Title: L'Illustration, No. 3232, 4 Février 1905
Author: Various
Release date: September 8, 2010 [eBook #33675]
Language: French
Credits: Produced by Jeroen Hellingman and Rénald Lévesque
Supplément de ce numéro: LE PATINAGE A PARIS,
gravure hors texte de double page.
A SAINT-PÉTERSBOURG: L'ENTERREMENT D'UNE VICTIME DU 22 JANVIER
Photographie de notre envoyé spécial.--Voir l'article, page 68.
Lundi, trois heures. A l'Académie des sciences. De chaque côté du tableau noir, au long d'un grand mur nu, s'alignent deux banquettes où, serrés les uns contre les autres, de vieux messieurs somnolents, de jeunes hommes à mine grave, la serviette posée sur les genoux, écoutent, prennent des notes ou bâillent; c'est le public. Je me suis glissée au milieu d'eux. A la tribune où siège le «bureau», trois hommes chauves remuent des paperasses ou bavardent à demi-voix. Et, devant les pupitres bas disposés autour de cette chaire, une cinquantaine de personnages sont assis, dialoguant tout bas d'un fauteuil à l'autre ou muets;--mais visiblement indifférents au bruit de la parole qu'on entend couler, tomber, monotone, dans le silence de l'assemblée, comme un ruisselet de source dans une pièce d'eau.
L'homme qui parle est debout, le buste serré dans la redingote, et tient des papiers à la main. D'une voix paisible, unie, qui zézaye un peu, il lit le récit d'observations qu'il a faites au cours d'un récent voyage en mer. Je le reconnais. C'est un chef d'État: Son Altesse Royale Albert Ier, de Monaco. Et je me rappelle, en l'écoutant, l'impression de surprise amusée que je rapportai, il y a deux mois, d'une soirée où je vis ce prince pour la première fois.
C'était rue des Saints-Pères, dans une façon de petit temple simili-romain, où l'Académie de médecine autrefois tenait ses séances. Nous étions là quatre ou cinq cents badauds des deux sexes qui nous entassions devant l'estrade où devait être faite, par le prince lui-même, la leçon d'ouverture d'un cours d'Océanographie créé par lui à Paris. C'est même à cette occasion que j'appris que la «science de la mer», inventée il y a deux siècles par les Français, n'est aujourd'hui négligée qu'en France. On l'enseigne dans une ville seulement, et cette ville n'est point un port de mer: c'est Nancy,--une des localités les plus éloignées qu'il y ait, dans tout le territoire, des trois mers qui le bordent... Les Français ont de ces distractions.
Le prince de Monaco, qui est généreux, s'est offert le luxe de réparer celle-ci au profit d'un pays qu'il aime et d'une science dont il a la passion. Il a doté Paris d'une chaire qui lui manquait. Et il l'a fait avec une simplicité charmante Debout, la baguette à la main, devant le grand panneau de toile blanche où se succédaient les «projections», le prince parlait, comme aujourd'hui, d'une voix un peu terne et zézayante, sans souci d'être éloquent ou d'amuser, mais seulement préoccupé de nous instruire. Et tout au plus, à certains menus indices, eût-on pu reconnaître que ce professeur-là n'était pas de la même condition que les autres... On sentait dans son altitude et même en certaines façons de s'exprimer, je ne sais quoi d'imperceptiblement «distant», un mélange singulier de timidité et de hauteur. Il entra, sortit sans presque saluer, et ne s'entretint qu'«à la troisième personne» avec ses auditeurs: «Je remercie l'assistance qui m'écoute», disait-il. «Je vous remercie» eût été d'une familiarité un peu trop directe. Il ne recherchait point le contact. Nous non plus. Il était en frac et cravate blanche et la plupart de ses auditeurs étaient venus là en tenue de ville et chapeaux mous. A la sortie, notre foule se dispersa; quelques-uns de ces chapeaux, à peine, se soulevèrent au passage du coupé qui ramenait chez lui le souverain.
L'accueil que lui font aujourd'hui ces messieurs de l'Institut n'est pas plus chaud. On l'écoute, comme on écouterait le premier lecteur venu, avec une sorte de déférence froide d'où toute pensée de courtisanerie est absente. Et, tout de même, comme je comprends que cette capitale-ci lui soit plus chère que les autres! Il n'y a pas de refuge plus doux que Paris au coeur des petits souverains; car il n'y a pas de ville plus délicieusement propre à les consoler d'être petits. Ils n'y sont acclamés nulle part; mais ils s'y voient respectés partout. Ils goûtent, dans Paris républicain, cette volupté de ne se sentir inférieurs à personne. L'hospitalité fastueuse d'un empereur puissant ou d'un grand roi rendrait plus sensible à tous les yeux l'humilité de leur condition, les exposerait à des comparaisons désobligeantes... Ici, ce risque leur est épargné. Et ni la bombe de Tivoli-Vaux-Hall, ni l'«engin mystérieux» de la rue d'Argenson ne les empêcheront de penser qu'on dîne moins agréablement à Potsdam ou à Windsor qu'à l'Élysée.
...Des braseros sont allumés dans la nef du Grand Palais, et voilà que déjà--en attendant l'Hippique et les Salons de printemps--une exposition s'y improvise. Cela s'intitule le «Palais de la Femme», et j'y rencontre un peu de tout: des robes et des culottes de cheval, un atelier de fleurs artificielles et des pianos, des fourneaux de cuisine, de la parfumerie et des billards, des postiches et des machines à écrire, des modèles de crèches et de maisons ouvrières, de quoi instruire ou tenter tous les sexes et tous les âges. Alors pourquoi le «Palais de la Femme»? Est-ce qu'on veut indiquer par là que la femme est, à Paris, le commencement et la fin de toutes choses et que les hommes ne font rien, ne créent ou ne démolissent rien qu'à cause d'elle; qu'en art, en toilette, en économie sociale ou domestique, il n'y a rien dont elle ne soit ici la cause, ou le prétexte, ou le but? Mon cousin Bénaly, qui m'accompagne, pense que j'attribue aux organisateurs de cette entreprise une arrière-pensée philosophique qu'ils n'ont point eue.
«Ces hommes sont simplement, me dit-il, des Parisiens très intelligents à qui l'expérience a enseigné que, dans cette ville-ci, le titre d'une oeuvre importe beaucoup à son succès. Et ils ont choisi celui auquel il est sans exemple qu'une curiosité d'homme ou qu'une sympathie féminine ait résisté. Ils n'ont fait aux femmes qu'une place honorable parmi eux; mais très spirituellement ils ont voulu qu'elles occupassent l'enseigne tout entière... Ils ont mis à leur livre, qui n'est pas mauvais, une couverture qui le fera trouver délicieux. Et cela aussi est «bien parisien».
...Déjeuné rue Royale, en sortant du Palais de la Femme. Delbon nous a donné, pour la séance de la Chambre des députés, deux cartes. En Président installé d'hier, onze ministres tout neufs... j'ai voulu voir cela, vivre pendant une heure dans cette atmosphère de bataille. Et m'y voici. Nous sommes, Bénaly et moi, juchés et comprimés en un coin de tribune, d'où mon oreille ne perçoit qu'une suite de mots confus, noyés dans un brouhaha de clameurs approbatives, de rires, de grognements que scandent des battements de pupitres et le bruit de coupe-papier heurtés au bois des tables. Imposant décor, de tonalité cossue, où se fondent le rouge sombre des sièges et l'acajou des deux tribunes. Assis derrière la plus haute, un petit homme mince, cravaté de blanc, considère avec flegme le va-et-vient des redingotes qui encombrent l'hémicycle, au delà duquel, sous le jour terne qui tombe du plafond, je vois grouiller des crânes chauves, des mains levées, des poings tendus. De temps en temps, M. le Président appuie le doigt sur le levier d'une grosse sonnette, se penche vers quelqu'un qui lui vient souffler à l'oreille quelque chose. Il a les cheveux en brosse, la barbe en pointe coupée, court sur les joues, le nez pincé, les paupières bouffies, abaissées sur deux yeux qui semblent clos et dont les cils dessinent, à distance, deux petits traits noirs sur la face pâle:--je ne sais quoi, dans l'aspect, de guindé, de distant, de fatal... Il a l'air de s'ennuyer beaucoup, et la mélancolie de son attitude contraste plaisamment avec l'animation joyeuse des visages d'hommes et de femmes qui encombrent, en face de lui, les tribunes publiques. Ceux-là, visiblement; s'amusent, et j'en fais la remarque à Bénaly.
«Ils s'amusent, en effet, me dit Bénaly; et persuadez-vous bien, ma cousine, que ni l'orateur que vous voyez se démener à la tribune, en des attitudes de théâtre, ni ceux qui l'applaudissent ou le conspuent ne sont indifférents à la présence de ces auditeurs et de ces auditrices-là. Ces hommes se sentent observés, et il leur est agréable qu'on les observe. Dangereuse coutume! Il me semble que bien des abus de parole et de geste, bien des niaiseries, bien des extravagances seraient évités dans cette maison, si la préoccupation d'en imposer aux badauds qui sont là--aux femmes surtout--n'y hantait les cervelles. On se tient autrement, et l'on pense et l'on parle autrement devant un mur nu que devant une tribune où l'on aperçoit des chapeaux fleuris et de beaux yeux qui vous regardent. C'est terrible, en politique, les yeux d'une jolie femme. Cela incite à toutes sortes de bêtises. On était un homme simple: on veut être brillant; on était un homme conciliant: on devient susceptible et agressif; on savait s'abstenir de propos inutiles: on devient bavard et redondant. Elle est là... il importe de lui plaire.
