Title: L'Illustration, No. 3262, 2 Septembre 1905
Author: Various
Release date: April 18, 2011 [eBook #35897]
Language: French
Credits: Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque
L'Illustration, No. 3262, 2 Septembre 1905
Suppléments de ce numéro:
1° Quatre pages tirées à part sur la Coupe des Pyrénées.
2° Supplément musical contenant un fragment
des «Hérétiques».
LES TROIS ARTISANS DE LA PAIX RUSSO-JAPONAISE
Le
président Théodore Roosevelt, le baron Komura et M. Serge Witte. Trois
portraits caractéristiques, d'après des photographies instantanées.
Stereograph copyright 1905 by Underwood and Underwood, London and
New-York.
Une amie m'écrit: «Vous vous plaignez d'avoir retrouvé Paris sur les plages du Sud-Ouest? Alors, remontez au nord et suivez la côte bretonne. Il y a bien là encore, pour la femme sauvage que vous êtes, quelques coins à éviter et, si les élégances de Biarritz vous ont fait peur, je doute que celles de Dinard vous séduisent. A Dinard aussi, vous trouverez une nature terriblement pomponnée, ratissée, truquée; trop de magasins à l'instar de Paris; tout l'implacable attirail des grandes villégiatures mondaines... Mais n'allez pas jusque-là. Simplement promenez-vous, en deçà de Saint-Enogat, le long de ce délicieux morceau de littoral qui va du cap Fréhel à Saint-Lunaire. Là vraiment vous savourerez la volupté d'ignorer Paris pendant quelques jours, ce qui vous sera une bonne façon de vous préparer à le mieux raimer le mois prochain.»
J'ai suivi le conseil qu'on me donnait. Je connaissais un peu ce pays; j'y suis retournée, et depuis une semaine j'ai vécu selon mon rêve, en effet,--au milieu de braves gens venus ici, comme moi, pour s'y abrutir délicieusement dans la contemplation d'un horizon d'émeraude; pour y regarder du matin au soir la vague ourler d'écume les granits noirs de la plage silencieuse, en ne pensant à rien du tout.
J'avais emporté des livres, je ne les lis pas. Et mes voisins d'hôtel ont les poches bourrées de journaux dont ils oublient de déchirer les bandes. Qu'est-ce que cela nous fait, ce qui se passe hors d'ici? On n'imagine pas quelle distance prodigieuse il y a entre Paris et tels coins d'univers que sépare à peine du boulevard un trajet de dix heures d'express et comme l'attrait de ce qu'on appelle «des nouvelles» s'amoindrit, se banalise, se dénature au cours de certains voyages... On m'apporte à la plage mon journal tous les matins. Et, tandis qu'autour de moi les enfants jouent, construisent des forts dans le sable et que, tout là-bas, l'eau dort parmi les rochers nus ou mugit doucement dans l'effort de travail qui la ramène, comme à lentes enjambées, vers l'alignement rose et blanc de nos cabines, je regarde ce que dit, ce que fait Paris... Déplacements ministériels... Assemblée générale des actionnaires du Printemps... L'escroc Gallay ramené de Bahia... Au courrier des théâtres: le directeur du Gymnase vient d'engager je ne sais qui; celui du Vaudeville nous fait connaître le programme de sa saison. Pourquoi ces choses, qui m'intéressaient il y a quinze jours, ne m'intéressent-elles plus? Je n'éprouve même pas le besoin d'en vouloir à M. Bérard, contre qui je vois qu'une campagne furieuse est engagée par quelques journaux. On reproche à ce haut fonctionnaire d'accabler ses commis de trop d'ouvrage, sans profit pour une clientèle qui se plaint de n'avoir jamais été plus mal servie. En effet, il se peut que les lettres que j'ai écrites cet été n'aient pas toutes atteint leur destination dans le délai prescrit; et, plusieurs fois aussi, il m'a semblé que mes dépêches n'excédaient guère en vitesse l'allure d'un train de marchandises. Je n'en ressens aucun dépit; et, dans l'immense paix qui m'enveloppe, j'excuse les télégraphistes d'avoir, eux aussi, en ce moment, l'âme distraite ou la main molle...
J'excuserais même les politiciens de ne point faire ce mois-ci de politique. Je lis--j'essaye de lire ce qu'ils écrivent. Je les vois échanger les mêmes injures que l'hiver dernier, pour les mêmes raisons qui les feront de nouveau s'entre-dévorer l'hiver prochain; et j'admire la ténacité de passions si fortes qu'elles résistent même aux séductions d'une trêve possible--la trêve des grandes vacances.
Je me rappelle qu'un jour un Irlandais de mes amis, à qui je rendais visite, à Dublin, me dit:
--Quel dommage, madame, que vous n'ayez pas été ici le 12 juillet dernier. C'est le jour où les catholiques et les protestants se battent dans les rues. Vous ne sauriez imaginer combien cela est curieux. Dès le matin, la police et la troupe prennent leurs dispositions en vue des bagarres de la journée. De leur côté, catholiques et protestants s'assemblent, s'organisent et s'arment. Il y a chaque fois des blessés et des morts.
--Pourquoi ce jour-là, demandai-je, et non un autre?
--C'est que le 12 juillet marque l'anniversaire de la fondation de notre Ligue catholique en Irlande. Les adversaires des deux camps, qui se détestent toute l'année, ont donc choisi ce jour pour régler leurs comptes et foncer loyalement les uns sur les autres. Cela fait, chacun retourne à ses affaires et, pendant tout le reste de l'année, on est tranquille.
Voilà de la sagesse. Pourquoi les polémistes de France n'imitent-ils pas cet exemple? On ne saurait leur demander de ne s'injurier qu'un jour par an; mais ne serait-ce pas charmant qu'ils consentissent à se reposer, l'été venu, et que, durant ces deux mois d'été où la mer est si belle, ils fissent semblant de s'oublier les uns les autres? En vérité, l'inutilité de toute cette prose me confond.
Mais ce sont surtout nos chroniqueurs, nos échotiers--les professionnels de la fantaisie--qui me semblent falots, vus de si loin... Car eux non plus ne désarment pas. Ils ne consentent pas à cesser d'être spirituels un instant. Même à la campagne où ils se sont retirés--et feignent de vouloir qu'on les oublie--ils ont des mots «cruels» ou charmants que leurs amis rapportent diligemment, comme un butin précieux, aux gazettes, ou qu'eux-mêmes prennent soin d'y adresser. Et ces mots ne semblent plus drôles du tout... Ils ressemblent à ces coquillages qu'on voit au bord de la mer, sur lesquels l'humidité de l'eau fait chatoyer mille couleurs tendres et qui ont, dans l'instant où on les ramasse, une grâce étrange de joyaux vivants. Tirez-les, au bout de quelques jours, du filet ou de la poche où vous les avez mis. Ce sont de petites choses desséchées, sans couleur, et qui semblent mortes. Les «mots» que nous fabrique l'esprit parisien ressemblent à cela. C'est sur place qu'il les faut ramasser et qu'il en faut jouir. A distance, ils n'amusent plus; leurs couleurs s'éteignent, leur grâce semble fanée. Ce sont les coquillages de la plage parisienne; des coquillages qui, à cette époque-ci de l'année surtout, ne supportent point les déplacements.
Car il nous importe si peu qu'il y ait, à cinq ou six cents kilomètres d'ici, des hommes d'esprit! La mer nous procure une joie supérieure à toutes; en amusant nos yeux par l'incessante diversité de ses spectacles, elle nous ôte le goût, la volonté de penser; et c'est--au gré d'une force, implacable et très douce à la fois, qui le berce--comme un anéantissement délicieux de tout l'esprit.
Nous sommes ici, à l'heure de la marée basse, à l'heure du bain--à toutes les heures--quelques centaines de flâneurs qui goûtons cette joie et qu'a rassemblés sur cette petite plage lointaine un même besoin de fuir pour un instant le monde, de nous reposer de «l'esprit de Paris». Cette communauté de sentiment crée parmi nous des rapprochements inattendus, des amitiés éphémères, mais qui ont leur charme et leur prix. «Liaisons de plage.» J'ai entendu souvent des gens se moquer de ces liaisons-là. Et il est vrai que ce coin de grève où je passe mes journées est le centre d'un bien étrange assemblement de personnes. Les conditions sociales les plus diverses sont représentées là et fraternellement s'y coudoient, s'y mêlent... Je note: une famille de fonctionnaires, un peintre connu, les femmes et les enfants de deux industriels et d'un banquier parisiens, une cantatrice célèbre qui goûte en notre compagnie le réconfort de quelques semaines d'«embourgeoisement»... L'agrément de cette réunion a attiré vers nous une clientèle de jeunes gens dont la jovialité entretient autour de nous une atmosphère de bonne humeur un peu folle. Et, petit à petit, un courant de familiarité s'est établi. La continuité du contact incite à de vénielles audaces. On affuble de sobriquets les jeunes gens; les enfants, après huit jours de tennis, se tutoient. Nous formons une espèce de grande famille, improvisée on ne sait comment, qui se disloquera dans quelques jours. Et cette séparation, je le sens déjà, nous laissera au coeur une petite mélancolie.
