The Project Gutenberg eBook of L'Illustration, No. 3243, 22 Avril 1905

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Title: L'Illustration, No. 3243, 22 Avril 1905

Author: Various

Release date: November 21, 2010 [eBook #34389]

Language: French

Credits: Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK L'ILLUSTRATION, NO. 3243, 22 AVRIL 1905 ***







L'Illustration, No. 3243, 22 Avril 1905


(Agrandissement)


M. Le Bargy dans le rôle de l'abbé Daniel.
UN GRAND SUCCÈS A LA COMÉDIE-FRANÇAISE: LE DUEL PAR M. HENRI LAVEDAN
(Le Duel paraîtra dans L'Illustration du 13 mai.)


COURRIER DE PARIS

JOURNAL D'UNE ÉTRANGÈRE

Je n'ai pas osé aborder encore l'exhibition de la «Nationale», au Grand Palais; après tant d'expositions de tableaux de toutes écoles et de tous formats dont ces six mois d'hiver furent remplis, j'éprouve, à la veille de ce dernier effort, un besoin de repos; je voudrais essayer d'oublier tout ce que j'ai vu et ne point m'aventurer au milieu de ces deux mille toiles avec des yeux trop fatigués... Et je suis allée, en attendant, flâner devant les quinze ou vingt cadres d'un Salon bien modeste et qui n'est ouvert que pour quelques jours: c'est une exposition où des architectes ont réuni les esquisses d'un Palais-Royal transformé.

Faire revivre le Palais-Royal! Je vois que ce rêve hante beaucoup d'imaginations parisiennes, et je me rappelle les beaux récits, que me faisait mon parrain, d'une époque glorieuse et que je n'ai point connue, où le Palais-Royal était un rendez-vous de «fête» parisienne et d'honnêtes distractions aussi. Ses restaurants étaient les plus fréquentés de Paris; son théâtre était celui où l'étranger et le provincial devaient être allés rire, et cela faisait partie du rite de la Vie joyeuse. Une foule élégante affluait aux magasins des joailliers dont les étalages répandaient une splendeur de luxe, le soir, sous ses arcades illuminées; et le dimanche après midi c'était une jolie affluence encore: celle des familles bourgeoises, des enfants dont les jeux faisaient un accompagnement de joie bruyante aux orchestres militaires qu'un auditoire «mondain» applaudissait. C'était le temps où «Monsieur, Madame et Bébé» fréquentaient encore les beaux jardins du centre de la ville, où des projets de mariages s'ébauchaient autour du canon du Palais-Royal et sous les marronniers des Tuileries. Rendez-vous de famille... Les familles se sont dispersées dans la direction de l'Étoile et du Bois, et la mode n'est plus de venir écouter, le dimanche, la musique militaire. On abandonne ce plaisir aux très petites gens. Et, tout doucement, le Palais-Royal s'est vidé. Ses joailliers ont pris le chemin de la rue Royale, les boutiques y sont à louer, presque toutes, et l'on n'entend plus, sous les arbres, que des piaillements de moineaux qui ignorent la mode et sont, eux, restés fidèles aux habitudes de leurs parents.

Fera-t-on revivre le Palais-Royal? Je pose la question à mon parrain, qui fait une moue incrédule, évoque (avec un peu d'exagération, peut-être?) les charmes du Paris qui n'est plus, et conclut que tout cela «ne le rajeunit point».

La décoration de Mme Adelina Patti ne la rajeunira pas non plus. J'entends dire que cette cantatrice, aujourd'hui châtelaine vénérable et retirée dans le pays de Galles, enthousiasma, il y a un peu plus de trente ans, les Parisiens, et que c'est pour cela qu'on la décore. On la remercie--rien n'est plus juste--des satisfactions qu'elle a données à nos parents; et cette croix d'honneur me fait un peu penser à celles dont je vois le gouvernement de ce pays récompenser, de temps en temps, la vaillance de braves gens qui se sont bien battus à Saint-Privat... ou en Crimée.

Je reconnais cependant qu'à l'égard des femmes de théâtre, ces lenteurs ont une excuse. Une femme de théâtre est exposée à bien des aventures; et si puissant que soit son génie de comédienne ou sa virtuosité de cantatrice, il est rare que ce génie ou cette virtuosité suffisent à la préserver (comment dire cela?) d'accidents inséparables de sa condition. Car elle est femme; elle est faible; mal défendue contre les embûches qui la guettent, et d'autant plus accessible aux tentations que le Diable est là--compagnon de la Gloire--qui les multiplie autour d'elle... Alors il a peur, le gouvernement; il craint qu'en ces accidents le prestige du ruban rouge ne se trouve entamé un peu; et il préfère attendre... (comment dire cela encore?) il préfère attendre que sa candidate ait atteint l'heureux moment de la vie à partir duquel le danger de certaines défaillances s'abolit de lui-même...

Et voilà pourquoi, sans doute, les femmes de théâtre doivent être décorées un peu trop tard, si on ne veut pas s'exposer à ce qu'elles l'aient été un peu trop tôt.

Avec ou sans décoration, Mme Adelina Patti aura connu la plus belle joie que puisse souhaiter une virtuose: celle d'être allée jusqu'au bout du rêve d'art qu'elle avait fait.

Notre pauvre Mimi Pinson n'aura pas eu cette chance-là. Elle avait cependant, elle, une ambition plus modeste; elle ne songeait pas à la gloire; elle ne demandait qu'à continuer l'apprentissage des jolies choses que M. Gustave Charpentier rêva de lui enseigner; et voilà, faute de ressources, le Conservatoire de Mimi Pinson licencié. Finies les leçons de chant et de menuet, de harpe et de diction, d'orgue et de piano--d'escrime même!--Car tout cela s'enseignait au Conservatoire de Mimi Pinson. Peut-être même y enseignait-on trop de choses, et j'ai peur qu'en cette affaire M. Gustave Charpentier n'ait été dupe de trop de générosité d'âme, et d'un rêve trop haut.

Il avait voulu, disent ses amis, mettre «de l'idéal» dans l'âme de l'ouvrière de Paris; la consoler, par d'honnêtes plaisirs, des tristesses, des monotonies du labeur quotidien. Mais à force de «consoler» trop ingénieusement, trop savamment Mimi Pinson des petites misères de son état, ne pouvait-il arriver qu'il lui en inspirât le dégoût; et n'existe-t-il pas d'autres plaisirs--plus simples que l'étude de l'orgue et de la harpe, moins scabreux que celle de la déclamation--et cependant capables d'amuser «proprement» une ouvrière que l'atelier fatigue, et de mettre, à moins de frais, dans sa vie, «un peu d'idéal»?

Je ne sais: ces modistes escrimeuses, ces couturières harpistes, ces brodeuses qui apprennent la pavane et jouent Rodogune, m'inquiètent... On peut vouloir améliorer sa vie; mais mépriser sa vie est une condition mauvaise de bonheur, et je serais bien surprise que, du haut du petit nuage où la fantaisie d'un artiste généreux les invitait, aux heures de loisir, à se jucher, ces modistes, ces brodeuses, ces couturières émancipées n'aient pas surpris en elles, quelquefois, une vague mélancolie: l'ennui de ne plus aimer le métier qui les nourrit.

Je viens de voir des gens qui ont l'air d'aimer furieusement celui qu'ils font! Je suis allée me promener, au boulevard Richard-Lenoir, le long des pauvres baraques où se sont ouvertes, dimanche, la foire à la ferraille et la foire aux jambons.

Est-ce le printemps qui les met en joie ou sont-ce nos curiosités qui déchaînent ainsi leur verve? Je ne soupçonnais pas qu'on pût exercer avec tant de bonne humeur des métiers où la fantaisie tient si peu de place. La foire à la ferraille a de spirituels «bonimenteurs» qui savent attirer la foule et l'intéresser à la vue des pauvres choses qu'ils exhibent. J'ai beaucoup voyagé; mais c'est en France seulement que j'ai rencontré, sur les places publiques, cette figure étonnante du camelot philosophe, ironiste, homme d'esprit sans grossièreté, capable même d'une espèce d'originalité dans l'expression,--avec des surprises d'images, des trouvailles de mots qui amusent. La foire aux jambons présente une physionomie différente: c'est ici la province qui s'étale et vocifère, parmi les étalages si pittoresques de viandes fraîches et fumées, de saucissons, de hures, de hachis. Tous les types, tous les accents, tous les patois se confondent en cette cohue. Autour des produits amoncelés en tas, suspendus en guirlandes au fronton de la baraque, la femme s'agite, découpe, empaquette; l'homme bonimente, lui aussi, mais simplement,--un bout de charcuterie piqué au bout de la lame qu'il tend au passant, l'air joyeux; «Goûtez-donc, monsieur; goûtez, madame...» Et il y a au fond de l'étroite boutique quelques bouteilles de vin «de pays» dont on arrose le rond de saucisson offert au passage, quand c'est un compatriote qui l'a cueilli. Bienfaisante province! c'est elle qui faisait, il y a quinze jours, défiler chez nous le triomphant cortège de ses animaux gras; c'est elle encore qui nous prodigue aujourd'hui le luxe pantagruélique de ses charcuteries. Elle semble nous dire: «Voici Pâques. Venez donc chez nous... vous y trouverez de la gaieté, la vie facile, un tas de bonnes choses à manger, qu'ignorent vos expositions culinaires. Vos cuisiniers, à vous, sont des chimistes. Venez vous reposer de cette chimie auprès de nos cuisinières...»

