Title: L'Illustration, No. 3269, 21 Octobre 1905
Author: Various
Release date: July 5, 2011 [eBook #36630]
Language: French
Credits: Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque
L'Illustration, No. 3269, 21 Octobre 1905
Ce numéro contient: L'Illustration théâtrale avec le premier fascicule de Don Quichotte, par Jean Richepin.
LE PRINCE DE BULGARIE ET LE PRÉSIDENT LOUBET CHASSANT A COMPIÈGNE
Devant
le «tableau» après une battue. Voir l'article, page 26.
Huit heures du soir. Boulevard de Strasbourg; à droite, à gauche, des façades illuminées; tout autour, un grouillement de vie joyeuse: embarras de voitures, cohue de piétons, trompes mugissantes de tramways dont on obstrue le chemin; et, parmi ce tumulte, en ce fouillis de choses et de gens, deux ou trois notes amusantes qui ont, au lendemain de la «rentrée», une valeur de symbole: à côté des bourriches amoncelées d'une marchande d'huîtres, le petit fourneau noir de l'Auvergnat, tout noir aussi, qui dispose en rond sur le feu, à la clarté d'un bec de gaz, les premiers marrons de l'année. Plus loin, sur la chaussée, la voiture à bras, pleine d'oranges, où deux lanternes vénitiennes répandent leur lumière de fête; et, devant le théâtre Antoine--où les affiches ont l'air de crier aux passants, joyeusement, la dernière victoire de Gandillot--une file de voitures, d'automobiles aux portières desquelles on voit se ruer, casquettes à la main, l'ordinaire troupe des pauvres diables, des chasseurs de pièces de deux sous. Marchand de marrons, marchande d'huîtres, marchande d'oranges, ouvreur de portières: et voilà le décor de l'hiver parisien reconstitué pour neuf mois. D'où viennent ces gens? Que faisaient-ils aux temps chauds? comme dit le fabuliste. On ne sait pas. Ils exerçaient, en attendant l'hiver, de petits métiers vagues; ils guettaient l'heure où Paris, réveillé d'une léthargie de dix semaines, allait recommencer à vivre, à vouloir pleurer et rire sous des lustres électriques, devant des paysages de carton; et les revoici tous, immuablement fidèles au rendez-vous d'octobre, installés, comme de bons soldats, aux postes de l'année dernière, où nous les retrouverons l'an prochain. J'admire cette solidarité mystérieuse qui unit, comme à leur insu, les pauvres hommes, et grâce à quoi--l'automne à peine revenu--je me sens assurée d'y revivre à ma guise toutes les petites joies des automnes passés...
Le théâtre surtout nous les prodigue, ces joies-là. Où aller? La grande écluse s'est ouverte et voilà le torrent lâché: au théâtre Sarah-Bernhardt, à l'Oeuvre, à l'Odéon, à la Comédie-Française, au Palais-Royal, aux Variétés, les titres de six pièces nouvelles me sollicitent en même temps; c'était hier le tour des Nouveautés; ce sera tout à l'heure celui du Gymnase; d'autres leur succéderont et deux ou trois fois par semaine (ou davantage), pendant la saison qui va venir, mon journal me servira tout chaud le récit de ces aventures diverses; en une ou plusieurs colonnes, il me racontera la pièce d'hier, la commentera, n'omettra aucun nom de la liste de ceux qui l'interprètent, ne voudra pas me faire grâce d'un détail de mise en scène ou de costume. Si l'auteur est un favori du public, ou si quelque prestige s'attache à sa signature, l'article où sa pièce doit m'être copieusement contée sera précédé d'un autre long article, d'une «avant-première» où sera célébré par provision le mérite de l'ouvrage qu'on ne connaît pas encore, et glorifié le génie du jeune ou vieux maître qui l'a écrit; et ce compte rendu sera suivi d'un troisième article où l'auteur, discrètement interviewé au lendemain de la victoire remportée ou de l'échec subi, sera prié de juger ses juges, de nous faire connaître ce qu'il pense de ce qu'on vient de penser de lui. Entre temps, d'habiles «échos de théâtres» entretiendront autour de l'ouvrage nouveau la curiosité des passants. Ce n'est pas des pièces heureuses qu'on pourrait dire qu'elles n'ont pas d'histoire. Heureuses ou malheureuses, toutes les pièces en ont une, et dont le détail peut fournir, jour à jour, la matière d'aussi longs développements qu'on voudra. Car, après que l'oeuvre nouvelle m'a été annoncée, puis racontée et critiquée, cent petites nouvelles restent encore à propager à son sujet: on m'apprend que les rôles viennent d'en être distribués en double; que les recettes des dix premières représentations ont atteint le chiffre le plus haut qu'aucune pièce ait réalisé, dans le même temps, depuis la réouverture des théâtres; qu'on y a, tel soir, aperçu le roi des Belges et, dimanche, en matinée, la reine Ranavalo... Six semaines se passent; l'oeuvre va doubler le «cap de la cinquantième», et mon journal m'en fait part; atteint-elle la centième représentation? C'est du délire. Fête au foyer; souper par petites tables; comptes rendus où ne sont oubliés ni le menu du festin, ni le nom des convives de marque. On n'a pas omis non plus, le jour où fut lancée la pièce en librairie, de nous communiquer le texte des dédicaces émues rédigées par l'auteur à l'adresse de ses interprètes, et l'on ne négligera pas davantage, dans quelques semaines, de nous parler de la grande «tournée» que prépare l'imprésario Z..., grâce à quoi sera promenée triomphalement, en province et à l'étranger, l'oeuvre dont il était trop injuste, vraiment, que les Parisiens fussent seuls à savourer les délices.
Et M. le directeur Antoine se plaint! Tant de facile gloire ne suffit pas à le satisfaire. Ce directeur ne revendique pas seulement le droit (incontestable) de ne point inviter à sa table tel convive hostile qu'il sait ou croit résolu, quoi qu'il arrive, à trouver chez lui le potage trop salé, l'entremets fade, ou le rôti mal cuit; M. Antoine dit: «Je prétends interdire, s'il me plaît, qu'on parle de ma cuisine, même pour dire qu'on la trouve bonne!» M. Antoine souhaiterait apparemment que les journaux s'occupassent moins des choses de théâtre... «En ce cas, me disait hier mon libraire, que n'édite-t-il des livres, au lieu de monter des pièces? On le laisserait bien tranquille.»
Mon libraire exprimait là, mélancoliquement, une pensée juste. Infortunés auteurs de livres! Ils peinent dans l'ombre, eux; la foule les ignore, ou ne jette, en passant, à leurs couvertures neuves, qu'un regard distrait, presque dédaigneux. Je ne comprends pas bien cette inégalité de traitement et j'aimerais qu'on m'en fît connaître les causes. J'aimerais qu'on m'expliquât pourquoi la plus mince des opérettes, signée du nom le plus obscur, est à Paris une sorte d'événement que tout le monde guette et vers le dénouement duquel il semble que, pendant une soirée au moins, tous les esprits soient tendus anxieusement; et pourquoi l'apparition en librairie de telle oeuvre où l'homme du talent le plus noble et du plus haut savoir versa lentement, après des mois de méditation, d'application, d'efforts, le meilleur de sa pensée, semble à tout le monde un incident si dénué d'importance? Je suis sûre que S. A. R. le prince de Bulgarie n'ignorait rien, en arrivant chez nous, lundi dernier, des nouvelles théâtrales de la quinzaine; qu'il savait au juste quelles sont les pièces «qu'il faut voir», à cette heure, à Paris! Je suis moins sûre qu'on ne l'eût pas embarrassé un peu en lui demandant quels sont, parmi les derniers livres parus, ceux «qu'il faut lire»... Ce n'est pas sa faute, s'il l'ignore. Ce prince lit les journaux, comme nous, et ne sait de ce qui se passe en littérature que ce qu'ils nous en disent. Or, ils ne nous en disent à peu près rien... Tant d'autres sujets plus «amusants», en dehors du théâtre même, requièrent l'attention de nos nouvellistes!
Les peintres, par exemple, seraient désolés qu'on les négligeât au profit de la littérature, et déjà--la saison à peine commencée--ils nous appellent à eux. Ils ne nous lâcheront plus. Le Salon d'automne a ouvert, cette semaine, au Petit Palais, le cortège annuel des expositions d'art: en voilà pour dix mois;-dix mois pendant lesquels va défiler sans répit, aux «cimaises» de la rue Laffitte, de la rue de Sèze, du Cours-la-Reine ou des Champs-Elysées, la torrentielle production des aquarellistes, aqua-fortistes, lithographes, miniaturistes et pastellistes; des classiques et des «indépendants»; des Sociétés d'art «nationales» ou «internationales»; des unions de femmes artistes; des paysagistes, des portraitistes, des céramistes; de ceux qui font la fleur, la caricature ou la montagne; défilé sans fin, où toutes les spécialités, toutes les compétences réclament leur place au bon soleil de la réclame...
Et les musiciens, non plus, ne sauraient souffrir qu'on les oublie. Colonne et Chevillard ont, depuis huit jours déjà, posé leurs affiches et sonné le rassemblement; dix, vingt autres suivront: quintettes et quatuors renommés; cantatrices, virtuoses fameux de chez nous et d'ailleurs. Aux murs d'Erard et de Pleyel s'étalent les affiches multicolores, annonciatrices des régals musicaux de l'hiver. Rude concurrence à la littérature que tout cela!
La saison des concerts s'est même fort brillamment ouverte cette semaine, et nous devons aux pauvres Calabrais l'un des plus prestigieux programmes qui aient été depuis longtemps placardés dans Paris. Les amateurs de bonne musique se sont donc rués au secours des Calabrais; tant il est vrai que tout finit en France par des chansons, même les tremblements de terre.
C'est décidément une belle invention que celle des fêtes de charité et celui qui en eut le premier l'idée fut un psychologue de génie. Il comprit que les infortunes lointaines nous émeuvent difficilement, mais qu'en échange d'un plaisir rare nous ne résistons guère à la joie de les soulager. Entre l'aumône qui hésite et la misère qui supplie, il s'avisa d'interposer une cantatrice et un monologuiste... Et l'aumône n'hésita plus.
Moyen simple; mais il fallait le trouver.
Sonia.
La vie de la princesse Pierre Bonaparte, qui vient de mourir à Paris, a tenu tour à tour du plus invraisemblable des contes de fées et du roman le plus dramatique.
