Title: L'Illustration, No. 3239, 25 Mars 1905
Author: Various
Release date: November 7, 2010 [eBook #34231]
Language: French
Credits: Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque
L'Illustration, No. 3239, 25 Mars 1905
Ce numéro contient l'Illustration Théâtrale avec le texte complet des VENTRES DORÉS.
M. Brieux M. Paul Hervieu. M. Marcel Prévost.
NOS
ÉCRIVAINS RÉFORMATEURS DU CODE CIVIL
Photographie prise chez M. Paul
Hervieu, le 21 mars,--Voir l'article à la page suivante.]
L'Illustration pendant les trois premiers mois de 1905, a tenu plus
encore qu'elle n'avait promis à ses lecteurs, en ne leur donnant pas
moins de sept pièces de théâtre nouvelles: le Bercail, par M. Henry
Bernstein, la Conversion d'Alceste, par M. Georges Courteline;
l'Instinct, par M. Henry Kistemaeckers; la Fille de Jorio, par M.
Gabriele d'Annunzio,traduction de M. G. Hérelle; la Retraite, par M.
Beyerlein, traduction de MM. Ramon et Valentin; la Massière, par M.
Jules Lemaître, et enfin, dans ce numéro même, les Ventres dorés, par
M. Émile Fabre.
Pendant le trimestre qui commencera avec le prochain numéro, nos
abonnés ne seront pas moins favorisés.
Dès les premières semaines d'avril, nous allons publier successivement:
L'ÂGE D'AIMER, par M. Pierre Wolff, dont le principal rôle va être
interprété par Mme Réjane au théâtre du Gymnase;
SCARRON, par M. Catulle Mendès, qui va être joué par M. Coquelin aîné
au théâtre de la Gaîté;
L'ARMATURE, par M. Brieux, d'après le célèbre roman de M. Paul
Hervieu, de l'Académie Française.
Paraîtront ensuite, au fur et à mesure de leurs premières
représentations:
LE DUEL, par M. Henri Lavedan (Comédie-Française);
LE RÉVEIL, par M. Paul Hervieu (Comédie-Française);
MONSIEUR PIÉGOIS, par M. Alfred Capus (Renaissance);
LE GOÛT DU VICE, par M. Henri Lavedan (Gymnase);
Les prochaines pièces de MM. Maurice Donnay, Brieux et de tous les
principaux auteurs dramatiques contemporains.
L'Illustration va commencer, pour ne plus l'interrompre, la publication
de nombreux suppléments artistiques: gravures tirées en couleurs ou en
camaïeu, oeuvres inédites d'Albert Guillaume, Georges Scott, ou
reproductions de tableaux par Henner, Thaulow, Bail et autres maîtres
modernes.
Le numéro consacré aux Salons de 1905 sera particulièrement soigné: le
choix des oeuvres reproduites, la beauté du papier et du tirage en
feront un véritable album d'art.
Nous rappelons que les abonnés de l'Illustration reçoivent sans
aucune augmentation de prix tous les suppléments: Pièces de théâtre
(ILLUSTRATION THÉÂTRALE); Numéro du Salon; Numéro de Noël; Gravures hors
texte, etc., etc.
On n'a pas soufflé mot à Paris d'un congrès que tint à Bordeaux, ces jours-ci, la Ligue contre la licence des rues et que M. le sénateur Bérenger présidait. C'est, par hasard, en feuilletant des journaux de province au salon de mon hôtel, que j'ai pu me tenir au courant des travaux de cette assemblée. Il n'y a pas de plus louable tâche que celle qu'elle entreprend. L'une des choses qui nous étonnent le plus, nous autres étrangers, quand nous débarquons à Paris, c'est la facilité avec laquelle s'exhibe, aux vitrines de certaines librairies, aux devantures de tous les kiosques à journaux, l'image obscène. Un homme a voulu empêcher cela et tout le monde lui a donné raison. Mais, comme il n'est pas bienséant, à Paris, d'avouer qu'on a le respect de la morale, on a laissé M. le sénateur Bérenger fonder sa Ligue, en l'en approuvant tout bas; après quoi l'on s'est moqué de lui. Mes amis me disent qu'il n'y a pas d'homme qui ait été plus «blagué», depuis sept ou huit ans, que celui-là. Le dessinateur et le chansonnier se sont emparés de M. Bérenger; il est, dans les revues de fin d'année, le héros de scènes burlesques où la vertu est fort irrévérencieusement traitée; on l'appelle, en riant, le «Père la Pudeur»... Il nous laisse rire. Il va son chemin; il accomplit, avec simplicité et obstination, une tâche qui le rend impopulaire chez les jeunes gens et qui fait sourire les femmes. Je trouve cela très courageux. Le seul défaut, peut-être, de cet homme de bien est de n'avoir pas l'air aimable. On me l'a montré, un soir, dans une réunion publique. Il a le regard fuyant, les traits tourmentés; ses favoris gris roux ont une coupe archaïque; les lèvres minces dessinent, sur la face rasée, comme un pli de mauvaise humeur. Les gens se le désignaient, à distance, avec des mots narquois et visiblement, en le regardant, pensaient à des couplets entendus, à de récentes caricatures. Peut-être est-ce à dessein, et pour échapper à ces faciles railleries, que M. Bérenger s'en est allé continuer hors Paris sa campagne contre les pornographes.
Il s'est dit que Bordeaux est loin du boulevard et que la blague parisienne hésiterait peut-être à le poursuivre jusque là...
Car Paris ne se répand pas volontiers vers les départements. Et c'est là encore un des traits caractéristiques de la psychologie du Parisien. Le Parisien ignore la province--j'ai souvent remarqué cela--et s'il entre en contact avec elle, il entend qu'elle lui en sache gré. Il semble que le fait d'avoir fixé sa résidence sur un coin de terre que bornent, aux quatre points cardinaux, Batignolles, Vaugirard, Auteuil et Bercy, confère à cet homme une supériorité sur tous les autres; et nous en avons eu la preuve, hier encore, dans l'extraordinaire attitude de la bande que jugeait la cour d'Amiens et de ses avocats. On a l'impression très nette, à la lecture des comptes rendus de ce curieux procès, qu'accusés et défenseurs se sont sentis, là-bas, comme dépaysés, et qu'ils eussent souhaité, pour la narration et l'apologie de leurs exploits, une scène plus digne d'eux. Aussi, dès l'ouverture des débats, avons-nous vu comme un courant de mauvaise humeur et d'incivilité générale s'établir dans le prétoire. Il est évident que ces virtuoses du meurtre et du vol, pénétrés du sentiment de leur «force», souffraient de la malchance, de l'humiliation d'être jugés si loin du boulevard et que leurs avocats partageaient ce sentiment. L'avocat parisien surtout ne saurait supporter sans impatience l'autorité des juges départementaux. Le plus souple, en leur présence, devient cassant; le plus courtois montre une brutalité qui n'est pas dans sa manière habituelle: il lui déplaît de s'en laisser remontrer par la province»...
Ce n'est pas tout à fait leur faute Les Parisiens auraient moins de vanité si la province attachait moins d'importance à tout ce qui se dit et se fait à Paris: la Parisienne, si charmante qu'elle soit, serait moins fière de sa grâce et de son élégance si elle se sentait moins jalousement observée par la couturière et la modiste de Marseille, de Nantes et de Roubaix; et plus il y aura de bons élèves dans les universités de province, moins il se fera tapage chez les étudiants de Paris.
Ils en ont fait énormément depuis huit jours, et plusieurs fois je les ai vus passer rue Soufflot, sous mes fenêtres, très excités, au cri de: «Conspuez Gariel!»
On me dit que c'est le nom d'un professeur éminent de la Faculté de médecine, qui a commis l'imprudence de se montrer sévère, en de récents examens; de là, des blackboulages que cette jeunesse juge immérités.
--Sévérité salutaire, madame! m'affirmait tout à l'heure un vieux médecin, célibataire et retraité, qui est mon voisin de table d'hôte. On ne découragera jamais assez les jeunes gens d'aujourd'hui d'être médecin...
--C'est pourtant, dis-je, la plus noble des professions.