»Et puis il y a la tribune, qui achève de les affoler; chaque parole qu'on y dit devient un bout de rôle qu'on joue et qu'on a le souci de bien jouer. Regardez l'homme qui hurle en ce moment et que M. Jaurès menace du poing. Il avait peut-être une opinion utile à exprimer, qu'il eût donnée sagement de sa place. On a poussé cet homme sur un tréteau; on lui a offert l'occasion de se mettre en scène, de déclamer ce qu'il avait à dire; comment voulez-vous qu'il résiste à cette tentation? C'est un Latin; il aime le théâtre; et le voilà devenu prolixe, impertinent, tumultueux, méchant... Tout cela vient de ce qu'il s'est placé, pour parler, à un mètre cinquante au-dessus du sol Faites-le descendre de là; subitement il s'apaise. Il sourit à l'adversaire qu'il menaçait; il l'accompagne à la buvette...»
Sonia.
23 janvier.--Clôture de l'enquête judiciaire sur la mort de M. Gabriel Syveton: le juge d'instruction rend une ordonnance de non-lieu.
25.--Grave accident aux ardoisières d'Avrillé, près d'Angers: 15 ouvriers tués par suite de la rupture d'un câble.
27.--Le nouveau ministère se présente devant les Chambres; lecture de sa déclaration et de son programme, identique à celui du précédent cabinet.--A la Chambre des députés, interpellation visant la déclaration ministérielle et la politique générale: réponse de M. Rouvier, président du conseil; intervention de M. Berteaux, ministre de la guerre, et de M. Delcasse, ministre des affaires étrangères. Adoption, par 410 voix contre 107, d'un ordre du jour de confiance. Vote de deux douzièmes provisoires pour les mois de février et de mars.--Afin d'affirmer la résolution du gouvernement de faire cesser l'agitation causée par l'affaire des fiches de délation, le conseil des ministres arrête, avant la séance, les mesures suivantes: mise en disponibilité du général Peigné, commandant du 9e corps d'armée, membre du conseil supérieur de la guerre: des généraux d'Amboix de Larbont et de Nonancourt; radiation des cadres de la Légion d'honneur du commandant en retraite Bégnicourt.
30.--Explosion d'une bombe, à Paris, avenue de la République, à la suite d'un meeting organisé salle Tivoli à propos des événements de Saint-Pétersbourg; cinq personnes blessées, dont deux gardes républicains.--La nuit précédente, un engin explosif a été déposé au domicile du prince Troubetskoï, attaché à l'ambassade de Russie.
23 janvier.--A Saint-Pétersbourg, la situation reste grave. Le ministre de l'intérieur a fait fermer toutes les succursales de l'Union ouvrière.--Nombreuses grèves à Moscou.--Incendie violent dans les chantiers de l'Amirauté, à Sébastopol.
24.--Publication d'une déclaration du département d'État de Washington, précisant sa politique à Saint-Domingue: les Etats-Unis garantissent à la République Dominicaine l'intégrité de son territoire, ils prennent en mains la perception des impôts, la révision du tarif douanier et le règlement des réclamations étrangères.--Oukase adressé par le tsar au Sénat dirigeant et rétablissant le poste de gouverneur général de Saint-Pétersbourg (supprimé depuis 1866); le général Trepov, préfet de Moscou, nommé à ce poste, reçoit une partie des attributions du ministre de l'intérieur et un pouvoir discrétionnaire l'autorisant à faire intervenir la force armée à sa volonté et lui conférant la police des fabriques et ateliers, des autorités communales, des zemtvos. Il établit son quartier général au Palais d'Hiver. La grève est d'ailleurs en complète décroissance. Arrestations d'écrivains et de journalistes, connus pour leur libéralisme.
Le général Trepov, gouverneur général
de Saint-Pétersbourg.
25.--A Saint-Pétersbourg, dans la nuit du 24 au 25, obsèques d'un grand nombre des victimes de la fusillade du 22; les corps ont été transportés à 14 kilomètres de la ville. Entente entre le ministre des finances et les fabricants: la durée de la journée réglementaire de travail sera réduite à neuf heures. Aux usines Poutilov, les premières en grève, dans d'autres ateliers, une grande partie des ouvriers ont repris le travail.--A Moscou, les cosaques tirent sur des manifestants; plusieurs blessés.
26.--Entrée de l'ambassade française à Fez, capitale du Maroc.--En Espagne, démission du cabinet Azcarraga.--Élections législative en Hongrie. Le cabinet Tisza éprouve une défaite inattendue et complète. Le parti Kossuth est le victorieux de la journée.--Le traité de commerce entre l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie est signé par les commissaires des deux États; il est valable jusqu'en 1918.--A Saint-Pétersbourg, proclamation du gouverneur général et du ministre des finances invitant les ouvriers à se défier des meneurs politiques et à reprendre le travail, annonçant que le tsar a mis à l'étude la question des assurances ouvrières et qu'une loi vient d'être proposée, qui porte diminution de la journée de travail et donne aux travailleurs la faculté légale de délibérer sur leurs besoins et d'en formuler l'expression. En province, extension de la grève.
27.-- En Espagne, M. Villaverde. déjà président du conseil en 1903, forme un nouveau cabinet, conservateur comme les précédents.--A Saint Pétersbourg, les journaux recommencent à paraître, sous le contrôle de la censure; la ville est calme, La conseil municipal de Moscou élit une commission de 15 membres chargée de s'occuper de la question du mouvement ouvrier. La grève commence à Varsovie.
29.--Les désordres s'aggravent à Varsovie, les écoles et les théâtres sont fermés.
La tentative russe sur Niou-Tchouang n'avait été qu'un audacieux raid, accompli par un fort parti de cavalerie, qui avait réussi à forcer le rideau de l'extrême gauche japonaise.
Dix jours plus tard. Kouropatkine tentait, sur le même flanc gauche des japonais, un mouvement bien plus considérable. Dans la nuit du 24 au 25, tout un corps d'armée (le 8e) prenait l'offensive sur la rive droite du Houn-Ho, au nord-ouest de Liao Yang. Par un froid intense (16°), qui avait brusquement succédé à une température exceptionnellement douce, les Russes attaquaient, le 25, les villages de Khaïlatosa et de Kekeouatai et les occupaient; leur cavalerie repoussait deux régiments de dragons vers le sud-est. Le 26, le mouvement se dessine contre Sandepou, gros village aux mains des Japonais depuis le 8 novembre; après un vif combat, les ouvrages artificiels qui le protégeaient sont enlevés et, à sept heures du soir, les Russes sont dans le village; ils se heurtent alors à une forte redoute, qui ne peut être prise sans bombardement préalable et dont les feux rendent la position dans le village intenable. Il faut reculer; le 27, le 28, le comtat continue avec acharnement; les Japonais ont pu couvrir à temps leur flanc gauche; le plan de Kouropatkine a échoué. Le 29, les Russes étaient refoulés dans les environs de Kekeouatai, sur le Houn-Ho.
M. Maurice Rouvier, président du conseil des ministres,
et son fils, au Bois de Boulogne.
M. Maurice bouvier, notre nouveau «premier» qui, en prenant la présidence du conseil, a gardé le lourd portefeuille des finances, est sans contredit l'homme le plus occupé du cabinet. Certes, son expérience consommée de parlementaire et de financier, sa puissance de travail, la remarquable verdeur de ses soixante deux ans, le tiennent à la hauteur de sa tâche; mais celle-ci doit lui laisser bien peu de loisirs, et, en dehors de ses heures de présence à la Chambre ou au Sénat, on ne se l'imagine guère qu'assis devant un bureau, courbé sur des rapports, des dossiers, des tableaux de statistiques, des colonnes de chiffres, préparant des projets et des discours, triturant la matière fiscale et budgétaire, abattant quotidiennement une besogne ardue, à laquelle vient s'ajouter maintenant le souci de la politique générale.
Eh bien, se figurer M. Rouvier en cette unique posture de sédentaire attaché à un rude labeur, ce serait n'avoir de sa physionomie qu'une notion incomplète. Son tempérament actif de méridional, un besoin de réaction bien naturel, le portent à rechercher l'exercice, et ainsi, d'ailleurs, il suit l'exemple des hommes politiques anglais, lesquels, on le sait, sont presque tout des sportsmen distingués. Cet Athénien de Marseille, devenu de longue date un Athénien de Paris, pratique volontiers le plus élégant des sports: l'équitation. Au Bois, proche voisin de son hôtel de Neuilly-Saint-James, il est des matins--le dimanche surtout--où on le rencontre chevauchant familièrement en compagnie de son jeune fils. M. le ministre conserve en selle quelque chose de son attitude habituelle à la tribune: rien de guindé, un certain sans façon, qui n'exclut ni la fermeté sur les étriers, ni l'art délicat de rendre la main à propos Peut-être ne se pique-t-il pas d'être un cavalier d'une correction impeccable; mais que lui importe, pourvu que l'assiette soit solide comme l'assiette de l'impôt et l'équilibre assuré comme l'équilibre du budget? E. F.
A la suite des troubles qui ensanglantèrent, le 22 janvier, Saint-Pétersbourg, un certain nombre d'hommes de lettres, de Journalistes, «d'Intellectuels», comme on dit, ont été arrêtés par la police russe.
L'écrivain russe Maxime Gorki, arrêté
comme révolutionnaire. Phot. Bulla.
Neuf écrivains qui, la veille de cette tragique journée, avaient été désignés par 150 de leurs confrères, au cours d'une réunion, pour se rendre auprès du ministre de l'intérieur et tenter d'éviter la collision qu'on pressentait fatale, furent les premières victimes de la répression.
Parmi eux se trouve l'un des écrivains les plus puissants, les plus originaux de la littérature russe contemporaine, Maxime Gorki. Saisi à Riga, où il était allé, il a été incarcéré dans une forteresse.