N'avons-nous pas joui, en effet, durant ces journées si vite passées à ne rien faire, d'un des plus rares plaisirs que la vie offre aux hommes: celui de s'abandonner librement aux sympathies que crée le hasard des rencontres?
Toute l'année, des nécessités de métier, des préjugés, le souci de je ne sais quelles convenances familiales ou mondaines, nous ont interdit d'user de cette liberté-là, car nos amitiés sont soumises; dans l'ordinaire de l'existence, à un régime de discipline et de précautions qui ne souffre guère qu'on l'enfreigne... C'est le charme des vacances, justement, de rendre pour quelques semaines ces infractions possibles. Et il en résulte une infinie douceur de vivre. Nul souci des conditions et du rang: on a fui, pour se reposer, l'agitation des villes; on a ressenti, devant les prodigieuses beautés du ciel et de la mer, des émotions pareilles; en causant, on s'est aperçu qu'il y a un certain nombre de choses qu'on aime ou qu'on déteste de la même façon; on s'est rapproché; et voilà une amitié improvisée pour un mois, pour huit jours. Amitié nécessaire? Non. Solide? J'en doute. Désintéressée? Assurément. Et sont-elles si nombreuses, les amitiés où l'intérêt, l'habitude, le préjugé, la vanité, n'ont point de part et qu'a seule formées la fraternité spontanée de deux esprits, de deux coeurs, de deux caprices?
Ne médisons pas trop des «liaisons de plage».
Sonia.
S'il est, entre toutes les villes de Russie, une ville qui ait dû être déçue par la promulgation du manifeste impérial instituant la douma d'empire, c'est bien Moscou.
Aspirant tout à coup à reprendre son rang de capitale politique de l'empire, au point d'éveiller les susceptibilités de Saint-Pétersbourg, la capitale administrative, Moscou, a joué, dans le développement de la crise actuelle, le rôle le plus actif, le plus efficace. C'est là qu'est né, sous l'inspiration de M. Chipof, ancien maire de Moscou, tout ce mouvement des zemstvos qui a ému la bureaucratie et le gouvernement et précipité, évidemment, la décision impériale. Moscou est, et va demeurer pour longtemps, sans doute, la première citadelle du parlementarisme russe.
Les Moscovites sont si bien conscients de l'action qu'ils ont exercée; ils étaient si intimement persuadés qu'on leur rendait, au dehors, une justice entière, qu'ils n'avaient manifesté nulle surprise quand on leur avait annoncé que c'est du haut du Kremlin, de l'iconostase de cette cathédrale de l'Assomption où les tsars ceignent la lourde couronne bilobée, que serait promulguée «la Constitution». On leur avait fixé la date de cette cérémonie: le 30 juillet--12 août, jour anniversaire de la naissance de l'héritier impérial. On leur avait laissé espérer que le tsar, en personne, viendrait solennellement proclamer urbi et orbi, en ce lieu auguste, ses volontés. Puis, le 12 août avait passé sans rien réaliser de toutes ces espérances. Et Une semaine seulement, jour pour jour, après cette date tant attendue, le manifeste paraissait au Moniteur du gouvernement, sans éclats, sans fanfares. Le lendemain, il en était donné lecture, à la fin de l'office, dans la cathédrale de l'Assomption--comme par les popes dans chaque église des Russies--par le métropolite chargé d'or et de gemmes.
Mais la foule qui l'écoutait, recueillie, sans trop comprendre au juste, peut-être,--cette foule, en majeure partie, connaissait déjà et la proclamation et la loi qu'elle annonce. Elle était venue là surtout pour jouir de la pompe habituelle à ces offices solennels, du défilé des équipages amenant au Kremlin la phalange brillante des fonctionnaires, des officiers en uniformes de gala. Car tout ce qui sait lire avait longuement lu et relu, dès la veille, la parole impériale. Les voyageurs placides des tramways, les flâneurs désoeuvrés des jardins et des boulevards, les izvosztchiks sur leur petit siège bas, guettant le client à quelque coin de rue, tous penchés, attentifs, sur les pages blanches et noires des journaux, sur les larges feuilles vertes des télégrammes, avaient médité ce manifeste de Nicolas II, ces articles de loi, qui remplissaient quelques colonnes des gazettes et qui vont changer peut-être du tout au tout les destinées de la vieille, de la sainte Russie.
La Croix-Rouge au Japon.
Princesses japonaises apprenant à panser les blessés.
Depuis le commencement de la guerre russo-japonaise, nous avons publié de nombreuses gravures initiant nos lecteurs au fonctionnement des ambulances nippones dans les diverses phases d'une bataille. On sait que l'organisation de ce service a provoqué l'admiration de tous les officiers européens.
Au Japon même, on a surtout remarqué le rôle des femmes. Toutes se sont affiliées à la Croix-Rouge et, non contentes de travailler pour les soldats tombés en Mandchourie, les plus grandes dames ont tenu, comme leurs soeurs des autres pays en pareille circonstance, à soigner elles-mêmes les blessés des deux nations qui avaient été ramenés dans l'empire du mikado. En Russie, d'ailleurs, on avait constaté le même élan et, au début des hostilités, nous avons montré l'impératrice présidant elle-même l'ouvroir des dames de Saint-Pétersbourg.
La gravure que nous donnons aujourd'hui traduit, avec une éloquente et gracieuse simplicité, cet état d'âme des nobles japonaises. Dans un coin de parc, les princesses Nashimoto et Yorihito ont fait apporter un mannequin spécialement construit pour cet usage. Sous les yeux de la baronne Sannomiya, Anglaise d'origine, directrice de la Croix-Rouge, guidées par un vénérable docteur de leur pays, elles apprennent à panser les blessures que font les balles et les shrapnells. Et la grâce du tableau forme un contraste saisissant avec les scènes de tuerie qu'il évoque.
Les dvorniks (concierges) lisant le journal devant leur
porte.
Les izvosztchiks (cochers de fiacre) le lisant sur leur
siège.
Vendeur de journaux devant un tramway.
Sur les bancs des promenades publiques.
LA LECTURE DES JOURNAUX DANS LE PEUPLE
Photographie
prise à Moscou, sur un marché aux fruits, par notre correspondant.
Nous avons montré plus haut quelle impression avait produite, à Moscou, la publication du manifeste impérial annonçant l'institution d'une assemblée nationale, avec quel empressement on s'était jeté sur les feuilles où était reproduit ce document historique, et quel spectacle, assez inusité, avait offert toute une journée l'ancienne capitale des tsars, avec cette multitude de gens pressés de lire la proclamation impériale depuis si longtemps attendue. A quelques jours de là, un autre événement, non moins grand, non moins désiré, la conclusion de la paix avec le Japon, allait donner aux journaux russes l'occasion d'un gros tirage,--fait rare dans leurs annales. Et l'on put revoir, au seuil des maisons, aux carrefours, dans les petits marchés que tiennent, de place en place, les marchands ambulants, les mêmes scènes se reproduire, et les «lettrés» déchiffrant pour leurs camarades ignorants les gazettes, et leur apprenant, d'une Voix souvent mal assurée, l'émouvante nouvelle après laquelle soupirait depuis des mois la Russie entière.
L'éclipse à 1 h. 9 (ciel couvert).
L'éclipse à 1 h. 15 (ciel dégagé).
Boulevard des Italiens, sur un toit: le photographe
Gerschell prenant les deux images de l'éclipse.
Observation du phénomène réfléchi dans un seau.
Les agents en observation.
A travers son parapluie.