Je suivrai ce conseil; j'irai me reposer en province quelques jours. Ces vacances de Pâques ont un charme exquis; elles nous font goûter la douceur du printemps qui commence; elles interrompent d'une façon délicieusement reposante la monotonie ou la fatigue des labeurs qu'il faudra recommencer demain; et on les aime justement parce qu'elles sont courtes, trop courtes pour qu'on ait le temps de se rassasier du plaisir qu'elles donnent.

Les vacances de Pâques, ce n'est pas le «dessert» complet que les grandes vacances nous promettent; c'est le sorbet rafraîchissant qui coupe en deux le menu trop chargé des corvées mondaines de l'hiver et vous remet en appétit pour trois mois...
SONIA



DEUX TABLEAUX D'ALBERT GUILLAUME

(Voir nos deux gravures hors texte.)

Au Salon de la Société nationale des Beaux-Arts, comme dans toutes les expositions auxquelles l'artiste, en ces derniers temps, a pris part, la foule se presse, amusée, devant la série des envois de M. Albert Guillaume.

La verve aimable et bonne enfant, la spirituelle observation que dénotent ces toiles si alertement enlevées justifient le succès qu'elles rencontrent. Si jamais, un beau jour, quelqu'un entreprenait de disserter sur les petits ridicules de ce temps, il pourrait recueillir, dans l'oeuvre de M. Albert Guillaume, des traits utiles à son sujet. Il ne saurait rêver, pour son étude, de meilleures illustrations que ces scènes entrevues et notées par le peintre, le sourire aux lèvres, au hasard de ses pérégrinations à travers le monde parisien.

Par exemple, l'artiste a rapporté de quelque bal élégant les deux toiles dont nous publions dans ce numéro de belles reproductions hors texte.

Pendant le cotillon, tandis que, dans le salon voisin, les couples valsaient grisés de mouvement, de lumière et de bruit, il profitait, pour prendre un croquis et des notes, du sommeil résigné d'un bon gros jeune homme, condamné par persuasion aux travaux forcés de la mode et du monde, et qui, moins infatigable, moins entraîné qu'il ne voudrait le paraître, s'étant livré tout le jour aux sports obligatoires, s'oublie en un long somme, vers les trois heures du matin, sur un confortable divan, proche l'entassement des accessoires; ou bien encore il suivait goguenard, dans ce coin quasi désert d'un boudoir retiré, le manège de cette petite caillette évaporée consultant--heureux prétexte à conversation un peu plus intime, à confidences, à confession--l'auteur à la mode, le romancier d'aujourd'hui et de demain, condescendant et intéressé, sur un grave problème sentimental. Et il fixait, dans Psychologie, le souvenir du bon moment qu'il avait passé à les observer.

Tout cela sans méchanceté, sans amertume, avec un peu d'ironie, de malice tout au plus, si bien que même ses modèles, à moins qu'ils n'aient vraiment bien mauvais caractère, n'en sauraient garder nulle rancune à leur peintre.



SCÈNE DU DEUXIÈME ACTE DU «DUEL».
--La duchesse de Chailles (Mme Bartet) chez l'abbé Daniel (M. Le Bargy)


M. Henri Lavedan

«LE DUEL»

M. Henri Lavedan et la Comédie-Française ont eu lundi une soirée triomphale, avec une oeuvre noble et belle, fortement conçue, savamment construite et savoureusement écrite, mise à la scène et jouée avec une magistrale perfection.

Le Duel est une pièce à quatre personnages. Deux sont des prêtres.



Photographies Mathieu-Deroche. Mgr Bolène (M. Paul Mounet).

Et voici le plus sûr témoignage de la hauteur de pensée et de l'art admirable de M. Henri Lavedan: pas un instant, dans cette pièce où deux soutanes sont presque continuellement en scène, dont le sujet est une âpre lutte entre l'esprit chrétien et l'esprit athée, le spectateur n'a même la crainte d'une allusion aux faits d'actualité, aux conflits brûlants de l'Église et du pouvoir civil. Le meilleur catholique, le plus intolérant anticlérical, assisteront aux trois actes du Duel sans qu'une réplique, un mot les irrite ou les froisse. Non pas que l'auteur eût éludé les difficultés de son sujet: il les a ignorées; il s'est tenu plus haut qu'elles. La critique a comparé déjà le Duel à Polyeucte: Polyeucte serait plus dangereux peut-être à représenter aujourd'hui.

Il convient d'ajouter que M. Le Bargy (l'abbé Daniel) et M. Paul Mounet (Mgr Bolène) ont su créer deux figures saisissantes, inoubliables, d'une grandeur et d'un relief étonnants. Nos photographies donnent du moins une idée de l'aspect physique, de la physionomie, qu'ils ont prêtés au jeune vicaire et au vieil évêque. Portés avec cette noblesse, les habits de prêtre peuvent paraître sur les planches d'un théâtre: ils n'y sauraient choquer personne.

Ce n'est pas l'habitude de l'Illustration d'analyser les oeuvres dramatiques: elle a le privilège de les publier.

Nous publierons le Duel dans le numéro du 13 mai. Les dépôts à faire à l'étranger, indispensables pour une oeuvre qui sera jouée dans toutes les grandes villes des deux mondes, nous imposent ce délai.

Nous offrirons à nos lecteurs cette belle primeur littéraire entre deux autres l'Armature, de M. Brieux, d'après le célèbre roman de M. Paul Hervieu, dont la première représentation, au théâtre du Vaudeville, a été le second événement littéraire de cette semaine particulièrement heureuse--et Monsieur Piégois, la charmante comédie de M. Alfred Capus.

LES ÉMEUTES DE LIMOGES


L'automobile de M. Haviland brûlée par les grévistes.--Phot. Peyclit, comm. par M. Dubreuil.


Une barricade sur la vieille route d'Aixe.--Phot. Prosper Batier.


La prison de Limoges: à gauche, la porte que les grévistes ont enfoncée. Phot. Boureau.


Le jardin d'Orsay: point où s'est produite la sanglante collision entre les manifestants et la troupe. Phot. comm. par M. Thuillier.

Le général Tournier, commandant du 12e corps d'armée.--Phot. Paul Boyer.
Le général Plazanet, commandant les troupes de Limoges.--Phot. Faissat.


Rue de la Mauvandière dépavée par les grévistes:
à gauche, le mur de la prison.
--Phot. Boureau.]

Labussière, maire et député de Limoges.--Phot. Faissat.
M. Cassagneau, préfet de la Haute-Vienne.--Phot. Faissat.

La porte de la prison enfoncée par les émeutiers.--Phot. comm. par M. Thuillier.


LES EMEUTES DE LIMOGES



Armurerie pillée, place de la Motte. --Phot. Peyclit.


Funérailles de Camille Vardelle, victime de la répression.--Phot. Peyclit

LE MYSTÈRE DE CHERBOURG

Un romancier fort irrévérencieux. Alexandre Dumas, si j'ai bonne mémoire, a osé dire un jour qu'il y a quelque chose de plus grand que l'infini des cieux: c'est, assurait-il, la bêtise humaine. Je ne voudrais pas me faire l'écho d'une aussi formidable accusation, qui ne date pas de notre époque, d'ailleurs, car elle est déjà exprimée en termes pittoresques et non gazés par notre vieux Rabelais dans la vie mirifique de Pantagruel. Mais j'oserai faire remarquer ici à mon tour, aux lecteurs éclairés de l'Illustration, que, véritablement, l'ignorance des citoyens de notre belle planète a quelque chose de fantastique et d'inénarrable.

Depuis plus de quinte jours tous les journaux se font l'écho d'une observation mirobolante faite par les habitants de l'une des plus grandes villes de France, qui contemplent tous les soirs dans leur ciel un astre inconnu et inexplicable. Ce «mystère» de Cherbourg fait couler des flots d'encre. Quelle peut être cette apparition céleste! Lumen in coelo. Devise pontificale. Est-ce une comète qui vient embraser la terre? Est-ce une étoile temporaire comme celle qui terrifia nos ancêtres l'année de la Saint-Barthélémy? Est-ce l'étoile des mages qui ressuscite? Ne serait-ce pas un météore d'un nouveau genre, un bolide fixe, roulant, diurne, périodique? un tonnerre en boule se reformant chaque soir? un parhélie vertical dû à la réfraction du soleil couché? un halo atmosphérique? un ballon lumineux? un essai de projection électrique par laquelle les navigateurs de la perfide Albion sonderaient nos côtes?

Des milliers de personnes cherchent tous les soirs la solution de l'énigme. Le préfet maritime prescrit une enquête et le commandant du cuirassé Chasseloup-Laubat rédige un rapport. Les officiers de marine ne se prononcent pas. Le phénomène lumineux reste enveloppé d'un profond mystère1. On peut lire dans les journaux les mieux informés qu'un bolide a été vu à Tunis et qu'il pourrait bien être venu planer sur la rade de Cherbourg. Un journal de Paris, daté du 16 avril, publie ceci: «Le globe lumineux que l'on apercevait à Cherbourg a fait son apparition, il y a trois jours, à La Réole (Gironde), et tous les soirs une grande quantité de curieux se rendent sur un point élevé de la ville pour examiner ce curieux phénomène.» Etc., etc.