L'Almanach de Gotha mentionne que le prince Pierre-Napoléon Bonaparte, troisième fils de Lucien, frère aîné de Napoléon, épousa religieusement, à Paris, le 22 mars 1853, Justine-Eléonore Ruflin, née le 1er juillet 1832. Et ce nom plébéien, uni à ce nom illustre, au milieu de tous les vocables retentissants dont la liste emplit ce qu'un fantaisiste appelait le «Bottin des Vanités», étonne tout d'abord et déconcerte. Voici l'histoire:
Mlle Eléonore Ruflin était la fille d'un contremaître ébéniste du faubourg Saint-Antoine; or, vous savez si le peuple de Paris fut un temps enivré de la gloire napoléonienne! A l'humble foyer familial, la jeune fille avait été élevée par son grand-père, ancien soldat de la Grande Armée, dans le culte de la légende impériale. On imagine sans peine quel émoi fut le sien le jour où, dans la maison d'un député, elle se trouva en présence d'un propre neveu du grand homme, le prince Pierre, membre lui-même du Corps législatif et venu en visite chez son collègue. La jeune fille était charmante; le prince l'aima et résolut de l'épouser. Mais quand, par pure déférence, et quoiqu'il vécût fort éloigné des Tuileries, il sollicita de son impérial cousin son consentement à ce mariage, il se heurta à un refus. Il y avait un précédent dans sa famille: le mariage de Lucien, son frère, avec Mme de Bleschamps, contre le gré de l'empereur. Il passa outre, lui aussi, sans s'inquiéter des suites.
La princesse Pierre-Napoléon Bonaparte dans son salon, à
Cimiez.--Phot. Lacroix.
Les deux époux allèrent cacher leur bonheur--et leur médiocrité--dans cette villa d'Auteuil que le coup de revolver qui tua Victor Noir allait rendre si tragiquement célèbre. Ce drame, ce fut dans leur vie à tous deux le premier coup de l'adversité. L'avenir leur réservait des assauts plus terribles.
La guerre vint, le régime impérial s'écroula; il fallut fuir la maisonnette d'Auteuil, que les boulets prussiens allaient un peu plus tard détruire. Malade, sans ressources, le prince Pierre se réfugia à Londres avec les siens--il avait eu de son mariage cinq enfants, dont deux seulement survivent. Ce fut, sans appui, sans amis, une détresse terrible. La princesse, se ressouvenant de ses origines, s'était mise à travailler, avait ouvert un magasin de modes;--ainsi, sous la Révolution, une marquise de La Londe avait été dame de comptoir; une comtesse de Virieu, ravaudeuse en plein air!--Tout son admirable héroïsme ne parvint pas à épargner aux êtres chers les angoisses les plus cruelles.
Elle les ramena vers Paris quand le calme y fut rentré, espérant y trouver la vie plus aisée. Ceux qui auraient eu le devoir de lui venir en aide lui offrirent une aumône, à condition qu'elle allât rejoindre en Italie les autres Bonaparte, descendants de Lucien. Elle refusa: fille du vieux faubourg patriote, elle entendait avant tout que les deux enfants qu'elle avait conservés, le prince Roland et la princesse Jeanne, depuis marquise de Villeneuve, restassent Français. Et elle parvint--au prix de quels miracles! --à les élever, non certes dans le faste, et à leur donner une éducation digne du grand nom qu'ils portaient. Ils lui en avaient voué, avec la plus tendre reconnaissance, la plus vive des affections. La fortune, d'ailleurs, leur avait donné plus tard à tous trois d'éclatantes revanches, dont seul le prince Pierre, mort en 1881, ne put profiter, et c'est dans l'admirable hôtel du prince Roland, avenue d'Iéna, que la princesse est morte, entourée de soins empressés.
Elle était demeurée dans l'opulence simple et bonne, en sympathie
toujours avec le peuple d'où elle était issue. Elle le prouva à maintes
reprises.
G. B.
Le monde parisien vient de perdre une de ses personnalités les plus marquantes, la duchesse de Talleyrand et Sagan, qui s'est éteinte, la semaine dernière, à Loches.
Fille du baron Seillière, un financier notoire du siècle dernier, elle avait épousé le prince de Sagan, appelé beaucoup plus tard à l'héritage d'une couronne ducale, alors que l'état de sa santé l'avait déjà contraint à la retraite où depuis quelques années il s'est définitivement effacé, après avoir longtemps brillé parmi les hommes de sport, les habitués des «premières», les viveurs de qualité, ayant conquis la réputation légendaire d'un arbitre des élégances et d'un type achevé de ce qu'on appelait autrefois le dandysme.
De même que, dans la mémoire des contemporains et dans la chronique rétrospective, ce titre de prince semble inséparable de la notoriété du gentilhomme, le titre de princesse reste attaché au renom de la grande dame qu'on citait au nombre des beautés célèbres, des reines de la mode, sous le second Empire et au commencement du régime actuel. Le luxe de ses toilettes, ses façons de donner le ton, les réunions où sa présence faisait sensation, les réceptions, les bals, les fêtes de charité de l'hôtel fameux de la rue Saint-Dominique, ont, en leur temps, largement défrayé les échos mondains des gazettes, les frivoles conversations des cercles et des salons. Toutes ces splendeurs vivantes n'étaient déjà plus que des souvenirs déjà lointains avant même la disparition de celle qui fut l'âme de la maison. Là où son règne s'accomplit avec tant d'éclat, il n'y a plus aujourd'hui qu'une somptueuse demeure, où, dans le magnifique décor, muet témoin du passé, l'ombre mélancolique s'épaissit autour d'un vieillard survivant... La duchesse laisse deux fils: le prince Hélie de Sagan et le duc de Valençay.
La duchesse de Talleyrand et Sagan.
Rien de plus dangereux qu'une idée générale dans des cerveaux étroits et
vides.
H. Taine.
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Un homme digne de ce nom ne doit pas se spécialiser: la spécialité
rapetisse l'intelligence et réduit la volonté.
Th. Roosevelt.
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On n'a le droit de toucher à la peinture que lorsqu'on est rompu à
toutes les difficultés du dessin.
J.-J. Henner.
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Tout est irréparable jusqu'au jour où tout est réparé.
Jules Claretie.
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Rien de flatteur dans un éloge comme l'absence de flatterie.
Marie Adville.
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La vertu n'est pas dans une résolution fugitive, elle est dans une
habitude de vie.
Marcel Prévost.
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Le rire sur les lèvres rétracte par avance les paroles d'amertume que
sont encore à mâcher les dents.
Paul Hervieu.
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Deux vérités incomplètes font d'ordinaire plus mauvais ménage que deux erreurs.
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Il y a des blâmes qui sont des éloges et des approbations qui tuent.
G.-M. Valtour.
LA VISITE DU PRINCE DE BULGARIE AU MUSÉE CARNAVALET
M. Georges Cain,
directeur du musée, en fait les honneurs au prince Ferdinand et au
Président de la République.
Le prince Ferdinand de Bulgarie, qui vient de passer quatre jours en France, accompagné de M. Rantcho Petrow, son premier ministre, du général Savow, son ministre de la Guerre, et d'une suite assez nombreuse, est, comme on l'avait annoncé, arrivé lundi dernier, 16 octobre, à Paris, où il a occupé, au ministère des Affaires étrangères, les appartements précédemment aménagés pour le roi d'Espagne. Au dîner de gala donné le soir même en son honneur à l'Elysée, les deux chefs d'État échangeaient des toasts pleins de cordialité.
Le mardi 17, chasse à Compiègne et soirée à la Comédie-Française, dans la loge présidentielle, avec, au programme, le Duel, de M. Henri Lavedan. Favorisée par le temps, la chasse, que dirigeait le commandant Lamy, dans les tirés de Compiègne, avait été fort brillante; au tableau: 238 faisans, 74 lapins, un chevreuil, et l'on a lieu de supposer qu'en sa qualité d'excellent «fusil» le souverain bulgare, fortement botté et coiffé d'un chapeau de peluche verte, mit à mal une part notable de ce gibier.
Le mercredi 18, après avoir assisté, le matin aux manoeuvres de Vincennes et au déjeuner militaire offert par M. Berteaux, ministre de la Guerre, il allait visiter le musée Carnavalet, au seuil duquel M. Dujardin-Beaumetz, sous-secrétaire d'État aux Beaux-Arts, et M. Cain, le conservateur, lui souhaitaient la bienvenue; puis les collections artistiques de la ville de Paris, au Petit Palais des Champs-Elysées. Le soir, dîner offert par M. Rouvier, au quai d'Orsay.
Le jeudi 19, le prince prenait congé pour se rendre aux établissements du Creusot, où il a fait, on le sait, une importante commande de matériel d'artillerie.
LA FÊTE AÉRONAUTIQUE DES TUILERIES AU PROFIT DES SINISTRÉS DE LA CALABRE
L'Aéro-Club de France avait, organisé, dimanche dernier, dans le jardin
des Tuileries, une fête aéronautique donnée au profit des victimes du
tremblement de terre de la Calabre, sous la forme d'un grand concours
international. Malgré le temps pluvieux, une foule énorme était venue
assister au départ des concurrents ne représentant pas moins de six
pays: France, Russie, Italie, Angleterre, États-Unis, Belgique. Notre
photographie donne une idée du spectacle curieux que présentait cette
réunion extraordinaire d'aérostats de capacité et d'aspect divers, les
uns prêts au «lâchez tout» et suspendus au-dessus des têtes, les autres
à demi gonflés seulement, encore aplatis plus ou moins sur le sol.
Quinze d'entre eux sont partis successivement, se dirigeant vers le
nord-est; le plus long trajet a été effectué par M. Jacques Faure et le
comte Rozen, avec l'aérostat la Kabylie, qui est allé atterrir en
Hongrie après avoir parcouru, à vol d'oiseau, une distance de 1.350
kilomètres.
L'Escurial, que visitera M. Loubet avant d'arriver à
Madrid.
Le Palais Royal de Madrid, où résidera M. Loubet.
Cavaliers de l'escorte royale devant leur caserne. | Les hallebardiers, sur un palier de l'escalier d'honneur du Palais Royal. |
Le Président de la République quittera Paris le 22 octobre, pour aller rendre au roi d'Espagne la visite que celui-ci lui fit au mois de juin dernier. Un peu avant Madrid, M. Loubet s'arrêtera à la station de l'Escurial pour déposer une couronne sur la tombe d'Alphonse XII et visiter le Monastère Royal de Saint-Laurent de l'Escurial.
