeubles, présents et à venir, dudit citoyen Villers, et spécialement les biens présentement vendus, sans qu'une obligation déroge à l'autre.

L'acquéreur a déclaré qu'il se réservoit la faculté de nommer son command dans les délais prescrits par la loi.

G. Garnier.

Enregistré à Versailles, le 7 thermidor an X de la République. Reçu seize cent soixante-neuf francs quatre-vingts centimes.

Noel.

Archives de Versailles.


XI
DISTRICT DE VERSAILLES.—COMMISSION DES ARTS.—PLANTES.

Nous, commissaire nommé par le Directoire du département de Seine-et-Oise, en conformité des loix et lettres ministérielles sur la disposition du mobilier national à l'effet d'opérer la distraction des objets précieux et particulièrement des plantes rares qui se trouveront dans les maisons cy-devant royales, religieuses et des émigrés dudit département, pour procéder à l'enlèvement desdits objets et les faire transporter au lieu désigné pour le dépôt.

Nous nous sommes transporté à la maison cy-devant à Élisabeth à Montreuil, accompagné d'un officier de la municipalité, où étant avons sommé le citoyen Coupry, jardinier de ladite maison, de nous introduire dans les jardins à l'effet d'y remplir notre mission, ce qu'ayant fait, nous avons procédé au triage et estimation des plantes de la manière suivante.

OBJETS RÉSERVÉS POUR LE DÉPÔT.

(p. 511) La totalité des plantes en pots réservées pour le dépôt se monte à la quantité de deux cent quarante-cinq individus et environ un cent de plantes vivaces.

OBJETS DÉSIGNÉS POUR LA VENTE.

Orangerie.
4 Orangers de 39 pouces de caisse.  
1 de 34  
1 de 33  
2 de 31  
3 de 30  
2 de 24  
Treize Orangers de différentes espèces estimés l'un dans l'autre 60# pièce 780 #   s.
2 Orangers de 18 pouces de caisse.  
4 de 16  
2 de 14  
Huit Orangers, petites caisses, estimés l'un dans l'autre la somme de 24# 192  
15 Grenadiers de quinze à vingt-deux pouces de caisse, estimés l'un dans l'autre à 18# 270  
1 Myrte, caisse 12  
2 Oliviers, caisse, à 12# 24  
1 Laurier franc, caisse 10  
2 Bosia yervamora, à 10# 20  
3 Justicia adathoda, à 12# 36  
1 Althæa 8  
12 Lauriers-roses, à 10# 120  
2 Lentisques, à 8# 16  
 
Plantes d'orangerie en pots.
 
6 Atriplex portulacoïdes, à 8 sols 2   8
2 Buddleia globosa, à 10 sols 1  
4 Pistacia Terebinthus, à 15 sols 3  
1 Sapindus Saponaria 1  
5 Melia azedarach, à 10 sols 2   10
6 Teucrium latifolium, à 10 sols 3  
2 Ceanothus africanus, à 15 sols 1   10
34 Solanum pseudo-capsicum, à 10 sols 17  
2 Solanum tomentosum, à 15 sols 1   10
4 Solanum sodomæum, à 10 sols 2  
4 Solanum bonariense, à 8 sols 1   12
2 Yucca gloriosa, à 1# 2  
4 Cupressus sempervirens, à 10 sols 2  
6 Cineraria amelloïdes, à 10 sols 3  
1 Coronilla glauca 15  
5 Viburnum Tinus, à 10 sols 2   10  
18 Thlaspi vivaces, à 5 sols 4   10  
  1,539   05 s.
(p. 512) 1 Agave americana 1  
6 Cneorum tricoccum, à 8 sols 2   8  
1 Vitis arborea     8  
4 Sonchus fruticosus, à 1# 4  
1 Celastrus pyracantha, à 10 sols     10  
3 Celastrus buxifolius, à 10 sols 1   10  
2 Aloe verrucosa, à 8 sols     16  
12 Mesembryanthemum ou ficoïdes de différentes espèces, à 10 sols 6  
5 Cacalia laciniata, à 8 sols 2  
2 Psoralea palæstina, à 8 sols     16  
1 Euphorbia caput Medusæ     10  
8 Phlomis fruticosa, à 10 sols 4  
2 Inula crithmoïdes, à 18 sols 1   16  
6 Leonurus ou Queue de lion, à 10 sols 3  
1 Bosia yervamora     10  
1 Stachys circinata     8  
2 Smilax aspera, à 10 sols 1  
1 Sempervivum arboreum 1  
2 Crassula orbiculata, à 8 sols     16  
2 Physalis somnifera, à 10 sols 1  
58 Geranium en pots de différentes espèces, à 8 sols 23   8  
8 Geranium dans des vases de faïence, à 6# 48  
12 Vases de faïence vides mutilés, à 1# 12  
100 pots vides, à 8 sols 40  
 
Pépinière.
 
300 Pins d'Écosse, à 1# 300  
10 Sapinettes, à 1# 10  
35 Thuyas, à 5 sols 8   15  
40 Marronniers, à 15 sols 30  
50 Spiræa populifolia, à 10 sols 25  
150 Arbres de Sainte-Lucie, à 8 sols 60  
150 Érables à feuilles de frêne, à 10 sols 75  
250 Cerisiers à grappes, à 5 sols 62   10  
200 Cornouillers sanguins, à 4 sols 40  
60 Ébéniers, à 10 sols 30  
18 Frênes de différentes espèces, à 10 sols 9  
30 Lonicera Diervilla, à 2 sols 3  
40 Seringas, à 4 sols 8  
80 Lilas, à 10 sols 40  
Total 2392 # 6 s.

Il se trouve aussi dans une des cours un dépôt de terre de bruyère que l'on peut estimer à soixante tombereaux environ, réserve pour le dépôt des plantes à Trianon. Près de cette cour est un grand carré (p. 513) planté de différents arbres étrangers pour former une école de botanique; on se réserve aussi d'en enlever ce qui conviendra pour être transporté audit dépôt.

Cette réclamation est attestée de nombre de citoyens.

Et après avoir fait l'examen général, tant en ce qui concerne les plantes d'orangerie que celles de pleine terre, et n'y ayant plus rien trouvé, nous avons terminé le présent inventaire et avons signé à Versailles, le 8 octobre 1793, l'an deuxième de la République une et indivisible.

Coupry. F. Remilly. Peradon, commissaire.

Nota. Le commissaire estime qu'il seroit plus avantageux de faire la vente de tous ces objets sur le lieu au mois de mars prochain, que de transporter une partie à l'orangerie et l'autre à Trianon; que d'ailleurs l'orangerie de cette maison est grande et en assez bon état pour contenir cette quantité de plantes tant en caisses qu'en pots; en y faisant cependant une petite réparation, soit pour ce qui regarde la maçonnerie pour poser l'imposte, le vitrier pour six carreaux cassés, et les châssis des volets de la porte d'entrée, et le cintre à garnir en grosse toile; si l'administration se décide à envoyer le tout tant à l'orangerie qu'à Trianon, il faudra nécessairement abattre deux parties de mur pour la sortie des orangers. Cette dépense sera beaucoup plus considérable que celle pour la réparation de ladite orangerie, et l'opération plus longue et plus difficile.

Cette observation a été communiquée au directoire du district.

Peradon.


II.

Rapport du commissaire à la disposition des plantes, relativement au jardin d'Élisabeth Capet, à Montreuil.

Le commissaire à la disposition particulière des plantes, d'après différents renseignements pris en ce qui concerne le jardin appartenant cy-devant à Élisabeth Capet, à Montreuil, et examiné les pièces (p. 514) suivantes, particulièrement le rapport du comité de surveillance, qui annonce que celui fait par les citoyens Richard et Pineaux, nommés commissaires par les représentants du peuple à l'effet de rendre compte du produit et des frais d'entretien dudit jardin; que ces deux commissaires ont observé qu'il seroit plus avantageux de confier à deux cultivateurs l'entretien et le produit de ce jardin, c'est-à-dire que Virey seroit chargé de la conduite de l'orangerie et plantes rares, et Doré de la partie des fruits et légumes.

Ayant examiné en outre un marché fait par le citoyen Couturier, qui accorde à Virey la jouissance en totalité des productions du jardin pour lui tenir lieu d'indemnité pour son entretien, indépendamment des gages d'un premier garçon qui lui seront accordés, à la charge par lui de fournir des légumes à l'infirmerie pour la valeur de 200#[231] à son estimation, ainsi qu'il est énoncé audit marché.

De plus, un autre rapport des citoyens Richard et Pineaux, où il est dit que la dépense pour l'entretien du jardin peut être mise en compensation avec le produit des fruits et légumes, et que même le jardinier pourra fournir à l'infirmerie des légumes pour la valeur de 200#, ce qui forme, on l'aperçoit, une grande différence avec le marché fait par le citoyen Couturier.

D'après toutes ces observations, le commissaire estime que, pour l'intérêt de l'administration, aucun des marchés ou arrangements tels que ceux susdits ne peuvent avoir lieu.

1o L'entretien desdits jardins, serres et orangeries, ne doit être alloué qu'à une seule personne, comme il s'est pratiqué jusqu'à présent; 2o que le marché fait par le citoyen Couturier est onéreux à l'administration, par la raison qu'il s'est présenté deux soumissionnaires, dont l'un, connu autant par sa probité que par son talent, s'est offert le premier, et a fait sa soumission d'entretenir les jardins, bosquets, orangerie, etc., pour la jouissance du produit seulement.

Quant au rapport des citoyens Richard et Pineaux, où il n'est point parlé de gages de premier garçon, mais au contraire que le jardinier sera encore assez indemnisé en fourniture sur son produit pour la somme de 200# de légumes à l'infirmerie, l'administration décidera dans sa sagesse sur cet objet; elle voudra bien observer que le citoyen Virey est un père de famille, bon patriote et bon cultivateur; qu'il occupe maintenant cette place, et semble mériter la préférence, en acceptant toutefois les conditions du premier soumissionnaire.

(p. 515) Il existe dans cette maison la quantité de cinquante-huit panneaux, dont quelques-uns sont mutilés, et dix-huit arrosoirs en cuivre rouge et jaune; l'administration voudra-t-elle accorder quelques-uns de ces objets à Virey pour son usage, et vendre l'autre partie, excepté ceux qui sont en réquisition?

A Versailles, le 10 ventôse, l'an II de la République une et indivisible (28 février 1794).

Peradon.


III.

14 ventôse l'an II de la République une et indivisible
(4 mars 1794).

Suivant le rapport fait à l'administration par le citoyen Peradon, commissaire artiste, sur le jardin cy-devant appartenant à Élisabeth Capet, à Montreuil, il s'est présenté pour l'entretien de ce jardin plusieurs soumissionnaires, également connus par leurs talents et leur probité, qui proposent de se charger de la culture du potager, de l'orangerie et des jardins sans appointements, moyennant qu'on leur en abandonne les produits;

Le citoyen Virey, qui cultive actuellement ce jardin, demande, outre la jouissance des fruits, le traitement annuel de premier garçon, qui est de 1,000 à 1,200#.

La disproportion qui existe entre ces différentes soumissions est d'autant plus sensible que, par un rapport des citoyens Richard et Pineaux, où il n'est point fait mention de gages, il est dit que le jardinier sera suffisamment indemnisé par le produit du jardin, en fournissant même pour 200# de légumes à l'infirmerie.

Quelques égards que mérite le citoyen Virey, on ne peut se dissimuler que l'intérêt de la République ne permet pas de faire en sa faveur un sacrifice annuel de 1,200#, lorsqu'il est notoire que le jardin peut être cultivé par des mains habiles sans qu'il en coûte rien à la nation. Tout ce que semble exiger la justice en faveur du citoyen Virey, bon patriote et père de famille, c'est de lui accorder la préférence dans le cas où il se chargeroit de l'entretien desdits jardins aux mêmes conditions que les autres soumissionnaires.

Il existe dans la maison cinquante-huit panneaux et dix-huit arrosoirs en cuivre rouge et jaune, dont la commission propose de mettre une partie à la disposition du jardinier; il demande à cet égard les ordres de l'administration;

(p. 516) Ouï l'agent national en ses conclusions,

L'administration, considérant que l'intérêt de la République lui impose impérieusement la loi de mettre dans toutes les parties l'économie dont elles sont susceptibles, lorsqu'à cette économie se trouvent joints les avantages qui résulteroient d'une plus forte dépense, et désirant d'ailleurs concilier les égards dus au citoyen Virey avec le bien public, premier objet de ses considérations, estime que les potager, orangerie et jardins, cy-devant appartenants à Élisabeth Capet, à Montreuil, seront loués à l'enchère en la manière accoutumée, et aux charges qui seront prescrites par les cahiers;

Arrête en outre que, sur les cinquante-huit panneaux et dix-huit arrosoirs qui se trouvent dans ladite maison, il sera mis à la disposition du locataire trente panneaux et dix arrosoirs, dont l'estimation sera faite pour qu'il ait à les représenter, lorsqu'il en sera requis, tels qu'il les aura reçus, et que les panneaux et arrosoirs restants seront mis en réserve pour servir lorsqu'il y aura lieu et ainsi que l'administration en ordonnera.


IV.

Versailles, le 25 frimaire l'an III de la République une et indivisible
(15 décembre 1794).

Le directeur de l'agence nationale de l'enregistrement et des domaines à l'agent national du district de Versailles.

Citoyen,

Par une lettre du 15 thermidor dernier, l'administration du district a informé la commission des revenus nationaux que, malgré les précautions qu'elle avoit prises, elle n'avoit pu empêcher les dégradations considérables qui se commettoient journellement dans la maison d'Élisabeth Capet, située à Montreuil, et elle a imputé ces dégradations aux malades de l'hospice militaire qui avoit été établi dans cette maison.

Il résulte des informations prises par la commission des secours publics, à laquelle la commission des revenus nationaux avoit porté ses plaintes, que ces dégradations ont été principalement commises par le citoyen Leblanc, locataire actuel du jardin, qui y laisse habituellement pâturer ses vaches.

Ces faits étant consignés dans un procès-verbal, rapporté le 9 thermidor dernier par les membres du comité de surveillance de l'hôpital, (p. 517) je te prie de faire informer sur ce délit, et d'intenter, s'il y a lieu, une action contre le locataire, tant en réparations qu'en indemnité des dommages qui seront reconnus être procédés de son fait. Comme je ne doute nullement qu'avant de mettre le locataire en jouissance il n'ait été dressé un état descriptif des lieux, et que le cahier des charges de l'adjudication ne l'ait expressément assujetti à les entretenir et à les rendre en bon état de culture à l'expiration de sa jouissance, il sera facile de l'obliger à réparer les dégradations commises.

Salut et fraternité.

Garnier-Deschesne.


XII
RÉCIT DU PÈRE CARRICHON,
PRÊTRE DE LA CONGRÉGATION DE L'ORATOIRE,

Témoin de la mort de mesdames la maréchale de Noailles, la duchesse d'Ayen, et la vicomtesse de Noailles, condamnées à mort par le tribunal révolutionnaire le 4 thermidor an II (22 juillet 1794).

Mesdames la maréchale de Noailles, la duchesse d'Ayen et la vicomtesse de Noailles furent détenues dans leur hôtel depuis le mois de septembre 1793 jusqu'en avril 1794. Je connoissois la première de vue seulement, et d'une manière particulière les deux autres, que je voyois ordinairement une fois la semaine. La Terreur croissoit avec le crime. Leurs victimes devenoient plus nombreuses. Un jour qu'on en parloit et qu'on s'exhortoit à se préparer à l'être, je leur dis par une espèce de pressentiment: «Si vous allez à la guillotine et que Dieu m'en donne la force, je vous y accompagnerai.» Elles me prennent au mot, ajoutant avec vivacité: «Nous le promettez-vous?» J'hésite un moment. «Oui, repris-je, et pour que vous me reconnoissiez bien, j'aurai un habit bleu foncé et une veste rouge.» Depuis elles me rappelèrent souvent ma promesse. Au mois d'avril, la semaine, je crois, après Pâques, elles sont conduites toutes trois au Luxembourg. J'en ai souvent des nouvelles par celui qui leur a rendu avec un zèle si délicat tant de services et dans leurs personnes et dans celles de leurs enfants. Ma promesse est rappelée. Le 27 juin, un vendredi, il vient de leur part me prier de rendre au maréchal de Mouchy et à sa femme le service que je leur avois promis. Je vais au palais. Je parviens à entrer dans la cour. Je les ai sous les yeux et de fort près pendant (p. 518) plus d'un quart d'heure. M. et madame de Mouchy, que je n'avois vus qu'une fois chez eux et que je connoissois mieux qu'ils ne me connoissoient, ne me reconnoissent point. Je fais ce que je peux pour eux. Le maréchal étoit singulièrement édifiant et prioit vocalement de tout son cœur. La veille il avoit dit, en quittant le Luxembourg, à ceux qui lui marquoient de l'intérêt: «A dix-sept ans j'ai monté à l'assaut pour mon Roi, à soixante-dix-huit je vais à l'échafaud pour mon Dieu; mes amis, je ne suis pas malheureux.» J'évite des détails qui deviendroient immenses. Ce jour-là, je crois inutile et même je ne me sens point capable d'aller jusqu'à la guillotine. J'en augure mal pour la promesse spéciale faite à leurs parentes. Que j'aurois à dire sur tous les nombreux convois qui précédèrent et suivirent celui du 27, convois fortunés ou infortunés, selon les dispositions de ceux qui les formoient, tableaux déchirants lors même que les caractères et tous les signes extérieurs annonçoient une mort chrétienne, lors même qu'ils étoient accompagnés des grandes consolations produites par les vertus chrétiennes; mais bien autrement déchirants, lorsqu'ils en fournissoient peu ou point, et que les condamnés sembloient passer de l'enfer de ce monde à celui de l'autre!

Le 22 juillet, un mardi, jour de sainte Madeleine, j'étois chez moi, et vers onze heures. J'allois sortir. On frappe. J'ouvre et je vois les enfants Noailles et leur instituteur; les enfants avec la gaieté de leur âge qui couvroit le fond de tristesse que nourrissoit en eux la détention de leurs parentes; ils alloient se promener et prendre l'air de la campagne: l'instituteur, pâle, défiguré, pensif et triste.—Ce contraste me frappe. «Passons, me dit-il, dans votre chambre, laissons les enfants dans votre cabinet.» Nous nous séparons; les enfants se mettent à jouer; nous entrons dans la chambre. Il se jette dans un fauteuil: «C'en est fait, mon ami; ces dames sont au tribunal révolutionnaire. Je viens vous sommer de tenir votre parole. Je vais les conduire à Vincennes pour y voir la petite Euphémie. Dans le bois je préparerai ces malheureux enfants à cette terrible perte qu'ils ignorent.» Quelque préparé que je fusse depuis longtemps, je suis déconcerté. Toute cette affreuse situation des mères, des enfants, de leur digne instituteur, cette gaieté suivie de tant de tristesse, la petite Euphémie âgée alors d'environ quatre ans, tout se peint à mon imagination en traits de feu inimitables. Je reviens à moi à l'instant, et après quelques demandes, réponses et autres lugubres détails, je dis: «Partez, je vais changer d'habits. Quelle commission! Priez Dieu qu'il me donne la force de l'exécuter.»—Nous nous levons, passons dans le (p. 519) cabinet où nous trouvons les enfants, s'amusant, gais et contents autant qu'ils pouvoient l'être; ce que nous éprouvions à leur vue, ce qu'ils ignoroient, ce qu'ils alloient apprendre, rend le contraste plus frappant, me serre le cœur. Je fais bonne contenance et les congédie. Resté seul, je me sens épouvanté, fatigué. Mon Dieu, ayez pitié d'elles, d'eux et de moi!

Je change d'habits et vais faire quelques courses projetées, avec un poids dans l'âme bien accablant. Je les interromps pour aller au palais entre une et deux heures. Je veux entrer. Impossibilité. Je prends des informations de quelqu'un qui sort, comme doutant encore de la réalité de l'annonce; l'illusion de l'espérance est la dernière détruite. Par ce qu'il me dit, je ne peux plus douter. Je reprends mes courses, elles me conduisent jusqu'au faubourg Saint-Antoine, et avec quelle pensée, quelle agitation intérieure, quel effroi secret joint à une tête malade! Ayant affaire à une personne de confiance, je m'ouvre, elle m'encourage au nom de Dieu. Pour dissiper le mal de tête, je la prie de me faire un peu de café. Il me fait quelque bien. Je reviens au palais très-lentement, très-pensif, très-irrésolu, désirant de ne point arriver, ou de ne point trouver celles qui m'y appellent: j'arrive avant cinq heures. Rien n'annonce le départ. Je monte tristement les degrés de la Sainte-Chapelle, je me promène dans la grande salle, aux environs, je m'assieds, je me lève, je ne parle à qui que ce soit, je cache sous un air sérieux un fond très-agité et très-chagrin; de temps en temps un triste coup d'œil sur la cour pour voir si le départ s'annonce. Je reviens. Ma fréquente exclamation intérieure étoit: Dans deux heures, dans une heure et demie, elles ne seront donc plus! Je ne puis exprimer combien cette idée m'affectoit et m'a affecté toute la vie quand j'ai pu l'appliquer: jamais heure ne m'a paru si longue et si courte que celle qui s'écoula depuis cinq heures jusqu'à six, pour divers motifs qui se croisoient, se combattoient, se détruisoient et me faisoient passer des illusions du vain espoir à des craintes malheureusement trop réelles.

Enfin aux mouvements je juge que les victimes vont sortir de la prison. Je descends et vais me placer près de la grille par où elles sortent, puisqu'il n'est plus possible depuis quinze jours de pénétrer dans la cour. La première charrette se remplit, s'avance vers moi. Il y avoit huit dames très-édifiantes, sept pour moi inconnues; la dernière, dont j'étois fort proche, étoit la maréchale de Noailles. De n'y point voir sa belle-fille et petite-fille, ce fut là un foible et dernier rayon d'espérance; car, hélas! sur la deuxième charrette montent (p. 520) la mère et la fille. Celle-ci étoit en blanc, qu'elle n'avoit quitté depuis la mort de son beau-père et de sa belle-mère; elle paroissoit âgée de vingt-quatre ans au plus; celle-là de quarante, en déshabillé rayé bleu et blanc. Je les voyois encore de loin. Six hommes se placèrent après elles, les deux premiers, je ne sais comment, à un peu plus de distance qu'à l'ordinaire, comme pour leur donner plus de liberté, et avec un air d'égard et de respect dont je leur sus bon gré. A peine sont-elles placées, que la fille témoigne à sa mère ce vif et tendre intérêt si connu: j'entends dire auprès de moi: «Voyez donc cette jeune fille, comme elle s'agite! comme elle parle!»—Elle ne paroît pas triste. Je crois qu'elle me cherche des yeux; il me semble entendre tout ce qu'elles se disent: «Il n'y est pas.—Regarde encore.—Maman, rien ne m'échappe, je vous l'assure, il n'y est pas.» Elles oublient que je leur avois fait annoncer l'impossibilité de me trouver là. La première charrette reste près de moi au moins un quart d'heure. Elle avance. La deuxième va passer. Je m'apprête. Elle passe, ces dames ne me voient pas. Je rentre dans le palais, fais un grand détour et viens me placer à l'entrée du pont au Change, dans un endroit apparent. Mesdames de Noailles jettent les yeux de tous côtés; elles passent et ne me voient pas. Je les suis le long du pont, séparé de la foule, cependant assez près d'elles; madame de Noailles, toujours cherchant, ne m'aperçoit pas.

L'inquiétude se peint sur la physionomie de madame d'Ayen, sa fille redouble d'attention sans succès. Je suis tenté d'y renoncer. J'ai fait ce que j'ai pu; partout ailleurs la foule sera plus grande, il n'y a pas moyen. Je suis fatigué.—J'allois me retirer. Le ciel se couvre, le tonnerre se fait entendre au loin. Tentons encore. Et par des chemins détournés j'arrive dans la rue Saint-Antoine, après la rue de Fourcy, presque vis-à-vis la trop fameuse Force, avant la charrette. Alors souffle un vent violent, l'orage éclate; les éclairs, les coups de tonnerre se succèdent rapidement. La pluie commence. C'est un torrent. Je me retire sur le seuil d'une boutique qui m'est toujours présente et que je ne vois jamais sans attendrissement. En un instant la rue est balayée. Plus de monde qu'aux portes, boutiques et fenêtres: plus d'ordre dans la marche; les cavaliers, les fantassins vont plus vite, comme ils peuvent, les charrettes aussi. Elles sont au petit Saint-Antoine et je suis encore indécis: la première passe devant moi. Un mouvement précipité et comme involontaire me fait quitter la boutique, et me voilà seul tout près de ces dames. Madame de Noailles m'aperçoit, et souriant semble dire: «Vous voilà donc enfin! (p. 521) Ah! que nous en sommes aises! Nous vous avons bien cherché.—Maman, le voilà.» A cet instant madame d'Ayen renaît, et toutes mes irrésolutions cessent, je me sens un courage extraordinaire. Trempé de sueur et de pluie, je n'y pense plus, je continue à marcher près d'elles. Sur les marches de l'église Saint-Louis, j'apperçois un ami pénétré pour elles de respect, d'attachement, cherchant à leur rendre le même service. Son visage, son attitude annoncent tout ce qu'il sent en les voyant. Je lui prends la main avec un saisissement d'attendrissement mais aussi tout de force. «Bonsoir, mon ami.» Là est une place, plusieurs rues y aboutissent. L'orage est au plus haut point, le vent plus impétueux. Les dames de la première charrette en sont fort tourmentées, surtout la maréchale de Noailles; son grand bonnet renversé laisse voir quelques cheveux gris; elle chancelle sur sa misérable planche, sans dossier, les mains liées derrière le dos. Aussitôt un tas de gens qui se trouvent là, la reconnoissent, ne font attention qu'à elle, et augmentent son tourment, qu'elle supporte avec patience, par leurs cris insultants. «La voilà donc cette maréchale, menant autrefois si grand train et qui alloit dans des beaux carrosses, la voilà dans la charrette tout comme les autres!» etc. Rien de plus insupportable pour tout être sensible que ces cris de cannibales. Les malheureux sont des objets sacrés, surtout quand ils sont innocents. Les cris continuent, le ciel est plus noir, la pluie plus forte. Nous voilà à la place qui précède le faubourg Saint-Antoine. Je devance, j'examine, et je me dis: Voilà le meilleur endroit pour leur accorder ce qu'elles désirent tant. La charrette alloit moins vite; je m'arrête, je me tourne vers elles: je fais à madame de Noailles un signe qu'elle comprend parfaitement.—«... Maman, M. X. va nous donner l'absolution.» Aussitôt elles baissent la tête avec un air de piété, de repentance, de joie, d'attendrissement qui m'embaume; je lève la main, reste la tête couverte, et prononce très-distinctement, et avec une attention surnaturelle, la formule entière d'absolution et les paroles qui la suivent; elles s'unissent mieux que jamais. Je n'oublierai jamais ce ravissant tableau, digne du pinceau d'un Raphaël, après lequel tout ce qui reste n'est que baume et consolation.

Dès ce moment l'orage s'apaise, la pluie diminue, il semble n'avoir existé que pour le succès si désiré de part et d'autre; j'en bénis Dieu, elles en font autant, leur extérieur n'annonce que contentement, sérénité, allégresse. En s'avançant dans le faubourg, la foule curieuse revient, borde les deux côtés, insulte les premières dames, surtout la maréchale, rien à ses deux parentes; la pluie cesse.

(p. 522) Tantôt je devance, tantôt j'accompagne. Après l'abbaye Saint-Antoine, j'aperçois auprès de moi un jeune homme, prêtre, dont pour quelques motifs je suspecte les sentiments. Il m'embarrasse. Je crains qu'il ne me reconnoisse, je rétrograde, j'avance, heureusement il ne me reconnoît point; il double le pas et je ne le vois plus.

Enfin nous arrivons au lieu fatal. Ce qui se passe en moi ne peut se peindre. Quel moment! Quelle séparation! Quelle douleur dans ces enfants, dans ces sœurs, nièces, qui restent dans cette vallée de larmes! Je les vois encore pleines de santé. Elles auroient été si utiles à leur famille, et dans un instant je ne les verrai plus!..... Quelle idée! quel déchirement! mais non sans de grandes consolations en les contemplant si résignées. Les charrettes s'arrêtent, l'échafaud se présente, je frissonne; les cavaliers et les fantassins l'entourent; autour d'eux un cercle plus nombreux de spectateurs, la plupart riant et s'amusant de ce désolant spectacle: je suis au milieu d'eux dans une situation bien différente. J'aperçois le maître bourreau et deux valets, dont il est distingué par la jeunesse, par l'air d'un petit-maître manqué et le costume. L'un des valets est remarquable par sa taille, son embonpoint, la rose qu'il a à la bouche, ses manches retroussées, ses cheveux en queue et crépus, l'air de sang-froid et de réflexion avec lequel il agit, enfin une de ces physionomies régulières et frappantes, quoique sans élévation, qui ont pu servir de modèles aux grands peintres quand ils ont représenté des bourreaux dans l'histoire des martyrs. Il faut le dire, soit par un fonds d'humanité, soit habitude ou désir d'avoir plus tôt fait, le supplice étoit singulièrement adouci par leur promptitude, leur attention à descendre tous les condamnés avant de commencer à les placer le dos à l'échafaud, de manière qu'ils ne puissent rien voir; je leur en sus quelque gré, ainsi que de la décence qu'ils observoient et de leur sérieux constant, sans aucun air riant, insultant, tout le temps que je les vis.

Pendant qu'ils aident à descendre les dames de la première charrette, madame de Noailles me cherche des yeux; elle m'aperçoit: c'est ici le pendant ravissant du premier tableau, si ravissant aussi. Que ne me dit-elle pas par ses regards, tantôt élevés au ciel, tantôt abaissés vers la terre, si doux, si animés, si expressifs, si célestes, tantôt fixés sur moi de manière à me faire distinguer si mes compagnons tigres avoient été plus réfléchis! J'enfonce mon chapeau sans la perdre de vue; je l'entendois: «Mon sacrifice est fait. Que je laisse de personnes chères! Mais Dieu m'appelle; nous en avons la (p. 523) douce et ferme espérance. Nous ne les oublierons point. Recevez nos tendres adieux pour elles, nos remercîments pour vous. Adieu! Puissions-nous nous revoir dans le ciel! Adieu!» Il est impossible de rendre des signes aussi pieux, aussi vifs, d'une éloquence aussi touchante, qui faisoient dire à mes tigres: «Ah! cette jeune, comme elle est contente, comme elle lève les yeux au ciel, comme elle prie! Mais à quoi cela lui sert-il?» Puis par réflexion: «Ah! les scélérats de calottins!» Le dernier adieu prononcé, elles descendent. Je ne me sentois plus, à la fois déchiré, attendri et consolé. Combien je remercie Dieu de n'avoir pas attendu ce moment pour leur donner l'absolution, encore plus quand elles montèrent à l'échafaud! Elles n'auroient pas pu s'unir comme elles avoient fait. Je quitte l'endroit où j'étois. Je passe d'un autre côté. Pendant qu'on fait descendre les autres, je me trouve en face de l'escalier, sur lequel étoit appuyée la première victime, qui étoit un vieillard en cheveux blancs, grand, l'air d'un bonhomme, qu'on disoit être un fermier général. Auprès de lui une dame très-édifiante que je ne connoissois pas; ensuite la maréchale, vis-à-vis de moi, en deuil, assise sur un bloc de bois ou de pierre qui s'étoit trouvé là, ouvrant des yeux grands, fixes. Tous les autres, sur plusieurs lignes, étoient rangés au bas de l'échafaud du côté qui regardoit l'ouest ou le faubourg Saint-Antoine. Je cherche ces dames. Je ne peux apercevoir que la mère, mais dans cette attitude de dévotion simple, noble, résignée, les yeux fermés, plus l'air inquiet, en un mot telle qu'elle étoit lorsqu'elle approchoit de la table sacrée. Quelle impression j'en reçus! Elle est ineffaçable. Plût à Dieu que j'en profitasse! A cet instant me revient à l'idée un passage de cette belle lettre des Églises de Vienne et de Lyon sur le martyre de saint Pothin et ses compagnons, où il est dit en parlant de sainte Blandine, attachée au poteau et exposée aux bêtes: «Ses compagnons croyoient voir en la personne de leur sœur Celui qui avoit été crucifié pour les sauver.»

Tous sont descendus. Le sacrifice va commencer. La joie, le bruit, les affreux quolibets des spectateurs tigres redoublent et accroissent le supplice, doux en lui-même, mais atroce par trois coups qu'on entend l'un après l'autre, surtout par la quantité de sang versé et la vue de cette foule bruyante et tigresse. Le bourreau et ses valets montent, arrangent tout. Le premier se revêt, sur ses habits, d'un surtout ensanglanté, se place à gauche, à l'ouest, les autres à droite, à l'est, regardant Vincennes. Son grand valet est surtout l'objet de l'admiration et des éloges des cannibales, par son air capable et réfléchi, (p. 524) comme ils disent. Tout étant prêt, le vieillard monte à l'aide des bourreaux. Le maître bourreau le prend par le bras gauche, le grand valet par le droit, l'autre par les jambes; en un instant il est couché sur le ventre, la tête séparée et jetée ensuite avec le corps tout habillé dans un vaste tombereau, où tout nage dans le sang. Et toujours de même. Quelle horrible boucherie! Comme le cœur bat! C'est à ce moment qu'on voudroit être loin! c'est à ce moment qu'on voudroit être prêt et monter tout de suite si on étoit bien préparé, tant la mort, atroce pour ceux qui restent et qui sont sensibles, paroît facile et douce pour ceux qui s'en vont, quand on songe aux circonstances où il faut vivre! Combien j'ai regretté de n'avoir pas suivi ces victimes, en pensant que plus on avance, plus on reçoit de grâces divines, et plus on en abuse!

La maréchale monte la troisième sur l'échafaud; il fallut échancrer le haut de son habillement pour lui découvrir le cou. Impatient de m'en aller, je voulois avaler le calice jusqu'à la lie et tenir ma parole, puisque Dieu me donnoit la force de me posséder au milieu de tant de frissonnements. Madame d'Ayen monte la dixième. Qu'elle me parut contente de mourir avant sa fille, et la fille de ne pas passer avant la mère! Montée, le maître bourreau lui arrache son bonnet. Comme il tenoit par une épingle qu'il n'avoit pas eu l'attention d'ôter, les cheveux soulevés et tirés avec force lui causèrent une douleur qui se peignit sur ses traits. La mère disparoît, et sa digne et tendre fille la remplace. Quelle émotion en voyant cette jeune dame tout en blanc, paroissant beaucoup plus jeune qu'elle n'étoit, semblable à un doux et tendre agneau qu'on va égorger! Je croyois assister au martyre d'une de ces jeunes vierges ou saintes femmes telles qu'elles sont représentées dans les beaux tableaux du Corrége et du Dominiquin.

Ce qui est arrivé à sa mère lui arrive. Même inattention pour l'épingle, même douleur, même signe. Quel sang abondant et vermeil sortit de la tête et du cou! Que la voilà bienheureuse! m'écriai-je intérieurement quand on jeta son corps dans cet épouvantable cercueil. Je m'en vais; mais je suis arrêté un moment par l'air, les traits et la taille de celui qui venoit après elle. C'étoit un homme de cinq pieds huit à neuf pouces, gros à proportion, d'une figure très-imposante. Je l'avois remarqué au bas de l'échafaud. Il s'en étoit éloigné pendant qu'on immoloit les autres, afin de voir ce qui s'y passoit. Sa grande taille avoit servi sa curiosité. Il monte avec fermeté, regarde les bourreaux, le lit et l'instrument de mort avec des regards intrépides, trop fiers peut-être. O mon Dieu! dis-je en moi-même, (p. 525) faites qu'il n'y ait en lui que christianisme, et non la seule philosophie! Quel dommage qu'un si bel homme fût damné! ajoutai-je en me rappelant le pape saint Grégoire, qui, en voyant à Rome de beaux esclaves anglois, s'écria: «Quel dommage que de si beaux visages soient sous l'empire du démon!» Cette vue lui donna la première idée de la célèbre mission d'Angleterre, dont il chargea dans la suite son disciple saint Augustin.

L'homme dont je viens de parler était Gossin[232] ou Gossuin, qui a tant contribué à diviser la France en départements. J'ai entendu dire qu'il avoit de la religion, et que ses malheurs, sa prison, en avoient ranimé, fortifié tous les sentiments. Amen.

Après sa mort, je quitte tout, hors de moi-même. Je m'aperçois alors que je suis tout glacé, à cause d'une forte transpiration et d'une forte pluie que j'avois éprouvées et qui s'étoient séchées; mais, grâce à Dieu, je ne me sentois point incommodé. Je double le pas, tout rempli de ce déchirant mais bien beau, bien grand, bien consolant, bien touchant spectacle. Je répétois ce que j'ai répété souvent: «Non, je ne voudrois pas pour cent mille écus n'en avoir pas été témoin. Je n'ai rien vu qui approche de cela. Que de profit à en tirer!» Quand je le quittai, il étoit près de huit heures. En vingt minutes, on avoit fait descendre quarante ou cinquante personnes, et immolé douze.

Bientôt je suis à la rue Saint-Antoine. Je monte dans une maison où étoit une respectable famille de ma connoissance, composée du mari, de la femme et d'un fils unique charmant d'environ quatre ans. «Vous voilà! D'où venez-vous si tard, si loin de chez vous?—Ah! je viens d'être témoin d'un spectacle après lequel nous sommes les plus insensés des hommes et les plus grands ennemis de nous-mêmes, (p. 526) si nous n'en profitons pas pour travailler plus fortement à notre salut.» J'entre ensuite dans les détails qui, en produisant leur attendrissement, renouvelèrent le mien. J'y soupai, et me retirai fort tard. La nuit fut très-agitée; un sommeil entrecoupé ou accompagné de tout ce que j'avois vu ou entendu. La fatigue, que j'avois peu sentie, se fit sentir les jours suivants, mais, grâce à Dieu, sans indisposition. J'étois tout attendri, mais tout embaumé. Ah! m'écriois-je souvent, que mon âme vive de la vie des justes et que je meure de leur mort! Pendant longtemps la pensée de ce spectacle a produit en moi un certain frémissement, surtout lorsque je passois dans ces endroits si remarquables par ce que j'y avois vu. Ce frémissement venoit de ce que cette pensée étoit accompagnée d'une autre sur leur bonheur contrastant avec le vide qu'elles avoient laissé, la perte que nous avions faite, les dangers et les malheurs toujours renaissants où nous vivions. Le vendredi suivant, 25 juillet, je dînois avec et chez deux amis. Après le dîner, nous nous livrions à d'intéressants épanchements qui, malgré tous les accents de la tristesse, nous paroissoient si doux par les réflexions et consolations qui s'y mêloient et par la sage liberté qui y régnoit, dans une crise où tout étoit licence pour les méchants, tout étoit servitude pour les autres, au point de craindre, pour ainsi dire, que les murs ne parlassent. A cinq heures du soir, on frappe, et je vois entrer le digne ami qui m'avoit déjà averti deux fois. «Qui vous amène?—Je vous cherche depuis deux heures; désespérant de vous trouver, à tout hasard je suis venu ici.—Pourquoi?—Pour vous engager à rendre aux tantes des enfants, mesdames de Duras et Lafayette, le même service que vous avez rendu à leurs mères. Elles vont partir pour l'échafaud.—Ah! cher ami, que demandez-vous encore? Je connois peu ces dames, et il n'est pas sûr qu'elles me reconnoissent et que je les reconnoisse.»

Je combats, il redouble de prières; mes amis se joignent à lui. Je cède et je reprends ce triste chemin du palais. Il est temps, les charrettes sortent, s'arrêtent en attendant les dernières. Sur la première étoient des dames: je n'en reconnois aucune. J'examine, considère, tourne, retourne; non, ou je suis bien trompé, les tantes n'y sont point, grâce à Dieu. Cependant, pour ne rien omettre, j'interroge des spectateurs bien instruits, et avec la douleur que nous font éprouver ces inconnues, j'ai la joie de n'y point trouver les chères tantes. Dieu vouloit les conserver pour leurs familles qui les respectent et les aiment tant et avec tant de raison, me procurer l'avantage de les connoître d'une manière aussi particulière que celles dont la vie et (p. 527) surtout la mort m'ont tant édifié, et me faire trouver dans leur connoissance ce que j'avois perdu dans les autres, et dans ma situation, mes chagrins, mes malheurs, dont un irréparable, ces marques d'intérêt, d'attachement, et ces consolations que partage si bien un beau-frère, ami, et que je chercherois en vain dans plusieurs liés cependant avec moi. Puisse le Dieu tout-puissant et tout miséricordieux répandre sur leurs familles toutes les bénédictions que je lui demande pour la mienne, et nous réunir tous avec celles qui nous ont devancés dans ce séjour où il n'y aura plus de révolution à craindre ou à espérer, dans cette patrie qui aura, comme dit saint Augustin, la vérité pour roi, la charité pour loi, et pour mesure l'éternité!


Le Père Carrichon (Antoine-Philibert), ecclésiastique, prêtre de la ci-devant congrégation de l'Oratoire, est décédé le 30 juillet 1818, en sa maison, rue Saint-Jacques, no 277; ses obsèques se firent le 1er août, à sept heures du matin, en l'église de Saint-Jacques du Haut-Pas, sa paroisse. Il était âgé de soixante-neuf ans. B.


XIII
PIÈCES DIVERSES CONCERNANT MADAME ÉLISABETH.

I.
ACTE DE BAPTÊME DE MADAME ÉLISABETH.

Extrait du registre des baptêmes de l'Église Royale et Paroissiale de Notre-Dame de Versailles, diocèse de Paris, pour l'année mil sept cent soixante-quatre, fol. 33.

L'an mil sept cent soixante-quatre, le trois may, très haute et très puissante princesse Madame Élizabethe-Philippe-Marie-Heleine de France, née d'aujourd'huy, fille de très haut, très puissant et excellent prince Louis, Dauphin de France, et de très haute, très puissante et excellente princesse Marie-Josèphe, princesse de Saxe, Dauphine de France, son épouse, a été baptizée par Monseigneur Charle-Antoine de la Roche-Aimon, archevêque-duc de Reims, pair et grand aumonier de France, en presence de nous curé soussigné. Le parein a été très haut et très puissant prince Dom Philippe, infant d'Espagne, duc de Parme, Plaisance et Guastalle; la mareine a été très haute, très puissante et très excellente princesse Élizabethe, (p. 528) princesse de Parme, Reine doüarière d'Espagne. Le parein représenté par très haut et très puissant prince Louis-Auguste de France, duc de Berry, et la mareine représentée par très haute et très puissante princesse Madame Marie-Adélaïde de France, fille du Roy, qui ont été nommés l'un et l'autre à cet effet, Sa Majesté présente au baptême. Et ont signés à la minute:

LOUIS.
Marie.
Louis.
Louis-Auguste.
Louis-Stanislas-Xavier.
Charle-Philippe.
Marie-Adélaïde.
Victoire-Louise-Marie-Thérèse.
Sophie-Philippe-Élizabethe-Justine.
Louise-Marie.