Note 1: (retour) Notre correspondant, M. J. Desrez, a pris, à l'intention de nos lecteurs, ce croquis sommaire indiquant, au-dessus des «Ormeaux», la lueur mystérieuse telle qu'elle apparaissait aux Cherbourgeois vers le 10 avril.

Voilà ce qu'on peut lire partout, assaisonné de mille insanités. Or, depuis trois grands mois, la belle planète Vénus, l'étoile du Berger, l'astre le plus éclatant de la voûte étoilée, brille tous les soirs dans le ciel de l'ouest, crevant les yeux, pour ainsi dire, de son éblouissante lumière. Elle est si lumineuse qu'elle porte ombre, comme un petit clair de lune. On peut l'apercevoir en plein jour même, avant le coucher du soleil. L'humanité l'a saluée, depuis des milliers et des milliers d'années, du titre de souveraine des dieux et des hommes. Elle est l'étoile par excellence, la beauté, la blancheur, l'éclatante, comme l'appelle Homère. Les amants la prenaient pour témoin de leurs serments éternels aux temps de la légendaire Sémiramis comme de l'ardente Cléopâtre.


        Aspect télescopique actuel de la planète
            Vénus.
(Observatoire de Juvisy.)

Les auteurs anciens sont remplis d'elle, son culte plane mystérieusement sur toutes les mythologies. Elle ne quitte presque jamais notre ciel, tantôt étoile du soir et tantôt étoile du matin, et cette année-ci marque une de ses périodes les plus lumineuses, ce qui, par la combinaison de son mouvement avec celui de la terre autour du soleil, arrive tous les huit ans. Et, à en croire les relations publiées par les journaux, personne ne paraît avoir pensé à elle!

Du temps d'Homère, d'Hésiode, de Virgile, on était certainement en communication plus habituelle avec la nature. Il semble vraiment que, de nos jours, on ignore tout.

Les 999 millièmes des habitants de notre planète vivent sans savoir où ils sont, sans jamais se le demander, sans se douter des merveilles de l'univers, comme des huîtres sous les flots, comme des lampes en leurs galeries souterraines.

Il y a, à Paris, une Société astronomique dont le Bulletin mensuel tient ses lecteurs au courant des choses du ciel et des progrès de la science. Elle compte en ce moment 3.065 membres. Eh bien, sur ce nombre, Paris n'en compte pas le quart, et la France tout entière pas la moitié. La majeure partie des membres de la Société astronomique de France, à la tête de laquelle brillent les gloires de l'Institut et de la science française: MM. Janssen. Poincaré, Lippmann, Bouquet de la Grye, Caspari, Deslandres, Lallemand, Appell, le général Parmentier, le comte de la Baume, le prince d'Arenberg, le prince Roland Bonaparte, Loewy, Puiseux, Caillevet, Laussedat, Bischoffsheim, Laisant, Ch.-Ed. Guillaume, etc.; la majeure partie des sociétaires, dis-je, sont des étrangers, parmi lesquels nous remarquons le jeune et actif roi d'Espagne, le roi de Suède et de Norvège, le prince d'Oldenbourg, et dont l'empereur don Pedro avait été l'un des premiers membres.

L'ignorance est générale en France, j'ose le dire et prendre la responsabilité entière de cette triste affirmation, l'ignorance astronomique sut tout. Je ne voudrais pas penser qu'à ce point de vue les ministres de l'instruction publique qui se sont succédé en France depuis un siècle pourraient être aussi qualifiés de ministres de l'ignorance publique; cependant, je ne puis m'empêcher de constater que l'astronomie n'est enseignée nulle part, ni dans les écoles primaires, ni dans les écoles secondaires, ni même répandue indirectement par des livres de prix. Les livres de prix! J'ai quelquefois présidé des distributions plus ou moins solennelles et feuilleté ces ouvrages. C'est, à part de rares exceptions, du dernier grotesque.

La leçon qui vient de nous être donnée par «le mystère de Cherbourg» n'a rien de surprenant. Nous servira-t-elle à quelque chose? Ce n'est pas probable. La politique annihile toute vie intellectuelle. (L'année dernière, toutefois, j'ai eu l'honneur de contribuer pour ma part à la fondation d'un véritable cours d'astronomie physique à la Sorbonne. C'est peut-être un commencement.)

Pour en revenir à Vénus, cause de tout cet émoi populaire, le premier étonnement des Cherbourgeois a dû être causé par l'agrandissement apparent de ce point lumineux vu à travers une atmosphère humide et mal défini. L'imagination aura fait le reste. Dans les instruments d'optique, la phase s'est de plus en plus accentuée depuis trois mois, selon les indications des annuaires astronomiques. A l'intention de nos lecteurs, j'en ai fait prendre aujourd'hui même (15 avril) un dessin à mon observatoire de Juvisy, par M. Benoît, astronome adjoint, et la figure ci-contre en est la reproduction. Ce globe offre en ce moment un admirable croissant, dont la finesse est supérieure à celle du croissant lunaire. Les plus petites lunettes suffisent pour montrer cette figure caractéristique, et plusieurs personnes affirment la reconnaître à la jumelle, ou même à l'oeil nu.

La belle planète se rapproche chaque soir du soleil, près duquel elle passera le 27 de ce mois, pour devenir étoile du matin.
CAMILLE FLAMMARION.




      Guillaume II en Italie. Phot. instantanée.



GUILLAUME II EN ITALIE

En partant de Tanger, après son escale si brève mais si commentée et, à la vérité, si pleine de conséquences politiques, l'empereur Guillaume II s'en fut vers l'Italie, puis la Sicile. Là il dépouilla les uniformes brillants et se métamorphosa en touriste pour visiter les sites fameux qui avoisinent le pied de l'Etna, et notamment Taormina, son vieux château, les ruines de son théâtre antique. C'est au retour d'une de ces excursions en voiture que fut pris le cliché que nous reproduisons ici et qui nous montre un Guillaume II en panama et en ulster, sans plus rien d'olympien dans le regard, un homme nouveau, simple, inattendu enfin.






UNE FÊTE A SAINT-CYR SOUS LOUIS XIV


AU THÉÂTRE ROYAL DE MUNICH.--Reconstitution d'une fête à Saint-Cyr: «la Danse des Nymphes», en présence de Louis XIV.


       La princesse Aldegunde de Bavière.

Mme Sarah Bernhardt vient d'avoir l'heureuse idée de reprendre Esther; mieux encore, de reconstituer la représentation de la tragédie de Racine telle qu'en 1689 les pensionnaires de Saint Cyr la donnèrent devant Louis XIV. Scrupuleusement soucieuse de l'exactitude, la grande artiste a distribué à sa troupe féminine tous les rôles de la pièce, où elle tient elle-même celui d'Assuérus avec son ordinaire maîtrise, en un superbe costume bleu turquoise rehaussé d'or. Cette tentative a obtenu un succès du meilleur aloi: si la mise en scène a satisfait les amateurs de reconstitutions, les délicats ont fort goûté les pures beautés classiques d'Esther, infligeant, après plus de deux siècles, un nouveau démenti au fâcheux pronostic de Mme de Sévigné. Son fameux «Racine passera comme le café» est, il est vrai, apocryphe (n'est-ce pas le cas de nombre de «mots historiques» devenus proverbiaux?), mais elle a écrit à peu près l'équivalent: «Racine fait des comédies pour la Champmeslé; ce n'est pas pour les siècles à venir.» La célèbre épistolière a commis là une de ces erreurs grossières auxquelles n'échappent point les esprits les plus avisés: les oeuvres du divin poète, y compris celles qui ne sortent guère du répertoire des pensionnats et des couvents, sont à l'épreuve des atteintes du temps.

Aussi bien se rattachent-elles, dans l'ordre littéraire, à l'époque dont l'éclat incomparable en toutes choses fut tel qu'il éblouit encore de ses lointains reflets les générations d'aujourd'hui et que l'évocation de ce passé compte parmi les moyens les plus propres à relever l'apparat artistique de certains divertissements où nous cherchons des diversions aux réalités positives du présent.

C'est ainsi que, dernièrement, une fête de bienfaisance au profit d'une Association d'anciennes institutrices s'étant organisée à Munich, sous le patronage de S. À. R. la princesse Aldegunde de Bavière, le morceau capital du programme fut: Une fêle à Saint-Cyr sous Louis XIV. Munich, d'ailleurs, on le sait a voué à notre «Grand Roi» un culte admiratif poussé jusqu'au pastiche architectural de Versailles.


       AU THÉÂTRE SARAH-BERNHARDT.
       --Mme Sarah Bernhardt dans le rôle
          d'Assuérus de la tragédie d'Esther.

                 --Phot. Henri Manuel.

La représentation eut lieu au théâtre de la résidence royale. Salle des plus brillantes, où la cour et la haute société bavaroise formaient un public d'élite. On remarquait les princesses Aldegunde, Gisèle et Clara; les princes Rupprecht, Léopold, Arnulph et Henri. Et, sur les planches mêmes, un puissant monarque daignait montrer Sa Majesté au milieu d'une autre cour et d'autres notabilités, occupant à l'avant-scène les places réservées aux gens de qualité, suivant l'ancien usage. Car il s'agissait, vous entendez bien, d'une résurrection du dix-septième siècle, d'une sorte de tableau animé reproduisant, dans un somptueux décor, les personnages d'une des périodes les plus prestigieuses de l'histoire de France.