Commencé et, en partie, achevé sous le règne de Philippe II (1584), cet énorme édifice forme un rectangle de 206 mètres sur 161 mètres. D'une architecture sévère, volontairement dépourvue d'ornements, campé à 1.100 mètres d'altitude, sur une colline adossée à la Sierra de Guadarrama et dominant la vallée du légendaire Manzanarès, il présente de loin un aspect imposant. La partie centrale est occupée par l'église dont la crypte abrite les tombeaux des souverains espagnols; autour, on a groupé le Palais Royal et le monastère avec toutes ses dépendances. On compte dans l'Escurial: 16 cours, 40 autels, 2.673 fenêtres, 1.200 portes, 86 escaliers et 89 jets d'eau. La longueur totale des galeries atteint 160 kilomètres.
Le Palais Royal de Madrid, où logera M. Loubet, date, du dix-huitième siècle; il a remplacé le palais incendié en 1734 et qui avait succédé à l'Alcazar des Maures. Il est bâti, comme l'Escurial, sur une hauteur dominant la capitale et la plaine où coule... parfois le Manzanarès. Entièrement construit en granit, avec des motifs décoratifs en une pierre spéciale imitant le marbre, flanqué de tours aux quatre angles, il séduit moins par les détails de son architecture que par la régulière ordonnance de ses lignes.
On l'a édifié sur les plans d'un architecte de Turin, et la décoration intérieure, en général fort riche, accuse souvent l'influence du goût italien.
Dans la salle du Trône où quatre lions en bronze doré gardent le souverain, de magnifiques lustres en cristal de roche avec monture en argent pendent d'un plafond peint par Tiepolo; par contre, dans la salle de Girardini, brille un plafond en porcelaine à dessins japonais de l'ancienne manufacture espagnole de Buen-Retiro. La salle des Fêtes présente cette particularité peu banale que les murs, le plafond et le parquet sont en bronze et en marbre de différentes couleurs. Les appartements contiennent un grand nombre de pendules, collectionnées par Ferdinand VII (1814-1833); et, des fenêtres, le regard embrasse, avec une grande partie de la ville, la plaine déserte fermée par la Sierra de Guadarrama, sur laquelle on voit se profiler, à une quarantaine de kilomètres de distance, la silhouette de l'Escurial.
LE PALAIS ROYAL DE MADRID.--La salle du Trône.
(Agrandissement)
Nelson blessé mortellement sur le pont du
Victory.
--Fresque de D. Maclise, au palais de Westminster.
L'Illustration, rappelant l'autre jour le cinquantenaire du siège de Sébastopol, montrait comment les souvenirs de la guerre de 1855 en Crimée n'avaient pas empêché l'éclosion de l'alliance franco-russe. Les Anglais, qui célèbrent aujourd'hui le centenaire de Trafalgar veulent, de leur côté, que cette commémoration ne trouble pas le développement de l'entente cordiale entre la France et l'Angleterre. Ils nous informent que le chant de la Marseillaise alternera avec le God save the King; l'hymne des vaincus répondra, dans les fêtes et les cérémonies officielles, à l'hymne des vainqueurs. Cet hommage délicat du patriotisme britannique à ses anciens adversaires, la France, pays de la courtoisie et des traditions chevaleresques, saura l'apprécier. Ces sentiments des Anglais d'aujourd'hui revêtent même un caractère tout particulier, si l'on consent à examiner l'importance prédominante, unique, en quelque sorte, de Trafalgar dans l'histoire anglaise.
Portrait de Nelson,
par J Hoppner.
Cent ans sonnent aujourd'hui, 21 octobre 1905, sur l'un des drames les plus émouvants de l'histoire.
En l'année 1805, la Grande-Bretagne se trouvait exposée au plus sérieux danger qu'elle eût peut-être couru. William Pitt, son ministre, avait rompu la paix d'Amiens et, par le fait de la lutte que le gouvernement britannique osait engager contre Napoléon, l'indépendance, l'existence même de la nation anglaise étaient en jeu.
La campagne navale de 1805, qui a abouti à la bataille de
Trafalgar.
On sait comment Napoléon avait réuni une armée de 120.000 hommes au camp Boulogne, à 40 kilomètres à peine du rivage britannique. Sur son ordre, 1.500 bateaux, destinés à transporter cette armée d'invasion de l'autre côté du détroit, avaient été groupés dans les ports de Calais, de Boulogne, de Wimereux, d'Etaples. Les préparatifs de la descente en Angleterre étaient terminés. Qu'un vent favorable secondât la marche de la nouvelle Armada, que les flottes britanniques s'éloignassent pendant une semaine ou deux des côtes de France et d'Angleterre, et l'empereur franchissait le Pas de Calais, débarquant à 25 lieues de Londres.
Quelle était la situation des flottes françaises et anglaises au commencement de l'année 1805? A Toulon se trouvait une escadre française, commandée par l'amiral Villeneuve, mais elle était surveillée et presque bloquée par une flotte anglaise placée sous les ordres de lord Nelson. Ce dernier avait établi sa base d'opérations dans la baie de la Maddalena, au nord de la Sardaigne. Il convient d'ajouter à notre actif que Napoléon s'était acquis l'alliance de l'Espagne: de ce fait, un certain nombre de vaisseaux espagnols devaient prendre rang dans nos escadres, mais ils étaient dispersés dans les ports de Carthagène, Cadix, Vigo, la Coroene, le Ferrol.
Dans l'Atlantique, deux flottes anglaises et deux flottes françaises. Une flotte anglaise que commande Calder bloque la côte espagnole, depuis Vigo jusqu au Ferrol, surveillant en même temps de loin l'escadre française de Missiessy, qui se tient à Rochefort. L'amiral anglais Cornwallis effectue rigoureusement le blocus de Brest, dans lequel se trouve enfermé, avec une troisième portion de nos forces navales, l'amiral Ganteaume.
La situation était telle qu'aucun des amiraux français ne pouvait protéger le débarquement de l'armée de Boulogne, tandis que les amiraux anglais--deux d'entre eux, au moins--étaient en mesure de l'entraver par une rapide apparition dans la Manche.
(Agrandissement)
TRAFALGAR.-Le duel du Redoutable et du Victory.--Dessin
original de H. C. Seppings Wright.
Napoléon conçut alors un plan que l'amiral Jurien de la Gravière, bon juge en l'espèce, appelle «un trait du génie»: il prescrivait aux trois amiraux français de sortir, coûte que coûte, des ports de France et de s'en aller aux Antilles, entraînant après eux les escadres anglaises. Ce plan réalisé, la Manche, libérée pour un temps de la présence des vaisseaux britanniques, livrait tranquillement passage à la flottille transportant l'armée de Napoléon.
Mais, même si l'Angleterre n'eût réussi ultérieurement à détourner contre l'Autriche l'armée réunie à Boulogne, les conceptions navales de l'empereur n'eussent pu être réalisées en temps voulu. Villeneuve parvint à entraîner Nelson aux Antilles. On peut voir sur notre carte Missiessy réussissant également à s'évader de Rochefort, en passant entre les escadres de Calder et de Cornwallis, et se dirigeant vers le lieu de rendez-vous. Malheureusement, Ganteaume ne peut rompre le blocus qui l'enserre dans Brest. La lecture de notre schéma montre en outre comment Villeneuve, pressé par Nelson, qui le suit comme à la piste, est obligé de revenir trop tôt, sans avoir pu combiner ses opérations avec Missiessy; comment ce dernier, dont la marche est lente, s'attarde aux Antilles et revient à Rochefort sans avoir coopéré efficacement à l'exécution du plan tracé par Napoléon. On voit enfin Villeneuve, fuyant devant Nelson, s'efforcer, en longeant la côte d'Espagne, de gagner Rochefort, dans l'espoir d'y retrouver Missiessy, et se heurtant à une escadre anglaise, celle de Calder, qui n'a pas bougé du Ferrol. Une bataille se livre au cap Finisterre entre Calder et Villeneuve: elle reste indécise, mais l'amiral français, intimidé par ce demi-échec, redoutant peut-être la présence d'une autre flotte anglaise devant Rochefort, se résout à revenir à Cadix. Quant à Nelson, certain désormais du retour de Villeneuve dans les mers d'Europe, il revient en hâte dans la Manche afin de s'opposer éventuellement à une apparition de Villeneuve dans les parages du Pas de Calais. C'est ainsi que nous trouvons Nelson à Portsmouth le 18 août, tandis qu'à pareille date Villeneuve rentrait à Cadix. Le plan de Napoléon avait donc échoué, mais rien n'était compromis pour l'avenir, tant que les escadres françaises existeraient intégralement. Malheureusement l'empereur, irrité de tous ces échecs, s'en prend à Villeneuve et lui ordonne de quitter Cadix, de revenir à Carthagène ou à Toulon, et de remettre en d'autres mains le commandement de son escadre. Humilié peut-être injustement, l'infortuné amiral crut de son devoir de se réhabiliter par une action d'éclat. Il attendit exprès, dit-on, pour tenter sa sortie, le retour de Nelson et, confiant dans la supériorité de ses forces (il avait sous ses ordres 40 navires français et espagnols contre 32 à Nelson), il se laissa rejoindre par l'amiral anglais à la hauteur du cap Trafalgar...
Lord Nelson était un terrible adversaire. Depuis douze ans, ce marin extraordinaire, le plus grand qu'ait jamais eu l'Angleterre, parcourait la Méditerranée, l'Atlantique, les mers du Nord, à la poursuite, c'est-à-dire à la destruction de toutes les escadres qu'avaient pu mettre sur pied la France et ses alliées. Déjà vainqueur dans trois batailles, à Aboukir, au cap Saint-Vincent, à Copenhague, il allait, à l'âge de quarante-sept ans, couronner sa carrière par une de ces actions d'éclat qui font les hommes immortels.
On ne sait, en effet, ce qu'il faut le plus admirer dans cette vie de Nelson. Est-ce l'homme de guerre qui, par un privilège rarement accordé aux grands capitaines, ne connut jamais la défaite? Est-ce le héros, honoré par ses compatriotes plutôt comme un dieu que comme un homme pour avoir sauvé l'Angleterre au moment le plus critique de son histoire? Est-ce le stratégiste, le tacticien qui se haussa jusqu'au génie en portant l'art de la guerre navale à la perfection dans cette bataille même de Trafalgar où il devait mourir?