On a surnommé Gorki le «prince des vagabonds». Nulle existence, en effet, ne fut plus mouvementée que la sienne, il rappellerait assez, par le côté aventureux de son caractère, notre Villon.
Agé de trente-cinq à trente six ans,--il ne sait pas au juste la date de sa naissance.--Maxime Gorki a été tour à tour apprenti cordonnier, puis apprenti graveur, marmiton, aide jardinier, coq sur un bateau à vapeur, garçon boulanger, scieur de long, débardeur, garde-barrière. Enfin, et surtout, dans un pays où, avec l'entrave étroite du passeport, les voyages sont si peu aisés, il a, toute sa vie, couru les routes.
Entre temps, il avait trouvé le moyen d'apprendre à lire sur le bateau à vapeur où il servait comme aide de cuisine; plus lard, il eut la bonne fortune de rencontrer un avocat qui s'intéressa à lui et lui fit donner une instruction convenable. Et puis, il reprit son chemin, parcourant les Russies en tous sens.
C'est au cours de ses pérégrinations qu'il a amassé les matériaux de ses livres, entassé les observations caractéristiques et directes, à peu près impossibles à un romancier professionnel, sur les pauvres gens, les déclassés, les outlaws, au milieu desquels il passait et qu'il a fait revivre en des nouvelles d'une intensité singulière, avec leurs passions de brutes candides, leurs douleurs poignantes, qui balbutient leur misère sans espoir et sans fin.
LES GRÈVES ET LES MANIFESTATIONS DE
SAINT-PÉTERSBOURG.
--Devant les usines Poutilov, le 28 janvier, avant la
reprise du travail.
Devant l'Amirauté, le 22 janvier, à 2 heures: le régiment
de la garde Preobrajensky fait reculer la foule.
Nous avons publié dans notre dernier numéro une importante série de photographies, croquis et dessins de nos correspondants et de notre envoyé spécial à Saint-Pétersbourg. La journée du 22 janvier aura été heureusement la seule sanglante et les documents photographiques que nous reproduisons cette semaine se rapportent presque tous aux journées qui ont suivi et où l'ordre a recommencé à régner. Cette physionomie de Saint-Pétersbourg, après l'émeute et la répression, n'en est pas moins lugubre. Nous n'avons pas besoin de souligner la tristesse poignante de la scène saisie par notre photographe et reproduite par notre belle gravure de première page: l'enterrement, le mardi 24 janvier, d'un ouvrier, tombé le dimanche sous les balles aveugles d'un régiment de la garde impériale; un frère, un père simplement un ami--on ne sait--suit seul le pauvre cercueil, qui glisse sans bruit sur la neige vers le cimetière. Deux seulement des photographies ci-contre ont été prises le jour même des terribles conflits: le spectacle est presque anodin; à peine aperçoit-on la ligne des soldats refoulant le public, discerne-t-on l'émoi qui règne autour du Jardin Alexandre,--et pourtant, dans l'instant qui va suivre, les fusils vont partir.
RUE SADOVAIA, A SAINT-PETERSBOURG, LE 24 JANVIER.
--Les
magasins barricadés. Photographies de nos correspondants, de notre
envoyé spécial et du général Nasvétévitch.
Ulhans de la garde sur la route des usines Poutilov. | Troupes d'infanterie derrière l'arc de triomphe de Narva (25 janvier). |
LE JARDIN ALEXANDRE, OÙ LES TROUPES ONT CERNÉ LES
MANIFESTANTS (dimanche, 22 janvier, à 2 heures et demie environ).
Photographie du général Nasvétévitch.]
A Saint-Pétersbourg. A Moscou,
OUVRIERS EN GRÈVE
Photographies Carl Delius.
Mme Daniel Lesueur, Mme M. Tinayre. Mme Arvide Barine.
Mme Marni. Mme A. Daudet. Ctesse de Noailles. Bne de Pierrebourg. Mme
Judith Gautier. Mme de Broutelles.
UNE ACADEMIE FÉMININE.--Réunion, dans le salon de la
comtesse Mathieu de Noailles des femmes écrivains qui ont décerné à Mme
Myriam Harry le prix de 5.000 francs de la Vie heureuse.
Il a été décerné ces jours-ci, sans tapage, et dans des conditions assez originales. C'est une «académie féminine» qui s'est chargée de ce soin: une académie toute neuve, qui ne confectionne aucun dictionnaire et n'habite aucun palais, mais où règnent le talent, l'esprit, la jeunesse et la beauté, et dont la place est marquée désormais parmi les aréopages littéraires--de physionomie infiniment moins séduisante--où, jusqu'à présent, le sexe fort dictait seul ses lois.
Cette académie féminine n'est point née, comme le croient beaucoup de gens, d'une idée de concurrence, mais d'une idée de justice.
On sait que l'académie Concourt exclut les femmes de la distribution de ses récompenses. En quoi elle a tort. La production féminine, en littérature, grandit tous les jours et, depuis une dizaine d'années, s'est enrichie d'oeuvres que beaucoup d'écrivains, et non des moindres, s'enorgueilliraient d'avoir signées. Alors, pourquoi cette distinction de sexes qu'aucune logique ne justifie et que l'équité réprouve?
C'est la question que s'est très justement posée un de nos confrères; l'excellent journal la Vie heureuse, qu'une femme précisément, Mme G. de Broutelles, dirige avec succès.
Et la Vie heureuse a décidé de fonder à son tour un prix de cinq mille francs qui serait décerné «à l'auteur de la meilleure oeuvre littéraire parue au cours de l'année écoulée»,--et décerné par un jury de femmes de lettres.
Ce jury fut ainsi composé: présidente, comtesse Mathieu de Noailles; vice-présidente, Mme J. Dieulafoy; secrétaire, Mme Jean Bertheroy; membres: Mme Juliette Adam, Arvède Barine, Th. Bentzon, Mendès, Bne de Pierrebourg (Claude Ferval), Alphonse Daudet, Daniel Lesueur, Delarue Mardrus, Judith Gautier, Lucie Félix-Faure-Goyau, Marni, Marcelle Tinayre, P. de Coulevain, Poradowska, George de Peyrebrune, Gabrielle Réval et Séverine.
Secrétaire perpétuel: Mme C. de Broutelles.
Voilà un jury dont la compétence et le prestige ne seront contestés par personne. Il ne contient que des noms connus et plusieurs noms illustres; et il n'y a pas une seule de ces «signatures» qui n'évoque le souvenir de quelque ouvrage applaudi ou d'un succès littéraire retentissant.
Plusieurs d'entre elles s'imposent même très particulièrement à la sympathie, à la gratitude des lecteurs de l'Illustration.
C'est ici même que Jean Bertheroy publiait son dernier roman--l'une de ses plus belles oeuvres--les Dieux familiers. C'est dans l'Illustration également que Daniel Lesueur publiera son prochain ouvrage, la Force du passé, que nous commencerons dans quinze jours. Et, dans quelques mois, nous donnerons à nos lecteurs une nouvelle oeuvre de Mme Marcelle Tinayre, l'heureux auteur de cette Maison du péché dont on se rappelle l'éclatant succès.
Un intéressant détail à noter: ces femmes se montraient plus généreuses
à notre égard que nous ne l'avions été vis-à-vis d'elles; car le
règlement de leur concours ne stipulait point que les hommes en étaient
Mme
Myriam Harry, auteur de la
«Conquête de Jérusalem».
Phot. Pirou, bd
Saint-Germain.
exclus; et rien ne s'oppose à ce qu'en un prochain concours quelque
jeune homme de talent ne vienne recevoir de l'académie féminine la palme
du vainqueur... enveloppée dans cinq billets de mille francs.
Mais «charité bien ordonnée commence par soi-même»; et il était trop naturel que le jury du prix Vie heureuse, impatient de dédommager les femmes d'exclusions imméritées, décernât à une femme la première récompense dont il disposait.
Plusieurs candidatures, toutes intéressantes, s'offraient. Elles furent longuement, consciencieusement discutées en plusieurs réunions. La dernière se tint, il y a huit jours, au domicile même de la présidente, comtesse Mathieu de Noailles, qu'une légère indisposition retenait chez elle. Au premier tour de scrutin, par 17 voix sur 21 votes émis, Mme Myriam Harry, auteur de cette Conquête de Jérusalem que M. Ledrain signalait déjà à nos lecteurs, le 12 mars dernier, était proclamée lauréate du concours.
Mme Myriam Harry est une jeune femme d'une trentaine d'années, dont l'histoire est singulière.
Elle est née à Jérusalem. Son père était un explorateur russe, d'origine polonaise; sa mère, une diaconesse allemande; et c'est en Egypte qu'elle fut élevée... à l'anglaise. A quinze ans, elle savait parler le russe, l'allemand, l'anglais, l'arabe et l'hébreu; mais elle ignorait le français; et ce fut une vieille dame «un peu toquée», a-t-elle raconté elle-même, qui lui en enseigna les premiers rudiments.
...La maîtresse et l'élève se sont assez bien tirées d'affaire... B.
(Arrière-plan:) Sir Lewis Beaumont. Baron de Spaun. Vice-amiral Fournier,
président. Amiral Davis. Amiral Doubassof. M. William Martin. M.
Soulange-Bodin. Baron de Taube. M. Mandelstamm.
M. Nekludog. L'interprète. Un pêcheur déposant. H. Pickford. M.
O'Beirne.
(Avant-plan:) Sir E. Fry. Major Danill. Commandant Keyes.
UNE SÉANCE PUBLIQUE
DE LA CONFÉRENCE DE PARIS.
--Déposition d'un pêcheur de la flottille de
Hull.
Dessin d'après nature de Paul Renouard.--Voir l'article à la page
suivante.
Types de marins anglais de la flottille de Hull ayant
déposé devant la commission.