Les photographies scientifiques prises par les astronomes en Espagne ou en Tunisie, dans les régions de l'éclipse totale, n'ont pu nous parvenir encore. Mais nous pouvons du moins enregistrer, dès cette semaine, le succès de curiosité qu'a obtenu à Paris même l'éclipse partielle, dont toute la France a dû se contenter. C'était à l'heure du déjeuner, et les quartiers ouvriers, avec le va-et-vient qui les anime à ce moment, comme les boulevards et les rues du centre, où les flâneurs semblaient s'être donné rendez-vous avec les employés et les «midinettes» échappées de leurs, ateliers, ont présenté le spectacle le plus original. Les nuages s'étant écartés à la minute voulue, vers une heure, chacun cherchait à voir de son mieux le phénomène à sa façon, d'après les recettes de son journal, qui à travers de vieux clichés photographiques ou des verres fumés à la flamme d'une bougie et qui noircissaient les doigts, qui par des trous d'épingle percés au fond de son chapeau ou au travers d'une feuille de carton, tel fantaisiste ingénieux enfin à travers l'étoffe mince de son parapluie. Dans les restaurants soudain vidés, les tables demeuraient désertes. Mille petites scènes amusantes s'offraient, le long du trottoir, à l'observateur. Ce sont quelques-unes d'entre elles que L'Illustration, grâce à l'ubiquité et à la rapidité de ses services photographiques, peut offrir ici à ses lecteurs.
Contre la balustrade du Métro, place de l'Opéra. | Les balcons de la mode, rue de la Paix. |
Par un trou de son chapeau. | Les midinettes, rue de la Paix. | Un observateur attentif. |
M. Alexandre Bérard, sous-secrétaire d'État, dans son
cabinet de travail, avec M. Pierre Jouhannaud, son chef de cabinet.
Personne ne peut plus l'ignorer. Elle a fait trop de bruit. Les journaux sont remplis de doléances et de plaintes: public d'un côté, employés de l'autre se répondent en lamentations alternées, comme les strophes et les antistrophes du choeur antique. Ceux-ci sont surmenés, ceux-là sont mal servis. Le public y met plus d'acharnement que les employés, disposés en général à rendre hommage à la bienveillance particulière du sous-secrétaire d'État aux Postes et Télégraphes, M. Alexandre Bérard, et à mettre hors de discussion les bonnes intentions d'un chef qui a fait pour eux plus qu'aucun de ses prédécesseurs.
En somme, cette crise est périodique: elle se reproduit chaque année avec la saison des villégiatures. On donnait, l'autre jour, un exemple bien caractéristique de cette augmentation du trafic postal qu'apporte l'été: la receveuse d'une petite commune du Pas-de-Calais qui n'a, en hiver, que 1.500 habitants, a dû expédier, du 20 juillet au 20 août, 30.000 cartes postales illustrées--1.000 par jour! Le croirait-on: la carte postale illustrée, la malencontreuse carte, est à peu près la seule cause, la principale du moins, du mal dont on se plaint.
Sans doute, ce mal sévissait depuis quelques années déjà. Il est allé croissant. Le voici arrivé à l'état aigu, au moment où il faut impérieusement lui trouver un remède rapide.
Pourtant, à voir fonctionner, à la recette principale de Paris, si régulièrement, si parfaitement, les rouages délicats et compliqués dont l'ensemble compose le service postal, on s'étonne de toutes ces doléances qu'on a entendues. Mais, précisément, cet organe formidable est peut-être celui dont on ait le moins lieu de se plaindre. Sous la direction de M. G. Serres--qui fut naguère l'organisateur du service postal de l'Exposition de 1900, l'un des rares services de la foire du monde qui ait marché à souhait--la recette principale de Paris apparaît comme un modèle auquel on voudrait voir ressembler, toutes proportions gardées, pour la régularité, la ponctualité, le plus infime des bureaux de France. C'est ici qu'il faut venir pour se faire rapidement une idée, au moins sommaire, de l'organisation du service postal en France.
Le tri des sacs vides, au retour.
Une lettre jetée à la boîte, en un point quelconque, passe par trois phases principales: l'expédition, le transport, la distribution. Au point de vue de l'expédition des correspondances, les bureaux de Paris, sont classés en deux catégories: 1° bureaux à service restreint dits bureaux satellites; 2° bureaux de tri ou de transit dits bureaux de passe.
Au bureau, quel qu'il soit, sont centralisées les correspondances jetées dans ses boîtes mêmes et celles qui sont confiées aux boîtes de quartier, placées sur la voie publique. Il les traite de la même façon. Bureau satellite, il les sépare en quatre parts: 1° lettres pour Paris; 2° pour la banlieue parisienne; 3° pour les départements français; 4° pour l'étranger. Il forme ainsi quatre liasses insérées dans un même sac envoyé au bureau de passe. Celui-ci a donc à expédier ses propres lettres, plus celles des bureaux satellites de son rayon. Il a d'abord procédé pour ses correspondances à un classement identique à celui de ces bureaux. Il joint à chacune de ses quatre liasses à lui les liasses ayant mêmes destinations qui lui arrivent dans des sacs. Il achemine à son tour vers la recette principale, vers l'hôtel des Postes, les trois sacs collecteurs, appelés dépêches, qui contiennent les lettres pour Paris, la banlieue et l'étranger. Il garde les lettres pour les départements, car il est chargé d'en effectuer le tri et de les acheminer directement vers les gares, vers les bureaux ambulants qui les conduisent à destination.
En route vers le tri.
Donc, toutes les lettres pour Paris, la banlieue et l'étranger sont centralisées à l'hôtel des Postes. Dix fois le jour, de 7 h. 30 du matin à 10 h. 20 du soir, chaque bureau de passe les lui expédie. Ce service des transports, très important, est assuré, tant de bureau à bureau que des bureaux aux gares, par 123 tilburys, 70 fourgons à un cheval, 53 fourgons à deux chevaux et 12 automobiles. Tout ce matériel appartient à l'Administration. Un entrepreneur fournit les chevaux, les cochers et les chauffeurs, moyennant une indemnité de tant par kilomètre. Le crédit annuel qui lui est versé va aux environs de 1.400.000 francs.
Au départ des imprimés: Les journaux du samedi.
Entre deux tournées:
un coiffeur du «chauffoir».
Voici donc les correspondances centralisées à la recette principale, qui les joint à son tour à celles qu'elle a recueillies dans ses boîtes. Des services différents vont être chargés d'en assurer l'expédition ou la distribution.
Le service de la distribution dans Paris est, de tous, le plus vivant, le plus pittoresque. La photographie même donne une bien pâle idée de l'animation endiablée qui y règne pendant une demi-heure, de 6 h. 1/2 à 7 heures, pendant la période de préparation de la distribution du matin, la plus forte de la journée. Ce labeur précipité et silencieux, dans cette haute salle aux élégantes membrures de fer, est extraordinairement impressionnant.
Au point de vue de la distribution, Paris est divisé en deux zones: une, desservie par la recette principale, comprend le vieux Paris, les onze arrondissements du centre; la seconde, desservie par neuf bureaux centraux--un par arrondissement--comprend la zone annexée, la périphérie.
Le mess de l'hôtel des Postes.
Mais l'ancien Paris, lui-même, se subdivise en onze rayons ne présentant d'ailleurs aucune concordance avec les onze arrondissements, car on a cherché surtout, en vue de la bonne exécution du service, à égaliser autant que possible le travail entre les rayons. Ce sont, en somme, onze bureaux autonomes réunis dans le même établissement. A chacun correspond en quelque sorte une case, une division de l'immense hall. Toutes ces divisions sont semblables: une série de hauts casiers à parois de verre où les lettres, d'abord, au cours d'un premier tri à l'arrivée, classées par rayons, sont classées maintenant par quartiers comprenant chacun un certain nombre de rues et desservis chacun par quatre brigades de facteurs de lettres et trois de facteurs d'imprimés. Chaque facteur prend, dans les casiers de verre étiquetés, son lot de lettres qu'il classe à son tour sur une table, par rues, suivant son itinéraire. Au premier coup de 7 heures, c'est un hourvari terrible: «Ficelons! Ficelons! Dépêchons!» répètent les voix des chefs de service, et en un clin d'oeil la salle, si grouillante tout à l'heure, est vide. Tandis que les facteurs ont gagné les grands omnibus qui doivent les déposer chacun dans son quartier, le personnel qui reste à l'hôtel s'en va vers la petite cantine coopérative, ou vers le «chauffoir» où quelque facteur adroit, ancien coiffeur du régiment, rase pour un prix minime, coupe les cheveux des camarades. Et sept fois par jour la salle se remplit de nouveau, s'anime un moment du bruissement des papiers hâtivement maniés, puis retombe dans le silence.
Au service du départ, ce même travail de classement s'effectue en sens inverse. Le personnel des trieurs sépare les correspondances--lettres ou imprimés--par destination dans des casiers de verre tout pareils à ceux de la distribution, où les releveurs viennent les prendre pour les mettre dans des sacs et en former des dépêches. S'il s'agit de la province ou de l'étranger, on fera une dépêche de tout ce qui doit prendre la même direction, être confié au même ambulant. Par des glissières en spirale, sortes de toboggans traversant de haut en bas tout l'hôtel, on laisse descendre les dépêches bien closes et cachetées, et les employés préposés aux fourgons les recueillent au rez-de-chaussée.