--C'en est la plus décevante aussi. La médecine compte quelques «princes» que leur talent a rendus célèbres et riches; mais il faudrait pouvoir signaler aux jeunes gens tous ceux qui n'ont pas trouvé dans la pratique de cet art-là de quoi vivre; et le nombre en grossit tous les jours.
--On est donc moins malade qu'autrefois, docteur?
--Oui, madame. Les conditions de l'hygiène générale nous ont fait une vie meilleure et, si étrange que la chose paraisse, il y a moins de malades aujourd'hui qu'autrefois. Nos hôpitaux sont mieux tenus; des gens de situation modeste, à qui la promiscuité de l'hôpital eût fait horreur il y a vingt ans, vont aujourd'hui s'y faire soigner. D'innombrables cliniques gratuites s'ouvrent aux malades ou aux éclopés de toutes conditions, et voilà une clientèle encore qui échappe au médecin de «quartier». Et puis, il y a la société de secours mutuels, qui assure à son adhérent, pour très peu d'argent, les soins d'un docteur qu'on paye mal,--et qu'on dédommage au moyen d'un peu de ruban violet. On ne saura jamais combien de blessures les palmes académiques servent à panser, dans ce pays-ci... Le métier de médecin est devenu, chez nous, l'un des moins tentants qui soient, et les jeunes gens qui crient; Conspuez Gariel! sont des fous. Ils maudissent une sévérité qui les sauve de la misère; ils devraient la bénir. Jamais il n'y aura trop de «Gariels» au seuil des carrières libérales que tant d'ambitions encombrent et où s'énervent et se gaspillent tant d'activités qui auraient pu être bonnes à quelque chose.
Et, tandis que le Quartier latin se fâche, une agitation de fête remplit Paris, du pont Alexandre au Champ de Mars. Concours agricole au Palais des machines, Concours hippique au Grand Palais et, demain, les deux Salons! Mais ici encore l'avenir inquiète: «Trop d'automobiles...» disent les marchands de chevaux; «Trop de peintres», disent les marchands de tableaux.
Personne ne dit; «Trop de bétail...» Et la province prend ici sa revanche. Paris la dédaigne; mais c'est elle qui le nourrit. Sonia.
Notre Code civil dont on célébrait naguère le centenaire, est un monument respectable, de belle ordonnance, de construction solide; mais il en va des monuments législatifs comme des autres: quels que soient leur force de résistance aux injures du temps et leur état de conservation, ils vieillissent, ils se démodent peu ou prou, et, si les fondements tiennent bon, si le gros oeuvre, les dispositions générales de l'édifice demeurent appropriés à sa destination, il arrive un moment où certaines parties, certains aménagements ne s'adaptent plus suffisamment aux idées, aux moeurs, aux nécessités d'une époque.
Donc, le Code civil a besoin de modifications; c'est un fait de toute évidence, sur quoi l'opinion de jurisconsultes éclairés est d'accord avec le voeu public. Récemment, un ministre se décidait enfin à entreprendre cette réforme, réclamée depuis assez longtemps déjà: M. Vallé, garde des sceaux dans le précédent cabinet, se déclarait prêt à «marcher». Le premier acte de l'initiative ministérielle fut l'institution d'une grande commission d'étude et de révision de soixante membres. L'annonce officielle de cette sage et prudente mesure préparatoire ne remua pas extraordinairement, il faut l'avouer, ce que feu M. Floquet, en son verbe sonore, appelait les masses profondes du suffrage universel et, quant aux couches superficielles du pays, elle n'y excita qu'un enthousiasme tempéré. Un scepticisme trop justifié par l'expérience nous porte à nous méfier des commissions, surtout des grandes, fussent-elles, comme celle-ci, divisées en six sous-commissions, afin de se partager la tâche; trop souvent elles ont encouru le reproche d'avoir étouffé dans leur sein les projets embryonnaires qu'elles étaient censées couver pour en faciliter l'éclosion, aussi leur mauvaise réputation a-t-elle inspiré la verve satirique de je ne sais plus quel Juvénal fantaisiste, en une «blague» amusante dont chaque couplet amène invariablement ce refrain: «Alors, on nomma une commission, et... on n'entendit plus parler de rien.»
La malice n'épargna pas ce trait cruel au nouveau comité consultatif; l'éclectisme même qui avait présidé à sa composition contribuait à faire douter de l'efficacité de sa besogne. Pensez donc! Aux obligatoires politiciens du Parlement, aux juristes professionnels, naturellement indiqués, un garde des sceaux, novateur audacieux, n'avait pas craint d'adjoindre des littérateurs; M. Paul Hervieu, de l'Académie française; M. Marcel Prévost, président de la Société des gens de lettres; M. Brieux, un des maîtres du théâtre contemporain.
D'indécrottables routiniers, imbus des préjugés les plus étroits, n'en revenaient pas: «Singulière idée! murmuraient-ils. Certes, le Code est un livre copieux et substantiel, mais combien peu littéraire! Que diable des romanciers, des auteurs dramatiques vont-ils faire dans cette galère? Ils s'y sentiront déplacés, dépaysés, ne comprendront goutte aux subtilités de la législation, et bientôt ils cesseront d'encombrer de leur présence, plus décorative qu'utile, des séances où, d'ailleurs, leurs collègues mieux qualifiés ne se distingueront probablement ni par une assiduité exemplaire, ni par un zèle dévorant.»
Eh bien, erreur grossière, jugement téméraire! Il n'était pas vrai qu'on ne dût plus entendre parler de rien. Le mur de l'enceinte réservée aux délibérations des soixante est un mur derrière lequel il se passe quelque chose; le public s'en émeut; et, le plus piquant de l'aventure, c'est que cet émoi a pour cause l'intervention active des littérateurs dans les conseils du grave aréopage.
Il n'est bruit, en effet, que de la séance mémorable de la cinquième sous-commission, qui a le privilège de compter parmi ses dix membres deux des écrivains de marque susnommés, M. Paul Hervieu et M. Marcel Prévost. Cette sous-commission s'occupe plus particulièrement des questions relatives au mariage. Or, l'autre jour, comme elle examinait l'article 212: «Les époux se doivent mutuellement fidélité, secours, assistance», l'auteur des Tenailles et de la Loi de l'homme exprima le vif regret de ne pas voir inscrit dans le Code le mot «amour» et, en s'excusant de l'audace grande, il proposa résolument de réparer cette fâcheuse omission. «L'amour, dit-il en substance, est sans nul doute la base même du mariage, le sentiment qui l'ennoblit; il convient donc d'indiquer aux époux, comme le premier de leurs devoirs, l'obligation de s'aimer.» Avec une conviction persuasive, la lucidité, la logique, la hauteur de vues d'un esprit supérieur, M. Paul Hervieu développa sa thèse, étayée sur des arguments pertinents; bref, après une discussion en règle, à laquelle prit part l'éminent auteur de La plus faible, l'amendement quasi-subversif rallia la majorité des suffrages. De sorte que, s'il obtient la sanction des législateurs du Palais-Bourbon et du Luxembourg, l'article 212 sera désormais ainsi rédigé: «Les époux se doivent mutuellement amour, fidélité, secours, assistance.»
En attendant, depuis qu'une heureuse indiscrétion l'a livré à la publicité--car les travaux de la commission extraparlementaire sont secrets!--cet amendement est en train de faire fortune et dispute aux événements les plus sensationnels les honneurs de l'actualité. Il est tout de suite devenu un sujet de chroniques, d'interviews, de dissertations, de controverses, de conversations intimes:
--Vous avez vu la proposition d'Hervieu? Hein? Qu'en pensez-vous?...
Naturellement, les avis sont partagés. Ceux-ci jugent l'addition superflue, soit parce que l'idée d'amour peut être considérée comme implicitement contenue dans le mot «fidélité», soit parce que l'affirmation d'un principe en quelque sorte théorique leur paraît être un moyen insuffisant de réaction contre la pratique du mariage d'intérêt. Ceux-là estiment que le sentiment ne se décrète ni ne s'impose par une loi. D'autres prétendent qu'avant d'introduire l'amour dans le Code, il faudrait en préciser la définition. (Quoi! Nous en serions encore là pour une chose si connue et aussi vieille que l'humanité!) Enfin, on objecte que l'addition proposée fournirait de nouvelles facilités au divorce et par là saperait l'institution même du mariage plus qu'elle ne la consoliderait.