Dessins d'après nature de G. Scott,
Le commandant Clado, lisant la
traduction française de sa déposition.
Les seules séances un peu pittoresques que pouvait nous offrir la conférence internationale chargée de l'enquête sur l'Incident de Hull sont maintenant passées; ce sont celles au cours desquelles ont déposé les armateurs, patrons et matelots des chalutiers qui péchaient sur le Dogger Bank, lors du passage de l'escadre russe.
Mais une déposition, parmi toutes celles-là, a provoqué dans l'auditoire un vif mouvement de curiosité; c'est celle que fit, dans l'après-midi du mercredi 25 janvier, M. George Beeching, armateur, qui a indiqué, avec une grande précision de détails, les conditions dans lesquelles les chalutiers de la mer du Nord, et ceux du port de Hull en particulier, pratiquent la pêche. Ce fut une véritable et très instructive leçon de chose.
D'abord, on vit M. George Beeching sortir d'un petit coffret un modèle réduit du chalutier qu'il déposa sur le bureau de la commission; puis on apporta devant lui de grosses lanternes bien brillantes, bien nettes, de ces fanaux aux formes trapues, aux glaces épaisses et protégées par de solides armatures de cuivre, qui sont en usage à bord des navires et qu'on appelle feux de position. Et, devant ces accessoires, il commença sa conférence technique.
Sa déposition terminée, il fut demandé au témoin s'il avait embarqué des torpilles. A quoi il répondit d'un accent ferme:
--Non, certainement.
--Y avait-il des Japonais à bord?
--Non, monsieur.
--Un bruit quelconque de la présence d'un navire de guerre dans les parages de Hull, est-il venu à vous?
--Non, jusqu'au passage des navires russes.
Le commandant Clado, qui était embarqué sur le Prince-Souvarof en qualité de second capitaine de pavillon de l'amiral Rodjestvensky, allait apporter, avec non moins d'énergie et de précision, dans sa déposition, des affirmations tout autres.
Fanaux des pêcheurs de Hall.
Le commandant a été entendu dans les deux séances tenues mardi dernier, 31 janvier. Le matin, il a déposé en russe, comme il avait été convenu. Mais, alors que, pour les autres témoins, c'est un traducteur qui lit la version française des dépositions, c'est M. Clado lui-même, qui, le même jour, à la séance de l'après-midi, a donné lecture de la traduction de sa déposition. Il l'a fait d'une voix claire, sans le moindre accent.
Et il attesta la présence, dans les eaux de Hull, sur le lieu de l'incident, non pas d'un, mais de deux torpilleurs, reconnus à la forte volute d'écume que soulevait leur étrave, à leurs doubles cheminées basses et crachant des panaches de fumée.
La chemiserie Clément, avenue de
la République, après l'explosion.
Deux attentats rappelant ceux par lesquels se signala la propagande anarchiste, il y a une dizaine d'années, viennent d'être commis à Paris; les récents événements de Russie ont été le prétexte de ces actes criminels, dont les auteurs sont jusqu'à présent restés inconnus.
Lundi dernier, divers groupes socialistes et révolutionnaires avaient
organisé, au Tivoli-Vaux-Hall, un meeting de protestation contre le
«tsarisme». La sortie de la réunion fort nombreuse achevait de
s'effectuer sans désordre, grâce aux rigoureuses mesures dont M. Lépine,
préfet de police, surveillait lui-même l'exécution, lorsque, vers
minuit, une bombe éclata sur l'avenue de la République, à l'angle du
quai de Valmy, devant la maison portant le numéro 13; les deux
gardes
républicains Bonnet et Montagne furent sérieusement blessés, l'un à la
jambe, l'autre à la main; un troisième eut son fusil détérioré, mais,
comme une demi-douzaine d'autres personnes, il ne fut que légèrement
atteint. Quant aux dégâts matériels, ils se bornent au bris d'un vitrage
à la devanture du magasin occupé par la chemiserie Clément.
La nuit précédente, le colonel prince Jean Troubetzkoy, attaché à l'ambassade de Russie, avait, en rentrant du cercle, failli heurter du pied un dangereux engin explosif, déposé au seuil de son hôtel, rue d'Argenson. Le prince Troubetzkoy, résidant depuis longtemps en France, est, on le sait, une des personnalités les plus notoires et les plus sympathiques de la colonie russe à Paris. Qui n'a eu l'occasion de le rencontrer conduisant son phaéton attelé d'une belle paire de chevaux?
L'hôtel du prince Troubetzkoy,
rue d'Argenson (La croix blanche
indique l'endroit où la bombe fut trouvée,)
La ville vue de la terrasse du consulat
français.
L'ambassade française auprès du sultan du Maroc est arrivée jeudi à Fez, ou elle a fait une entrée solennelle. Nous recevrons dans quelques jours et nous publierons la semaine prochaine les photographies prises par notre correspondant et montrant les détails de la réception.
Fez est la moins connue, la plus fermée des capitales du Makhzen. M. Augustin Bernard, maître de conférences à la Sorbonne, qui a visité cette ville il y a quelques mois, a bien voulu écrire pour l'Illustration une courte mais substantielle monographie, qu'on lira avec intérêt, à l'heure où se discutent, dans le palais du sultan Abd-el-Aziz, les bases de l'action française au Maroc.
Vue d'un des promontoires couronnés de ruines qui s'élèvent en dehors des remparts Fez offre un aspect véritablement enchanteur, émergeant comme une île de la mer sombre de ses jardins. Au-dessus de la surface inégale des terrasses qui semblent se rejoindre d'un bout de la ville à l'autre sans que rien les sépare, se dressent seuls les minarets des mosquées et la Kasbah. Au nord sont les pentes couvertes d'oliviers du Zalagh; au sud, à l'horizon lointain, les sommets neigeux des Beni-Ouaraïn. L'oued Fez, né à quelques kilomètres de la ville, se précipite en cascades à travers les rues, avant d'aller rejoindre le Sebou, qu'on aperçoit dans le fond de la dépression.
La partie du palais contenant la mosquée privée et les
appartements particuliers
du sultan Abd-el-Aziz.--Copyright by Underwood
and Underwood.]
C'est l'abondance et la beauté de ses eaux qui font la gloire de Fez et lui ont mérité dans l'islam la même célébrité qu'a Damas. La «rivière des Perles» fait tourner ses moulins, arrose ses jardins ombreux aimés des citadins. Dans chaque maison, une double canalisation apporte les eaux propres et entraîne les eaux salies: Fez a depuis le seizième siècle le «tout-à-l'égout».
Fez, qui compte environ 70.000 habitants, se compose de deux villes: Fez-el-Bali et Fez-el-Djedid, la vieille et la nouvelle Fez. Entre les deux s'étendent des terrains vagues, des cimetières, un palais et des jardins abandonnés; près des portes d'une splendide architecture pourrissent d'effroyables charognes; c'est tout l'islam, grandeurs et ruines.
Fez-el-Bali, fondée par Idriss II, vers 806 de l'ère chrétienne, fut peuplée à l'origine de gens de Kairouan et de musulmans d'Espagne (Andalous), qui s'étaient cantonnés en deux quartiers distincts, chacun d'un côté de la rivière, et entre lesquels régnaient des luttes incessantes. Les principaux monuments qui attirent l'attention sont, comme dans toutes les villes du Maroc, les portes, les remparts, les mosquées et les fontaines. Les deux mosquées les plus célèbres sont celle de Moulay-Idriss et celle de Karaouïn. Moulay-Idriss renferme le tombeau du fondateur de la ville, le grand saint que les Fàsis invoquent à chacune de leurs phrases; c'est le centre d'un vaste quartier entouré de barrières et où les musulmans ont seuls le droit d'entrer. Malheur à celui qui enfreindrait la défense!--Il serait immédiatement écharpé par la populace, ou même brûlé vif, comme il advint à un israélite il y a peu d'années. A bonne distance pourtant de la mosquée sainte, je m'attirai une apostrophe peu bienveillante parce que je fumais une cigarette: Moulay-Idriss craint l'odeur du tabac.
Karaouïn, dont on aperçoit en passant les belles fontaines et les élégantes colonnades, ressemble à la mosquée de Cordoue. Elle renferme la bibliothèque fameuse et l'école qu'on est convenu d'appeler l'université de Fez. Aux yeux des musulmans, Fez est en effet le Dar-el-alm, la maison de sapience: «Elle a toujours été, dit un écrivain musulman, le siège de la science et de la religion; pôle et centre de l'islam, mère et capitale des villes du Maghreb.»
Fez n'est pas seulement une ville de science, c'est aussi une ville de commerce. Au centre de Fez-el-Bali est la Kessaria, marché formé de rues couvertes, où l'on ne circule pas à cheval, où chaque rue a un genre de profession et vend une catégorie de marchandises, y compris des esclaves. C'est le rendez-vous des affaires et le centre des conversations; les hauts personnages, les oulémas s'y promènent gravement, ayant sous le bras le petit tapis de feutre destiné à dire la prière ou simplement à s'asseoir lorsqu'on veut causer. Très animée à certaines heures, la Kessaria est déserte le soir comme la Cité à Londres.
C'est Fez-el-Bali qui est la véritable Fez. Quant à Fez-la-Neuve, elle est en réalité bien vieille aussi, car elle date du treizième siècle. La majeure partie en est occupée par le Dar-el-Makhzen, ou palais du sultan, à l'ombre duquel se tapit le mellah ou quartier israélile, teinté de bleu, qu'habitent 8.000 juifs. Fez-el-Djedid a bien l'aspect d'une forteresse destinée à commander le pays; ce ne sont qu'alignements de murs crénelés, tours massives. Au-dessus des maisons, très basses, se dressent les pavillons aux tuiles vertes des habitations impériales. Celles-ci se divisent en deux parties: l'une publique, qui sert le matin à la réunion des vizirs et forme le palais du gouvernement; l'autre privée, précédée d'une longue cour quadrangulaire, qui est la demeure même du sultan; après avoir franchi une porte gardée par des nègres, on aborde un enchevêtrement de pavillons et de constructions confuses, entourés par les jardins ombragés de Lalla-Mia, les plantations d'oliviers de l'Aguedal et la vaste esplanade du nouveau mechouar, réservée aux déploiements des troupes et aux grandes cérémonies.
