The Project Gutenberg eBook of Notes de Voltaire et de Condorcet sur les pensées de Pascal

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Title: Notes de Voltaire et de Condorcet sur les pensées de Pascal

Author: Blaise Pascal

marquis de Jean-Antoine-Nicolas de Caritat Condorcet

comte Nicolas Louis François de Neufchâteau

Voltaire

Release date: August 23, 2009 [eBook #29772]

Language: French

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*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK NOTES DE VOLTAIRE ET DE CONDORCET SUR LES PENSÉES DE PASCAL ***

Extrait des Œuvres de Blaise Pascal. Tome second. Paris: Lefèvre, 1819.

[Pg 461] NOTES DE VOLTAIRE ET DE CONDORCET SUR LES PENSÉES DE PASCAL. [Pg 462]

Les notes marquées C sont celles que Condorcet a jointes à son édition in-8o., et celles après lesquelles est un V sont de Voltaire. De ces dernières, les unes ont été publiées pour la première fois dans l'édition in-8o. que Voltaire fit faire à Genève en 1778; les autres avoient été déjà employées par Condorcet dans l'édition de 1776. [Pg 463]

NOTES DE VOLTAIRE ET DE CONDORCET SUR LES PENSÉES DE PASCAL.

(1) Et je m'y sens tellement disproportionné, que je crois pour moi la chose absolument impossible.

Il l'a trouvée très-possible dans les Provinciales. V.

(2) Cet art que j'appelle l'art de persuader...... consiste en trois parties essentielles.

Mais ce n'est pas là l'art de persuader, c'est l'art d'argumenter. V.

(3) Je voudrois que la chose fût véritable, et qu'elle fût si connue, que je n'eusse pas eu la peine de rechercher avec tant de soin la source de tous les défauts des raisonnements.

Locke, le Pascal des Anglois, n'avoit pu lire Pascal. Il vint après ce grand homme, et ces pensées paraissent, pour la première fois, plus d'un demi-siècle après la mort de Locke. Cependant Locke, aidé de son seul grand sens, dit toujours: Définissez les termes. V.

(4) Les meilleurs livres sont ceux que chaque lecteur croit qu'il auroit pu faire.

Cela n'est pas vrai dans les sciences: il n'y a personne qui croie qu'il eût pu faire les principes mathématiques de Newton. Cela n'est pas vrai en belles-lettres; quel est le fat qui ose croire qu'il auroit pu faire l'Iliade et l'Énéide? V.

(5) Je les voudrois nommer basses, communes, familières; ces noms-là leur conviennent mieux; je hais les mots d'enflure.

C'est la chose que vous haïssez; car pour le mot, il vous en faut un qui exprime ce qui vous déplaît. V.

Voici un moyen de découvrir la vérité, qui me paroît avoir échappé à tous les philosophes. Il est tiré de la relation d'un voyage fait aux Moluques, en 1760, par le capitaine Dryden.

»On emploie dans ces îles une singulière méthode de découvrir la vérité; voici en quoi elle consiste: quand on veut savoir si un homme [Pg 464] a commis ou n'a pas commis une certaine action, et que des gens qui ont acheté, pour une somme assez modique, le droit de s'en informer, n'ont pas eu l'esprit de découvrir la vérité, ils font lier fortement les jambes de l'accusé entre des planches; ensuite on serre entre ces planches un certain nombre de coins de bois, à force de bras et de coups de maillet. Pendant ce temps-là les rechercheurs interrogent tranquillement le patient, font écrire ses réponses, ses cris, les demi-mots que les tourments lui arrachent, et ils ne le laissent en repos qu'après être parvenus à le faire évanouir deux ou trois fois par la force de la douleur, et que le médecin, témoin de l'opération, a déclaré que, si on continue, le patient mourra dans les tourments. Quelquefois il arrive que les rechercheurs n'ont pas eu besoin de recourir à ce moyen pour se croire sûrs de la vérité, mais qu'il leur reste un léger scrupule; alors ils ordonnent, qu'avant de punir l'accusé, on recourra à la méthode infaillible des maillets et des coins. A la vérité, ils remplissent de tourments horribles les derniers moments de cet infortuné; mais ces aveux, extorqués par la torture, rassurent leur conscience, et au sortir de là, ils en dînent bien plus tranquillement: quand ils voient que l'accusé a pu avoir des complices, ils ont grand soin de recourir à leur méthode favorite. Enfin, il y des crimes pour lesquels on l'ordonne par pure routine, et où cette clause est de style.