En revanche, les marques d'approbation ne manquent pas, notamment du côté des femmes. Sauf quelques réserves, la plupart applaudissent au geste de galante courtoisie de M. Paul Hervieu et lui sont reconnaissantes de son généreux souci d'orner d'un peu de poésie et d'élégance l'aridité rébarbative du Code. Elles se savent, maintenant, au sein de la commission, plus d'un avocat décidé à rompre délibérément avec l'adage suranné:
Du côté de la barbe est la toute-puissance. Et cette certitude rassurante adoucit la légitime rancoeur qu'elles éprouvent de n'être pas représentées dans le cénacle (au fait, pourquoi cet ostracisme ou cet oubli?) par un ou plusieurs mandataires féminins.
Quels seraient les résultats du nouvel article 212? La formule plus fleurie que prononcerait, au nom de la Loi, la bouche autorisée de M. le maire ferait-elle davantage les mariages unis et prospères? Sur ce point, comme sur les conséquences juridiques de l'adjonction d'un petit mot de deux syllabes, si gros d'interprétations, conséquences dont il laisse l'examen à la sagacité spéciale des praticiens experts à déterminer les «cas», M. Paul Hervieu se montre très circonspect.
Ne soyons pas plus royaliste que le roi. Sans creuser la question à fond, bornons-nous à notre indication sommaire du pour et du contre et à la seule conclusion ferme que nous voulions tirer de l'événement qui occupe tant le monde et la ville.
Observateur, penseur, psychologue, moraliste, le véritable écrivain,
l'«honnête homme», au sens où le dix-septième siècle entendait
l'expression, a sa place marquée dans les assemblées chargées d'étudier
les importants et délicats problèmes touchant aux intérêts vitaux de la
société; la preuve vient d'en être démontrée de brillante façon. Qu'il
ait voix au chapitre et, loin d'y être un intrus, un inutile «amateur»,
il est capable d'y remplir un rôle efficace, d'y apporter un précieux
concours de lumière et d'expérience, voire de faire prévaloir les
conceptions de son idéalisme dans des questions d'ordre positif. Il
suggère des idées, donnant ainsi matière à réfléchir et à raisonner,
--deux exercices intellectuels qui, peut-être, ne sont pas tout à fait
négligeables comme préliminaires des actes.
Edmond Frank.
L'hôtel «Aurore», à Fiesole, où réside la comtesse de Montignoso, (autrefois princesse Louise de Saxe). | La promenade de l'ex-princesse royale de Saxe et de sa fille, la petite Anna-Monica. |
UNE PRINCESSE EN EXIL.--Photographies Ch. Abeniacar.
La petite princesse Anna-Monica.
Dernièrement, les journaux nous entretenaient des nouveaux démêlés de la princesse Louise avec la cour de Saxe. Depuis que, à la suite de sa romanesque et retentissante aventure, l'ex-princesse royale, fille du grand due de Toscane, prenant le nom de comtesse de Montignoso, a fixé sa résidence en Italie, elle ne semble pourtant rechercher ni le bruit, ni le scandale, et préférerait sans doute voir se régler plus discrètement les intérêts en litige. Aussi a-t-elle trouvé que le séjour de Florence l'exposait trop à certaines visites importunes, aux obsessions des reporters et elle s'en est éloignée de quelques kilomètres, pour se réfugier à Fiesole. Là, installée dans une assez modeste osteria, l'hôtel «Aurore», elle mène une vie simple, retirée, paisible, consacrant la majeure partie de son temps à ses devoirs maternels, à des promenades en voiture avec sa fille Monica, entourant de toute sa sollicitude ce charmant baby dont la présence lui est une douceur réconfortante dans les pénibles circonstances qui, jusqu'à nouvel ordre, la séparent de ses autres enfants.
Il y a des silences qui sont des mensonges. Melchior de Voglé.
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Les pays où l'on n'a ni aimé ni souffert ne vous laissent aucun souvenir. Pierre Loti.
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Progrès matériel et décadence morale: l'attelage dépareillé d'une nation qui court aux catastrophes.
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Le rappel de nos lointains souvenirs fait moins songer au retour printanier des hirondelles qu'à leurs rassemblements sur les toits d'où l'hiver les chasse. G.-M. Valtour.
LA MISSION DE SEGONZAC AU MAROC.--La caravane dans le
Haut-Atlas (26 janvier 1905).
Le marquis de Segonzac.
Phot. Pirou, rue Royale.
Le marquis de Segonzac vient d'être fait prisonnier dans le Sud marocain. Il avait été chargé, par le Comité du Maroc, d'une mission dans les régions de l'Atlas méridional et du Sous. C'est au cours de cette mission, après en avoir accompli la majeure partie et se trouvant déjà à mi-chemin sur la voie du retour, qu'il fut, par trahison, attiré dans un guet-apens et arrêté sur l'ordre du cheik de la tribu des Sektana, Mohammed ben Tabia. Il avait déjà accompli au Maroc trois importants voyages d'exploration (octobre 1899-septembre 1901). Il avait visité le Sous, le Maroc central, puis exploré le Rif, dernière partie ignorée du littoral méditerranéen dont, comme l'a écrit Duveyrier, on ne connaissait que ce que l'on pouvait apercevoir du pont des navires. C'est sous des déguisements divers que M. de Segonzac était parvenu à mener à bien ses périlleuses entreprises. Au Sous, accompagné d'un vieil Algérien échappé de la Guyane, il avait erré sous le déguisement d'un pèlerin dévot. Il avait pénétré chez les Beraber, à la suite de cheurfa d'Ouezzan, en qualité de domestique. Dans la région du Rif, il avait cheminé sous les haillons minables d'un mendiant allant de mosquée en mosquée et vivant d'aumônes. Comme on le voit, ces trois voyages furent de jolis tours de force, dénotant chez l'homme qui les a accomplis autant d'audace que d'intelligence.
Itinéraire de la mission de Segonzac en 1905. (Le trait
plein indique le chemin parcouru jusqu'au 4 février; le trait
interrompu, le chemin que la mission devait parcourir.)
Zenagui. M. de Segonzac.
La mission de Segonzac sur un
sommet
de l'Atlas. D'après une épreuve
communiquée par M. L. Bouet.
Cette fois, la mission de Segonzac avait quitté Marseille le 1er novembre 1904. Elle se composait de: MM. de Segonzac, Gentil, maître de conférence de géologie à la Sorbonne, R. de Flotte Roquevaire, cartographe, Boulifa, professeur à l'École des lettres d'Alger, interprète berbère, et Abd el Aziz Zenagui, professeur à l'École des langues orientales de Paris, interprète arabe. Cette mission était entrée en territoire marocain par Mogador. Depuis son départ, on n'avait eu à son sujet que très peu de nouvelles. Dernièrement, le Comité du Maroc avait appris qu'afin de se mouvoir avec plus de sécurité, la petite troupe s'était divisée en trois: M. Gentil explorait, au point de vue géologique, la région de Marrakech, tandis que M. de Flotte Roquevaire faisait de la triangulation dans le Haut-Atlas.
Quant à M de Segonzac, accompagné de ses deux interprètes berbère et arabe, il se dirigea sur l'Est marocain, vers l'Atlas. L'itinéraire qu'il suivit part de Demnat, passe par la zaouia d'Ahansal, la zaouia d'Amhaouch, coupe le Haut-Atlas au col de Tounfit et aboutit au mont Aiachi. Ce dernier point est une montagne de 4.200 mètres d'altitude qui est le noeud des massifs du Haut et du Moyen-Atlas. En parvenant jusqu'au pied de l'Aiachi, M. de Segonzac a comblé le dernier grand blanc restant sur la carte du Maroc.
De l'Aiachi, le voyageur se dirigea vers l'Anti-Atlas. C'est de cette région, de la zaouia Sidi-el-Haouari, dans le Ferkla, à deux jours du Tafilalet, que, pour la dernière fois, on eut de ses nouvelles. Il se proposait de revenir par l'oued Dra, l'oued Noun et la partie supérieure de la vallée de l'oued Sous. M. de Segonzac a donc été fait prisonnier en accomplissant la dernière partie de son magnifique voyage. À ce moment, il était seul avec son interprète arabe, son interprète berbère étant retourné à Marrakech. Fort heureusement, Abd el Aziz Zenagui put s'échapper, on ne sait pas encore comment, se rendre à Mogador et télégraphier la nouvelle de la capture de M. de Segonzac.