Mise en scène fort bien réglée, analogue à celle adoptée au théâtre Sarah-Bernhardt pour encadrer l'interprétation d'Esther, avec cette différence que, là, des acteurs et des actrices professionnels représentaient les personnages illustres, tandis qu'au théâtre de Munich, des artistes improvisés, des membres de l'aristocratie bavaroise, remplissaient les principaux rôles. Louis XIV, c'était le comte Albert Pappenheim: Mme de Maintenon; la baronne Sternegg; les dames de sa suite: la princesse Léon Ratibor et la comtesse Otto Castell; la directrice et les dames de la maison de Saint-Cyr: les princesses Wrede, Lowenstein-Wertheim, Ysenburg, Mme Fiedler von Isaborn, la baronne Viola Riedener; les gentilshommes de la suite du roi: M. Fiedler von Isaborn, M. de Skrzyinski, le baron de Welczeck; quant aux pensionnaires, elles étaient figurées par de jeunes institutrices.

Donc, Mme de Maintenon donnait un «régal» au Roi-Soleil. Seulement Esther n'était pas au programme; à l'austère tragédie, on avait préféré un spectacle coupé un peu plus frivole: Danse des Nymphes et Sarabande, les Précieuses ridicules de Molière, récitation d'une fable de La Fontaine, danses de l'époque, numéros variés où les nobles artistes amateurs rivalisèrent d'entrain pour leur propre agrément et celui des spectateurs. Bref, une réussite à souhait.

Le «Louis XIV» va-t-il devenir une des modes du vingtième siècle, comme naguère le «Premier Empire»? En tout cas, il est intéressant de constater la faveur flatteuse dont jouissent à l'étranger les choses de France, même quand elles ont un caractère purement rétrospectif.
Edmond Frank.



LE PROCÈS DU TRUST DES THÉÂTRES

Un hasard ami du pittoresque a fait se dérouler dans la salle des criées le procès du trust des théâtres. La salle des criées (là-bas tout au bout de la salle des Pas-Perdus) est la seule où les bancs du public s'étagent en gradins demi-circulaires. Pour que les acheteurs d'immeubles, aux jours d'adjudications, puissent sans peine faire un signe à l'huissier qui annonce les surenchères, et pour qu'ils aperçoivent, sur le bureau du président, les feux qui s'allument et s'éteignent, l'architecte a disposé les banquettes en amphithéâtre. Dans amphithéâtre, il y a théâtre, comme dit l'autre; cette salle était donc prédestinée à juger ce procès qui émeut depuis trois mois le monde dramatique.

La salle des criées, ainsi construite, se trouve avoir, comme une salle de parlement, une droite et une gauche qui se font face. Le sort a voulu que les clients de Me Millerand, les novateurs, les contempteurs du vieil ordre de choses, les révolutionnaires, se groupassent à l'extrême gauche, tandis que les partisans du statu quo, les conservateurs, défendus par Me Poincaré, prenaient place à l'autre bout de la salle. A droite: tous les «sociétaires» de la Société des auteurs et compositeurs dramatiques. A gauche: des stagiaires et les trusrers.

Au reste, c'est par la position seule des banquettes que l'assemblée rappelait un parlement. Les débats se déroulèrent, en effet, dans le silence le plus respectueux; la lutte fut d'une courtoisie parfaite, et puis les représentants de l'une et l'autre opinion apportaient dans la défense de leurs idées une sincérité dont la politique ignore les ardeurs. Chacun de ceux qui étaient là savait bien que ses intérêts matériels étaient directement et immédiatement en jeu. Autour des orateurs, ce n'était pas la foule des représentants du peuple, c'était le peuple même, celui des maîtres-ouvriers d'art dramatique palpitant à tous les incidents de l'audience.

M. Richemont,      M. Deval.      M. Roy.                  Me. Signorio.          M. Forest                                         
«Trusters» et stagiaires.



M. Paul Hervieu. Mme Bernheim. M. Capus. M. Sardou. Mme Capus. M. A. Bernheim.
INSTANTANÉS D'AUDIENCE.--Les bancs de la Société des auteurs.

Que voulait la gauche? Elle était composée de deux groupes coalisés, formant bloc contre la Société des auteurs. Il y avait là des directeurs impatients de ruiner la puissance de cette association qui maintient haut et fixe le salaire de l'auteur dramatique, et grâce à laquelle--fait unique dans l'ordre économique actuel--sont dictées au Capital, par le Travail, toutes les conditions du contrat. Ceux-là, vainement, avaient voulu secouer le joug, s'unir pour avoir raison des écrivains omnipotents et démanteler la forteresse où ils s'abritent contre la loi de l'offre et de la demande. Aces capitalistes s'étaient joints quelques «stagiaires», les jeunes de la Société, irrités de ne point participer encore à tous les avantages qu'elle procure à ses membres anciens et dénonçant, enfants terribles, toutes les petites erreurs qui se commettent dans la gestion quotidienne des intérêts qu'elle défend.

Le procès était né au mois de novembre 1903. Un banquier, M. Roy, avait acheté le droit au bail du théâtre des Bouffes et il avait voulu obtenir de la Société des auteurs le «traité général». C'est le traité que doit signer tout imprésario qui, ouvrant un théâtre, veut y jouer des pièces signées des membres de la Société. C'est le traité qui fixe les conditions générales que s'engage à consentir le directeur aux auteurs qu'il représentera, et notamment le taux de 10% de la recette brute.

On refusa ce traité à M. Roy. Pourquoi? Parce que M. Roy était l'associé de MM. Deval et Richemond, directeurs de l'Athénée et des Folies-Dramatiques, et que la Société voyait, dans leur association, un commencement de trust funeste au développement de l'art dramatique et aux intérêts des écrivains de théâtre.

Pour ce refus de traité qu'il jugeait abusif M. Roy réclamait 100.000 francs d'indemnité.

Quand M. Richemond, le 1er mai suivant, demanda le renouvellement de son traité, pour les mêmes motifs le même refus lui fut opposé. Il forma contre la Société une demande pareille, en limitant à 50.000 francs l'indemnité qu'il réclamait. C'étaient ces deux demandes que soutenait Me Millerand.

Un des articles des statuts de la Société, article essentiel, vital, porte interdiction à ses membres de faire jouer leurs pièces sur des théâtres n'ayant pas de traité général avec la Société. La violation de cette prescription entraîne, pour le délinquant, de formidables amendes.

De là un procès reconventionnel de la Société contre un de ses membres, M. Chancel, auteur de Mlle l'Ordonnance. Deux autres vaudevillistes se plaignaient du préjudice que le refus opposé à MM. Roy et Richemond leur causait et ils se joignaient à M. Chancel pour demander au tribunal de prononcer la nullité de la Société. Me Signorino plaidait pour eux.

Me Poincaré défendait les intérêts de la Société des auteurs.

Les débats, commencés le 7 février, se sont terminés mardi dernier, 18 avril.

Chaque mardi, pour suivre la discussion singulièrement aride, une foule de Parisiens se pressaient sur les bancs de bois de la salle, et des Parisiennes aussi, qui écoutaient avec un intérêt réel ces longues controverses sur la synallagmaticité des contrats, la liberté du commerce et de l'industrie, la théorie des obligations, des quasi-contrats et les règles des sociétés civiles.

Il y avait là MM. Sardou, Paul Hervieu. Alfred Capus, R. de Flers, G.-A. de Caillevet, Robert Gangnat et Pellerin (ces deux derniers agents généraux de la Société); MM, Richemond, Deval et Roy (les «trusters»); MM. Paul Bilhaud, Michel Carré, Riche, Adrien Vély, G. Docquois, Henry Kéroul, Louis Forest, Antony Mars, Henry Bernstein, Pierre Decourcelle, Feydeau, Georges Claretie, Adrien Bernheim; et des dames: Mme Alfred Capus. Decourcelle, Robert de Flers, etc.. Conformément aux conclusions de M. le substitut Boulloche, la Société a pleinement gagné son procès. Aucun des griefs invoqués n'a été déclaré fondé. La validité de la Société a été proclamée. Son droit de refuser de traiter avec quiconque lui apparaît comme un cocontractant dangereux pour les intérêts professionnels a été reconnu. Le tribunal a affirmé l'existence d'un trust des théâtres, en formation, dès novembre 1903. Il a dit que la Société n'était point une oligarchie, qu'elle ne constituait pas un monopole et que sa défiance à l'égard des directeurs coalisés n'apparaissait pas sans fondement.

Bref, ce fut le triomphe et, sur l'autel dramatique, le jugement immola Mme l'Ordonnance dont il interdit à l'avenir les représentations et dont l'auteur est condamné au minimum de l'amende statutaire: 6.000 francs. Henri Varemne.

PREMIÈRES REPRÉSENTATIONS

L'Armide, de Gluck, charme les habitués de l'Opéra malgré son caractère archaïque et la surabondance de formules vieillies, affirmant ainsi ta toute-puissance de la mélodie, de l'art de tendresse, de grâce et aussi d'inspiration adéquate aux sentiments exprimés. L'interprétation est supérieure avec Mlle Bréval, excellente avec Mmes Féart, Demougeot, Verlet et M. Delmas, suffisante avec les autres interprètes.