»Ces rechercheurs, aussi stupides que féroces, ne se sont pas encore avisés d'avoir le moindre doute sur la bonté de leur méthode. Ils forment une caste à part. On croit même, dans ces îles, qu'ils sont d'une race d'hommes particulière, et que les organes de la sensibilité manquent absolument à cette espèce. En effet, il y a des hommes fort humains dans les mêmes îles. La première caste même est formée de gens très-polis, très-doux et très-braves. Ceux-là passent leur vie à danser; et portant de grand chapeaux de plumes, ils se croiroient déshonorés, s'il dansoient avec un homme de la caste des rechercheurs; mais ils trouvent très-bon que ces rechercheurs gardent le privilége exclusif d'écraser, entre des planches, les jambes de toutes les castes.

»On m'a assuré que, quelques personnes de la caste des lettrés s'étant avisées de dire tout haut qu'il y avoit des moyens plus humains et plus sûrs de découvrir la vérité, les rechercheurs à maillets les ont fait taire, en les menaçant de les brûler à petit feu, après leur avoir préalablement brisé les jambes; car le crime de n'être pas du même avis que les rechercheurs est un de ceux pour lesquels ils ne manquent jamais d'employer leur méthode.

»Des politiques profonds prétendent que, depuis ce temps-là, les rechercheurs sont eux-mêmes convaincus de l'absurdité de leur méthode; que, s'ils l'emploient encore de temps en temps sur des [Pg 465] accusés obscurs, c'est afin de ne pas laisser rouiller cette vieille arme, et de la tenir toujours prête pour effrayer leurs ennemis, ou pour s'en venger.

»J'ai lu qu'il y avoit eu autrefois en Europe des usages aussi abominables; mais ils n'y subsistent plus depuis long-temps. Pour les conserver au milieu d'un siècle éclairé, et des mœurs douces de l'Europe, il auroit fallu, dans les magistrats de ce pays, un mélange d'imbécillité et de cruauté, portées toutes deux à un si haut point, que ce seroit calomnier la nature humaine que de l'en supposer capable.» C.

(Voyage aux Moluques, tome II, page 232.)

(6) Tout le paragraphe I de l'article IV.

Cette éloquente tirade ne prouve autre chose, sinon que l'homme n'est pas Dieu. Il est à sa place comme le reste de la nature, imparfait, parce que Dieu seul peut être parfait; ou, pour mieux dire, l'homme est borné, et Dieu ne l'est pas. V.

(7) Que la terre lui paroisse comme un point, au prix du vaste tour que décrit le soleil.

La superstition avoit-elle dégradé Pascal au point de n'oser penser que c'est la terre qui tourne, et d'en croire plutôt le jugement des dominicains de Rome que les preuves de Copernic, de Keppler et de Galilée[1]? C.

(8) C'est une sphère infinie, dont le centre est partout, la circonférence nulle part.

Cette belle expression est de Timée de Locres: Pascal étoit digne de l'inventer; mais il faut rendre à chacun son bien. V.

(9) Quand l'univers l'écraseroit, l'homme seroit encore plus noble que ce qui le tue.

Que veut dire ce mot, noble? Il est bien vrai que ma pensée est autre chose, par exemple, que le globe du soleil: mais est-il bien prouvé qu'un animal, parce qu'il a quelques pensées, est plus noble que le soleil, qui anime tout ce que nous connoissons de la nature? Est-ce à l'homme à en décider? Il est juge et partie. On dit qu'un [Pg 466] ouvrage est supérieur à un autre, quand il a coûté plus de peine à l'ouvrier, et qu'il est d'un usage plus utile; mais en a-t-il moins coûté au Créateur de faire le soleil que de pétrir un petit animal, haut d'environ cinq pieds, qui raisonne bien ou mal? Qui des deux est le plus utile au monde, ou de cet animal, ou de l'astre qui éclaire tant de globes? Et en quoi quelques idées reçues dans un cerveau sont-elles préférables à l'univers matériel? V.