Les entrevues du chérif avec les Européens ont souvent lieu dans une petite cour, dite du pavillon bleu, autour de laquelle, dans une série de cages grillées, sont installés les fauves de la ménagerie impériale, lions, tigres, panthères, qui ponctuent volontiers de leurs interruptions les discours du visiteur. C'est dans cet étrange palais que mène son étrange vie Notre Seigneur Moulay-Abd-el-Aziz, à qui Dieu donne la victoire.
Les auteurs musulmans ne tarissent pas en éloges sur Fez: «O Fez, dit l'un d'eux, toutes les beautés de la terre sont réunies en toi! De quelles bénédictions, de quels biens ne sont pas comblés ceux qui t'habitent! Est-ce ta fraîcheur que je respire, ou est-ce la santé de mon âme? Tes eaux sont-elles du miel blanc ou de l'argent?»
Un des ministres du sultan, qui vint à Paris il y a quelques années, et auquel je demandais laquelle des deux villes lui semblait la plus belle, me répondit, non sans malice: «Sans doute, je préfère ma patrie, mais comme le Bédouin de la tente préfère la maison de toile aux plus splendides palais.» Cette humilité n'était qu'une politesse.
L'impression des Européens n'est pas toujours aussi favorable; la première sensation est évidemment l'étonnement et l'admiration: elle fait bientôt place chez la plupart à la tristesse et à une sorte d'oppression. Ces hautes maisons sont sans fenêtres sur la rue, pareilles aux femmes musulmanes qui ne se dévoilent que devant leur maître. Ces longs murs qui semblent toujours en ruines, ces rues étroites et tortueuses, ce silence qui serre le coeur, l'hostilité qu'on lit dans les yeux, dans les gestes des Maures, tout cela pèse à la longue sur le nazrani (chrétien). Fez est la réalisation parfaite d'une conception de la vie en tout et pour tout opposée à la notre. Elle n'a pour ainsi dire pas changé depuis le moyen âge, car l'islam semble figé plus que partout ailleurs dans cette ville pharisienne et fanatique par excellence. De là cette impression de vétusté, de ruine, qu'a si bien rendue Loti.
C'est, en tout cas, un incomparable spectacle que celui qui s'est offert à M. Saint-René-Taillandier à son entrée dans la ville de Moulay-Idriss. Le caïd-el-mechouar ou introducteur des ambassadeurs, Idriss-ben-Yaïch, un superbe mulâtre à la voix tonnante, est d'abord venu au-devant de lui. Puis le cortège s'est grossi peu à peu des fonctionnaires du Makhzen, dans leurs costumes d'une éblouissante blancheur, la couleur des vêtements transparaissant à travers la finesse des haïks et des djellabas; puis des cavaliers et des caïds de toutes couleurs, oranges, mauves, roses; puis les fantassins rouges, ondulant comme un champ de coquelicots; enfin toute la population de Fez rangée à Bab-Segma, la porte grandiose par laquelle le bachadour de France pénétrera dans la cité sainte. Que ce cortège des Mille et une Nuits ait, par instants, quelque chose d'une parade de cirque, il se peut. Mais l'ensemble m'a paru vraiment féerique et grandiose.
Ensuite viendront les affaires sérieuses.
(Agrandissement)
LA CAPITALE DU SULTAN ABD-EL-AZIZ.--Fez vue des hauteurs couronnées de
ruines qui dominent la ville. Copyright by Underwood and Underwood.
Voir l'article, page 73.
Le gui du chêne est devenu introuvable dans notre pays, disions-nous
dans un récent numéro (24 décembre). Un de nos lecteurs, M. Guirbal,
nous envoie à ce sujet les renseignements complémentaires suivants:
Un arbre à gui.
Le gui du pommier, quoique commun, ne se rencontre dans les vergers que par touffes isolées auxquelles la serpe des paysans fait une guerre sans merci; le gui du peuplier, par contre, pousse en véritables frondaisons dans certaines régions humides du Sud-Ouest, et c'est lui qui alimente principalement nos marchés parisiens.
Bien qu'au point de vue botanique il n'y ait aucune différence, le parasite du pommier se distingue de celui du peuplier par sa tenue, sa finesse, ses formes plus sveltes, son vert plus foncé; il se conserve mieux et est plus recherché.
Le véritable arbre à gui n'est même pas le peuplier commun, mais bien le peuplier tremble, connu dans le Midi sous le nom de carolin, dont les feuilles sont agitées d'un mouvement perpétuel et les branches puissantes étendues en parasol.
La photographie ci-jointe, prise à Saint-Nauphary, dans la banlieue de Montauban, représente un de ces spécimens, et encore après que les plus belles touffes de gui ont été récoltées pour la vente.
Un fait curieux à noter, c'est que ces arbres très élevés sont généralement envahis par le sommet alors que les pieds producteurs du parasite sont situés à des distances considérables.
Ce sont les petites grives ou merles draines qui, très friandes des baies gluantes du gui, mais ne digérant pas la graine unique qu'elles renferment, répandent au loin la semence avec leurs déjections.
On connaît le rôle considérable des insectes dans la fécondation des fleurs, mais celui des oiseaux, faisant à leur manière le geste auguste du semeur, est assez peu connu pour mériter d'être signalé.
A un certain moment c'était assez la mode de mesurer la conductivité du corps à l'électricité pour apprécier la condition saine ou morbide de celui-ci. Mais la méthode fut assez vite abandonnée: il était difficile de mesurer exactement les différences, et de grandes variations se présentaient qu'on ne savait interpréter. Voici, toutefois, qu'un médecin suisse, M. E.-K. Muller, vient de reprendre l'étude de la question, il a été frappé par la grande variabilité de la conductivité du corps humain selon l'heure et le jour. La nature des repas récents exerce aussi une influence considérable. Autre phénomène singulier: le retour de valeurs exactement identiques dans des séries d'expériences continuées 10 et 15 minutes, pour les mêmes minutes, alors même que les expériences sont séparées par un intervalle de plusieurs jours. Une constatation singulière a encore été faite par M. E.-K. Muller. C'est que, pour la même personne, les valeurs de la conductivité diffèrent énormément selon qu'elle est isolée dans une salle spéciale, ou bien en compagnie d'une tierce personne; c'est ainsi que, chaque fois qu'un bruit se produit ou qu'une personne entre dans la pièce où se fait l'expérience, la résistance électrique présente une variation subite et considérable.
La résistance ne varie pas seulement sous l'influence de causes extérieures évidentes: elle varie aussi sous l'influence des émotions et des sensations. Dès que celles-ci ont quelque intensité, la résistance diminue fortement tombant au quart ou au cinquième de ce qu'elle était. Des oscillations de la résistance se produisent même quand on parle au sujet en expérience ou quand on l'oblige à concentrer son attention. Tout effort de volonté, tout effort pour entendre un bruit lointain, toute excitation des sens, tout effort, si faible soit-il, du corps ou de l'esprit, s'accompagne d'un changement de résistance. On peut même, par les variations de la résistance, voir si le sujet a des rêves ou non et si ceux-ci sont calmes ou mouvementés. Toute émotion, même temporaire, agit sur la résistance. Celle-ci varie non seulement selon les excitations physiques ou psychiques, elle varie selon la personne et sa condition du moment. Il y a des personnes plus résistantes que d'autres. La résistance est très basse chez les nerveux, chez les buveurs et les fumeurs. Elle est basse chez les sujets hypnotisés aussi, mais avec des renforcements subits et extraordinaires dès que se produit une excitation externe. Ces recherches seraient à poursuivre et à développer; peut-être en pourrait-on tirer des conclusions intéressantes pour la psychologie et la physiologie.
Buste de Giuseppe Verdi sculpté en neige par
M. Achille Canessa, à Gênes.--Phot. Burti.
Nous pestons quand la neige envahit nos rues, couvre nos toits. Nous soupirons après les tièdes journées de printemps,--ou rêvons de fuir vers de chimériques climats, des Rivieras éternellement douces. Or, les habitants de ces contrées privilégiées sont, eux, dans la joie, quand, d'aventure, les blancs flocons leur arrivent.
Il a neigé, l'autre semaine à Gênes. Ç'a été un enchantement, un divertissement tombé du ciel et bien accueilli. Des gens graves se mitraillaient, dans les rues, à coups de boules blanches et l'on a concouru à qui ferait la plus belle statue de neige. Si bien qu'on a vu un sculpteur connu en Italie et même au delà des frontières, M. Achille Canessa, l'auteur de quelques monuments funéraires fameux et de plusieurs statues de Christophe Colomb érigées en Amérique, prendre l'ébauchoir pour modeler à la hâte, en quelques heures, une série de statues qui ont soulevé, jusqu'à ce que le soleil les fondit, l'admiration des Génois.
Dans les sables et graviers quaternaires mis à nu lors des fouilles pratiquées pour la construction du Métropolitain, au sud de Saint-Germain-des-Prés, dans la rue de Rennes, M. Capitan a recueilli, avec de nombreux silex taillés, une dent de mammouth parfaitement conservée, et M. Thieullen, une molaire d'un rhinocéros de la même époque.