Nous avons déjà enregistré plus haut la nouvelle victoire que compte la Comédie-Française avec le Duel, de M. Henri Lavedan, pièce originale, hardie et fort émouvante ainsi que nos lecteurs pourront en juger. L'interprétai ion est à la hauteur de l'oeuvre. Mme Bartet, MM. Le Bargy, Paul Mounet et R. Duflos forment un ensemble d'une perfection absolue.

Nous publierons également l'Armature, pièce en cinq actes, tirée d'un roman de M. Paul Hervieu, par M. Brieux, et représentée au théâtre du Vaudeville. L'auteur y développe, avec son entente habituelle de la scène, le thème déjà connu des déboires et des turpitudes qu'occasionne la fusion irréalisable de la noblesse traditionnelle avec les fortunes trop rapides de la finance. Mlle Cerny et M. Grand jouent leurs rôles, les seuls sympathiques de la pièce, avec une ardeur des plus communicatives.



AVANT LA PROCHAINE BATAILLE NAVALE.
--Le pont avant du "Mikasa", cuirassé-amiral de la flotte japonaise.
Cette photographie a été prise au cours d'une réception des correspondants de guerre étrangers par l'amiral Togo.


Documents et Informations


Les réclames commerciales au Japon, le long des voies de chemin de fer.

Publicité pittoresque au Japon.



Décidément, les Japonais ont résolu d'étonner le monde en s'assimilant la civilisation occidentale sous toutes ses formes: rien n'échappe à leur ardeur imitatrice, pas même la très moderne industrie de la publicité. Chez nous, on ne le sait que trop, hélas! celle-ci ne se contente plus des murailles des villes et des épaules des hommes-affiches pour étaler ses mirifiques boniments, copieusement illustrés et violemment enluminés; elle s'est emparée des terrains situés en bordure des voies ferrées, elle envahit les sites les plus agrestes, à la grande désolation des amateurs de paysages. Cette innovation du progrès était, paraît-il, une de celles que le Japon nous enviait, à l'égal de nos institutions; comme nous, il avait déjà des chemins de fer, mais il se sentait en état d'infériorité notoire, tant que son réseau n'était pas, comme le nôtre, bordé d'un indicateur commercial exhibant, sur le passage des trains, d'aguichantes réclames, et son amour-propre national devait en souffrir. Là encore, les Nippons, se piquant d'émulation, ont voulu se mettre «à la hauteur»; c'est chose accomplie aujourd'hui. Ils apportent d'ailleurs à l'application du système leur ingéniosité proverbiale, les ressources particulières de leur art et, en voyageant chez eux, à la vue de ces écriteaux décorés d'images, de ces édicules bizarres, de ces mannequins dressés le long des rails, peut-être, le prestige de l'exotisme aidant, goûterions-nous le pittoresque «bien japonais» d'un procédé de publicité emprunté par eux à notre Occident, où, bien que fort pratiqué, il ne compte pas précisément parmi les spectacles faits à souhait pour le plaisir des yeux.



Le fusil-mitrailleuse Rexer en position de tir avec son ruban-magasin à cartouches.

Une mitrailleuse perfectionnée.



On annonce que le gouvernement russe vient de commander un certain nombre de mitrailleuses d'un modèle tout récemment créé par un ingénieur danois, M. Rexer. Le Japon avait d'ailleurs devancé son adversaire: il va utiliser à bref délai, si ce n'est fait déjà, une quantité importante de «rexers», et l'armée anglaise a mis, la semaine dernière, en essais la nouvelle arme. En effet, l'an dernier, tandis que le roi Édouard VII était en Danemark, il avait eu l'occasion d'assister aux expériences de M. Rexer et en avait immédiatement signalé l'intérêt au War Office. L'armée anglaise fut ainsi la première cliente de l'inventeur, que le gouvernement de son propre pays n'encourageait guère.

A en croire les spécialistes, la mitrailleuse, ou plutôt le fusil automatique Rexer, est une arme parfaite et appelée à détrôner les engins du même genre, comme les maxims, en usage jusqu'à présent.

Le rexer est, en réalité, une sorte de gros mousquet. On peut voir sur nos photographies combien sont réduites ses dimensions. Il ne pèse que 8 kilogrammes, alors que le poids de la moins lourde des mitrailleuses en service est de 37 kilogrammes. Un fantassin le porte aisément à la bretelle. Un cavalier le pend à l'arçon de sa selle, tandis qu'un cheval peut suivre avec 8.000 cartouches, de la dimension même des projectiles lancés par les maxims, et contenues dans un magasin en éventail, le «ruban à cartouches», qui, au moment de l'action, s'adapte directement sur le fusil.

Quant au fonctionnement de l'arme, tout ce qu'on en connaît par les quelques détails publiés jusqu'à ce jour, c'est que le canon, enfermé dans une enveloppe ou tube extérieur, est en partie mobile; le mouvement de recul que lui imprime chaque détonation est corrigé par l'action d'un ressort qui le ramène à sa place normale.

Ce double mouvement de va-et-vient actionne le mécanisme renfermé dans la culasse; celle-ci s'ouvre automatiquement; la cartouche vide est expulsée et la culasse se referme sur la nouvelle cartouche.

L'arme est complétée par un chevalet à deux jambes fixé à l'extrémité du canon, sur le tube extérieur. Pour tirer, l'homme peut s'étendre à plat ventre sur le terrain; il appuie la crosse sur son épaule droite; de la main gauche, il met en place les rubans à cartouches. Il n'a plus qu'à toucher la détente pour épuiser, en moins de deux secondes, le magasin qui comporte vingt-cinq cartouches.

Après quelque entraînement, un homme peut tirer jusqu'à trois cents coups en une minute, résultat obtenu au cours des essais qui ont eu lieu la semaine dernière à Ealing (Angleterre). Grâce au tube extérieur et aux deux pieds fixés à l'extrémité du canon, réchauffement de ce dernier n'interrompt pas le tir.

Nous ajouterons que les cartouches peuvent être tirées une à une, comme avec un fusil ordinaire, ce qui permet au soldat, en cas de besoin, de prendre son temps pour viser. L'effet du recul étant presque nul, l'arme ne dévie pas sensiblement pendant le tir et c'est un jeu pour un bon tireur, ainsi que l'ont prouvé les exercices de tir exécutés à Copenhague, que de faire mouche avec les vingt-cinq balles du magasin.


Cavalier armé du fusil-mitrailleuse Rexer et son cheval porteur d'une réserve de 8.000 cartouches.

UN NOUVEL ENGIN DE GUERRE



L'arrosage par tramway automobile dans les rues de Milan. Phot. Varischi-Artico.

Les tramways-arrosoirs.



La ville de Milan a eu la primeur, en Europe, de l'arrosage des rues au moyen des tramways électriques.

A la vérité, on trouverait assez difficilement une autre ville se prêtant aussi bien à une innovation de ce genre.

Offrant l'image d'un cercle presque parfait, avec sa grande place du Dôme au centre et ses rues principales y aboutissant toutes, Milan possédait depuis longtemps le réseau de tramways le plus parfait du vieux monde, se développant sur 150 kilomètres.

Soit dit en passant, ce service modèle est la propriété de la ville qui en a concédé l'exploitation à la Compagnie Edison. L'entreprise est fructueuse pour la bailleresse comme pour la Compagnie fermière, puisque chacune d'elles y réalise un bénéfice net de plus d'un million par an. Et cela malgré--ou plutôt à cause de--la modicité du prix des places: dix centimes après neuf heures du matin, cinq centimes auparavant: cela encore, dans des voitures confortables, élégantes, légères et propres, se succédant à intervalles assez rapprochés pour assurer la rapidité des trajets, sans qu'il y ait jamais ni vide, ni encombrement.

L'invention américaine des tramways-arrosoirs devait nécessairement y trouver une application pratique.

On a construit à cet effet des wagons spéciaux. Sur des wagons-plates-formes ordinaires ont été adaptés des réservoirs de la capacité de trente mètre» cubes environ chacun. Le long du parcours sur les rails, ces réservoirs sont vidés au moyen de tubes perforés, disposés en éventail à l'avant et à l'arrière des wagons et tournés obliquement, sur les deux côtés, vers la droite et vers la gauche. Dans l'intérieur des réservoirs, l'eau subit une pression de quatre atmosphères, ce qui a pour but d'élargir le rayon d'arrosage, tout en diminuant la dépense en liquide.

A l'avant et à l'arrière des wagons (afin de pouvoir manoeuvrer en tous sens) sont ménagées deux terrasses où se tient le personnel de service. Au moment de la mise en marche, le conducteur lance son véhicule comme un simple wagon à voyageurs; à sa gauche et à sa droite prennent place, sur la terrasse, les deux arroseurs qui règlent la distribution d'eau selon les parcours et selon la largeur des voies; l'éventail de projection des eaux peut être élargi ou resserré à volonté, et la distance des jets de pluie réglée à quelques centimètres près.

L'arrosage d'une ville de six cent mille habitants est ainsi assuré en moins d'une heure.

Pour voir fonctionner ce curieux système il faut se lever de bon matin, car les «arrosoirs électriques» cèdent la place dès cinq heures au service des voyageurs.

La cure des «jaunes».