Charle-Antoine, archevêque-duc de Reims, grand aumônier de France, et Allart, curé.

Nous soussigné, Prêtre de la Congrégation de la Mission, faisant les fonctions Curiales en l'Église Royale et Paroissiale de Notre-Dame de Versailles, Dépositaire des Registres de la même Église; Certifions le présent Extrait véritable et conforme à l'Original. A Versailles, le sixième du mois d'aoust mil sept cent soixante-seize.

COLLIGNON, prêtre de la Mission[233].


II.
NOURRICE DE MADAME ÉLISABETH.

Marie-Thérèse Hecquet, née le lundi 24 mars 1732, sur la paroisse de Saint-Acheul, du légitime mariage de Charles Hecquet, laboureur, demeurant au village de Boutillerie, et d'Anne Merelle, ses père et mère; baptisée le même jour en l'église paroissiale de Saint-Acheul, ayant pour parrain Antoine Hecquet, son oncle paternel, et pour marraine Marie-Thérèse Vasseur, sa tante, épouse dudit Antoine Hecquet.

L'acte de baptême est signé Demonclot, chanoine régulier et curé de Saint-Acheul.

L'extrait de baptême, collationné, délivré le 8 octobre 1779, est (p. 529) signé Pelletier, prêtre, docteur en théologie de la Faculté de Paris et vicaire de ladite paroisse, dame Marie-Thérèse Hecquet, épouse du sieur Jean Levallery, bourgeois de Paris, née le 24 mars 1732, à Saint-Acheul, élection et généralité d'Amiens, baptisée [le même jour] du même mois dans la paroisse dudit lieu, nourrice de Son Altesse Royale Madame Élisabeth de France, demeurant à Paris, au Palais-Bourbon, faubourg Saint-Germain, paroisse Saint-Sulpice, déclare avoir obtenu du Roi les grâces pécuniaires ci-après,

Savoir:
Une pension de deux mille quatre cents livres sur le trésor de la Maison de Sa Majesté, de l'échéance de janvier (dont il lui reste dû l'année 1777, l'année 1778 et la portion de temps de l'année 1779), ce qui lui a été accordé en sadite qualité de nourrice sans brevet, ci   2,400 #
Une autre pension de douze cent quinze livres sur le Trésor royal, et payée jusqu'à présent par MM. les gardes dudit Trésor, accordée à ladite dame Levallery, pour lui tenir lieu d'une place de femme de chambre de feu Madame la Dauphine, employée dans l'état du Roi, sous le titre de Pension du bas âge, sans brevet, et dû 1778 et 1779, ci   1,215  
Une autre pension de trois cents livres, accordée à la dame Levallery au même titre, pour lui tenir lieu de son logement, dont est dû les années 1777, 1778 et la portion de l'année 1779, ces trois pensions créées en 1765   300  
Une pension de huit cents livres, accordée au sieur Louis-Joseph-Frédéric Levallery, son fils, né le 28 janvier 1764, baptisé le 29 du même mois en la paroisse Saint-Sulpice de Paris, par un brevet de Sa Majesté du 12 novembre 1771, payable sur les quittances de la dame Levallery jusqu'à ce que son fils ait atteint l'âge de vingt ans, dont il est dû   800  
Montant général des grâces   4,915 #

Il y a, indépendamment de cette déclaration manuscrite des grâces pécuniaires accordées à la nourrice de Madame Élisabeth, un brevet officiel, en partie imprimé, pareil à celui de la nourrice de Monsieur, de M. le comte d'Artois, etc. B.


(p. 530) III.
APPOINTEMENTS DES DAMES DE COMPAGNIE DE MADAME ÉLISABETH.

État des appointements que le Roi veut et ordonne être payés aux dames que Sa Majesté a nommées pour accompagner Madame Élisabeth, depuis le 15 mai 1785 jusques et y compris le 14 mai 1786.

Savoir:
A la dame marquise de Sorans,   4,000 #
A la dame marquise de Causans,   4,000  
A la dame comtesse de Canillac,   4,000  
A la dame comtesse de Bombelles,   4,000  
A la dame vicomtesse d'Imécourt et la dame comtesse de la Bourdonnaye, adjointe et survivante,   4,000  
A la dame comtesse de Deux-Ponts,   4,000  
A la dame comtesse de Clermont-Tonnerre,   4,000  
A la dame marquise de la Rochefontenille,   4,000  
A la dame marquise des Essarts,   4,000  
A la dame comtesse Louise de Causans,   4,000  
A la dame marquise de Lastic,   4,000  
A la dame vicomtesse de Blangy,   4,000  
A la dame Anna-Bella-Henriette de Drummont de Melfort, comtesse de Marguerye,   Mémoire.  
A la dame vicomtesse de Mérinville, surnuméraire sans appointements,   Mémoire.  
A la dame marquise des Montiers, id.,   Mémoire.  
Somme totale, cinquante-deux mille livres, cy.,   52,000 #

Garde de mon Trésor royal, Me Charles-Pierre-Paul Savalette de Langes, payez comptant aux dames dénommées au présent état la somme de cinquante-deux mille livres pour leurs appointements, en leur qualité susdite, depuis le 15 mai 1785 jusques et compris le 14 mai 1786, présente année.

Fait à Versailles, le 1er juin 1786.

Collationné.

Le baron de Breteuil.


(p. 531) État des gages, appointements et pensions que le Roi veut et ordonne être payés aux personnes qui servent près Madame Élisabeth pendant le quartier de janvier de la présente année 1786.

Savoir:
 
Aumônier ordinaire.
 
Le sieur Hyacinthe Bonniol de Montégut, attendu qu'il n'a pas d'appointements   Mémoire.  
 
Chevalier d'honneur.
 
Au sieur comte de Coigny   225 #  
A lui pour entretennement   900  
 
Premier écuyer.
 
Au sieur comte d'Adhémar   150  
A lui pour entretennement   900  
 
Dame d'honneur.
 
A la dame comtesse Diane de Polignac, pour gages   300  
A elle pour sa pension   1,500  
 
Dame d'atours.
 
A la dame marquise de Sorans, pour gages   150  
A elle pour sa pension   1,000  
 
Médecin.
 
Le sieur Le Monnier, y étant pourvu d'ailleurs   Mémoire.  
 
Chirurgien.
 
Le sieur Loustonau, y étant pourvu d'ailleurs   Mémoire.  
 
Secrétaire du cabinet.
 
Au sieur de Champfort, à raison de 2,000# par an   500 #  
(Les années 1785 et 1786 ont été expédiées par ordonnance provisoire.)  
 
Femmes de chambre.
 
A la dame Marie-Marguerite Soufflet-Pernot, première, et Marie-Marguerite Pernot, sa fille, épouse du sieur Guichard, en survivance   70  
A elle, pour l'entretien d'un valet   91   5 s
A la dame Antoinette-Jacqueline Brochet, épouse du sieur de Cimery, tant pour gages que pour l'entretien d'un valet   161   5 s
 
Autres.
 
A Jeanne-Françoise d'Aigremont-Malivoire   25  
A Marie-Françoise-Victoire Dousset de Saint-Brice   25  
(p. 532) A Antoinette-Marie Drivet de Lau   25  
A Julie-Charlotte-Marie de Cagny[234]   25  
A Marie-Barbe Besnard   25  
A Marie-Marguerite Pernot, épouse du sieur Guichard   25  
A Madeleine-Félicité de Casaubon, veuve Delor femme de Saint-Gand   25  
A Marie Langaudre-Tergat   »  
A la dame Roube   »  
A Sophie-Léocade le Gagneur   »  
A Marie-Thérèse Lalin de Navarre   »  
A la dame Duprat, épouse du sieur Malmain   »  
La demoiselle Charlotte-Rosalie Damesme, la demoiselle Jeanne-Julie d'Harmeville, la demoiselle de Montgiroux, la demoiselle Malivoire, la demoiselle la Caze, la dame Perronnel, la demoiselle Guéroult de MacCarty, surnuméraires   Mémoire.  
 
Coiffeuses.
 
A la demoiselle Jean-Baptiste Jaime   25 #  
A la demoiselle Marguerite Rosalie le Guay   25  
 
Blanchisseuse.
 
A Marie-Thérèse Albert   5  
 
Empeseuse et faiseuse de collerettes.
 
A la demoiselle Marie-Catherine Defforges   5  
A elle pour façon, fournitures et charbon   300  
 
Écuyer ordinaire.
 
Au sieur Dubourquet de Saint-Pardoux   300  
 
Porte-manteau.
 
Au sieur Martineau   150  
 
Valets de chambre.
 
A Jean Béranger   50  
A Didier Viard   50  
A Sorel   50  
A Renault   50  
 
Garçons de la chambre.
 
A Jean-Pierre Duval   25  
A Jacques Corset   25  
A Sébastien Thirgarder Duparc   25  
A Deshayes   25  
 
(p. 533) Valet de chambre tapissier.
 
A Antoine Jubin   75 #  
A lui pour fournitures   75  
 
Valets de garde-robe.
 
A Jean-Baptiste Vatel   25  
A Nicolas Vatel   25  
 
Portefaix.
 
A François Girard   7   10 s
A Camille   7   10  
 
Porte-chaise d'affaires.
 
A Catherine-Agathe Lefebvre, femme Longpré   50  
A elle, pour ses fournitures   15  
 
Argentier.
 
Au sieur de Laulhannier   100  
Somme totale   6,787 # 10 s
Garde de mon Trésor royal, M
e
Charles-Pierre-Paul Savalette de Langes, payez comptant au sieur Randon de la Tour la somme de six mille sept cent quatre-vingt-sept livres dix sols, pour employer au fait de sa charge même, icelle délivrer aux personnes dénommées au présent état, pour leurs gages pendant le quartier de janvier de la présente année.

Fait à Versailles, le 1er avril 1786.

Collationné.

Le baron de Breteuil.


IV
MEUBLES DE L'APPARTEMENT DE MADAME ÉLISABETH AU CHATEAU DE VERSAILLES EN 1787.

Première antichambre.

2 banquettes couvertes d'ouvrage de Savonnerie, fond bleu, dessin de diverses couleurs, de 6 pieds de long sur 18 pouces de profondeur, garnies de frange de soie torse de plusieurs couleurs; les bois peints, l'une en rouge et filets dorés, et l'autre en blanc.

2 tabourets de panne cramoisie, bois dorés.

1 lustre de fer à quatre branches peint en blanc, et binets en cuivre de 18 pouces de haut, avec un cordon de soie cramoisie et or.

1 commode de bois de noyer de 3 pieds ½ de long, 20 pouces de profondeur et 32 pouces de haut, ayant 4 tiroirs, dont 2 grands et (p. 534) 2 petits, fermant à clef, garnie d'entrées de serrures et portant de bronze en couleur d'or.

1 petite table de sapin pliante.

1 miroir de toilette à bordure de noyer.

1 chaise de paille.

1 paravent de 8 feuilles de 20 pouces sur 6 pieds de haut, couvert en toile d'Alençon cramoisie.

1 paravent de 6 pieds de haut à 6 feuilles de 20 pouces de large, couvert idem.

Deuxième antichambre.

1 portière du char à or de 2 aunes ¼ de cours sur 2 aunes 7/8 de haut.

1 portière semblable à la précédente.

2 tabourets de panne cramoisie à bois dorés.

1 tabouret de panne idem, bois peint en rouge et filets dorés.

1 paravent de 6 feuilles de 6 pieds de haut, couvert de drap rouge des deux côtés, cloué de cloux dorés sur galon d'or faux.

4 parties de rideaux de croisées de 2 lés, chacune de grosdetours cramoisi, sur 11 pieds 6 pouces de haut, bordées de galon de soie.

1 grille à 4 branches, pelle et pincette de fer.

1 petit lustre de grenailles et petites poires à 8 bobèches, monture dorée, 21 pouces de diamètre sur 32 pouces de haut, avec un cordon de soie cramoisie et or.

2 commodes plaquées de bois de rose et violette, chacune de 4 pieds de long, 23 pouces de profondeur sur 31 pouces de haut, ayant 4 tiroirs, dont 2 grands et 2 petits, fermant à clef, garnies d'entrées de serrures, portants et chaussons de cuivre doré d'or moulu, avec dessus de marbre brèche d'Alep, dont un cassé par le milieu.

1 table ronde ployante de bois d'acajou de 5 pieds de diamètre, couverte de velours verd, pieds tournés.

1 petite table à écrire de bois de noyer.

1 écritoire en pupitre portatif de bois rose et violet, garnie d'encrier, poudrier et boîte à éponge d'argent, argenterie non numérotée ni poids marqué.

1 commode de bois de noyer à 2 grands et 2 petits tiroirs, ornée de portants et entrées de serrures en couleur, avec dessus de marbre de 3 pieds ½ de large, 22 pouces de profondeur.

Pièce à côté pour les garçons de la chambre.

1 couchette à 2 chevets de 3 pieds de large, à fond sanglé, garnie (p. 535) de roulettes à galets.—Le coucher composé de: 1 sommier crin et toile à carreaux;

2 mattelas de laine et toile idem;

1 lit et 1 traversin de plume et coutil;

2 couvertures de laine;

2 rideaux d'alcôve à 4 lés chaque sur 11 pieds ½;

1 pente de 6 pieds de long, le tout de fleuret bleu et blanc;

2 parties de rideaux de croisée d'un lé chaque de toile de coton sur 6 pieds de haut;

1 table de hêtre avec un tiroir à la face de 3 pieds ½ de long, 2 pieds de profondeur;

6 chaises de paille satinée verd et blanc.

Cabinet, ou Pièces de nobles en été.

1 meuble de damas de Gênes cramoisi, orné de grand et petit galon, avec frange et molet en or, consistant en:

12 ployants garnis d'un grand galon de 20 lignes et d'un autre de 12 lignes, avec frange de 3 pouces, et les bois sculptés dorés;

1 paravent de 6 feuilles de 4 pieds de haut, orné des mêmes galons, et cloué à triple rang de cloux dorés sur galon d'or fin et charnières en étoffe;

1 écran sculpté et orné idem;

6 parties de portières de 3 lés chacune, ornés aux montants et travers du haut de molet et frange d'or par le bas, doublées de taffetas, sur 10 pieds de haut;

6 parties de rideaux de croisées de 2 lés chacune de grosdetours cramoisi, avec frange et mollet d'or idem, sur 12 pieds de haut;

6 parties de rideaux de vitrage d'un lé ½ chaque de mousseline rayée et brodée sur 4 pieds de haut;

2 encoignures de marqueterie plaquées en bois satiné et champ de bois d'amaranthe, ouvrant à un venteau dont le devant est orné d'un vase de fleurs plaqué sur fond de bois gris satiné, la frise à tiroir plaqué en bois vert, ornées de moulures, encadrements de panneaux ciselés, rinceaux, pieds et chûtes de pilastres, frise à entrelacs d'ornements, le tout en bronze doré d'or moulu et dessus de marbre fin de 25 pouces de profondeur sur 34 pouces ½ de haut;

2 lustres à 6 lumières de cristal de Bohême, montures dorées, de 26 pouces de diamètre sur 3 pieds 9 pouces de haut, avec:

2 cordons et 4 glands en soie cramoisie, ornés de cartisanne et couronnes;

(p. 536) 4 girandoles à 5 lumières de cristal de Bohême terminées par une fleur de lys, montures de cuivre doré, à trépied et plateaux en bronze doré, 30 pouces de haut, 16 pouces de large;

1 feu à 4 branches à recouvrement orné sur le devant de postes et doubles pilastres surmontés de cassollettes et couronne, boucliers posés au centre du recouvrement, le grand socle à consoles surmonté d'un vase à anses, orné de guirlandes, terminé par une flamme de bronze doré, 17 pouces de haut sur 17 de large;

2 paires bras de cheminée à trois branches, celles de côté torses et toutes trois fixées sur une gaîne ornée de palmettes, avec frises à entrelacs surmontées d'un vase à cannelure torse et à anses d'ornement terminé par un bouton de graine, 22 pouces de haut, 17 pouces de large, bassin à cannelure et festons;

1 belle pendule de cheminée en marbre blanc représentant un portique d'architecture orné dans la frise du bas de 3 bas-reliefs, l'un caractérisant la Paix, l'autre l'Abondance, et l'autre la Gloire tenant un buste oval, figure d'Henri IV; le portique orné de pilastres cannelés et moulures au contour du chapiteau à oves et dards, surmonté d'un vase à anses et paquets de laurier sur le ceintre du chapiteau, la pendule placée au centre du portique dans sa boîte à ornements; le tout de bronze doré au mat, ainsi que la lentille, figure de soleil, de 26 pouces de haut sur 15 pouces de face, par Lépine.

Pièce des nobles en hiver.

1 meuble de velours de soie cramoisi doublé de grosdetours cramoisi, orné de 2 galons d'or, dont 1 de 23 lignes et l'autre de 9 lignes ½, consistant en:

6 parties de portière de 3 lés chacune doublées de grosdetours et ornées des 2 galons, sur 10 pieds 4 pouces de haut;

1 paravent de 6 feuilles sur 4 pieds, charnière en étoffe, chaque feuille ornée des 2 galons, 1 rang de cloux dorés au pourtour et 1 rang idem sur le champ, sur galon d'or fin;

1 écran à coulisse, le châssis orné des 2 côtés des 2 galons d'or avec tresse et galon d'or, le bois sculpté doré;

11 pliants ornés des 2 galons et frange de 3 pouces en or, les bois sculptés dorés.

Les rideaux de croisées servent pour les deux saisons: voyez le meuble d'été à l'Inventaire.

Chambre à coucher en hiver.

4 parties de portières de 3 lés chacune, de velours, doublées de (p. 537) grosdetours cramoisi sur 2 aunes 7/8 de haut, ornées de 2 galons, dont 1 de 23 lignes et l'autre de 9 lignes ½ de large.

Chambre à coucher en été.

Un meuble de damas de Lyon verd, dessin à palmes, orné de grand et petit galon à la Bourgogne et frange d'or, suivant le détail ci-après, les pentes chantournées et soubassements ornés de broderie d'or.

1 tapisserie en 3 pièces galonnées de grand et petit galon d'or, contenant ensemble 47 pieds 9 pouces de cours sur 14 pieds 2 pouces de haut, doublée de toile.

1 lit à colonnes à 2 chevets de 5 pieds de large, 6 pieds ½ de long, 11 pieds 6 pouces de haut, impériale en voussure surmontée d'une corniche sculptée à feuilles d'acanthe et perles; la couchette à 2 dossiers chantournés à bois couvert, ainsi que les soubassements; le bois peint en blanc, ferrures apparentes, double-tringles et agraffes dorées, garniture de roulettes à équerre et chassis du fond sanglé.

Les étoffes composées d'une impériale et son petit fond à double galon, 4 petites pentes ornées de frange par le bas et petit galon par le haut; 4 grandes pentes ornées de grand et petit galon, frange de 4 pouces brodée en ornements sur le corps, 2 chantournés à double face brodés idem et ornés de grand et petit galon, 3 soubassements brodés, galonnés comme les grandes pentes avec frange par le bas; 4 rideaux de 7 lés chaque ornés de grand et petit galon sur les montants travers du bas et cantonnières, 4 foureaux des colonnes en damas, 4 embrasse-rideaux en gros cordon d'or avec glands idem;

1 courtepointe ornée d'un grand et deux rangs de petit galon;

2 rideaux d'entour de 7 lés chaque bordés au pourtour de petit galon et double-rang sur les montants des cantonnières du devant seulement en grosdetours verd.

Le coucher composé de:

4 malelats laine et futaine;

1 lit et 2 traversins de duvet et basin avec souilles de taffetas blanc;

4 parties de portières de 4 lés chacune, galonnées d'un grand et petit galon d'or, doublées de grosdetours, sur 10 pieds de haut;

2 parties de rideaux de croisées de 2 lés chaque en grosdetours verd, ornées d'un petit galon d'or au pourtour, sur 13 pieds de haut, rempliées à 11 pieds 6 pouces;

2 fauteuils pieds à gaine, cannelures torses sculptées de culots enfilés dans la ceinture du siége, idem aux accotoirs avec palmettes, feuilles d'eau à refend au pourtour du dossier, garnis et couverts (p. 538) comme le meuble avec grand et petit galons, cloués de cloux dorés sur galon d'or fin, les bois sculptés dorés;

2 carreaux ornés de 1 grand et 2 petits galons avec 4 glands d'or aux coins desdits;

8 ployants garnis de large galon et frange d'or; 1 écran garni de large galon et d'un gland d'or avec sa tresse de soie verte; 1 paravent de 6 feuilles à bois couvert des 2 côtés, garni d'un grand galon d'or, et triple rang de cloux doré sur galon d'or fin, sur 4 pieds de hauteur; le bois sculpté doré; le tout avec housses de grosdetours;

1 marchepied à 2 degrés de damas cramoisi avec sa housse de grosdetours verd;

1 commode de marquetterie à dessus de marbre verd campan, ayant 5 tiroirs dont 2 grands et 3 petits dans la frise, plaqué en bois verd, 4 paneaux de côté en bois satiné avec filets noir et blanc et champ de bois d'amaranthe, une table saillante au milieu, représentant un trophée pastoral et vase en placage sur fond de bois gris satiné, les arrière-corps en mosaïque de bois ombrés sur fond même bois; ladite commode ornée de socle, pieds à rouleaux et palmettes ornées de gaine, chûtes et paquets de laurier, cadres de panneaux, moulures unies à chapelets et feuilles, rais-de-cœur, et rosettes guirlandes de laurier et chûtes en paquet, portants à ornements et corbeilles, la frise du centre en entrelacs, à rosettes et culots, le tout de bronze doré d'or moulu, longue de 5 pieds ½ sur 25 pouces de profondeur et 37 pouces de haut;

1 feu dont la grille à 4 branches en 2 parties de fer poli de 23 pouces de profondeur, ayant chacune sur le devant une forte garniture à recouvrement de bronze ciselé et doré d'or moulu, orné d'entrelacs et rosettes, et sur le dessus d'une volute à palmettes et laurier en paquet, et petit vase à anse de 15 pouces de haut, le grand socle à piédouche orné de guirlandes de fleurs, d'entrelacs dans la frise, surmonté d'un fort vase à cannelures et godrons, guirlandes de laurier à anses et tête de bélier, terminé par un bouton de graine, 22 pouces de haut sur 18 pouces de face, avec pelle, pincette et tenaille garnies de boutons de cuivre ciselés et dorés;

1 lustre de cristal de Bohême à 8 lumières accouplées sur double bobèche, monture dorée, 32 pouces de diamètre sur 3 pieds 6 pouces de haut, avec 1 cordon et 2 glands de soie verte et or, orné de cartisanne d'or;

2 paires de bras à 3 branches, celles de côté torses, ornées de palmettes et graine, cannelure et godrons, binets à festons, la gaine à (p. 539) palmettes et culots avec frise à entrelacs surmonté d'un bouton de graine, 22 pouces de haut, 18 pouces de large;

1 belle pendule de cheminée en marbre blanc, architecture et chapiteau, le socle orné de frises à entrelacs d'ornements, porté par 8 piédouches, une double frise idem avec moulure, ciselés, surmontés de 2 enfants soutenant le chapiteau et portant une guirlande de fruits et fleurs, le dessous du chapiteau orné d'oves et surmonté d'un nuage et de deux enfants, l'un tenant une couronne et l'autre traçant une carte géographique, la pendule placée au centre du chapiteau avec son cadre de bronze ciselé doré d'or mat, 19 pouces de haut, 21 pouces de face;

1 écran de bois d'acajou à châssis de taffetas verd;

2 rideaux de vitrage d'un lé ½ chaque, de mousseline rayée et brodée sur 4 pieds de haut.

Meuble d'hyver.

Un meuble de velours de soie cramoisi orné de frange et galon d'or, consistant en:

1 lit à la duchesse, composé de trois grandes et 4 petites pentes enrichies de feuilles et ornements de broderie, et de 2 galons d'or garnies de grande frange d'or, fond grand, dossier chantourné aussi brodé en or, bonnes-grâces en dedans et au dehors, courtepointe garnie de sesd. 2 galons et 3 soubassements garnis desd. galons et frange, et 2 rideaux sur 3 au. ¼ de haut, garnis desd. galons et doublés de grosdetours cramoisi, avec 4 pommes, 4 bouquets de plumes et 4 aigrettes.

Le bois du lit à fond sanglé en 2 parties dont les vis sont dorées, de 5 pieds de large, 6 pieds 4 pouces de long, sur 12 pieds ½ de haut.

Le coucher:

3 fauteuils à carreaux, 12 ployants, 1 écran, 1 paravent de 6 feuilles sur 4 pieds de haut; garni d'un galon d'or avec une tresse à l'écran, les bois sculptés dorés;

4 portières (pour cet article, voir, page 536, Chambre à coucher en hiver: 4 parties de portières, etc.)

4 parties de rideaux de croisées de 2 lés chacune de grosdetours cramoisi, garnis de galon d'or sur 13 pieds de haut.

Pièces tapisserie, dessin de Teniers, de la manufacture de Beauvais.

Grand cabinet.

Un meuble de grosdetours fond blanc à bouquets et ruban bleu brochés, encadré de bordures de même étoffe, dessein à treillage (p. 540) verd et fleurs, profilet de milleret verd, et orné d'une crête de soie nuée assortie, consistant en:

1 lit de repos de 6 pieds de long et 27 pouces de profondeur, garni à plateforme, 1 matelas portant son soubassement drapé, orné de frange et glands, 3 oreillers avec 4 glands chacun; les oreillers garnis de mouchoirs de taffetas blanc.

Au dessus dud. lit de repos: 1 pente drapée de 6 pieds de long avec écharpe de 2 pieds 6 pouces, frange et 8 galons doublés de grosdetours blanc, 2 écharpes doubles en bonnes-grâces de 2 lés chaque, encadrées, ornés de molets et frangeou doublées de taffetas blanc avec cordon et 6 glands de 9 pieds de haut;

5 cordons de soie nuée, dont 4 avec glands.

2 bergères quarrées, 2 bergères ceintrées, 8 fauteuils, 6 chaises, à carreaux, 1 chaise sans carreau, 1 écran à chapeau, garnis de crête, les bois sculptés à rais-de-cœur et perles à la ceinture, pieds à gaine, palmettes et pilastres aux consoles rais-de-cœur, ficelle et pommes de graine au dossier peint en blanc avec mouchoir de taffetas blanc.

A la croisée: une pente drapée et ses deux écharpes de 3 pieds de long, 2 doubles écharpes en bonnes-grâces encadrées et bordées de molet et frangeou de 12 pieds de haut, garnies de 12 glands, cordon et nœuds d'embrasses;

2 parties de rideaux de croisée de 2 lés de grosdetours blanc, avec grande bordure et molet de soie nuée;

2 parties de rideau de vitrage de 2 lés chacun de taffetas blanc sur 5 pieds de haut;

1 chaise de damas bleu, clouée de cloux dorés sur bois à moulures, pieds à gaine peint en blanc;

3 petits écrans de bois d'acajou avec châssis de taffetas cramoisi;

1 lustre à 6 lumières de cristal de roche, monture dorée, garniture de grenailles à rosette et en filage et poire depuis 3 pouces ½ à 2 pouces, la boule de 3 pouces ½ de diamètre, le lustre de 25 pouces de diamètre sur 36 pouces de haut, avec 1 cordon, 1 rosasse et 1 gland de soie nuée ornés de cartisane;

1 feu à 4 branches et à recouvrement avec frise sur le devant ornées à entrelacs à rosettes, culots et cadres de perles, le dessus orné de branches et fruits de vigne, sur le dedans un socle à colonne cannelée sur piedouche, surmonté d'un nuage et de 2 tourterelles; le grand socle à cannelures et tigettes avec guirlandes de fleurs et fruits de vigne, surmonté d'un vase à cassolette à trépied et tête de satyre; (p. 541) le corps de la cassolette à cannelures torses, terminé par une flamme, 17 pouces de haut sur 16 pouces de large, bronze doré, pelle, pincette et tenaille à boutons dorés;

2 paires de bras à trois branches, celles de côté torses, ornées de palmettes et graine, cannelures et godrons, binets à festons, la gaine à palmettes et culots avec frise à entrelacs surmonté d'un vase à anses et cannelures torses, terminé d'un boulon de graine, 22 pouces de haut, 18 pouces de large.

A la croisée, 1 store de 6 pieds 6 pouces de large, avec son taffetas de 12 pieds de haut.

Garde-robe.

1 table de nuit de bois d'acajou à 2 tablettes de marbre blanc veiné, ayant un tiroir à droite à bouton et rosette de bronze en couleur.

Escalier qui conduit du grand cabinet à la bibliothèque.

Les marches couvertes en moquettes.

Le mur tendu en gros de tour bleu.

La rampe garnie et couverte de fleuret bleu.

1 cordon d'écuyer en fil bleu.

Pièce du billard et bibliothèque.

Un meuble de damas (de Lyon) verd et blanc, dessin à figures à enfants, cascades et fleurs, orné de frange, glands, cordon et crête à la niche.

1 pente et 2 doubles écharpes de 6 pieds 4 pouces de haut, le tout de 22 pouces de long, doublées de grosdetours verd avec cordon, 10 glands, 2 nœuds et une cocarde.

1 banquette à plateforme de 6 pieds 2 pouces de long sur 27 pouces de profondeur, avec son matelas, le devant relevé en draperie avec 8 glands; 3 oreillers garnis de 4 glands chacun, 2 rondins avec 2 glands à chacun.

1 canapé à joncs fermé de 5 pieds 6 pouces, garni à plateforme avec son matelas, soubassement drapé orné de frange et 6 glands, 2 carreaux et 2 rondins garnis de glands; le tout en damas verd et blanc, orné de crête assortie, le bois à moulures peint en blanc.

2 bergères, 8 fauteuils, à carreaux, 1 écran à chapeau, couverts dudit damas, ornés de crête assortie clouée, bois à moulures peints en blanc.

1 pente drapée formant le ceintre de la croisée, ornée de 8 glands et 1 nœud.

(p. 542) 1 tapis de pied à moquette, dessin cordon jaune à médaillons de 9 lés et 2 bandes, non compris bordure sur 16 pieds.

1 embrassement de croisée de 4 lés sans bordure sur 7 pieds 6 pouces de long, doublé de toile.

1 bureau plaqué de bois satiné et amaranthe de 4 pieds 3 pouces de large, 24 pouces de profondeur et 26 pouces de haut avec roulettes sous les pieds, une tablette entre les pieds, ceintrée, 3 tiroirs par devant, fermant à clef, dans l'un une écritoire portative ornée de bronze de 9 pouces sur 5 pouces ½, garnie d'encrier, poudrier, boite à éponge de cuivre doré, les pieds à gaine, le dessus de maroquin verd avec vignette d'or au pourtour, une balustrade à jour par 3 côtés, ainsi que la tablette du dessous, avec cadres de panneaux et des pieds en gaine et anneaux de cuivre ciselé, doré d'or moulu.

1 feu à 4 branches et à recouvrement porté sur piédouche orné dans la frise de rinceaux et épis, et sur le dessus d'entrelacs surmontés d'une coque et d'œufs unis, le grand socle avec frise à épis, surmonté d'un vase uni avec anneaux et chaînes, terminé d'une flamme, 15 pouces de hauteur sur 14 pouces ½.

2 paires de bras à 3 branches, dont 2 à cannelures, la 3e composée de branches, feuilles et fruits de laurier, le tout lié d'un ruban sur le carquois auquel est réuni un arc, le tout portant 30 pouces de haut sur 13 pouces de large, à carquois et flèches de bronze doré, or moulu.

1 billard en bois de chêne couleur d'acajou, 5 pieds 9 pouces sur 11 pieds de long, couvert de son drap vert cloué de cloux dorés sur galon d'or fin, et garni de tous ses accessoirs.

1 housse de basanne jaune doublée de toile verte.

1 banvole de bois de chêne, cordon de banvole en soie verte et gland au milieu idem.

Cabinet près la pièce des bains.

Un meuble de damas cramoisi et blanc (de Lyon), dessin à cartouche de fleurs et ruban, corbeilles suspendues et bouquets au centre, orné de frange, crête et glands.

7 pièces de tapisserie produisant ensemble 12 lés sur 7 pieds de haut, bordée chacune d'une crête de soie nuée.

4 parties de rideaux de 4 lés ½ chacune, doublées de taffetas blanc, bordée de crête sur 10 pieds de haut, avec 4 nœuds et 8 glands.

1 fauteuil quarré, 4 cabriolets, 2 chaises à la Reine; ces siéges sont (p. 543) à carreaux couverts dud. damas, cloués de cloux dorés à olive avec nervure, les bois sculptés peints en blanc, avec mouchoirs de taffetas blanc.

4 rideaux de vitrage d'un lé ½ chaque, de mousseline rayée et brodée sur 3 pieds de haut.

2 idem de porte-vitrées d'un lé, plissés haut et bas sur 4 pieds de haut.

2 autres idem sur 6 pieds ½ de haut.

2 cordons de sonnette et 2 glands de soie cramoisi et blanc.

1 encoignure de marquetterie à 1 venteau plaqué en bois de palixandre, panneau et arrière-corps en mosaïque ombré sur fond de bois gris satiné, la frise du bas en bois gris, celle du haut en bois verd, pilastres des pieds en bois gris à filets; le tout orné de sabots à palmettes, rinceaux et moulures, quart de rond à godrons, cadres, panneaux à rais-de-cœur, rosettes aux angles, la frise du milieu à cannaux et tigettes, celles de côté à entrelacs d'ornements, rosasses de soleil dans les cases, 1 médaillon au milieu du panneau du centre composé de nuages, carquois et tourterelles au cadre, branches de laurier et nœud en ruban, le tout en bronze doré d'or au mat, avec dessus de marbre blanc veiné de 19 pouces de profondeur sur 34 pouces de haut.

Bras de cheminée à 1 branche garni à cannelures et tigettes, porté par une écharpe liée sur un clou de bronze doré, de 13 pouces de haut.

1 feu à 4 branches à recouvrement anglois orné dans la frise d'entrelacs en balustres à jour surmonté de cornes de brandons à cannelures, terminées de flammes, 10 pouces de haut et 10 pouces de large, avec pelle et pincette ornées de boutons.

Boudoir.

Un meuble de damas cramoisi et blanc de Lyon, dessin à cartouche de fleurs et ruban, corbeilles suspendues et bouquets au centre, orné de frange, crête et glands.

4 pièces de tapisserie produisant ensemble 8 lés sur 7 pieds de haut, bordée de crête de soie unie.

1 lit de repos ou banquette ceintrée dans le pourtour de la croisée, de 6 pieds 8 pouces du derrière et le retour de 4 pieds chaque côté, 9 pouces de hauteur de siége, pieds à gaine cannelés, peint en blanc, garni à plateforme, un carreau de duvet et coutil avec soubassement (p. 544) en draperie garnie de frange avec cordon et 12 glands chacun et mouchoirs de taffetas blanc.

1 pente et 2 écharpes de 6 pieds 4 pouces de haut doublées en taffetas blanc, ornées de frange avec cordon, 12 glands et 1 nœud.

2 rideaux de 4 lés chaque, bordés de crête, doublés de taffetas blanc.

2 nœuds, cordon et 1 glands.

3 grands fauteuils, 1 bergère, 4 chaises, à carreaux couverts idem, cloués de cloux dorés à olives avec nervure, les bois sculptés, peints en blanc et mouchoirs de taffetas blanc.

4 cordons de sonnette et 4 glands.

2 rideaux de vitrage de 2 lés, mousseline rayée et brodée sur 3 pieds de haut.

2 bras à une branche, garni, à cannelures et tigettes, portés par une écharpe liée sur un clou, de bronze doré de 30 pouces de haut.

1 feu à 4 branches à recouvrement porté sur 4 pieds cannelés avec frise en soubassement orné de palmettes et feuillage, surmonté d'un rang de perles, le dessus du socle orné d'un sphinx, et draperie en bronze doré, or moulu, 10 pouces de haut sur 10 pouces ½ de large, pelle, pincette ornées de boulons dorés.

PREMIÈRE FEMME DE CHAMBRE.

Chambre.

Un meuble de toile peinte, fond dessin courant de roses et diverses fleurs, bordé en galon de soie verd, composé de:

2 pièces de tapisserie, ensemble 10 lés, sur 6 pieds 4 pouces de haut;

1 lit en niche de lad. toile, composé de 3 dossiers, 1 fond sur son chassis et la tringle, 1 pente de dehors, 4 pentes de dedans, 2 rideaux de 3 lés chacun sur 8 pieds 10 pouces de haut, doublées de toile Laval blanche, 2 chantournés doublés de toile d'Alençon écrue, 1 courtepointe festonnée et 2 mains, le tout de toile Laval bordé de galon de soie verd;

La couchette peinte en blanc à 2 chantournés, roulettes à galets, coulisses dessous, et fond sanglé de 6 pieds de long, 3 pieds 4 pouces de large;

Le coucher composé d'un sommier crin et toile, 2 malelats laine et futaine, 1 lit et 1 traversin de plume et coutil, un traversin de toile et crin, et 2 couvertures 5 points;

(p. 545) 1 bergère en cabriolet à carreau, 2 fauteuils en cabriolet garni, 4 chaises à la Reine idem, couverts de lad. toile avec crête de soie nuée, bois à moulures, peints en blanc;

1 secrétaire en armoire de bois de noyer couleur d'acajou, de 2 pieds ½ de large sur 4 pieds ½ de haut, avec dessus de marbre blanc veiné avec garniture à anneaux dorés d'or moulu;

1 commode de bois de noyer couleur d'acajou à 3 grands tiroirs fermant à clef, garnie d'anneaux et entrées de cuivre en couleur d'or de 3 pieds ½ sur 22 pouces de profondeur, avec dessus de marbre blanc veiné;

1 table à écrire de bois de noyer de 27 pouces de large;

1 demi-toilette en bois de noyer et sa garniture complette, de 29 pouces de large, 16 pouces ½ de profondeur, et garniture complette ordinaire;

2 chaises de paille satinée verd et blanc;

1 grille à 4 branches, pelle et pincette de fer poli, garniture en cuivre.

Salon.

2 pièces de tapisserie contenant ensemble 7 lés ½ de toile peinte sur 7 pieds de haut, pareille à celle du meuble de la chambre.

1 canapé à jonc de 6 pieds de long, garni à la plateforme avec un matelas et 2 oreillers de paille à carreaux de fonds et dossiers de lad. toile.

1 bergère en bois de tourneur, dossier à carreau et jonc, fermée, fond de paille et plateforme, avec son carreau en plume de lad. toile.

2 chaises à la Reine garnies, bois à moulures, peints en blanc, couvertes de lad. toile.

1 rideau d'un lé ½ de toile de coton sur 3 pieds ½ de haut.

1 grille de fer à 4 branches avec pelle et pincette de fer poli.

1 lit dans une armoire sur un fond sanglé à bascule, garni de 2 matelas laine et toile, 1 traversin plume et coutil, 2 couvertures laine blanche.

Petite pièce à côté.

1 commode en bois de noyer à pieds tournés, 2 grands et petits tiroirs, garniture à anneaux ciselés à perles, entrées de serrures de bronze en couleur de 3 pieds ½ de large sur 20 pouces.

1 miroir de toilette à bordure de noyer, garni d'équerres et charnières de cuivre de 14 pouces sur 12 pouces.

1 bidet à planche de bois de noyer. (p. 546) 2 chaises d'affaires en pot à oille en bois idem.

3 chaises de paille satinée verd et blanc.

1 dite à la capucine.

Garde-robe aux atours.

1 lit à colonnes de 4 pieds de large, 6 pieds de long et 6 pieds de haut, en fleuret rayé bleu et blanc.

Les étoffes composées d'un fond, 4 petites et 3 grandes pentes, un dossier, 2 rideaux de 7 lés chacun, 2 bonnes-grâces d'un lé ½ sur 6 pieds de haut, 1 chantourné, 1 courtepointe, 2 mains, 4 fourreaux de colonnes, 4 petites et 2 grandes pentes.

La couchette à 1 chevet, fond sanglé et roulettes à galets.

2 matelas, dont un de futaine, 1 sommier crin et toile de Flandre, 1 lit de plume en coutil, 1 traversin de idem, 2 couvertures de laine blanche, [le tout] de quatre pieds de large.

Deux parties de rideaux d'un lé et demi chaque, sur 6 pieds 4 pouces de haut.

4 fauteuils en cabriolet couvert de moquette bleue et blanche, les bois vernis.

Une table à quadrille pliante, couverte de drap verd; le dessus plaqué en damier en bois de merisier et filet.

6 chaises de paille fine.

Pour domestique.

1 lit de sangle de 3 pieds de large, 6 pieds de long, garni de 2 matelas laine et toile, 1 traversin de plume et coutil, 2 couvertures de laine.

1 grille à 4 branches à 2 pommes, le tout de fer poli.

argenterie marquée E.
Chambre.
Vermeil.
  M. Onc. Gros.
Un crachoir 2 5 6
Deux flacons et leurs bouchons 4 3 »
Deux boites à poudre couvertes 6 » 2
Une tasse couverte et sa soucoupe 6 » 5
Deux gobelets couverts et une soucoupe 4 5 7
Un pot à l'eau et sa jatte ovale 9 5 »
Deux boites à mouches 1 6 2
Un coffre aux racines 1 5 6
(p. 547) Un pot à pâtes » 5 2
Deux couverts composés chacun d'une cuiller, fourchette et couteau, pesant 1 5 2
Quatre flambeaux de 7 pouces ½ de haut 10 4 5
Un petit bougeoir 1 2 6
Six assiettes chantournées 16 » 2
La garniture du miroir de toilette 9 » »
Deux flambeaux de poing 11 7 1
Une gantière 6 4 6
Un benitier 1 5 1
Deux petites cuillers à café » 2 7
  96 6 4
 
Argent blanc.
 
12 flambeaux modèle pareil à ceux du Roi, haut de 9 pouces 2 lignes, avec bobêches 42 4 7

V.
ÉTAT DES DIAMANTS ET PERLES APPARTENANTS A MADAME ÉLISABETH.

Article 1er. Une grande paire de girandoles à trois poires composée de cent trente-six brillants.

Art. 2. Cinq boucles de corset composées de quatre-vingts brillants.

Art. 3. Une montre avec des cercles en diamants et sa chaîne aussi en diamants; la montre et la chaîne sont composées de cent quarante-trois brillants.

Art. 4. Une paire d'anneaux montée en chaîne, composés de vingt brillants.

Art. 5. Douze gerbes composées de neuf cent soixante-six brillants.

Art. 6. Cent soixante et un châtons de brillants montés à jour.

Art. 7. Un anneau en diamants, monté à jour, composé de treize brillants.

Art. 8. Deux bagues formant huit pans avec un gros diamant sur les compositions. Plus une bague à cheveux avec un entourage composé de seize brillants.