Déjà, en 1867, M. Gaudry avait trouvé, dans les alluvions sableuses du sol de Paris, du côté de Grenelle, sur l'emplacement actuel de l'Hôpital Necker, des silex et des ossements de mammifères; et en creusant les fondations de l'Hôtel des postes, M. Guadet, architecte, y avait recueilli une dent d'éléphant. Depuis, encore, M. Thieullen, à Vaugirard, avait trouvé une fort belle mâchoire inférieure de mammouth, qui figure dans la galerie du Muséum.
Enfin, en 1897, M. Hénault, en construisant le pont Caulaincourt, au cimetière Montmartre, avait découvert un squelette entier de mammouth.
Il y avait donc, à Paris, durant l'époque du quaternaire inférieur, un mouvement intense de vie; mais c'étaient surtout des éléphants qui se promenaient sur l'emplacement de nos boulevards actuels.
Ce n'est pas tout, pour un animal de boucherie, de posséder un poids qui lui assure le premier rang: il faut encore que ce poids soit fait de parties utilisables pour l'alimentation. Autrefois, on prenait la peine de déterminer le rendement des animaux primés; mais cela est tombé en désuétude, malgré que les éleveurs et les engraisseurs y auraient un grand intérêt.
Cependant, en Angleterre, cette pratique est encore en vigueur et après le Concours d'animaux gras qui eut lieu à Londres avant la fête de Noël, on a recueilli, sur le rendement des animaux à l'abattoir, de très intéressantes données.
Sur 78 jeunes boeufs ou génisses abattus, quatre ont donné un rendement supérieur à 70%. Le rendement le plus élevé a été de 73.28%, pour un boeuf Durham âgé de 1.063 jours qui pesait près de 826 kilos. Un boeuf croisé Durham-Angus, qui pesait 841 kilos à l'âge de 1060 jours, a donné comme rendement, 71.44%. Une génisse Durham, exposée par le roi d'Angleterre, avait obtenu un premier prix, avec un poids vif de 736 kilos; son rendement a été de 70.77%
Sur un lot de 39 moutons, 2 seulement ont eu un rendement supérieur à 70%. Le plus élevé, 75.97% a été atteint par un énorme mouton Oxfordshire, âgé de 21 mois, qui pesait 150 kilos. Un mouton Southdown, âgé de 630 jours, qui pesait vif 92 kilos, a donné un rendement de 70.73%.
En communiquant ces intéressants documents à notre Société nationale d'agriculture, M. Vacher a demandé avec raison que des expériences analogues aient lieu en France, au moment du Concours général agricole de Paris. Cette enquête permettrait de constater les progrès réaliser au point de vue de la boucherie par les races françaises.
D'après une opinion assez répandue, les unions consanguines seraient très exposées à produire la surdi-mutité congénitale chez les enfants.
Or, d'après une récente statistique du docteur Castex, sur 10 cas de surdi-mutité congénitale on n'en rencontrerait pas plus d'un dans lequel la consanguinité des parents puisse être mise en cause.
Pour les autres, la tuberculose, le rachitisme, le saturnisme, l'alcoolisme et la syphilis ont été reconnus chez les ascendants.
En présence d'une telle richesse de causes, le plus simple est de reconnaître que nous ignorons complètement les causes de la surdi-mutité congénitale.
Quant aux cas de surdi-mutité acquise,--leur proportion est, sur l'ensemble, de 32 0/00 un tiers environ,--on a pu les rapporter aux infections des méninges et du cerveau et aux diverses maladies infectieuses, telles que la fièvre typhoïde, la diphtérie, la scarlatine, etc.
Au total, toutes les maladies pourraient entraîner la surdi-mutité, qui ne serait, dès lors, qu'une localisation assez rare et malheureuse d'une infection générale dans un centre nerveux de moindre résistance.
La température des bains, on le sait, n'est point indifférente. Des recherches récentes confirment nettement cette notion. A la Société de thérapeutique, M. Deschamps, de Rennes, a insisté sur l'utilité des bains froids pour les obèses.
Chez ces sujets, dit-il, l'accumulation de graisse est liée à un défaut de rayonnement calorique. Alors, pour augmenter ce rayonnement, M. Deschamps provoque la réfrigération par un bain tiède prolongé. Le premier bain se donne à 33º les suivants à des températures inférieures, mais qui ne descendent jamais au-dessous de 25°. Les bains se donnent tous les deux jours et durent de 15 à 45 minutes, suivant la susceptibilité du sujet qui doit sortir de l'eau dès qu'il a la chair de poule, le frisson ou des tremblements. Durant le bain on constate que le pouls s'accélère et que la température centrale s'élève. D'après M. Deschamps, ces bains, en augmentant le rayonnement calorique, diminuent vite l'obésité, sans toutefois affaiblir le malade.
L'obèse doit donc rechercher le bain tiède. Le neurasthénique, par contre, devra rechercher le bain chaud. C'est du moins l'opinion de M. U. Alessi, qui ne s'est pas bien trouvé de l'hydrothérapie froide pour ses neurasthéniques et qui a remarqué, par hasard, chez ceux-ci des effets très favorables à la suite de bains chauds.
Le neurasthénique se trouvera particulièrement bien du bain chaud pris le matin au lever. Le bain doit être aussi chaud que possible, tout en restant agréable au malade.
Cette hydrothérapie chaude est très calmante, dit M. Alessi; les bains--qui doivent être de 40 minutes environ--suppriment les états d'excitation et les remplacent par un bien-être très prononcé qui permet au malade d'aller à ses affaires et d'être, pour un temps au moins, plus supportable pour son entourage.
LA MÉDAILLE DU PRÉSIDENT STEIJN
Avant son départ de Paris pour le Natal, le mois dernier, M. Steijn, ancien président de l'État d'Orange, a reçu du comité franco-sud-africain, ayant à sa tête son président d'honneur et président, M. Louis Herbette, conseiller d'État, et le sénateur Pauliat, son médaillon, oeuvre remarquable d'un des membres du comité, le graveur en médailles Henri Dubois, de l'Institut, auteur de la belle médaille commémorative du président Krüger.
L'Amant et le Médecin, par Gabriel de la Rochefoucauld (Calmann-Lévy, 3 fr. 50).--Ames d'autrefois, par Louise Chasteau (Calmann-Lévy, 3 fr. 50).
L'Amant et le Médecin.
Jean de Merrien est issu d'une famille fort aristocratique. Élevé chez les jésuites, il y a rencontré les mêmes sentiments religieux et traditionnels que dans sa maison. Mais, peu à peu, l'esprit du siècle l'a pénétré; les amis nouveaux l'ont orienté d'un autre côté; il a lu et discuté les philosophes à la mode. Aussi sa foi catholique et monarchiste s'est-elle singulièrement affaiblie. Un jour, son père le fait dîner avec une chanoinesse, un dominicain et un abbé. Du premier coup, et dans les moindres mots de la conversation, Jean de Merrien constate tout le désaccord qui s'est fait entre ses hôtes et lui. Il ne les comprend plus. Ce sont des croyants, tandis qu'en son esprit le sens critique s'est éveillé. En cet état Jean de Merrien fait son entrée dans la vie... et dans la vie amoureuse.
Ne gardera-t-il pas cependant, même en amour, beaucoup du catholicisme premier? N'apportera-t-il pas dans la sensualité un certain mysticisme? Et pour celle qu'il adore n'aura t-il pas une pudeur exagérée, jusqu'à vouloir lui interdire la visite du médecin?
Au dix-huitième siècle, la noblesse avait versé dans les idées nouvelles; mais elle était voltairienne, spirituelle, d'un libertinage irrespectueux. M. de la Rochefoucauld a voulu, semble-t-il, nous montrer quelle forme prend parfois dans l'aristocratie, au commencement du vingtième siècle, la perte de la foi catholique. Aucune moquerie sur les lèvres, aucune haine du culte doucement abandonné, je ne sais quoi de religieux encore, jusque dans les écarts passionnels. On sent même que l'arbuste tient toujours au terreau ancien par quelques racines et qu'il pourra à un moment refleurir. Impossible de nettement définir ces êtres nerveux, passionnés et sans volonté. Si ce portrait est exact, s'il y a vraiment ce mal, M. de la Rochefoucauld l'a très habilement signalé aux moralistes et aux pères de famille.
Maintenant quelle est la donnée romanesque? Dans un restaurant de nuit, accompagnée de son mari, Mme Mirevault est apparue pour la première fois aux regards de Jean de Merrien. Il la retrouve, par hasard, en Suisse et, comme le mari est fort occupé avec une chanteuse italienne, il la promène à travers les routes et les sentiers voisins. Comment, dans cette intimité et au milieu de cette nature de Montreux, resteraient-ils insensibles l'un à l'autre? Nous assistons à la naissance troublante de leur amour. A Paris, ils se revoient et, avec frénésie, Jean de Merrien s'attache à l'aimée; son amour est aiguillonné par la jalousie, car il ne peut supporter la pensée du mari. Que fera-t-il pour rapprocher encore davantage de lui Mme Mirevault et la mettre à l'unisson de sa folie? Par des lectures, par des rêveries, par un certain décadentisme, il aiguisera jusqu'au détraquement sa sensibilité. Délivrés du mari qui est parti avec l'Italienne, ils font ensemble un voyage sur la Méditerranée, mais sans assez consulter la force d'endurance de Mme Mirevault, laquelle tombe dangereusement malade à Saint Tropez. C'est peut être la mort. Jean de Merrien se méfie des médecins, et en particulier d'un certain Michel, une célébrité de l'art, professeur à la Faculté, en qui ces dames et Claire Mirevault surtout ont une absolue confiance. Cependant, malgré ses répugnances, il est obligé de mander Michel qui accourt et guérit la malade. Comme il gémit de son impuissance et de la supériorité de Michel auprès de Claire et de la reconnaissance émue que celle-ci témoigne à son sauveur! Est-ce que l'époux et l'amant ne devraient pas en même temps être le médecin? A Paris, Michel continue à faire ses visites presque quotidiennes. Au fond, la malade n'est à l'ami qu'autant que le docteur le permet. Un jour, dans un accès de rage jalouse, Jean de Merrien force la porte du cabinet de Michel et constate qu'il s'est trompé, que le médecin donne des soins absolument nécessaires. Irrité contre lui-même, incapable d'aimer sans horriblement souffrir et faire souffrir, trop sensuel, trop déraisonnable dans la passion, il part pour un voyage lointain et peut-être sans retour. Voilà l'histoire racontée par Jean de Merrien lui-même et qu'après son départ il envoie à la bien-aimée.