Et un chiffre donnera une idée de ce mouvement de dépêches: 30.000 sacs environ sont manipulés chaque jour, déposés vides, puis triés dans la cour de l'hôtel, en un tas où se mêlent aux sacs gris du service français les sacs rayés ou bariolés des divers offices postaux du monde, enfin, remplis et réexpédiés. Le service des bureaux ambulants, qui fait circuler à travers la France, vers les frontières ou les paquebots, toutes ces lettres, tous ces plis, est l'un des plus pénibles qui soient et l'un des plus chargés.
Au pied des glissières: la dernière étape d'une lettre à la recette principale. |
A l'heure de la distribution: les omnibus des facteurs. |
A L'HOTEL DES POSTES DE PARIS: LE GRAND HALL, A L'HEURE
OU S'OPÈRE LE TRI POUR LA PREMIÈRE DISTRIBUTION DU MATIN.
Il faut avoir vu l'intérieur d'un de ces immenses wagons sans fenêtres, aux parois toutes couvertes de casiers, où se recommence, pour chaque point du trajet, l'opération du tri, pour se rendre compte à quel point doivent être rudes aux employés les douze ou quinze heures passées là.
Ils accomplissent leur besogne avec zèle et intelligence, et les correspondances acheminées sur les grandes lignes sont celles qui donnent le moins de sujets de plaintes. On s'étonnera toujours un peu de voir une lettre se rendre de Paris à Bordeaux ou à Marseille en moins de temps qu'une autre de Chantilly à Meudon. C'est que celle-ci, manipulée déjà au départ puis amenée à la gare du Nord, aura encore à subir, au bureau de tri de la gare Saint-Lazare, vers lequel elle sera dirigée, une autre manipulation, le tri définitif, qui l'amènera à bon port.
Evidemment, le service des postes, comme tant d'autres services publics, est perfectible. Le public est patient, l'Administration remplie de bon vouloir, le personnel appliqué à son devoir. Les incidents de ces derniers jours auront heureusement, espérons-le, rapproché la solution. Ils ont montré qu'il y avait, aussi bien du côté des employés que de la part de l'Administration, un égal désir d'aboutir à une amélioration dont tout le monde doit profiter. Souhaitons que cette crise, dont on s'est tant ému, procure enfin à M. Alexandre Bérard les crédits que lui-même réclame depuis si longtemps. Et ainsi il sera démontré une fois de plus qu'«à quelque chose malheur est bon.»
Le grand cloître, construit en marbre de Carrare
et
mesurant 200 mètres de longueur.
Nous avons reproduit récemment (29 octobre 1904) une série de photographies prises par M. Boyer d'Agen à l'intérieur d'un couvent de carmélites, ordre dont le cloître est justement considéré comme le plus inaccessible de tous les cloîtres. Notre collaborateur nous introduit aujourd'hui dans le monastère de la nouvelle Grande-Chartreuse. Plusieurs artistes avaient essayé déjà de nous représenter l'existence des disciples de Saint-Bruno; on possédait des photographies «inanimées» de certaines parties de leurs monastères. Mais celles que nous publions ici sont les premières qui aient surpris le chartreux lui-même dans son cloître et jusque dans sa cellule.
Vue générale de la Grande-Chartreuse de Farneta.
En quittant la France, les moines de la Grande-Chartreuse se partagèrent en deux groupes: l'un s'installa à Tarragone, en Espagne, où fonctionne aujourd'hui la distillerie jadis établie à Fourvoirie; l'autre, plus nombreux, comprenant le général de l'ordre, dom Michel II, se réfugiait provisoirement au Monte Oliveto, en Italie. Non loin de là, entre Pise et Florence, à 5 kilomètres de Lucques, la vieille chartreuse de Farneta restait abandonnée depuis l'époque où Bonaparte, après en avoir fait un hôtel de passage pour ses généraux, la donnait à la famille Bacciocchi qui se borna à cultiver aux alentours une olive considérée comme la plus délicate de la Péninsule. Les chartreux de France achetèrent l'immeuble avec ses dépendances et assurèrent, en quelques mois, la restauration de l'antique monastère presque entièrement construit en marbre de Carrare, dont les fameuses carrières sont toutes proches.
Le touriste qui s'acheminera vers cette nouvelle Grande-Chartreuse éprouvera des sensations différentes de celles que lui offrait la route à la fois sauvage et verdoyante du Désert. Nous sommes ici dans le doux pays de Toscane, à une vingtaine de kilomètres de Pise, en allant à Florence par Pistoie. De l'autre côté des remparts de la petite ville de Lucques, silencieuse et recueillie, la campagne est fertile et chaude; des villas nombreuses éclairent les massifs d'oliviers qui garnissent la montagne; et, bientôt, la chartreuse de Farneta étale sa blancheur de marbre que rend encore plus éclatante le voisinage des cyprès et des pins parasols.
Chartreux cultivant le jardin attenant à sa cellule. |
Un chartreux forgeron. (Chaque cellule comporte un atelier pour le métier que le Père a choisi.) |
Frère lai remettant la «sportule» (repas) au guichet de chaque cellule. |
Le réfectoire où les moines prennent en commun le repas de midi, le dimanche et les jours de fête. |
L'office dans la chapelle: le choeur des Pères. |
1. Rentrée en cellule.--2. Le «spacîment» ou promenade hebdomadaire. (Les Pères âgés portent un pliant. |
Nos gravures nous montrent le chartreux aux principales heures de son immuable journée. Tout d'abord le défilé silencieux sous le grand cloître pour se rendre à la chapelle où s'alignent les vagues silhouettes des moines, telles que le profane peut, chaque jour, les appercevoir de loin. Après la rentrée dans la cellule, impénétrable aux étrangers, voici les religieux se distrayant des longues méditations par une heure ou deux de travail manuel. Parfois le visiteur rencontre le Frère lai chargé de porter à chaque Père son maigre repas; mais l'entrée du réfectoire reste interdite à l'heure où la communauté s'y rassemble pour le repas du dimanche. Et c'est seulement le jour de la promenade hebdomadaire que nous pourrons rencontrer sur la route, et saluer d'un bonjour auquel il leur est permis de répondre, les disciples de Saint-Bruno arrachés un instant à leur cloître et à leur silence.
Le chapitre général a récemment défini le monastère de Farneta Grande-Chartreuse, c'est-à-dire maison mère de toutes les chartreuses existantes; et c'est encore un Français, dom Herbault, qui a remplacé dom Michel, prieur général de l'ordre, lequel, malgré les fatigues physiques et morales résultant de si dures épreuves, ne voulut point quitter son poste avant d'avoir donné un nouvel abri à sa chère communauté.
Les nègres de Missoum-Missoum célèbrent par des danses
l'arrivée des Français.
Le courrier du Congo vient de nous apporter quelques documents sur la rencontre qui eut lieu, le 9 mai dernier, entre les troupes allemandes au service de la Compagnie du Sud-Cameroun et les miliciens du Congo français, rencontre qui fit, parmi ces derniers, cinq victimes: quatre morts et un blessé.
La carte ci-dessous nous fera comprendre l'origine du conflit. La frontière entre le Cameroun et le Congo français sépare en même temps les territoires exploités par la Société du Sud-Cameroun de la concession de 60.000 kilomètres carrés accordée, dans le Congo français, à la Compagnie N'Goko Sangha, et qui s'étend entre le 9e et le 14e degré de longitude est. Or, la détermination de cette frontière est encore incomplète.
Carte de la région de Missoum-Missoum, montrant les
régions de la concession de la Compagnie française
N'Goko Sangha, successivement évacuées par la
Compagnie allemande du Sud-Cameroun.
En 1901-1902, une commission, où la France était représentée par le docteur Cureau, a fixé au 2°10'20" un parallèle antérieurement prévu comme base de délimitation. Elle a, ensuite, établi la frontière à partir des rapides de Chollet, sur la rivière N'Goko, jusqu'à la rivière Sangha. Aucune ratification n'est encore intervenue, le gouvernement allemand ayant soulevé des objections pour la partie qui touche la Sangha; toutefois, le caractère restreint de ces protestations semble prouver que les deux parties admettent le parallèle 2°10'20" comme frontière entre un point situé à l'est de la N'Goko et l'océan Atlantique, soit sur une longueur d'environ 500 kilomètres.