Art. 9. Une chaîne en perles et diamants avec deux barettes; la (p. 548) première barette est composée de deux brillants: la grande barette est composée de cinq brillants; les glands, la clef et les porte-mousquetons de ladite chaîne sont garnis de petits brillants.

ÉTAT DES PERLES.

Article 1er. Une paire d'anneaux enfilée composée de quarante-deux perles.

Art. 2. Une paire de catenats, montée en or avec dix perles sur le milieu du catenat et trente-six sur les côtés: les douze rangs de perles desdits catenats sont composés de deux cent quatre-vingt-huit perles.

Art. 3. Cinq boucles de corsets montées en or composées de cent dix perles.

Art. 4. Un médaillon avec un portrait entouré de vingt-quatre perles.

Art. 5. Un esclavage composé de cent dix perles.

Plus cinq rangs de perles composés de trois cent trois perles.

Plus un petit rang composé de neuf perles médiocres.

Plus un anneau monté en or avec des perles.

Plus une bague à cheveux avec une perle sur le milieu du cristal.


VI.
ÉTAT DES DISTRIBUTIONS.

Étrennes.
 
Aux cochers et postillons de la grande écurie   48 #
Aux grands valets de pied   24  
Aux petits valets de pied   24  
Aux cochers de la petite écurie   24  
Aux postillons de la petite écurie   12  
Aux palfreniers de la petite écurie   12  
Aux porteurs du Roi   24  
Aux valets de pied de la Reine   24  
Aux cochers et postillons de la Reine   24  
Aux porteurs de la Reine   12  
 
Écurie de Monsieur.
 
Aux valets de pied   24  
Aux cochers et postillons   24  
Aux porteurs   12  
 
Écurie de Madame.
 
Aux valets de pied   24  
Aux cochers et postillons   24  
Aux porteurs   12  
 
Écurie de Mgr comte d'Artois.
 
Aux valets de pied   24  
Aux cochers et postillons   24  
Aux porteurs   12  
 
Écurie de Madame comtesse d'Artois.
 
Aux valets de pied   24  
Aux cochers et postillons   24  
Aux porteurs   12  
 
Garde-meuble.
 
Aux garçons du garde-meuble   48  
Aux garçons de boutique   18  
(p. 549) Au suisse du garde-meuble   12  
Au suisse du côté du Roi   24  
Au suisse du côté de Madame   24  
Au suisse de la patrouille   12  
Au suisse de la chapelle   12  
Au suisse des cariolles   12  
Au suisse des bosquets   12  
 
A plusieurs garçons.
 
A l'allumeur   6  
Au balayeur des cours   6  
Au garçon des glacières   12  
Au porteur de bois   12  
Au fontainier   18  
Aux deux frotteurs de l'appartement de Madame   24  
Pour les balais   24  
Au jardinier de l'Orangerie   9  
Au facteur   12  
Aux garçons apothicaires   48  
 
Aux gardes françoises, suisses et autres.
 
A la musique et tambours des gardes françoises   48  
Aux mêmes des gardes suisses   48  
Au tambour du guet de Paris   12  
Au tambour de la ville de Paris   12  
Au tambour des Invalides   12  
 
Aux Couvents.
 
Aux Capucins de Meudon   12  
A la Charité de Paris   12  
 
Gobelet.
 
Aux garçons du gobelet   60  
A l'homme chargé de l'eau de Ville d'Avrai et la glace   12  
 
Bouche.
 
Aux garçons de la bouche   60  
Aux garçons de vaisselle   24  
Aux laveurs de vaisselle   12  
Au linger   24  
Aux garçons servants   72  
A Maurice   24  
Au commissionnaire de la chambre   24  
A Mme Birebome   24  
A la jardinière de Sceaux   6  
Au porte-table   24  
Aux ramoneurs   12  
Au courrier de la petite écurie   12  
A Gedon   6  
Aux frotteurs du Roi   12  
A la porteuse d'eau   12  
Aux ouvriers des latrines   6  
Aux poissardes de Paris   24  
Aux poissardes de Versailles   24  
Aux garçons allumeurs de l'appartement   24  
Aux commis des bâtiments, pour les réverbères   12  
Aux gondoliers   72  
Au domestique de M. Bourdet   12  
Pour la bûche de Noël   48  
A l'homme qui monte le charbon chez Madame   12  
Au boulanger de la Reine   24  
Au frère carme qui apporte une boëte d'eau   24  
Pour le Journal de Paris   33  
A celui qui l'apporte   3  
Au fontainier qui fournit l'eau des réservoirs des bornes   12  
Au laveur des marbres pour toute l'année   12  
A l'homme qui apporte la Gazette   6  
Au garçon de Mlle Moulliard   6  
Total des étrennes   1743  
 
Étrennes de la Petite Maison.
 
A M. Sulot   240  
A Mme Fleury   192  
A Mme Ducoudret   144  
A sa domestique   24  
Au frotteur   72  
Au suisse   72  
A Coupery, premier garçon jardinier   96  
Au deuxième garçon   72  
A la fille de basse-cour   48  
Au fontainier   12  
A la sœur de Coupery   48  
Total   1020  
 
(p. 550) A la fête des jardiniers, à Coupery   72  
Au second garçon   48  
Aux ouvriers   108  
  228  
 
Pâques.
 
Pour la palme   24  
A Notre-Dame pour la permission de faire gras   120  
Pour les pâques, à chaque paroisse 120#   240  
Aux pauvres de Noyon   24  
Aux 13 couvents de Ste-Claire, à chacun 6#   78  
Pour la Terre sainte   6  
Pour la confrairie de Courbevoie   6  
A l'Ave-Maria d'Alençon   6  
A l'Ave-Maria de Pont-à-Mousson   6  
A l'écaillier, à la mi-carême   24  
  534  
 
Pain béni.
 
Pain béni du Roi   12  
Pain béni de la Reine   12  
Pain béni de Monsieur   12  
Pain béni de Madame   12  
Pain béni de Mgr comte d'Artois   12  
Pain béni de Mme comtesse d'Artois   12  
Pain béni de Madame Élisabeth   12  
Pain béni de Madame Adélaïde   12  
Pain béni de Madame Victoire   12  
Pain béni de Monsieur le duc d'Orléans   12  
Pain béni de Monsieur le duc de Penthièvre   12  
  132  
 
Mois de février.
 
Pour le cierge de la Passion   24  
Pour celui du Saint-Sépulcre   24  
Pour celui de Notre-Dame de Bonne délivrance   24  
  72  
 
Mois de mai.
 
Pour les oranges   24  
Tambours et musique des gardes françoises   48  
Tambours et musique des gardes suisses   48  
Tambours du guet de Paris   12  
Tambours de la ville de Paris   12  
Tambours des Invalides   12  
Pour le beurre de mai   18  
Pour le changement de meuble d'été   24  
Pour le menuisier   12  
Pour le serrurier   12  
Pour le vitrier   12  
Pour la brioche des tailleurs de pierre   12  
  246  
 
Mois de juin.
 
Pour les pains de fleurs d'orange   24  
Pour l'eau de fleurs d'orange   24  
  48  
 
Mois de juillet.
 
Pour les brioches au porteur du Roi   24  
Au porteur de la Reine   12  
Au porteur de Monsieur   12  
(p. 551) Au porteur de Madame   12  
Au porteur de Mgr comte d'Artois   12  
Au porteur de Mme comtesse d'Artois   12  
Pour la brioche de la confrairie de St-Christophe   12  
  96  
 
Mois d'août.
 
Pour le pain béni de St-Roch   12  
Aux Filles de l'Ave-Maria, Capucines de Paris   24  
Tambours et musique des gardes suisses   48  
Tambour du guet   12  
Tambour de la ville de Paris   12  
Tambour des Invalides   12  
Aux poissardes de Paris   24  
Pour le pain béni de la confrairie de St-Roch   12  
Pour le pain béni de la confrairie de St-Louis   6  
  210  
 
Mois d'octobre.
 
Aux Frères des Bons-Hommes, pour du muscat   6  
Pour le raisin d'Alexandrie   12  
Pour le raisin de M. de Talaru   24  
  42  
 
Mois de novembre.
 
Au suisse du garde-meuble pour le changement d'hyver   24  
Aux Hermites de Sénart   120  
Au menuisier   12  
Au serrurier   12  
Au vitrier   12  
Aux porteurs de Madame, pour les chaussons   24  
Pour la confrairie de l'Immaculée Conception, au mois de décembre   24  
Pour la brioche de Ste-Geneviève   12  
Pour le pain béni de St-Antoine, au mois de janvier   6  
  246  
 
Voyage de Marli.
 
Au porteur du Roi   24  
Aux valets de pied   24  
Aux filles de garde-robe   18  
Aux premier et second frotteur   24  
A M. le curé, pour les pauvres   120  
Au facteur   6  
Aux porteurs bleùs   12  
Aux suisses de patrouille   6  
Aux balayeurs, frotteurs et allumeurs   36  
Aux Sœurs-Grises   96  
Au balayeur de la chapelle St-Louis   6  
Aux gardes-bosquets   12  
 
Garde-meuble.
 
Au concierge   48  
Au garçon de boutique   9  
A celui qui entre et ôte les lits   9  
Au garçon du garde-meuble   48  
Au Cordelier qui dit la messe   24  
Au matelassier   6  
Au garçon de fourière   6  
Au jardinier   9  
Au fontainier   12  
Au petit clerc qui porte l'eau bénite   3  
Aux suisses qui passent la nuit au salon   12  
Autre suisse du salon   12  
Au suisse de la chapelle   12  
Au suisse de la chapelle du commun   12  
Au suisse de la paroisse   6  
 
(p. 552) Gobelet.
 
Aux aides du gobelet.   24  
Au maître d'hôtel qui sert les femmes.   24  
Au maître d'hôtel des hommes.   12  
Au garçon de vaisselle.   12  
Au laveur.   6  
A la lingerie.   12  
Au garçon linger.   6  
A Buffigney, porte-table.   6  
Au porte-table de Madame.   3  
Total du voyage de Marli   717  
 
Voyage de Compiègne.
 
A M. Bonneval pour les gardes-chasse.   120  
A la concierge du grand château.   120  
Aux deux inspecteurs des bâtimens.   120  
Aux deux suisses du château.   24  
 
Garde-Meuble.
 
Aux garçons du garde-meuble.   72  
Au suisse du garde-meuble porteur.   24  
Au garçon de boutique.   12  
Au commis du garde-meuble mis par M. de Pommery.   48  
 
A l'Église.
 
Au curé de St-Jacques.   48  
Au curé de St-Antoine.   48  
Aux Sœurs de la Charité de St-Jacques.   24  
Aux Sœurs de la Charité de St-Antoine.   24  
A l'Hôpital général.   24  
A la tourière des Carmélites.   9  
A la tourière de St-Marie.   9  
A la tourière de l'Hôtel-Dieu.   9  
Aux Jacobins.   9  
Aux Cordeliers.   9  
Aux Capucins.   24  
Aux prisonniers.   24  
Au suisse de St-Jacques.   12  
Au bedeau de St-Jacques.   12  
Aux Frères des écolles.   12  
Aux Minimes.   9  
Au suisse de St-Corneille.   9  
Aux Carmélites.   240  
Pour la quête des fêtes et grandes messes.   288  
Pour les quêtes de St-Jacques.   120  
 
A plusieurs garçons.
 
A l'inspecteur pour distribuer aux ouvriers, chacun 6 fr.   60  
A l'allumeur.   6  
Au balayeur.   6  
A celui qui nettoye les privés.   6  
A l'homme des glacières.   6  
Au valet de ville.   12  
Au jardinier.   6  
Aux tambours de ville.   6  
Au portier de la terrasse.   6  
Au frotteur du château.   12  
Au pompier.   6  
Au poseur de sonnettes.   6  
Au facteur.   6  
Au garçon de fourière.   6  
Aux deux garçons qui apportent le bois.   6  
 
Écurie.
 
Aux porteurs de Madame.   24  
Aux valets de pied.   48  
Aux courriers.   48  
 
Gobelet.
 
Aux aides du gobelet.   24  
Au garçon de vaisselle.   12  
Au laveur de vaisselle.   12  
Au garçon qui apporte la glace.   12  
Au linger.   6  
 
Bouche.
 
Aux aides de la bouche.   24  
Aux garçons servants.   24  
Pour le boudin de sanglier.   18  
 
Pain béni.
 
Celui du Roi.   12  
Celui de la Reine.   12  
Celui de Monsieur.   12  
Celui de Madame.   12  
Celui de Mgr comte d'Artois.   12  
(p. 553) Celui de Madame comtesse d'Artois   12  
Celui de Madame Élisabeth   12  
Celui de Madame Adélaïde   12  
Celui de Madame Victoire   12  
Gratification aux valets de garde-robe   120  
Total du voyage de Compiègne   3720  
 
Voyage de Fontainebleau.
 
Au concierge du grand château, cour royale   120  
Au concierge de la cour du Cheval blanc   36  
Au concierge de la cour des cuisines   36  
A l'inspecteur des bâtimens   96  
Au suisse du château   18  
Aux gardes-chasses   96  
A l'inspecteur des bâtimens, pour distribuer aux ouvriers   60  
Au balayeur   6  
Au fontainier et plombier   6  
Aux frotteurs de Madame Élisabeth   24  
Au garçon de fourière   6  
Au porteur d'eau   6  
A celui qui nettoye les privés   6  
A l'allumeur   6  
A celui qui apporte le sucre d'orge de Moret   12  
Au frotteur de Fontainebleau   12  
Pour le boudin de sanglier   18  
Au facteur   6  
Au jardinier de l'orangerie   12  
Au jardinier du potager   12  
Aux paysans de la Fontaine-Madon   48  
Au ramoneur   6  
Aux journailliers qui passent les nuits de veille   12  
 
Garde-meuble.
 
Aux garçons du garde-meuble   72  
Aux garçons de boutique   24  
Aux portefaix du garde-meuble   24  
Aux commis du garde-meuble   48  
 
A l'Église.
 
Aux Carmes des Basses-Loges   48  
Aux Filles bleues   96  
Au curé de la paroisse   48  
A la Charité d'Avons   24  
Aux Sœurs de la Charité   24  
Aux Sœurs des écoles   24  
Aux Capucins de Melun   6  
Aux Recolets de Melun   6  
Au bedeau et au suisse qui apportent le fruit de la ville   24  
Au clerc de la chapelle de la cour ovale   6  
Au bedeau de la chapelle   12  
 
Gobelet.
 
Aux aides du gobelet   24  
Au garçon de vaisselle   12  
Au laveur de vaisselle   6  
Au garçon linger   6  
A celui qui apporte la glace   6  
 
Bouche.
 
Aux aides de la bouche   24  
Aux garçons servants   24  
 
Écurie.
 
Aux porteurs   24  
Aux valets de pied   48  
Au courrier   48  
Aux cochers du Roi   96  
 
Pain béni.
 
Pain béni du Roi   12  
Pain béni de la Reine   12  
Pain béni de Monsieur   12  
Pain béni de Madame   12  
Pain béni de Mgr comte d'Artois   12  
Pain béni de Madame comtesse d'Artois   12  
Pain béni de Madame Élisabeth   12  
Pain béni de Madame Adélaïde   12  
Pain béni de Madame Victoire   12  
Gratification aux valets de garde-robe   120  
Tot. du voy. de Fontainebleau   1692  
 
(p. 554) Voyage de Trianon.
 
Au garde-bosquets.   12  
A l'homme qui nettoye les flambeaux.   6  
Pour le gobelet à Mrs Grandeau et Bernard.   7  
Total du voyage de Trianon.   384  
 
Voyage de Saint-Cloud.
 
Aux garçons du château.   96  
A la lingerie.   24  
Aux filles de garde-robe.   12  
Aux frotteurs.   24  
Aux porteurs de lits.   24  
Au maître d'hôtel des femmes.   24  
Au maître d'hôtel des hommes.   12  
Aux hommes qui portent l'eau.   24  
Aux deux facteurs.   24  
Aux trois suisses des appartements.   72  
A Julie.   24  
A celui qui nettoye les flambeaux.   12  
Aux aides du gobelet.   72  
Tot. du voyage de Saint-Cloud.   444  

VII.
ÉTAT DES PENSIONS QUE FAIT MADAME
et dont madame Desguichard est chargée.

A l'homme qui a soin de Panurge.   288  
A Mrs les curés pour aumônes.   1728  
A M. Boyli.   600  
A M. Gayette.   600  
A Mlle Le Gagneur.   400  
A la protégée de Mme de Tilly.   200  
A Mme Malivoire.   600  
A M. Malivoire le fils.   500  
A Mlle Benard.   600  
A Mme de Cagny.   600  
A Mme de l'Eau.   600  
A Mme de Mongiraud.   1200  
A Mlle de Loyens, à payer à M. de Gassouville.   300  
A M. Pernot bon.   200  
A M. l'abbé de Montaigu, pour M. de Nancré.   400  
A Mlle Dorival, pour Mlle de Berne, l'aînée.   300  
A Mlle de Berne, la cadette.   150  
A la protégée de Mme d'Aumale.   300  
A Mlle Welfeld.   300  
A M. Coquelin.   300  
A M. Noël Offroy, ancien porteur.   144  
A M. Klein de Vilquoy.   144  
A la veuve Grandin.   72  
Aux Filles violettes.   72  
A Marianne Pinois.   72  
A Pierre.   200  
A Joseph Pauleur à Bicêtre, à payer à M. Duval.   150  
A La Plasse, maçon.   72  
A la sœur de Coupery.   600  
Au courrier.   288  
A la porteuse d'eau.   144  
A la femme Mercier.   144  
A Mme de Melardin, pour l'entretien de sa fille.   144  
(p. 555) A Mlle Le Gagneur, pour l'apprentissage d'un enfant.   72  
A la veuve Bosserelle.   72  
Au petit Louis.   36  
A la nourrice de Mlle Malivoire.   36  
A Mme Maréchal de Vassant.   200  
A M. l'abbé Le Sure.   150  
A Mlle Pierre.   72  
Pour les enfants Millard.   144  
A la sœur Françoise, pour la veuve Dubois.   144  
A la veuve Marquis.   72  
A la femme Le Rête.   72  
A la veuve Boissant.   72  
A la femme Chinevrier.   72  
Au petit garçon qui est à Paris.   120  
Au petit garçon de la femme Robinet.   36  
Au vacher suisse.   1095  
A M. de Boisgelin pour une place fondée.   300  
A Mlle de Pelleport, à payer en avril.   300  
A M. de Jussan, à payer à M. de Béon.   48  
A Mlle Dorival, pour des pauvres.   72  
A la boulangerie de pain de seigle.   144  
Total des pensions par année que paye Mme Desguichard.   15741  
Le douzième.   1311 # 15s.
 
Pensions par quartier.
 
A M. Bolly.   150  
A Mlle Dorival, pour des pauvres.   18  
A M. Gayette.   150  
A Mme Malivoire.   150  
A M. Malivoire fils.   125  
A Mlle Bénard.   140  
A Mme de Lau.   150  
A Mme de Mongiraud.   300  
A Mme de Cagny.   150  
A M. de Gassonville, pour Mlle de Loyens.   75  
A M. l'abbé de Montaigu, pour M. de Nancré.   100  
A Mme d'Aumale, pour sa protégée.   75  
A Mme de Tilly, pour une demoiselle de condition.   50  
A Mlle Le Gagneur.   100  
A Mlle Dorival pour Mlles de Berne.   112 # 10s.
A M. Pernot bon.   50  
A Mme Wilfeld.   75  
A M. Coquelin.   75  
A Pierre.   50  
A M. Klein de Vilquoi.   36  
A Noël Offroy.   36  
A M. Duval, pour Joseph Pauleur.   37 10
A Marianne Pinois.   18  
Aux Filles violettes.   18  
A la veuve Grandin.   18  
A La Plasse, maçon.   18  
A Mme Maréchal de Vassant.   50  
A M. l'abbé Le Sure.   37 10
  2374  
Le tiers est de   791 # 6s. 8d.
 
Pensions à payer par mois.
 
A Messieurs les curés   144  
Au courrier   24  
A la porteuse d'eau   12  
A la femme Mercier   12  
A la sœur de Coupery   50  
A la veuve Bosserel   6  
Au petit Louis   3  
A la nourrice de Mlle Malivoire   3  
A Mme de Milardin pour l'entretien de sa fille   12  
A Mlle Le Gagneur, pour l'apprentissage d'un enfant   6  
A la boulangère de pain de seigle, même époque pour l'année   12  
A la sœur Françoise, pour la veuve Dubois   12  
A Mme Royer, pour les enfants de Millard   12  
A Mlle Dauge, pour Mlle Pierre   6  
(p. 556) Au vacher suisse   91 # 5s.
A la femme Le Rête   6  
A la veuve Boissant   6  
A la veuve Marquis   6  
A la femme Chenevrier   6  
A Foucaut pour le mois du chien   24 #
A l'enfant de la femme Robinet   3  
Au petit garçon qui est à Paris   10  
  466 # 5s.
 
Pensions à payer par madame de Cimeri.
 
A Mme Sulpice   1200  
A Marie Micot   200  
A Mlle Duprat   200  
A Mme Desforges   200  
A M. Blaremberg   600  
A Mlle Malivoire   600  
A Mlle Testar   400  
A Mme de Cailus   400  
A Mme L'Échevin   400  
A Marianne   72  
A Vendoulet   192  
Aux porteurs des femmes   360  
A Marie   100  
A Mme Quotrot   250  
A la petite Pêchés   150  
A Camille   150  
A M. de Rousse   864  
Payé en janvier.  
A M. du Mignau   150  
A M Pascal   70  
Au garçon du gobelet   12  
Au suisse de la chapelle   48  
A M Pascal en feuvrier   120  
Total des pensions payées par Mme de Cimery   7038  
Le douzième   586 # 10s
L'abbé Osselin   400  
 
Pensions à payer par quartier.
 
A Mme Sulpice   300  
A Marie Micot   50  
A Mlle Duprat   50  
A Mme Desforges   50  
A Mme Blaremberg   150  
A Mlle Malivoire   150  
A Mme Testar   100  
A Mme de Cailus   100  
A Mme L'Échevin   100  
A Marianne   18  
A Vandoulet   48  
Aux porteurs des femmes   90  
A Marie   25  
A Mme Quotrot   62 10s
A la petite Pechés   112 10
A Camille   37 10
A M Déroune   216  
  1659 10
Le tiers est de   553 # 3s 4d
 
Récapitulation.
 
Étrennes   1743 #
Étrennes de la petite maison de Madame   1020  
Pour la fête des jardiniers   228  
Pour les pâques   534  
Pour les pains bénis   132  
Pour le mois de février   72  
Pour le mois de mai   246  
Pour le mois de juin   48  
Pour le mois de juillet   96  
Pour le mois d'août   210  
(p. 557) Pour le mois d'octobre   42  
Pour le mois de novembre   246  
Pour le voyage de Marli   717  
Pour le voyage de Compiègne   3720  
Pour le voyage de Fontainebleau   1692  
Pour le voyage de Trianon   384  
Pour le voyage de Saint-Cloud   444  
Pensions par année payées par madame Desguichards   15741  
Pensions payées par madame de Cimery   7038  
Somme totale   34359 #

VIII.

État des appointements que le Roi veut et ordonne être payés aux dames que Sa Majesté a nommées pour accompagner Madame Élisabeth, depuis le 15 mai 1789 jusques et compris le 14 mai 1790.

A la dame marquise de Sorans   4  
A la dame marquise de Causans   4  
A la dame comtesse de Canillac   4  
A la dame comtesse de Bombelles   4  
A la dame vicomtesse d'Imecourt   4  
A la dame comtesse de Clermont-Tonnerre   4  
A la dame marquise des Essarts   4  
A la dame Louise de Causans, marquise de Raigecourt   4  
A la dame marquise de Lastic   4  
A la dame vicomtesse de Blangy   4  
A la dame Anne Bella Henriette de Drumont de Melfort, comtesse de Marguerie   4  
A la dame comtesse de la Bourdonnaye   4  
A la dame marquise de Fournaise   4  
La dame vicomtesse de Mérinville, surnuméraire sans appointements   Mémoire.  
La dame marquise des Montiers, id.   Mémoire.  
La dame comtesse de Deux-Ponts, id.   Mémoire.  
La dame marquise de La Rochefontenille, id.   Mémoire.  
Somme totale, cinquante-deux mille livres, cy.   52,000 #

Administrateur de mon Trésor royal, chargé du département de la caisse générale, Me Joseph Durney, payés comptant au sieur Savalete (p. 558) de Langes, l'un des administrateurs de mon Trésor royal chargé du payement des pensions et autres dépenses énoncées dans mon édit du mois de mars 1788, la somme de cinquante-deux mille livres pour les appointements des dames dénommées au présent état, depuis le 15 mai 1789, jusques et compris le 14 mai de la présente année. Fait à Paris, le seize mai mil sept cent quatre-vingt-dix.

LOUIS.

Comptant au Trésor royal.
Bon: LOUIS.

De Saint-Priest.


IX.
DÉTAIL DES DÉPENSES EXTRAORDINAIRES DE LA CHAMBRE DE MADAME ÉLISABETH.

En 1788 elle a coûté   70,585 # 17 s
En 1789   48,592   10  
En 1790   29,725   12  
En 1791   17,548   »  
Total   166,451 # 19 s

Détail abrégé a quoy ont monté les dépenses extraordinaires de la chambre de Madame Élisabeth, pendant l'année 1788.

A Jubin, tapissier   6,000 #
A Lenormand, étoffes   3,801  
A de la Roue, toilette   7,562  
A Vanot, lingère   3,340 # 10s
A Daguerre, ébéniste   15,583  
Manufacture de Sève   3,855  
Moutard, libraire   1,093  
Grégoire, libraire   1,854  
Blaizot, libraire   187  
Le Duc, musique   132  
Chenu, relieur   427  
Joly, sculpteur, bordures de portraits   1,551  
  45,385 # 10s
(p. 559) Desjardins, horloger   152  
Baince, lait d'ânesse   1,200  
Bourdet, dentiste   162  
Massé, orphèvre   81  
Beaulieu, soyes à broder   500  
Cabat d'or, soyes à broder   677  
Guyard, peintre   576  
Robert, peintre   1,000  
Bro, racomodeuse de dentelles   671  
Habillements de deux garçons   920 4
Voitures de la cour   1,419  
Letellier, papier   100 3
Traitements et gratifications   17,682  
  70,585 # 17s

Détail abrégé a quoy ont monté les dépenses extraordinaires de la chambre de Madame Élisabeth pendant l'année 1789.

Bertin, modes, pour ancien mémoire   7,761 #
Le Normand, étoffes   200  
Jubin, tapissier   2,979  
Du Buquoy, tapisseries   7,788  
Crampe, tapisseries   1,945 10s
Cabat d'or, soyes à broder   973 6
Bro, racomodeuse de dentelles   1,126  
De la Roue, parasols   168  
D'aguerre, ébéniste   1,968  
Joly, bordures de portraits   396  
Guyard, peintre   388  
Grégoire, libraire   887  
Moutard, libraire   942 18
Chenu, relieur   447  
Bourdet, dentiste   162  
Dujardins, horloger   158  
Ducis, fayancier   121  
Habillement des garçons   531  
Voitures de la cour   2,102 16
Traitements et gratifications   17,548  
  48,592 # 10s

(p. 560) Détail abrégé a quoy ont monté les dépenses extraordinaires de la chambre de Madame Élisabeth pendant l'année 1790.

Bertin, intérêts, et reste d'un mémoire   3,125 #
Le Normand, étoffes   804 15s
Jubin, tapissier   1,232 16
Cabat d'or, soyes à broder   112 10
De la Roue, ébéniste   263  
Letellier, papetier   411 9
Bataille, parfumeur   464 12
Moutard, libraire   96  
Dujardins, horloger   176  
Chenu, relieur   226  
Joly, sculpteur, bordures   300  
Habillement des garçons   531  
Voitures de la cour   3,983  
Bourdel, dentiste   162  
Dépenses du secrétaire de la chambre   289 10
Traitements et gratifications   17,548  
  29,725 # 12s

État et détail des traitements affectés sur les dépenses annuelles extraordinaires de la chambre de Madame Élisabeth.

Grandin, commissionnaire   900 #
Birbonne, porte-chaise   600  
Dauge, baigneuse   1,200  
Rosni, garde-dentelles   800  
Léonard, coëffeur   600  
Quatre garçons de la chambre à 600#   2,400  
Sorel, surnuméraire   750  
Quatre valets de chambre à chacun 600#   2,400  
Merieux, surnuméraire   600  
Massot, gardien   1,500  
Deux portéffets à 900#   1,800  
Deux frotteurs à 700#   1,400  
Deux feutiers à 300#   600  
Un suisse   48  
Desjardins, horloger   150  
Imbert, secrétaire de la chambre pour tout   1,800  
  17,548 #

(p. 561) X.
DÉMÉNAGEMENT DES MEUBLES DE LA CHAMBRE DE MADAME ÉLISABETH,

qui ont été transportés au Garde-meuble, rue Neuve-Notre-Dame, no 9, par Jubin, valet de chambre, tapissier.

Sçavoir:

Première antichambre.

Un charriot à bois.

Deux paniers.

Antichambre des valets de chambre.

Une grande table des valets de pied.

Une grande table ronde à manger, faite en bois d'acajou.

Douze chaises de table, garnies en velours, dont quatre sont à carreau.

Une bouillotte de verre, garnie en argent, pour faire de l'herbe-aux-charpentiers.

Chapelle.

La chapelle est composée d'un autel et de deux coffres, dont je n'ai pas les clefs.

Le coffre de l'argenterie de la chambre, dont je n'ai point la clef.

Un grand panier rempli des pots de chambre de garde-robe.

Le Couronnement de Louis XVI, en gravure, pris de la chambre des garçons de la chambre.

Un marchepied d'antichambre.

Cabinet des nobles.

Quatre servantes en bois d'acajou, où il manque un sceau argenté.

Une table ronde du déjeuner de Madame, ayant un dessus de marbre blanc, et couverte en drap.

Deux voyageuses en bois doré, couvertes de velours vert.

Une table de tric-trac avec sa garniture en bois de rose.

Deux chaises carrées pour les femmes, couvertes en velours d'Utrecht cramoisi.

Deux tables à jouer couvertes en velours, une de piquet, une de quinze.

Une boîte à livres de la voiture de Madame.

Deux boîtes à échecs, une d'ivoire et l'autre en bois.

Le damier de Madame.

(p. 562) Un jeu d'oie en bois de rose.

Une boîte en façon de nacre qui en renferme plusieurs petites.

Un petit coffre en basane rouge.

Le jeu de loto.

Un dévidoir des valets de pied.

Chambre à coucher.

Le coffre de toilette et son pied, dont je n'ai point la clef.

La table de toilette.

Deux vases de dessus la cheminée, tous deux de porcelaine, où sont peints des petits oiseaux, un des deux ayant le bouton de son couvercle cassé.

Le groupe de Madame, fille du Roi, assise sur un dauphin, sa colonne de stuc, le groupe de plâtre; la figure a le pouce du pied cassé et un doigt de la main gauche.

Huit écrans en bois d'acajou, un brodé.

Une boîte, remplie de huit livres, à madame de Clermont.

Un livre de musique, intitulé Sargine.

Le grand carton à soie, rempli de plusieurs effets, tels que un sac de damas, orné tout autour d'un galon et de deux glands en or, et d'autres menus effets.

Une petite écritoire noire.

Trois petits cartons à filets.

Une grande boîte à poudre en bois d'acajou, avec sa houppe.

Un petit fouet vert, avec une poignée en or et trois viroles.

Une grande corbeille du coucher, garnie de taffetas vert et d'une dentelle d'or.

Deux petites corbeilles.

Une grosse pelote en satin blanc brodé, qui sert à renfermer les linges de toilette.

Un petit groupe représentant Madame et Monseigneur le Dauphin, avec son pied de porcelaine.

Un grand sceau à laver les pieds.

Un moulin à battre le beurre.

Deux petits cadres, représentant Monsieur le Dauphin défunt et Madame la Dauphine.

Garde-robe.

Un bidet en velours vert avec sa garniture.

Un bidet sans garniture.

(p. 563) Un corps de tablettes pour les pots-de-chambre, avant un dessus de marbre et une galerie en cuivre.

Une table de nuit à dessus de marbre blanc.

Lieux à l'anglaise.

Un petit corps de tablettes à dessus de marbre.

Une garniture de cuivre en forme de galerie.

Un sceau de faïence à laver les pieds.

Une lunette en maroquin noir.

Un marabout de fer-blanc.

Deux pots-pourris de porcelaine.

Dix bourdalous en porcelaine.

Sept bourdalous en faïence.

Cabinet intérieur.

Une table en bois de rose garnie de velours, dont je n'ai pas la clef.

Deux petites chiffonnières rondes à dessus de marbre.

Une grande pendule avec ses garnitures.

Le Portrait de Madame de Piémont, en petit.

Louis XV, en gravure.

Madame de Piémont, peinte sur un cadre oval.

Un tableau représentant Jacques Ier, roi de la Grande-Bretagne.

Un petit chien, dans un cadre oval.

Le jardin de Trianon, en peinture.

Une petite table de toilette de lit.

Une petite table en bois de rose et dessus de marbre.

Une petite bibliothèque à panneaux grillés, à dessus de marbre commun.

Un devidoir.

Un petit coffre de noyer, où il manque un tiroir.

Un petit coffre de bois d'acajou, garni de cuivre, dont je n'ai pas la clef.

Deux boîtes renfermant quatre cylindres de la pendule: trois dans une, et une dans l'autre.

Un verre de microscope monté en cuivre.

Quatre écrans de cheminée à main.

Une petite boîte en nacre à parfiler.

Une autre petite boîte, en forme d'éventail, sans clef.

Un petit marteau avec une hache.

(p. 564) Deux petits dévidoirs.

Quatre cannes et le petit bâton pour peindre.

Bibliothèque.

Une écritoire sans fin, composée de plusieurs choses, telles que: un grattoir, un poinçon, un manche de canif d'ivoire, une petite règle d'ébène, un moyen compas et une grande paire de ciseaux.

Un bureau en bois de rose, de cinq pieds de long, couvert en maroquin vert et orné d'une petite galerie.

Une petite écritoire dorée, en bois de rose.

Deux petits globes terrestres; il y en a un qui a quelque chose de cassé.

Deux petits vases de porcelaine, ornés de bouquets de fleurs en biscuit, et leurs bocaux de verre.

Deux bras de cheminée en flèche.

Un feu à vase, pelle et tenaille.

Deux petits tableaux en bordure de sapin.

Un moyen tableau représentant la ville et le port de Syra.

Un marchepied en bois d'acajou.

La lunette des lieux à l'anglaise.

Quatre métiers de tapisserie, deux de bois d'acajou et deux de noyer.

CABINET AUX ENTRESOLS.

Garde-robe.

Un petit corps de tablettes à pots de chambre.

Un pot-pourri en porcelaine.

Un gros globe.

Une table en bois de hêtre, garnie de dorure.

Deux petits globes pleins.

Deux petits vases blancs à tête de bélier, montés en girandole.

Un feu en galerie, pelle, tenaille et pincette.

Un tableau représentant saint Labre.

Cabinet à côté des bains.

Un feu en galerie, tenaille, pelle et pincette.

Deux girandoles portées par deux femmes dorées, sur une colonne de marbre blanc.

Deux tables de mathématique en bois d'acajou, une sans clef, avec deux bougeoirs doubles dorés, et deux petits pupitres.

Un pupitre à jour en bois de noyer.

(p. 565) Un violon.

Deux bras de cheminée ayant chacun une bobèche.

Le meuble de bains complet.

Chambre des femmes.

Une table en bois d'acajou couverte en drap.

ÉTAT DE CE QUI ÉTAIT RENFERMÉ DANS LA COMMMODE DES GARÇONS DE LA CHAMBRE.

Une boîte à fiches.

Une boîte de loto.

Une boîte à fiches, où il manque une corbeille.

Deux sacs de peau, pour mettre des livres.

Six petits parasols.

Six petits rateaux.

Cinq petits paniers, dont quatre garnis.

Lit des garçons de la chambre.

Deux matelas.

Une mauvaise couverture.

Armoire des galeries.

Un moyen paravent.

Cinq petits paravents.

Un écran.

Une échelle double.

Deux pliants en bois, de maroquin vert.

Une chaise de velours bleu.

Les deux lits complets de veille des femmes.


XI.
LISTE DES LIVRES DE MADAME PORTÉS A PARIS.

In-4o
  VOL.
Histoire universelle, par une société de gens de lettres, 43
Histoire universelle, par M. de Thou, 16
Histoire de l'Église gallicane, 16
Histoire de l'Église, par M. l'abbé de Choisy, 11
Les Hommes illustres de Plutarque, par M. Dacier, 9
Histoire de Polibe, 7
Abrégé chronologique de l'histoire de France, par Mezeray, 4
Histoire de France, par M. Velly, et continuateurs, 23
Histoire de Constantinople, 8
(p. 566) Histoire de l'Asie, de l'Affrique et de l'Amérique, 5
Recueil de Gazettes de France, 147
 
In-8o.
 
Offices et traité de Cicéron, 2
Pensées de Marc Aurèle, 1
Traité des loix civiles, 1
Traité de la puissance ecclésiastique, 1
Les Quatre âges de la pairie, 2
Instruction de Catherine II, 1
Histoire du droit naturel, 2
Jurisprudence du Grand Conseil, 1
Principes de la législation universelle, 2
La Trigonométrie, 1
Leçons de mathématique, par l'abbé de la Caille et Marie, 1
Flore de Bourgogne, 2
Manuel de botanique, 1
Le Nouveau la Quintinie, 4
Des œuvres du chevalier Linné, 4
Œuvres de Demosthènes, 4
Œuvres de Virgile, par l'abbé Desfontaines, 4
L'Iliade, traduite en vers français, 2
Numa Pompilius, 1
La Henriade, 2
Commentaire sur la Henriade par Labeaumelle, 2
La Gieresolemme liberata, 2
L'Eneïde de Virgile, par Annibal Caro, 2
Orlando furioso (8o maximo), 4
Saggio sopra l'uomo, par Pope, 1
Œuvres de Pope, 8
Œuvres d'Young, 4
Théâtre des Grecs, traduction nouvelle, 10
Œuvres de Racine, édition de Didot, 3
La Dunciade, 2
Théâtre des jeunes personnes, par Mme de Genlis, 4
Proverbes dramatiques, 6
Histoire de la poësie, par Brown, 1
Œuvres de Saint-Foix, 6
Œuvres de Mme Ricoboni, 8
Œuvres de Falconet, 6
Œuvres de La Monnoye, 3
Vie privée des François, 3
Les Histoires d'Elsin, 1
Œuvres de Le Franc de Pompignan, 6
Le Théâtre du monde, 4
Tableau historique, 4
Essai sur les femmes, 1
Commerce des grains, 1
Loisirs du chevalier Déon, 13
Mélanges d'une grande bibliothèque, 58
Histoire de la littérature d'Italie, 5
Lettres sur l'éducation, par Mme de Genlis, 3
Cours d'études, par M. l'abbé de Condillac, 10
Dictionnaire historique, 6
Dictionnaire des antiquités romaines, 2
Histoire d'Espagne, par Ferreras; (les 3 premiers prêtés à M. le Comte), 16
Collection des Mémoires sur l'histoire de France, 36
Mémoires sur les Isles de ponce, 1
Négociations de la France et de l'Angleterre, 1
Voyage à l'Isle de France, 2
Le Mercure françois, 25
Les Chronologies septenaire et novenaire, 4
La Satyre Ménippée, 3
Mémoires sur l'histoire de France, 2
Le Cabinet des fées, 37
 
In-12.
 