Pour nous, obligé de nous limiter, nous aimerions seulement à expliquer de simple façon pourquoi la manoeuvre de Nelson fut un chef-d'oeuvre de tactique navale, pourquoi, malgré les transformations apportées à la marine de guerre par l'emploi de l'acier et de la vapeur, elle demeure aujourd'hui encore un modèle à imiter.
La seconde carte que nous avons dressée à cet effet, d'après les documents des archives, de la Marine, la fera très bien comprendre.
1° Il divise son armée navale en deux colonnes parallèles, afin de les enfoncer comme deux coins gigantesques à travers la flotte franco-espagnole qui s'avance perpendiculaire à sa direction.
2° Il procède par offensive foudroyante, confiant dans l'originalité de sa formation de combat pour empêcher l'escadre ennemie d'y répondre d'une façon adéquate, en temps voulu.
3° Il prescrit à ses capitaines de vaisseau de s'attaquer d'abord de préférence aux bâtiments amiraux. Lui-même donne l'exemple. Ayant son pavillon sur le Victory, il marche droit sur le Bucentaure, le vaisseau-amiral de Villeneuve. Seul, l'admirable dévouement du vaisseau français Redoutable, se jetant en avant du Bucentaure, sauve, pour un temps, Villeneuve, et donne lieu au duel, resté légendaire, du Victory et du Redoutable.
4° Afin d'utiliser la meilleure disposition de sa voilure et du gréement de ses navires, Nelson choisit pour s'avancer le sens du vent. Ses navires marchent serrés l'un derrière l'autre, à 12 noeuds de vitesse. La flotte franco-espagnole se déplace au contraire lentement. Elle est disposée sur une ligne de 5 milles de longueur, et il est évident que les deux extrémités ne pourront porter secours aux bâtiments du centre avant que ceux-ci soient entourés.
5° Nelson laisse à ses sous-ordres toute latitude dans l'exécution ultérieure des manoeuvres dont il s'est contenté de leur énoncer le principe. Il sait qu' une fois la bataille commencée, les signaux venant du navire amiral ne seront plus visibles et que chacun devra agir suivant son inspiration.
La bataille fut décisive et sans appel au point de vue du résultat; mais les deux nations y éprouvèrent des pertes sensibles. Nelson, vainqueur, était tué; Villeneuve, vaincu, fut fait prisonnier. L'Angleterre était sauvée, mais elle perdait son sauveur. La France perdait sa flotte et, avec elle, la suprématie maritime qui, jointe à la puissance militaire qu'elle acquérait alors sur le continent, lui eût valu l'empire du monde.
J.-J.-E. Lucas, commandant le Redoutable à Trafalgar. |
Amiral Gravina, commandant la flotte espagnole à Trafalgar. |
Amiral Villeneuve, commandant la flotte française à Trafalgar. |
La tactique de Nelson à Trafalgar.
Le cours du Rhin, depuis son embouchure, en remontant
jusqu'à Mannheim.
Le cours du Rhin, au sud de Mannheim, en remontant
jusqu'à Bâle.
«Garde au Rhin! Le fleuve, cher à nos ancêtres, doit l'être à nous-mêmes, le même que l'artère-aorte, qui subit l'impulsion des mouvements du coeur et porte la vie au corps entier, n'est pas située au centre de l'être humain, de même le fleuve rhénan, artère-aorte de la Germanie, n'a pas été placé par le Créateur au centre de notre patrie. Mais voici que, par un de ces avertissements mystérieux que la Providence m'a envoyé pour être transmis à mon peuple, je sais quel est le rêve de nos ennemis et comment ils méditent de nous frapper à mort par ce conduit vital à notre armée...» (Paroles de Guillaume II à la prestation du serment des recrues de la marine de 1905, à Kiel.)
Que signifiaient ces paroles sybillines de l'empereur allemand, qui, peu comprises au moment où elles furent prononcées, ont été fort peu commentées par la presse? Quel était ce singulier «avertissement divin»? Sous quelle forme s'était-il manifesté? Etait-ce un songe, comme le rédacteur de l'article qu'on va lire a pu le supposer avec quelque vraisemblance, connaissant le mysticisme de Guillaume II?
Quoi qu'il en soit--fiction ou réalité, songe impérial ou fantaisie de publiciste--notre collaborateur donne, sous une forme originale, la clef de l'énigme de ces paroles incomprises, dont l'importance égale le mystère.
... Le «Grand Soir» (1) était venu. L'Ange rouge de la guerre étendait ses ailes sur 150 millions d'hommes.
Note 1: Expression favorite de Guillaume II pour indiquer le jour attendu où éclatera la guerre avec l'Angleterre.
Les ambassadeurs d'Allemagne, rappelés, quittaient Londres et Paris. A Berlin, une foule immense, ivre de joie, envahissait le Tempelhof, Unter den Linden, la Sieges-Allée, applaudissant aux victoires futures des aigles germaniques.
A la même heure, s'exécutait le complot tramé depuis longtemps par les ennemis de l'Allemagne. Avant la déclaration officielle de la guerre, ce même soir, dans la demi-obscurité des brouillards de la Néerlande, une flottille de vingt torpilleurs, empruntée hâtivement aux centres de défense mobile de Dunkerque, Calais, Douvres! Rosyth, se donnait rendez-vous à l'île de Goorée, à l'embouchure du Rhin. S'engageant audacieusement dans le bras du fleuve, sous le regard étonné de quelques pêcheurs zélandais qui les prirent pour des bateaux de guerre de leur pays, les torpilleurs anglais et français remontèrent le Rhin. Le territoire hollandais fut traversé en cinq heures de navigation. Soit complicité, soit indifférence, soit ignorance des autorités hollandaises, la flottille ennemie, marchant à la vitesse réduite de 10 noeuds, put arriver à la frontière allemande, sans avoir été signalée.
Il était 10 heures du soir. Une brume intense couvrait le Rhin. Aucune étoile au ciel, pas une lumière sur le fleuve. La circulation des navires avait été arrêtée, en prévision des besoins de la mobilisation. Les petits bâtiments ennemis s'avançaient, tous leurs feux masqués, conduits avec une singulière sûreté de main, par quelques pilotes alsaciens ou hollandais, accoutumés aux sinuosités des flots rhénans.
Vers une heure du matin, le torpilleur de tête «reconnaissait» le pont de Wesel, qui relie cette ville à l'île Buderich et au fort Blücher. Bientôt les torpilleurs passaient sous le pont grandiose qui met en communication les voies ferrées de la rive gauche avec celles de la rive droite. Ils se suivaient à 400 mètres environ les uns des autres, communiquant par un fil téléphonique. Tout à coup, dans la nuit noire, une effroyable explosion réveilla Wesel. Les ponts du Rhin, secoués comme par un tremblement de terre, venaient de s'affaisser. D'énormes masses de pierre et de fer retombèrent dans le fleuve avec un bruit formidable. Que s'était-il passé?... Simplement ceci: les deux torpilleurs d'arrière-garde, numéros 19 et 20, avaient lancé contre les soubassements du pont deux torpilles de 450 millimètres...
Invulnérables aux coups que les batteries des forts dirigent contre eux sans les voir, protégés à tous les regards par les ombres de la nuit et par l'inattendu de leur entreprise, les petits navires poursuivent leur voyage de destruction.
A 2 heures du matin, le pont de Ruhrort est franchi. Une torpille le détériore et le rend impraticable à la circulation des trains.
A 3 heures, c'est celui de Rheinhausen à Mulheim. En vain, les sentinelles font-elles jouer les projecteurs des tours placées à chaque extrémité du pont, elles entrevoient trop tard la vague silhouette des vaisseaux fantômes perdus dans le brouillard.
Cependant, en prévision du jour qui va poindre, la petite flottille force de vitesse. Il s'agit pour elle d'arriver au pont de Cologne, de traverser cette ville, avant que l'alarme ait été donnée. Vers 5 heures, les habitants de cette grande cité allemande apercevaient, avec le plus compréhensible étonnement, des bateaux de forme inconnue, arborant des pavillons étrangers, évoluer sous le pont de Cologne à Deutz. O stupéfaction! Ce chef-d'oeuvre de l'art architectural, ébranlé par trois ou quatre explosions, ne s'effondrait pas complètement dans le fleuve, mais il prenait une position inclinée qui le rendait inaccessible. En même temps, le «pont de bateaux», situé à côté, servait de point de mire, avec ses deux paires de rails et ses appareils d'aiguillage, aux canons de 47 millimètres et de 76 millimètres des navires étrangers.
«L'ennemi! L'ennemi!» crièrent les bateliers.
Mais déjà la flottille, virant de bord, avait rebroussé chemin. Maintenant elle descendait le Rhin, cherchant évidemment à s'échapper par le chemin qu'elle avait pris pour venir et comptant passer sous les arceaux non détériorés des ponts. Elle n'alla pas loin... Signalée par le télégraphe, elle fut bientôt détruite par les batteries d'artillerie qu'on amena en toute hâte de Neuss, de Dusseldorf, de Wesel. Le dernier torpilleur s'échoua sur un barrage placé en travers du fleuve, et il fut capturé.
A 8 heures, tout danger semblait écarté. Un télégramme rassurant, transmis à Berlin, annonçait l'échec relatif de l'audacieuse entreprise. Une demi-douzaine de ponts avaient été détruits, mais un ou deux seulement étaient essentiels à la mobilisation. Simple alerte, sans doute, et heureusement sans gravité.
Or, voici qu'à 10 heures du matin, le pont de Coblentz, surveillé par tout un bataillon d'infanterie, un escadron de cavalerie et six batteries d'artillerie, était secoué déjà base au tablier, comme si quelque main gigantesque, émergeant du fleuve, l'eût tordu de son étreinte. Et même cause toujours: explosion de torpille. Un quart d'heure après, le pont sur la Moselle, non loin du confluent de cette rivière avec le Rhin, suivait le déplorable exemple des ponts rhénans. L'importante voie ferrée de Coblentz à. Trêves était interrompue.