À l'instant même où le Comité du Maroc recevait cette nouvelle, lui parvenaient plusieurs caisses remplies de documents et de photographies expédiés par M. de Segonzac et résultant de sa belle exploration. Les deux panoramas que publie aujourd'hui l'Illustration nous ont été obligeamment communiqués par le Comité du Maroc.
Il s'agit maintenant de délivrer le courageux Français victime, de son intrépidité. Le ministre des affaires étrangères est saisi de la question et les négociations vont commencer. Puissent-elles aboutir rapidement! André Mévil..
Vue de la chaîne, du Haut-Atlas, prise du col de Tounfit
(27 janvier)
Les deux vues panoramiques reproduites ici ont été prises
par la mission pendant qu'elle franchissait une région complètement
inconnue dans le Haut-Atlas.
M. COQUELIN AÎNÉ DANS SON NOUVEAU ROLE DE SCARRON
La première représentation de «Scarron», comédie tragique en cinq actes, en vers, de M. Catulle Mendès, sera le grand événement théâtral de la semaine prochaine.--«Mon rôle est admirable», dit M. Constant Coquelin.--«Mon interprète est prodigieux», dit M. Catulle Mendès. Nos lecteurs nous sauront gré de leur faire connaître, même avant les privilégiés de la répétition générale et de la première, la physionomie que le célèbre acteur va donner à l'énigmatique figure du poète burlesque et infirme, qui fut le mari de la belle Françoise d'Aubigné.
Le président Roosevelt, escorté par les rough-riders, se rend au Capitole. |
Le défilé des cadets de West-Point.-- Phot comm. par M. Léon Bouet. |
L'INAUGURATION DE LA NOUVELLE PRÉSIDENCE DE M. ROOSEVELT
Sur la place du Capitole, à Washington: le Président prête le serment
constitutionnel, la main droite sur la Bible que lui présente le
Chief-Justice. M. Fuller.
Photographie Underwood et Underwood.--Voir
l'article, page 196.
LE GÉNÉRAL LINIÉVITCH, QUI REMPLACE LE GÉNÉRAL KOUROPATKINE À LA TÊTE
DES ARMÉES RUSSES EN MANDCHOURIE.
Photographie de notre correspondant de guerre, Victor Bulla, attaché à
la 1re armée russe.
Le général Liniévitch, appelé, le 15 mars, par un ordre télégraphique du tsar, à remplacer Kouropatkine en qualité de généralissime, est âgé de soixante-sept ans. N'ayant passé par aucune école militaire, il a porté pendant sept ans la chinèle du simple soldat. En 1900, il commandait le corps de Sibérie, avec lequel il prit part à la campagne de Chine; en 1904, il exerçait le commandement intérimaire des troupes de Mandchourie, qu'il dut, au mois de mars, remettre à Kouropatkine. Depuis le mois de novembre, il était à la tête de la 1re armée, poste où son ancien général en chef, déférant au désir de l'empereur, va le remplacer à son tour.
Malgré son âge et ses nombreuses blessures, le général Liniévitch est encore très robuste et a conservé une rare activité, dont il vient de donner des preuves. Le fait qu'il est sorti du rang contribue à rendre son nom populaire en Russie, où l'on compte un peu sur sa longue expérience pour changer la fortune des armes, jusqu'à présent si obstinément défavorable.
(Agrandissement)
L'ENVERS DE LA GUERRE: UNE RUE DE MOUKDEN PENDANT
LES DERNIERS JOURS DE L'OCCUPATION RUSSE
Un flot humain: charrettes de
réfugiés des villages voisins, voitures d'ambulances transportant des
blessés, coolies chinois, détachements d'infanterie sibérienne, voitures
d'intendance...
LE TRANSPORT DES PIÈCES DE SIÈGE JAPONAISES DE
PORT-ARTHUR AU CHA-HO.--
Photographie d'un de nos correspondants, le
colonel Edwin Emerson. De même qu'à Port-Arthur, l'artillerie
japonaise et, particulièrement, les pièces de siège paraissent avoir
joué un rôle considérable dans les succès du Cha-Ho et du Houn-Ho qui
ont eu pour conséquence la prise de Moukden. On voit, par la
photographie ci-dessus, avec quel soin minutieux les Japonais allaient
confier à la voie ferrée transmandchourienne, pour être transportés de
Port-Arthur au Cha-Ho, leurs gros canons, soigneusement enveloppés et
emballés.
L'HÔTEL BRISTOL, À SAINT-PÉTERSBOURG, APRÈS L'EXPLOSION
D'UNE BOMBE DANS UNE CHAMBRE DU SECOND ÉTAGE.--
Phot. C.-O. Bulla.
Dans la nuit du 10 au 11 mars, une explosion formidable retentissait au
coin de la perspective Voznessensky et de la rue Grande-Morskaïa. Une
bombe, qu'un étranger, Henri Mac-Cullock, venait de fabriquer
clandestinement au second étage de l'hôtel Bristol, avait éclaté par
accident, tuant son auteur, éventrant le plancher, faisant voler toutes
les vitres en éclats, blessant plusieurs personnes dans les appartements
voisins et à l'étage inférieur. Mac-Cullock appartenait au parti
révolutionnaire. Outre des proclamations et des brochures séditieuses,
on a trouvé dans sa chambre plusieurs formules chimiques permettant
d'obtenir des engins de force explosive extraordinaire, divers dessins
de machines infernales perfectionnées, et enfin des annotations
relatives à Gatchina et à Tsarskoïé-Sélo.
Une des pattes du dinosaure mise à découvert dans une carrière de l'État de Wyoming. | Le montage d'une des pattes antérieures du dinosaure au musée paléontologique de New-York. |
Une gravure de notre numéro du 11 mars représentait le squelette reconstitué et monté, au muséum de New-York, d'un dinosaure, un de ces monstres gigantesques qui existaient sur la croûte terrestre, aux époques jurassique et crétacée. C'est le premier spécimen d'un animal de ce genre que le public soit appelé à contempler Ses restes fossiles ont été mis au jour en 1897, par un naturaliste américain, M. Walter Granger, près des carrières de Bone Cabin, dans l'État de Wyoming.
Après le long et délicat travail de l'extraction, du transport à New-York, du nettoyage, le montage des diverses pièces du squelette a été effectué sous la direction du professeur Henry F. Osborn, conservateur du musée de paléontologie américain.
Os du bassin du dinosaure.
Par sa forme autant que par ses proportions, le dinosaure-brontosaure diffère de tous les animaux vivants. Il avait une queue épaisse, semblable à celle des crocodiles ou des lézards, mais longue de 10 mètres, un cou flexible comme celui de l'autruche et qui mesurait près de 6 mètres; le corps de forme courte, ramassée, plat des deux côtés; les membres trapus, solides, droits, à peu près comme l'éléphant. Sa tête était très exiguë. Le cerveau devait être fort petit. Les os des jambes et de la queue sont extrêmement forts, alors que la colonne vertébrale est d'une armature relativement plus légère.
On évalue que ce monstre, qui mesurait 20 mètres de longueur totale sur 5 mètres de hauteur, ne pesait pas moins de 90.000 kilos.
Grâce à son cou extrêmement allongé, cet amphibie pouvait faire des plongeons à de grandes profondeurs pour rechercher les plantes succulentes du fond. La rangée de dents, courtes, à bouts carrés, en forme de cuillères, placées tout autour de la bouche, lui permettaient d'arracher les feuilles des arbres ou des plantes aquatiques. Mais le monstre ne pouvait point mastiquer sa nourriture, car il n'avait point de molaires: il l'avalait évidemment sans la mâcher.
M. Charles Knight a exécuté, sous la direction du professeur Osborn, un modèle en terre qui est considéré comme une reconstitution fidèle de l'animal vivant. Ce même artiste avait déjà fait d'autres reconstitutions, très remarquables également, d'animaux préhistoriques.
Suivant les déclarations du professeur Osborn, le dinosaure brontosaure vivait principalement dans les grandes lagunes et les vastes marécages de peu de profondeur, le corps immergé en partie, mais allant aussi sur la terre ferme pour y déposer ses oeufs, etc. Cet animal a dû disparaître complètement de la surface du globe vers la fin de la période crétacée.