Psaumes du P. Berthier, 8
Nouveau Testament, 1
Sermons du P. Bourdaloüe, 20
Sermons de Massillon, 15
L'Année du chrétien, 18
L'Année évangélique, 7
L'Évangile médité, 12
La Religion méditée, 6
Quinzaine de Pasques, 1
Semaine sainte, 1
(p. 567) Prières du P. Sanadon, 1
Le Propre de l'oraison, 1
Bréviaire de Paris avec le supplément, 9
Missel de Paris, 8
Livre d'église, 2
Missel de Paris, 4
Office divin, 1
Office de la Vierge, 1
Diurnal romain, 1
Prières du matin, 1
Nouvelles Heures, 1
Visites au Saint-Sacrement, 1
Recueil de prières, 1
Prières durant la messe, 1
Essais philosophiques sur l'entendement humain, 4
Manuel d'Épictète, 2
Essais de Montagne, 5
La Sagesse de Charon, 1
Entretiens de Phocion, 1
Histoire naturelle, générale et particulière, par M. de Buffon, 51
Leçons de physique, par l'abbé Nollet, 6
Œuvres d'Homère, traduction par M. Gin, 8
P. Virgilii opera, 2
C. Julii Cæsaris Commentarios, etc., 2
Le Paradis perdu de Milton, 3
La Lusiade de Camoëns, 3
Œuvres de Gresset, 2
Lettres de Pline, 3
Lettres de Mme de Sévigné, 8
Lettres d'un François, par l'abbé Le Blanc, 3
Traité des études, par M. Rollin, 4
École de littérature, 2
Œuvres de Sophocle et autres, 3
Terence et Plaute, 6
De Metastase, 10
Théâtre de P. Corneille, 6
de Thomas Corneille, 5
Œuvres de Racine, 3
de Voltaire, 8
Théâtre françois, 12
Nouveau théâtre françois, 8
Histoire du théâtre françois, par MM. Parfait, 15
Théâtre anglois, 8
Lettre sur le théâtre anglois, 2
Dissertation sur la tragédie, 2
Remarques sur Racine et la vie du même, 5
Œuvres de Malherbe, 3
de Racan, 2
de Sarazia, 1
de Voiture, 2
de La Fontaine, 3
de Lamotte, 10
de Gedoyn, 1
Poésies de Malleville, 1
Voyage de Chapelle et Bachaumont, 1
De la Bibliothèque des romans, 97
Vie du baron de Trenck, 1
Œuvres de Boileau, 5
Mémoires politiques et militaires de France, 6
Histoire du règne de Henry II, 2
Mémoires de Mme de Staal, 3
Campagnes de Villars, 2
Mémoires de Mlle de Montpensier, 8
Mémoires de la duchesse de Nemours, 1
Vie du cardinal de Richelieu, 2
Anecdotes du cardinal de Richelieu, 2
Parallèle du cardinal de Richelieu et du cardinal de Mazarin, 1
Vie du duc de Rohan, 2
Vie du P. Joseph du Tremblay, 1
Vie du brave Crillon, 2
Mémoires de Vieilleville, 5
Histoire d'Angleterre, par M. Hume, 18
(p. 568) Histoire d'Écosse, par Robertson, 3
Mémoires d'Anne d'Autriche, 6
Histoire de Charles VI, 9
Histoire de Charles VII, 2
Histoire de M. de Turenne, 1
Histoire de Louis XIV, 3
Mémoires de Laporte, 1
Mémoires de Mme de Lafayette, 2
Mémoires de Lenet, 2
Histoire du prince de Condé, 4
Histoire de la régence de Marie de Médicis, 2
Vie de Marie de Médicis, 2
Mémoires du comte d'Avaux, 6
Mémoires de Montausier, 2
Mémoires de Berwick, 2
Mémoires du marquis de Feuquières, 3
Traité de paix de Nimègue, 2
Traité de Westphalie, 6
Histoire de Henry le Grand, par Perefixe, 1
Vie du cardinal de Richelieu, 6
Histoire de Henry IV, 4
Mémoires du prince de Tarente, 1
Histoire de Tancrède de Rohan, 1
Mémoires du duc de Villars, 3
Paix de Riswick, 1
Mémoires sur la succession d'Espagne, 3
Histoire de Russie, par M. Lévêque, 5
Histoire du traité des Pyrénées, 2
Lettres de Mme de Pompadour, 2
Mémoires de Gourville, 2
Mémoires du comte de Gramont, 2
Histoire de Louis XI, par M. Duclos, 3
Géographie moderne, 2
Mémoires de la Colonie, 2
L'Esprit de la Ligue, 3
Ambassades de Messieurs de Noailles, 5
Lettres du cardinal d'Ossat, 5
Le Courtisan prédestiné, 1
Mémoires de Bellièvre, 2
Histoire de Louis XIII, 4
Le Siècle de Louis XIV, 3
Mémoires du maréchal de Berwick, 2
Mémoires pour servir à l'histoire de France, 4
L'Âme des Bourbons, 2
Ambassade de Bassompierre, 4
Mémoires de Bassompierre, 3
Mémoires de Montrésor, 2
Mémoires de Louis XIV, 2
Mémoires de Navailles, 1
Mémoires de Villegomblain, 2
Mémoires sur la paix de Riswick, 5
Mémoires d'Omer Talon, 8
Vie du maréchal de Villars, 4
Journal de Louis XI, 1
Histoire de Louis XI, 6
Histoire de Louis XII 2
Guerre de 1741, 1
Campagne de Noailles, 2
Campagnes de Coigny, 8
Mémoires de Louis XIV, 2
Mémoires du cardinal de Retz, 4
Mémoires de M. Joly, 3
Lettres du cardinal Mazarin, 2
Mémoires de Brienne, 2
Maisons souveraines, 2
Abrégé chronologique du droit public d'Allemagne, 2
Histoire du duc d'Epernon, 4
Mémoires de Montglat, 4
Abrégé chronologique de l'histoire d'Italie, 1
Mémoires de Terlon, 2
Mémoires du marquis de La Fare, 1
Mémoires du comte de Forbin, 2
Mémoires de Lahoussaye, 3
Mémoires de Condé, 2
Mémoires de M. de Tavanes, 1
Mémoires de Puységur, 2
Mémoires de Tourville, 3
Histoire de François Ier, 8
Mémoires de Dubellay-Langey, 7
Histoire du duc de Montmorency, 1
Histoire de Henry, duc de Bouillon, 3
Mémoires du comte d'Estrade, 9
Mémoires sur la paix d'Utrecht, 6
Congrès d'Utrecht, 1
Campagne du duc de Vendôme, 1
(p. 569) Mémoires du chevalier Temple, 1
Mémoires du duc de Guise, 2
Histoire de la royne Marguerite, 1
Mémoires de Sully, 8
Intrigues du cabinet sous Henry IV, 4
Lettres et Mémoires de Mme de Maintenon, 15
Journal historique de M. de Maupeou, 3
La Mémoire artificielle, 2
Tables chronologiques de l'abbé Lenglet, 2
Abrégé chronologique de l'histoire de France, 5
Vie d'Ayder-Ali-kan, 1
Lettres édifiantes, 26
Anecdotes de la Chine, 6
Vie de sainte Thérèse, de Madame Louise et quelques histoires de Maimbourg, 15
Mercure de France depuis 1717 jusqu'en 1787, 506
Nouvelle traduction des œuvres de Plutarque (in-8o), 22

Cette liste contient deux mille soixante et quinze volumes. Seyaux n'ayant trouvé ni Missel, ni Bréviaire romain en françois, croit qu'ils ont été portés à Bellevüe.


XII.
LIVRES RETIRÉS DE LA BIBLIOTHÈQUE DE MONTREUIL.

Chefs d'œuvre de P. et de Th. Corneille, le premier tome petit in-12, les deux autres manquent.

Il manque encore dans la classe des romans:


(p. 570) XIII.
NOUVELLES PUBLICATIONS.

Recueil de pièces en 4 volumes.

Le premier renfermant:

Le second renfermant:

Le troisième renfermant:

Le quatrième volume renfermant:


XIV.

Mémoire des ouvrages fait et fournis pour Son Altesse Royale Madame Élisabeth de France,

Par Bourbon, cordonnier, rüe des Vieux Auxgustins, à Paris.

1792.
Ce 6 avril, une paire de soulle de tafetat noire 9 #
Le 8 id. 9  
Le 9 id. 9  
Le 14 id. 9  
Ce 16 id. 9  
Ce 21 id. 9  
Le 25 id. 9  
Le 28 deux paires de tafetat, un gris, un bleux 18  
Le 29 une paire de taffetat rosse 9  
Le 2 may, une paire de taffetat gris 9  
Le 4 id. 9  
Le 7 une paire de taffetat violet 9  
Le 8 une paire de taffetat prune glace 9  
Le 12 deux paire de tafetat, une carmelite glace, une gris de ferre 18  
Le 16 deux paire de tafetat, une rosse, une bleux 18  
Le 20 deux paire de tafetat, une gros vert, une puce 18  
Le 23 deux paire de tafetat, une gris de ferre, une bleux 18  
Le 27 deux paire de tafetat, une violet, une puce glaces 18  
Le 28 une paire de tafetat noire 9  
Le 1er juin, id. 9  
Le 6 id. 9  
Le 9 id. 9  
Le 12 id. 9  
Le 15 id. 9  
Le 22 id. 9  
Le 27 id. 9  
Le 30 id. 9  
Totale 297 #

(p. 575) Il y a dans la même liasse un mémoire des médicaments livrés à madame Lejeune à la Garde-robe des atours de Madame Élisabeth de France,—mémoire du 11 janvier au 20 décembre 1791, montant à la somme de 96# 17 s.,—et acquitté le 30 janvier 1792, à Paris.

«Pour MM. les apothicaires du Roi: Pailhés


DOCUMENTS RELATIFS A LA MAISON ÉLISABETH,
SISE AU GRAND MONTREUIL.

I.

État du produit de la maison et jardin situé près la porte de Buc, à Montreuil.

Année 1790.

Un millier de bottes de foin évalué au prix de 25# le cent, cy 250 #  
350 bottes de reguain à 15# 52   10s.
5 septiers d'avoine à 20# 100  
4 septiers ½ d'orge à 12# 54  
La pâture des vaches après la récolte est estimée au plus à 24  
Le fruit n'a pas donné cette année. Ils ont tous manqués au printemps; il n'est restée que quelques pêches de mauvaises qualités et des raisins qui sont mangées par les oiseaux et par les insectes.  
Total du produit 480 # 10s.

La récolte des fruits dans une bonne année ne peut pas excéder la valeur de 150 liv.; les arbres étant très-vieux, leur produit ne peut que diminuer.

La maison est en très-mauvais état et susceptible de fortes réparations.

Les murs de clostures ont le plus grand besoin d'être recrepis pour détruire les insectes, et conserver le fruit des espaliers.

L'abondance des fourages en fait baisser le prix, qui, année commune, peut être porté au tiers en sus de ceux mentionnés cy-dessus. Il en résulte que, année commune, le fruit compris, le produit pourroit (p. 576) être de 700#, non compris la maison, dont on pourroit tirer party.


II.

Consigne du suisse de garde pour le jardin et bosquets de la maison de Madame Élisabeth, à Montreuil.

Première consigne donné par M. Huvé.

1o Le suisse du jardin s'entendra avec le suisse de la porte pour qu'il n'entre personne dans les jardins, sous quelque prétexte que ce soit, lorsque Madame y est, et même personne en aucun tems, à moins qu'on ne soit accompagné du concierge ou munie d'un billet de Madame.

2o Ne laisser sortir aucun ouvrier par les portes du jardin, à moins qu'il ne travail au jardinage. Ils ont les portes des cours ou on travaille qui doivent leur suffire.

3o Faire une tournée au moins par nuit et toujours à des heures différentes, en observant que s'il se trouve des gens du dehors, essayant d'entrer soit en forçant les serures, soit par-dessus les murs, de les déposer, si il le peut, chez le suisse, ou du moins de bien prendre leur signalement, si ce netoit quelqu'un de la maison; alors il en feroit seulement la declaration au sieur Huvé, inspecteur des bâtiments, ou à touttes autres personnes que Madame indiqueroit.

4o Enfin le suisse garde-bosquet veilleroit à ce que rien ne fut enlevé de nuit ou de jour, qu'il n'en puisse rendre compte, sans aucunes conivances ni animosité pour ou contre qui que ce soit.


III.

Consigne du suisse de garde pour les jardins et bosquets de la maison de Madame Élisabeth, à Montreuil.

Donné par le sr Sulleau, concierge de la maison, comme suplément à celle à lui donné par M. Huvé.

1o Le suisse du jardin, en se conformant exactement à ce qui lui est enjoint par la consigne que lui a donné M. Huvé, observera que personne ne sorte par le jardin aucuns meubles ou paquets, à moins que ce ne soit par l'ordre de Madame ou que le concierge présent ne lui dise que cela est nécessaire; cette circonstance excepté, on doit toujours (p. 577) passer par la porte du suisse. Si quelqu'un vouloit tenter de le faire, il en avertiroit le concierge après les avoir fait retourner sur leurs pas.

2o Quelques soient les personnes qui entreront avec permission de Madame, et essentiellement si Madame permettoit qu'on entrat les dimanches, le suisse observera qu'on ne touche point aux fleurs et qu'on ne joue à aucuns jeux; enfin que toutte décence soit observé. Si quelqu'un manquoit à cette règle, il leur en feroit l'observation pour que cela cessent sur-le-champ.

3o Les personnes de la maison ne doivent en aucun tems faire entrer personne dans le jardin, surtout quand Madame est chez elle ou quand elle doit y venir. Ils ne doivent jamais y faire entrer de compagnie sans la permission de Madame. Cependant la volonté de Madame n'étant pas de les empêcher de voir leur famille touttesfois que ce sont gens honnêtes, et ce pendant les abcences et voyages, si il leur arivent de sortir avec eux, la bonté de Madame peut alors être interprettée, cela n'arrivant que rarement et eux ne quittant pas les personnes; alors le suisse peut les laisser passer, mais en observant quil n'ayent pas de compagnie, et s'il leur arivoit de repetter cela souvent, le suisse alors prendroit note des jours et du nombre de personnes qu'ils auroit conduit, et la remettroit au concierge, pour quil leur montre la circonspection qu'ils doivent avoir, et alors ils seroit personnellement privés de voir même leur parent, si ils ne l'observoit pas soigneusement.

Les garçons jardiniers ne doivent faire entrer aucune compagnie dans le jardin, et si quelques personnes entrent de la part du maître jardinier, il doit toujours les accompagner, devant seul répondre des motifs pour lesquels il les aura fait entrer.

4o A l'égard de la sortie et entrée des arbres et arbustes, le jardinier seul doit répondre de son service; mais lui seul aussi doit faire, ou être présent à la sortie, pour justifier que c'est lui qui le fait faire.

5o Le suisse doit veiller avec soins à ce que, qui que ce puissent être, ne tentent de pêcher dans la rivière du jardin; il saisira et emportera tous les ustensiles propre à la pêche, et il fera en sorte de savoir qui auroit cherché à en faire usage; il en avertira le concierge, qui en rendra compte à Madame.

6o Le suisse observera que tout cela devant se faire pour le bon ordre, il ne faut mettre ni humeur ni vivacité toujours déplacée, et qui sont blâmables dans tous les cas, en ce qu'elles sont opposées au respect düe à Madame et à sa maison.


(p. 578) IV.

OUVRAGES DE LA BIBLIOTHÈQUE DE MONTREUIL
qui seroient également bien placés dans celle de Paris.

AUGMENTATIONS PROPOSÉES.

Théologie.

(p. 580) Sciences et arts.

Belles-Lettres.

Histoire.


V.

L'an second de la République françoise, de l'ère ancienne mil sept cent quatre-vingt douze, le 12 mars, à cinq heures de relevée, en vertu de l'arrêté du directoire du district de Versailles, en date du 9 du courant, nous, Jean Gazard, commis de l'administration du district, nous sommes transporté avec le citoyen Huvé, inspecteur (p. 582) des bâtiments, en cette ville, avenue de Paris, à la maison dite de Madame Élisabeth, conformément à la réquisition du citoyen Couturier, régisseur du domaine de Versailles, à l'effet de lever et apposer les scellés sur plusieurs portes de ladite maison; où étant, nous avons levé le scellé apposé sur une porte cochère, donnant de la petite cour dudit bâtiment sur l'avenue de Paris, afin de laisser l'usage libre du guichet de ladite porte, et l'avons apposé sur le verrouil de ladite grande porte; de là nous sommes transportés à deux autres petites portes, communiquant du jardin dans une des cours du bâtiment, où nous avons également apposé le scellé sur l'entrée des serrures; et, n'ayant point le cachet du district, nous nous sommes servi d'un petit cachet de montre, ayant pour empreinte un cœur percé de deux flèches, surmonté de ces mots: Je suis blessé, lequel cachet, nous avons remis entre les mains des administrateurs du directoire du district pour servir à la confrontation et reconnoissance desdits scellés quand le cas le requerra; et du tout, avons dressé le présent procès-verbal, les jours et an que d'autre part.

Gazard, commissaire. Huvé.


VI.

Le citoyen Sulleau, concierge garde-meuble de la maison de Madame Élisabeth à Montreuil, a l'honneur d'observer à monsieur le maire et messieurs les officiers municipaux de Versailles, qu'il est en sa qualité de garde-meuble chargé sur sa responsabilité de tous les effets contenus en laditte maison, sous l'inspection général de M. Restout, nommé par M. le ministre de l'intérieur à cet effet, et à qui il doit rendre compte de tous les objets remis à sa garde et responsabilité suivant les inventaires généraux, déposés au Garde-meuble.

Le citoyen Sulleau a pour l'aider à la surveillance et manutention de sa place le nommé Flury, homme honnête et sûre dont il garantie la fidélité et l'honnêteté comme de tous autres gens de la maison qui lui sont subordonnés.—Il s'est trouvé de nécessité en 1791 à réclamer la justice de messieurs de la municipalité, sur les prétentions et démarches du suisse nommé Hubert, et il a eu la satisfaction d'éprouver alors une justice satisfaisante.

Aujourd'hui 8 octobre 1792, il vient d'être apposé des scellés sur toutes les portes extérieures de la maison, sous prétexte qu'on pourrait (p. 583) on sortir des effets; cette précaution ne peut en rien augmenter la responsabilité du dépositaire, devient nul pour le résultat, mais infiniment sensible et douloureuse pour tous les individus attachés à la maison. Ils en ont tous marqué leur douleur au citoyen Sulleau, qui bien convaincu de leur honnêteté reconnue depuis dix ans, ne peut se refuser de réclamer l'attention de monsieur le maire sur un acte qui véritablement ne porte que sur eux seuls, et avec d'autant plus d'injustice que cette précaution est sollicité par un homme qui n'est responsable de rien, et qui de touts les temps a fait preuve du désir de nuire, et cela sans aucun...

Sulleau.

Nous, commissaire nommé pour examiner la nécessité de lever le scellé sur la porte cochère du côté du jardinier, avons reconnu qu'elle étoit réelle, le service des fumiers et autres charois ne pouvant avoir lieu que par là. En foi de quoi nous avons signé le présent rapport, à la maison commune, le 8 octobre 1792, l'an premier de la République françoise.

Huvé.


VII.

L'an premier de la République françoise, les citoyens Boissy et Borel ayant été autorisséz par un réquisitoire de la municipalité de Versailles signéz Richaud maire, Couturier procureur de la Commune, Gaucher municipal, ce sont transportez en la maison de la sœur du ci-devant Roi, avenuë de Paris, est ont apposez les scellés sur toutes les portes extérieur de la sudite maison et du jardin. Le sieur Heuber, suisse et gardien, nous ayant représentéz de ne point apposéz le scelléz sur la porte extérieur de la vacherie en nous disant qu'ils étoit nécessaire que les animeaux sortent pour aller aux champs, ce que nous avons vûe raisonnable cela ne nous nous (sic) a pourtant pas empêchéz de les poser sur toutes les portes intérieur qui communiquent de la susdite vacherie au jardin, afin d'empêcher toutes les communications. Nous nous sommes transportéz de là à une petite maison qui n'est séparéz que d'une porte en treilliage fermant à clef, n'ayant pas trouvéz cette fermeture suffisante, nous avons voulut apposer le scelléz sur la porte de clôture qui donne sur une petite rüe. Le citoyen Pélican et la dame Piout cetant présentéz à l'instant nous ont exibéz une oppositions de leurs part en nous représentant que cette petite maison appartenoit (p. 584) à la ci-devant baronne de Mackau; sur les représentations du citoyen Heuber, suisse et gardien qu'il sufisoit seulement de poser le scelléz sur la sudite porte de treilliage, ce que nous avons fait à l'instant, le sieur Sulleau s'étant aussi présentéz avec le jardinier, n'ayant point parût satisfaits de notre opération, même nous exibant en plusieurs pièces, nous disant qu'ils étoient les ministres de l'intérieur et nous disant d'une voix foible qu'ils croyoient être suffisamment autorissez par le moyens de ces pieces de s'opposer au scelléz nous avons regardez cela comme des mots qui ne peuvent convenirent qu'à des hommes foibles. Nous lui avons dits que s'il avoit des droits qui les fassent valoir à la maison comune, pour nous, cela ne nous empècheroient pas de continuer nos opérations. C'est ce que nous avons fait s'en crainte, est avons signées le présent à Versailles, ce 8 octobre 1792, l'an premier de République françoise.

Boissy. Boret.

Faite en présence des citoyens Heuber, Bonifacy, garde-bosquet.


VIII.

État de ce que nous avons trouvéz dans la vacherie.

Cinq vaches est une genise, un cheval est une petite voiture d'osier couverte, avec tous ces harnois; nous avons crue devoir prendre ce détail à cause que ces animeaux sont sujette à la sortie pour leurs subsistance. A Versailles, le 8 octobre 1792, l'an premier de la République françoise.

Boissy. Boret.


IX.

Sur la réprésentation que les citoyens Heuber, suisse et gardien, Bonifacy, garde-bosquet, que l'on dévastoient tout les jours les jardins par la coupe journailliere des arbres et la pêche qui si fait continuellement par des gens de la maison, ainsi que des étrangers qu'ils introduisent à leurs compagnies, croyant toujours être sous la protection de la sœur du ci-devant Roi, nous ont dits qu'ils seroient bien aise d'être autorisséz d'un pouvoir de la municipalités qui les autorisent à pouvoir empêcher tous ces desordres, est ont signées.

Heuber, Bonifacy, garde-bosquet,
Prévot, commissionnaire du sieur Fleury, garçon tapissier.


(p. 585) X.

Messieurs,

Noël Gauthier et Julien Gauthier frères, tous deux frotteurs des appartements de la petite maison de Madame Élisabeth, avenuë de Paris,

Ont l'honneur de vous représenter que depuis le départ de cette princesse, ils sont resté gardien l'un de l'aile droite et l'autre de l'aile gauche de laditte maison, couchant dans les appartements, ignorent le motif pour lequel M. Suleau concierge vient de nommer et faire recevoir deux autres gardiens, au préjudice des exposants qui osent se flatter qu'on ne peut rien leur reprocher,

Pendant les trois mois qu'ils ont gardés le premier scellé les jours et nuits par ordres du sieur Suleau dont il en ont point été payé.

Ils vous supplient, Messieurs, de vouloir bien leur rendre justice.


XI.

Procès-verbal.

Aujourd'hui le 9 octobre 1792, l'an premier de la République, en vertu d'un réquisitoire du bureau municipal, signé des citoyens Couturier procureur de la commune, Huvé et Gauchez officiers municipaux, qui ont nommé les citoyens Boissy et Geoffroy comissaires a l'apposition des scellées dans la maison de la Damme Élisabeth, sœur du ci-devant Roi, ont pris pour témoins l'apposition desdits scellées, le citoyens Flury, attaché à la conciergerie du Garde-meuble de ladite maison, ainsi que le nommé Prévot, journallier employé par le citoyen Sulleau, qu'il a été posé quatre-vingt et tant de scellées dont quatre-vingt-une clef, il est resté ouvert et à la jouissance des personnes dénommées ci-apprès et qui sont meublés conformément aux inventaires dont la minute est déposé au bureau du Garde-meuble national à Versailles, dont le citoyen le Clerc se charge de la représenter à la première réquisition de la municipalité; lesdits logements actuellement occuppées par les personnes susdites, consiste savoir celui du citoyen Sullau, concierge du Garde-meuble; Fleury, garçon du Garde-meuble attaché au concierge, et le représentant en son absence; la veuve du Coudray, femme de charge et lingerie; la demoiselle Simon, ouvrière; Marie, laitièrre, Prévot, journallier; Noël, frotteur, Juillien, second frotteur, Doré, garçon jardinier, le suisse de la porte, nommé (p. 586) Ubert, Boniface, suisse garde-bosquet; Cadeau, balayeur, demeurant sur l'ancienne cour basse, sur l'avenuë, et dans le pavillon, ruë ci-devant Champ-la-Garde; Jaques Bosson, vacher; Coupry, maître jardinier.

Lesdits commissaires ont nommé les citoyens Flury et Prévots ci-dessus dénommés gardiens de l'intérieur et extérieur de ladite maison, qu'ils l'ont acceptés et signés avec nous le présent procès-verbal, et est comparu au moment où l'on posoit les scellées, le citoyen Sullau ci-devant dénommé, et qui a signé avec nous.

De plus, avons établi les citoyens Ubert suisse des portes, et Bonifacy garde-bosquet, a qui nous avons délivré des pouvoirs comme gardiens des scellées extérieurs et sureté générale dans leurs postes.

Clos le présent présent (sic) procès-verbal en présence des citoyens Sullau, Fleury, Prévot, Ubert, Boniface, le Clerc.

Sulleau. Flury. Leclerc. Heuber.
Bonifacy, garde-bosquet.
Boissy. Geoffroy. Heuber.


XII.

A Versailles, le 5 mars 1793, l'an II de la République.

Citoyen,

J'ai ordonné ce matin, en conséquence de votre lettre d'hier, la fermeture de deux portes à la maison cy-devant de Madame Élisabeth, mais on m'a observé que si l'on condamnoit celle de la petite cour côté de l'avenuë de Paris, le gardien de ce côté-là ne pourroit plus sortir d'aucun côté.

Il n'y auroit d'autre moyen, en persistant de lui interdire le passage par le jardin, que de lui faire ouvrir le guichet de la grande porte, après en avoir levé les scellés, car ils sont sur toutes les portes intérieures qui conduisent à la grande cour; mais il y communiqueroit par dehors.

J'ai appris, cher concitoyen, que vous étiez débarassé de votre rhume, j'en suis bien aise, mais moi je suis pris par tous les bouts, au pied par une reculade imprévue, à la tête par un rhume oppiniâtre, et par tout le corps je ne scais pourquoi.

Je suis votre frère en patriotisme,

Le maire de Versailles, Huvé.

Vu par nous administrateurs composant le directoire du district de (p. 587) Versailles, pour être exécuté par le citoyen inspecteur des bâtiments de l'arrondissement, en présence du citoyen Gazard, commis de l'administration, chargé de lever et apposer les scellés où besoin sera.

A Versailles, 9 mars 1793, l'an deux de la République.

Boyelleau, Bézard, v. p. Deveze, pr. s. Chailliou.
Courraut.


XIII.

A Versailles, le 7 mars 1793, l'an II de la République.

Citoyen,

Je vous prévient que Madame Élisabeth, avoit une chien de sûreté a sa maison, elle faisoit donner six livres de pain par jour, le citoyen Thierry, boulanger du ci-devant Roi, est m'en avoit donnez la garde comme étant le gardien de ladite maison, mais trouvant qu'un seul chien ne suffisoit pas pour la sûreté de la maison, Madame Élisabeth m'a ordonnez en différentes fois d'en élever plusieurs, comme il plaisoit à Madame Élisabeth d'en disposer à sa volonté, et quel en faisoit des cadots, laqu'elle m'avoit promis un dedomagement, mais comme n'étant point revenuë, je n'ai toujours eut que la nouriture du premier, dont ledit citoyen Thierry a cessez de fournir le pain le 1er mars de la présente année 1793; est je me trouve avoir trois gros chiens à ma charge, est des frais d'en avoir elever et nourries plusieurs dont deux jusqu'à présent s'en avoir eut aucun dédomagement; est ayant prévenüe les citoyens qui ont posez les scellés, comment est que je pouroit faire avec ces chiens, s'il falloit m'en défaire, où en prévenir la municipalité, ils monts ordonnez de les garder jusqu'à la levée des scellés. Mais n'ayant plus le pain est n'ayant aucun dédomagement pour les nourirents je ne peut pas garder trois gros chiens à ma charge.

Heuber, gardien de la maison ci-devant Madame Élisabeth.


Avis du directeur de la régie nationale de l'enregistrement.

Le directeur de la régie nationale qui a pris communication de la pétition de l'autre part, est d'avis:

1o Que le citoyen Hubert soit autorisé à conserver un chien de basse-cour pour la garde de la maison Élisabeth Capet, située à l'extrémité de l'avenüe de Paris;

(p. 588) 2o Qu'il lui soit tenu compte de cet objet de dépense à compter du 1er de ce mois, sur le pied qui sera déterminé par le directoire du district;

3o Enfin, que ledit Hubert vende, s'il est possible, ou donne les autres chiens qui sont inutiles. Le directeur observe au surplus que si les meubles existants dans cette maison étoient vendus ou transportés ailleurs, on trouveroit sans doute à la louer, ce qui produiroit le double avantage de supprimer toute espèce de dépense, et de procurer à la République un revenu dont elle est privée.

Versailles, 18 mars 1793, le deuxième de la République françoise.

Deschesne.


XIV.

Extrait du registre des délibérations du directoire du département de Seine-et-Oise.

Séance publique du 8 juin 1793, l'an II de la République française.

Vu par le directeur la réclamation de sept ouvriers jardiniers, employés au jardin ci-devant appartenant à la sœur de Louis Capet, dépendant de la liste civile et situé au grand Montreuil, qui a pour objet le payement de trente-six livres chacun, qu'ils déclarent avoir ci-devant été dans l'usage de recevoir annuellement à titre de gratification, et n'avoir pas touché depuis 1791 inclusivement;

Le certificat du jardinier de ce jardin qui atteste cet usage;

Le renvoi de ladite demande de la part du district au directeur de la régie;

L'avis du directeur de la régie du 2 janvier dernier;

L'avis au district de Versailles du 11 dudit mois de janvier;

Ouï le procureur général sindic,

Le directoire, attendû que les sept ouvriers réclamants n'étoient pas mis en œuvre de l'ordre direct de la ci-devant Madame Élisabeth, mais bien pour le jardinier personnellement, et que c'est conséquemment à celui-ci de pourvoir tant à leurs salaires qu'à leurs gratifications s'il le juge à propos;

Arrête qu'il n'y a pas lieu d'accorder les gratifications requises.

Pour expédition, signés Richaud et Bocquet, secrétaire.

Pour copie conforme:

Gazard, secrétaire.


(p. 589) XV.

Aujourd'hui lundi cinq août mil sept cent quatre-vingt-treize, l'an deux de la République une et indivisible, nous, J. M. Musset, Claude-Étienne Contant et Nicolas Monjardet, commissaires de la Convention nationale du district de Versailles et de la municipalité de ladite ville, nous sommes transportés dans la maison ci-devant occupée par Élisabeth Capet, avenue de Paris, à l'effet d'examiner si les meubles des appartements de cette maison n'étoient point endommagés par les vers ou autrement. Nous nous sommes fait accompagner dans la visite que nous avons faite de plusieurs de ces appartements par le citoyen Hubert, l'épouse du citoyen Fleury et le citoyen Prévost, tous trois gardiens des scellés de ladite maison.

Les meubles que nous avons examinés sont ceux des appartements dont les portes d'entrée sont numérotées 1 et 2, — 16 et 17, — 12 et 13, — 14, 15, — 18 et 20, desquelles portes nous avons levé les scellés, trouvés intacts.

Voyant que ces meubles étoient tout neufs et fort peu endommagés des vers, nous avons jugé inutile d'en examiner un plus grand nombre, et nous nous sommes bornés à en faire battre plusieurs couchers et chaises sortis à cet effet dans la cour, en en prenant note; après quoi nous avons fait exactement replacer chacun à sa place, avons fait entièrement refermer lesdits appartements, et les scellés ont été réapposés par le commissaire du district sur chacune desdites portes.

Ensuite nous avons cru devoir, avant de terminer, visiter aussi les meubles de l'appartement d'Élisabeth Capet. Nous avons à cet effet levé les scellés mis sur la porte d'entrée, et après avoir entré dans l'antichambre, nous avons trouvé déchiré dans le milieu, et vis-à-vis la jonction des deux battants de la porte, le papier des scellés mis sur la porte à gauche qui est celle de l'appartement; et cette porte ouverte, le pesne de la serrure étant hors de la gâche, sur quoi il nous a été observé par lesdits gardiens que cette porte, fermée ainsi peut-être par inadvertance, pouvoit avoir été la cause du déchirement de ce papier dans quelque moment où il y aura eu du vent.

Nous avons vérifié que les meubles de cet appartement, qui sont précieux, n'étoient nullement endommagés. Nous avons refermé ladite porte trouvée ouverte, mais sans y apposer de nouveaux scellés, observant que ceux de la porte d'entrée suffisoient, et les scellés ont été réapposés sur celle-ci.

(p. 590) De tout quoi nous avons dressé le présent procès-verbal, fait double pour être déposé au district et l'autre entre les mains des représentants du peuple, et avons signé avec lesdits gardiens présents, l'un d'eux représentés par son épouse, les an, mois et jour susdits. Et avons remis à la maison commune les clefs desdits appartements où elles étoient déposées.

Monjardet, J. M. Musset, commissaire national, Prévost,
Coutant, commissaire du district, Heuber, Femme Flury.


XVI.

Aux citoyens administrateurs du directoire du district de Seine-et-Oise.

Citoyens,

Coupry, jardinier dans la ci-devant maison d'Élisabeth Capet, est décédé hier 8 nivôse à la suite d'une maladie; comme j'ai toujours veillié autant qu'il a dependû de moi aux interest de la République, si j'ai pû obtenir quelque confiance, je prie les citoyens administrateurs de vouloir bien me maintenir dans l'emploi provisoire de la surveillance du jardin et orangerie, ou il ce trouve maintenant beaucoup de plantes appartenant à la nation auxquelles j'ai toujours donné mes soins.

Lacolonge.

A Versailles, ce 9 nivôse, l'an second de la République françoise (29 décembre 1793).

Salut et fraternité.


Avis du directeur de la régie nationale.

Le directeur de la régie observe que, vû la vigilance et la probité bien reconnues du citoyen Lacolonge, l'administration adoptera une mesure fort sage, en lui confiant provisoirement le soin de veiller à la conservation des jardins, orangerie, plantes et arbustes de la maison d'Élisabeth Capet: il avoit la confiance de Coupry; personne ne connoît mieux que lui les détails de cette maison, il n'est donc pas possible de faire meilleur choix.

Il est vraisemblable que des anciens ouvriers, qui ont travaillé dans le jardin dépendant de ladite maison, feront des démarches pour remplacer Coupry; mais il seroit contraire à l'intérêt de la République (p. 591) de les laisser s'immiscer dans une administration où il régnoit une foule d'abus qu'on a attribués à plusieurs d'entr'eux.

Versailles, ce 21 nivôse de l'an II de la République une et indivisible (10 janvier 1794).

Deschesne.


XVII.

Aujourd'hui sept ventôse, an second de la République françoise une et indivisible (25 février 1794), à quatre heures de relevée, moi, soussigné, comissaire nommé par l'administration du district de Versailles, département de Seine-et-Oise, par comission en datte du 24 pluviôse, pour la levée des scellés apposés au local du palais National et autres lieux dépendants de la ci-devant liste civile, assisté du citoyen Tissot, notable, comissaire pour la municipalité, nous nous sommes transporté au local dit Maison Élisabeth, où, après vérification faite des scellés apposés sur différentes portes environnant le jardin et autres issues de la maison, nous en avons fait la levée ainsi qu'il suit, savoir:

Po A une porte de la cour des cuisines;

2o Une grande porte donnant sur l'avenue de Paris;

3o Une porte donnant sous la voûte qui conduit à l'avenue de Paris;

4o Une porte donnant sur la ruelle, au bout du jardin Lemonier;

5o A la porte de communication du jardin dudit Lemonier;

6o A la porte de communication du jardin de la citoyenne Makau;

7o A la porte donnant à la maison de la femme Diane Polignac;

8o A la porte du jardin du petit bâtiment détaché;

9o A la porte cochère du petit bâtiment id.

Plus, le citoyen Flury, concierge de laditte maison, nous a fait voir des chassis de couche vitré, au nombre de soixante-dix-sept de 4 pieds carrés, et huit de 18 pouces sur 4 pieds, dont il a donné note au citoyen L'Oiseleur, inspecteur de laditte maison.

La levée des scellés étant terminés, nous donnons décharge aux gardiens ci-après dénommés, savoir:

Le citoyen Flury,

Prévost,

Heubert,

Bonifacy.

Et a ledit citoyen Flury signé avec nous, comme restant concierge, ce jour et an que dessus.

Tissot, notable. Costar, commissaire du district. Flury.


(p. 592) XVIII

Aux citoyens administrateurs composant le directoire du district de Versailles.

Citoyens,

Le citoyen Jean-Philippe Quadot, ci-devant balayeur de la maison de ci-devant Élisabeth Capet, soumets sous vos yeux sa triste position, etant pere de famille: est peu favorisez de la fortune, il ose espérer de votre justices le soutien que tous citoyen doit attendre de vous magistrats, lorsque la demande d'un réclamant ce trouve fondé; c'est dans cette espoir qu'ils vous soumets les reclamations suivante.

Jean-Philippe Quadot, âgé de soixante ans, pere de famille et indigent, a servie sous le règne du tyran Louis quinzième du nom, dans le ci-devant régiment de Normandie, où il fit cinq campagne durant les guerres d'Hanôvre; sortie du service militaire en 1757 (v. stile) il entra l'année ensuite au ci-devant château, en qualité de garçon marbrier pour l'entretien et la propreté de toute les marbres qui dépendoient des appartements dudit château, ainsi que de ceux de la chapelle; ayant de paye vingt sols par jour; ce qui ne pouvoit qu'à peine le faire subsanter lui est sa famille, mais dans lespoir où le réclamant étoit que l'on prendroit son sort et son ancien service en considération fait qu'il a toujours espérez jusqu'en 1789 (v. stile) où la ci-devant Élisabeth le prit à son service en qualité de balayeur, ordonnant qu'il fut habillez logez chauffez et eclairez, lui accordant aussi trente sols par jours de gage. Ce qui ne fut pas exécuté t'elle qu'elle l'avoit ordonnée, n'ayant étté logez qu'un an après etre entrée à son service, est n'ayant point étté habillez du tout, pour les trente sols par jour de gage la première année nayant étté payéz par le citoyen Sulleau concierge de la maison qui en etoit chargéz à raison de vingt quatre sols la seconde à raison de vingt six sols et la troisième à raison de vingt huit sols par jour jusqu'aux premier novembre; où ayant fait observer audit citoyen Sulleau que ce n'étoit point là les ordres de la maîtresse de le payer depuis vingt quatre sols jusqu'à vingt huit sols puisqu'elle avoit ordonné de le payer à raison de trente sols par jour; sur quoi le dit concierge lui dit qu'il n'étoit jamais content et comment faisoit-il au château lorsqu'il n'avoit que vingt sols, à quoi le citoyen Quadot a répondu qu'il avoit des Bonnes-âmes qui l'aidoit lui est sa famille, est que sa femme travailloit mais que n'étant plus jeune ni lui non plus ils seroit bien malheureux qu'ils fussent obligéz d'aller mendier leurs pains, tandis (p. 593) que lui concierge ne ce contentant pas de sa place cherchoit encor à retenir le salaire d'un malheureux. Cependant d'après cette explication il le paya à raison de trente sols par jour depuis le mois de novembre 1792 (v. style); quand au bois et la chandelle, il n'en avoit pas la moitié de son besoin.

Voici le précis de son état qu'il vous a exposéz.—Actuellement voici où ce borne sa demarche auprès de vous citoyens administrateurs.

Le citoyen Flüry garçon du citoyen Sulleau, ordonna le 18 ventôse au citoyen Quadot dévacuer le logement qu'il occupe dans la maison de rendre les meubles dans le délai de vingt-quatre heures; le malheureux Quadot malade d'un coup de pied de cheval qu'il a reçue dans lestomac, s'en le sols s'en lit pour ce coucher lui et sa famille...

Je pase sous silence a votre humanité le tableau douloureux d'une famille abandonnée, réduite au désespoir.

N'ayant aucunes resources que de votre justices et ayant une conduite s'en reproche.

Vous fait la demande de son logement jusqu'au moment où l'on disposeroit de la maison autrement: en titre de charité après trente-six ans de service; est vous demande aussi de lui faire avoir son lit à la prissez un sixième en sus de l'estimation.

Justices qu'il attend de vous citoyens administrateurs ce qui le pénétrera de la plus vive reconnoissance.

Le citoyen Quadot ne schachant point signée à fait une

X

La demande du sieur Quadot est appuyée ainsi par sa section.

Les président et secrétaires de la treizième section au nom de leurs concitoyens atestent que le citoyen Kadot est un bon citoyen, qu'il est père de quatre enfans dont trois à sa charge et un dans l'armée révolutionnaire, qu'en outre il est privé de toute fortune. En conséquence, il invite les membres du district de prendre en considération son honnêteté, les besoins de sa famille, et de permettre qu'il reste dans le logement qu'il occupe jusqu'à ce qu'il plaise à la justice du district d'en ordonner autrement.

Versailles, le 21 ventôse, l'an deuxième de la République une et indivisible. (11 mars 1794.)

Tardif, secrétaire.

Le registre des délibérations de l'administration du district de Versailles nous apprend que,

(p. 594) Dans la séance publique du 16 germinal an II (5 avril 1794),

«Ouï l'agent national provisoire,

»L'administration considérant que la position du réclamant exige des égards; que l'humanité souffrante ne peut qu'engager à secourir les infortunés;

»Considérant que les intérêts de la République ne doivent pas être compromis;

»Arrête que le citoyen Kadot jouira provisoirement du logement qu'il occupe à la ci-devant maison d'Élisabeth Capet, jusqu'à ce qu'il ait été pris un parti par l'administration pour la vente ou la location de cette maison.

»Pour expédition,

»Bournizet, Américain.
»Leclerc, p. le s.»


XIV
LETTRE DES PRINCES AU ROI.

Sire, notre Frère et Seigneur,

Lorsque l'assemblée qui vous doit l'existence, et qui ne l'a fait servir qu'à la destruction de votre pouvoir, se croit au moment de consommer sa coupable entreprise; lorsqu'à l'indignité de vous tenir captif au milieu de votre capitale, elle ajoute la perfidie de vouloir que vous dégradiez votre trône de votre propre main; lorsqu'elle ose enfin vous présenter l'option, ou de souscrire des décrets qui feroient le malheur de vos peuples, ou de cesser d'être roi, nous nous empressons d'apprendre à Votre Majesté que les puissances dont nous avons réclamé pour elle le secours, sont déterminées à y employer leurs forces; que l'Empereur et le roi de Prusse viennent d'en contracter l'engagement mutuel. Le sage Léopold, aussitôt après avoir assuré la tranquillité de ses États et amené celle de l'Europe, a signé cet engagement à Pilnitz, le 29 du mois dernier, conjointement avec le digne successeur du grand Frédéric; ils en ont remis l'original entre nos mains, et pour le faire parvenir à votre connoissance nous le ferons imprimer à la suite de cette lettre, la publicité étant aujourd'hui la seule voie de communication dont vos cruels oppresseurs n'aient pu nous priver.

(p. 595) Les autres cours sont dans les mêmes dispositions que celles de Vienne et de Berlin. Les princes et États de l'Empire ont déjà protesté, dans des actes authentiques, contre les lésions faites à des droits qu'ils ont résolu de soutenir avec vigueur. Vous ne sauriez douter, Sire, du vif intérêt que les rois Bourbons prennent à votre situation; Leurs Majestés Catholique et Sicilienne en ont donné des témoignages non équivoques. Les généreux sentiments du roi de Sardaigne, notre beau-père, ne peuvent pas être incertains. Vous avez droit de compter sur ceux des Suisses, les bons et anciens amis de la France. Jusque dans le fond du Nord, un roi magnanime[235] veut aussi contribuer à rétablir votre autorité; et l'immortelle Catherine, à qui aucun genre de gloire n'est étranger, ne laissera pas échapper celle de défendre la cause des souverains.

Il n'est point à craindre que la nation britannique, trop généreuse pour contrarier ce qu'elle trouve juste, trop éclairée pour ne pas désirer ce qui intéresse sa propre tranquillité, veuille s'opposer aux vues de cette noble et irrésistible confédération.

Ainsi, dans vos malheurs, Sire, vous avez la consolation de voir les puissances conspirer à les faire cesser, et votre fermeté, dans le moment critique où vous êtes, aura pour appui l'Europe entière.

Ceux qui savent qu'on n'ébranle vos résolutions qu'en attaquant votre sensibilité, voudront sans doute vous faire envisager l'aide des puissances étrangères comme pouvant devenir funeste à vos sujets; ce qui n'est que vue auxiliaire, ils le travestiront en vue hostile, et vous peindront le royaume inondé de sang, déchiré dans toutes ses parties, menacé de démembrements. C'est ainsi qu'après avoir toujours employé les plus fausses alarmes pour causer les maux les plus réels, ils veulent se servir encore du même moyen pour les perpétuer; c'est ainsi qu'ils espèrent faire supporter le fléau de leur odieuse tyrannie, en faisant croire que tout ce qui la combat conduit au plus dur despotisme.