Cependant, aucun navire suspect n'avait été aperçu, ni à Bonn, ni à Neuwied! Les riverains affirmaient que la partie navigable du Rhin, à cet endroit, était trop peu large pour que des torpilleurs de 40 mètres de longueur aient pu glisser inaperçus, en plein jour. Un vieux capitaine retraité émit l'idée que ce pouvaient être des vedettes lance-torpilles. «La France, dit-il, possédait des bateaux de ce type, destinés soit à être embarqués et débarqués en pleine mer, soit à faire la police des rivières. Peut-être deux ou trois accompagnaient-ils la flottille et, au lieu de tenter de s'échapper par la fuite, ce que leur médiocre vitesse ne leur eût pas permis, ils avaient continué leur voyage, espérant se dissimuler derrière les berges élevées ou les îlots... Ils ne peuvent pas aller loin», ajouta sentencieusement le capitaine retraité.
Six heures du soir sonnaient à la cathédrale de Mayence. Les recherches effectuées le long du fleuve, vers Saint-Goar, Bingerbrueck, n'avaient donné aucun résultat. Les moins optimistes finissaient par admettre que les vedettes porte-torpilles avaient dû couler à fond, ou s'enliser quelque part dans les roseaux. Hélas! de nouvelles explosions furent la réponse à cette conviction prématurée. Un trou énorme, dans lequel les eaux se précipitèrent en bouillonnant, venait de se creuser autour des piles du pont de Gustavsburg, à Laubanheim, en amont du fleuve. Le plafond, cédant sous le poids de l'édifice, en déplaçait l'assiette et le rendait impraticable à tout transport. En outre, le déplacement de l'axe du pont exigeait une réfection totale de la construction, longue et dispendieuse.
Quelques minutes après, le pont de l'île Peters-Aüe subissait le même sort...
Naturellement, on se perdait en conjectures sur ces inexplicables attentats. Les uns parlaient de «scaphandriers mystérieux descendus dans le fleuve quelques jours auparavant». N'auraient-ils point posé, sous les culées, des mines reliées électriquement à quelque transport de batellerie, habité par un espion? D'autres parlaient de complicité anarchiste.
Tout à coup, l'un des assistants se frappa le front: «Eurêka, fit-il. Ce sont des submersibles, des sous-marins qui ont fait le coup!... Les Anglais et les Français ont lâché leurs torpilleurs sous-marins dans les eaux du Rhin!»
C'était vrai. Parmi les torpilleurs qui avaient accompli leurs nocturnes forfaits jusqu'à Cologne, la moitié étaient des submersibles du type français Aigrette. Naviguant à la surface comme des torpilleurs ordinaires, doués d'une vitesse de 10 à 12 noeuds, ils avaient accompagné jusqu'à Cologne la flottille des torpilleurs ordinaires. Lorsque ceux-ci, vers le matin, durent reprendre la route du nord, les submersibles s'étaient laissé descendre silencieusement sous les 5 à 7 mètres d'eau du Rhin. Ils avaient continué leur chemin vers le sud, signalant leur passage à Coblentz et à Mayence.
Les moteurs de ces redoutables monstres ayant été construits pour leur permettre de parcourir 500 milles marins à la surface de l'eau et 80 milles en plongée, avec faculté de recharger leurs accumulateurs, il est évident qu'ils pouvaient ainsi aller jusqu'à Bâle. Leurs seules préoccupations devaient être de se maintenir dans le chenal navigable et de vaincre le courant de plus en plus violent du fleuve. Ce n'était qu'une question de pilotage, après tout.
En attendant, l'objectif immédiat des sous-marins était incontestablement le grand pont de Mannheim sur lequel passe l'importante voie ferrée de Heidelberg à Kairserslautern. On envoya immédiatement des éclaireurs dans cette direction, le long du Rhin. Mais la nuit était venue. Les bateaux sous-marins, obligés de se laisser remonter à la surface pour renouveler l'air respirable (les équipages avaient dû rester en vase clos toute une journée), prirent la précaution de ne laisser émerger au-dessus des eaux que le dôme et la passerelle; et c'est ainsi que, sur ce fleuve de 400 mètres de largeur parsemé d'îlots et de roseaux, méandrique, fréquemment divisé en bras nombreux, le passage, dans la nuit, de ces minuscules bâtons flottants fut imperceptible. Ils ne plongèrent que pour ne pas être aperçus au pont de bateaux de Worms.
A Mannheim, on veillait. Il avait été décidé que, coûte que coûte, on arrêterait la maudite flottille. On imagina d'abord de tendre, d'un bord du Rhin à l'autre, un filet aux rigides mailles de fer, retenu verticalement par des ancres au lit du fleuve, perpendiculairement au courant. En arrière, une ligne de torpilles de blocus flottait entre deux eaux. Enfin, de chaque côté de l'édifice, furent entassés des barques vides ou pleines, des échafaudages, des pontons, tout ce qui pouvait être de nature à provoquer loin du pont l'éclatement des torpilles lancées par les sous-marins, au cas où ceux-ci parviendraient à franchir le double obstacle du filet et du chapelet des mines.
Vain stratagème! Les ennemis étaient résolus à tous les sacrifices pour remplir leur mission. Le franchissement de ces obstacles artificiels ne fut qu'un jeu. Comme ils se suivaient à 400 mètres de distance, reliés les uns aux autres par un petit câble téléphonique, le sous-marin d'avant-garde, dès qu'il sentit la résistance opposée par les mailles du filet, avertit son «matelot d'arrière». Le sous-marin n° 2 opéra immédiatement sa retraite, imité successivement par ceux qui le suivaient. Quant au sous-marin d'avant-garde, prenant de l'élan, il coupe facilement le filet avec son étrave. Audacieusement, il pousse en avant et touche l'une des torpilles de blocus. Le chapelet de mines explose. Le fleuve est secoué dans toute sa largeur. Les eaux, projetées à une grande hauteur, saisissent, enlèvent et retournent comme une coquille de noix l'audacieux petit bâtiment, qui retombe lourdement dans le fleuve pour trouver là sa dernière demeure. Tout autour du pont, les flots agités par l'explosion entraînent aussi ce qui avait été accumulé à grand'peine pour écarter le danger des torpilles. La place est bientôt nette: le courant du Rhin balaye barques, pontons et échafaudages. Les invisibles assaillants laissent écouler au-dessus d'eux tous ces obstacles qui devaient les arrêter. Une heure, deux heures se passent. Pendant que Mannheim, rassuré, escompte la destruction de la flottille satanique; pendant que les eaux du Rhin, recouvrant peu à peu leur tranquillité et leur direction naturelles, ne risquent plus de gêner la trajectoire des torpilles, deux coups sourds, suivis d'un nouveau bouillonnement des eaux, retentissaient au fond du fleuve. Le grand pont de Mannheim, orgueil de la cité, était atteint mortellement. La même cause avait produit le même effet.
Cependant, le champ des exploits se limitait pour les sous-marins. La profondeur du fleuve diminuait. Le courant devenait plus difficile à remonter. Il était 3 heures du matin. Les sous-marins reparurent à la surface, profitant du reste de la nuit pour gagner, à la plus grande vitesse possible, Germesheim. Ils ne plongèrent qu'une seule fois: sous le pont de bateaux de Spire qu'ils laissèrent intact, tant ils avaient hâte d'arriver au pont monumental qui porte la ligne à voie double de Bruchsal à Landau.
A Germesheim, le télégraphe et le téléphone ne cessaient de fonctionner. Toute la population était sur pied: le bourgmestre, la police, la gendarmerie, les pompiers, sans compter l'armée qui formait autour de l'édifice menacé une triple ceinture de sauvegarde. «Vous aurez leur visite vers 7 heures du matin», avait dit une dépêche de Mannheim. Des bateliers furent envoyés en reconnaissance sur le fleuve; des escadrons de cavalerie évoluèrent le long de chaque rive; un ballon captif fut détaché à 50 mètres au-dessus des flots. Ce dernier moyen est l'un des meilleurs pour apercevoir des bâtiments naviguant en immersion.
Les précautions semblaient bien prises. Malheureusement, les sous-marins, marchant à la surface, ne mirent que deux heures à parcourir le trajet, qui aurait exigé quatre heures en plongée. Signalés par les bateliers, vers Heiligenstein, à moitié chemin entre Spire et Germesheim, la pâle clarté du matin leur permit de s'immerger sans avoir été atteints par les obus et les balles qu'on leur envoyait du rivage. Du ballon captif, les balancements de la nacelle et le brouillard du fleuve ne laissaient même pas apercevoir le périscope des sous-marins flottant sur l'eau.
Dans ces conditions, quelle défense possible pour le pont de Germesheim? Aucune. Il fut «exécuté» à 6 heures du matin. Quelques scaphandriers, partis du sous-marin d'arrière-garde, s'en allèrent accrocher deux cartouches de dynamite aux piles du pont, en marchant dans le lit du fleuve. Un double courant électrique fit éclater les deux bombes, et d'un édifice monumental qui avait coûté 4 millions de francs, il resta une masse tordue, informe. C'était le pont de Germesheim, après la visite de ses ennemis.
Ce ne fut qu'un cri de colère dans la cité quand trois dépêches, arrivant coup sur coup, annoncèrent que le pont de Kreuznach, près du confluent de la Nahe et du Rhin, les ponts imposants de Francfort-du-Mein, à 40 kilomètres de l'endroit où le Mein se jette dans le Rhin, enfin celui du Neckar, à Heidelberg, attaqués de la même manière, avaient subi un sort pareil. «Ils sauteront tous»! disaient les uns.--«On a lancé des sous-marins dans tous les fleuves allemands», disaient les autres. Quelques-uns, plus réfléchis, essayèrent de faire comprendre aux affolés que les bateaux fantômes qui remontaient maintenant le cours des affluents du Rhin appartenaient à la même flottille et étaient venus par le Rhin lui-même. Personne ne voulait croire cette explication si simple.
Tel était le découragement qu'on ne songeait plus même à poursuivre ceux qui, après avoir accompli le coup de Germesheim, continuaient, avec une régularité d'horloge, leur affreuse odyssée sur le fleuve. «Ils arriveront ce soir au pont de Kehl!» s'écriaient les gens d'un air moitié furieux, moitié résigné.
La prédiction ne devait pas s'accomplir. La flottille ne comptait plus que trois submersibles. Il était, en outre, manifeste que son approvisionnement en vivres et en torpilles était épuisé. La fatigue des équipages allait enfin avoir raison de leur audace. Ils achevèrent leur raid étonnant en détériorant le pont tout neuf de Roppenheim qui fait communiquer Rastatt et Haguenau.