Squelette complet du dinosaure. Le modèle du dinosaure reconstitué.
LES EXPÉRIENCES DE CHERBOURG
--Le «Z», sous-marin à
passerelle surélevée.
Le monde maritime était très partagé sur la question de savoir lequel des deux types, le sous-marin ou le submersible, pourrait rendre, en temps de guerre, les meilleurs services, et duquel, partant, il convenait de construire le plus d'exemplaires. Les expériences qui se sont poursuivies, dix jours durant, à Cherbourg, et qui ont opposé le submersible Aigrette au sous-marin Z, semblent bien faites pour fixer l'opinion d'une façon définitive.
Le submersible Aigrette est en quelque sorte un torpilleur ordinaire contenant dans ses flancs un sous-marin: le profil qui apparaît sur notre dessin montre que cette combinaison est apparente même à l'extérieur. Quant au sous-marin Z, c'est un fuseau surmonté d'une plate-forme surélevée qui sert aux observations.
Le programme comportait des essais de navigation à la surface et d'habitabilité, des expériences de plongée et de navigation en immersion.
On a pu acquérir la certitude que l'Aigrette, à la surface, possède des qualités nautiques supérieures, gouverne mieux, est plus souple sur la lame et, par conséquent, moins pénible à habiter pour les équipages, qui peuvent ainsi venir respirer à l'air libre au lieu d'être confinés dans un espace hermétiquement clos, comme cela arrive à bord des sous-marins, lesquels, en raison de leur forme en fuseau, pénètrent violemment dans la vague et sont sans cesse couverts d'eau. La passerelle surélevée n'est elle-même pas tenable pour les hommes pendant la marche à la surface.
En plongée, les expériences, tout en faisant constater la bonne navigabilité de l'Aigrette, n'ont pas donné toutefois à ce bateau un avantage aussi sensible.
En résumé, pour toute navigation prolongée en haute mer, le submersible seul présente les qualités requises. C'est le navire d'offensive par excellence. Quant au sous-marin, il pourra rendre d'utiles services dans la défense des côtes.
LES EXPÉRIENCES DE CHERBOURG.--
Le submersible «Aigrette»
naviguant en immersion.
Dessins de Johansor, d'après des documents
graphiques.]
Le premier courrier qui arrive en France, depuis l'échouage du Sully dans la baie d'Along, nous apporte des documents d'un extrême intérêt: ce sont des photographies prises après l'accident et permettant de se rendre compte de toute sa gravité.
Le Sully marchait à 11 noeuds, pendant un exercice de lancement de torpilles, quand, à deux heures quarante-neuf minutes exactement de l'après-midi, le 7 février, il toucha, par moins de 7 mètres, en un point où les cartes marquent 14 mètres de fond, à une distance de 108 mètres du rocher appelé le Canot. Il fut littéralement éventré sur la moitié de sa longueur, puis s'arrêta, son milieu reposant sur l'écueil comme le fléau d'une balance sur son couteau. L'énorme quantité d'eau pénétrant par l'avant le fit enfoncer, en même temps qu'il s'inclinait sur bâbord, de telle façon qu'on pouvait craindre un renversement complet. L'évacuation du navire par les 650 hommes d'équipage s'imposait.
La situation était d'autant plus critique que tous les rochers environnants étaient à pic, sauf une pointe et une plage minuscules que montrent nos photographies.
Heureusement, une dépèche avait pu être lancée, par la télégraphie sans fil, avant que les dynamos fussent noyées. Elle toucha le Gueydon qui, forçant de vitesse, arriva quelques heures après, et recueillit les naufragés du Sully, cramponnés aux aspérités de roc ou entassés dans les canots du bord. Aucun ne manquait cependant.
Trois jours après, les compartiments de l'arrière s'étant remplis à leur tour, le Sully basculait et se redressait. Mais depuis, malgré tous les efforts, sa situation ne s'est pas améliorée, et son sauvetage est des plus problématiques. Le matériel, toutefois, a pu être enlevé.
Vue du rocher Canot, prise du «Sully». (À gauche du Canot, une petite roche sur laquelle vingt hommes trouvèrent place après l'évacuation du navire.) |
Deux vues du pont du «Sully», pendant le débarquement du
matériel dans des gabares. (Ces deux photographies, ainsi que la précédente, ont été prises le 13 février, cinq jours après le naufrage.) |
Vue prise par tribord avant le 8 février, entre 10 et 11 heures du matin, pendant les opérations du sauvetage. Les seuls rochers à proximité du lieu de l'échouage, où le débarquement de l'équipage était possible: 15? hommes y passèrent la nuit du 7 au 8 février. |
Vue prise par le travers à tribord, le matin du 8 février. Vue prise par tribord arrière, le 8 février. LE CROISEUR CUIRASSÉ«SULLY» ÉCHOUÉ DANSLA BAIE D'ALONG |
Le «Mercédès C.-P.» (14 mètres, 90 chevaux) |
Le «Mercédès-Mercédès» (18 mètres, 180 chevaux). |
POUR LA COUPE DE LA MÉDITERRANEE.
Deux des nouveaux canots automobiles
qui vont participer à la Course Alger-Toulon.
LA COUPE DE LA MÉDITERRANÉE.
Après les courses de Paris à la mer et de Calais à Douvres, les promoteurs de la navigation automobile, encouragés, rendus même audacieux par les résultats obtenus, en ont organisé une beaucoup plus importante: la traversée de la Méditerranée, d'Alger à Toulon, qui aura lieu du 1er au 10 mai.
Trois des embarcations qui vont participer à cette grande épreuve ont été mises à l'eau dimanche, aux chantiers Pitre et Cie, près de Maisons-Laffitte. Ce sont trois canots de la même marque: le Mercédès C.-P. (Charley-Pitre, noms du représentant de la marque du moteur et du fabricant de la coque), cruiser de 14 mètres de long; propulsé par 90 chevaux; le Mercédès-Mercédès, croiser de 18 mètres de long, muni de deux moteurs de 90 chevaux chacun et d'un mât de secours; enfin le Mercédès IV, racer de 12 mètres et de 180 chevaux, merveilleux engin de vitesse, mais qui ne doit participer qu'aux courses de Monaco.
Les deux premiers attiraient surtout l'attention: le Mercédès C.-P., avec sa coque aux lignes irréprochables et ponté au point d'être hermétiquement fermé, véritable prototype de la vedette de haute mer, fait pour passer la vague en toute sécurité... et à toute vitesse; le Mercédès-Mercédès, avec son allure de yacht, mais de yacht à marche extra rapide et à grand rayon d'action grâce aux 5.000 litres d'essence qu'il peut emporter comme lest.
Tous ces canots vont être expédiés par chemin de fer à Monte-Carlo pour y être exposés en attendant la date des courses.
Quelques objets fabriqués par les prisonniers japonais
en Russie.--
Phot. Bulla.
Travaux de prisonniers japonais.
L'ingéniosité du peuple nippon est proverbiale et l'on sait quelle minutie, quelle dextérité, ses artisans comme ses artistes apportent à la confection du bibelot, où ils sont passés maîtres. La pratique intensive du métier des armes, l'éloignement de leur pays, auraient pu faire perdre à ceux-ci le goût et la main: il n'en est rien, paraît-il, ainsi qu'en témoignent les objets fabriqués par des prisonniers japonais internés au village de Medvjef, gouvernement de Novgorod. Seulement, et voilà bien un signe des temps,-il est à remarquer qu'en consacrant leurs loisirs forcés à ces menus travaux de patience, ils ont donné presque exclusivement la préférence aux sujets belliqueux. Dans la collection dont nous reproduisons les spécimens, à part une ou deux statuettes sculptées suivant la tradition de l'art national ancien, ce ne sont que modèles réduits de modernes engins de guerre, cuirassés et torpilleurs en miniature, figurines représentant des soldats et des marins, chaque pièce d'une exactitude et d'une précision étonnantes jusqu'en ses moindres détails. En somme, cette curieuse collection se compose moins de jouets que de documents attestant l'«esprit nouveau» du Japon; et les Russes eux-mêmes l'ont jugée assez suggestive pour l'admettre à l'exposition patriotique de Saint-Pétersbourg.