(10) Je blâme également, et ceux qui prennent le parti de louer l'homme, et ceux qui le prennent de le blâmer, et ceux qui le prennent de le divertir.

Hélas! si vous aviez souffert le divertissement, vous auriez vécu davantage. V.

(11) Les autres disent: cherchez le bonheur en vous divertissant, et cela n'est pas vrai.

En vous divertissant vous aurez du plaisir; et cela est très-vrai. Nous avons des maladies; Dieu a mis la petite-vérole et les vapeurs au monde. Hélas encore! hélas Pascal! on voit bien que vous êtes malade. V.

(12) Tout le paragraphe I.

On n'a point besoin de toute cette métaphysique pour expliquer les effets que produit l'amour de la gloire. Il est impossible à quelqu'un qui vit dans une société nombreuse et policée, de ne pas voir combien, dans la dépendance où il est sans cesse des autres hommes, il lui est avantageux d'être l'objet de leur enthousiasme. «Mais on s'occupe plus de ce que la postérité dira de nous, que de ce qu'en disent nos contemporains. Mais on sacrifie sa vie entière à une gloire dont on ne jouira jamais, mais on court à une mort certaine.» Tel est l'effet du désir si naturel d'être estimés des autres hommes, lorsque ce désir est porté jusqu'à l'enthousiasme. Il en est de même de l'amour physique, qui n'est que le désir de jouir: laissez l'enthousiasme en faire une passion; alors on poignarde sa maîtresse, on meurt pour elle. Le hasard peut amener des circonstances où un amant aimera mieux mourir d'une mort cruelle que de jouir de la femme qu'il adore.

Ne pourroit-on pas dire que l'enthousiasme consiste à se présenter vivement, à la fois, toutes les jouissances que notre passion peut répandre sur un long espace de temps? alors on jouit comme si on les réunissoit toutes; on craint, comme si un instant pouvoit nous faire éprouver, à la fois, toutes les douleurs d'une longue vie: et lorsque ce sentiment a épuisé toute la force de nos organes, qu'il ne nous en reste plus pour raisonner, nous ne pouvons plus nous apercevoir si ces jouissances sont impossibles. [Pg 467]

Cet état d'espérances enivrantes est en lui-même un plaisir, et un plaisir assez grand pour préférer ces jouissances imaginaires à des plaisirs réels et présents. Car on se tromperoit dans tous les raisonnements qu'on fait sur les passions, si on se bornoit à ne compter que les plaisirs ou les peines des sens qu'elles font éprouver. Les différents sentiments de désir, de crainte, de ravissement, d'horreur, etc. qui naissent des passions, sont accompagnés de sensations physiques, agréables ou pénibles, délicieuses ou déchirantes. On rapporte ces sensations à la région de la poitrine; et il paroît que le diaphragme[2] en est l'organe. Le sentiment très-vif de plaisir et de douleur dont cette partie du corps est susceptible, dans les hommes passionnés, suffiroit peut-être pour expliquer ce que les passions offrent, en apparence, de plus inexplicable. C.

(13) La vanité est si ancrée, etc. tout le paragraphe.

Oui, vous couriez après la gloire de passer un jour pour le fléau des jésuites, le défenseur de Port-Royal, l'apôtre du jansénisme, le réformateur des Chrétiens. V.

(14) Le présent n'est jamais notre but. Le passé et le présent sont nos moyens; le seul avenir est notre objet.

Il est faux que nous ne pensions point au présent; nous y pensons en étudiant la nature, et en faisant toutes les fonctions de la vie: nous pensons aussi beaucoup au futur. Remercions l'auteur de la nature de ce qu'il nous donne cet instinct qui nous emporte sans cesse vers l'avenir. Le trésor le plus précieux de l'homme, est cette espérance qui adoucit nos chagrins, et qui nous peint des plaisirs futurs dans la possession des plaisirs présents. Si les hommes étoient assez malheureux pour ne s'occuper jamais que du présent, on ne semeroit point, on ne bâtiroit point, on ne planteroit point, on ne pourvoiroit à rien, on manqueroit de tout au milieu de cette fausse jouissance. Un esprit comme Pascal pouvoit-il donner dans un lieu commun comme celui-là? La nature a établi que chaque homme jouiroit du présent, en se nourrissant, en faisant des enfants, en écoutant des sons agréables, en occupant sa faculté de penser et de sentir, et qu'en sortant de ces états, souvent au milieu de ces états mêmes, il penseroit au lendemain, sans quoi il périroit de misère aujourd'hui. Il n'y a que les [Pg 468] enfants et les imbécilles qui ne pensent qu'au présent; faudra-t-il leur ressembler? V.