Cet exploit--le dernier--fut funeste aux deux submersibles qui l'avaient accompli. Ils furent coulés. Le troisième, victime de quelque accident intérieur, ne put s'immerger. Il alla s'échouer sur un îlot, à 10 kilomètres de Strasbourg. Sur les dix-sept ponts rhénans, cinq seulement restaient intacts: Strasbourg à Kehl, Marckolsein à Saspach, Neu-Brisach à Vieux Brisach, Nuenbourg à Bantzenheim, et le pont de Huningue!
... Cinq jours s'étaient passés depuis la déclaration de guerre. La mobilisation était terminée; le transport des troupes commençait. Plus de mille trains s'échelonnaient le long des voies ferrées des États de l'empire, à destination de la frontière de Lorraine. Et tous ces convois s'arrêtaient, les uns après les autres, immobilisés sur la rive droite du Rhin. Sans doute, les pontonniers, les compagnies du génie s'employaient à remplacer par des ponts de fortune les grands ponts de pierre ou de fer si malencontreusement détruits; les bacs-trailles, les remorqueurs, les barques elles-mêmes pouvaient être utilisés. Mais un temps précieux était perdu que l'ennemi utilisait en prenant déjà l'offensive.
C'étaient des trains entiers, soit à alléger de moitié, soit à décharger complètement. C'était un transbordement interminable de batteries de campagne, de mortiers de siège, de voitures, de chevaux et d'hommes. Le grand état-major allemand se résignait, en désespoir de cause, à bouleverser tout le plan de mobilisation et à détourner, sur les chemins de fer à une seule voie de l'Allemagne du Sud, une grande partie des trains qui devaient aller par le Nord et le Centre. Ce qui était plus grave, les procédés méthodiques allemands, mis en défaut par un tel désarroi, ne trouvaient rien d'original pour débrouiller le chaos.
Enfin, après presque une semaine de retard, la circulation de ces millions d'hommes et de leurs bagages allait s'effectuer, quand se répand une nouvelle incroyable. On dit que d'autres explosions se produisent encore le long du fleuve. Çà et là retentissent des craquements; les bacs, qui font le service entre les deux rives, s'arrêtent éventrés par un engin mystérieux; les radeaux, les ponts de bateaux sont coupés en deux et submergés; les barques de pêcheurs elles-mêmes sont projetées en l'air dans d'effroyables trombes d'eau; les ponts d'Alsace, laissés intacts par les sous-marins, s'écroulent avec fracas.
Qu'y a-t-il?... Des milliers de volcans seraient-ils cachés sous les eaux du père nourricier de la Germanie? C'est pis encore. Le Rhin, ô horreur! roule sur ses eaux des mines flottantes. Cent, mille, dix mille peut-être!... D'où viennent-elles? On ne sait. Et comment le savoir?... On aperçoit des grosses sphères, de couleur noire, émergeant au-dessus des flots et suivant le fil de l'eau; mais leur origine, leur point de départ, sont inconnus.
Une enquête donna le mot de l'énigme,--mais plus tard, trop tard, quand le mal eut été accompli.
Une maison industrielle anglaise avait établi, à 2 kilomètres à peine de Huningue, aux environs de Bâle, en territoire suisse, une fabrique d'explosifs pour l'industrie. En prévision d'un conflit possible avec l'Allemagne, les ministères de la Guerre français et anglais avaient commandé à cette maison plusieurs milliers de ces torpilles de blocus employées par les Russes à Port-Arthur et destinées officiellement à assurer la protection des ports de guerre. Ces engins, chargés de 150 kilogrammes de fulmicoton, réglés pour exploser à un choc déterminé, lestés pour flotter au gré des flots, avaient été remisés dans des silos maçonnés s'ouvrant sur les berges du Rhin, en attendant que les administrations française et anglaise prissent livraison de la commande. Certain soir, quelques jours après la déclaration de guerre, le directeur recevait la visite de plusieurs personnages en civil, Anglais et Français. Exhibant un mandat de leurs gouvernements, ils obtinrent livraison du dépôt. Ces hommes, tout pacifiques, étaient des officiers. Pendant la nuit, deux mille mines furent lâchées dans le fleuve...
Avec une vitesse de 4 mètres par seconde (14 kilom. à l'heure), qui est la vitesse des eaux rhénanes entre Bâle et Strasbourg, les redoutables mv dévalent, en torrent, la pente du Rhin. Ils se suivent à quelques secondes d'intervalle. Tantôt ils sont arrêtés par la vase, le sable ou les herbes du fleuve, mais le courant les reprend; tantôt ils butent contre un obstacle, bois, fer ou pierre, et le détruisent. Puis, d'autres mines succèdent aux premières. De plus en plus loin, elles s'en vont, semant la destruction et la ruine. La vitesse acquise imprime à ces engins une force de percussion terrible. Un roulement de tonnerre déferle sur les flots, en même temps qu'eux, le cyclone descend. Le Rhin bouillonne, grossit, éclabousse, se projette de-ci de-là, en vagues de 20 mètres de hauteur. Plus les obstacles sont puissants et mieux ils sont brisés: rien ne trouve grâce devant ce souffle de mort. Impossible de s'exposer, fût-ce un quart d'heure, sur des eaux qui véhiculent la mort. Les hommes, les animaux qui se risquent à traverser le courant sont emportés par le remous des eaux, quand ils ne sont pas heurtés par les torpilles voyageuses... Cette sarabande infernale dura huit jours et huit nuits. Les démons français déclenchèrent ainsi 10.000 mines sur le Rhin! La Moselle, la Sarre, la Nied, l'Ill, apportaient elles-mêmes leur contingent. Il en vint même de Frouard et de Nancy...
Et les troupes allemandes, impuissantes à franchir le fleuve courroucé,
contemplaient, avec un morne désespoir, cette rive gauche du Rhin
retombée, par un accident imprévu, au pouvoir des soldats de la vieille
Gaule...
J. Delaporte..
Quand il est question de Nelson amoureux, on songe tout de suite un peu à la mignonne veuve de dix-sept ans qui devint mistress Nelson, et beaucoup à la hautaine et brouillonne lady Hamilton, dont l'influence se manifesta si regrettablement dans l'histoire du célèbre amiral. On ignore généralement une idylle plus modeste, dont le grand marin britannique fut le héros et qui eut pour cadre un coin de terre française, la petite ville de Saint-Omer.
Après la paix de Versailles en 1783, Nelson, alors simple capitaine de marine en demi-solde, était venu passer quelques mois en France avec le capitaine Mac Namara, son ami. Les deux jeunes gens avaient donné comme prétexte à ce voyage le désir de connaître la langue et la société françaises. Pour ses débuts dans la société de notre pays, Nelson tomba amoureux, avec toute l'ardeur de ses vingt-cinq ans, d'une jeune femme... anglaise, la fille d'un pasteur qu'il avait rencontré à Saint-Omer. Au début de l'idylle, Nelson écrivait à sa famille ces lignes enthousiastes: «Saint-Omer me plaît tous les jours davantage et j'y suis aussi heureux qu'on peut l'être éloigné du pays natal. Mon coeur est tout à fait à l'épreuve de la beauté française; je voudrais être aussi peu sensible aux charmes d'une jeune dame anglaise, fille d'un ecclésiastique, avec laquelle je dois dîner aujourd'hui. Elle a tant de perfections que si j'avais un million de fortune je n'hésiterais pas à lui proposer de le partager avec moi. Par malheur, mes revenus actuels sont trop restreints pour me permettre de songer au mariage et cette belle personne n'a rien à elle...»
UN ÉPISODE DU SÉJOUR EN FRANCE DE NELSON EN 1784
Le futur
vainqueur de Trafalgar rencontre, sur la promenade publique de
Saint-Omer,
une jeune Anglaise dont il devient amoureux.
Dessin de R.
Caton Woodville.--Voir l'article à la page ci-haut.]
Il est à croire que cet attachement abrégea le séjour de Nelson à Saint-Omer et que le jeune officier, peu renté, fort ambitieux déjà et conscient de ses destinées, s'éloigna hâtivement de cette ville pour fuir en même temps la tentation d'un mariage d'amour.
M. Augagneur, maire et député
de Lyon, futur gouverneur de
Madagascar. --Phot. Bellingard.
Le général Galliéni, gouverneur général de Madagascar, actuellement en France, ayant demandé à être relevé de la haute fonction qu'il occupait depuis neuf ans, c'est M. Augagneur, député du Rhône, qui est désigné pour lui succéder.
Le docteur Augagneur, maire de Lyon, a été envoyé à la Chambre, au cours de la présente législature, par les électeurs de la 5e circonscription, en remplacement de M. Philippe Krauss, décédé. Bien que siégeant parmi les socialistes, il a su, en diverses circonstances, s'affranchir de certaines exigences de son parti et fait preuve, à la tête de l'importante municipalité lyonnaise, de solides qualités d'administrateur.
Pour commémorer la visite de la British Association aux chutes de Victoria et l'inauguration, à travers la rivière de Zambèze, d'un pont, merveille moderne d'ouvrage d'art, sur la ligne projetée du Cap au Caire, la Compagnie de l'Afrique du Sud vient d'émettre une série de timbres comprenant six valeurs, du 1 penny au 5 shillings.
Tous ces timbres sont du même type; ils représentent une vue des chutes de Victoria surmontées de British South Africa Company en deux lignes; aux angles supérieurs le millésime 1905 et, aux angles inférieurs, la valeur dans des cartouches en forme d'étoiles.