La culture 8e l'ambidextérité.
Il n'est pas besoin d'insister longuement pour faire valoir les nombreux avantages que présente l'ambidextérité, d'abord au point de vue du développement harmonique des formes du corps et ensuite au point de vue de la suppléance des organes, en cas d'accident.
Les Anglais, gens pratiques, ont si vivement senti ces nombreux avantages qu'ils ont fondé, à Londres, une «Société pour la culture de l'ambidextérité».
Un médecin de Birmingham, sir James Sawyer, faisant une conférence devant cette Société, a même émis cette opinion que l'ambidextérité pouvait rendre des services en mettant à l'abri de certaines affections du cerveau--telles que l'apoplexie par rupture des vaisseaux--l'activité cérébrale se distribuant chez les ambidextres sur une étendue de l'écorce du cerveau plus considérable que chez les personnes qui se servent toujours de la même main.
D'autre part, l'usage fréquent de la main gauche amènerait l'entrée en activité des centres de l'hémisphère droit, qui fonctionneraient concurremment avec leurs homologues gauches.
De cette façon, les ambidextres posséderaient deux centres du langage, pouvant se suppléer l'un l'autre, si bien qu'une lésion de l'un d'eux n'entraînerait pas forcément l'aphasie.
On sait que cette aphasie se produit fatalement chez les droitiers--qui disposent uniquement du centre dit de Broca, situé dans la région frontale de l'hémisphère gauche--quand une hémorragie se produit dans cette région.
Seulement, chaque médaille a son revers; car c'est une loi biologique que le progrès se fait toujours unilatéralement, par le développement exagéré d'un seul côté du corps animal: d'où, par exemple, l'asymétrie des cerveaux les mieux doués. Ne serait-il pas alors à craindre qu'à force de se vouloir développer bilatéralement et harmoniquement on ne perdit en puissance ce qu'on gagnerait en étendue?
Autrement dit, ne vaut-il pas mieux être un brillant orateur, avec son cerveau gauche seulement, qu'un médiocre parleur des deux cotés de son cerveau, dût la redoutable aphasie vous condamner au silence sur la fin de vos jours? C'est à discuter.
Les curiosités du veuvage.
Les statisticiens sont, on le sait, professionnellement indiscrets. Aussi, dans les opérations de l'état civil, ont-ils pris l'habitude de poser mille questions insidieuses et qui n'ont l'air de rien. Le public y répond, tout naturellement, et de la sorte fournit des documents dont quelques-uns sont fort curieux, tels que ceux qui permettent au statisticien de savoir combien de temps, en moyenne, à Paris, dure le veuvage chez les personnes qui ne s'y éternisent point. La plus récente statistique municipale fait voir que la durée du veuvage chez les personnes qui se remarient varie beaucoup: de un à vingt ans et plus encore. Mais les veufs ne se comportent pas comme les veuves. La plupart des veufs se remarient vite, au bout d'un an environ, et cela, qu'ils aient vingt-cinq ou bien soixante-quinze ans. Il y a encore une forte proportion de mariages après deux ans de veuvage, mais pour les veufs de trois et quatre ans, la proportion diminue: le nombre des remariages ne s'élève un peu que chez les veufs de cinq à neuf ans de veuvage. Autrement dit les veufs qui se remarient le font surtout après un an (753 cas), après deux ans (393) et, après, de cinq à neuf ans (341 cas) de veuvage. Ajoutons que les veufs se remarient plus que ne le font les veuves: il y a eu en 1903, à Paris, 2.088 remariages de veufs contre 1.849 remariages de veuves.
Pour ces dernières, la hâte à reprendre le lien conjugal est moins marquée que pour les veufs. Le veuf qui se remarie se remarie surtout au bout d'un an, et, à un moindre degré, après deux ans de veuvage. Les veuves qui se remarient après un an de veuvage sont en faible proportion: elles attendent plutôt deux ans, et de préférence cinq ou dix ans. En 1902, sur 1.849 veuves remariées, 283 avaient plus d'un an de veuvage; 292, de deux ans; 235, de trois ans; 160, de quatre ans, et 526, de cinq à dix ans. La veuve est moins pressée de se remarier, et entre plus rarement dans un second mariage, évidemment. Il en est pourtant qui se remarient à un âge avancé: à soixante-quinze ans et plus, après quinze ou vingt ans de veuvage. Quelques hommes font de même; se remarient à soixante-dix et soixante-quinze ans passés, après plus de vingt ans de veuvage. Tout ceci fait l'éloge du mariage, mais la condition conjugale semble; être plus appréciée de l'homme que de la femme, puisque le veuf est, plus que la veuve, enclin à y entrer de nouveau.
La légende des pygmées.
La légende des pygmées, c'est-à-dire de races humaines naines, a laissé de nombreuses traces dans l'art antique,--en Égypte et en pays latin aussi,--et dans la littérature ancienne. Or il semble bien, d'après les nombreux documents qu'ont réunis deux Allemands, que la légende des pygmées n'est nullement une légende, et que tout ce qu'on a dit, peint, gravé ou moulé au sujet de ces nains est du domaine de la réalité. La preuve la plus forte qu'on puisse donner à l'appui de cette thèse est la découverte, dans différentes stations de l'homme préhistorique, de plusieurs squelettes qui n'ont pu, indubitablement, appartenir qu'à des individus de taille naine. C'est en Suisse, particulièrement, qu'ont été faites ces découvertes de squelettes nains, et il y a une coïncidence intéressante dans ce fait que c'est principalement dans les régions où la tradition populaire parle le plus d'êtres nains qu'on a trouvé les restes incontestables de ceux-ci: en Suisse, en Bretagne, etc.
Mais c'est un fait certain aussi, que l'on trouve des documents artistiques relatifs aux pygmées dans des régions où l'on n'a point encore trouvé de restes de ces derniers. Au centre de la Gaule, d'après un archéologue, M. Déchelette, on trouve beaucoup de poteries sur lesquelles sont figurés des pygmées. Mais, si l'on étudie de près ces poteries, on constate qu'elles ressemblent de façon surprenante à celles que les Romains fabriquaient à Arezza. Il est très probable que les poteries d'origine romaine introduites en Gaule par les conquérants romains ont été copiées par les Celtes-Romains qui ne demandaient pas mieux, sans doute, que de perpétuer une tradition qui était venue jusqu'à eux et à laquelle ils croyaient volontiers.
Le mariage de M. Marconi.
Miss Béatrice O'Brien. La semaine dernière, a été célébré, à Londres, le mariage de M. Marconi avec miss Béatrice O'Brien, fille de feu lord Inchiquin. M. Guglielmo Marconi, dont le nom universellement célèbre restera attaché à une des plus curieuses et des plus importantes inventions modernes, la télégraphie sans fil, n'a que |
M. Marconi. |
Quant à la mariée, elle est issue d'un illustre clan irlandais et compte, avec la famille du maréchal de Mac-Mahon, de nombreux ancêtres communs. L'ascendance royale des Inchiquin a été formellement reconnue par les souverains de la Grande-Bretagne et le chef de cette antique maison jouit encore d'un curieux privilège; il a le droit de faire revêtir à ses serviteurs la livrée écarlate réservée aux gens du roi. L'honourable Béatrice O'Brien, qui a lieu d'être fière de ses origines, a pensé justement qu'elle ne pouvait déchoir en alliant ses titres de noblesse aux titres de gloire du jeune inventeur.
Franz Liszt et la princesse de Sayn-Wittgenstein, par Adelheid von Schorn, traduction L. de Sampigny (Dujarric, 3 fr. 50).Le Musée de la Comédie-Française, par M. Dacier (Librairie de l'art ancien et moderne).--L'Ombrie, par René Schneider (Hachette, 3 fr. 50).--Jehan Fouquet, par Georges Lafenestre (Librairie de l'art ancien et moderne, 10 fr.).--Victor Hugo photographe, par Paul Gruyer (Mendel).
Liszt et la princesse Wittgenstein.