Mais, jusqu'ici, aucune mission officielle n'a repéré sur le terrain, par rapport à cette ligne purement astronomique, les villages ou les points saillants qui s'en trouvent rapprochés. Les diverses cartes existantes présentent souvent des indications contradictoires; aucune, d'ailleurs, ne saurait, en l'absence d'un accord précis, faire loi diplomatiquement.
Une telle situation devait provoquer des difficultés continuelles entre les deux Compagnies voisines. A en croire la N'Goko Sangha, dont les dires paraissent appuyés de documents sérieux, la Société du Cameroun s'était attribué un morceau important du territoire français. Depuis trois ans, nos compatriotes l'obligeaient à reculer peu à peu, en opposant, aux incertitudes et aux erreurs des cartes, des observations astronomiques partielles dont les agents du Sud-Cameroun pouvaient aisément contrôler l'exactitude. Il est, en effet, aussi facile de déterminer la position exacte d'un village que de relever le point sur un navire; l'opération est identique. Ces restitutions forcées, quoique légitimes, dont notre croquis fait ressortir l'importance, ont, sans doute, exaspéré ceux qui s'y voyaient contraints.
Le 10 février dernier, la chaloupe Madeleine, de la N'Goko Sangha, remontant la N'Goko, dont la navigation est libre, est arrêtée au poste allemand de Moloudou où l'on confisque une partie du chargement, alors qu'aucun règlement douanier n'autorisait cette mesure.
Le sergent Maïssa-Coumba, chef du poste de
Missoum-Missoum, où il fut tué. (Debout
entre M.
Karmel et l'administrateur Dupont.)
Quelques semaines plus tard, la Compagnie française revendiquait le village de Missoum-Missoum, auquel on assigne trois positions différentes, indiquées sur notre carte, mais qui, d'après un relevé opéré en 1904 par le lieutenant français Braun, se trouve incontestablement à 4 ou 5 kilomètres au sud de la frontière, par conséquent en territoire français. La Compagnie Sud-Cameroun aurait pris l'engagement d'évacuer, pour le 9 mai, la factorerie qu'elle possédait à 500 mètres au nord du village. En attendant, la Compagnie N'Goko Sangha installait dans le village même un poste de miliciens dont les indigènes célébrèrent l'arrivée par des danses... en grand costume, comme le montre notre gravure.
Le 9 mai, au petit jour, un groupe de soldats allemands, qui s'étaient avancés en se dissimulant dans la brousse, envahissent le poste français, sous les ordres du capitaine Schoenemann, tuant quatre hommes, dont le sergent Maïssa-Coumba, chef de poste, représenté ci-dessus entre M. Dupont, administrateur français, et M. Karmel, agent de la Compagnie N'Goko Sangha. En outre, un cinquième milicien était sérieusement blessé.
D'après l'officier allemand, c'est notre sous-officier qui tira le premier. D'après le rapport de l'agent français, Maïssa, en luttant contre les soldats qui s'étaient jetés sur lui, fit partir son fusil dont la balle frappa la terre, et, aussitôt, le capitaine Schonemann commanda le feu. Cette version paraît plus vraisemblable, car on ne signale aucun mort ni blessé du côté allemand, alors qu'il y eut, du côté français, quatre morts et un blessé.
Quoi qu'il en soit, ces faits regrettables constituent moins un incident international, dans le sens politique du mot, qu'un incident privé de cette vie coloniale où les différences de nationalité, l'influence du soleil et la puissance des Compagnies concessionnaires contribuent si souvent à augmenter, dans une mesure peu fréquente en pays civilisé, l'âpreté de la lutte pour la vie.
Une factorerie de la Compagnie N'Goko Sangha. |
La chaloupe française Madeleine, qui fut arrêtée par les Allemands. |
LE PREMIER TRONÇON DU TUNNEL DESTINÉ AU PASSAGE DU
MÉTROPOLITAIN SOUS LA SEINE
Arrivée du «caisson» près du pont au Change, en amont duquel il doit être immergé et logé sous le lit du grand bras de la Seine.
Les Parisiens qui, vendredi dernier, vers 5 heures du matin, suivaient les quais de la Seine entre le pont de Solférino et le pont au Change ont joui d'un spectacle peu banal. Tandis que de nombreux agents cyclistes couraient d'un pont à l'autre au milieu d'automobiles dont les allées et venues accentuaient cette animation insolite, la navigation était complètement interrompue. Seul, un immense coffre en fer glissait sur l'eau entre deux remorqueurs chargés l'un de le traîner, l'autre d'assurer sa direction. Comme le montre notre gravure, cette masse puissante mais peu élégante jetait dans le décor pittoresque et endormi de la Seine une note étrange. De la berge du pont de Solférino, où il fut construit, on amenait, au point du fleuve où il va être immergé, puis «foncé», le premier des cinq caissons devant former le tunnel qui permettra à une prochaine ligne du Métropolitain de passer sous les deux bras de la Seine.
Cette ligne relie la porte de Clignancourt à la porte d'Orléans, en touchant les gares du Nord et de l'Est et en desservant les Halles, la Cité, le boulevard Saint-Germain, la rue de Rennes et la gare Montparnasse. Elle atteint la Seine en débouchant de la place du Châtelet, un peu en amont du pont au Change, et traverse en biais les deux bras du fleuve dans la direction de la place Saint-Michel.
C'est la première fois que l'on procédera de cette façon pour passer sous une rivière. Jusqu'ici on avait coutume d'avancer directement sous l'eau au moyen du bouclier. En raison des dimensions nécessaires pour placer les deux voies dans un même tunnel, ce mode d'exécution n'a point paru offrir une sécurité assez grande, et les ingénieurs ont préféré inaugurer la solution du problème par l'emploi des caissons foncés verticalement avec emploi d'air comprimé.
Le caisson que représente notre gravure mesure les dimensions suivantes: longueur, 36 mètres; hauteur, 9 mètres; largeur extérieure, 9 m. 60; largeur intérieure, 7 m. 30. Il pèse 280 tonnes.
Deux autres caissons, de longueur un peu différente, formeront, avec celui-ci, un tunnel courbe de 120 mètres de longueur, ayant un rayon de 350 mètres, dans lequel on franchira le grand bras du fleuve; le tunnel du petit bras, rectiligne, sera formé par deux caissons donnant une longueur de 60 mètres.
Le cuvelage, ou revêtement intérieur du caisson, en fonte, a une épaisseur de 4 centimètres avec nervures en saillie de 12 centimètres. A l'intérieur, il est garni d'un enduit imperméable; à l'extérieur, il est hérissé d'une armature destinée à fixer le béton que l'on coulera tout autour, enveloppant ainsi la fonte d'un revêtement de béton armé qui aura 90 centimètres d'épaisseur à la clé. La paroi extérieure, en acier, interrompue au dossier du niveau des naissances du cintre, n'a d'autre objet que de former un compartiment étanche pour le coulage du béton jusqu'au point où le caisson sortira de l'eau quand il reposera sur le fond de la Seine.
Dans quelques jours, ce caisson, qui plonge actuellement sur environ 2 m. 30, sera lesté de manière à toucher le fond de la Seine qui se trouve à 5 mètres du niveau normal. Il émergera donc, encore, d'environ 4 mètres. On procédera, alors, au bétonnage en ménageant plusieurs cheminées pour le travail ultérieur de fonçage. Le cuirassement terminé, on enfoncera cette énorme masse sous le lit de la Seine par le procédé classique de l'air comprimé. Comme on compte laisser un intervalle d'un mètre entre la clé de voûte et le fond de l'eau, on devra donc creuser jusqu'à une dizaine de mètres.
Ce travail, qui ne présente dans sa dernière période aucune difficulté technique particulière, demande une précision de calculs et une sûreté d'exécution absolues. L'opération de la mise à l'eau et du transport, en apparence si simple, était déjà fort délicate. Préparée et dirigée par M. Bienvenue, ingénieur en chef du service du Métropolitain, et M. Locherer, ingénieur en chef adjoint, elle s'est effectuée sans le plus léger accroc. Une huitaine de jours ont été consacrés à l'établissement de glissières que des scaphandriers ont assujetties au fond de l'eau. Le 25 août, à 4 h. 35 du matin, le caisson, mis à l'eau la veille, commençait à s'éloigner du pont de Solférino; il s'arrêtait à 6 heures près du pont au Change.
Nous pouvons avoir assez de confiance en nos ingénieurs pour ne pas craindre de voir un jour la Seine tomber dans le Métro.
Les meurtriers du commandant de Cuverville, notre attaché
naval à Port-Arthur.