Peut-être quelques-uns n'estimeront-ils pas cette fin très logique. Pourquoi se sépare-t-il de la femme adorée au moment où il en est passionnément épris et où il a la preuve de sa fidélité? Une élégance de bonne conversation, relevée de poésie, une belle tenue distinguent le roman de M. de la Rochefoucauld.
Ames d'autrefois.
Encore une femme à ajouter à la liste des romanciers de talent. Il y a
tout dans ce petit livre: une phrase à la fois classique et personnelle,
donnant toute la pensée de l'auteur et sonnant à l'oreille comme une
musique; une morale pure unie à un récit captivant, et la plus
harmonieuse composition. Presque tous les romans masculins sont faits de
pièces et de morceaux; on y voit, comme dans une lanterne magique, des
scènes succédant à d'autres scènes, sans aucun lien entre elles. Ici,
tout s'enchaîne; les faits se tiennent étroitement, j'allais dire qu'ils
s'engendrent les uns les autres. L'histoire se passe sous la Révolution
et sous le Consulat. Dans un château du Périgord, nous apercevons une
veuve impérieuse, maintenant autour d'elle les anciens principes. Elle a
deux enfants: Martial et Lucette. Fort épris d'une jeune huguenote
hollandaise, que la maladie de son père a retenue dans le village
périgourdin, Martial veut l'épouser. Comment ne l'aimerait-il pas? Elle
a toutes les vertus avec la beauté. Mais sa mère, Mme de Fonspeyrat,
entre en fureur dès que Martial lui fait entrevoir son dessein. D'un
autre côté, le père de la jeune fille ne cédera jamais et n'aura pas
pour gendre un papalin. En vain l'oncle de Martial, un doux philosophe,
essaye-t-il d'intervenir. Il ne rencontre des deux parts
qu'inflexibilité. Le vieux huguenot, craignant tout et sachant l'amour
profond de sa fille Katerine, quitte le pays sans dire à personne où il
va. Peut-être par mille persécutions Mme de Fonspeyrat a-t-elle aidé à
cette fuite. Désespéré, Martial, ô abomination! s'engage dans les armées
de la Révolution et s'attache à la fortune de Buonaparte. Pendant qu'il
guerroie, Mmede Fonspeyrat oblige sa fille Lucette à renoncer à un beau
et jeune chevalier, pour s'unir à l'oncle de celui-ci, âgé, presque
défaillant, mais d'une immense fortune. La châtelaine est arrivée à ses
fins et à tout faire plier devant elle. Mais quelle vieillesse elle
s'est ménagée! Quelle tristesse est la sienne! La jeune Katerine,
retirée en Hollande, devient orpheline. Jeune, sans soutien, que
deviendra-t-elle? Elle se rappelle le vieil oncle de Martial, le
philosophe indulgent, et lui écrit. Celui-ci appelle près de lui
Katerine et la confie en mourant à une de ses vieilles amies, fort en
désaccord avec Mme de Fonspeyrat. Cependant comme celle-ci se désole
dans sa solitude, on lui envoie de temps à autre, sous un nom supposé,
la douce Katerine. Quand Martial revient avec des blessures,
qu'aperçoit-il au chevet de sa mère minée par le chagrin et mourante? Sa
fiancée. On devine la suite: Mme de Fonspeyrat expirée, il épouse la
bien-aimée de sa première jeunesse. Encore une fois, cela est fort bien
conduit, avec une sûreté et une phrase exquise qui ne défaillent jamais
et qui nous enchantent.
E. Ledrain.
HISTOIRE.--Mémoires du général Govone (1848-1870), publiés par son fils et traduits de l'italien, par H. Weil. In-8°, avec portrait, Fontemoing, 10 fr.--Le Pape et l'Empereur (1804-1815), par Henri Welschinger. In-8°, Plon, 8 fr.--Les Sophistes français et la Révolution européenne, par Th. Funck-Brentano. In-8°, Plon, 6 fr.--L'Ombrie, par René Schneider. In-18, Hachette, 3 fr. 50.--La Société française du seizième au vingtième siècle (5e série), par Victor du Bled. In-18, Perrin, 3 fr. 50
ROMANS.--Les Amants du passé, par Jean Morgan. In-18, 3 fr. 50.--Le Recueillement, par Jean Deuzèle. In-18, Perrin, 3 fr. 50.--La Guerre universelle, par Auguste Niemann, traduit de l'allemand. In-18, Flammarion, 3 fr. 50; --La Vision de Paris, par Hemma-Prosbert. In-18, d°, 3 fr. 50.--Soldats de la fin, par Jean Troy. In-18, Juven. 3 fr. 50;--De Charybde en Scylla, par Rhoda Broughton.--In-18, d°, 3 fr. 50.--La Maison de danses, par Paul Reboux. In-18, Calmann-Lévy, 3 fr. 50;--Sur la pierre blanche, par Anatole France. In-18, d°, 3 fr. 50;--Les Victoires mutilées, par Gabriel d'Annunzio, traduction G. Hérelle. In-18, d°, 3 fr. 50.
Daria A L'OPÉRA.--Mlle Vix:
dans le rôle de Daria.
Phot. comm. par M. Rueff.
L'Opéra et la Porte-Saint-Martin avaient-ils prévu les graves événements qui viennent de secouer la Russie? Toujours est-il que Daria et Résurrection sont, par le fait des circonstances, des spectacles d'une incontestable actualité--ce qui ne leur enlève rien de leurs autres mérites. Résurrection, pièce tirée par M. Henry Bataille du roman de Tolstoï, a retrouvé au théâtre de la Porte-Saint-Martin tout son succès de l'Odéon, en même temps que sa principale interprète, Mlle Berthe Bady. Daria, drame lyrique en deux actes de MM. Adorer et Ephraïm, musique de M. Georges Marty, a brillamment réussi à l'Opéra. Le livret très dramatique,--mettant aux prises, comme dans la réalité, le moujik russe et son seigneur,--la partition claire, mélodique et brillante, l'organe au timbre pur de Mlle Vix, le jeu large et la belle voix de M. Delmas, tous ces éléments promettent à l'oeuvre nouvelle une belle et longue série de représentations.
Aux Nouveautés, le Gigolo, vaudeville de M. Zamacoïs, a été jugé spirituel et amusant. Après Petite Peste et le Chopin, il a paru surtout d'une immoralité... reposante. MM. Turin et Germain et Mlle Carlix ont les bons rôles de la pièce et les remplissent avec leur verve ordinaire.
M. Boudouresque.--
Phot. J. Fabre.
Le chanteur Boudouresque, qui, pendant plus de dix ans, a tenu avec éclat l'emploi des basses à l'Opéra, vient de mourir dans sa soixante-dixième année.
Né à la Bastide-sur-l'Hers (Ariège), il s'était d'abord, malgré de bonnes études musicales, consacré au commerce. Il était établi à Marseille, lorsqu'un soir le baryton Maurel devant chanter au Grand-Théâtre L'Ernani de Verdi, l'artiste désigné pour remplir le rôle de Silva se trouva malade; pour sauver la situation, Boudouresque consentit à le remplacer; il remporta un grand succès. Peu après, il entrait à l'Opéra, sous la direction Halanzier. Il s'y fit applaudir dans la Juive, Robert le Diable, la Favorite, les Huguenots, Guillaume Tell, Aïda, etc. Lors de l'avènement de la direction Ritt et Gailhard, il quitta l'Opéra, mais sans renoncer à la scène, et donna des représentations dans les grandes villes de province et de l'étranger.
Depuis sa retraite du théâtre, Boudouresque s'était fixé à Marseille. Il partageait ses loisirs entre la musique, la peinture et la pêche.
M. Derode, l'ancien président.
Phot. Ogerau.
M. V. Hugot.--D'après le
tableau de Max Kahn.
M. Lesieur, le nouveau président.
Phot. Ogerau.
La Chambre de commerce de Paris, réunie en séance plénière, vient de renouveler son bureau. Le ministre du commerce et M. de Selves, préfet de la Seine, assistaient à cette réunion, et le ministre a lui-même installé en fonctions le bureau nouveau.
Le bureau dont les pouvoirs viennent d'expirer avait à sa tête: M. Derode, président, officier de la Légion d'honneur, membre depuis 1893 de la Chambre de commerce, où il représente le commerce des cafés, thés, vanilles; M. V. Hugot, premier vice-président, entré à la chambre à la même époque pour la tabletterie et qui récemment représentait de la façon la plus distinguée la compagnie de l'Exposition de Saint-Louis, et M. Lesieur, deuxième vice-président, entré à la compagnie depuis 1895 (huiles et pétroles).
C'est M. Lesieur qui a été élu président. M. Hugot était arrivé au terme de son mandat.
Comme vice-présidents, la Chambre de commerce a désigné M. L. Dubrujeaud, le grand entrepreneur de maçonnerie, qui y siège depuis 1899 et M. Garnier, entrepreneur de travaux publics, entré en 1895.