Mais, Sire, les intentions des souverains qui vous donneront des secours sont aussi droites, aussi pures que le zèle qui nous les fait solliciter; elles n'ont rien d'effrayant ni pour l'État, ni pour vos peuples: ce n'est point les attaquer, c'est leur rendre le plus signalé de tous les services, que de les arracher au despotisme des démagogues, aux calamités de l'anarchie. Vous vouliez assurer plus que jamais la liberté de vos sujets, quand des séditieux vous ont ravi la (p. 596) vôtre; ce que nous faisons pour parvenir à vous la rendre, avec la mesure d'autorité qui vous appartient légitimement, ne peut être suspecté de volonté oppressive; c'est au contraire venger la liberté que de réprimer la licence; affranchir la nation, que de rétablir la force publique, sans laquelle elle ne peut être libre. Ces principes, Sire, sont les vôtres; le même esprit de modération et de bienfaisance qui caractérise toutes vos actions sera la règle de notre conduite: il est l'âme de toutes nos démarches auprès des cours étrangères; et dépositaires des témoignages positifs des vues aussi généreuses, qu'équitables qui les animent, nous pouvons garantir qu'elles n'ont d'autre désir que de vous remettre en possession du gouvernement de vos États, pour que vos peuples puissent jouir en paix des bienfaits que vous leur avez destinés.

Si les rebelles opposent à ce désir une résistance opiniâtre et aveugle, qui force les armées étrangères de pénétrer dans le royaume, eux seuls les y auront attirées, sur eux seuls rejailliroit le sang coupable qu'il seroit nécessaire de répandre; la guerre seroit leur ouvrage. Le but des puissances étrangères n'est que de soutenir la partie saine de la nation contre la partie délirante, et d'éteindre au sein du royaume le volcan du fanatisme, dont les éruptions propagées menacent tous les empires.

D'ailleurs, Sire, il n'y a pas lieu de croire que les François, quelque soin qu'on prenne d'enflammer leur bravoure naturelle, en exaltant, en électrisant toutes les têtes par des prestiges de patriotisme et de liberté, veuillent longtemps sacrifier leur repos, leurs biens et leur sang pour soutenir une innovation extravagante qui n'a fait que des malheureux. L'ivresse n'a qu'un temps; les succès du crime ont des bornes; et on se lasse bientôt des excès, quand on est soi-même victime. Bientôt on se demandera pourquoi on se bat, et l'on verra que c'est pour servir l'ambition d'une troupe de factieux qu'on méprise, contre un roi qui s'est toujours montré juste et humain; pourquoi l'on se ruine, et l'on verra que c'est pour assouvir la cupidité de ceux qui se sont emparés de toutes les richesses de l'État, qui en font le plus détestable usage, et qui, chargés de restaurer les finances publiques, les ont précipitées dans un abîme épouvantable; pourquoi on viole les devoirs les plus sacrés, et l'on verra que c'est pour devenir plus pauvres, plus souffrants, plus vexés, plus imposés qu'on ne l'avoit jamais été; pourquoi on bouleverse l'ancien gouvernement, et l'on verra que c'est dans le vain espoir d'en introduire un qui, s'il étoit praticable, seroit mille fois plus abusif, mais dont l'exécution (p. 597) est absolument impossible; pourquoi l'on persécute les ministres de Dieu, et l'on verra que c'est pour favoriser les desseins d'une secte orgueilleuse qui a résolu de détruire toute religion, et par conséquent de déchaîner tous les crimes.

Déjà même toutes ces vérités sont devenues sensibles, déjà le voile de l'imposture se déchire de toutes parts, et les murmures contre l'assemblée qui a usurpé tous les pouvoirs et anéanti tous les droits s'étendent d'une extrémité du royaume à l'autre.

Ne jugez pas, Sire, de la disposition du plus grand nombre par le mouvement des plus turbulents; ne jugez pas le sentiment national d'après l'inaction de la fidélité et son apparente indifférence. Lorsque vous fûtes arrêté à Varennes et lorsqu'une troupe de satellites vous reconduisit à Paris, l'effroi glaçoit alors tous les esprits et faisoit régner un morne silence. Ce qu'on vous cacha, ce qui dénote bien mieux le changement qui s'est fait et se fait encore de jour en jour dans l'opinion, ce sont les marques de mécontentement qui percent de toutes les provinces, et qui n'attendent qu'un appui pour éclater davantage; c'est la demande que plusieurs départements viennent de former pour que l'Assemblée ait à rendre compte des sommes immenses qu'elle a dilapidées depuis sa gestion; c'est la frayeur que ses chefs laissent apercevoir, et leurs tentatives réitérées pour entrer en accommodement; ce sont les plaintes du commerce et l'explosion récente du désespoir de nos colonies; c'est enfin la pénurie absolue du numéraire, le refus des contribuables de payer les impôts, l'attente d'une banqueroute prochaine, la défection des troupes qui, victimes de tous les genres de séduction, commencent à s'en indigner, et le progrès toujours croissant des émigrations. Il est impossible de se méprendre à de pareils signes, et leur notoriété est telle que l'audace même des séducteurs du peuple ne sauroit en contester la vérité.

Ne croyez donc pas, Sire, à l'exagération des dangers par lesquels on s'efforce de vous effrayer. On sait que, peu sensible à ceux qui ne menaceroient que votre personne, vous l'êtes infiniment à ceux qui tomberoient sur vos peuples, ou qui pourroient frapper des objets chers à votre cœur, et c'est sur eux qu'on a la barbarie de vous faire frémir continuellement, en même temps qu'on a l'impudence de vanter votre liberté. Mais depuis trop longtemps on abuse de cet artifice, et le moment est venu de rejeter sur les factieux qui vous outragent l'arme de la terreur qui jusqu'ici a fait toute leur force.

Les grands forfaits ne sont point à craindre lorsqu'il n'y a aucun intérêt à les commettre, ni aucun moyen d'éviter, en les commettant, (p. 598) une punition terrible. Tout Paris sait, tout Paris doit savoir que si une scélératesse fanatique ou soudoyée osoit attenter à vos jours ou à ceux de la Reine, des armées puissantes, chassant devant elles une milice foible par indicispline, découragée par les remords, viendroient aussitôt fondre sur la ville impie qui auroit attiré sur elle la vengeance du ciel et l'indignation de l'univers. Aucun des coupables ne pourroit échapper aux plus rigoureux supplices; donc aucun d'eux ne voudra s'y exposer.

Mais si la plus aveugle fureur armoit un bras parricide, vous verriez, Sire, n'en doutez pas, des milliers de citoyens fidèles se précipiter autour de la famille royale, vous couvrir, s'il le falloit, de leurs corps, et verser tout leur sang pour défendre le vôtre... Eh! pourquoi cesseriez-vous de compter sur l'affection d'un peuple dont vous n'avez pas cessé un seul moment de vouloir le bonheur?

Le François se laisse facilement égarer, mais facilement aussi il rentre dans la route du devoir; ses mœurs sont naturellement trop douces pour que ses actions soient longtemps féroces; et son amour pour ses rois est trop enraciné dans son cœur, pour qu'une illusion funeste ait pu l'en arracher entièrement.

Qui pourroit être plus porté que nous à concevoir des alarmes sur la situation d'un frère tendrement chéri? Mais, au dire même de vos plus téméraires oppresseurs, ce refus du résumé constitutionnel, que nous apprenons vous avoir été présenté par l'Assemblée, le 3 de ce mois, ne vous exposeroit qu'au danger d'être destitué par elle de la royauté; or ce danger n'en est pas un. Qu'importe que vous cessiez d'être roi aux yeux des factieux, lorsque vous le seriez plus glorieusement et plus solidement que jamais aux yeux de toute l'Europe et dans le cœur de tous vos sujets fidèles? Qu'importe que, par une entreprise insensée, on osât vous déclarer déchu du trône de vos ancêtres, lorsque les forces combinées de toutes les puissances sont préparées pour vous y maintenir et punir les vils usurpateurs qui en auroient souillé l'éclat?

Le danger seroit bien plus grand si, en paroissant consentir à la dissolution de la monarchie, vous paroissiez affaiblir vos droits personnels aux secours de tous les monarques, et si vous sembliez vous séparer de la cause des souverains en consacrant une doctrine qu'ils sont obligés de proscrire. Le péril augmenteroit en proportion de ce que vous montreriez moins de confiance dans les moyens préservateurs; il augmenteroit à mesure que l'impression du caractère auguste qui fait trembler le crime aux pieds de la majesté royale dignement (p. 599) soutenue, perdroit de sa force; il augmenteroit lorsque l'apparence de l'abandon des intérêts de la religion pourroit exciter la fermentation la plus redoutable; il augmenteroit enfin, si, vous résignant à n'avoir plus que le vain titre d'un roi sans pouvoir, vous paroissiez, au jugement de l'univers, abdiquer la couronne, dont chacun sait que la conservation exige celle des droits inaliénables qui y sont essentiellement inhérents.

Le plus sacré des devoirs, Sire, ainsi que le plus vif attachement, nous portent à mettre sous vos yeux toutes ces conséquences dangereuses de la moindre apparence de foiblesse, en même temps que nous vous présentons la masse des forces imposantes qui doit être la sauvegarde de votre fermeté.

Nous devons encore vous annoncer, et même nous jurons à vos pieds, que si des motifs qu'il nous est impossible d'apercevoir, mais qui ne pourroient avoir pour principe que l'excès de la violence et une contrainte qui, pour être déguisée, n'en seroit que plus cruelle, forçoient votre main de souscrire une acceptation que votre cœur rejette, que votre intérêt et celui de vos peuples repoussent, et que votre devoir de roi vous interdit expressément, nous protesterions à la face de toute la terre, et de la manière la plus solennelle, contre cet acte illusoire et tout ce qui pourroit en dépendre; nous démontrerions qu'il est nul par lui-même, nul par le défaut de liberté, nul par le vice radical de toutes les opérations de l'Assemblée usurpatrice, qui, n'étant pas assemblée d'états généraux, n'est rien. Nous sommes fondés sur les droits de la nation entière à rejeter des décrets diamétralement contraires à son vœu exprimé par l'unanimité des cahiers, et nous désavouerions pour elle des mandataires infidèles qui, en violant les ordres et transgressant la mission qu'elle leur avoit donnée, ont cessé d'être ses représentants; nous soutiendrions, ce qui est évident, qu'ayant agi contre leur titre, ils ont agi sans pouvoir, et que ce qu'ils n'ont pu faire légalement ne peut être accepté validement. Notre protestation, signée avec nous par tous les princes de votre sang qui nous sont réunis, seroit commune à toute la maison de Bourbon, à qui ses droits éventuels à la couronne imposent le devoir d'en défendre l'auguste dépôt. Nous protesterions pour vous-même, Sire, en protestant pour vos peuples, pour la religion, pour les maximes fondamentales de la monarchie et pour tous les ordres de l'État.

Nous protesterions pour vous et en votre nom contre ce qui n'en auroit qu'une fausse empreinte. Votre voix étant étouffée par l'oppression, nous en serions les organes nécessaires, et nous exprimerions (p. 600) vos vrais sentiments, tels qu'ils sont consignés au serment de votre avénement au trône, tels qu'ils sont constatés par les actions de votre vie entière, tels qu'ils se sont montrés dans la déclaration que vous avez faite au moment où vous vous êtes cru libre; vous ne pouvez pas, vous ne devez pas en avoir d'autres, et votre volonté n'existe que dans les actes où elle respire librement.

Nous protesterions pour vos peuples, qui, dans leur délire, ne peuvent apercevoir combien ce fantôme de constitution nouvelle qu'on fait briller à leurs yeux et aux pieds duquel on les fait jurer vainement, leur deviendroit funeste. Lorsque ces peuples, ne connoissant plus ni chef légitime, ni leurs intérêts les plus chers, se laissent entraîner à leur perte; lorsque, aveuglés par de trompeuses promesses, ils ne voient pas qu'on les anime eux-mêmes à détruire les gages de leur sûreté, les soutiens de leur repos, les principes de leur subsistance et tous les liens de leur association civile, il faut en réclamer pour eux le rétablissement, il faut les sauver de leur propre frénésie.

Nous protesterions pour la religion de nos pères, qui est attaquée dans ses dogmes et dans son culte, comme dans ses ministres; et suppléant à l'impuissance où vous serez de remplir vous-même vos devoirs de fils aîné de l'Église, nous prendrions en votre nom la défense de ses droits, nous nous opposerions à des spoliations qui tendent à l'avenir; nous nous élèverions avec force contre des actes qui menacent le royaume des horreurs du schisme, et nous professerions hautement notre attachement inaltérable aux règles ecclésiastiques admises dans l'État, desquelles vous avez juré de maintenir l'observation.

Nous protesterions pour les maximes fondamentales de la monarchie, dont il ne vous est pas permis, Sire, de vous départir, que la nation elle-même a déclarées inviolables, et qui seroient totalement renversées par les décrets qu'on vous présente, spécialement par ceux qui, en excluant le Roi de l'exercice du pouvoir législatif, abolissent la royauté même; par ceux qui en détruisent tous les soutiens, en supprimant les rangs intermédiaires; par ceux qui, en nivelant tous les états, anéantissent jusqu'au principe de l'obéissance; par ceux qui enlèvent au monarque les fonctions les plus essentielles du gouvernement monarchique, ou qui le rendent subordonné dans celles qu'ils lui laissent; par ceux enfin qui ont armé le peuple, qui ont annulé la force publique, et qui, en confondant tous les pouvoirs, ont introduit en France la tyrannie populaire.

(p. 601) Nous protesterions pour tous les ordres de l'État, parce que, indépendamment de la suppression intolérable et impossible prononcée contre les deux premiers ordres, tous ont été lésés, vexés, dépouillés, et nous aurions à réclamer tout à la fois les droits du clergé, qui n'a voulu montrer une ferme et généreuse résistance que pour les intérêts du ciel et les fonctions du saint ministère; les droits de la noblesse, qui, plus sensible aux outrages faits au trône dont elle est l'appui qu'à la persécution qu'elle éprouve, sacrifie tout pour manifester par un zèle éclatant qu'aucun obstacle ne peut empêcher un chevalier françois de demeurer fidèle à son roi, à sa patrie, à son honneur; les droits de la magistrature qui regrette, beaucoup plus que la privation de son état, de se voir réduite à gémir en silence de l'abandon de la justice, de l'impunité des crimes et de la violation des lois dont elle est essentiellement dépositaire; enfin, des droits des possesseurs quelconques, puisqu'il n'est point en France de propriété qui ait été respectée, point de citoyens honnêtes qui n'aient souffert.

Comment pourriez-vous, Sire, donner une approbation sincère et valide à la prétendue constitution qui a produit tant de maux!

Dépositaire usufruitier du trône que vous avez hérité de vos aïeux, vous ne pouvez ni en aliéner les droits patrimoniaux, ni détruire la base constitutive sur laquelle il est assis.

Défenseur-né de la religion de vos États, vous ne pouvez pas consentir à ce qui tend à sa ruine, et abandonner ses ministres à l'opprobre.

Débiteur de la justice à vos sujets, vous ne pouvez pas renoncer à la fonction essentiellement royale de la leur faire rendre par les tribunaux légalement constitués et d'en surveiller vous-même l'administration.

Protecteur des droits de tous les ordres et des possessions de tous les particuliers, vous ne pouvez pas les laisser violer et anéantir par la plus arbitraire des oppressions.

Enfin, père de vos peuples, vous ne pouvez pas les livrer au désordre de l'anarchie.

Si le crime qui vous obsède et la violence qui vous lie les mains ne vous permettent pas de remplir ces devoirs sacrés, ils n'en sont pas moins gravés dans votre cœur en traits ineffaçables, et nous accomplirons votre volonté réelle en suppléant, autant qu'il est en nous, à l'impuissance où vous êtes de l'exercer. Dussiez-vous même nous le défendre, et fussiez-vous forcé de vous dire libre en nous le défendant, ces défenses évidemment contraires à vos sentiments, puisqu'elles (p. 602) le seroient au premier de vos devoirs; ces défenses sorties du sein de votre captivité, qui ne cessera réellement que quand vos peuples seront rentrés dans le devoir et vos troupes sous votre obéissance; ces défenses qui ne pourroient avoir plus de valeur que tout ce que vous avez fait avant votre sortie et que vous avez désavoué ensuite; ces défenses enfin, qui seroient imprégnées de la même nullité que l'acte approbatif contre lequel nous serions obligés de protester, ne pourroient certainement pas nous faire trahir notre devoir, sacrifier vos intérêts et manquer à ce que la France auroit droit d'exiger de nous en pareille circonstance; nous obéirons, Sire, à vos véritables commandements, en résistant à des défenses extorquées, et nous serions sûrs de votre approbation en suivant les lois de l'honneur. Notre parfaite soumission vous est trop connue pour que jamais elle vous paroisse douteuse. Puissions-nous être bientôt au moment heureux où, rétabli en pleine liberté, vous nous verrez voler dans vos bras, y renouveler l'hommage de notre obéissance et en donner l'exemple à tous vos sujets.

Nous sommes, Sire, notre frère et seigneur, de Votre Majesté

Les très-humbles et très-obéissants frères, serviteurs et sujets,

Louis-Stanislas-Xavier. Charles-Philippe.

Au château de Schonburnstust, près Coblentz, le 10 septembre 1791.


XV
PROCLAMATION DU ROI
A L'OCCASION DE LA JOURNÉE DU 20 JUIN 1792.

Les Français n'auront pas appris sans douleur qu'une multitude égarée par quelques factieux est venue à main armée dans l'habitation du Roi, a traîné du canon jusque dans la salle des gardes, a enfoncé les portes de son appartement à coups de hache, et là, abusant audacieusement du nom de la nation, elle a tenté d'obtenir par la force la sanction que Sa Majesté a constitutionnellement refusée à deux décrets.

Le Roi n'a opposé aux menaces et aux insultes des factieux que sa conscience et son amour pour le bien public.

Le Roi ignore quel sera le terme où ils voudront s'arrêter; mais il a besoin de dire à la nation française que la violence, à quelque (p. 603) excès qu'on veuille la porter, ne lui arrachera jamais un consentement à tout ce qu'il trouvera contraire à l'intérêt public. Il expose sans regret sa tranquillité, sa sûreté; il sacrifie même sans peine la jouissance des droits qui appartiennent à tous les hommes, et que la loi devrait faire respecter chez lui, comme chez tous les citoyens; mais, comme représentant héréditaire de la nation française, il a des devoirs sacrés à remplir; et, s'il peut faire le sacrifice de son repos, il ne fera pas le sacrifice de ses devoirs.

Si ceux qui veulent renverser la monarchie ont besoin d'un crime de plus, ils peuvent le commettre. Dans l'état de crise où elle se trouve, le Roi donnera jusqu'au dernier moment à toutes les autorités constituées l'exemple du courage et de la fermeté qui seuls peuvent sauver l'empire. En conséquence, il ordonne à tous les corps administratifs et municipaux de veiller à la sûreté des personnes et des propriétés.

Signé: LOUIS.

FIN.

(p. 605) TABLE
DU SECOND VOLUME.

DOCUMENTS RELATIFS A LA MAISON ÉLISABETH, SISE AU GRAND MONTREUIL.

(p. 608) PLACEMENT DES GRAVURES ET AUTOGRAPHES.

Notes

1: «M. la Fayette, qui jugeoit plus sainement alors l'état des choses qu'au commencement de la révolution, dit Malouet, étoit de bonne foi dans son désir de se consacrer au salut du Roi et de la Constitution, après avoir contribué à mettre l'un et l'autre fort en péril. Il étoit sûr de son armée et de celle de son collègue Luckner, si le Roi consentoit à se mettre à leur tête. Il étoit venu au mois de mai à Paris pour lui en faire la proposition, et comme il savoit que Sa Majesté avoit confiance en moi, il me fit demander un rendez-vous chez madame la princesse d'Hénin, où étoient madame de Poix et madame de Simiane.» (Mémoires de Malouet, publiés par son petit-fils, t. II, p. 143.)

2: «Il étoit bien entendu, dit Malouet, que l'adhésion du Roi à l'acte constitutionnel et à ceux qui le défendoient seroit franche et entière.» Plus loin il ajoute: «Quels que furent les vœux, les espérances de la famille royale, rien ne peut justifier l'imprudence du Roi de s'être isolé sans défense au milieu de ses ennemis, de n'avoir su ni voulu rallier à lui un parti national.»

Malouet, malgré ses bonnes intentions, retombe ici dans la logomachie qui fit tant de mal à cette époque. Où était ce parti national? Savait-il ce qu'il voulait, ce qu'il faisait? Avant et après Varennes, n'avait-il pas traité le Roi en ennemi?

3: C'est la conviction de l'honnête Malouet: «Croira-t-on, dit-il, que le Roi, qui avoit l'esprit juste; que la Reine, qui ne manquoit ni de lumière ni de courage; que Madame Élisabeth, qui en avoit beaucoup, se réduisissent volontairement, au milieu des plus grands dangers, à une complète inaction?»

4: La Reine écrivait le 4 juillet au comte de Mercy: «Vous connoissez déjà les événements du 20 juin, notre position devient tous les jours plus critique. Il n'y a que violence et rage d'un côté, foiblesse et inertie de l'autre. On ne peut compter ni sur la garde nationale ni sur l'armée; on ne sait s'il faut rester à Paris ou se jeter ailleurs.» La journée du 10 août donna tristement raison à la Reine pour la garde nationale; la nécessité où fut le général la Fayette de s'enfuir et d'émigrer après le 10 août lui donna tristement raison pour l'armée. Malouet dit lui-même: «Dans Paris, où la majorité constitutionnelle étoit encore plus nombreuse que dans l'Assemblée, ce fut la plus vile populace et les scélérats dont elle suivait l'impulsion qui se montrèrent les plus forts, et imprimèrent à tous les citoyens la terreur qui les a dominés pendant tout le cours de la révolution.» (Arneth, Marie-Antoinette, Joseph und Leopold, p. 265.)

5: «Le Roi, dit Malouet, n'avoit pas contre les constitutionnels une aversion aussi prononcée que la Reine et Madame Élisabeth; mais il ne s'y fioit pas, et croyoit pouvoir éviter de s'en rapprocher. Le parti jacobin leur inspiroit plus de mépris que de crainte..... Ils supposoient les révolutionnaires plus corrompus que fanatiques. (Tome II, page 157.)

6: La terre de Lamotte, appartenant au duc d'Orléans, qui cherchait en effet à la vendre. Le parc s'étendait jusqu'au bord de la mer.

7: Voir à la fin du volume aux pièces justificatives, no I.

8: Séance du 13 août 1792.

9: Voir à ce sujet les registres de la Commune et les Archives de l'Empire.

10: On avait pendu Favras sur la place de Grève, on y avait amené les restes palpitants de Flesselles et de de Launay: mais la révolution ne voulut pas que le palais du peuple fût souillé du sang de ses ennemis. Elle reporta ce spectacle devant le palais des rois. Le 24 août, M. de Laporte fut décapité sur la grande place du Carrousel, vis-à-vis du château des Tuileries. Il était âgé de quarante-neuf ans. C'était lui qui, le 22 juin 1791, avait remis à l'Assemblée nationale la déclaration que Louis XVI avait écrite avant de partir pour Varennes. Il avait entendu sa condamnation sans trouble; il monta sur l'échafaud avec dignité. Là, se tournant vers le peuple, il dit avec douceur: «Citoyens, soyez sûrs que je meurs innocent; car je ne puis regarder comme un crime ma fidélité à mon Roi: puisse mon sang, que vous désirez, vous donner plus de bonheur et rendre la paix à ma patrie!»

11: Marchant à la mort le 25 août, fête de saint Louis, Durosoi s'écria: «Il est beau pour un royaliste comme moi de mourir le jour de saint Louis.»

12: Seul moment où il pouvait laisser tomber une parole sans qu'elle fût ramassée par le municipal de service.

13: La vertu de Madame Élisabeth a produit la même impression sur tous ceux qui l'ont connue. Madame Elliot, cette Anglaise qui régna tour à tour à la cour du prince de Galles et à celle du duc d'Orléans, en parle comme Joseph de Maistre. Lorsqu'il s'agit de défendre la Reine contre les calomnies auxquelles cette grande et infortunée princesse était en butte, la première pensée qui lui vient à l'esprit est celle-ci: «Marie-Antoinette fut l'amie de Madame Élisabeth.»—«Que ses ennemis réfléchissent un moment aux personnes qui formoient la société la plus intime de la Reine, s'écrie-t-elle. C'étoit Madame Élisabeth, sœur du Roi, qui étoit un ange aussi pur que la neige. L'attachement de Madame Élisabeth pour la Reine dura jusqu'à ses derniers moments, ce qui est une preuve surabondante de l'innocence de Marie-Antoinette.» (Mémoires de madame Elliot sur la révolution française, p. 36.)

14: Elle était née à Ajaccio le 3 janvier 1777. Plus connue sous le nom d'Élisa, grande-duchesse, ayant le gouvernement des départements de la Toscane, elle épousa, le 5 mai 1797, Félix Baciocchi, gentilhomme corse, capitaine d'infanterie, nommé en 1805 prince de Lucques et de Piombino.

15: Son admission avait été accordée dix-sept mois plus tôt:

Brevet de place à Saint-Cyr pour Mademoiselle de Buonaparte.

«Aujourd'hui 24 novembre 1782, le Roi étant à Versailles, bien informé que la demoiselle Marie-Anne de Buonaparte a la naissance, l'âge et les qualités requises pour être admise au nombre des Demoiselles qui doivent être reçues dans la maison royale de Saint-Louis établie à Saint-Cyr, ainsi qu'il est apparu par titres, actes, certificats et autres preuves, conformément aux lettres patentes des mois de juin 1686 et mars 1694, Sa Majesté lui a accordé une des deux cent cinquante places de ladite maison, enjoignant à la supérieure de la recevoir sans délai, de lui donner des instructions convenables et de la faire jouir des mêmes avantages dont jouissent les autres Demoiselles, en vertu du présent brevet, que Sa Majesté a, pour assurance de sa volonté, signé de sa main, et fait contre-signer par moi, ministre et secrétaire d'État et de ses commandements et finances.

»LOUIS.
»Le baron de Breteuil

Archives de la préfecture de Versailles.

16:

A Messieurs les administrateurs de Versailles.

«Messieurs,

»Buonaparte, frère et tuteur de la Demoiselle Marianne Buonaparte, a l'honneur de vous exposer que la loi du 7 août, et particulièrement l'article additionnel décrété le 16 du même mois, supprimant la maison de Saint-Louis, il vient réclamer l'exécution de la loi, et ramener dans sa famille ladite Demoiselle sa sœur. Des affaires très-pressantes et de service public l'obligeant à partir de Paris sans délai, il vous prie de vouloir bien ordonner qu'elle jouisse du bénéfice de la loi du 16, et que le trésorier du district soit autorisé à lui escompter les vingt sols par lieue jusqu'à la municipalité d'Ajaccio, en Corse, lieu du domicile de ladite Demoiselle, et où elle doit se rendre auprès de sa mère.

»Avec respect,

»Buonaparte.

»Le 1er septembre 1792.»

»J'ai l'honneur de faire observer à messieurs les administrateurs que n'ayant jamais connu d'autre père que mon frère, si ses affaires l'obligeoient à partir sans qu'il ne m'amène avec lui, je me trouverois dans une impossibilité absolue d'évacuer la maison de Saint-Cyr.

»Avec respect,

»Marianne Buonaparte

17: C'était un paysan sans instruction, mais d'un sens très-juste; il a administré pendant trente-huit ans sa commune. Il est mort en 1828.

18: «Nous, maire et officiers municipaux de Saint-Cyr, district de Versailles, département de Seine-et-Oise, nous étant transportés en la maison de Saint-Louis établie en ce lieu, et nous étant fait représenter les brevets et autres titres, nous avons reconnu que la Demoiselle Marie-Anne Buonaparte, née le 3 janvier 1777, est entrée le 22 juin 1784 comme élève de ladite maison de Saint-Louis, où elle est encore dans la même qualité. Elle nous auroit témoigné le désir qu'elle auroit de profiter de l'occasion du retour de son frère et tuteur pour rentrer dans sa famille.—Vu les différentes choses que nous venons d'énoncer et l'embarras où se trouveroit ladite Demoiselle de faire un voyage aussi long, seule, et dès lors de l'impossibilité absolue où elle seroit d'évacuer la maison de Saint-Louis pour le 1er octobre, en conformité de la loi du 7 août dernier, nous n'empêchons, et croyons même qu'il est nécessaire de faire droit à la demande desdits sieur et demoiselle Buonaparte.

»Fait et délivré à Saint-Cyr, au greffe municipal, cejourd'hui, 1er septembre 1792, le quatrième de la Liberté et le premier de l'Égalité.

»Aubrun, maire; Houdin, secrétaire greffier.»

19: Voici ce qu'était devenu M. Hue:

Entré dans la salle de la Commune, on le plaça auprès du président. A quelques pas était Santerre. Ce commandant de la milice parisienne écoutait, d'un air grave et capable, les plans que des gens à moitié ivres développaient devant lui pour arrêter les armées étrangères: les uns, d'un air rusé, expliquaient les roueries différentes de leurs opérations stratégiques; les autres prenaient la ligne droite, et, tout franchement, proposaient de se lever en masse pour marcher à l'ennemi. Au parquet, place ordinaire du procureur de la Commune, s'agitait Billaud-Varenne, l'un des substituts, et près de lui Robespierre, criant, donnant des ordres et paraissant très-animé.

Dans cette salle et dans les pièces voisines, le tumulte était extrême. Au milieu de ce désordre, le président interroge l'accusé. Avant que celui-ci puisse répondre, on crie de toutes parts: A l'Abbaye! à la Force! Dans ce moment on y massacrait les prisonniers.

Le calme se rétablit, l'interrogatoire commence. Des faits, la plupart imaginaires, sont reprochés. «Tu as, dit l'un des municipaux, fait entrer dans la tour du Temple une malle renfermant des rubans tricolores et divers déguisements; c'était pour faire évader la famille royale.—J'ai entendu, s'écrie un autre, le Roi lui dire quarante-cinq et la Reine cinquante-deux. Ces deux mots lui désignaient le prince de Poix et le traître Bouillé.» Un troisième prétend qu'il avait commandé une veste et une culotte couleur savoyard, preuve certaine d'une intelligence avec le roi de Sardaigne[19-A]. Un quatrième revient sur des correspondances clandestines au moyen de caractères hiéroglyphiques dont nous avons parlé. D'autres l'accusent d'avoir chanté dans la tour l'air et les paroles: O Richard! ô mon roi! l'univers t'abandonne! etc., ce qui était faux, M. Hue ne chantait jamais; puis enfin de s'être attiré de la part de la famille royale un intérêt qu'elle affectait de lui témoigner, tandis qu'à peine elle parlait aux commissaires de la Commune, ce qui était vrai. A ce dernier reproche, l'accusé reste muet. Les clameurs se renouvellent: A l'Abbaye! à la Force! Enfin, la fureur contre le coupable est au comble, quand Billaud-Varenne s'écrie: «Ce valet, renvoyé au Temple une première fois, a trahi la confiance du peuple; il mérite une punition exemplaire.»—Un municipal se lève et dit: «Citoyens, cet homme tient les fils de la trame ourdie dans la tour. S'assurer de lui, le mettre au secret, en tirer tous les renseignements qu'il peut donner, sera plus utile et plus sage que de l'envoyer à l'Abbaye ou à la Force.» Quel que fût en ce moment le motif du municipal, son observation sauva la vie à M. Hue. Il fut décidé que l'accusé serait enfermé dans un des cachots de l'hôtel de ville. Remis aussitôt à la garde d'un guichetier, il fut conduit au lieu de réclusion qui lui était destiné.

19-A: M. Hue avait en effet signé et fait viser par les commissaires de garde la demande d'un vêtement semblable pour Tison.

20: Madame Elliot est une de ces femmes à la vie légère du dix-huitième siècle qui, jusque dans le désordre, conservaient un cœur dévoué, une âme forte, le sentiment de l'honneur politique et de la foi chrétienne. B.

21: Conservé dans les archives de la préfecture de police.

22: Madame Marie-Angélique de Fitte de Soucy, baronne de Mackau, sous-gouvernante des Enfants de France, née au château de Soucy le 16 novembre 1723, est morte à Vitry-sur-Seine le 16 février 1800.

Madame Élisabeth-Louise Le Noir, comtesse de Soucy, belle-sœur de madame de Mackau, et comme elle sous-gouvernante des Enfants de France, née à Paris le 31 octobre 1729, est morte à Vitry-sur-Seine le 21 décembre 1813.

Adélaïde Rotin, femme Camille, qui n'avait jamais quitté le service de ses deux maîtresses, ne s'éloigna pas d'elles après leur mort; grâce à une petite pension que la famille de Mackau lui faisait, elle passa ses derniers jours dans ce village, gardienne de deux tombes près desquelles elle espérait la sienne. Son vœu a été réalisé le 5 juillet 1855. Elle était née à Versailles en 1768.

Nous avons visité plus d'une fois cette pauvre femme, que son dévouement et sa mémoire rendaient fort intéressante. Voici comment elle nous a raconté la manière dont elle avait échappé aux massacres de septembre:

«Née à Versailles en 1768, j'avois conséquemment vingt-quatre ans lorsque je me constituai prisonnière à la Force, après le 10 août 1792. On fit beaucoup de difficulté pour m'admettre dans cette prison; mais mes instances furent si vives que j'eus le bonheur d'y entrer avec ma maîtresse, madame la baronne de Mackau. Elle et moi nous couchâmes sur la paille, et fûmes nourries au pain et à l'eau. En face de notre cachot étoit celui de la princesse de Lamballe, entrée à la Force quelques jours avant nous. La concierge de la prison étoit une très-brave femme: elle eut grande pitié de nous, et c'est à elle que nous dûmes de ne pas mourir de faim. Elle nous apporta pendant la nuit différentes nourritures pour nous soutenir.

»Dans la matinée du 3 septembre, une espèce de tribunal s'installa à la Force dans une salle basse. Il y avoit sept ou huit personnes de la maison du Roi. On nous interrogea toutes; quand on s'adressa à madame de Mackau: «Qu'allez-vous faire? leur dis-je; elle est aliénée, elle ne peut vous répondre sur rien.—Prends Dieu à témoin qu'elle est aliénée.—Oui, certes, je prends Dieu à témoin qu'elle est aliénée, et qu'il lui est impossible de répondre.—Mais elle a des parents émigrés?—Elle n'en a aucun, m'écriai-je, bien que je susse pertinemment qu'elle en avoit deux.» Mon ton assuré sauva ma maîtresse. Immédiatement mise en liberté, elle se réfugia chez madame de Chazet, sa fille. Retenue après elle à la Force, on eut la cruauté de me faire assister au meurtre de madame de Lamballe. Dès qu'elle eut passé le guichet et mis le pied sur le pavé où avoit lieu le massacre général et où le sang couloit à flots, elle fut abattue immédiatement; on la dépouilla de tous ses vêtements, on lui ouvrit le corps et on lui arracha le cœur. On m'avoit entraînée pour être immolée aussi, et c'est ainsi que je fus témoin de toutes ces horreurs. Je perdis connoissance, et quand je repris mes sens j'étois toute nue moi-même et j'avois été livrée à toutes les brutalités. Au moment où on alloit me frapper, un gendarme prit intérêt à moi; il pleuroit à chaudes larmes; il me protégea avec son sabre, fut blessé au poing, et parvint à m'envelopper de son manteau. Plusieurs spectateurs prirent comme lui ma défense. Mon premier protecteur me fit aussitôt monter dans une voiture, et la populace, qui un instant auparavant avoit demandé ma mort, cria autour de cette voiture: «Vive l'innocence reconnue!» Les chevaux pouvoient à peine traverser les flots de cette multitude, et l'on mit près de deux heures à me conduire rue des Boucheries-Saint-Honoré, chez la lingère de madame de Mackau. Tout le monde se disputa le moyen de m'apporter des secours. Pendant que je devenois ainsi l'objet de soins et d'égards empressés, madame de Mackau, qui avoit appris le massacre général des prisonniers, ne doutoit pas que je ne fusse moi-même au nombre des victimes, et elle me pleuroit.

»La lingère me donna tout ce qu'il me falloit pour me vêtir. Le gendarme qui m'avoit sauvée me conduisit chez madame de Chazet, où se trouvoit madame de Mackau. Obligées de quitter Paris sur-le-champ, nous vînmes demeurer à Vitry chez madame de Soucy.

»Dans ce village où s'est écoulée presque toute mon existence, j'ai survécu de longues années à mes deux respectables maîtresses. Ma seule pensée de bonheur est de les rejoindre: ma tombe est prête auprès de la leur.

»Signé: Adélaïde Camille.

»A Vitry-sur-Seine, le mardi 13 juillet 1853.»

23: Du nom de Mennessier.

24: Mon témoignage sur la détention de Louis XVI et de sa famille dans la tour du Temple, par Ch. Goret, ancien membre de la Commune du 10 août 1792.—Paris, Maurille, 1825, in-8o de 71 pages.

25: C'était encore une erreur. Madame et mademoiselle P. de Tourzel, sauvées de la Force par M. Hardy, avaient été conduites par lui dans un petit logement à Vincennes, où elles demeurèrent cachées pendant plus de trois mois. B.

26: C'étaient Hébert, si connu sous le nom de Père Duchêne, et Destournelles, depuis ministre de l'instruction publique.

27: Archives de l'Empire.

28: Archives de l'Empire.

29:

Extrait du registre des délibérations du conseil général du 19 octobre 1792.

«Le conseil général nomme le citoyen Léger, l'un de ses membres, qu'elle charge de se transporter au Temple sur-le-champ pour y prendre une lettre adressée à Madame Élisabeth par le vicaire de Fontenay-sous-Bois, et l'apporter au conseil.

»Signé: Darnauderie, vice-président;
»Coulombeau, secrétaire-greffier par intérim.»

(Archives de l'Empire.)

30: Commune de Paris.—Sûreté du Temple. L'an Ier de la République française, le 27 octobre 1792.

Extrait du registre des délibérations du conseil de service au Temple, en date du 26 octobre présent.

«Sur les observations faites par l'un des membres de service au Temple que le fils de Louis Capet était jour et nuit sous la direction de femmes, mère et tante, considérant que cet enfant est dans l'âge où il doit être sous la direction des hommes, le conseil, délibérant sur cet objet, a arrêté et arrête qu'à l'instant le fils de Louis Capet sera retiré des mains des femmes pour être remis et rester entre celles de son père les jours et nuits, excepté qu'après l'heure du dîner il montera dans le logement de ses mère et tante, durant le moment où son père se repose, et en descendra sur les quatre à cinq heures du soir; le tout sous la surveillance et conduite de l'un des commissaires de service.

»Fait au Conseil séant au Temple lesdits jour et an que dessus.

»Signé: Massé, Jérosme, Roche, Cochois.

»Pour extrait conforme à l'original:

»Roché, commissaire municipal de service et président au Temple;
»Cochois, ségrétère

Délivré au citoyen Cléry, de service auprès de Louis et de sa famille.

31: Commune de Paris.

Extrait du registre des délibérations du conseil général, du 26 octobre 1792.

«Le conseil général approuve l'arrêté pris par les commissaires des travaux du Temple et les commissaires du conseil du Temple, relatif à la translation des femmes dans la grosse tour, au troisième étage, et le fils du ci-devant Roi avec son père.

»Les autorise à faire disposer ses (sic) guichets qu'ils croiront nécessaires dans cette même tour.

»Signé: Boucher-René, président en l'absence du maire;
»Coulombeau, secrétaire-greffier par intérim.»

32: Archives de l'Empire, carton E, no 6, 206.

33: Le lecteur trouvera à la fin du volume (Documents et pièces justificatives, no III) une esquisse de la physionomie extérieure du Temple, un aperçu du personnel commis à sa garde, et des dispositions prises par l'autorité républicaine.

34: Archives de l'Empire, carton E, no 6, 206.

35: «Le conseil général arrête:

»1o Que le citoyen Cléry, valet de chambre des prisonniers, sera logé et couchera dans la Tour, du côté gauche donnant dans la salle à manger, sans qu'il puisse coucher ailleurs sous aucun prétexte;

»2o Que le conseil du Temple sera placé dans la Tour;

»3o Que le citoyen Mathey, concierge, aura la surveillance de ladite Tour, et ne pourra en sortir sous aucun prétexte;

»4o Que les guichetiers actuels, devenant inutiles par la nouvelle disposition, seront réformés immédiatement, après avoir été payés de ce qui leur est dû;

»5o Que la cuisine sera placée dans la Tour, et que les agents sous-employés ne sortiront point;

»6o Pendant la nuit, deux officiers municipaux garderont les prisonniers de chaque étage;

»7o Et enfin la même cuisine servira pour les commissaires du Temple.»


Nota. L'article 1o depuis longtemps était observé; chaque soir les municipaux avaient soin de fermer la porte de la chambre de Cléry, donnant dans le couloir qui conduisait à la chambre du Roi, et d'en emporter la clef. L'article 5o ne fut pas mis à exécution: il y eut impossibilité matérielle de placer la cuisine dans la Tour.

36: Récit de Marie-Thérèse-Charlotte.

37: Le lecteur doit connaître la lettre de cet avocat, ex-constituant, qui avait accepté la défense du méprisable cardinal de Rohan et qui refusait son ministère au Roi:

«Depuis le décret de ce matin, il devient embarrassant pour moi d'avoir un avis sur les faits imputés à Louis XVI. Je dois au moins m'abstenir de le prononcer. Je satisferai ce devoir; mais âgé de près de soixante ans, fatigué de maux de nerfs, de douleurs de tête et d'étourdissements qui durent depuis quinze ans, qui m'ont fait quitter la plaidoirie en 1785, et que quatre années de travaux ont aigris à un point insupportable, je conserve à peine les forces suffisantes pour remplir pendant six heures dans chaque journée les fonctions paisibles de juge, et j'attends avec quelque impatience le moment d'en être déchargé par les prochaines élections. C'est dire assez qu'il m'est impossible de me charger de la défense de Louis XVI. Je n'ai absolument rien de ce qu'il faut pour un tel ministère, et par mon impuissance je trahirois à la fois et la confiance du client accusé et l'attente publique. C'est à l'instant même que j'apprends cette nomination, qu'il m'étoit impossible de prévoir. Un homme libre et républicain ne peut pas accepter des fonctions dont il se sent entièrement incapable.

»Le républicain Target

Notre impartialité nous oblige à réunir toutes les pièces de ce procès sous les yeux du lecteur. Dans une lettre adressée à M. de Lamartine, le 22 mars 1847, lors de la publication de l'Histoire des Girondins, M. P. Target, alors auditeur au conseil d'État, explique ainsi la conduite de son grand-père: «M. Target, affaibli par une longue maladie, craignit que ses efforts restassent au-dessous de son zèle, et il aima mieux décliner l'honneur qui lui était fait que de présenter une défense incomplète. Mais s'il ne parla pas, il écrivit. Avant les plaidoiries, il fit imprimer, publier, colporter par les rues un écrit signé de son nom, et dans lequel il présentait avec beaucoup de force les seules raisons qui pussent alors sauver l'auguste accusé. Les faits que je viens de rappeler sont en outre consignés dans un éloge de mon grand-père prononcé en 1807 par M. Muraire, alors premier président à la Cour de cassation. «Lorsque, dans cette circonstance difficile, disait M. Muraire, M. Target, renonçant à tout ce qu'il eût obtenu, se dévouait à ce qui ne lui offrait que du danger, faut-il laisser peser sur sa mémoire l'impression fâcheuse et injuste produite par un fait que ses détracteurs n'ont pas pris la peine d'approfondir?»