Le mystère qui enveloppait la mort du malheureux commandant de Cuverville, notre attaché naval à l'ambassade de Saint-Pétersbourg, envoyé à Port-Arthur pour y suivre les opérations de guerre, s'est éclairci à la suite de l'arrestation de trois de ses assassins.
On se rappelle que le commandant de Cuverville avait quitté, le 17 août 1904, la place assiégée, en compagnie de l'attaché naval allemand, M. de Gilgenheim, et d'un officier lusse. Ils s'étaient embarqués à la baie du Pigeon à destination de Tché-Fou, sur une jonque chinoise qui battait pavillon français. Jamais ils n'arrivèrent au port, et toutes les recherches faites pour les retrouver, aussi bien par la marine allemande que par la marine française, demeurèrent infructueuses. En janvier suivant seulement, les autorités chinoises signalèrent qu'elles avaient mis la main sur la jonque que montaient les disparus. Elles firent arrêter le patron de cette embarcation et deux des hommes de l'équipage; deux autres ont jusqu'ici échappé à toutes les poursuites. Emprisonnés d'abord à Tché-Fou, puis à Fu-San-Chien, le centre judiciaire auquel ressortit Tché-Fou, le patron Yuc-Chich-Yen et les deux matelots Chang-Yen-Ga et Li-Chang-Fat, savamment bâtonnés et torturés, ont fini par confesser leur crime: les trois officiers furent tués à coups de hache pendant leur sommeil et leurs cadavres jetés à la mer. Après quoi, on se partagea ce qu'ils avaient. Quelques-uns de leurs bijoux ont été retrouvés. Mais l'enquête se poursuit encore, les trois assassins n'avouant la vérité que par bribes. Et puis, des accusations graves ont été portées contre les Japonais. On s'efforce de faire sur ce point la lumière.
Quelle peut bien être la valeur marchandé d'un coeur humain? Il ne s'agit pas de la somme qu'une personne indélicate peut devoir à une autre, du sexe opposé--et plutôt du sexe faible--en Angleterre ou en Amérique, pour avoir brisé cet organe au sens figuré du mot: il s'agit de la valeur de l'organe même. Une annonce a récemment paru dans un journal de New-York, par laquelle une personne met en vente son coeur, après sa mort. Il faut dire que cette personne en a deux, et elle voudrait tirer quelque argent de cette malformation, de son vivant, en cédant ses coeurs à qui voudra en prendre livraison après sa mort. Ce possesseur de deux coeurs est un charpentier de l'État de New-York, âgé de trente-cinq ans, et pourvu d'une santé satisfaisante. Il mène une vie active et laborieuse. Il y a deux ans, son médecin lui a découvert l'anomalie dont il cherche maintenant à tirer profit. On raconte qu'un spécialiste a offert 50.000 francs au charpentier, pour le privilège de lui enlever un de ses coeurs; mais, sagement, le charpentier a refusé. Il n'avait pas confiance! D'autres personnes lui ont offert, à ce qu'il prétend, de grosses sommes pour son corps, après décès. Ceci lui plaît davantage, mais il veut obtenir le meilleur prix, et c'est pourquoi il se met aux enchères post mortem. Il a un émule. C'est un Bâlois qui, lui, aurait déjà trouvé acquéreur: l'Académie de médecine de Londres lui aurait retenu sa dépouille pour l'honorable somme de 75.000 francs. Quel prix l'Américain obtiendra-t-il? Nous ne savons; mais il ne peut décemment se vendre au rabais. De toute façon, le prix d'un coeur--ou plutôt de deux coeurs--est élevé: le tarif actuel ne permet pas d'en acquérir dans des conditions médiocres.
UN SOUVENIR DE l'ATTENTAT DE LA RUE DE ROHAN
Le roi Alphonse XIII va recevoir ces jours-ci un original cadeau. Le propriétaire d'une de nos plus grandes tanneries, M. Lepage, de Segré, ayant acheté les peaux des deux chevaux tués par la bombe de la rue de Rohan, l'un appartenant au capitaine Schneider et l'autre à un garde républicain, les a transformées, grâce à un tannage spécial, en deux étranges tapis qui, pour être neufs, n'en sont pas moins criblés de trous. Bien que le protocole des cours s'oppose à la réception de cadeaux faits par un simple particulier, le roi a déclaré qu'il acceptait les deux tapis, en raison de l'événement, qu'ils lui rappelaient.
Un pont de 3 kilomètres sur le fleuve Jaune,
pour le chemin de fer de Péking à Hankow.
Le pont, d'apparence fort peu chinoise, que représentent nos gravures a été lancé dernièrement sur le fleuve Jaune. Le chemin de fer de Péking à Hankow se trouve ainsi terminé, et ses 250 derniers kilomètres seront livrés à l'exploitation à la fin de septembre, complétant une ligne de 1.250 kilomètres, soit, à peu près, la distance de Paris à Gênes.
Ce pont mesure une longueur totale de 3.010 mètres. Il comprend 50 travées de 31 mètres et 52 travées de 21 mètres. Les fondations des piles sont faites en pieux à vis enfoncés, en moyenne, de 16 mètres dans le sable. (Le pieu à vis est un tube métallique extérieurement muni d'ailettes que l'on enfonce par rotation dans les terrains sablonneux où son emploi est préféré à celui de l'antique pilotis enfoncé par battage.) La fourniture métallique a été partagée entre l'industrie française et l'industrie belge. Les chantiers, éclairés à l'électricité, étaient en activité jour et nuit.
Voici, certes, l'une des fêtes locales les plus curieuses qui existent en Angleterre: à Dumnow, un usage, d'une très ancienne origine, veut que, chaque année, l'on décerne la «flèche de lard» à ceux des ménages concurrents qui n'ont jamais eu de dispute depuis le mariage et qui, depuis un an et un jour, n'ont pas pensé de mal l'un de l'autre.
Le jugement qui prononce sur les mérites des candidats est rendu, dans une cour d'amour, par un juge en robe rouge, assisté de six jeunes gens et de six jeunes filles, après plaidoiries contradictoires de l'avocat des candidats et de l'avocat du lard. Le mois dernier, la cour de Dumnow a décerné deux flèches, la première au pasteur Jenkins et à Mrs. Jenkins; la seconde aux époux Noakes, de Ludlow.
Détail curieux: le révérend Jenkins, l'un des heureux bénéficiaires de la «flèche de lard», était végétarien.
UNE CURIEUSE COUTUME ANGLAISE.
--Deux couples bien unis à
qui a été décernée la «flèche de lard».
Les pièces de monnaie et les billets de banque devraient attirer l'attention des hygiénistes, car nul objet plus que ceux-là ne passe de main en main, et surtout de poche en poche, quand ce n'est pas même de bouche en bouche, après un contact intimé avec le mouchoir ou la salive, ces deux réceptacles de microbes dangereux, parmi lesquels celui de la tuberculose se rencontre si fréquemment.
Il est même stupéfiant de noter avec quelle indifférence des mains délicates, qui se gantent couramment pour éviter les contacts suspects, manient les pièces de monnaie et des billets de banque, souvent plus crasseux que des chiffons qu'on ne prendrait qu'avec des pincettes. Il semble que la valeur représentative de ces objets les purifie ou les immunise contre les microbes, véhicules de la contagion.
A priori, on pourrait affirmer que les billets, surtout quand ils sont un peu vieux, sont recouverts de nombreux microbes.
Deux bactériologistes de New-York, MM. Darlington et Park, ont d'ailleurs vérifié le fait expérimentalement: sur un billet modérément propre, ils ont compté 1.250 bactéries, et sur des billets sales, ils en ont trouvé jusqu'à 73.000.
Les pièces de monnaie sont beaucoup moins «microbifères». Le nombre des microbes qu'on peut recueillir à leur surface peut ne pas dépasser de 25 à 50. Il semble que les métaux, par l'action dissolvante de l'humidité, soient peu favorables à la vie des microbes.
Au contraire, les billets de banque les conservent virulents, pendant très longtemps, à leur surface,
L'argent n'a pas d'odeur, a-t-on dit au figuré. Matériellement, on le manie comme s'il était toujours propre.
Nous recevons d'un de nos abonnés, M. de Richemond, archiviste départemental de la Charente-Inférieure, des renseignements concernant les ascendants de M. William Bouguereau, qui complètent d'intéressante façon la biographie de l'artiste et que personne, que nous sachions, n'a publiés encore.