Dans l'allocution qu'il a prononcée en appelant au bureau ses nouveaux membres, le ministre a fait un éloge unanimement applaudi du bureau sortant, et notamment de M. Derode:
«J'ai trouvé chez lui, a déclaré le ministre, je ne dirai pas seulement un concours précieux et empressé, mais une bonne grâce qui a singulièrement facilité nos rapports et qui laissera chez moi quelque chose de plus qu'un souvenir.»
Me POUILLET Me Pouillet, avocat à la cour d'appel de Paris, ancien bâtonnier de l'ordre, est mort à Cannes, où il avait espéré rétablir sa santé ébranlée depuis de longs mois. Il était âgé de soixante-six ans.
Me Pouillet.--
Phot. Paul Boyer.
C'était une des figures les plus connues du monde judiciaire; l'éminent juriste avait acquis une grande notoriété dans toute l'Europe, où pendant tant d'années il avait présidé les congrès internationaux de propriété littéraire, artistique ou industrielle. On le considérait comme un maître sans égal en cette matière, presque comme un créateur. Ses avis, ses consultations ont été l'origine ou la base de nombreuses lois. Il avait apporté à l'étude de ces questions difficiles une véritable passion et l'ensemble de ses écrits constitue une oeuvre durable.
Son Dictionnaire de la propriété artistique, ses traités théoriques et pratiques (dessins, marques de fabrique, propriété littéraire, conventions internationales, etc.), font autorité.
Ce laborieux jurisconsulte était en même temps un des avocats les plus occupés du Palais, où il plaidait les affaires les plus ardues avec autant de vigueur que de compétence.
Pendant son bâtonnat, en 1896, il avait rétabli au Palais même les consultations gratuites pour les indigents.
Me Pouillet était chevalier de la Légion d'honneur.
Ses obsèques ont été célébrées à Paris au milieu d'une assistance considérable; le conseil de l'ordre y était représenté par une délégation de trente-deux membres ayant à sa tête Me Bourdillon, le bâtonnier en exercice.
M. Heyerdall, étudiant norvégien,
faisant, en skis, un saut de
24 mètres.--Phot. Krenn.
Il y a des années déjà que le ski est considéré, en Scandinavie, comme le premier des sports nationaux,--mieux, comme «le sport des sports», disait, en 1895, présidant le Grand Prix de Kristiania, dont l'Illustration alors, rendit compte, M. Roll, un fanatique. De la Suède et de la Norvège, le ski a peu à peu conquis l'Europe. On sait que plusieurs armées en ont doté leurs troupes de montagne. En Suisse, on le pratique avec frénésie et, tout récemment, un championnat organisé à Claris mettait en présence des coureurs nationaux, des soldats des troupes du Saint-Cothard, avec des champions du ski venus de Norvège et de Suède. Là, on vit l'un de ces derniers, un étudiant norvégien, M. Heyerdall, accomplir cette prouesse peu banale de faire, avec ses skis, un saut de 24 mètres de longueur dans le vide, à l'extrémité d'une pente, parcourue à une vitesse vertigineuse. C'est au cours de cet exercice, beaucoup moins périlleux, parait-il, qu'on ne serait tenté de le croire, qu'a été prise la photographie que nous reproduisons.
Des chutes de neige tout à fait inusitées ont eu lieu, ces temps derniers, dans la région de la Lozère. Les photographies que nous publions, prises sur la ligne du chemin de fer de Mende à la Bastide, donnent une idée très caractéristique du spectacle qu'a offert en maints endroits le pays. Sur certains points de la voie ferrée, protégée pourtant par des paraneiges, on estime qu'il y avait 5 mètres de neige. Le train a même été bloqué, mais pas bien longuement, et la machine chasse-neige envoyée à son secours a pu, sans trop d'effort, lui rouvrir la voie.
Un train bloqué par la neige entre Mende et la Bastide
(Lozère).--Phot. Pestre.
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Les encriers actuels, dont les systèmes varient à l'infini, présentent de nombreux et réels inconvénients qui en rendent l'usage incommode et parfois très désagréable. L'encre s'altère, s'épaissit et s'évapore facilement; de là, nécessité de nettoyer les encriers et de les remplir fréquemment; souvent l'encrier tombe ou se renverse et répand son contenu au dehors.
Les encriers ordinaires inversables présentent d'autres inconvénients, tels que la difficulté de s'en servir et la possibilité de prendre telle position dans laquelle leur contenu peut se déverser au dehors.
C'est cet échappement qu'il fallait prévenir par un dispositif qui mît en même temps l'encre à l'abri du contact de l'air et de l'invasion des poussières.
Ce dispositif a été très ingénieusement et très pratiquement combiné par M. Colombani; avec ses encriers, on peut toujours écrire, bien qu'ils restent toujours fermés.
Coupe de l'encrier Colombani.
Le dispositif en question, aussi simple qu'efficaces, et que représente notre figure, consiste dans l'adaptation au goulot d'un simple tube en caoutchouc dont la partie inférieure, celle qui regarde l'encre, se termine en pointe. Cette pointe ne s'entr'ouvre que sous la pression de la plume et, celle-ci une fois dégagée, se referme complètement, hermétiquement, par suite de son élasticité naturelle.
On peut renverser l'encrier sans qu'une seule goutte jaillisse au dehors, les lèvres du tube aplati se refermant d'autant mieux que l'encre fait pression. Autre avantage fort appréciable: la plume s'essuie d'elle-même sur les lèvres de caoutchouc, se débarrassant ainsi de toute impureté et de tout excès d'encre susceptible de produire des taches. Il serait difficile de créer un système à la fois aussi simple et aussi efficace.
M. Colombani construit plusieurs types d'encriers: des types luxueux en cristal taillé, garniture argentée ou dorée, destinés aux administrations, banques, ou pour particuliers; des encriers classiques, dans lesquels, précieuse propriété, les écoliers ne peuvent plonger leurs doigts; enfin, des encriers-réclame pour primes dans cafés, restaurants, hôtels.
Un modèle spécial, pouvant se placer dans une poche de côté ou s'accrocher à une boutonnière, a été établi pour toutes les personnes qui, comme les facteurs, les livreurs, les douaniers, les ingénieurs, les agents de travaux, les huissiers, etc., sont, à chaque instant, obligées d'écrire au pied levé dans le cours de leurs continuels déplacements. Ce modèle, qui convient admirablement aux officiers et aux sous-officiers en manoeuvre ou en campagne, est extrêmement commode.
Pour tous renseignements, s'adresser à M. Colombani, 61 et 63, boulevard Richard-Lenoir, Paris.
On sait quels extraordinaires développements a pris dans ces dernières années l'industrie du caoutchouc: les bandages de roues pour cycles, automobiles et voitures de toutes sortes, les appareils orthopédiques et d'hygiène, les isolateurs de câbles, les calandres pour le glaçage du papier ou pour le lustrage, le gaufrage et le moirage des étoffes, la sellerie, les harnais et les colliers, etc., etc., absorbent des quantités de plus en plus considérables de ce produit précieux.
C'est pourquoi, malgré tous les efforts faits dans les pays producteurs pour accroître l'importance des plantations caoutchoutières et les mettre en rapport avec les besoins grandissants de la consommation, on peut prévoir que le prix du caoutchouc se maintiendra encore très longtemps aussi élevé qu'aujourd'hui, si même il n'arrive pas à dépasser rapidement les cours actuels.
Depuis longtemps déjà nombre de chimistes ont essayé de découvrir un produit qui, tout en ayant les mêmes caractères que le caoutchouc, tout en étant propre aux mêmes usages, offre en même temps l'avantage de coûter bien moins cher. «L'Élasticine» remplirait-elle ce but?
Au dire des inventeurs, ce composé chimique possède à l'emploi les mêmes caractères élastiques que le caoutchouc. C'est ainsi qu'une bande de cette matière ayant trois centimètres d'épaisseur est réduite à six millimètres sous la pression d'un poids de 90.000 kilogrammes et reprend son volume primitif aussitôt qu'on la rend à la liberté.
Cette substance, d'ailleurs, ne travaille qu'à la compression et se déchire lorsqu'on cherche à l'allonger. Elle résiste aux hautes comme aux basses températures: un froid de 20 degrés centigrades est sans influence sur elle; chauffée à 120 degrés, elle ne fond pas.
Supérieure à cet égard au caoutchouc, elle peut même être mise en contact avec un corps en ignition sans s'enflammer. Elle présente encore le très grand avantage de n'être atteinte en aucune façon par l'humidité de l'air.
Ce nouveau produit est donc destiné à remplacer le caoutchouc dans un grand nombre de ses applications. Comme emploi spécial à l'automobilisme, les inventeurs injectent ce produit à l'état liquide dans l'intérieur des chambres à air de pneumatiques. L'«Élasticine» devenant rapidement un corps solide, on se trouve en présence d'une sorte de caoutchouc plein et par suite increvable conservant une élasticité suffisante, bien que probablement inférieure à celle des pneumatiques.
Signalons encore le rembourrage des selles de bicyclette qui deviennent plus douces. Si, comme l'affirment les inventeurs, ce produit ne durcit pas de lui-même à la longue, ou si du moins sa durée élastique égale celle du caoutchouc, on peut affirmer qu'il trouvera de nombreuses et utiles applications dans l'industrie.
Pour tous renseignements, on peut s'adresser à L'«Élasticine», 49, rue de Villiers, Neuilly-sur-Seine.
Pour toutes insertions concernant les nouvelles inventions, écrire au service des Nouvelles Inventions, à l'Illustration, 13, rue Saint-Georges. Paris.
[Note du transcripteur: Les suppléments ont, pour la plupart, été perdus; ils ne sont d'ailleurs pas contenus dans les éditions reliées de 26 numéros.]