38:

«Paris, 11 décembre 1792.

»Citoyen président, j'ignore si la Convention donnera à Louis XVI un conseil pour le défendre et si elle lui en laisse le choix; dans ce cas-là, je désire que Louis XVI sache que, s'il me choisit pour cette fonction, je suis prêt à m'y dévouer. Je ne vous demande pas de faire part à la Convention de mon offre, car je suis bien éloigné de me croire un personnage assez important pour qu'elle s'occupe de moi. Mais j'ai été appelé deux fois au conseil de celui qui fut mon maître dans le temps que cette fonction étoit ambitionnée par tout le monde: je lui dois le même service lorsque c'est une fonction que bien des gens trouvent dangereuse. Si je connoissois un moyen possible pour lui faire connoître mes dispositions, je ne prendrois pas la liberté de m'adresser à vous. J'ai pensé que, dans la place que vous occupez, vous aurez plus de moyens que personne pour lui faire passer cet avis.

»Je suis avec respect, etc.

»Lamoignon de Malesherbes.»

39: Voir la séance de la Convention du 13 décembre 1792.

40: Dans cette lettre, le Roi félicitait le général sur la conduite qu'il avait tenue à Nancy.

41: Séance du conseil général de la Commune du 27 décembre 1792.

42:

Extrait du registre des délibérations des commissaires de la Commune de service au Temple.

«Du 22 décembre 1792, an Ier de la République française.

»A six heures du soir, le conseil s'est rassemblé pour prendre une délibération sur les deux objets ci-après:

»1o Louis Capet paroît embarrassé de la longueur de sa barbe; il l'a témoigné diverses fois. On lui a proposé de le faire raser. Il en a montré de la répugnance, et a laissé voir le désir de se raser lui-même.

»Le conseil pensa hier pouvoir lui donner l'espérance d'accéder aujourd'hui à sa demande; mais ce matin, on s'est aperçu que les rasoirs de Louis Capet n'étoient pas restés au Temple: on a pris de là occasion de discuter de nouveau la matière; elle a été amplement controversée, et le résultat a été l'opinion unanime de soumettre la question au conseil général de la Commune, qui, dans le cas où il jugera convenable de permettre à Louis Capet de se faire lui-même la barbe, voudra bien ordonner qu'il lui soit confié un ou deux rasoirs dont il fera usage sous les yeux de quatre commissaires auxquels ces mêmes rasoirs seront aussitôt rendus, et qui constateront que la remise leur en aura été faite.

»2o La femme, la sœur et la fille de Louis Capet ont demandé qu'il leur soit prêté des ciseaux pour se couper les ongles.

»Le conseil en ayant délibéré, a pareillement arrêté à l'unanimité que cette demande seroit soumise au conseil général de la Commune, qui seroit prié, dans le cas où il y donneroit son consentement, de fixer aussi le mode à employer à cet égard.

»Arrête que la présente délibération sera envoyée au conseil général de la Commune dans le jour et d'assez bonne heure pour que la réponse soit connue dès aujourd'hui au conseil du Temple.

»Et ont signé au registre:

»Maubert, Defrasne, Jon, Landragin, Robert,
Malivoir et Destournelles.

»Pour copie conforme, les jour, mois et an que dessus.

»Destournelles, officier municipal.»

43:

«Citoyen président,

»Représentant du peuple, je connois mes droits et mes devoirs, et j'ai toujours trop bien rempli les uns pour jamais perdre les autres.

»Un délit a été commis en moi contre la nation: ne pas le dénoncer à la nation, ce seroit la trahir.

»Secrétaire de la Convention, après une séance de quarante heures, où s'est décidé à cinq voix le sort de plus d'un empire, je sortois avec le besoin extrême d'un air plus pur, lorsqu'une bande de juges tombe sur moi, sur le député d'un peuple libre! Mon premier mouvement fut de les punir à l'instant; mais j'étois dans la Convention, c'étoit à la Convention entière à se venger.

»Représentants, qu'avez-vous fait? Avec la toute-puissance, vous n'avez pas celle d'envoyer aux quatre-vingt-quatre départements la liste de quelques désorganisateurs qui, par le seul talent de faire du bruit, vous ôtent la force de faire du bien.

»La première fois que vous vous êtes laissé avilir, législateurs, vous avez exposé la France. Et tels que vous êtes (la vérité m'échappe), oui, tels que vous êtes, vous ne pouvez pas la sauver. L'homme de bien n'a plus qu'à s'envelopper de son manteau.

»Pour moi, citoyen président, qui, quand je n'espère plus, ne crains encore rien, après avoir protesté à la Convention que je me précipiterois devant elle dans le gouffre de Curtius pour que le peuple fût enfin heureux, je crois devoir à ma conscience et à mes principes de la prévenir par ma démission, que je vous prie de recevoir, qu'il n'est pas en moi de le servir au poste où il m'a mis.

»Je le servirai mieux dans mes foyers en me consacrant par mes écrits et par mes exemples à l'éducation de mes enfants, car il ne manque à la révolution que des hommes.»

44: Compte rendu à la Convention par le ministre de la justice.

45: Le bruit de cette maladie transpira dans Paris. On lit dans le Moniteur universel du jeudi 24 janvier 1793:

Commune de Paris.

«Du 22.—On répand dans les lieux publics et dans les sociétés patriotiques que la fille de Louis est morte, que la femme de Louis est transférée de l'hôtel de la Force à la Conciergerie. Le conseil général m'autorise à démentir tous ces bruits. La fille de Louis n'est pas malade; les personnes qu'un décret renferme au Temple y resteront aussi longtemps que ce décret ne sera pas rapporté.

»Réal, premier substitut.»

46: Commune de Paris.—Séance du mercredi 23 janvier 1793.

«Le conseil général entend la lecture d'un arrêté du conseil du Temple qui renvoie au conseil général à se prononcer sur deux demandes faites par Antoinette.

»La première d'un habillement de deuil très-simple pour elle, sa sœur et ses enfants. Le conseil général arrête qu'il sera fait droit à cette demande.

»Sur la seconde, à ce que Cléry soit placé auprès de son fils, comme il l'était primitivement, le conseil général prononce l'ajournement.»

47: Voir, à la fin du volume, les Pièces justificatives, no IV.

48: Voici les quatre premiers couplets de cette œuvre modeste, qui emprunte aux circonstances un touchant intérêt:

LA PIÉTÉ FILIALE.

Eh quoi! tu pleures, ô ma mère!
Dans tes regards fixés sur moi
Se peignent l'amour et l'effroi:
J'y vois ton âme tout entière.
Des maux que ton fils a soufferts
Pourquoi te retracer l'image?
Puisque ma mère les partage,
Puis-je me plaindre de mes fers?

Des fers! ô Louis! ton courage
Les ennoblit en les portant.
Ton fils n'a plus, en cet instant,
Que tes vertus pour héritage.
Trône, palais, pouvoir, grandeur,
Tout a fui pour moi sur la terre;
Mais je suis auprès de ma mère,
Je connais encor le bonheur.

Un jour, peut-être... l'espérance
Doit être permise au malheur;
Un jour, en faisant son bonheur,
Je me vengerai de la France.
Un Dieu favorable à ton fils
Bientôt calmera la tempête!
L'orage qui courbe leur tête
Ne détruira jamais les lis.

Hélas! si du poids de nos chaînes
Le ciel daigne nous affranchir,
Nos cœurs doubleront le plaisir
Par le souvenir de nos peines.
Ton fils, plus heureux qu'aujourd'hui,
Saura, dissipant tes alarmes,
Effacer la trace des larmes
Qu'en ces lieux tu verses pour lui.

49: Quelques souvenirs ou notes fidèles sur mon service au Temple, depuis le 8 décembre 1792 jusqu'au 26 mars 1793. 2e édition. Paris, 1817.

50: Nous avions été contraints d'évacuer Aix-la-Chapelle et de lever le siége de Maëstricht.

51: La Reine voulut aussi remercier M. de Jarjayes et lui expliquer les motifs de son refus. Elle lui écrivit de sa main le billet suivant, qu'elle chargea Toulan de lui remettre; billet admirable que M. Chauveau-Lagarde fit, le premier, connaître dans sa Note historique sur les procès de Marie-Antoinette et de Madame Élisabeth.

«Nous avons fait un beau rêve. Voilà tout. Mais nous y avons beaucoup gagné en trouvant dans cette occasion une nouvelle preuve de votre entier dévouement pour moi. Ma confiance en vous est sans bornes. Vous trouverez toujours en moi du caractère et du courage; mais l'intérêt de mon fils est le seul qui me guide. Quelque bonheur que j'eusse éprouvé à être hors d'ici, je ne peux consentir à me séparer de lui. Je ne pourrais jouir de rien sans mes enfants, et cette idée ne me laisse pas même un regret.»

52: Le billet de la Reine adressé à Monsieur était ainsi conçu:

«Ayant un être fidèle sur lequel nous pouvons compter, j'en profite pour envoyer à mon frère et ami ce dépôt qui ne peut être confié qu'entre ses mains. Le porteur vous dira par quel miracle nous avons pu avoir ces précieux gages; je me réserve de vous dire moi-même un jour le nom de celui qui nous est si utile. L'impossibilité où nous avons été jusqu'à présent de pouvoir vous donner de nos nouvelles, et l'excès de nos malheurs, nous fait sentir encore plus vivement notre cruelle séparation; puisse-t-elle n'être pas longue! Je vous embrasse, en attendant, comme je vous aime, et vous savez que c'est de tout mon cœur.

»M. A.»

Au bas de ce billet, Marie-Thérèse écrivit ces deux lignes:

«Je suis chargée pour mon frère et moi de vous embrasser de tout notre cœur.

«M. T.»

Voici le billet adressé par la Reine au comte d'Artois:

«Ayant trouvé enfin le moyen de confier à notre frère un des seuls gages qui nous restent de l'être que nous chérissions et pleurons tous, j'ai cru que vous seriez bien aise d'avoir quelque chose qui vînt de lui; gardez-le en signe de l'amitié la plus tendre, avec laquelle je vous embrasse de tout mon cœur.

«M. A.»

53: M. de Jarjayes se rendit d'abord à Turin, où le roi de Sardaigne le retint et l'employa auprès de sa personne. C'est ce prince qui envoya lui-même à Monsieur, par un courrier extraordinaire, les dépêches de M. de Jarjayes. Monsieur écrivit de sa main à M. de Jarjayes une lettre datée de Hamm, le 14 mai 1793, dans laquelle il lui exprime ainsi ses sentiments:

«Vous m'avez procuré le bien le plus précieux que j'aie au monde, la seule véritable consolation que j'aie éprouvée depuis nos malheurs.

»Combien leur billet et l'autre gage de leur amitié, de leur confiance, ont pénétré mon cœur des plus doux sentiments!...

»Je ne puis qu'approuver les raisons qui vous font rester en Piémont. Continuez à servir notre jeune et malheureux Roi comme vous avez servi le frère que je pleurerai toute ma vie.»

54: Municipalité de Paris.

Extrait du registre des délibérations du conseil général du 1er avril 1793, IIe de la République.

«Sur le réquisitoire du procureur de la Commune,

»Le conseil général arrête:

»1o Qu'aucune personne de garde au Temple ou autrement ne pourra y dessiner quoi que ce soit, et que si quelqu'un est saisi en contravention au présent arrêté, il sera sur-le-champ mis en état d'arrestation et amené au conseil général, faisant en cette partie les fonctions de gouverneur;

»2o Enjoint aux commissaires du conseil de service au Temple de ne tenir aucune conversation familière avec les personnes détenues, comme aussi de ne se charger d'aucune commission pour elles;

»3o Défenses sont pareillement faites auxdits commissaires de rien changer ou innover aux anciens règlements pour la police de l'intérieur du Temple;

»4o Qu'aucun employé au service du Temple ne pourra entrer dans la tour;

»5o Qu'il y aura deux commissaires auprès des prisonniers;

»6o Que Tison ni sa femme ne pourront sortir de la tour ni communiquer avec qui que ce soit du dehors;

»7o Qu'aucun commissaire au Temple ne pourra envoyer ou recevoir de lettres sans qu'elles aient été préalablement lues au conseil du Temple;

»8o Lorsque les prisonniers se promèneront sur la plate-forme de la Tour, ils seront toujours accompagnés de trois commissaires et du commandant du poste, qui les surveilleront scrupuleusement;

»9o Que, conformément aux précédents arrêtés, les membres du conseil qui seront nommés pour faire le service du Temple passeront à la censure du conseil général, et sur la réclamation non motivée d'un seul membre, ils ne pourront être admis;

»10o Enfin, que le département des travaux publics fera exécuter dans le jour de demain les travaux mentionnés dans son arrêté du 26 mars dernier.

»Signé: Pache, maire.
»Coulombeau, secrétaire greffier.

»Pour extrait conforme:

»Coulombeau, secrétaire greffier.

»Copié au registre.

»Yon.»

55:

Décret de la Convention nationale du 4 avril 1793, l'an II de la République française.

»La Convention nationale décrète que le conseil général de la Commune de Paris fera doubler sur-le-champ la garde du Temple.

»Vérifié par nous, inspecteur des bureaux des procès-verbaux,

»Delebov.

»Collationné à l'original par nous, président et secrétaire de la Convention nationale,

»Delmas, président.
»Mellino, secrétaire.

»Paris, ce 5 avril 1793, an II de la République française.»

56: Voici ce qui se passa au conseil général de la Commune à l'occasion de cette dénonciation:

Un des commissaires du Temple fait lecture d'un procès-verbal dressé au Temple en présence du maire, du procureur de la Commune et des commissaires de service.

Ce procès-verbal contient deux déclarations faites l'une par Tison, faisant le service du Temple, et l'autre par Anne-Victoire Baudet, épouse de Tison, aussi employée au service du Temple.

Il résulte de ces déclarations que quelques membres du conseil, savoir: Toulan, Lepitre, Brunot, Moelle, Vincent, entrepreneur de bâtiments, et le médecin du Temple, sont suspectés d'avoir eu des conférences secrètes avec les prisonniers du Temple; de leur avoir fourni de la cire et des pains à cacheter, des crayons, du papier, et enfin d'avoir favorisé des correspondances secrètes.

Toulan et Vincent requièrent qu'à l'instant il soit nommé des commissaires pour apposer les scellés chez eux.

En conséquence, le conseil général nomme Cailleux et Jérôme pour se transporter à l'instant chez le citoyen Toulan, à l'effet d'apposer les scellés sur ses papiers.

Nomme pareillement Favanne et Souard pour se transporter à l'instant chez le citoyen Vincent, à l'effet d'apposer les scellés sur ses papiers, en exceptant ceux qui ont rapport à la commission des blessés du 10 août, dont il est chargé.

A la charge par ces quatre commissaires de requérir le juge de paix de la section sur laquelle ils se trouveront, pour les assister dans leurs opérations.

Quant aux citoyens suspects et absents, savoir: Lepitre, Moelle, Brunot et le médecin, le conseil général arrête que les administrateurs de police feront à l'instant apposer les scellés sur leurs papiers.

Et sur le réquisitoire du procureur de la Commune, le conseil général nomme Follope, Minier, Louvet et Benoît, à l'effet de se transporter sur-le-champ au Temple, pour, dans les appartements des prisonniers, faire toutes visites et recherches qu'ils jugeront convenables, comme aussi de fouiller lesdits prisonniers.

Arrête en outre que ces mêmes commissaires lèveront les scellés apposés sur l'appartement du défunt Louis Capet, pour y faire également toutes recherches nécessaires.

Hébert, substitut du procureur syndic, a été nommé avec les autres commissaires pour aller faire des recherches chez les prisonniers du Temple.»

(Séance du 20 avril 1793.)

57: Fragments historiques sur la captivité de la famille royale, par Turgy, publiés par Eckard, à la suite de ses Mémoires historiques sur Louis XVII, troisième édition.

58:

Extrait du procès-verbal dressé par les commissaires nommés à l'effet de faire une perquisition exacte chez les prisonniers détenus à la tour du Temple.

«Aujourd'hui 20 avril 1793, à dix heures trois quarts du soir, en exécution de l'arrêté du conseil général, nous, soussignés, nous sommes transportés à la tour du Temple, où, à l'heure susdite, sommes montés à l'appartement tant de Marie-Antoinette, veuve Capet, que de ses enfants, pour commencer la visite des meubles et la perquisition sur les personnes comme il suit:

»D'abord, entrés dans la chambre de ladite veuve Capet, avons fouillé dans les meubles, où nous n'avons trouvé rien de suspect. Sur une table de nuit seulement, avons trouvé un petit livre intitulé: Journée du chrétien, où étoit une image coloriée en rouge, représentant d'un côté un cœur embrasé, traversé d'une épée et entouré d'étoiles, avec cette légende: «Cor Mariæ, ora pro nobis; de l'autre côté, une couronne d'épines et une croix au-dessus du cœur avec cette légende: Cor Jesu, miserere nobis. Avons trouvé de plus une feuille imprimée, de quatre pages, intitulée: Consécration de la France au sacré Cœur de Jésus; elle commence par ces mots: «O Jésus-Christ!» On y remarque les passages suivants: «Tous les cœurs de ce royaume, depuis le cœur de notre auguste Monarque jusqu'à celui du plus pauvre de ses sujets, nous les réunissons par les désirs de la charité pour vous les offrir tous ensemble... Oui, Cœur de Jésus, nous vous offrons notre patrie tout entière et les cœurs de tous vos enfants... O Vierge sainte! ils sont maintenant entre vos mains; nous vous les avons remis en nous consacrant à vous comme à notre protectrice et à notre mère; aujourd'hui, nous vous en supplions, offrez-les au cœur de Jésus... Ah! présentés par vous, il les recevra, il leur pardonnera, il les bénira, il les sanctifiera, il sauvera la France tout entière, il y fera revivre la sainte religion. Ainsi soit-il, ainsi soit-il!»

»Dans les poches de Marie-Antoinette étoit un portefeuille en maroquin rouge, où nous n'avons reconnu digne de description qu'un des feuillets en peau anglaise, sur lequel étoit écrit au crayon ce qui suit: «Brugnier, quai de l'Horloge, no 65 (et autres noms et demeures de différentes personnes dont les prisonniers pouvoient avoir besoin).» Plus, dans les mêmes poches, un nécessaire roulé, et dans lequel étoit un porte-crayon d'acier non garni de crayon...

»Avons fait ensuite perquisition dans la chambre qu'occupe Élisabeth-Marie, sœur de feu Louis Capet, où nous n'avons rien trouvé de suspect; seulement avons découvert dans une cassette un bâton de cire rouge à cacheter qui avoit déjà servi, avec de la poudre de buis dans le même papier... Et environ deux heures après minuit, avons clos le présent procès-verbal en présence desdites dames, qui ont signé avec nous.

»Ainsi signé: Marie-Antoinette, Élisabeth-Marie;
Benoît, etc., etc.»

59: Rue Richelieu, au coin de la rue des Filles-Saint-Thomas.

60: Il est bon de faire remarquer ici que le nombre des municipaux envoyés au Temple varia plusieurs fois. D'abord on en envoya quatre, puis huit à l'époque du procès de Louis XVI; six après le 21 janvier; plus tard huit encore, ensuite quatre, puis trois. Le nombre variait suivant la gravité des circonstances.

Il devint quelquefois si difficile de trouver des commissaires pour aller au Temple qu'il fallait recourir à des mesures de rigueur pour triompher de la résistance des récalcitrants. L'amende et la dénonciation du citoyen peu zélé à sa section ne suffirent pas longtemps. Le conseil général se vit contraint de prendre la décision suivante, à la date du 12 septembre 1793:

«Le conseil général arrête que lorsqu'un de ses membres auquel il aura été écrit pour aller au Temple refusera ce service, deux gendarmes seront chargés de l'aller chercher pour le conduire au Temple;

»Arrête en outre que le présent sera mis sur la lettre d'invitation.»

Cette mesure ne tarda pas à trouver son application: «Mercredi, 18 septembre 1793, le conseil arrête à l'égard de Forestier la stricte exécution de son arrêté, qui porte que lorsqu'un membre refusera de se rendre au Temple, d'après l'invitation qui lui en aura été faite par écrit, il y sera conduit par deux gendarmes;

»Arrête en conséquence que deux gendarmes iront chercher Forestier.»

Conformément à la même décision, deux gendarmes allèrent chercher

61: Cet arrêté est signé Cambon fils aîné,—L. B. Guyton,—Jeanbon Saint-André, G. Couthon,—B. Barère,—Danton. (Archives de l'Empire, armoire de fer, carton 13.)

62: Demandé le 14 juin, cet ouvrage avait été mis le 23 à la disposition des prisonnières.

«Du vendredi, 14 juin 1793, l'an II de la République française.

»Sur la demande des commissaires de service au Temple, le conseil arrête que Baron, garde de la Bibliothèque, fournira sur récépissé

»Les livres ci-après:

»Sillans, Cazenave, Foucaux.

»Nous, membres du conseil général de la Commune, de service au Temple, donnons le récépissé de quatre volumes intitulés: Dictionnaire historique, Œuvres de Voltaire, qui ont été transportés à la Tour.

»Fait au conseil du Temple ce 23 juin 1793, l'an II de la République française une et indivisible.

»Mennessier, membre du conseil général;
»Dangé

63: Fragments historiques sur la captivité de la famille royale, par Turgy, publiés par Eckard, à la suite de ses Mémoires historiques sur Louis XVII, troisième édition.

64: Nous donnons ici sans commentaire l'extrait des registres du conseil du Temple relatif à l'enlèvement du Prince.

«Le 3 juillet 1793, neuf heures et demie du soir, nous, commissaires de service, sommes entrés dans l'appartement de la veuve Capet, à laquelle nous avons notifié l'arrêté du Comité de salut public de la Convention nationale du 1er du présent, en l'invitant de s'y conformer. Après différentes instances, la veuve Capet s'est enfin déterminée à nous remettre son fils, qui a été conduit dans l'appartement désigné par l'arrêté du conseil de cejourd'hui, et mis entre les mains du citoyen Simon, qui s'en est chargé. Nous observons au surplus que la séparation s'est faite avec toute la sensibilité que l'on devait attendre dans cette circonstance, où les magistrats du peuple ont eu tous les égards compatibles avec la sévérité de leurs fonctions.

»Signé: Eudes, Gagnant, Arnaud, Véron,
Cellier et Devèze

65: Nous possédons les mémoires des médicaments fournis au Temple pendant les mois de mai, juin et juillet, pour Marie-Antoinette, ses enfants et sa sœur, par le citoyen Robert, apothicaire autorisé par la Commune, et par ordonnance du citoyen docteur Thierry; et nous voyons que pendant tout le mois de juillet il y eut des remèdes livrés chaque jour pour le fils de Marie-Antoinette. (Pièces justificatives, no V).

66: «Les commissaires du Temple écrivent que la citoyenne Tison a la tête aliénée, ainsi qu'il est constaté par les certificats des médecins Thierry et Soupé.

»Le conseil général, d'après les observations du maire, et le procureur de la Commune entendu, arrête:

»1o Que la citoyenne Tison sera traitée dans l'enclos du Temple et hors de la tour;

»2o Qu'elle aura une garde particulière;

»3o Le conseil renvoie à l'administration du Temple pour désigner le local.» (Conseil général de la Commune, séance du 29 juin 1793.)

«Le conseil du Temple fait part des mesures qu'il a prises relativement à la maladie de la citoyenne Tison.

»Le conseil général en adopte les dispositions.» (Séance du 1er juillet 1793.)

67: Municipalité de Paris.

Extrait du registre des délibérations du conseil du Temple.

«Et le même jour, nous nous sommes informés sur-le-champ d'une garde pour l'installer provisoirement. L'on nous a enseigné la nommée Jeanne-Charlotte Gourlet, demeurant ordinairement au Temple. Nous l'avons acceptée, lui avons demandé de prêter le serment de discrétion, et de ne communiquer avec personne, ce qu'elle a promis et a fait à l'instant, et nous a déclaré ne savoir signer.

»Pour copie conforme:

»Mercier, Dupaumier, Quenet, Macé, commissaires.

»Vu et approuvé par le conseil général de la Commune, ce 1er juillet 1793, l'an II de la République une et indivisible.

»Dorat-Cubières.»

(Archives de l'Empire, carton E, no 6206.)

68: Récit de Turgy.

69: «On donne lecture d'une lettre des commissaires de service au Temple, accompagnée d'un certificat de chirurgiens et médecins, qui attestent que la citoyenne Tison, dont l'esprit est altéré, a besoin d'être transférée dans une maison particulière destinée pour le traitement de ce genre de maladie. Le conseil général arrête qu'elle sera transférée à l'Hôtel-Dieu et soignée aux frais de la Commune.» (Conseil général de la Commune, séance du 6 juillet 1793.)

70: Récit de la captivité du Temple.

71: Municipalité de Paris.—Conseil du Temple.

«Du dimanche quatre août 1793, l'an II de la République une et indivisible.

»Citoyens collègues,

»Le conseil, faisant droit à votre demande de ce jour, vous envoie la redingote et la jupe demandées, un jupon de dessous également en basin, plus deux paires de bas de filoselle, une paire de chaussettes, et le bas à tricoter renfermé dans une corbeille; le tout inclus dans une serviette marquée M, coton rouge.

»Il vous plaira donner un reçu desdits effets à l'ordonnance qui vous les remettra.

»Vos collègues, les commissaires composant le conseil du Temple.

»Jonquoy, Forestier, Séguy, Daubancourt, Faro.»

Département de police.—Commune de Paris.

«Le 5 août 1793, l'an II de la République française une et indivisible.

»Nous, administrateurs au département de la police, après en avoir conféré avec le citoyen Fouquier-Tinville, accusateur public du tribunal révolutionnaire, invitons nos collègues les membres du conseil général de la Commune formant le conseil du Temple, à faire porter chaque jour deux bouteilles d'eau de Ville-d'Avray à la veuve Capet, détenue à la maison de justice de la Conciergerie, et sur la provision qui vient tous les jours de cette eau au Temple.

»Baudrais, Marino.»

(Archives de l'Empire, carton E, no 6206.)

72: Privée de ses aiguilles, la Reine tira les fils d'une vieille tenture, et à l'aide de deux bouts de plume, elle tricota une espèce de jarretière, que le sieur Bault, concierge de sa prison, recueillit avec soin, et qu'il confia à M. Hue pour en faire hommage à Madame Royale, qui le reçut avec un respect religieux. (Dernières années du règne de Louis XVI.)

73: On la traitait déjà en condamnée avant même qu'elle fût jugée; voici le procès-verbal de la visite que lui firent les administrateurs de police pour s'emparer, au nom de la nation, de ces objets dont on ne se sépare ordinairement qu'avec la vie.

Département de police.—Commune de Paris.

«Du 10 septembre 1793, l'an IIe de la République française une et indivisible.

»Nous, administrateurs au département de police, en vertu de l'injonction du comité de sûreté générale de la Convention nationale, datée d'hier, nous sommes transportés à la maison de justice de la Conciergerie, où étant parvenus à la chambre occupée par la veuve Capet, l'avons sommée, au nom de la loi, de nous remettre ses bagues et joyaux, ce qu'elle a fait à l'instant, consistant en un anneau d'or qui s'ouvre, dans lequel elle a déclaré qu'il y avait des cheveux, et sur lequel il y a différents chiffres; une autre à pierre et à talisman; une autre à pivot, émaillée, ayant une étoile d'un côté et un T et un L de l'autre, laquelle elle a déclaré renfermer aussi des cheveux; une autre en forme de petit collier et destinée pour le petit doigt; une montre d'or à répétition et à quantième, inventée par Bréguet, à Paris, no 46, quai de l'Horloge, marquée R. A., ensuite A. M., avec une autre aiguille dont nous n'avons connu l'usage, laquelle est garnie d'une chaîne en acier et à une branche, avec un cachet en or s'ouvrant, dont une partie représente un A et un M; un autre cachet en acier portant pour empreinte deux flambeaux et pour légende l'amour et la fidélité, et différents chiffres sur les côtés simulant un almanach; un médaillon en or appendu à une petite chaîne, aussi d'or, servant de collier, ledit médaillon renfermant des cheveux entrelacés; un bouton à jour qui nous a paru être d'argent.

»Lecture à elle faite du présent, a dit icelui contenir vérité, qu'elle y persiste et a signé avec nous et les deux citoyens gendarmes de service auprès d'elle, et la citoyenne Harel, aussi de service; le citoyen Leblanc, chef du bureau central; la Bussière, secrétaire du département de police, et la citoyenne Richard, épouse du citoyen Richard, concierge de ladite maison de la Conciergerie; et après ladite lecture, nous nous sommes aperçus qu'il était dit dans le présent que la montre était à quantième, qu'au contraire elle est à secondes.

»Signé à la minute:

»Marie-Antoinette; des Frennes, Gilbert, Heussée, administrateurs; Leblanc, la Bussière, Richard et Harel

«Et à l'instant, nous, administrateurs et dénommés d'autre part, nous sommes transportés au domicile du citoyen Richard, concierge, où étant parvenus, nous avons intimé l'ordre aux citoyens des Frennes et Gilbert, gendarmes, et à la citoyenne Harel de se retirer à l'instant, avec tous les effets qui pourraient leur appartenir, de la chambre occupée par la veuve Capet, où ils ont été de garde jusqu'à présent, à quoi ils ont obéi à l'instant; et leur avons aussi enjoint de rester dans ladite maison de justice jusqu'après notre rapport fait à nos collègues; nous avons aussi enjoint au citoyen Richard, concierge, de prendre toutes les mesures et précautions envers ladite veuve Capet, qu'il est d'usage et d'obligation de prendre envers ceux qui sont détenus au secret; avons pareillement enjoint au commandant du poste de la gendarmerie, appelé à cet effet, de faire poser à l'instant un factionnaire à la porte de ladite chambre de la veuve Capet, et en dehors, lequel aura pour consigne de ne laisser parler, ni communiquer, ni approcher personne de ladite porte, que le citoyen concierge et son épouse, et un autre factionnaire dans la cour, près les fenêtres de ladite chambre occupée par la veuve Capet, lequel aura pour consigne de ne laisser approcher personne à la distance de dix pas, et ne laisser parler ni communiquer qui que ce soit, sous tel prétexte que ce puisse être, laquelle consigne a été donnée à l'instant, et les factionnaires posés suivant le rapport dudit citoyen commandant du poste et du brigadier de service à la grande réserve, laquelle consigne ledit citoyen commandant s'oblige de faire exécuter de relevée en relevée, et transmettre à celui par qui il sera remplacé.

»Lecture à eux faite du présent, ont dit icelui contenir vérité, qu'ils satisferaient au contenu, et ont signé avec nous.

»Signé à la minute:

»De Busne, Lecomte, Leblanc, Harel, Gilbert, des Frennes, Richard, la Bussière et Heussée, administrateurs.

»Pour copie conforme à l'original:

»N. Froidure.»

74: «Citoyens collègues, Marie-Antoinette me charge de lui faire passer quatre chemises et une paire de souliers non numérotés, dont elle a un pressant besoin.

»J'espère que vous voudrez bien les faire remettre au porteur de la présente.

»Je suis avec fraternité,

»Michonis.
»De la Conciergerie, ce 19 août.»

(Archives de l'Empire, carton E, no 6206.)

Commune de Paris.

«Le 26 septembre 1793, l'an II de la République une et indivisible.»

«Citoyens, nos collègues, sur la demande qui nous a été faite par la veuve Capet de différents objets relatifs à des besoins de vêtements, l'administration de police vous invite à faire des recherches dans tout ce qui reste d'habillements au Temple à l'usage de la veuve Capet, afin de savoir si les articles qui lui sont nécessaires et qu'elle demande sont dans la garde-robe qui est au Temple, et, dans le cas où ils y seraient, de nous les envoyer de suite, attendu qu'il en résultera une économie.

»Nous vous envoyons ci-joint la note des objets.

»Les administrateurs de police,
»Mennessier, Cailleux

(Archives de l'Empire, carton E, no 6206.)

75: Municipalité de Paris.

»Nous recommandons aux citoyens commandants de la force armée de laisser sortir la fille du citoyen Tison avec un paquet dans une serviette, contenant des vieux souliers et un vieux paquet de gaze, lesquels nous avons vérifiés au Temple, ce 26 août 1793.

»N. Guérin, Arnaud, Lubin, Paquote, commissaires.»

76: Voici le compte rendu de ce qui s'était passé dans la journée au conseil général de la Commune.

«Le substitut du procureur de la Commune demande, comme mesure de sûreté et conforme à l'égalité, que demain toute la cuisine du Temple soit supprimée et tous les domestiques et valets renvoyés, et que les prisonniers qui y sont renfermés ne soient pas traités différemment que tous les détenus dans les autres maisons d'arrêt, et que, dès ce soir, il sera nommé une commission pour aller faire exécuter cet arrêté au Temple. Son réquisitoire est adopté à l'unanimité.

»Les membres nommés pour cette commission sont: Grenard, Lelièvre, Camus et Jonquoy.

»Les mêmes mesures sont prises relativement à la veuve Capet; le conseil arrête que la nourriture de ladite Capet sera réduite au simple nécessaire; que, par respect pour l'égalité, elle sera traitée comme tous les autres prisonniers indistinctement, et qu'elle n'aura d'autres domestiques que ceux qui servent les prisons, et que cet arrêté sera aussi signifié au concierge de la Conciergerie.» (Archives de l'hôtel de ville.)

77: «Un des commissaires nommés par le conseil général pour faire perquisition chez les prisonniers du Temple et en retirer tous les objets de luxe, rend compte de sa mission.

»Il dit que les commissaires ont retiré et fait mettre sous les scellés les porcelaines qu'ils ont trouvées.

»Il a ajouté qu'ils ont trouvé dans une commode appartenant à Élisabeth deux rouleaux chacun de quarante pièces d'or de la valeur de vingt-quatre livres, que ladite Élisabeth a déclaré lui avoir été donnés en dépôt par la veuve Lamballe à l'époque du 10 août 1792, et que ces mêmes pièces avaient été confiées à la veuve Lamballe par une autre personne.

»Le conseil arrête le dépôt au trésor national des pièces d'or ci-dessus mentionnées, ainsi que des mille écus trouvés lors de la mort de Capet, ainsi que des différentes décorations qu'il portait de son vivant; et a nommé pour commissaires à cet effet les commissaires déjà nommés.

»Sur le réquisitoire du procureur de la Commune, le conseil général arrête que le lit, les habits et tout ce qui servait au logement et au vêtement de Capet sera, dimanche prochain, brûlé en place de Grève; les commissaires nommés à cet effet sont Grenard, Lelièvre, etc.

»Lubin, vice-président.
»Dorat-Cubières

(Séance du mardi 24 septembre 1793.)»

78:

Conseil général de la Commune de Paris.

(Séance du lundi 30 septembre 1793.)

«Le secrétaire greffier rend compte du brûlement de la garde-robe de Capet, qui a eu lieu hier dimanche, 29 du présent.

»Le dimanche 29 septembre 1793, l'an II de la République française, le citoyen Camus, commissaire nommé à cet effet par le conseil général, ayant fait transporter au dépôt du secrétariat de la maison commune la garde-robe de feu Capet, j'ai trouvé qu'elle était enveloppée dans une toile cousue et cachetée en six endroits; après avoir reconnu les cachets sains et entiers, j'ai fait l'ouverture du paquet, et j'ai trouvé les effets suivants, savoir:

»Un chapeau, une boîte d'écaille cassée, un petit paquet de lisières et de rubans blancs, six habits, tant de drap que de soie et de petit velours; une redingote de drap, huit vestes, tant de drap, petit velours, soie que de lin; dix culottes idem, deux robes de chambre blanches, une camisole de satin ouatée, cinq pantalons, dix-neuf vestes blanches.

»Lesquels effets j'ai fait transporter sur la place de Grève par les garçons de bureau, après les avoir préalablement fait vérifier par les citoyens Pierre-Jacques Legrand et Étienne-Antoine Souard, commissaires, qui se sont transportés avec moi en ladite place, où j'ai trouvé un bûcher préparé, sur lequel tous les effets ont été rangés, et les commissaires y ayant mis le feu, ils ont été réduits en cendres, au désir de l'arrêté du conseil général.

»Signé à la minute:

»Legrand, Souard, membres de la Commune;
»Coulombeau, secrétaire greffier.»

79: Vie de Madame Élisabeth de France. Paris, Vauquelin, 1814, in-24 de 105 pages.

80:

«Paris, ce 5 octobre 1793, l'an IIe de la République une et indivisible.

»Citoyen président,

»J'ai l'honneur d'informer la Convention que le décret par elle rendu le 3 de ce mois, portant que le tribunal révolutionnaire s'occupera sans délai et sans interruption du jugement de la veuve Capet, m'a été transmis hier soir. Mais jusqu'à ce jour, il ne m'a été transmis aucunes pièces relatives à MARIE-ANTOINETTE; de sorte que, quelque désir que le tribunal ait d'exécuter les décrets de la Convention, il se trouve dans l'impossibilité d'exécuter ce décret tant qu'il n'aura pas ces pièces.

81: Le conseil général nomme Laurent et Friry, qui s'adjoindront au citoyen maire, au procureur de la Commune et aux commissaires déjà nommés pour aller au Temple. (Séance du 4 octobre 1793.)

82: Déjà, depuis un mois, la Commune avait pris un arrêté qui expulsait du Temple Turgy, Chrétien, Marchand, et en général toutes les personnes suspectées d'incivisme.

«Lecture faite d'un arrêté du conseil du Temple, qui demande le remplacement de plusieurs individus occupés maintenant dans cette maison, et qui ont appartenu autrefois au ci-devant comte d'Artois;

»Le conseil général en confirme les dispositions; arrête en conséquence que les citoyens Piquet et sa famille, portiers; Rockentroh et sa famille, lingers; Baron, portier; Gourlet et sa femme, guichetiers; Quenel, commissionnaire; Chrétien, Marchand et Turgy, garçons servants; la citoyenne Leclerc, femme d'un gendarme ci-devant piqueur du comte d'Artois; la femme et les enfants de Salmon, ci-devant son valet de pied, et la famille Ango, au nombre de quatre personnes, ci-devant garçon d'argenterie, seront expulsés.»

83: Le procureur de la Commune se récrie sur les dépenses énormes que nécessite la garde des individus détenus dans la Tour. Il requiert, et le conseil arrête que, le décadi prochain, il se transportera en masse à la Convention pour lui demander que les prisonniers du Temple soient renvoyés dans les prisons ordinaires et traités comme les détenus ordinaires, et que ces individus soient jugés dans le plus court délai. (Conseil général de la Commune; séance du 26 brumaire an II, 16 novembre 1793.)

Cette résolution fut renouvelée cinq jours après:

«Le conseil général arrête que, le quintidi prochain, il se transportera en masse à la Convention pour lui demander à être déchargé de la garde du Temple, et que les prisonniers qui y sont détenus soient transférés dans les prisons ordinaires, et charge Legrand de faire une pétition à cet égard.» (Séance de la Commune du 1er frimaire an II, 21 novembre 1793.)

84: Expression d'un membre du conseil général.

85: Les derniers régicides, ou Madame Élisabeth de France et Louis XVII, par M. le Cher de M.... (Brochure in-8o de 109 pages, publiée à Londres; J. de Boffe, Gerard street, Soho, 1796.)

86: Le 4 germinal an II (24 mars 1794), fournée de dix-neuf personnes, parmi lesquelles le général Ronsin (ci-devant homme de lettres), général de l'armée révolutionnaire; Momoro, imprimeur-libraire et administrateur du département de Paris, et Anacharsis Clootz, l'orateur du genre humain.

87: Le 16 germinal an II (5 avril 1794), fournée de quinze, parmi lesquels figurent Fabre d'Églantine, François Chabot, Camille Desmoulins, Phelippeaux, Bazire, Hérault de Séchelles, les deux frères Frey et le général Westermann.

88: Le 24 germinal an II (13 avril 1794), fournée de vingt et un. On y remarque le général Arthur Dillon, Gobel, ci-devant évêque de Paris, et la jeune veuve de Camille Desmoulins.

89: Voici comment, dès le 6 avril 1793, la Commune de Paris avait prescrit l'exécution de cette mesure:

«Le conseil général, considérant la négligence que les citoyens apportent à l'exécution de la loi concernant l'affiche, à l'extérieur des maisons, des noms de tous les individus qui y habitent;

»Arrête que l'instruction suivante sera imprimée, affichée, et que les commissaires de police des sections seront tenus, sous leur responsabilité, de faire mettre ladite loi à exécution.

»Instruction relative au tableau qui doit être fait de tous les citoyens habitants de Paris, et placé à l'extérieur de chaque maison, aux termes du décret du 29 mars dernier.

REZ-DE-CHAUSSÉE.
N. N.
ENTRE-SOL.
PREMIER ÉTAGE, ETC.

»L'état doit présenter sans interruption toutes les personnes qui logent au même étage, et même toutes celles qui composent un ménage.

Exemple:

A tel étage: Le citoyen tel, son épouse, tant d'enfants de tel sexe; ensuite les domestiques.

»Il est nécessaire de mettre les prénoms ou noms de baptême et les surnoms, le sexe et l'âge de chacun. Le nom principal à désigner est celui que porte ordinairement l'individu et sous lequel il est généralement connu, et non celui de sa famille, si ce n'est pas celui qu'on lui donne dans le public.

»On ne peut se dispenser de faire connaître l'état de chaque individu ou de déclarer qu'il est sans état, car le titre de citoyen ou de citoyenne est une désignation trop vague ou plutôt n'en est pas une.

»L'affiche doit être écrite lisiblement, placée au lieu le plus apparent à l'extérieur, et de manière que tout le monde puisse aisément la parcourir des yeux tout entière sans en perdre un seul nom.

»Il ne doit être omis aucune personne; une seule omission enfreint la loi et expose à des peines sévères.

»Chaque fois qu'il y a du changement, il faut en faire mention dans l'affiche, soit en retranchant le nom des personnes qui ont quitté la maison, soit en ajoutant celui des nouveaux locataires et de ceux mêmes qui ne logent que momentanément.

»Toutes les contraventions seront imputées aux propriétaires ou principaux locataires, ou régisseurs, et seront punies avec sévérité; car on ne veut pas que cette mesure de salut public reste sans exécution ou soit éludée et tournée en dérision.

»Le conseil général arrête que le double des tableaux d'inscription sera visé par les comités des sections;

»Que les commissaires de police vérifieront l'exactitude desdits tableaux et prendront les mesures nécessaires pour empêcher qu'ils ne soient enlevés ou détériorés.» (Séance du conseil général de la Commune de Paris du samedi 6 avril 1793.)

90: Au milieu de tant d'immolations, la tristesse de la physionomie était devenue une trahison et la gaieté un devoir. Dans la séance du 23 ventôse an II (15 mars 1794), Barère disait:

«Allez aujourd'hui dans les rues de Paris, vous y reconnaîtrez les aristocrates à leur mine allongée...»