Un médecin suisse a voulu voir s'il est possible d'apprivoiser visiblement des poissons. Cette idée lui est venue à Lugano, où il faisait une cure de bains dans le lac. Dans la piscine, qui n'était séparée du lac que par des murs en pierres entassées les unes sur les autres, il y avait une famille de loches au nombre de 100 ou 150 individus, provenant de cinq ou six pontes différentes. Pour se rendre favorables les poissons dont il venait troubler la tranquillité en prenant son bain, l'observateur suisse eut l'idée de passer, chaque matin et chaque soir, une heure immobile à l'eau. Il s'asseyait, avec de l'eau jusqu'au cou, les bras sur les genoux, tenant deux poignées de pain. Le pain attirait les loches, mais le baigneur les effrayait, malgré l'immobilité qu'il s'était imposée. Après quelque temps, toutefois, certaines jeunes loches, plus aventureuses, s'enhardirent au point de venir happer un peu du pain qui leur était offert. L'exemple fut bientôt suivi par les aînées et, au bout de peu de temps, le baigneur, dès qu'il entrait à l'eau, était entouré de toute la bande qui venait se régaler du pain dont celui-ci était toujours muni. Les poissons n'éprouvaient aucune frayeur des mouvements du visiteur: ils circulaient autour de lui, se laissaient prendre et caresser sans aucune difficulté. C'était pour eux un jeu, et le jour où, pour les photographier, on étala d'abord au fond de l'eau des draps pour avoir un arrière-plan approprié, on eut toutes les peines du monde à leur faire comprendre qu'il ne s'agissait pas de jouer à cache-cache.
L'arbre dans le quel on découpe les crayons tend à disparaître: on en consomme trop. C'est un cèdre rouge, haut de 20 à 25 mètres, jadis très abondant en Amérique où il croît du golfe du Mexique au Canada et de l'Atlantique aux Rocheuses et au Texas, en dégénérant de qualité du sud au nord et de l'est à l'ouest. Jusqu'ici, la Floride fournissait le bois des trois quarts des crayons qui se consomment dans le monde; mais ses réserves commencent à s'épuiser et le gouvernement des États-Unis se préoccupe de la situation. D'ailleurs, tout en préférant les climats chauds, l'arbre s'accommode de latitudes fort différentes; quelques plantations faites en Allemagne par M. Faber, il y a une trentaine d'années, ont assez bien réussi.
Ajoutons que ce bois dont la fibre douce, homogène et parfumée est si agréable à caresser avec le canif, présente en outre des qualités de solidité qui le font aussi rechercher pour les poteaux télégraphiques, les constructions navales, les traverses de chemins de fer, l'ébénisterie, etc. La crise, dès lors, s'explique mieux.
Sur le mont Valérien, à l'intersection de la route de Charles-X et de la route Stratégique, on achève actuellement, pour les inaugurer à bref délai, une série de bassins filtrants destinés à alimenter d'eau potable la banlieue ouest de Paris, et qui présentent l'ensemble le plus perfectionné établi jusqu'à ce jour.
Dans l'état actuel de la science, le filtre à sable fin est considéré comme le meilleur instrument d'épuration des grandes masses d'eau. Mais, comme il s'encrasse vite, il exige des nettoyages fréquents qui en suspendent périodiquement le fonctionnement et représentent une dépense appréciable.
Pour remédier à cet inconvénient, on imagina d'abord de faire courir ou reposer l'eau dans un canal ou dans un bassin de décantation avant de la déverser sur le filtre. Ce système, employé par la ville de Paris au bassin de Saint-Maur pour purifier l'eau de Marne, a paru insuffisant pour l'eau de Seine, qui est beaucoup plus contaminée. A Ivry, l'eau passe d'abord à travers trois lits de gravier de grosseurs décroissantes et le filtre de sable peut fonctionner trois mois, alors qu'un autre filtre recevant de l'eau simplement décantée doit être nettoyé au bout d'un mois et demi.
Au mont Valérien, où l'on disposait de grands espaces, et où l'eau puisée au barrage de Suresnes arrive dans un état de malpropreté supérieur, on a construit six bassins disposés en escalier. Les quatre premiers, formant le groupe des dégrossisseurs, contiennent des lits de gravier dont la grosseur descend de 20 à 4 millimètres; viennent ensuite: un préfiltre, garni de sable de 4 millimètres et de petit gravier; puis le filtre, où la couche principale est formée de sable passé à la claie de 2 millimètres. Avant d'entrer dans le préfiltre et à la sortie, l'eau cascade à l'air libre pour s'oxygéner. L'ensemble des appareils représente une surface utile d'environ 16.000 mètres carrés devant produire par jour 35.000 mètres cubes d'eau épurée.
L'expérience permettra de chiffrer l'influence de cette disposition sur la prolongation de l'action du filtre proprement dit. Mais il est admis que ce dernier, seul, assure l'épuration bactériologique, ramenant d'environ 35.000 (à Ivry) à 500 le nombre de microbes par centimètre cube d'eau, avec exclusion de tout bacille pathogène et, notamment, de bacille coli. Il semble, dès lors, imprudent de se demander si les habitants d'Asnières boiront, au mois d'août, de l'eau plus pure que les Parisiens.
Le costume insubmersible de
M. Dévot. Phot. Hoffman.
Beaucoup de personnes se rappellent peut-être le nom du capitaine Boyton, inventeur d'un costume en caoutchouc permettant de se maintenir sans le moindre effort à la surface de l'eau. Après avoir obtenu un grand succès de curiosité à l'Exposition de 1878, l'appareil, lourd et encombrant, fut considéré comme n'offrant aucun intérêt pratique. M. Dévot, professeur de natation aux environs de Paris, s'appliquait, depuis plusieurs années, à perfectionner l'invention américaine. Il est arrivé à combiner un costume d'amphibie, à la fois simple et léger, dans lequel il se trouve aussi à l'aise pour franchir un fleuve que pour traverser une forêt. Etendu sur le dos, armé d'un fusil et d'un revolver, il avance dans l'eau en ramant avec les bras, à moins qu'il préfère y dormir. Il en sort, avec armes et bagages parfaitement secs, et continue sa route sans avoir besoin de «se changer».
M. Dévot croit que ce costume passe-partout pourrait rendre certains services en temps de guerre, et il va le soumettre à l'autorité militaire.
On est habitué à considérer le coeur comme un organe extrêmement sensible et qui ne pourrait être touché par un corps étranger sans que la mort s'ensuivît.
Or la chirurgie moderne reconnaît à cet organe une grande tolérance; non seulement on peut pratiquer des opérations sur le coeur, mais encore celui-ci résiste à de très graves traumatismes.
Les blessures du coeur, dans les tentatives de suicide, donnent une mortalité de 60%, ce qui représente plus d'un tiers de guérisons.
Un chirurgien cite un cas dans lequel il eut à rechercher dans le coeur une balle que s'était tirée une jeune fille. Il n'arriva pas à la trouver, malgré des recherches nombreuses et la palpation énergique du coeur. Or la malade survécut, non seulement à la balle, que la radioscopie révéla comme étant dans l'épaisseur même de l'organe, mais encore aux longs examens du chirurgien, à l'intérieur même du péricarde!
Les plaies du coeur sont graves du fait de l'hémorragie abondante qu'elles provoquent souvent, car alors le sang s'accumule dans le péricarde et la compression finit par provoquer l'arrêt cardiaque; et, quand les vaisseaux nourriciers du muscle sont atteints, la mort survient encore rapidement par le défaut d'irrigation nutritive de l'organe.
Mais, en dehors de ces conditions, on peut espérer la guérison.
Quand la syncope survient sous l'influence du choc traumatique, il suffit de maintenir les fonctions respiratoires et circulatoires par le massage du coeur pour voir se rétablir les fonctions de cet organe, l'effet nerveux inhibiteur ne tardant pas à cesser.
En réalité, cela revient à dire qu'il est possible de revenir d'une mort subite par arrêt du coeur.
Un chimiste hongrois, du nom de Brunn, prétend avoir découvert un liquide chimique qui mettrait certaines substances à l'abri des injures du temps, en même temps qu'il les rendrait antiseptiques. Ses recherches lui auraient été suggérées par un voyage en Grèce, au cours duquel il remarqua que le mortier des édifices en ruine, de plus de deux mille ans, semblait aussi dur et frais que s'il avait été de l'année précédente seulement. Il se procura un morceau de mortier et l'examina, et de cet examen, fait il y a vingt-cinq ans, sont sorties les recherches qui ont abouti à la découverte, à l'invention d'un liquide jaune, nommé zorène, dont on n'indique point la composition, mais qui posséderait toutes les vertus. Ce zorène serait un durcissant incomparable pour la pierre, la brique et le bois. Il empêcherait aussi les matériaux d'absorber l'humidité; il rendrait inoxydables les métaux. En même temps il permettrait de créer des routes ne donnant pas de poussière,--ce qui est une façon de parler. Le zorène associé aux scories fournirait des chaussées presque éternelles et si dures que les véhicules auraient de la peine à les entamer. Si tout cela est vrai, le zorène a une belle place à prendre.
Les divers procédés suggérés de temps à autre pour purifier la fumée de tabac présentent généralement deux points communs: ils ont la prétention d'enlever au tabac tous ses principes nocifs et ils exigent une cuisine plus ou moins compliquée.
Un chimiste allemand, moins absolu que ses précurseurs, propose une solution d'une extrême simplicité: elle consiste à placer, soit dans le tuyau de la pipe, soit dans le fume-cigare ou fume-cigarette, un petit tampon d'ouate imbibé de perchlorure de: fer. D'une longue série d'expériences, M. Thoms se croit autorisé à conclure que cette filtration élimine totalement l'hydrogène sulfuré et l'huile essentielle empyreumatique; et, pour la plus grande partie, la nicotine et ses produits de décomposition, l'acide cyanhydrique et l'ammoniaque. On ne saurait, ajoute-t-il, éliminer toute la nocivité sans éliminer le plaisir.
La vapeur du perchlorure n'est pas vénéneuse, et, comme elle n'est pas entraînée; par la fumée filtrée, il semble qu'elle ne doive pas influer sérieusement sur l'arôme! Sur ce point, toutefois, le chimiste a l'esprit de décliner sa compétence et de s'en rapporter à celle des fumeurs.
Un grave accident a mis dernièrement en émoi la ville de Montélimar, dans des circonstances qu'il est intéressant de signaler.
Villa écornée par une explosion
d'acétylène à Montélimar.
M. Brun, pharmacien-chimiste, propriétaire d'une superbe villa, de construction récente et dont les travaux sont à peine achevés, y avait installé un appareil à acétylène, fonctionnant de manière à ne laisser dégager le gaz qu'au fur et à mesure de la consommation. Le 9 octobre, il essayait un chauffe-bains, avec le constructeur de cet appareil, lorsque, partant des sous-sols, une explosion se produisit, accompagnée d'une formidable détonation, entendue à plusieurs kilomètres de distance. En même temps, les persiennes et volets, réduits en miettes, étaient projetés au loin, les planchers s'effondraient, leurs poutrelles en fer tordues comme des brins de paille. Tout un angle du bâtiment s'était écroulé, et telle avait été la violence de la répercussion qu'il ne restait plus trace de vitres aux fenêtres des habitations voisines.