La famille Bouguereau est connue à la Rochelle depuis 1523, époque à laquelle vivait Jehan Bouguereau, marchand et bourgeois. Un Jean-Massé Bouguereau, marchand orfèvre, eut une fille, Marie, qui épousa, en 1624, Jehan de Layzement, aussi orfèvre, dont un fils, pasteur à la Rochelle, suivit ses collègues dans l'exil en 1685, et un fils, Jean-Massé Bouguereau, né en 1603, orfèvre et officier de la Monnaie.
Les descendants ou les alliés de la famille Bouguereau embrassent généralement cette même profession d'orfèvres ou appartiennent au clergé protestant.
En 1676 naît un Jehan Bouguereau, qui, plus tard, orfèvre et essayeur de la Monnaie, épousera Marie-Madelaine Seignette. Elle lui donna un fils, Jean-Elie, maître monnayeur, qui, de son mariage avec Suzanne-Louise Le Page, eut dix enfants, dont huit filles. Des deux fils de ceux-ci l'un, l'aîné de toute la famille, Samuel-Elie, abjura le protestantisme et fut professeur d'anglais au collège de la Rochelle.
Il eut à son tour huit enfants, dont l'aîné, Elie-Sulpice-Théodore, fut père du peintre. Un autre des fils de Samuel-Elie, Jean-Baptiste-Eugène, né le 25 août 1811 et décédé le 28 mars 1893, entra dans les ordres et fut successivement vicaire, puis curé à Rochefort (1846) et se distingua pendant une épidémie de choléra. Il fut nommé chanoine honoraire en 1860. Ce fut lui, comme on sait, qui éleva M. William Bouguereau. Mais la mère de l'artiste, née Marie-Marguerite Bonnin, qui mourut à Paris en 1896, à l'âge de quatre-vingt-dix ans, était protestante.
Comme toutes les bonnes vieilles familles bourgeoises, les Bouguereau ont des armoiries; ils portent: d'azur à une croix d'or chargée de cinq roses de gueules. Ce blason figure au Cabinet des titres, 399. Bibliothèque nationale, Charles d'Hozier, manuscrit 56, pages 277-278.
Plaquette qui fut offerte, le 26 octobre 1901, à M.
Ernest Cronier,
«à l'apogée de sa carrière industrielle», par la Société
Say et le personnel
des raffineries et sucreries.
La crise des magasins du Printemps, qui avait eu sa cause première dans les spéculations malheureuses sur les sucres faites par M. Jules Jaluzot, vient de se dénouer heureusement. Lundi dernier, l'assemblée générale des actionnaires, réunie à la salle des Ingénieurs civils, rue Blanche, a reçu et accepté la démission donnée par M. Jules Jaluzot de ses fonctions de gérant statutaire de la Société; elle lui a accordé quitus de sa gestion. Enfin, elle a élu comme gérant, à sa place, M. Gustave Laguionie, de la maison Laguionie et Anfrie, membre de la Chambre de commerce de Paris. M. Laguionie est essentiellement ce qu'on appelle un fils de ses oeuvres. Né à Lanouaille (Dordogne), il a conquis de haute lutte, à force de travail et d'énergie, la grosse situation commerciale qu'il occupe. Il avait déjà fait partie du personnel du Printemps. Il y débutait comme petit employé en 1866. Rapidement, il était devenu chef de rayon à la soierie, puis, en fin de compte, fondé de pouvoir de M. Jaluzot. En 1883, il s'était associé à une grande maison de soieries qui devint par la suite la maison G. Laguionie et A. Anfrie.
M. Laguionie, le nouveau directeur du
Printemps.
Ce même jour où la perte de M. Jaluzot était consommée on apprenait que la spéculation venait de faire une nouvelle victime,--et il n'est malheureusement pas certain que ce soit la dernière!
Dans la nuit de samedi à dimanche, M. Ernest Cronier, président du conseil d'administration de la Raffinerie Say, se tuait dans son cabinet de toilette, d'une balle au coeur, après avoir, tant il était décidé à mourir, absorbé du cyanure de potassium.
Comme M. Jaluzot, M. Cronier avait joué sur les sucres, --joué et perdu des sommes considérables qu'il est difficile de chiffrer exactement, mais qu'on a évaluées aux environs de 100 millions. Il était le liquidateur de la succession de M. Henry Say, et la majeure partie de la fortune des héritiers Say serait, à ce qu'on assure, engloutie dans la catastrophe.
Cependant M. Ernest Cronier jouissait de la confiance, de l'estime, de l'affection générales. Le 26 octobre 1901, les administrateurs de la Société des Raffineries Say, tout le personnel des usines, offraient à leur président, arrivé «à l'apogée de sa carrière», disait la dédicace d'une photographie qui lui fut remise, une double plaquette en or et en argent due au médailleur M. O. Roty, et qui n'est d'ailleurs pas son chef-d'oeuvre. On entendait fêter l'homme qui avait conduit la maison Say à la victoire à l'Exposition de 1900, le philanthrope qui avait secondé M. Henry Say dans la fondation des oeuvres d'assistance en faveur des employés et ouvriers des usines. Et les devises modelées par M. Roty aux deux faces de son oeuvre célébraient la Prévoyance, la Solidarité, et aussi l'Initiative, la Justice et la Bonté. Enfin le maître graveur avait repris, au bas de l'allégorie où la Reconnaissance apportait des fleurs à M. Cronier, une phrase appliquée par M. Henry Say à son collaborateur: «...Son génie n'a d'autre rival que son coeur...» Hélas!... comme dit le grand tragique grec: «Ne proclame jamais un homme heureux qu'après sa mort...»
L'assemblée extraordinaire des actionnaires du Printemps,
le 28 août.
M. Ernest Cronier.--Phot. Nadar.
La création, aux Arènes de Béziers, des Hérétiques, opéra en trois actes de M. Ch. Levadé sur un poème de M. A. Ferdinand-Hérold, a été l'événement artistique de la huitaine. Deux représentations en ont été données, les 27 et 29 août. Elles ont été extrêmement brillantes.
La partition de M. Ch. Levadé est pleine de couleur et de vie, tour à tour attendrie, émouvante, et atteint à une grande énergie dans les passages dramatiques. Devant un public où la critique parisienne, si exigeante, si raffinée, se mêlait à une foule passionnée de musique, elle a obtenu un très franc succès.
Le fragment que nous publions dans notre supplément musical: Loin du monde impur, est l'air que chante, à son apparition en scène, Bellissenda, femme de Roger, comte de Béziers, le héros du drame.
Un Air de Ballet pour piano complète notre supplément musical. Il est de M. Henry Eymieu, élève de Widor, fondateur de la Société de Musique nouvelle, si accueillante aux jeunes compositeurs. Ce morceau est tiré de la Légende du Ménétrier, pièce en quatre actes, en vers, de M. Jacques Roullet, que le théâtre Molière a représentée la saison dernière. M. Henry Eymieu avait écrit pour cette oeuvre une musique de scène d'une jolie couleur, attendrie et mélancolique.
UN ÉLÉPHANT QUI TUE SON GARDIEN
L'éléphant Saïd, le plus imposant des pensionnaires du Jardin des Plantes, vient de se rendre, mercredi dernier, coupable d'un meurtre: il a tué son gardien, Neff.
L'éléphant Saïd et sa victime, le gardien Neff.
Saïd est depuis vingt ans au Jardin des Plantes. C'est un éléphant d'Afrique superbe. Neff l'avait élevé et, de longues années, l'homme et la bête avaient fait un excellent ménage. Mais, en vieillissant, Saïd était devenu difficile de caractère. A diverses reprises, des scènes avaient eu lieu entre Neff et lui. Si bien qu'on avait défendu au gardien d'entrer dans la rotonde où était son pensionnaire, son ancien ami. Comment? pourquoi enfreignit-il, mercredi, cette consigne?
Quand les collègues de Neff accoururent à ses cris, l'éléphant l'avait saisi de sa trompe par la taille, jeté à terre, puis broyé contre la grille de l'enclos. Il ne relevèrent plus, après avoir détourné l'attention de Saïd, qu'un cadavre tuméfié, horrible. Tout le drame n'avait pas duré deux minutes.
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Les inventeurs ont toujours rencontré d'assez grandes difficultés lorsqu'ils ont voulu produire l'incandescence des manchons Auer dans les becs à flamme renversée. Ces difficultés tiennent soit à la position de l'injecteur surmontant le brûleur, soit à la forme du conduit en col de cygne, quand l'injecteur occupe une position latérale par rapport au brûleur.