«Oui, ajoutait Couthon, en temps de révolution, tous les bons citoyens doivent être physionomistes: c'est sur la physionomie que vous reconnaîtrez un conspirateur, le complice des traîtres mis sous la loi de la justice; ces hommes ont l'œil hagard, l'air consterné, des mines basses et patibulaires. Bons citoyens, saisissez ces traîtres et arrêtez-les!» (Vifs applaudissements.)—(Moniteur du 26 ventôse an II, 16 mars 1794.)

91: Mémoires et correspondance secrète du Père Lenfant. Paris, 1834, t. I, p. 343.

92: J'ai voulu lire dans le tome III de Bonneville l'article qui commence ainsi:

«Huitième et dernier enfant de Louis, Dauphin de France, fils de Louis XV, et de Marie-Josèphe de Saxe, sa seconde femme, Élisabeth-Philippine-Marie-Hélène, dite de France, eut bien peu de temps à se féliciter du hasard qui avoit placé son berceau à côté du trône...» Je n'infligerai pas cet odieux factum à mes lecteurs. Il est d'autant plus infâme qu'il est hypocrite. Bonneville procède par insinuation et par réticence, et il n'a pas même le triste courage de ses ineptes calomnies. Il affecte même quelquefois de prendre la défense de Madame Élisabeth contre les attaques inqualifiables qu'il reproduit. Il a de la peine, dit-il, à croire qu'elles soient vraies... C'est une vipère qui panse avec sa bave la blessure que vient de faire sa dent venimeuse.

93: Procès-verbal de la translation d'Élisabeth-Marie Capet à la Conciergerie.

94: Guillotiné le 11 thermidor an II.

95: On appelle guichet une petite porte haute d'environ trois pieds et demi, pratiquée dans une porte plus grande. Lorsqu'on entre, il faut en même temps hausser le pied et baisser considérablement la tête, de manière que si on ne se casse pas le nez sur son genou, on court risque de se fendre le crâne contre la pièce de traverse de la grande porte, ce qui est arrivé plus d'une fois. On appelle aussi guichet la première pièce d'entrée.

96: Nous reproduisons ici la continuation de ce récit, à la fin duquel on verra dans quel état tombaient les âmes qui n'étaient point soutenues par la force surnaturelle de la religion: elles se dissolvaient pour ainsi dire sous l'excès de la souffrance, et le sentiment moral, ce soleil des intelligences, s'y éteignait.

«Du greffe, on entre de plain-pied, en ouvrant toutefois d'énormes portes, dans des cachots appelés la Souricière. Il faudroit plutôt les nommer la Ratière. Un citoyen nommé Beauregard, homme aussi honnête qu'aimable, acquitté par le tribunal révolutionnaire, fut mis à son arrivée dans ce cachot. Les rats lui mangèrent en différents endroits sa culotte, sans respect pour son derrière; nombre de prisonniers ont vu les trous, et il fut obligé de se couvrir toute la nuit la figure de ses mains pour sauver son nez et ses oreilles.

»Le jour pénètre à peine dans ces cachots; les pailles dont se compose la litière des prisonniers, bientôt corrompues par le défaut d'air et par la puanteur des seaux (en terme de prison griaches) où les prisonniers font leurs besoins, exhalent une infection telle, que dans le greffe même on est empoisonné lorsqu'on ouvre les portes.

»En face de la porte d'entrée est le guichet qui conduit à la cour des femmes, à l'infirmerie, et en général ce qu'on appelle, je ne sais pourquoi, le côté des douze. Nous y reviendrons.

»A droite, sur deux angles, sont des fenêtres qui éclairent fort imparfaitement deux cabinets où couchent les guichetiers de garde pendant la nuit; c'est aussi dans ces cabinets qu'on dépose les femmes qui ont été condamnées à mort. Entre ces deux angles est un troisième guichet qui conduit au préau; c'est le côté le plus recommandable de cette prison et le mieux fait pour fixer le regard de l'observateur. Il faut pour y arriver franchir quatre guichets. On laisse à gauche la chapelle et la chambre du conseil, deux pièces également remplies de lits dans ces derniers temps; la seconde étoit occupée par la veuve de Capet.

»Je n'entreprendrai point de décrire tous les lieux de cette vaste et dégoûtante enceinte. Je remarquerai seulement qu'à droite en entrant dans la cour, à l'extrémité d'une espèce de galerie, est une double porte, dont l'une entièrement de fer; que ces portes ferment le cachot surnommé de la Bûche nationale depuis le massacre du mois de septembre 1792 (vieux style), et que l'on traverse ce cachot pour arriver dans les salles du palais, au moyen d'un obscur escalier dérobé et verrouillé dans deux ou trois endroits différents. Les prisonniers sont à la pistole, ou à la paille, ou dans les cachots. Ces prisonniers ont un régime différent. Les cachots ne s'ouvrent que pour donner la nourriture, faire les visites et vider les griaches. Les chambres de la paille ne diffèrent des cachots qu'en ce que leurs malheureux habitants sont tenus d'en sortir entre huit et neuf heures du matin. On les fait rentrer environ une heure avant le soleil couché. Pendant la journée, les portes de leurs cachots sont fermées, et ils sont obligés de se morfondre dans la cour ou de s'entasser, s'il pleut, dans les galeries qui l'entourent, où ils sont infectés de l'odeur des urines, etc. Du reste, mêmes incommodités dans ces hideuses demeures; point d'air, des pailles pourries.

»Entassés jusqu'à cinquante dans un même trou, le nez sur leurs ordures, ils se communiquent les maladies, les malpropretés dont ils sont accablés. Allez visiter les cachots qui sont pratiqués dans les grosses tours que vous voyez du quai de l'Horloge, ceux qu'on appelle le grand César, Bonbec, Saint-Vincent, Bel-Air, etc., et dites si la mort n'est pas préférable à un pareil séjour.

»Ne croyez pas que les incommodités du logement soient les seules que les prisonniers aient à supporter; il faudroit pour juger jusqu'à quelle humiliation, jusqu'à quelle dégradation on peut réduire des hommes, il faudroit assister à la fermeture des portes et à l'appel nominal qui la précède. Figurez-vous trois ou quatre guichetiers ivres, avec une demi-douzaine de chiens en arrêt, tenant en main une liste incorrecte qu'ils ne peuvent lire. Ils appellent un nom, personne ne se reconnoît; ils jurent, tempêtent, menacent; ils appellent de nouveau, on s'explique, on les aide, on parvient enfin à comprendre qui ils ont voulu nommer. Ils font entrer en comptant le troupeau, ils se trompent; alors, avec une colère toujours croissante, ils ordonnent de sortir; on sort, on rentre, on se trompe encore, et ce n'est quelquefois qu'après trois ou quatre épreuves que leur vue brouillée parvient enfin à s'assurer que le nombre est complet.

»Mais quel contraste! Est-ce une bizarrerie de la nature ou un effet de sa sagesse? La première lueur d'espérance, l'approche d'un plaisir dissipent en un instant les plus noirs chagrins, les plus cruelles inquiétudes, et la prison la plus hideuse, l'enfer va se changer en un temple de Gnide. Vous entendez dans la cour du préau un éternel bourdonnement, un murmure sombre et les cris effrayants des guichetiers; ils ont des voix terribles et qui semblent avoir été faites exprès. Rien n'est plus fatigant que ce bruit et ce spectacle, si vous pouvez y échapper pour revenir au principal guichet.

»Après avoir franchi la première grille, j'ai déjà dit qu'il y en a quatre, vous vous trouvez dans une enceinte formée toute de barreaux de fer. Lorsque les communications avec l'extérieur subsistoient, c'est là que les prisonniers de ce côté voyoient leurs connoissances. Les femmes, dont la sensibilité, le courage plus résolu, l'âme plus compatissante, plus portée à secourir, à partager le malheur, les femmes étoient presque les seules qui osassent y pénétrer....

»Le guichet d'entrée, occupé de même par les prisonniers du côté des douze, n'offroit pas un spectacle moins pittoresque. En effet, quoi de plus singulier pour l'œil de l'observateur? des femmes et leurs maris, des maîtresses et leurs amants rangés sur des bancs contre les murs: les uns s'attendrissent, versent des larmes; d'autres, condamnés à mort, quelquefois chantent. Par une fenêtre de ces cabinets, on aperçoit sur un lit de douleur une malheureuse femme veillée par un gendarme, et qui attend, la pâleur sur le front, l'instant de son supplice. Des gendarmes remplissent les guichets; ceux-ci conduisent des prisonniers, dont on délie les mains, et que l'on précipite dans un cachot; ceux-là demandent d'autres prisonniers pour les transférer, les lient et les emmènent, tandis qu'un huissier, à l'œil hagard, à la voix insolente, donne des ordres, se fâche, et se croit un héros parce qu'il insulte impunément à des malheureux qui ne peuvent lui répondre par des coups de bâton.

»Il n'y a rien d'exagéré dans ce que je viens de dire, et plusieurs personnes qui sont venues ou ont vécu dans les prisons se rappelleront d'avoir vu tout cela dans le même moment.

»J'ai dit que les chiens jouoient un grand rôle dans ces prisons; cependant un fait que j'ai entendu souvent raconter prouvera que leur fidélité n'est pas à toute épreuve. Parmi ces chiens, il en est un distingué par sa taille, sa force et son intelligence. Ce Cerbère se nomme Ravage. Il étoit chargé pendant la nuit de la garde de la cour du préau. Des prisonniers avoient, pour s'échapper, fait un trou (en argot, un housard); rien ne s'opposoit plus à leur dessein, sinon la vigilance de Ravage et le bruit qu'il pourroit faire. Ravage se tait; mais le lendemain matin, on s'aperçut qu'on lui avoit attaché à la queue un assignat de cent sous avec un petit billet où étoient écrits ces mots: On peut corrompre Ravage avec un assignat de cent sous et un paquet de pieds de mouton. Ravage promenant et publiant ainsi son infamie, fut un peu décontenancé par les attroupements qui se formèrent autour de lui et les éclats de rire qui partoient de tous côtés. Il en fut quitte, dit-on, pour cette petite humiliation et quelques heures de cachot.

»Revenons au côté des douze. Ce côté a aussi une cour qu'occupent les femmes. La partie occupée par les hommes n'a d'autre promenade qu'un corridor obscur, dans lequel il faut tenir le jour le réverbère allumé, et un petit vestibule séparé de la cour des femmes par une grille. Les hommes peuvent parler aux femmes à travers cette grille, et plus d'une fois les tendres épanchements de l'amour y ont fait oublier aux malheureux l'horreur de leur demeure.

»Les chambres des femmes sont aussi divisées en chambres à la pistole et en chambres à la paille. Les pistoles occupent le premier, les chambres des pailleuses[96-A] sont au rez-de-chaussée, derrière une arcade; elles sont obscures, humides, et aussi malsaines que malpropres. Le gouvernement devroit bien s'occuper de les rendre salubres, en n'oubliant jamais que l'innocence a été forcée de les habiter. Il faudroit aussi un régime qui ne tendît pas à dégrader les êtres qui y sont soumis.

»Il n'y a de ce côté pour les hommes que des chambres a la pistole, c'est-à-dire que l'on paye le loyer des lits que l'on occupe. Il y a autant de lits dans une chambre qu'elle en peut contenir. On payoit d'abord pour un lit 27 livres 12 sous le premier mois et 22 livres 10 sous les mois suivans. On a réduit ce loyer à 15 livres par mois. Le même lit a souvent rapporté plusieurs loyers en un mois[96-B]; aussi la Conciergerie est-elle le premier hôtel garni de Paris quant au produit.

»L'un des grands inconvénients de ce côté étoit le voisinage de l'infirmerie; on y a longtemps vécu au milieu des fièvres les plus dangereuses. Les malades, entassés deux à deux sur de méchants grabats, étoient bien ce que la misère humaine peut offrir de plus déplorable: les médecins daignoient à peine les examiner; il sembloit qu'il y eût des cœurs faits pour s'endurcir à l'approche du malheur. Ils avoient une ou deux ptisannes qui étoient, comme on dit, des selles à tous chevaux, et qu'ils appliquoient à toutes maladies, encore étoient-elles administrées avec une négligence vraiment impardonnable. C'étoit une chose curieuse de voir avec quel dédain et quelle suffisance ils faisoient leurs visites. Un jour, le docteur en chef s'approche d'un lit et tâte le pouls du malade. «Ah! dit-il, il est mieux qu'hier.—Oui, citoyen docteur, répond l'infirmier, il est beaucoup mieux, mais ce n'est pas le même; le malade d'hier est mort, et celui-ci a pris sa place.—Ah! c'est différent; eh bien, qu'on fasse la ptisanne

»Cette anecdote en rappelle une autre qui eut lieu à peu près dans le même temps. On se souvient peut-être d'un individu qui se faisoit appeler Marat-Mauger, commissaire du pouvoir exécutif à Nancy et dans le département de la Meurthe, dénoncé comme ayant usé envers les citoyens de toutes sortes de vexations. Ce Mauger donna l'exemple le plus terrible de la manière dont un coquin peut être tourmenté par les remords. Il rappela les fureurs d'Oreste, et Le Kain auroit pu trouver en lui un modèle. Attaqué d'une fièvre très-violente, il se levoit sur son lit, et là, avec des convulsions vraiment effrayantes, et d'une voix épouvantée, il s'écrioit: «Voyez-vous dans les ombres de ces voûtes la main de mon frère? Il écrit en lettres de sang: Tu as mérité la mort!» Il périt en effet au milieu des transports de cette frénésie[96-C].

»Il régnoit parmi les prisonniers de ce côté un genre de courage et de gaieté vraiment remarquable; on ne se fera jamais une idée juste d'une existence semblable: aussi je n'entreprendrai pas de la dépeindre; je me contenterai de citer quelques passages de deux lettres de l'un de ces prisonniers à un ami, et que celui-ci a bien voulu me communiquer:

«....... Si je vois avec quelque sang-froid le moment où je perdrois la vie, je le dois surtout au spectacle qui se renouvelle à chaque instant dans cette maison; elle est l'antichambre de la mort. Nous vivons avec elle. On soupe, on rit avec des compagnons d'infortune; l'arrêt fatal est dans leur poche. On les appelle le lendemain au tribunal; quelques heures après nous apprenons leur condamnation; ils nous font faire leurs compliments en nous assurant de leur courage. Notre train de vie ne change point pour cela; c'est un mélange d'horreur sur ce que nous voyons et d'une gaieté en quelque sorte féroce, car nous plaisantons souvent sur les objets les plus effrayants, au point que nous démontrions tous les jours à un nouvel arrivé de quelle manière cela se fait, par le moyen d'une chaise à qui nous faisions faire la bascule. Tiens, dans ce moment, en voici un qui chante:

Quand ils m'auront guillotiné,
Je n'aurai plus besoin de né.

»Je dois t'ajouter, pour te prouver combien nous avons de moyens de nous endurcir, qu'une malheureuse femme condamnée vient de me faire appeler: «La source de mes larmes est tarie, m'a-t-elle dit, il ne m'en est pas échappé une depuis hier soir. La plus sensible des femmes n'est plus susceptible d'aucun sentiment; les affections qui faisoient le bonheur de ma vie ont perdu toute leur force. Je ne regrette rien, et je vois avec indifférence le moment de ma mort.»

»Cette femme est madame Lariolette de Tournay: elle dit avoir dépensé des sommes énormes pour la cause de la liberté; commissaires nationaux, généraux, officiers des armées françoises, ont été accueillis dans sa maison avec autant de distinction que de zèle. Elle attribue ses malheurs à son mari. Elle s'est fait peindre ces jours-ci la main appuyée sur une tête de mort; elle a dû lui envoyer ce portrait. L'allégorie est cruelle si le motif en est vrai!...

»Les hommes sont trop méchants, trop inutilement atroces, et je ne regretterois pas une existence aussi pénible et qui ne me présente qu'un avenir encore plus affreux. Tu vas me croire fou; ma foi, non!

»Je ne fus jamais si raisonnable; j'apprécie les choses ce qu'elles valent, et le plus grand bienfait de la nature (la vie, dont tu me parles dans une de tes lettres), me paroît à moi une corvée fort incommode, que la nature, si toutefois elle n'est pas une force aveugle, pouvoit épargner à des êtres qui n'ont pas même assez de raison pour apercevoir leurs sottises. Je suis si las de vivre parmi les hommes, que je ne serois pas fâché de les quitter. J'ai déjà, comme je t'ai dit, essayé l'épreuve; c'est le moment de véritable calme que j'aie goûté depuis que je suis ici, etc...»

»C'étoit une chose touchante de voir un nombre de prisonniers prévenus de délits contre la patrie ne respirer cependant que pour elle et pour sa liberté.»

96-A: On appelle pailleux et pailleuses ceux et celles qui, n'ayant pas de moyen de payer le loyer d'un lit, sont obligés de coucher sur la paille.

96-B: Dans les derniers temps de la tyrannie de Robespierre, lorsque le tribunal envoyait les victimes à la mort par charretées, quarante ou cinquante lits étaient occupés tous les jours par de nouveaux hôtes qui payaient quinze livres pour une nuit, ce qui donnait par mois un produit de dix-huit à vingt-deux mille livres.

96-C: On honore sa mémoire de cette épitaphe:

Dans un corps sale et pourri
Gisait une âme épouvantable.
Depuis ce matin, Dieu merci,
Et l'âme et le corps sont au diable.

97: Madame de la Fayette, née Noailles, était un modèle de bienveillance, de piété et de dévouement conjugal. La journée du 15 octobre 1795 fut un des plus beaux jours de sa vie. Ce jour-là, elle obtint la faveur de se constituer prisonnière avec ses deux filles dans les cachots d'Olmutz, auprès de son mari, dont elle partagea la captivité pendant deux ans.

Elle mourut à Paris dans la nuit de Noël (25 décembre) 1807, et fut, selon son désir, inhumée à Picpus, funèbre asile qu'elle avait fondé avec sa sœur, la marquise de Montaigu. B.

98: Les prisons en 1793, par madame la comtesse de Bohme, née de Girardin, 1 vol. in-8o, p. 130.

99: Nous intercalons à cette page le commencement de ce factum, reproduisant en fac-simile la pièce imprimée et remplie par l'écriture autographe de l'accusateur public.

100: Nous possédons quelques pages écrites par lui à la hâte pour sa défense, et qu'on ne lui donna point le temps de lire devant le tribunal. Voir aux Pièces justificatives, no VI.

101: Voir, p. 205, la liste des coaccusés de Madame Élisabeth.

102: Cejourdhuy vingt un floréal, l'an deuxième de la République, sur l'avis à nous donné par l'accusateur public qu'une des condamnées par jugement du tribunal de cejourd'huy avoit des déclarations à faire, nous Pierre André Coffinhal, juge du tribunal, en présence de Michel Nicolas Gribauval, l'un des substituts de l'accusateur public, et assisté de Anne Ducray, commis greffier, nous sommes transporté au greffe de la maison d'arrêt de la Conciergerie, où nous avons mandé et fait venir par devant nous la nommée Anne Marie Louise Thomas, femme Serilly, âgée de trente un ans, condamnée à la peine de mort par jugement du tribunal de cejourdhuy, laquelle nous a déclaré quelle étoit enceinte d'environ six semaines, de laquelle déclaration lui avons donné acte; en conséquence et ouy l'accusateur public, disons quelle sera vue et visitée à l'instant par les officiers de santé assermentés près le tribunal, pour, après leur rapport sur l'état deladitte fe Serilly, être par l'accusateur public requis et par le tribunal ordonné ce qu'il appartiendra.

De ce que dessus avons dressé le présent procès verbal, que nous avons signé avec laditte fe Serilly, l'accusateur public et le commis greffier.

Gribauval, subst. Ducray. Thomas Serilly. Coffinhal.

Nous, officiers de santé assermentés au tribunal criminel révolutionnaire, assiste de la citoyene Paquin, femme sage, pour le tribunal;

Sur la réquisitoire de laqusateur publique, nous nous sommes transporte en la maison dite de la Conciergerie pour y voir et visiter la nomé Anne Marie Louise Thomas, femme Cerilly, condanné à mort cejourdhuy par jugement dudit tribunal, afin dy constater létat de grossesse de six semaine, conformément à sa déclaration.

Après la visite la plus scrupuleuse tant des parties intérieures questerieure, nous avons trouvée le col de la matrice très bas et dure et gonflé, le ventre tendue et gonflé, les seins douloureux et peu élevé; nous ayant répondue sur les diférentes questions que nous lui avons faite sur son état, quel avoit éprouvé quelque uns des simptomes et accident qu'éprouvent ordinairements les femmes dans le commencement de leurs grossesse. Nous avons reconue que tout ces signes annonçoient bien un commencement de grossesse, que depuis près de deux mois elle n'avoit pas ses règles. Mais comme tout ces signes et simptomes souvent en imposent et ne sont pas sufisans pour porter un jugement définitif, nous renvoyons a un termes plus éloigné, qui est le cinquième mois, ou la nature n'y les simptomes ne peuvent plus en imposer. A Paris, ce vingt un floréal de l'an deux de la République françoise une et indivisible.

Paquin, veuve Prioux. Bavard.

Tribunal révolutionnaire.

Vu par le tribunal révolutionnaire établi par la loi du 10 mars 1793, sans recours au tribunal de cassation, et encore en vertu des pouvoirs délégués au tribunal par la loi du cinq avril de la même année, séant au Palais de justice, à Paris, la déclaration faite par Anne Marie Louise Thomas, femme Serilly, le vingt-un floréal présent mois, l'ordonnance du tribunal étant ensuite; ensemble le rapport des officiers de santé et matrone assermentés; ensemble le réquisitoire de l'accusateur public; tout considéré,

Le tribunal assemblé en la chambre du conseil, attendu l'incertitude sur l'état actuel de la femme Serilly, résultant du rapport des officiers de santé du tribunal, ordonne qu'il sera surcis à l'exécution du jugement dujourdhuy à l'égard de la femme Serilly, jusqu'à ce qu'il en ait été autrement ordonné.

Fait et jugé en la chambre du conseil, le vingt deux floréal l'an deuxième de la République, par les citoyens Subleyrac, vice président, Denizot, Ardouin, Deliége et Maire, juges, qui ont signé le présent jugement avec le commis greffier.

Subleyrac.
Denizot. A. M. Maire. Ardouin.
Deliége.

Nota. Anne-Marie-Louise Thomas, femme Megret-Serilly, fut transférée à l'Évêché, d'où elle fut mise en liberté après le 9 thermidor. B.

103: Cette expression ironique Élisabeth de France dans la bouche de Dumas, en rappelant la réponse qu'elle lui a faite elle-même quand il lui a demandé son nom, apporte, ce me semble, une grande force à l'opinion que j'ai émise plus haut. B.

104: Ces détails ont été affirmés par des membres du jury et par des spectateurs présents au jugement; M. Georges Duval, qui les tenait d'eux, les rapporte dans ses Souvenirs thermidoriens.

105: Nous devons ces détails au sieur Ferry, garçon de bureau (en 1825) au département des beaux-arts, qui les tenait du sieur Geoffroy, son oncle, gardien (en 1794) de la maison d'arrêt de la Folie-Renaud, lequel se trouvait à cette heure à la Conciergerie, où il venait, selon l'usage, faire le dépôt de la défroque des suppliciés.

106: Une sainte fille du nom de Marguerite, au service de M. le marquis de Fenouil, et qui avait été jetée à la Conciergerie pour n'avoir point voulu déposer contre son maître, fut témoin de cette scène. Elle connaissait madame de Montmorin, dont son père infirme avait reçu plus d'un bienfait. Ayant appris en 1828 que Marguerite était au service de M. le marquis de la Suze, grand maréchal des logis du Roi, je demandai à la voir, et elle me raconta ces détails, que je suis heureux de consigner ici. B.

107: S'il était vrai, comme on l'a prétendu, que Fouquier eût fait la proposition de saigner les condamnés pour affaiblir le courage qui les accompagnait jusqu'à la mort, on serait disposé à croire qu'il regretta que l'application de cette atroce mesure n'ait pu être faite à la fournée du 10 mai 1794.

«Le fait de cette proposition, dit M. Berriat-Saint-Prix, ne figure pas dans le compte rendu de Donzelot, mais il n'en est pas moins prouvé à mes yeux, et voici mes raisons:—Les questions résolues affirmativement par le jury embrassaient vingt-neuf faits distincts, y compris celui-là[107-A]; sur ce nombre, vingt-sept se retrouvent dans le compte rendu, lequel s'arrête à l'audience du 2 floréal. Il est permis de supposer que la proposition de la saignée fut établie sur les neuf audiences suivantes, omises par Donzelot. On ne comprend pas, en effet, comment le jury aurait sans preuve déclaré constant ce fait si étrange, alors qu'il ne constatait les vingt-sept autres que sur d'évidentes démonstrations.»

(La Justice révolutionnaire à Paris, Cosse et Marchal, place Dauphine, 1861.)

107-A: Jugement rendu contre Fouquier, in-4o, page 1 à 5. Bibliothèque du Louvre.

108: Son mari. A. E. F. G. Crussol d'Amboise, âgé de soixante-sept ans, ex-membre de l'Assemblée constituante, né à Aurillac, département du Cantal, domicilié à Paris, fut condamné à mort comme conspirateur, le 8 thermidor an II (26 juillet 1794), par le tribunal révolutionnaire de Paris.

109: Extrait du registre des dépôts au greffe du tribunal révolutionnaire, à la date du 22 floréal.

«Est comparu le citoyen Desmouret, commis de l'exécuteur des jugemens criminels, lequel a déposé un médaillon en verre à cercles d'or renfermant un crucifix de même métal;

»Un cachet d'or en trois parties représentant l'un les armes de France et de Navarre de l'ancien régime, l'autre une colombe, et le dernier une tête d'homme;

»Une chaîne de col en or, à laquelle est attaché un cœur renfermant des cheveux et une petite croix d'or;

»Une médaille d'argent représentant une Immaculée Conception de la ci-devant Vierge, et une petite clef de portefeuille qu'il déclare appartenir à Élisabeth Capet, condamnée à mort, et qu'il a trouvée sur elle en la conduisant au supplice, et a signé avec moi greffier soussigné.

»Desmorest, Wolff

Cette déclaration du commis de l'exécuteur est précédée (sur le registre des dépôts faits au greffe du tribunal révolutionnaire) de la déclaration faite par le concierge de la maison d'arrêt de la Conciergerie des objets de garde-robe ou autres appartenant à Élisabeth Capet et à ses complices. Voir aux Documents, no VII.

110: Le témoin dont il est ici question est madame Marie Valienne, femme Hervé, puis femme Baudoin, concierge de l'hospice Devillas, rue du Regard.

111: Mémoires de madame de Genlis. Paris, Ladvocat, 1825, t. VI, p. 117.

Madame de Genlis ajoute en note: «On voit dans la Vie des saints que ce miracle d'une odeur suave se répandant tout à coup est arrivé plus d'une fois au moment de la mort de saints personnages.»

On trouve dans l'ouvrage de Görres intitulé: la Mystique divine, le récit d'une multitude de phénomènes identiques. En voici un extrait:

«Lorsqu'on dit de quelqu'un qu'il est en odeur de sainteté, cette expression n'est pas seulement une figure, mais elle est fondée sur l'expérience. La chambre de la bienheureuse Liduine était, au témoignage de Thomas à Kempis, remplie d'un parfum délicieux qu'exhalait sa personne, et qui faisait croire à tous ceux qui entraient qu'elle avait sur elle quelque aromate.

»Lorsque saint Ménard fut assassiné dans sa solitude, il sortit de son cadavre une odeur très-agréable qui se répandit jusque dans la forêt environnante. Le corps de saint Dominique exhalait une odeur semblable, et elle s'attacha pour longtemps aux mains de ceux qui l'avaient enseveli. Après la mort de saint Gandolphe, son corps répandit aussi un doux parfum qui remplit la maison pendant quinze jours. Ce même phénomène se reproduisit chez le frère Robert, de Naples, chez Jeanne de la Croix, chez François de Sainte-Marie et chez François de la Conception, quoique tous fussent morts de maladies qui ont coutume d'être accompagnées de mauvaises odeurs. Il faut que ce parfum de sainteté soit bien pénétrant, puisque les actes de saint Trévère rapportent qu'on le sentait à un mille à la ronde lorsqu'on ouvrit son tombeau.» (La Mystique divine, naturelle et diabolique, par Görres, ouvrage traduit de l'allemand par C. Sainte-Foi; Poussielgue-Rusand. Paris, 1854. Tome I, chap. IV, p. 292 et 295.)

112: Les charrettes qui devaient transporter les condamnés à l'échafaud étaient commandées d'avance en nombre suffisant; les places des victimes étaient comptées; ces charrettes arrivaient à la porte de la Conciergerie vers dix heures du matin, midi au plus tard. Plusieurs fois l'audience de la salle de l'Égalité (aujourd'hui la chambre civile de la Cour de cassation) ayant été terminée par la condamnation de cinq ou six accusés seulement, Fouquier fit ajouter au bas de l'ordre pour l'exécuteur, que lui présentait à signer le greffier: «L'exécuteur fera amener six ou sept charrettes», ce qui annonçait l'espoir que les accusés alors en jugement dans la salle de la Liberté, au nombre de trente, plus ou moins, seraient également condamnés. (Note empruntée au livre de M. Berriat Saint-Prix, la Justice révolutionnaire.)

113: Déjà, à l'époque des grandes chaleurs de l'été précédent, les habitants du quartier de la Madeleine avaient exprimé des plaintes à ce sujet. Un citoyen du quartier du Roule, dans la séance de sa section, le 17 juillet 1793, avait proposé d'adresser à cet égard une réclamation au conseil de la Commune. Les exigences hygiéniques avaient enfin déterminé l'ouverture d'un nouveau cimetière.

«Séance de la section du Roule du 17 juillet 1793.

»Un membre monte à la tribune, et lit un mémoire signé d'un grand nombre de citoyens, tendant à inviter la Commune à donner un autre emplacement au cimetière de la paroisse de la Madeleine, dont l'odeur cadavéreuse et putréfiante, y est-il dit, devient insupportable aux citoyens qui l'avoisinent, et dangereuse à la ville de Paris.

»La section arrête que cette demande sera transmise à la Commune.»

«Séance du 18.

»À propos de la lecture du procès-verbal, un membre fait observer que l'arrêté pris dans la séance précédente est dangereux, impolitique et capable d'accréditer les bruits faux que les ennemis du bien public font courir en disant que la peste règne dans Paris.

»L'assemblée, considérant qu'il n'est rien que la malveillance n'emploie pour éloigner les bons citoyens de Paris, rapporte son arrêté.»

114: Le lecteur trouvera à la fin de l'Appendice les listes des fournées de victimes qui ont précédé, accompagné ou suivi dans l'enclos du Christ la dépouille de Madame Élisabeth.

115: Ludovico Bottiglia. Traduction de J. B. Idt, professeur au collége royal de Lyon. Lyon et Paris, in-8o, p. 79 à 82.

116: L'année 1796 devait la soumettre à de nouvelles épreuves. La mort du roi Victor-Amédée appelait son époux au trône de Sardaigne, ébranlé depuis quatre ans par la révolution française. La nouvelle reine se servit de son autorité pour honorer la religion, protéger les arts et soulager les pauvres. Elle ne jouit guère que deux ans de cette consolation. Le 6 décembre 1798, le Directoire déclara la guerre à Charles-Emmanuel IV, et le força de quitter Turin. La Reine le suivit en Toscane, et s'embarqua avec lui à Livourne. Arrivés en Sardaigne, ils y passèrent sept mois. Ayant un moment espéré que quelques avantages remportés par les Russes pourraient leur ouvrir la route de leurs États, ils revinrent sur le continent: la fortune se tourna de nouveau contre eux, et les réduisit à changer souvent de séjour. Ils habitèrent tour à tour Florence, Rome et Naples. Dans ces différentes demeures, les habitudes de la Reine restaient les mêmes: elle prodiguait à son mari, souffrant fort souvent d'une névralgie, les soins les plus assidus comme les plus affectueux; et le temps qu'elle avait de libre après l'accomplissement de ses devoirs, elle le consacrait aux pratiques de la religion, au soulagement de la souffrance et de la misère, auxquelles elle donnait elle-même l'exemple de la douceur, de la patience et de l'humilité.

Ayant appris que le souverain Pontife avait été enlevé de Rome, et se trouvait momentanément dans la Chartreuse, près de Florence, le Roi et la Reine de Sardaigne, ainsi que le grand-duc de Toscane, s'empressèrent de l'aller visiter. On imagine mieux qu'on ne le décrit ce que dut avoir de touchant une telle entrevue, dans une circonstance qui réunissait des exemples si éclatants de la fragilité des grandeurs humaines. En s'inclinant devant le chef suprême de l'Église, Charles-Emmanuel lui dit: «J'oublie dans des moments si doux toutes mes disgrâces; je ne regrette point le trône que j'ai perdu: je retrouve tout à vos pieds.—Hélas! cher Prince, répondit le Saint-Père, tout n'est que vanité; nous en sommes, vous et moi, la triste preuve. Portons nos regards vers le ciel, c'est là que nous attendent des trônes qui ne périront jamais.» Le Roi et la Reine, qui se disposaient à retourner en Sardaigne, pressaient le saint vieillard de les accompagner. «Venez, venez avec nous, Saint-Père, disait la sœur de Madame Élisabeth, nous nous consolerons ensemble: vous trouverez dans vos enfants tous les soins respectueux que mérite un si tendre père.—Je ne puis accepter vos offres généreuses, répondit le Pape, mon grand âge ne le permet pas, mes infirmités le refusent, et la crainte d'éveiller le soupçon de nos ennemis le défend.» Leurs adieux furent déchirants: c'était la séparation d'amis qui ne doivent plus se revoir.

Marie-Clotilde mourut à Naples le 7 mars 1802. Dans tous les lieux qu'elle avait habités, la réputation de sa sainteté s'était répandue. Le pape Pie VII, qui avait été témoin de ses vertus, la déclara vénérable par un décret du 10 avril 1808.

117: Le prince Béda, abbé de Saint-Gall, était propriétaire du château de Wartegg.

Il avait donné à bail ce manoir à la famille de la Tour-Valsassina, qui, au moment de l'émigration française, le loua au marquis de Bombelles.

Dans son journal manuscrit, conservé aux archives de Saint-Gall, t. 284, nous voyons que la famille de Bombelles était installée à Wartegg en décembre 1791, et que le 4 janvier 1792 M. de Bombelles vint avec toute sa famille à Saint-Gall faire visite au prince abbé et dîner avec lui.

118:

Traduction d'un article de la Gazette de Brünn du mercredi 1er octobre 1800.

«Le vrai mérite est sans ostentation; il n'appartient qu'à la justice de l'histoire de lui ériger un autel incorruptible dans le cœur de tout homme de bien. La vertu la plus pure, la piété sans hypocrisie, la tendresse conjugale et maternelle portée au plus haut degré, le courage et la grandeur d'âme dans les plus grands malheurs, la bonté du cœur, une bienfaisance sans bornes dans une situation gênée, un esprit cultivé, une amitié noble et constante, toutes ces qualités se trouvoient réunies dans une femme: toutes ces qualités firent vénérer madame de Bombelles, qu'une mort prématurée arracha des bras de six orphelins, à la suite d'une couche malheureuse, dans la trente-neuvième année de son âge, et conduisit dans un monde où elle reçoit la récompense due à ses souffrances et à ses vertus. Tous ceux qui l'ont connue, qui l'ont vue grande et élevée dans le malheur, qui l'ont admirée sous les titres respectables de mère, d'épouse et d'amie, ne pourront refuser des larmes à sa mémoire, et à ses mânes le souhait d'une paix sainte et inaltérable.»

Traduction d'un autre article de la même gazette, du samedi 4 octobre 1800.

«Les hommes reconnoissants forment, dans le grand tableau du monde, le groupe le plus intéressant; car il n'est aucune vertu, si élevée qu'elle soit, à laquelle le céleste sentiment de la reconnoissance ne mérite de servir de pendant. Nous fûmes témoin, lundi dernier, d'une scène des plus touchantes, des plus sublimes, près du cercueil de la défunte madame de Bombelles. La gratitude y célébra une fête digne du Ciel, et offrit un laurier à la vertu dans le tombeau. Les habitants de Menowitz (village non loin de Brünn, où la défunte habita quelque temps) apprirent la mort de cette vénérable femme, et plusieurs d'entre eux se hâtèrent d'arriver à la ville et dans la maison du deuil. C'étoit le jour des funérailles, et le cercueil étoit déjà fermé. Les bonnes gens en demandèrent l'ouverture avec des cris déchirants, pour voir encore une fois leur bienfaitrice, leur mère, pour baiser encore une fois ses froides mains. Le cercueil fut ouvert; et ces créatures reconnoissantes, pâles et plongées dans une douleur muette, les yeux baignés de larmes, entourèrent le corps de leur bienfaitrice. Ce spectacle étoit digne de compassion, et en même temps de l'enthousiasme des âmes sensibles qui savent apprécier le mérite de la vertu. Enfin ce chagrin muet éclata en plaintes amères: alors sa main glacée fut couverte de baisers brûlants; alors les vêtements de la défunte furent arrosés des larmes du sentiment, de ces larmes que tous les trésors de la terre ne peuvent acheter sans la vertu, dont elles sont le prix. Chacun de ces hommes reconnoissants essaya de peindre aux assistants, avec tout le feu renfermé dans ses veines, les bienfaits qu'il en avoit reçus: «Au lit de ma femme malade, elle veilloit jour et nuit.—Elle ferma les yeux de ma mère.—Elle me donna des drogues de sa propre main et me soigna.—Elle pansa mes plaies, et me mit en état de soutenir mes vieux parents.» Ainsi s'écrioient ensemble ces cœurs nobles et sensibles; et ils adressoient leurs vœux au Ciel pour qu'il accordât la paix éternelle à sa belle âme, pour prix de tant de bienfaits. Que sont toutes les louange achetées avec de l'or auprès d'un tel éloge funèbre! Oh! celui qui, au récit de pareilles scènes, n'aimeroit pas la vertu, n'ouvriroit pas son cœur aux malheureux, qui ne répandroit pas des trésors, souvent mal acquis, dans le sein des infortunés; celui qui ne cesseroit pas de poursuivre la vertu, d'opprimer le mérite, qu'il descende un jour au tombeau sans être aimé, sans être pleuré! c'est la plus grande punition, et dont il sentira, dans un autre monde seulement, toute l'étendue.»

119: «Liste civile.—Bosson et sa femme, ci-devant attachés au service d'Élisabeth Capet, réclament de la justice des magistrats administrateurs du directoire du district les six derniers mois 1793 de leurs gages, et jusqu'à l'évacuation de leur logement, pour laquelle ils ont obéis à l'instant même que les ordres leur a été signifiés, au lieu qu'ils occupoient en la maison du Grand-Montreuil.

»Ils sont sans place et sans pain;—se recommandent à votre bienfaisance.

»Bosson.»

«Soit communiqué au directeur de l'agence nationale de l'enregistrement et des domaines, pour donner des renseignements et son avis le plus promptement possible, attendu l'extrême misère où les requérants ont été réduits par l'effet d'une détention non méritée. Fait au district de Versailles, le trois germinal, l'an second de la République.

«Gauthier. Macé Baigneux.»

«Avis du directeur de l'agence nationale de l'enregistrement.—Vû la pétition du citoyen Bosson et de sa femme, tendante à obtenir de l'administration le payement de leurs gages des six derniers mois de 1793, comme attachés à la maison du Grand-Montreuil, séquestrée sur Élisabeth Capet.

»Le directeur de l'agence nationale de l'enregistrement observe que Bosson et sa femme, qui n'ont justifié ny de leur qualité ny de leurs droits, étoient l'un vacher et la femme laitière dans la maison d'Élisabeth Capet;

»Que les vaches ayant été vendues en octobre 1792, le vacher et la laitière sont devenus inutiles; que les dispositions des loix concernant les gagistes de la cy devant liste civile sont communes aux personnes qui étoient attachées à Élisabeth Capet;

»Qu'ainsi Bosson et sa femme ont dû se regarder comme supprimés à compter du 31 décembre 1792; mais qu'ils ont droit aux indemnités ou pensions promises par le décret du 27 août 1793, et qu'ils doivent être renvoyés devant le citoyen Henry, commissaire-liquidateur de la cy-devant liste civile.

»A Versailles, 11 germinal de l'an II de la République françoise, une et indivisible.

»Deschesne.»

120: Nous en avons trouvé des traces dans le registre des archives de la noble bourgeoisie et ville de Bulle:

«1798.

»Cette année mémorable qui changea la face des affaires en Suisse fut précédée par des démonstrations qui furent très-vives dans le pays de Vaux déjà dès le commencement du mois de décembre. Le lendemain de la foire du mois de janvier 1798 fut le jour où l'arbre de la liberté fut arboré sur le Tilleul, à Bulle. Dès lors Bulle se constitua en comité central correspondant avec Vevey et Lausanne. Un autre comité central s'établit à Grand-Villard, qui correspondit aussi, comme celui de Bulle, avec Vevey et Lausanne. Il s'agissait de récupérer les droits de l'ancienne patrie de Vaux.

»Parmi les actes de dévouement pour la cause de la liberté, on peut citer celui des frères Gex, qui fabriquèrent un canon de bois cerclé en fer, et qui figura au camp de Russille, près d'Avry-devant-Pont.

»Les détails de cette révolution se trouveront dans un autre ouvrage. L'heure étoit venue où la Suisse devoit aussi avoir son tour, et au 4 mars les François entrèrent à Fribourg; combat meurtrier à la Singine; Berne est prise par Schombourg; les gouvernements aristocratiques disparoissent; la Suisse se constitue en une république une et indivisible; un directoire, un sénat, un grand conseil, siégent d'abord à Arau, ensuite à Lucerne, enfin à Berne, où, après plusieurs changements dans ces premières autorités et dans sa forme, le gouvernement unitaire fut culbuté par la troupe du général Bachman et de son collègue Aufdermour, qui forcèrent le gouvernement unitaire à se réfugier à Lausanne, où le général Rapp se trouva et fit connoître aux Suisses la volonté de Napoléon, premier consul de France, d'être le médiateur de la Suisse. Bachman et sa compagnie mirent bas les armes; le gouvernement unitaire fut rétabli à Berne, et une consulte fut envoyée à Paris de toute la Suisse, qui en apporta l'acte de médiation, qui fut mis en activité par M. le comte Louis d'Affry, en sa qualité de premier landamman de la Suisse; avoyer de Fribourg sous ce régime, mort d'un coup d'apoplexie, il emporta les regrets de ses concitoyens.

»Sous le gouvernement de l'acte de médiation tout comme sous l'unitaire, Bulle conserva une préfecture et un tribunal de première instance.

»L'acte de médiation faisoit de Bulle le chef-lieu d'un des cinq districts du canton de Fribourg.—Il donna un membre au conseil d'État dans la personne de M. Nicolas-André de Castella, dernier banneret de Bulle.» (Extrait d'un registre intitulé: Annalise des Archives de la noble bourgeoisie et ville de Bulle.)

121: Voir, aux Pièces justificatives, no VIII, son acte de décès.