M. von Schorn, artiste et archéologue, fut directeur des beaux-arts à Weimar; il mourut jeune, laissant dans la petite ville, encore pleine du souvenir de Goethe et toute au culte de la beauté, sa femme, fort distinguée, et sa fille Adelheid. Celles-ci virent arriver à Weimar, en 1848, Liszt, que suivit de près son amie, la princesse Carolyne Sayn-Wittgenstein, Polonaise, mariée à un aide de camp du tsar Nicolas. Séparée de son mari, elle avait rencontré à Kiev le grand musicien et l'avait aimé. En dehors de Weimar, il y avait sur une hauteur, une belle résidence, l'Altenburg, dont la princesse loua le premier étage, Liszt le deuxième. Malgré une certaine hostilité, «le roi du pays des sons», Liszt, tout féru de Wagner, fit représenter le Tannhauser et Lohengrin au théâtre dont on lui avait confié la direction, qu'il abandonna en décembre 1858. En 1860, dans le désir d'épouser Liszt, la princesse s'en fut à Rome, pour demander la nullité de son mariage. Elle l'obtint; mais, au moment où tout était préparé et l'église parée pour la cérémonie nuptiale, le pape, pressé par la famille, redemanda, pour les examiner, les pièces du procès. Ce retard empêcha à tout jamais l'union projetée à laquelle ne tenait peut-être pas beaucoup le plus volage des hommes. Jamais personne ne fut autant entouré, sollicité par les femmes que l'auteur de l'Oratorio de sainte Élisabeth. Peut-être eût-il craint, en épousant, de perdre ses privilèges d'enfant gâté. Cependant, il ne se sépara jamais de la princesse qui continua d'habiter Rome; il passait quelques mois chaque année à Tivoli, quelques autres mois dans sa chère Weimar, ce qui ne l'empêchait pas de circuler encore à travers l'Europe.
Mystique de plus en plus, la princesse, avait tourné vers les idées religieuses son ami et l'avait amené à prendre, en 1864, les ordres mineurs. Ni le titre, ni le costume d'abbé, ne semblent du reste avoir beaucoup changé l'existence de Liszt, car Mme Wittgenstein se plaint constamment de sa mondanité, qui l'empêche de réaliser ses beaux songes musicaux. Pendant qu'elle se lamente et qu'elle écrit des livres de piété: Petits Entretiens pratiques à l'usage des femmes du monde, Liszt s'épuise, par ses voyages, ses dîners, aussi par son abus des liqueurs fortes. Il meurt à l'âge de soixante-quinze ans, dans la nuit du 31 juillet au 1er août 1886, à Bayreuth, chez Cosima, sa fille, veuve de Wagner. La princesse, un an après, s'éteignit à Rome. Ces lettres de Mme Wittgenstein, de Liszt, de Mme de Schorn, d'Adelheid, que celle-ci relie entre elles par ses souvenirs, nous sont des plus précieuses, non seulement pour l'histoire du maître, mais pour celle de la musique au dix-neuvième siècle.
Le Musée de la Comédie-Française.
Les bustes, peintures, gravures, abondent à la Comédie-Française, mais disséminés un peu partout. Ne faudrait-il pas réunir dans un lieu spécial et coordonner toute cette histoire en image de la Comédie? C'est l'avis de M. Dacier, c'est le désir que M. Claretie exprime vivement en sa préface au volume de M. Dacier.
Dans son livre, éclairé de nombreuses gravures, l'auteur étudie et classe tous les trésors iconographiques de la maison de Molière, ce qui ne suffit pas à sa conscience scrupuleuse; il a porté ses recherches sur les autres collections publiques et particulières et nous montre les enrichissements que pourrait faire la Comédie. Tout est catalogué avec soin et, cependant, avec ses remarques d'art, avec ses reproductions, le livre de M. Dacier a un grand charme.
L'Ombrie. Avant de pénétrer dans l'Ombrie. M. René Schneider s'est arrêté quelque peu à Cortone et y a goûté la plus délicieuse légende, celle de Marguerite, pécheresse et repentante, patronne de la ville. Il y a vivement admiré la Vierge entourée d'anges de Fra Angelico, et la Pâque de Luca Signorelli, moins tendre, plus âpre que le peintre angélique. Dans ce pays, les souvenirs profanes se mêlent aux souvenirs religieux. Le lac de Trasimène est à la fois célèbre par la victoire d'Annibal sur les Romains et par la prédication de François d'Assise aux poissons qui le suivent et jouent devant lui. Mais l'Ombrie va commencer de se dérouler. Voici Pérouse avec sa Pinacothèque, son Pérugia, son Agostino; Assise, blanche comme une ville d'Orient, Assise, à la divine histoire, avec son doux Christ, avec sa sainte Claire et avec son Giotto qui illustre la légende franciscaine. Plus loin Montefalco, encore plein de François d'Assise, et dont l'enlumineur Benozzo Gozzoli a couvert de chefs-d'oeuvre l'église San Francesco, aujourd'hui convertie en musée; puis Spolète, qu'illustrèrent au quinzième siècle Filippo Luppi et la belle Lucrèce Borgia, régente de cette ville. M. Schneider a passé en revue les monuments de l'Ombrie, mais c'est dans le paysage de cette contrée douce et tendre, dont la sensibilité cependant se relève de vigueur, que se complaît M. Schneider, qui est avant tout un poète. Personne comme lui n'a connu et reproduit cette nature délicate et sainte de l'Ombrie.
Jehan Fouquet.
Depuis l'exposition des Primitifs, le nom de Jehan Fouquet est presque devenu populaire. Dans une belle étude, M. Georges Lafenestre nous a raconté la vie et l'oeuvre de l'illustre Tourangeau qui nous apparaît comme un trait d'union entre le pur moyen âge et la renaissance. Nous savons peu de chose de ses gestes. Né à Tours vers 1430, il fit le classique voyage d'Italie (1443-1447), pendant lequel il représenta le pape régnant Eugène IV.
De retour dans sa ville natale, peintre de Charles VII et de Louis XI, il s'installa rue des Pucelles, aujourd'hui rue des Fouquets. Un acte nous montre sa femme veuve en 1481. Rien n'égalait à cette époque la magnificence religieuse de la ville de Tours, avec sa basilique de Saint-Martin et la chapelle royale. Sur les bords de la Loire clémente l'existence était délicieuse, on y voyait une société cosmopolite et brillante. Tout cela influa sur Jehan Fouquet. Il se laissa pénétrer par la douce vie de sa terre natale. Son réalisme est délicat; s'il n'a pas les élans passionnés des grands mystiques, il a le tact et une grâce qui n'exclut pas l'énergie. Ses portraits d'Eugène IV, de Charles VII, de Jouvenel des Ursins, sont d'une vie intense.
Quelle expression dans son portrait de lui-même sur émail; dans son légat du pape! S'il ne lui manque rien pour être un grand portraitiste, il fut le miniaturiste par excellence, comme en témoignent le Livre d'heures d'Étienne Chevalier, dont il nous reste quarante-deux feuillets, les miniatures des antiquités judaïques, une partie de l'illustration des Chroniques de France et le frontispice d'une traduction de Boccace.
M. Lafenestre, en des pages fort littéraires et même un peu émues, a célébré comme il convient l'élégance saine et vive, le sentiment de l'exactitude de Jehan Fouquet.
Victor Hugo photographe.
La photographie est-elle un art? Oui, répond M. Paul Gruyer, et il en donne pour preuve le volume qu'il publie. À Jersey, jusqu'en 1855, Charles Hugo d'abord, et Auguste Vacquerie ensuite s'exercèrent à représenter le grand homme dans toutes ses attitudes. Victor Hugo collabora, en réalité, avec ses deux fils --Vacquerie était pour lui un fils--en prenant ses poses, en choisissant les effets d'ombre et de lumière. C'est en cela qu'il fut photographe, sans jamais toucher l'instrument et c'est sur les résultats de cette collaboration que M. Paul Gruyer appuie sa thèse: la photographie est un art. Que de belles images, en effet. M. Gruyer a tirées de l'album de M. Auguste Vacquerie qui lui a été livré! En 1842, le grand poète n'avait pas la figure adoucie par la vaste barbe et par la vieillesse; le visage rasé, anguleux, la taille fière, il en imposait même à son entourage immédiat. L'une des reproductions nous le montre droit, sur un rocher, défiant le destin et jusqu'aux vagues de l'Océan; dans un autre portrait, il nous apparaît la tête appuyée sur sa main, méditant profondément et presque douloureusement.