Ceci n'a rien à faire avec l'Extrême-Orient: les jaunes dont il s'agit sont ceux que nous donnent les oeufs de poule. Et, s'il faut en croire un médecin américain, M. Stein, les jaunes d'oeufs ont devant eux un bel avenir, en tant que constituant l'aliment par excellence du mal nourri et de tous ceux qui pour une cause ou pour une autre, ont besoin d'être suralimentés. Le jaune d'oeuf, on le sait, est très riche en matières azotées, très riche encore en matières grasses. C'est un aliment presque complet. Mais ses bienfaits varient selon la manière dont on en fait usage.

Le véhicule dans lequel on l'administre a son importance. Pour certains sujets, il faut le faire absorber avec du lait, du café ou du thé; pour d'autres, avec du bouillon, ou un potage. Chez le tuberculeux, le jaune d'oeuf doit être donné en abondance, par surcroît, comme matière grasse en plus du régime ordinaire. Et, si le malade ne gagne pas du poids, il faut changer de méthode d'administration; c'est que la substance dans laquelle on donne les jaunes ne s'assimile pas: il faut chercher une autre combinaison et procéder par tâtonnements jusqu'à ce que l'on ait mis la main sur le véhicule convenable. Il convient de remarquer que l'absorption du jaune ne facilite pas celle des matières grasses en général, d'où le conseil donné par M. Stein de supprimer les corps gras de l'alimentation chez les sujets qui s'assimilent bien le jaune et de les remplacer par des farines. Plus tard, quand cela va mieux, on peut introduire d'autres corps gras dans l'alimentation, par exemple en faisant alterner les menus; un jour, ce sont les jaunes seuls qui fournissent la graisse; le lendemain, ce sont les aliments gras ordinaires, et ainsi de suite. La quantité de jaunes qu'on peut absorber est considérable: un tuberculeux pesant 50 kilos au lieu de 64 kilos doit prendre jusqu'à 15 jaunes dans sa journée, dans du lait, dans du café, dans un potage, dans une bouillie, en grog enfin. Telle est la «cure des jaunes» qui a certainement pour elle des raisons solides et scientifiques.

Les dangers du chatouillement.



On raconte que Barbe-Bleue tuait parfois les épouses ayant cessé de plaire en les chatouillant.

Ceci est peut-être une légende. En tout cas, Barbe-Bleue en est une, et ce n'est pas là qu'il faut aller chercher des documents scientifiques. Mais, si le chatouillement ne tue pas--ce dont on ne sait rien, d'ailleurs, personne n'ayant fait l'expérience--il est certain que, d'après les faits que M. Charles Féré a récemment présentés à la Société de Biologie, le chatouillement peut faire beaucoup de mal. Il peut favoriser l'apparition de l'épilepsie: un petit garçon est devenu épileptique à la suite d'un chatouillement peu prolongé des aisselles. Une jeune fille, encore, est devenue choréique dans les mêmes conditions.

Dans d'autres cas, le mal a été moins grave: les sujets sont devenus neurasthéniques.

D'autres observateurs ont signalé des accidents d'un autre ordre: on a vu se développer des troubles cardiaques. Il n'y a pas à être très surpris du contre-coup grave que peut avoir le chatouillement. L'irritation cutanée peut bien, semble-t-il, exercer des actions à distance aussi vives que l'irritation des fosses nasales, de l'intestin, du conduit auditif, etc., par des parasites. Aussi faut-il considérer le chatouillement comme un amusement qui peut avoir des conséquences funestes: un amusement à proscrire.

Les feuilles d'aluminium comme papier.



La légèreté et le bas prix de l'aluminium désignaient ce métal à de nombreux emplois jusqu'à présent interdits aux métaux; et tout d'abord on s'en servit comme de carton.

Nous avons eu, ces années dernières, des cartes de visite et des cartes-réclames en aluminium. Mais, bientôt, on réussissait à diminuer encore l'épaisseur de la feuille et, maintenant, le nouveau métal se présente au commerce en lames aussi fines et aussi légères que le plus fin des papiers.

Avec 33 grammes d'aluminium, on a réussi à laminer des feuilles d'un mètre carré. Comme il semble que l'emploi des feuilles d'aluminium pour la conservation des substances alimentaires soit à la veille de se substituer à l'emploi des feuilles d'étain, dites vulgairement papier d'argent, il était indispensable de savoir si ces nouvelles feuilles ne contenaient ni arsenic, ni autres métaux toxiques.

Sous ce rapport, l'analyse chimique faite par M. Ogier a été tout à fait rassurante. On n'y trouve, associés en très faibles proportions à l'aluminium, que du calcium, un peu de fer et des traces de cuivre.

Mais, à côté des feuilles métalliques, on emploie aussi des papiers métallisés, qui nous viennent d'Allemagne. Dans ces papiers, on trouve, comme principales impuretés, le charbon et l'alumine. Le danger en est donc nul.

Le prix des feuilles d'aluminium, ayant un centième de millimètre d'épaisseur, est de 7 francs le kilo, avec un minimum de 30 mètres carrés au kilogramme.

La substitution du papier d'aluminium au papier d'étain sera en somme favorable à l'hygiène; car l'étain est fréquemment mélangé de plomb, depuis qu'on le retire des boîtes de conserves et autres vases hors de service.

D'autre part, M. Balland a constaté que l'air, l'eau, le vin, la bière, le cidre, le café, le lait, les huiles, les graisses, ont moins d'action sur l'aluminium que sur le plomb, le zinc et l'étain.

Enfin, M. Riche a établi que l'étain et le nickel sont plus corrodés par l'acide lactique et l'acide acétique étendus que l'aluminium. Le chocolat, le pain d'épices, les bonbons, n'auront donc rien à redouter du papier d'aluminium.

Le seul agent un peu dangereux pour l'aluminium, c'est le sel marin.

En somme--et telle est la conclusion d'une étude de M. Riche sur la valeur hygiénique du papier d'aluminium--sa substitution au papier d'étain doit être considérée comme sans inconvénients au point de vue de l'hygiène.

La guerre russo-japonaise et la fabrication des explosifs.



La fabrication intensive d'explosifs nécessitée par la guerre russo-japonaise a provoqué une crise économique spéciale qui sévit actuellement avec une grande acuité sur le marché des substances qui entrent dans la composition des explosifs de guerre.

C'est ainsi que les prix du camphre et de l'écorce de bourgène ou aulne noir ont monté à des hauteurs fantastiques.

Pour le camphre, la hausse du prix a été d'autant plus considérable que le Japon est le seul pays producteur et exportateur de cette substance, et qu'il s'en est réservé la monopolisation, comme la Suisse l'a fait pour l'alcool. Le prix du camphre est alors réglé par un décret du Mikado.

Le camphre joue d'ailleurs un rôle capital dans la fabrication des explosifs, en ce sens qu'il rend l'acide picrique maniable. Cet acide, additionné de camphre, fond et coule à une douce chaleur, sans détoner, et c'est ainsi que l'on peut fabriquer la mélinite, qui n'est que de l'acide picrique fondu en plaques de faible épaisseur.

Comme conséquence, le camphre n'a plus aujourd'hui de cours commercial.

Quant à l'écorce d'aulne, utilisée pour la fabrication de la poudre sans fumée, son prix a décuplé depuis six mois, mais sa raréfaction sur le marché n'intéresse guère que les gouvernements qui ont à fabriquer de la poudre; tandis que celle du camphre, qui est si largement utilisé en médecine et en hygiène, se fait directement sentir sur toutes les bourses.


Mouvement littéraire

Dix mois de guerre en Mandchourie, par Raymond Recouly (Juven, 3 fr. 50).--Journal d'un correspondant de guerre en Extrême-Orient, par Réginald Kami (Calmann-Lévy, 3 fr. 50).--Jaunes contre Blancs, le problème militaire indo-chinois, par R. Castex (Charles-Lavauzelle, 3 fr. 50).--La Troisième Jeunesse de Mlle Prune, par Pierre Loti (Calmann-Lévy, 3 fr. 50). Dix mois de guerre en Mandchourie. M. Raymond Recouly a été le correspondant du Temps pendant une partie de la guerre russo-japonaise. A la fois lettré et précis, il nous dit ce qu'il a vu et les impressions qu'il a éprouvées. Suivant dans ses marches l'armée russe, il a été enveloppé dans la grande bataille de Liao-Yang, à la fin d'août et au commencement de septembre dernier. Les soldats russes qu'il a observés, puisqu'il était mêlé à leurs bataillons, ont montré un héroïsme surhumain, dans toutes les rencontres, principalement à Liao-Yang. Contre leur courage, toutes les attaques furieuses des Japonais se sont brisées. Ils sont restés, au début et même à la fin de la grande bataille, maîtres de leurs positions. Et, cependant, la retraite a sonné! On a craint le mouvement de Kuroki et d'être coupé de la ligne de communication. Avec un peu d'énergie et plus de coordination dans les efforts, peut être aurait-on eu facilement raison du général nippon, qui avait un fleuve à franchir. Il fallait se porter rapidement à sa rencontre--il était isolé--et le séparer de plus en plus du gros de l'année. Mais, supérieur dans la défensive et presque invincible, le soldat russe l'est montré d'une notoire inhabileté dans l'offensive. Ce que nous soupçonnions, M. Recouly nous l'apprend de la façon la plus nette. Pendant que les Japonais faisaient la guerre hardie, la guerre napoléonienne, leurs adversaires, braves entre tous, se contentaient de parer les coups. A Cha-Ké, l'attaque russe, faute d'unité, échoua complètement. Sur les moeurs du pays mandchou, sur les différentes races qui l'habitent, sur la haine des Anglais contre les Russes, sur les hésitations des Chinois, toujours disposés à se tourner du côté du piu patente, M. Recouly nous renseigne exactement. Quand il ne peut assister aux batailles, il examine les lieux, décrit la topographie du pays, nous initie aux habitudes et aux passions de ceux qui peuplent la grande Mandchourie et nous révèle jusqu'à quel point les Nippons sont admirables dans l'organisation de l'espionnage. Le reporter actuel est d'une grande utilité: il remplace les anciens écrivains de Mémoires, et peut-être avantageusement pour les historiens futurs, car il apporte moins de préoccupations personnelles dans son récit.