En effet, dans le premier cas, l'injecteur placé directement au-dessus du brûleur ne peut recevoir que de l'air plus ou moins chaud contenant de l'acide carbonique; dans le second cas, la forme en col de cygne du conduit ne se prête pas au mélange parfait des deux fluides. En outre, dans les deux cas, il ne se produit pas de brassage rendant intime les mélanges des deux éléments, de sorte que le pouvoir lumineux du manchon laisse beaucoup à désirer. L'influence de ce brassage est bien plus considérable qu'on ne serait tenté de le croire et peut varier du simple au double l'intensité de la lumière produite.
Le nouveau bec intensif brûlant à flamme renversée, représenté dans le dessin ci-joint, se caractérise essentiellement par la disposition à angle droit du conduit du brûleur par rapport au conduit d'arrivée du mélange.
Le conduit du brûleur forme chambre d'angle à l'endroit de son coude d'assemblage et présente un orifice de sortie conique.
Ceci posé, voici quel est le fonctionnement de ce bec: le gaz d'éclairage et l'air passant par l'injecteur Bunsen sont entraînés d'abord ensemble dans le conduit de la manière ordinaire; mais, en arrivant dans le coude, la veine fluide en mouvement se brise contre la paroi verticale qu'elle rencontre et tourbillonne dans la chambre d'angle, de sorte que les deux éléments brassés dans cette chambre et dans le conduit du brûleur arrivent à celui-ci sous la forme d'un mélange tout à fait intime.
Au sortir du bec, le mélange brûle en crépitant et en produisant une flamme bleue, ce que l'on n'obtient pas avec les autres becs renversés.
Il va sans dire que le diamètre du conduit d'arrivée doit être proportionné au débit de gaz.
Le Bunsen peut être placé soit horizontalement, soit verticalement. Dans ce dernier cas, le conduit du brûleur est coudé un peu au-dessus du Bunsen pour continuer ensuite à angle droit sa jonction avec le conduit d'arrivée du mélange.
Ce bec intensif ne noircit pas les manchons et ne produit pas de retours de flamme.
Des rendements photométriques ayant été faits dans plusieurs laboratoires ont donné, d'après l'inventeur, des résultats supérieurs à tous les autres becs renversés connus.
Citons des exemples:
Le bec nº 1 dépense 44 Litres pour un pouvoir éclairant de 40 bougies nº 2 -- 68 -- 65 -- nº 3 -- 95 -- 95 -- nº 4 -- 140 -- 130 --
La suppression des ombres que donnent les becs droits procure encore un avantage lumineux appréciable. Ces becs brûlent très bien à partir de 15 millimètres de pression, résultat non obtenu jusqu'à présent avec les becs renversés ordinaires.
Pour se procurer ces appareils, s'adresser à M. Compin, 57, rue du Cherche-Midi, Paris.
Les plioirs employés jusqu'à présent sont constitués soit par un morceau de roseau, soit plus généralement par une petite planchette en bois; ils présentent tous l'inconvénient de couper la ligne en crin ou en racine de Florence, d'abord par leurs angles vifs et ensuite lorsque la ligne sèche sur le plioir, le crin se rétrécit et exerce une traction souvent considérable sur les fibres du bois.
En outre, ces plioirs ont le défaut de conserver l'humidité de la ligne appliquée contre la planchette, ce qui en empêche le séchage rapide et facilite leur mise hors service.
Le plioir métallique représenté par notre gravure a pour but et pour effet d'obvier à ces inconvénients; il est formé d'un fil de métal disposé de manière à ce que l'ensemble présente une élasticité suffisante pour céder sous l'action exercée par la tension de la ligne. Ce plioir offre l'avantage de sécher rapidement la ligne qui se conserve ainsi plus longtemps en bon état. D'autre part, la ligne étant enroulée sur des parties rondes, ne se coupe pas comme sur les angles vifs de la planchette constituant les plioirs ordinaires.
Tous ces avantages, qui seront appréciés par les pêcheurs soigneux, feront préférer ce plioir métallique au plioir en bois, d'autant plus que son prix n'est pas sensiblement plus élevé.
Il se fait de plusieurs formes et de différentes dimensions et se vend de 1 fr. 20 à 1 fr. 60 la douzaine (longueur de 0m,14 à 0m,20) et 1 fr. 45 assorti.
Ce plioir se trouve au détail chez M. Mérat, 63, rue Oberkampf, Paris. Pour la vente en gros de cet objet, ainsi que des vérons secs et montures décrits dans L'Illustration du 22 juillet dernier, s'adresser à M. Robillard, fabricant d'articles de pêche, 25, rue Notre-Dame-de-Nazareth, Paris.
Suppléments de ce numéro:
1° Quatre pages tirées à part sur la Coupe des Pyrénées. (Ci-après.)
2° Supplément musical contenant un fragment
des «Hérétiques». (Ce supplément ne nous a pas été fourni.)
PASSAGE DES CONCURRENTS AU PIED DE LA VILLA DU POÈTE
EDMOND ROSTAND
Photographie prise au pont Aguara, entre Cambo et
Larressore, par G. Ouvrard.]
On sait que M. Edmond Rostand s'est choisi un asile charmant à Cambo-les-Bains, au pays basque. Sa villa, toute neuve, claire et gaie, domine une route à flanc de colline, où ont passé les concurrents de la Coupe des Pyrénées. Si bien que l'auteur de Cyrano, sa famille et ses amis ont pu suivre un moment, de la terrasse même de l'élégant château moderne, les péripéties de cette belle épreuve sportive.
M. Maurice Sarraut, directeur des services parisiens de
la Dépêche de Toulouse, organisateur de la «Coupe des Pyrénées».
M. J. Caubère de la «Dépêche». M. de Perrodil. M. Arnoux La voiture du contrôle. |
Cap. Gentil. M. Tampier. Ct. Ferrus. M. Sorel. Le
maharajah. M. Arnoux. M. Lumet. Le vainqueur (M. Sorel) et le jury de la Coupe. |
M. Dubief. M. Berteaux, M. Ruau. M. Chaumié. M. Gauthier. Le maire, M. Serres, Le général Fabre. M. Cruppi, député. Cinq ministres à Toulouse pour la distribution des récompenses. |
Le baron Henri de Rothschild sur la voiture 83. |
A la descente du col de Puymorens (1.931 m.).
A 12 kilomètres de Luchon: route neutralisée longeant la
Pique.
Arrivée des concurrents au dernier contrôle, à
Toulouse-Braqueville.
Un arrêt des concurrents: au Mas-d'Azil, entre Foix et
Luchon.
QUATRE VAINQUEURS.--M. Sorel, qui a remporté la Coupe sur
une voiture de Diétrich de 40 chevaux (n° 80): parmi ses passagers, le
maharajah de Sihavy.--M. Belleville, sur voiture Brouhot (n° 20) de 15
chevaux.--M. Bardin, sur voiture de Dion de 8 chevaux (n° 2).--M.
Bablot, sur voiture Berliet de 16-22 chevaux (n° 48).
A Cauterets: les guides pyrénéens formant la tête du
cortège pour la réception de M. Ruau, ministre de l'Agriculture.
La course pour la Coupe des Pyrénées s'est terminée très brillamment, et l'accident malheureux que nous signalions la semaine dernière, au début du circuit, a été le seul qui l'ait attristée. La Dépêche de Toulouse, qui avait patronné cette épreuve, et son directeur parisien, M. Maurice Sarraut, qui en a été le dévoué et très expert organisateur, peuvent être fiers de ce succès. Affirmé par l'enthousiasme des populations sur tout le parcours, par l'accueil excellent qu'elles réservaient aux coureurs, il a été consacré encore officiellement par la présence, à la distribution des prix, de cinq ministres... MM. Berteaux, Chaumié, Gauthier, Dubief et Ruau.
LA REPRÉSENTATION DES HÉRÉTIQUES AUX ARÈNES DE BÉZIERS.
--Phot. Ch. Cochet.
La dernière représentation des Hérétiques, donnée aux Arènes de Béziers, était en l'honneur des chauffeurs qui venaient de courir la «Coupe des Pyrénées» et des nombreux amis et curieux qui les accompagnaient. Ils ont ratifié, par leurs applaudissements chaleureux, l'accueil que la critique et le public de la première avaient fait l'avant-veille à la partition de M. Ch. Levadé et le grandiose décor de Jambon les a enthousiasmés. Qu'on imagine une citadelle entière reconstituée, un admirable paysage héroïque évoquant le souvenir d'un Jean-Paul Laurens; les remparts de Béziers, avec, leurs créneaux, leurs mâchicoulis, leurs échauguettes, leurs tours en poivrières; tout un coin de ville moyenâgeux, très imposant. Jamais compositeur, jamais auteur dramatique n'osèrent rêver pour leur oeuvre un pareil cadre.