Rien d'utile comme cet album pour la psychologie de l'exilé de Jersey. La famille de Victor Hugo, Paul Meurice et quelques proscrits ont été extraits du trésor Vacquerie, ainsi que quelques paysages.
Hector Berlioz.
Hector Berlioz a eu déjà, en M, Tiersot, un premier historien (Hachette), et j'ai dû, il y a plus d'un an, m'occuper de l'auteur de la Damnation de Faust. Dans un volume, où les documents abondent et les lettres inédites, M. J.-G. Prodhomme nous a retracé la vie amoureuse et agitée de Berlioz (1803-1869), ses déceptions à Paris, ses triomphes en Allemagne, en Hongrie, en Russie, en Angleterre. À un catalogue complet des oeuvres musicales de Berlioz, M. Prodhomme en joint un autre des oeuvres littéraires.
Mélanges sur l'art français.
M. Henry Lapauze, dont les études d'art sont si goûtées et l'esprit si
alerte et si fin, a réuni sous ce titre un certain nombre de pages un
peu dispersées et dont nous avons déjà entretenu nos lecteurs.
E. Ledrain.
Les Variétés ont repris avec le plus grand succès la célèbre opérette de MM. Boucheron et Audran, Miss Helyet; livret et musique n'ont rien perdu des qualités aimables qui valurent autrefois à cet ouvrage une vogue extraordinaire. D'ailleurs, l'interprétation actuelle ne laisse rien à désirer. Brasseur, Mlle Lavallière et Mme Magnier, secondés par des chanteurs exercés: Mme Tariol-Beaugé, M. Alberthal, forment un ensemble irréprochable.
La nouvelle pièce du Palais-Royal n'enrichira pas beaucoup le répertoire de ce théâtre, mais elle en a cependant les qualités essentielles, puisqu'elle ne manque ni de gaieté ni d'entrain. La Marche forcée, de MM. G. Berr et Marc Sona, échappe à toute analyse: c'est de la folie pure, il faut renoncer à comprendre. Le public, entraîné par le mouvement endiablé de M. Galipaux, grisé par la fantaisie burlesque de MM. Raymond. Guyon et Lamy, sera peut-être moins exigeant que la critique et tiendra compte aux auteurs de l'avoir diverti pendant quelques instants.
L'Ange du Foyer, de MM. Caillavet et de Fiers, aux Nouveautés, a pleinement réussi. L'idée était originale de constituer comme moniteur d'un mari libertin le bon cousin qui convoite sa femme; mais l'idée ne serait rien s'il n'y avait M. Torin pour la mettre en valeur et, à côté de cet excellent comique, Mme Lender, S. Carlix et M. Noblet, qui rivalisent de verve et de talent. Ajoutons que l'action se déroule dans de beaux décors et que de jolies femmes y exhibent des toilettes sensationnelles autant par leur élégance que par la façon hardie dont on nous en révèle les dessous.
Jules Verne dans sa bibliothèque. |
Jules Verne dans son jardin. --Phot. Douard. |
Des dépêches d'Amiens annonçaient, au commencement de la semaine, que M. Jules Verne, âgé de soixante-dix-sept ans, était dans un état de santé alarmant: la paralysie venait de terrasser cet infatigable travailleur, de frapper cette claire et robuste intelligence.
La nouvelle a produit aussitôt une vive émotion, non seulement en France, mais encore à l'étranger, où les oeuvres du fécond écrivain jouissent, s'il est possible, d'une vogue encore plus grande que chez nous.
Jules Verne! ce nom d'une réputation universelle, imprimé sur la couverture de tant de volumes, répété par tant de bouches, devenu en quelque sorte un terme générique en matière littéraire, n'évoque-t-il pas à lui seul tout un monde? Jules Verne! l'auteur de Cinq semaines en ballon, du Capitaine Natteras, des Enfants du capitaine Grant, de Vingt mille lieues sous les mers, de Michel Strogoff, de cent autres livres aux titres célèbres, qui, grâce à une heureuse combinaison de la science et du roman, ont intéressé, captivé, passionné même toute une génération de lecteurs.
L'émotion des innombrables amis du créateur d'un genre où aucun de ses émules ne l'a égalé est donc amplement justifiée. Aussi bien, ce romancier montra, sur plus d'un point, la perspicacité d'un précurseur: au cours de sa longue carrière, il a eu la rare fortune de voir maintes découvertes ou inventions, pressenties ou suggérées par son génie imaginatif, passer de la fiction dans la réalité.
Le 4 mars a eu lieu, à Washington, l'inauguration de la seconde période présidentielle de M. Roosevelt. Pour cette cérémonie officielle, le président s'est rendu en voiture de la Maison-Blanche au Capitale; une estrade avait été dressé contre la façade occidentale du monument, et c'est là que M. Roosevelt, après avoir prêté serment sur la Bible, devant le Cbief-Justice, M. Fuller, a prononcé le discours qualifié de message, où il a exalté en termes chaleureux la grandeur, la prospérité et la politique expansionniste de la nation américaine.
L'ensemble de la solennité a, du reste, offert un caractère pompeux inconnu jusqu'alors dans les fastes de la République.
On y a remarqué surtout l'importance de l'appareil militaire déployé: escorte de rough-riders, double haie de troupes sur le parcours du cortège, défilé où figuraient les cadets de West-Point et un régiment de nègres; exhibition d'uniformes nouveaux, galonnés, soutachés, de colbacks à chausse retombante surmontés de plumets, de toute une brillante passementerie jurant quelque peu avec la proverbiale simplicité républicaine.
Mardi dernier on a mis à l'eau, des chantiers de Penhouet, à Saint-Nazaire, le paquebot la Provence, construit par la Compagnie Transatlantique, et dont l'entrée prochaine en service augmentera la flotte de notre grande compagnie postale d'une unité de premier ordre, d'un navire superbe et dont les aménagements dépasseront, en somptuosité, tout ce qu'on a créé jusqu'à présent.
La Provence se rapproche, comme type, de la Savoie et de la Lorraine. Elle a 190m.40 de longueur, 19m.70 de largeur au maître couple et, avec un tirant d'eau moyen de 8m.15, déplace 19.160 tonnes et aura une vitesse de 22 noeuds. Ce sera le plus grand navire français. Elle a les proportions maxima permettant d'entrer dans le port du Havre, non sans difficultés; car, ainsi que le faisait remarquer mardi soir M. J.-Charles Roux, président de la Compagnie Transatlantique, dans un discours qui a produit grande impression, l'insuffisance de dimensions de nos ports est un grand obstacle au développement de notre flotte commerciale rapide.
Dirigé par M. F. Godard, directeur général des chantier et ateliers de Penhouet, le lancement, en présence des deux ministres du commerce et des travaux publics, a admirablement réussi et, vers quatre heures un quart, la Provence, à l'étrave de laquelle flottait encore le ruban rose que Mme la marquise du Tillet venait de trancher d'un coup de ciseau, entrait dans son élément.
Lancement du nouveau transatlantique la «Provence» aux chantiers de Saint-Nazaire.
M. A. Proust, d'après le tableau de Manet.
Phot.
Braun.
M. Antonin Proust, ancien ministre, vient de mourir à Paris, à l'âge de soixante-treize ans.
Très souffrant depuis assez longtemps déjà, au cours de la nuit de lundi à mardi, il se tirait deux coups de revolver à la tête. On le transporta immédiatement dans une maison de santé; mais il ne devait survivre que de quelques heures à l'opération du trépan pratiquée pour tenter de le sauver.
Né à Niort, en 1832, il avait abordé de bonne heure le journalisme, qui le conduisit à la politique active. En 1876, les électeurs des Deux-Sèvres renvoyèrent à la Chambre. En 1881, Gambetta, dont il avait été le secrétaire à la Défense nationale, l'avait appelé à faire partie de son «grand ministère», en lui confiant le portefeuille des beaux-arts.
Avant la retraite où il s'était peu à peu effacé, M. Antonin Proust, très répandu dans le monde des arts, avait compté parmi les physionomies parisiennes notoires. Manet a peint de lui, en 1880, le portrait que nous reproduisons, considéré comme une de ses oeuvres les plus remarquables.
NOTE du transcripteur: ce supplément ne nous a pas été fourni avec la copie du document source