Journal d'un correspondant de guerre en Extrême-Orient.



M. Recouly s'est acquitté de sa tâche de correspondant dans l'armée russe, M. Réginald Kann dans l'armée japonaise.

Peut-être M. Kann n'a-t-il pas rencontré chez les Nippons la même bonhomie, ni les mêmes facilités cordiales que M. Recouly chez les Russes Combien de jours il a dû se promener à Tokio et à Yokohama avant d'obtenir l'autorisation de suivre les opérations militaires en Corée et en Mandchourie! Avec une bonne foi douteuse, on lui promettait tout sans lui rien accorder. Enfin, il a pu remplir ses fonctions d'observateur et de reporter et assister, comme M. Recouly, à la bataille de Liao-Yang. L'Illustration a eu la primeur de son récit dans le numéro du 19 novembre 1904. Ancien élève de Saint-Cyr, M. Kann est du métier et s'intéresse à la guerre. Echappant à la surveillance étroite à laquelle on le soumettait, il a, d'une hauteur, contemplé la grande lutte, l'embrassant dans son étendue, relevant les détails. Il marque les défectuosités de la défense russe, le tort que l'on avait de trop serrer les soldats, de les présenter comme une cible facile aux coups de l'ennemi; dans la défensive, il faut un peu éparpiller les hommes, afin de laisser des espaces par lesquels bombes et balles puissent passer et se perdre. La longue lutte de Liao-Yang fournit encore à M. Kann l'occasion de faire remarquer ce que Sadowa avait suggéré aux hommes compétents. Il ne faut pas exagérer l'importance de l'artillerie dans la guerre En 1866, les Autrichiens, par leurs canons, étaient supérieurs aux Prussiens, mais ce furent les fusils de l'infanterie prussienne qui décidèrent de la journée. A Liao-Yang, les munitions de l'artillerie nipponne étaient déplorables, ce qui n'empêcha pas les Japonais d'avoir le dessus. Au fond, les obus et les boulets font plus de bruit que d'effet. Il est vrai que, s'ils ne tuent pas comme les balles pressées, invisibles et rapides, ils jettent dans les rangs adverses la terreur et le désarroi, et que l'infanterie, se sentant soutenue par le tir des canons, marche plus vigoureusement et avec plus d'entrain.

Au point de vue militaire, le livre de M. Kann est des plus instructifs; il est bon de mettre son récit en face du récit de M. Recouly; les deux se complètent.

Toutefois, ajoutons que M. Kann n'a pas dans le haut commandement nippon une confiance démesurée. Si celui-ci avait, au début de la guerre, avec ses quatre cent cinquante mille hommes complètement prêts, montré plus d'activité, que serait-il advenu de la Russie qui n'avait presque personne en Extrême-Orient?

Après chaque grande victoire, les Japonais se sont pareillement un peu trop longtemps reposés, ne poursuivant pas leurs avantages et laissant à l'ennemi le temps de se ressaisir, de se ravitailler en hommes et en munitions.

Jaunes contre Blancs.



M. R. Castex, enseigne de vaisseau, a, en 1904, accompagné M. François Deloncle, chargé d'une mission en Indo-Chine et d'une enquête sur notre grande colonie. Jaunes contre Blancs nous fournit un résumé fort lumineux de l'état de l'Indo-Chine et de ce que nous devons préparer là-bas. Déjà signalé dès 1897, par M. Doumer, le péril japonais est devenu des plus imminents. Nous n'avons rien à redouter des Anglais et des Allemands qui, avant peu, auront les mêmes ennemis que nous-mêmes. Mais le Japon est là, actif, remuant, organisant avec ses officiers l'armée chinoise et celle du Siam, inondant notre colonie elle-même de ses espions déguisés en Célestes et même en bonzes. Au moment redouté, nous les trouverions à l'intérieur même de la Cochinchine, du Tonkin et de l'Annam, soufflant le feu, attisant la révolte des populations. Que devons-nous faire en prévision d'une attaque prochaine?

Notre marine est fort supérieure à celle du Japon. Mais, pour qu'elle se mobilise, s'approvisionne de charbon et atteigne le lieu des hostilités, il lui faut trois mois au minimum. Il est donc nécessaire de faire de l'Indo-Chine comme une place en état de résister pendant trois mois aux assauts de l'ennemi, avec ses propres forces. C'est comme une grand'garde qu'il importe de constituer le plus tôt possible. La Cochinchine et le Tonkin sont séparés l'un de l'autre et ne pourraient, en cas de guerre, se prêter aucun appui. Leur mise en état de défense n'est pas identique; ce sont deux unités non reliées entre elles. Avec précision, M. Castex entre dans des détails techniques, marque les points à fortifier et surtout le système de croiseurs et de sous-marins à établir pour rendre les débarquements ennemis plus périlleux. Si la France veut conserver son plus brillant empire colonial et le rendre inaccessible aux entreprises des jaunes conduits par les Nippons, c'est à une dépense de 180 millions qu'elle doit se résigner. Chiffre énorme! Mais ne risquerait-il pas d'être bien des fois doublé si l'on ne se décidait à faire ces préparatifs indispensables? Que l'optimisme de nos alliés les Russes nous serve de leçon!

La Troisième Jeunesse de Mme Prune.



Au moment où j'achève cet article paraît le volume de M. Loti. Le divin charmeur a visité le Japon dans ces derniers temps: il y a passé une année presque entière. Combien peu belliqueux est son livre! Il a retrouvé, là-bas, les mousmés, les maisons de thé, les danseuses aux grâces félines, parmi lesquelles Pluie d'avril; il a revu sa belle-mère, Mme Renoncule; une cousine au vocable de Fleur-de-Cerisier; et, en plein veuvage, en pleine ardeur de la troisième jeunesse, Mme Prune. C'est encore le Japon ancien, le Japon de jolies couleurs et de paravent qu'a entrevu l'oeil de M. Loti. O illusion de la poésie et des souvenirs!
E. Ledrain.



Ont paru:

La Grande Aventure, par Georges de Labruyère. 1 vol., Librairie universelle, 3 fr. 50.--Jean et Pascal, par Mme Juliette Adam, 1 vol., Lemerre, 3 fr. 50.--Le Fond secret. par Michel Provins. 1 vol.. Fasquelle, 3 fr. 50.--Brichanteau célèbre, par Jules Claretie. 1 vol., Fasquelle, 3 fr. 50.--Un officier de cavalerie. Souvenirs du général L'Hotte, 1 vol. in-16, Plon-Nourrit et Cie, 3 fr. 50.--Les Cosaques de Transbaïkalie en Mandchourie en 1900 par le général-major Nicolaï-Orlov. 1 vol., Lavauzelle, 3 fr.--Souvenirs d'un vélite de la garde, sous Napoléon Ier, par Lombard-Dumas. 1 vol. in-16, Plon-Nourrit et Cie, 3 fr. 50,--Médecine de l'enfance, par le docteur Monin. 1 vol. in-16, Maloine, 5 fr.



Panorama de la baie de Cam-Ranh., où des télégrammes ont signalé l'escadre de Rodjestvensky.--Phot. comm. par M. de Barthélémy.


                                    La jetée de Cam-Ranh.

LA BAIE DE CAM-RANH

La baie de Cam-Ranh, où, d'après de récents câblogrammes, l'escadre de l'amiral Rodjestvensky est ancrée à l'heure actuelle, est un point stratégique des plus importants, à cause de sa situation sur la route directe des paquebots entre Hong-Kong et Singapour. On comprend donc aisément le choix de l'amiral russe, qui a peut-être également espéré trouvera Cam-Ranh quelques facilités d'approvisionnement en combustible; MM. de Barthélémy et de Pourtalès y ont, en effet, créé d'importants dépôts de briquettes agglomérées.



Le dépôt de charbon de Cam-Ranh.

LE COLONEL RENARD

La mort subite du colonel Renard, directeur du parc aérostatique militaire de Chalais-Meudon, vient de priver prématurément l'armée et la science d'une personnalité de haute valeur.

Fils d'un magistrat, Charles Renard était né à Damblain (Vosges), le 23 novembre 1847. Il comptait parmi les plus brillants élèves du lycée de Nancy et, au concours général de 1866, à dix-huit ans, il remportait le prix d'honneur de mathématiques spéciales; cette même année, il était reçu troisième à l'École normale supérieure en même temps qu'à l'École polytechnique. Ayant opté pour celle-ci, il en sortit dans l'arme du génie.


                    Le colonel Ch. Renard.