122: Voir son acte de décès, au no IX des Pièces justificatives.

123: Voir Pièces justificatives, no X.

124: Voir Pièces justificatives, no X.

125: Voir Pièces justificatives, no X.

126: Voir Pièces justificatives, no X.

127: Voir Pièces justificatives, no XI.

128: Ce cimetière qui porta d'abord la dénomination de Champ de Repos, fut créé par un arrêté de l'administration centrale du département de la Seine, du 8 messidor an VI (26 juin 1798), dans un terrain d'un hectare deux mille sept cent trente-six mètres cinquante-sept centimètres, situé au-dessus du boulevard de la barrière Blanche, cédé à la ville par le citoyen Aymé pour la somme de quatre mille huit cents francs. Par cet arrêté, le cimetière Roch fut définitivement fermé.

Le Champ de Repos se trouva bientôt trop petit.

Par un décret, daté du camp impérial d'Ebersdorf, du 28 mai 1809, le conseiller d'État, préfet du département de la Seine, fut autorisé à acquérir, pour cause d'utilité publique, au nom de la ville de Paris, un terrain de quinze hectares, situé à l'entrée de la plaine de Clichy, pour servir à l'établissement d'un nouveau lieu de sépulture, destiné à remplacer le cimetière Montmartre.

Un autre décret impérial, du 13 août 1811, modifiant ce décret, ordonna que le cimetière existant au bas de Montmartre serait agrandi dans sa partie nord et nord-ouest, et autorisa la ville de Paris à faire acquisition de douze hectares de terrain pour l'agrandissement du cimetière, en le prolongeant à travers le chemin des Batignolles, qui sera déplacé.

Enfin, un arrêté préfectoral du 10 février 1818 fit procéder immédiatement au mesurage des douze hectares de terrain dont l'acquisition est ordonnée par le décret susrelaté. B.

129: Voir page 232 de ce volume.

130: Le sieur Fauconnier, 12, rue d'Asnières, Batignolles-Paris.

131:

Déclaration de M. Descloseaux, chevalier de l'Ordre du Roi, du 22 mai 1816, devant Me Deguingand, notaire à Monceaux.

Je soussigné, Pierre-Louis Ollivier Descloseaux, chevalier de l'Ordre du Roi, demeurant actuellement rue d'Anjou, faubourg Saint-Honoré, no 62, premier arrondissement, déclare erroné le certificat que j'ai signé le quatre juin mil huit cent quatorze, étant à la suite d'une liste imprimée par Lottin, dans le courant de la même année, ayant pour titre: «Liste des personnes qui ont péri par jugement du tribunal révolutionnaire, depuis le vingt-six août dix-sept cent quatre-vingt-douze, jusqu'au treize juin dix-sept cent quatre-vingt-quatorze (vingt-cinq prairial an deux), laquelle liste contient les noms de treize cent quarante-trois victimes.»

Attendu qu'il est constant et hors de doute que, sur la demande des propriétaires et habitans de la rue d'Anjou, le cimetière de la Madeleine a été fermé antérieurement au vingt-quatre mars dix-sept cent quatre-vingt-quatorze (quatre germinal an deux), et que de suite il a été ouvert près de la barrière de Monceaux (vulgairement Mousseaux) un autre cimetière, dans lequel a été porté Hébert, dit le Père Duchesne, indiqué sous le no 496 de ladite liste, d'où il résulte la preuve, d'après la liste imprimée par Lottin, que huit cent quarante-huit victimes ont été portées au cimetière de Monceaux, et non à celui de la rue d'Anjou; en conséquence je déclare, moi Descloseaux, que c'est par erreur qu'il est dit, dans le certificat signé de moi, que toutes les personnes comprises dans cette liste, et au nombre de treize cent quarante-trois, ont été inhumées dans le cimetière de la rue d'Anjou, et que je n'ai pas entendu y comprendre celles qui ont été reçues au cimetière de Monceaux, indiquées sous les huit cent quarante-huit derniers numéros. Cette erreur provient de ce que j'ai considéré la désignation du cimetière de la Madeleine comme étant commune aux deux cimetières de la rue d'Anjou et Monceaux, attendu qu'ils avaient successivement servi au même usage.

De ce qui vient d'être dit, il reste constant que les tristes restes de Madame ÉLISABETH, sœur de Sa Majesté Louis XVI, et de M. de Malesherbes, sont déposés dans le cimetière de Monceaux. (Voir les nos 679 et 901.)

En foi de quoi j'ai signé le présent certificat pour rendre hommage à la vérité, consentant qu'il soit déposé par-devant notaire, et qu'il en soit délivré toutes copies nécessaires à qui de droit et à mes frais.

A Paris, ce dix-neuf mai dix-huit cent seize.

Approuvé le contenu au certificat ci-dessus écrit de la main de M. d'Anjou, mon gendre. Signé Ollivier Descloseaux, chevalier de l'Ordre du Roi.

En marge est écrit: Enregistré à Neuilly, le vingt-un mai mil huit cent seize, fol. 14 recto, cases 1 et 2. Reçu deux francs vingt centimes. Signé Mauroy.

«Il est ainsi en ladite déclaration, duement certifiée véritable, signée, paraphée et annexée à un acte de dépôt passé devant Me Élie Deguingand, notaire à Monceaux, boulevard extérieur de Paris, soussigné, le vingt-deux mai mil huit cent seize, enregistré; le tout étant en la possession dudit Me Deguingand.» Délivré ces présentes le trente juin mil huit cent seize.

Deguingand.

132:

Acte de notoriété concernant le cimetière de Monceaux, du 30 et 31 mars 1817, devant Me Deguingand, notaire.

Par-devant Me Élie Deguingand, notaire royal à la résidence de Monceaux, boulevard extérieur de Paris, en présence des témoins ci-après nommés, soussignés,

Sont comparus:

Tous demeurant à Monceaux, commune de Clichy-la-Garenne, département de la Seine;

Lesquels ont attesté pour notoriété constante, et comme étant à leur parfaite connaissance, les faits ci-après rapportés;

Savoir:

1o Que, lors de la fermeture du cimetière de la Madeleine de Paris, c'est-à-dire au mois de mars dix-sept cent quatre-vingt-quatorze, le Gouvernement, existant à cette époque s'est emparé pour le même usage d'un terrain dépendant de la maison dite du Christ, située à la barrière de Monceaux (vulgairement Mousseaux).

2o Que pour l'entrée de ce dernier cimetière on a démoli une partie du mur d'enceinte de Paris, et pratiqué sur le boulevard extérieur, vis-à-vis le bâtiment de la barrière, une ouverture, depuis fermée par une grande porte qui existe encore actuellement.

3o Et que c'est dans ce lieu qu'ont été portés, le dix mai dix-sept cent quatre-vingt-quatorze, les restes mortels de Madame ÉLISABETH, sœur de Sa Majesté Louis XVIII, roi de France.

Trois jours après, l'ancien concierge du cimetière de Monceaux faisait devant le même officier public la déclaration suivante:

Par-devant Me Élie Deguingand, notaire royal, à la résidence de Monceaux, boulevard extérieur de Paris, en présence des témoins ci-après nommés, soussignés,

Est comparu,

Étienne-Pierre Joly, ancien concierge du cimetière de Monceaux, et actuellement concierge du cimetière de Montmartre, demeurant aux Batignolles, no 42, commune de Clichy.

Lequel a attesté pour notoriété constante, et comme étant à sa parfaite connaissance, les faits ci-après rapportés;

Savoir:

1o Que, lors de la fermeture du cimetière de la Madeleine de Paris, c'est-à-dire au mois de mars mil sept cent quatre-vingt-quatorze, le gouvernement existant à cette époque s'est emparé, pour le même usage, d'un terrain actuellement dépendant de la maison dite du Christ, situé à la barrière de Monceaux (vulgairement Mousseaux);

2o Que pour l'entrée de ce dernier cimetière on a démoli une partie du mur d'enceinte de Paris, et pratiqué sur le boulevard extérieur de Paris, vis-à-vis le bâtiment de la barrière, une ouverture, depuis fermée par une grande porte qui existe encore actuellement;

3o Que c'est dans ce lieu qu'ont été portés, le dix mai mil sept cent quatre-vingt-quatorze, les restes mortels de Madame ÉLISABETH, sœur de S. M. Louis XVIII, roi de France;

4o Et enfin que c'est dans ce lieu qu'ont aussi été apportés tous les corps des personnes qui ont été condamnées par le tribunal révolutionnaire, et exécutées sur la place Louis XV, depuis le quatre germinal an deux (vingt-quatre mars mil sept cent quatre-vingt-quatorze) jusqu'à la fermeture dudit cimetière.

Desquelles déclarations il a été dressé le présent acte pour servir et valoir ce que de raison.

Fait et passé à Monceaux, en l'étude, l'an mil huit cent dix-sept, le trois avril, en présence de Jean-Nicolas Couttard, instituteur, et Pierre-Augustin Meigneux, commis marchand épicier, demeurant tous deux audit Monceaux, témoins instrumentaires requis conformément à la loi, et a le comparant signé avec lesdits témoins et ledit Me Deguingand, notaire soussigné, après lecture faite de la minute des présentes, demeurée à Me Deguingand, notaire soussigné.

En marge de ladite minute est écrit:

Enregistré à Neuilly, le quatre avril mil huit cent dix-sept, folio 167 recto, case 7. Reçu deux francs vingt centimes. Signé Mauroy.

Délivré ces présentes le cinq avril mil huit cent dix-sept.

Deguingand.

133: Se déclarant propriétaire et gardien depuis vingt-sept ans de l'enceinte où repose la dépouille mortelle de Madame Élisabeth, clos inaccessible au public, resté inculte et vierge depuis le 10 mai 1792, et ayant pour objet la possibilité de l'érection d'un monument à la mémoire de cette princesse. (Catalogue Laverdet, mai 1857.)

134: C'est par erreur qu'un article du Droit du mois de juillet 1865, et après lui plusieurs autres journaux, ont prétendu que «cet emplacement faisait autrefois partie du cimetière de la Madeleine de la Ville-l'Évêque, où avaient été déposés les corps de Louis XVI et de Marie-Antoinette, ainsi que ceux des victimes de la Terreur.» Il y avait loin du cimetière de la Madeleine au cimetière de Monceaux. B.

135: MM. les vicaires généraux ont cherché à connaître et à retrouver ceux d'entre les ecclésiastiques qui, par pitié comme par humanité, suivaient discrètement, encourageaient, consolaient, exhortaient des yeux les victimes qu'on traînait à la mort par vingtaine et trentaine à la fois, afin de savoir si quelqu'un de ces prêtres bienfaisants n'aurait pas quelques lumières à donner sur la sépulture de Madame Élisabeth. M. de Sambucy est jusqu'à présent le seul qu'ils aient pu découvrir. Mais M. de Sambucy n'a suivi les victimes ce jour-là que jusqu'à la place où elles ont été frappées; il se rappelle des circonstances de leur supplice, et notamment de celui de Madame Élisabeth, qui fut réservée pour la dernière et avait dû voir périr conséquemment dix-huit personnes avant elle, suivant M. de Sambucy, et vingt-quatre suivant ce qu'ont assuré les dames Desclozeaux[135-A]. Sur d'autres indications, MM. les vicaires généraux doivent voir encore deux ecclésiastiques, et donner connaissance demain au ministre de l'intérieur de ce qu'ils auraient pu apprendre.

135-A: Il est de notre devoir de rectifier cette note sur deux points: 1o Ni M. de Sambucy ni mesdames Desclozeaux n'étaient dans le vrai: la fournée du 21 floréal an II (10 mai 1794) se composait de vingt-cinq personnes qui toutes, sans exception, furent condamnées à mort. Madame Mégret de Sérilly, quoiqu'elle se crût enceinte, ne réclama point. Madame Élisabeth, nous l'avons dit plus haut, avertie de l'état de cette malheureuse femme, le dénonça au tribunal, qui fit suspendre pour elle l'exécution du jugement. Donc le nombre exact des victimes de cette journée était de vingt-quatre. 2o Je m'étonne que MM. les vicaires généraux n'aient point cité le nom du respectable Père Carrichon à côté de celui de M. de Sambucy. Le lecteur trouvera, au no XII des documents mis à la fin de ce volume, un témoignage éclatant du dévouement de ce digne prêtre.

136: Le sieur Joly n'a point été consulté par le propriétaire avant qu'il eût désigné par une pierre le lieu où il supposait que reposent les cendres de Madame Élisabeth, mais depuis il fut appelé par le sieur de Jolival. Celui-ci lui montrant le terrain et l'affaissement qu'il avait désignés comme recouvrant les restes de la princesse, le concierge Joly lui dit: «Vous vous trompez, elle n'est pas là. Mais il ne lui indiqua point, ajouta-t-il, l'endroit où elle est réellement.»

Le sieur Joly n'a revu que cette seule fois le terrain de l'enclos, qui, étant déjà cultivé, avait bien changé d'aspect.

137: A l'exception d'un commissaire ou agent de la Commune, quand il s'agissait d'inhumations ordinaires, car il assure que pour les suppliciés on ne faisait pas de procès-verbal d'inhumation, que l'on se contentait de tenir note de leurs dépouilles.

138: Une plus ample explication et des questions réitérées faites au sieur Joly font connaître qu'outre le premier rang horizontal on plaçait immédiatement un second rang horizontal sur le premier, et toujours le haut du corps et les pieds en opposition ou sens opposé, ainsi que les faces, afin de ménager l'emplacement. Cette observation fait prévoir les plus grandes difficultés à obtenir un résultat, mais enfin il faut dire les choses comme elles se passaient et comme elles sont.

139: Cependant, afin d'écarter toute possibilité et même tout soupçon de fraude et de supercherie, il serait convenable de nommer plusieurs commissaires, dont un au moins serait sans cesse présent au travail et en dresserait chaque jour une espèce de rapport ou procès-verbal.

Il conviendrait aussi, en cas que l'entreprise fût faite, que la fosse fût garantie par un toit en planches ou une toile, afin que la pluie ne dérangeât point le travail et ne nuisît point aux opérations.

140: Dans sa déclaration du 28 avril, le sieur Joly a dit le contraire. B.

141: «Le ci-devant duc de Villeroy, le plus nul des hommes et le plus circonspect, fut une des victimes de la loi des suspects; ses domestiques l'accompagnèrent et ne le quittèrent que quand les verrous furent tirés sur lui. Personne n'avait fait plus de dons à la nation. Sommes immenses, chevaux, équipages, il avait tout offert à son pays. Ses gens avaient ordre de ne le plus servir, de faire exactement leur service dans la garde nationale; à ces conditions, ils étaient par lui nourris, logés et vêtus; il était riche, il faisait le bien, il fut à l'échafaud.» (Mémoires sur les prisons, t. II, la Mairie, la Force et le Plessis, p. 238.)

«Le duc de Villeroy et le comte de Brienne, lors de leur détention à la Conciergerie, refusèrent un jour de faire une partie de piquet, parce qu'on leur présentait des cartes qui n'étaient pas républicaines. (Riouffe, Mémoires d'un détenu, p. 85.)

(Détails reproduits dans le Tribunal révolutionnaire de Paris, de E. Campardon, in-8o, t. I, p. 311.)

142: Le jeune comte de Fleury avait été, en 1793, envoyé comme suspect dans la prison du Luxembourg. Il conservait, quoique détenu, toute la gaieté, tous les goûts de son âge, et jouait pendant une bonne partie de la journée à la balle et aux barres dans la cour du Luxembourg. Ayant vu périr presque toute sa famille, il écrivit au président du tribunal révolutionnaire le billet suivant, que deux ou trois feuilles du temps ont publié: «Homme de sang, égorgeur, cannibale, monstre, scélérat, tu as fait périr ma famille; tu vas envoyer à l'échafaud ceux qui paraissent aujourd'hui devant ton tribunal; tu peux me faire subir le même sort, car je te déclare que je partage leurs sentiments.» Dumas dit à Fouquier en lui présentant le petit papier: «Voilà le billet doux qu'on m'écrit; je t'invite à en prendre lecture; que faut-il répondre à celui qui me l'adresse?—Ce monsieur me paraît pressé, répond l'accusateur public; eh bien, nous allons le satisfaire.» Des gendarmes tout aussitôt furent chercher ce jeune homme, que l'on fit monter sur les gradins avec cinquante-trois personnes accusées d'être les assassins ou les complices des assassins de Collot d'Herbois ou de Maximilien Robespierre. Il n'en connaissait aucun. Il n'en fut pas moins, comme les autres, conduit à l'échafaud en chemise rouge.

143: Madame Élisabeth assistait volontiers aux professions religieuses, y trouvant une sorte d'édification.

144: M. van Blarenberghe, maître de dessin de Madame Élisabeth et des princes, fils du comte d'Artois.

145: La comtesse Diane de Polignac, dame d'honneur de Madame Élisabeth.

146: Médecin du Roi, n'ayant quartier.

147: Fille du marquis de Montesquiou-Fezensac, qui avait pris dans la révolution un parti dont sa famille était fort affligée.

148: Madame la comtesse de Choiseul-Gouffier, femme de l'ambassadeur du Roi à Constantinople.

149: Voitures du temps qui étaient encore en usage sous la Restauration et stationnaient sur la place Louis XV; elles étaient alors connues sous le nom de coucous.

150: Né à Lyon le 6 septembre 1726, l'abbé Lenfant, jésuite, avait été prédicateur du roi de Pologne Stanislas et de l'empereur Joseph II. Rentré en France, il fut choisi par Louis XVI pour son confesseur, lorsque l'abbé Poupart, curé de Saint-Eustache, eut prêté serment à la constitution civile du clergé. Conduit à l'Abbaye après la catastrophe du 10 août, il y fut massacré dans la matinée du 3 septembre.

«Le lundi 3 septembre, raconte Saint-Méard, à dix heures du matin, l'abbé Lenfant et l'abbé de Rastignac parurent dans la tribune de la chapelle qui nous servoit de prison. Ils nous annoncèrent que notre dernière heure approchoit, et nous invitèrent à nous recueillir pour recevoir leur bénédiction. Un mouvement électrique impossible à définir nous précipita tous à genoux, et, les mains jointes, nous la reçûmes. Ce moment, quoique consolant, fut un des plus terribles que nous ayons éprouvés. A la veille de paroître devant l'Être suprême, agenouillés devant deux de ses ministres, nous présentions un spectacle indéfinissable. L'âge avancé de ces deux vieillards (l'abbé Lenfant avait soixante-dix ans), leur position au-dessus de nous, la mort planant sur nos têtes et nous environnant de toutes parts, tout répandoit sur cette cérémonie une teinte auguste et lugubre; elle nous rapprochoit de la Divinité; elle nous rendoit le courage; tout raisonnement étoit suspendu, et le plus froid, le plus incrédule en reçut autant d'impression que le plus ardent et le plus sensible. Une demi-heure après, ces deux prêtres furent massacrés, et nous entendîmes leurs cris. (Agonie de trente-huit heures.)

151: Ce docteur de Sorbonne, principal du collége d'Harcourt, était né à Vire en 1682, et avait pris le goût de la poésie dans la compagnie de Thomas Corneille. Ses vers, empreints d'un caractère religieux, furent couronnés aux Jeux floraux, voire à l'Académie française; ce qui ne l'empêcha pas de mourir presque ignoré dans sa retraite, à Issy, le 11 octobre 1767.

152: La physique, dont l'abbé Nollet avait fait une étude particulière, et dont il avait répandu le goût en France. Ce savant, né en 1700 au village de Pimpré, près de Noyon, mourut entre les bras de ses élèves le 24 avril 1770, aux galeries du Louvre, où le Roi lui avait accordé un logement.

153: Madame de Raigecourt.

154: Ces trois mots, placés en tête de la lettre, sont de la main de Madame Élisabeth.

155: Le baron de Breteuil, alors ministre de la maison du Roi et du département de Paris, avait été représentant du Roi près l'électeur de Cologne, près Catherine II, près le roi de Suède, puis avait remplacé le cardinal Louis de Rohan près l'empereur d'Autriche. Dans les phases diverses de sa carrière, il avait conquis l'estime de tous les gens de bien.

156: Le maréchal de Castries.

157: La reproduction de cette lettre et des deux suivantes, jusqu'à ce jour inédites, est interdite.

158: Le premier Dauphin.

159: Architecte des bâtiments royaux, restaurait en ce moment la maison de la princesse.

160: M. de Breteuil.

161: Constantinople. Cette ambassade, dont les émoluments étaient considérables, était l'objet de l'ambition de M. de Bombelles, qui n'avait point de fortune, avait déjà plusieurs enfants, et était, par sa position officielle, obligé à une grande représentation. B.

162: Madame la marquise de Causans avait quatre filles:

L'aînée, mademoiselle de Causans, avait épousé M. de Sade;

La seconde, Caroline de Causans, titrée comtesse de Vincens, fut mariée au marquis de Raigecourt;

La troisième, Marie de Causans, comtesse de Mauléon, après avoir perdu sa mère, était entrée comme novice au Saint-Sépulcre, à Bellechasse. Les troubles de la Révolution mirent forcément obstacle à la réalisation de son projet d'entrer en religion.

Elle en éprouvait d'autant plus de regrets qu'elle avait sous sa garde sa jeune sœur, Françoise de Causans, comtesse d'Ampurie, dont il est ici question, et qui plus tard fut mariée au comte de Schulenburg.

163: Les petits défauts qui sont à peine remarqués dans le monde deviennent un objet de scandale au couvent, où l'on doit vivre de la vie parfaite. Les lignes qui suivent expliquent clairement la pensée de Madame Élisabeth.

164: M. le baron de Breteuil.

165: M. Champion de Cicé. Ce prélat, député de la sénéchaussée de Bordeaux aux états généraux, passa un des premiers à la chambre du tiers, fit, le 27 juillet 1789, au nom du comité de constitution, un long rapport sur les droits de l'homme et sur la forme à donner au Corps législatif. La popularité que ces actes lui acquirent le porta à la place de garde des sceaux. Il contre-signa à ce titre le décret de la constitution civile du clergé. Il donna sa démission en novembre 1790, époque à laquelle on déclara que les ministres avaient perdu la confiance de la nation. Il passa à l'étranger, revint en France le 18 brumaire an VIII (9 novembre 1799), fut pourvu en 1802, par le premier consul, de l'archevêché d'Aix. Né à Rennes en 1735, il est mort en 1810. Mademoiselle Champion de Cicé, sa sœur, avait été compromise dans le complot du 3 nivôse an IX (24 décembre 1800) (pour avoir donné asile à Carbon, dit le petit François, qui conduisait la charrette de la machine infernale); mais elle fut acquittée par le tribunal criminel de la Seine.

166: Né en 1715, ce frère de l'auteur de Didon, fort recommandable par ses lumières et ses mœurs, étant premier aumônier de Louis XV, répondit à ce prince qui lui demandait s'il saurait bien dire le Benedicite: «Non, Sire, près de Votre Majesté, je ne sais que rendre grâce.» D'abord évêque du Puy, puis archevêque de Vienne, il combattit les philosophes et les idéologues. Entré au conseil et chargé de la feuille des bénéfices, le Pape s'adressa à lui pour l'engager à combattre de tous ses efforts toute innovation relative au clergé. «Vous êtes, lui disait-il, mieux à même que tout autre de rendre le service éminent que je vous demande. Vous avez déjà plus d'une fois prouvé votre zèle à sauvegarder la saine doctrine. Le temps presse; il n'y a pas un moment à perdre pour sauver la religion, le Roi et votre patrie. Vous pourrez certainement engager Sa Majesté à refuser cette funeste sanction. La résistance fût-elle pleine de dangers, il n'est jamais permis de paroître un instant abandonner la foi catholique, même avec le dessein de revenir sur ses pas quand les circonstances auront changé.» L'archevêque était affaibli par l'âge, et n'avait plus assez de caractère pour faire une telle démarche. Sa santé périclitant de jour en jour, il s'éteignit le 29 décembre 1790, dans sa soixante-quinzième année.

167: La Tour du Pin (Jean-Frédéric, comte de), lieutenant général des armées du Roi, fut député de la noblesse de Saintes aux états généraux, se rangea du côté de la minorité de son ordre, et fut bientôt après appelé au ministère de la guerre. Le 4 août, il informa l'Assemblée de sa nomination, protesta de son attachement à ses décrets, et présenta un plan pour l'organisation de l'armée. Il donna sa démission avec les autres ministres dès qu'ils furent déclarés avoir perdu la confiance nationale. Appelé en témoignage dans le procès de la Reine, il rendit à cette auguste princesse la justice qu'elle méritait et l'entoura des respects qui lui étaient dus. Traduit quelques jours après elle, il monta à son tour sur le même échafaud. Né à Grenoble en 1728, il périt le 28 avril 1794.

168: Si le maréchal Charles-Just de Beauvau eût précédé Bayard, on lui eût probablement donné le surnom de cet incomparable chevalier. Nommé gouverneur du Languedoc, Beauvau se distingua dans ses nouvelles fonctions par la chaleur de son zèle à secourir les tristes victimes de la révocation de l'édit de Nantes, et par une persévérance que la crainte même d'une disgrâce ne put ébranler. Des femmes protestantes qui gémissaient dans les cachots durent à l'humanité du maréchal un adoucissement à leurs maux. Le chevalier de Boufflers, qui a fait son éloge, raconte la belle réponse faite par M. de Beauvau à quelqu'un qui lui adressait une observation à ce sujet: «Le Roi, monsieur, est maître de m'ôter le commandement qu'il m'a donné, mais non de m'empêcher de remplir mes devoirs selon ma conscience et mon honneur.»—Né à Lunéville le 10 septembre 1720, le maréchal de Beauvau mourut à Paris le 21 mai 1793.

169: 5 et 6 octobre.

170: Concierge de la maison Élisabeth.

171: Maître jardinier, mort le 8 nivôse an II (28 décembre 1793).

172: Marie Magnin, femme de Jacques Bosson.

173: Target passait avec raison pour le membre le plus actif du comité de la constitution. Aussi dans le monde n'était-il question que des couches de Me Target. On publia cinq bulletins des couches de Me Target, père et mère de la constitution des ci-devant François, conçue aux Menus, présentée au Jeu de paume et née au Manège.

174: «Il étoit question de m'employer militairement à la suite de M. le comte d'Artois, et Madame Élisabeth le voyoit avec peine.» (Note du marquis de Bombelles.)

175: Mère de M. Beaugeard, secrétaire des commandements de la Reine pour les années paires.

176: La reproduction de cette lettre et de la suivante est interdite.

177: Stanislas, l'aîné de ses enfants, filleul de Monsieur et de Madame Élisabeth.

178: M. de Bombelles retournait à son poste.

179: L'Empereur. (Note de M. de Bombelles.)

180: Diane de Polignac, dame d'honneur de Madame Élisabeth. (Note de M. de Bombelles.)

181: Première femme de chambre de la princesse; elle était de son nom mademoiselle Antoinette-Jacqueline Brochet.

182: La reproduction de cette lettre est interdite.

183: Il est question de M. Le Blond au premier livre de cet ouvrage comme donnant des leçons d'histoire et de géographie à Madame Élisabeth.

184: Deux députés du côté gauche, que l'excès du mal ramenait à de meilleurs principes, et qui avaient eu aux Tuileries des conférences pour concerter ce qu'ils voulaient ou pouvaient faire. Madame Élisabeth repousse les idées que la méchanceté voulait attacher à ces entretiens. (Note de M. Ferrand.)

Ces deux députés étaient Danton et Guadet. (Voir Louis XVII, tome 1er, livre V, p. 227, 6e édition, in-8o.—Henri Plon.)

185: C'est de M. de Calonne que Madame Élisabeth entend parler ici.

186: Le prince de Condé.

187: Les ressorts qui faisaient mouvoir le peuple l'avaient dirigé, le lundi 28 février, vers le donjon de Vincennes. Depuis la prise de la Bastille, on ne voulait plus de prisons royales: en conséquence, rien ne paraissait plus sage et plus juste que de détruire celle-là aussi bien que les autres. Pendant que La Fayette se portait avec la troupe à la défense du donjon, un flot de peuple envahissait le château des Tuileries, d'où l'on tentait, criaient-ils, d'enlever le Roi pour le conduire à Metz. De leur côté, environ quatre cents jeunes gens armés s'étaient donné rendez-vous au château, croyant le Roi en danger. Cette échauffourée reçut le nom de Journée des poignards.

188: Jour et heure de la naissance de Madame Élisabeth. «Comme toutes ces petites recherches de l'amitié sont bonnes, simples, touchantes! Il n'y a ni étude ni contrainte; c'est un cœur plein qui a besoin de s'épancher.» (Note de M. Ferrand.) Voir aux Pièces justificatives, no XIII, à la fin de ce volume, et autres documents concernant Madame Élisabeth.

189: Officier des gardes du corps, fort dévoué à la famille royale, émigré en 1790; rentré en France après le 18 brumaire, il vécut dans la retraite jusqu'à la Restauration. Louis XVIII le nomma major général de ses gardes du corps.

190: Dans la Correspondance de Madame Élisabeth, page 245, M. Feuillet de Conches nous apprend que le signe ⊖ veut dire le comte d'Artois, et le signe ⍫ M. de Calonne.

191: Cette princesse venait de donner sur sa cassette une pension de douze mille livres à M. de Bombelles. (Voir la page 240 de ce volume.)

192: Ce jour-là, le Roi avait formé le projet d'aller à Saint-Cloud pour faire ses pâques. On répandit dans le public que ce voyage n'était qu'un prétexte pour fuir la capitale. On appuyait ces soupçons sur le départ des évêques de Senlis et de Metz, les premiers aumôniers de Louis XVI. Une masse de peuple pénétra dans les cours du palais. Malgré les cris d'opposition qui s'élevaient, le Roi parut et monta en voiture. M. de La Fayette voulut protéger la volonté du Roi, la troupe refusa de lui obéir. Plus d'une heure se passe entre la volonté du Prince et celle du peuple, entre une partie des troupes qui veut obéir et l'autre qui refuse. Ennuyé d'une scène aussi scandaleuse, Louis XVI descendit de voiture, et rentra dans son palais. Il se rendit au sein de l'Assemblée, et lui fit part de son mécontentement avec d'autant plus de raison qu'il eût désiré prouver à l'Europe qu'il était libre dans Paris.

193: La reproduction de cette lettre est interdite.

194: Voir aux Pièces justificatives, no XIV.

195: Réunis au château de Pilnitz, en Saxe, où s'était rendu le comte d'Artois, l'empereur Léopold II, Frédéric-Guillaume II, roi de Prusse, et Frédéric-Auguste, électeur de Saxe, signèrent la célèbre déclaration dans laquelle ils signalaient à toutes les cours de l'Europe la cause du Roi de France comme la cause commune de toutes les têtes couronnées. Ce château royal, détruit en 1818, a été rebâti depuis.

196: «Montreuil, où Madame Élisabeth avoit une maison de campagne, et qui est une sorte de faubourg de Versailles.» (Note de M. de Bombelles.)

197: Clément-Venceslas, prince de Saxe, né le 28 septembre 1739, électeur et archevêque de Trèves le 10 février 1768.

198: Voici ce décret, qui était l'œuvre de Couthon:

Article I. Au moment où le Roi entrera dans l'Assemblée, tous les membres se tiendront debout et découverts.

Art. II. Le Roi arrivé au bureau, chacun des membres pourra s'asseoir et se couvrir.

Art. III. Il y aura au bureau, et sur la même ligne, deux fauteuils semblables; celui à gauche du président sera destiné pour le Roi.

Art. IV. Dans le cas où le président ou tout autre membre de l'Assemblée auroit été préalablement chargé par l'Assemblée d'adresser la parole au Roi, il ne lui donnera, conformément à la Constitution, d'autre titre que celui de Roi des Français, et il en sera de même dans les députations qui pourront être envoyées au Roi.

Art. V. Lorsque le Roi se retirera de l'Assemblée, les membres seront, comme à son arrivée, debout et découverts.

Art. VI. Enfin la députation qui recevra et qui reconduira le Roi sera de douze membres.

Ce décret, dès qu'il fut connu dans Paris, y produisit le plus fâcheux effet; il fut dès le lendemain matin rapporté sur la proposition de M. Vosgien.

199: La reproduction de cette lettre est interdite.

200: Lecteur de la Chambre et du Cabinet du Roi.

201: Philibert-François Rouvel de Blanchelande, gouverneur de Saint-Domingue, né à Dijon en 1735, dut tout à lui-même. Resté orphelin en bas âge, sans fortune, il entra à douze ans dans un régiment d'artillerie, et devint, jeune encore, major au régiment des grenadiers de France. S'étant plus tard distingué dans la défense de l'île de Saint-Vincent, où avec cent cinquante hommes il força quatre mille Anglais à reprendre la mer, il reçut pour récompense le grade de brigadier, suivi de près du gouvernement de l'île de Tabago. A l'époque de la Révolution, il rentra en France, et se retira dans le village de Chaussin, en Franche-Comté; bientôt après il fut arraché au repos pour aller reprendre le gouvernement de Saint-Domingue. A cette époque, un décret de la Convention affranchissait les nègres; Blanchelande ne put conjurer l'orage; il mit quelque temps sa tête à l'abri en cherchant un refuge au Cap; dénoncé par Brissot et Lasource, il fut amené en France, et sur la proposition de Garnier, de Saintes, il fut envoyé au tribunal révolutionnaire, où, malgré les efforts de Tronçon-Ducoudray, il fut condamné à mort le 15 avril 1793. Le président lui ayant demandé s'il avait quelque chose à dire: «Je jure par Dieu que je vais voir tout à l'heure, répondit-il, que je n'ai trempé pour rien dans le fait que l'on m'impute.» Il était âgé de cinquante-huit ans. Son fils, qui avait été son aide de camp, fut traduit aussi devant le tribunal de sang et mis à mort le 2 thermidor an II (20 juillet 1794). Il n'avait que vingt ans.

202: «Voilà qui réfute les mensongères assertions de M. de Bertrand de Moleville sur ce que le baron de Breteuil n'avoit pas de pleins pouvoirs du Roi en novembre 1791.» (Note du comte de Bombelles.)

Voici quelle était la formule des pleins pouvoirs confiés par Louis XVI à M. de Breteuil:

«Monsieur le baron de Breteuil, connoissant tout votre zèle et votre fidélité, et voulant vous donner une preuve de ma confiance, je vous ai choisi pour vous confier les intérêts de ma couronne. Les circonstances ne me permettent pas de vous donner des instructions sur tel ou tel objet et d'avoir avec vous une correspondance suivie. Je vous envoie la présente pour vous servir de pleins pouvoirs et d'autorisation vis-à-vis les différentes puissances avec lesquelles vous pouvez avoir à traiter pour moi. Vous connoissez mes intentions, et je laisse à votre prudence à en faire l'usage que vous jugerez nécessaire pour le bien de mon service. J'approuve tout ce que vous ferez pour arriver au but que je me propose, qui est le rétablissement de mon autorité légitime et le bonheur de mon peuple. Sur ce, je prie Dieu, monsieur le baron de Breteuil,» etc.

203: Le papier est arraché à cette place.

204: La reproduction de cette lettre est interdite.

205: Les Trappistes.

206: Françoise de Causans, comtesse d'Ampurie, sœur de madame de Raigecourt.

207: Le comte d'Artois.

208: La Reine.

209: Louis XVI.

210: Le comte de Mercy-Argenteau, ambassadeur de l'Empereur près le Roi.

211: Henri-Louis-René Desnos, sacré le 25 décembre 1769, dépossédé en 1790.

A sa place, que rendait vacante son refus de prêter serment à la constitution civile du clergé, fut élu Jean-Baptiste Aubry, curé de Véel dans le duché de Bar. Le président de l'Assemblée nationale, à l'ouverture de la séance du 24 février 1791, annonça la nomination d'Aubry comme évêque constitutionnel de la Meuse en même temps que celle de Robert Lindet, évêque de l'Eure, et celle de Massieu, évêque de l'Oise. Aubry était inconnu. Député du clergé du bailliage de Bar-le-Duc aux états généraux, il n'y avait donné aucun signe de vie: son silence y fut regardé comme une adhésion aux principes révolutionnaires, et les suffrages étaient volontiers allés chercher un homme dont l'existence était simple, et paraissait étrangère à toute intrigue. Il quitta en 1793 la crosse épiscopale pour exercer la profession d'avocat, et devint ensuite administrateur de son département.

Lors de la réorganisation des tribunaux, qui eut lieu en 1811, il obtint la place de conseiller à la cour impériale de Colmar, qu'il occupait encore au moment de la Restauration.

212: Voir la note mise au bas de la page 431 du tome Ier.

213: Journée du 20 juin.

La même date avait, on le voit, après un an, ramené de nouveaux malheurs: le Roi, blessé dans ses droits les plus sacrés par la violation de sa propre demeure et les outrages dirigés contre sa personne et sa famille, n'obtint d'autres satisfactions que celles qu'il se fit à lui-même, en publiant une proclamation pleine de sagesse, de courage et de modération. Voir aux Pièces justificatives, no XV.

214: Le 6 juillet, le directoire du département de Paris, considérant que Pétion avait manqué à son devoir en n'empêchant point les désordres de cette affreuse journée, le suspendit de ses fonctions, sans avoir égard à la défense élevée en sa faveur par Rœderer, procureur général du département.

Le Roi, à la date du 11 juillet, approuva cette mesure; l'Assemblée, par un décret daté du 13, leva la suspension, après avoir, par un décret du 11, proclamé la patrie en danger.

215: Dans la séance du samedi 7 juillet 1792, Lamourette, évêque constitutionnel du Rhône, rappela l'Assemblée nationale à l'union et à la concorde: «A quoi, dit-il, se réduisent ces défiances? Une partie de l'Assemblée attribue à l'autre le dessein séditieux de vouloir détruire la monarchie; les autres attribuent à leurs collègues le dessein de vouloir la destruction de l'Église constitutionnelle, et le gouvernement aristocratique connu sous le nom des deux Chambres. Voilà les défiances désastreuses qui divisent l'empire. Eh bien, foudroyons, Messieurs, par une exécration commune et par un irrévocable serment, foudroyons et la République et les deux Chambres. (La salle retentit d'applaudissements unanimes de l'Assemblée et des tribunes, et des cris plusieurs fois répétés de: Oui, oui, nous ne voulons que la Constitution!) Jurons de n'avoir qu'un seul esprit, qu'un seul sentiment, de nous confondre en une seule et même masse d'hommes libres, également redoutables et à l'anarchie et à l'esprit féodal... Je demande que l'Assemblée mette aux voix cette proposition simple: Que ceux qui abjurent également et exècrent la République et les deux Chambres se lèvent. (Les applaudissements des tribunes continuent. L'Assemblée se lève tout entière. Tous les membres se confondent et s'embrassent.)

Cette scène est connue sous le nom de Baiser de Lamourette.

216: Ci-devant employé à la bouche du Roi, aux Tuileries.

217: Ci-devant employé à la bouche du Roi, aux Tuileries.

218: Ci-devant servant aux Tuileries.

219: Id.

220: Id.

221: Ci-devant terrassier.

222: Ci-devant balayeur à la maison d'Artois. Vieil invalide auquel le comte d'Artois avait donné cette retraite.

223: Ci-devant frotteur à la maison d'Artois (dont il portait la livrée ainsi que Mancel).

224: Ci-devant tourneur.

225: Ci-devant employé au service du citoyen Jubaud.

226: Ci-devant gardien d'argenterie à la maison d'Artois.

227: Ci-devant employée en cette qualité à la maison d'Artois.

228: Ci-devant employé en cette qualité à la maison d'Artois.

229: Nous avons cru devoir conserver à ces pièces leur orthographe.

230: Note conservée au dossier de Madame Élisabeth, Archives de l'Empire, W. 363; pièce no 24:

«Jugement du 21 floréal.

»Acte d'accusation contre Loménie et autres.

»Il y avait au procès une foule de délibérations de communes qui attestaient le civisme de Loménie de Brienne, ex-ministre, et cependant Fouquier, qui ne pouvait pas ignorer toutes ces attestations, lui en fait un crime dans son acte d'accusation.

»Le jugement a été signé en blanc rempli depuis; un grand blanc est rayé, il est signé Deliége, Dumas, Maire.

»Dans la même affaire, la femme Maigret de Sérilly s'étant déclarée enceinte, il a été sursis à son exécution. Quoiqu'elle ait été postérieurement élargie par ordre du comité de sûreté générale, elle est néanmoins inscrite au nombre des morts sur les registres de la Commune.»

Madame Maigret de Sérilly, on le voit, ne monta point sur l'échafaud. Cependant son nom est inscrit sur les registres de l'état civil comme ayant péri avec Madame Élisabeth. Au procès de Fouquier-Tinville, le 17 floréal an III (6 mai 1795), elle se présenta à l'audience, tenant en main son extrait mortuaire, qui lui avait été délivré par la municipalité de Paris.

Grandpré fit la déposition suivante dans le procès de Fouquier-Tinville:

«Je me rappelle que le tour d'un des Loménie venu, il dit au tribunal: «Vous m'accusez d'émigration; je n'ai pas eu le pouvoir de produire mes moyens de défense à un défenseur officieux; mais je n'en ai pas besoin, j'ai dans ma poche tous mes certificats de résidence qui constatent ma présence en France depuis le commencement de la Révolution jusqu'au moment de mon incarcération. Ils sont signés, aux termes de la loi, de neuf témoins, et ils sont sans interruption. Comme je ne suis prévenu que du fait d'émigration, ma défense consiste dans la représentation de ces certificats, et je demande au tribunal de vouloir bien les faire mettre sous les yeux des jurés.» Ces certificats ont été effectivement remis sur-le-champ aux jurés, qui les emportèrent, sans les lire, dans la chambre des délibérations, et revinrent une demi-heure après, bien convaincus des crimes de tous les accusés. Loménie fut condamné comme tous les autres en qualité d'émigré.» B.

231: Surchargé: il y avait auparavant 150.

232: P. F. Gossin, né à Souilly, arrondissement et à trois lieues et demie de Verdun, âgé de quarante ans, un des plus beaux hommes de ce temps, ex-lieutenant civil et criminel au bailliage de Bar-le-Duc et ex-député aux États généraux, avait été mandé par le roi de Prusse à Verdun, après la prise de cette ville, en septembre 1792. Il avait d'abord refusé d'obéir; mais ayant fini par céder aux désirs du peuple de Bar et aux instances de ses collègues, ses ennemis en profitèrent, après la retraite des Prussiens, pour l'accuser de trahison. Le 5 septembre, il annonça à l'Assemblée nationale qu'il avait été forcé d'obtempérer à la sommation du duc de Brunswick, pour régler les affaires du département. Un décret le mit en accusation. D'abord enfermé au Luxembourg, il fut condamné à mort le 4 thermidor an II (22 juillet 1794) par le tribunal révolutionnaire de Paris, comme ayant obéi aux ordres du roi de Prusse et comme complice d'une conspiration dans la prison où il était détenu. B.

233: Archives, section historique, K 147, no 4.

234: Retirée le 14 janvier en 1787, remplacée par la demoiselle Malivoire.

235: Le roi de Suède.

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