On n'a eu, heureusement, aucun accident de personne à déplorer; mais, si le sinistre était advenu quarante-huit heures plus tard, la famille de M. Brun et les domestiques eussent été ensevelis sous les décombres.
Quant aux dégâts matériels, ils sont considérables, et l'on peut les évaluer au moins à une centaine de mille francs; car, sans compter la partie de la maison entièrement détruite, la partie demeurée debout est lézardée et atteinte dans ses oeuvres vives.
Au sujet de la cause de l'explosion, l'hypothèse la plus probable est celle-ci: un ouvrier, mal au courant de la marche de l'appareil, aurait négligé de fermer un robinet dit «de purge»; d'où une fuite du gaz, qui se serait accumulé en grande quantité dans les sous-sols, cependant bien aérés.
Nous publions, avec ce numéro, la première partie du Don Quichotte représenté cette semaine à la Comédie-Française et qui est l'événement littéraire de la saison théâtrale commençante. Il serait superflu de vanter à nos lecteurs la versification brillante de M. Jean Richepin; ses envolées poétiques dans les situations capitales du drame héroï-comique qu'il a ingénieusement combiné d'après le chef-d'oeuvre de Cervantes, ont produit une vive impression. M. Leloir est, d'ailleurs, la vivante image du chevalier de la Manche; il a tracé de cette figure falote une silhouette inoubliable.
Au Palais-Royal, la nouvelle pièce de MM. Keroul et Barré, Toison d'or, provoque chaque soir une vive hilarité parmi les spectateurs. C'est une folle histoire de «cocotte» à deux faces, l'une grave, l'autre tout à fait épanouie, où les limites du possible sont à peine dépassées: grand succès personnel pour M. Raimond.
Le bonheur, mesdames!... la comédie légère de M. Francis de Croisset, aux Variétés, a été chaleureusement accueillie. L'honneur du succès revient sans doute à l'esprit facile, à l'aisance et à l'ingéniosité de l'auteur, mais il doit beaucoup à ses interprètes. Le talent de Mmes Jeanne Granier, Magnier, Lavallière, et de MM. Baron, Brasseur et Prince, décuple la valeur d'une oeuvre.
Don Quichotte (M. Leloir). Sancho Panza (M. Brunot).
«DON QUICHOTTE», DE M. JEAN RICHEPIN, AU THÉÂTRE-FRANÇAIS
Nous publions, avec ce numéro, les quatre premiers tableaux du drame en
vers de M. Jean Richepin. Les quatre derniers tableaux paraîtront dans
notre prochain numéro.
Vassilissa. Natacha.
Une scène de la pièce de Maxime Gorki: Dans les Bas-Fonds.
--D'après une
photographie prise au Théâtre Artistique de Moscou.
Le théâtre de l'Oeuvre vient de représenter, avec un succès constaté par toute la presse, la plus saisissante des oeuvres dramatiques de Maxime Gorki: Dans les Bas-Fonds. La version française de M. Halpérine-Kaminsky a grandement contribué, par ses qualités scéniques, à la forte impression produite sur les spectateurs. Quant à l'interprétation, elle a été remarquable surtout par son ensemble, et tous les artistes seraient à citer. Nommons les principaux: Mmes Archaimbaud, de Raisy, Dortzal; MM. Lugné-Poe, incomparable en même temps comme metteur en scène, Adès, Marey, Saillard, etc.
Mais voici que cette oeuvre originale et puissante a tenté de grandes artistes comme Eleonora Duse et Suzanne Després. Et elles vont incarner, le 23 octobre prochain, dans une représentation qui doit être unique, les deux soeurs, Vassilissa et Natacha, qui aiment le même homme, Vaska Pepel.
La scène que nous reproduisons, d'après une photographie prise au Théâtre Artistique de Moscou, où les Bas-Fonds furent créés sous la direction de l'auteur, montre précisément les deux femmes aux prises: Natacha, échaudée par Vassilissa, est défendue par Pepel, tandis que Vassilissa est retenue par la foule des vagabonds.
Natacha, ce sera Mme Suzanne Després; Vassilissa, ce sera la Duse.
Le prince Serge Troubetzkoï.
--Phot. Smirnof.
Le parti libéral russe vient de perdre l'un de ses chefs les plus sages et les plus respectés, l'un des hommes en qui il avait mis le plus d'espérances: le prince Serge Troubetzkoï.
Issu d'une famille très aristocratique--un de ses frères est maréchal de la noblesse de Moscou--il s'était, avec son autre frère Eugène, voué à l'enseignement. Il professait à l'Université de Moscou. Son savoir étendu, la merveilleuse clarté de son esprit et, peut-être plus que tout cela, un rare talent de parole lui avaient donné sur le corps enseignant un ascendant considérable et conquis, parmi les étudiants, une enthousiaste popularité. Aussi, quand s'ouvrirent pour l'Université les temps critiques, au milieu des conjonctures les plus graves, alors que les élèves désertaient les cours, que les professeurs abandonnaient leurs chaires plutôt que de subir les entraves que leur voulait imposer le pouvoir, le prince Serge Troubetzkoï fut-il, par un vote unanime de ses collègues, élu recteur. Lourd et périlleux honneur, dans de telles circonstances! Il ne s'y déroba point.
Après avoir, dans une entrevue récente, exhorté au calme les étudiants, avoir obtenu d'eux la promesse qu'ils ne le troubleraient point, par d'intempestives manifestations, dans l'accomplissement de la mission qu'il allait remplir, il se rendait à Saint-Pétersbourg pour plaider, auprès du gouvernement, et surtout de l'intransigeant et tout-puissant général Trépof, la cause des deux libertés qui lui étaient si chères: la liberté de réunion, la liberté d'enseignement.
Le prince Troubetzkoï était malade, exténué par les fatigues de tout genre que lui avaient imposées et ses fonctions à l'Université et la part très active qu'il prenait aux travaux du Comité permanent des zemstvos. Cela même ne l'arrêta pas. Il commença ses démarches.
Le jeudi 12 octobre il avait remis au général Glasof, ministre de l'Instruction publique, un plaidoyer en faveur des idées qui lui tenaient au coeur, des réformes qu'il sollicitait. Le général l'avait invité à prendre part, le lendemain, à la séance de la commission chargée d'élaborer les nouveaux statuts scolaires. Il y vint, prononça à l'appui de son rapport un discours ému et qui fit sensation.
Comme il se rasseyait et allumait un cigare, on le vit pâlir, défaillir. Sa tête se renversa en arrière sur le dossier de sa chaise. On s'empressa; on le transporta dans un salon voisin. Il reprit quelque temps l'usage de ses sens à l'arrivée des médecins, de parents qu'on était allé chercher. Puis il perdit de nouveau connaissance. Vers 10 heures du soir, il rendait le dernier soupir.
A Saint-Pétersbourg, d'abord, puis à Moscou, où son corps a été transporté, on lui a fait des obsèques impressionnantes.
Le grand acteur tragique anglais Henry Irving vient de mourir, à Bradford, à peine au sortir de scène, après une représentation du Thomas Becket de Tennyson, qui était l'un des triomphes de sa carrière dramatique.
Sir Henry Irving, d'après une de
ses dernières photographies.
John Henry Brodribb, connu au théâtre sous le nom d'Irving, était né en 1838, à Keinton, près de Glastonbury, et avait débuté, en 1856, sur un théâtre de province, à Sunderland. En 1866, la création, à Manchester, du principal rôle d'une pièce de Dion-Boucicault l'avait mis en relief. Il avait été engagé au Lycéum.
Fervent dévot de Shakespeare, il lui avait consacré avec passion le meilleur de son talent qui était considérable. Il semblait surtout s'être donné pour but de populariser, de faire comprendre et aimer le génial dramaturge. Interprète inoubliable de ses chefs-d'oeuvre, il lui a dû ses plus beaux triomphes.
L'Angleterre, et non seulement elle, mais tous les pays de langue anglaise, les États-Unis qui l'avaient applaudi, étaient fiers de lui. Il avait été anobli. Devant son pseudonyme, l'admiration royale avait mis le sir qui équivaut à nos particules, et il était devenu, authentiquement, sir Henry Irving. A la nouvelle de sa mort, le roi et la reine faisaient exprimer à sa famille leurs condoléances; le président Roosevelt adressait à son fils un télégramme de regrets, et il n'y eut qu'une voix pour demander qu'on lui accordât la sépulture de Westminster, réservée aux plus glorieuses illustrations de la patrie. Son mausolée y sera auprès de celui de Gladstone.
NOUVELLES INVENTIONS
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Parmi les nombreux avantages que présente la lumière électrique, l'un des plus importants réside dans l'extrême docilité avec laquelle elle se prête à tous nos besoins ou nos caprices.
Rien n'est aussi pratique et décoratif pour l'éclairage des pianos et bureaux genre américain que la lampe «Américaine» que représentent nos gravures, lampe réunissant à la fois le côté pratique et décoratif.
Les figures 1 et 2 représentent l'application de 1'«Américaine» aux pianos: au moyen de l'inclinaison du volet mobile, les rayons lumineux sont tous concentrés sur la musique et la lampe est complètement cachée à la vue de l'exécutant. La hauteur est calculée pour permettre de tourner facilement les pages.
La figure 3 montre la même lampe éclairant un bureau du genre américain.
Pour amener la lampe dans cette position, il suffit, après avoir desserré le bouton molleté, de faire glisser le col de cygne dans une mortaise jusqu'au niveau du pied. Le volet mobile, placé horizontalement, fait disparaître la lampe à la vue tout en dirigeant la lumière sur la table du bureau.
La construction de l'«Américaine» est robuste et soignée; le socle est garni avec un disque de drap pour éviter toute détérioration du vernis des meubles.
La décoration en est très riche et se fait au gré de l'acheteur en vernis or mat, poli verni or, nickelé, bronzé, etc.
Son prix est de 35 francs sans lampe ni douille; en cuivre rouge genre anglais, 36 francs. Majoration de 3 francs pour lampe, douille et fil souple.
La lampe l'«Américaine» se trouve chez M. Fournier, 22, rue Baudin, Paris, et dans les bonnes maisons d'électricité.
Note du transcripteur: ce supplément ne nous a pas été fourni.