Il fit la campagne de 1870 à l'armée de la Loire, à l'armée de l'Est avec Bourbaki. A dater de 1873, attiré tout particulièrement vers les recherches d'aérostation et d'aviation, il s'y consacra avec les collaborations successives du capitaine Krebs et de son frère, le commandant Renard. Il eut la satisfaction de résoudre le premier, d'une façon complète, le problème de l'aérostat dirigeable, c'est-à-dire le retour certain au point de départ dans des conditions favorables. Il avait acquis en cette matière une compétence et une autorité incontestées.

Les chercheurs du grand problème de l'aviation trouvaient toujours de bons conseils et un excellent accueil auprès deavant modeste et bienveillant autant qu'éminent. Mécanicien distingué dans les diverses branches et en même temps physicien, le colonel Renard présidait plusieurs sociétés savantes et avait apporté un précieux concours, comme membre des jurys et des commissions, à nos expositions universelles.



LE «TOURBILLON DE LA MORT»


Mlle Marcelle Randal dans l'automobile du «Tourbillon de la mort».

Cette nouveauté acrobatique vient, hélas! de justifier son appellation funèbre, qu'on présumait volontiers n'être qu'une artificieuse hyperbole destinée à corser l'effet d'une «attraction» sensationnelle.

Le «Tourbillon de la mort», c'était le dernier mot du looping the loop, le bouclage de la «boucle» en automobile, agrémenté d'un surcroît de difficultés. On sait--et notre schéma le fera mieux comprendre encore--comment fonctionnait, depuis un mois environ, au Casino de Paris, l'appareil construit par l'ingénieur Revel. L'automobile où se tenait, ligotée, Mlle Marcelle Randal, une jeune fille de vingt-deux ans, descendait avec une rapidité vertigineuse d'une hauteur de 8 mètres, le long d'un plancher fortement incliné; au bas de ce plancher, les roues de derrière faisaient déclencher un puissant ressort, qui projetait la voiture en l'air en la faisant basculer; il en résultait un véritable saut périlleux, au terme duquel le véhicule retombait sur un plan d'arrêt.

Le soir du vendredi 14 avril, Mme Randal, son exercice accompli, ne se releva pas, à son ordinaire, pour saluer les spectateurs: on la transporta évanouie à son domicile, où elle expirait, le lendemain, sans avoir repris connaissance. Une instruction judiciaire est ouverte et, d'après l'avis des médecins, il semble bien que cette mort doive être attribuée non à un accident, mais à la répétition de la commotion cérébrale, conséquence des violentes secousses imprimées au corps de la jeune acrobate.


Mme Adelina Patti.--Phot. Langper.

Mme ADELINA PATTI

La croix de la Légion d'honneur vient d'être décernée, au titre étranger, à Mme Adelina Patti. Le nom de la célèbre cantatrice, de nouveau mis en vedette, évoque le souvenir de succès retentissants, mais déjà bien lointains. D'origine espagnole (elle naquit à Madrid en 1843), Adelina Patti, élevée en Amérique où ses parents s'étaient établis, avait embrassé de bonne heure la carrière théâtrale. Douée d'une voix d'une étendue, d'un éclat, d'une souplesse exceptionnels, elle avait à peine seize ans quand elle débutait, à New-York, dans Lucia. En 1861, elle contractait un engagement à Londres et, l'année suivante, elle apportait en France une renommée qui allait recevoir sa consécration définitive au Théâtre-Italien de la salle Ventadour: jamais le répertoire des Donizetti, des Rossini, des Verdi, n'y trouva une interprète plus applaudie, plus fêtée du public.

La Patti avait épousé, en 1868, le marquis de Caux, écuyer de l'empereur Napoléon III; après la rupture de cette union, elle se remaria avec le ténor Nicolini, puis, devenue veuve, avec le baron de Cedestroem, appartenant à la noblesse suédoise. Elle a quitté Paris depuis 1870, et réside habituellement en Angleterre.


L'Illustration publiera la semaine prochaine son numéro spécial (prix: 2 francs) consacré aux Salons de peinture de 1905.



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NOUVELLES INVENTIONS

(Tous les articles publiés sous cette rubrique sont entièrement gratuits.)


LE MONOPHONE

Les appareils téléphoniques actuels ont tous un grave défaut, celui de laisser à désirer, aussi bien au point de vue de l'hygiène qu'au point de vue de la propreté. Quelle que soit leur disposition, qu'ils soient munis d'un cornet ou d'une plaque vibrante, il faut toujours, pour s'en servir, avoir en face de la bouche et souvent à très faible distance, un réceptacle de microbes, de poussière et de salive. Ce réceptacle fait de ces appareils d'actifs propagateurs de maladies contagieuses; mais, en dehors même de ce danger, quelle est la personne qui n'éprouve une certaine contrainte à approcher sa bouche de l'endroit où d'autres personnes ont mis la leur?


La Société Industrielle des Téléphones vient de créer un appareil hygiénique et propre qui fait disparaître cet inconvénient.

Comme l'indique la figure 1, le monophone est disposé de telle sorte que son cornet, placé de côté et non en face de la bouche, ne recueille que les ondes sonores, et laisse passer aussi bien les particules de salive que les éléments contagieux.

Cela n'empêche d'ailleurs pas cet appareil simple et léger d'être un transmetteur net et puissant, puisqu'il s'applique à merveille aux conversations sur les plus longues lignes en service (Paris-Berlin, Paris-Rome, etc.).

L'administration des Postes et des Télégraphes a admis d'emblée le monophone sur le réseau et a autorisé la Société Industrielle des Téléphones à le vendre comme appareil de substitution aux abonnés qui sont déjà en possession d'un appareil combiné quelconque.

On peut voir sur la figure 2 la coupe du monophone.

Le cornet C transmet les ondes sonores, émises dans son voisinage, au minuscule microphone à pastilles de charbon M. Ce microphone possède une sensibilité remarquable, parce qu'il se trouve frappé sur ses deux faces par les ondes sonores. En a, b, m, on remarque l'aimant les bobines, et la membrane ordinaires placés derrière l'embouchure R p. Le téléphone peut être suspendu par un crochet A et le courant lui arrive par les bornes g, f. Cet appareil se trouve à la Société Industrielle des Téléphones, 25, rue du 4 Septembre, Paris, au prix de 80 francs, moins la reprise de l'ancien appareil combiné.

AMPOULES-SERINGUES STÉRILISÉES

Les injections sous-cutanées, d'une action sûre et rapide, sont actuellement une des plus puissantes ressources de la médecine moderne et l'emploi des ampoules scellées, aujourd'hui fort répandu, permet à tous les médecins d'avoir sous la main des liquides bien stérilisés.

Mais les seringues hypodermiques sont d'un emploi assez compliqué et difficilement aseptique, tant à cause de la difficulté que présente le transvasement des liquides qu'à cause des dangers de contamination provenant de l'imparfaite stérilisation de la seringue elle-même.



C'est à ces deux inconvénients que MM. Robert et Lesseure ont voulu remédier en créant un système d'ampoule-seringue à coup sûr original et ingénieux.

Comme son nom l'indique, cet ustensile permet d'employer l'ampoule elle-même pour faire l'injection.

Il comporte un système d'ouverture des ampoules par arrachement qui a permis d'obtenir ce résultat d'une façon aussi simple qu'économique et sure. Un tube scellé (fig. 1) porte en sa partie médiane une bague très saillante; son extrémité inférieure est rodée et porte un trait de lime. La partie inférieure de ce tube contient le liquide à injecter.

Au-dessus de la solution est placée une boule de caoutchouc ou de toute autre matière similaire compatible avec la nature du liquide; cette boule a été introduite dans le tube avant la stérilisation, qui a été faite à l'autoclave par les procédés ordinaires. Au moment de l'usage, cette boule servira de piston.

Le mode d'emploi de l'instrument est des plus simples:

Saisir l'ampoule-seringue, comme le montre la figure 1, en plaçant les pouces en face l'un de l'autre: tirer fortement, la cassure se fait nette et sans éclat au niveau de la bague. A l'aide du pouce et de l'index, briser la pointe effilée à la hauteur du trait de lime. L'aiguille ordinaire, flambée à la lampe à alcool, s'adapte exactement sur l'extrémité rodée. Il suffit alors, avec une tige de verre introduite par l'extrémité libre, de refouler la boule de caoutchouc, qui constitue un piston parfait; l'ampoule est ainsi devenue une véritable seringue (fig. 2) et peut injecter toutes les solutions, quelles qu'elles soient.

Les inventeurs font valoir les avantages suivants en faveur de leur ingénieux appareil:

Aucune contamination n'est à craindre, puisque le liquide est injecté sans transvasement;

Il y a économie de temps, puisqu'il est inutile de faire bouillir la seringue;

La stérilisation, d'autre part, est plus sûre, l'ébullition de la seringue ne donnant qu'une asepsie relative.

Ajoutons enfin l'économie; les ampoules-seringues suppriment l'emploi des seringues ordinaires, coûteuses et délicates à manier.

Ces ampoules-seringues se trouvent au prix de 5 fr. la boîte de 10 (tige de verre-piston comprise), chez M. Robert, 37, rue de Bourgogne, Paris.

Pour toutes insertions concernant les nouvelles inventions, écrire au service des Nouvelles Inventions, à l'Illustration, 13, rue Saint-Georges, Paris.


Note du transcripteur: Ces deux suppléments ne nous ont pas été fournis:

Deux gravures hors texte en couleurs et remmargées;

L'Illustration théâtrale avec le texte complet de L'AGE D'AIMER.