On connoît ce vers de M. de V.:

Nous ne vivons jamais, nous attendons la vie.

Et celui-ci de Manilius:

Victuri semper agimus, nec vivimus unquàm.

(15) Plaisante justice qu'une rivière ou une montagne borne! vérités en-deçà des Pyrénées, erreur au-delà.

Il n'est point ridicule que les lois de la France et de l'Espagne diffèrent; mais il est très-impertinent que ce qui est juste à Romorantin soit injuste à Corbeil; qu'il y ait quatre cents jurisprudences diverses dans le même royaume, et surtout que, dans un même parlement, on perde dans une chambre le procès qu'on gagne dans une autre chambre. V.

(16) Se peut-il rien de plus plaisant qu'un homme ait droit de me tuer parce qu'il demeure au-delà de l'eau, et que son prince a querelle contre le mien, quoique je n'en aie aucune avec lui?

Plaisant n'est pas le mot propre; il falloit démence exécrable. V.

(17) Le plus sage des législateurs disoit que, pour le bien des hommes, il faut souvent les piper.

On ne manquera pas d'accuser l'éditeur qui a rassemblé ces Pensées éparses, d'être un athée, ennemi de toute morale; mais je prie les auteurs de cette objection, de considérer que ces Pensées sont de Pascal, et non pas de moi; qu'il les a écrites en toutes lettres; que si elles sont d'un athée, c'est Pascal qui étoit athée, et non pas moi; qu'enfin, puisque Pascal est mort, ce seroit peine perdue que de le calomnier.

Il est beau de voir dans cet article M. de V. prendre contre Pascal la défense de l'existence de Dieu[3]; mais que diront ceux à qui il [Pg 469] en coûte tant pour convenir qu'un vivant puisse avoir raison contre un mort? C.

(18) Combien un avocat, bien payé par avance, trouve-t-il plus juste la cause qu'il plaide!

Je compterois plus sur le zèle d'un homme espérant une grande récompense que sur celui d'un homme l'ayant reçue. V.

(19) Tout le paragraphe XIX.

Ces idées ont été adoptées par Locke. Il soutient qu'il n'y a nul principe inné; cependant il paroît certain que les enfants ont un instinct, celui de l'émulation, celui de la pitié, celui de mettre, dès qu'ils le peuvent, les mains devant leur visage quand il est en danger, celui de reculer pour mieux sauter dès qu'ils sautent. V.

(20) Je crois qu'il seroit presque aussi heureux qu'un roi, qui.....

Tous ceux qui ont attaqué la certitude des connoissances humaines ont commis la même faute. Ils ont fort bien établi que nous ne pouvons parvenir, ni dans les sciences physiques, ni dans les sciences morales, à cette certitude rigoureuse des propositions de la géométrie, et cela n'étoit pas difficile; mais ils ont voulu en conclure que l'homme n'avoit aucune règle sûre pour asseoir son opinion sur ces objets, et ils se sont trompés en cela. Car il y a des moyens sûrs de parvenir à une très-grande probabilité dans plusieurs cas; et dans un grand nombre, d'évaluer le degré de cette probabilité. C.

Être heureux comme un roi, dit le peuple hébété. V.

(21) Que deux hommes voient de la neige, ils expriment tous deux la vue de ce même objet par les mêmes mots.....

Il y a toujours des différences imperceptibles entre les choses les plus semblables; il n'y a jamais eu peut-être deux œufs de poule absolument les mêmes, mais qu'importe? Leibnitz devoit-il faire un principe philosophique de cette observation triviale? V.

(22) C'est ce qui a donné lieu à ces titres, aussi fastueux en effet, quoique non[4] en apparence, que cet auteur qui crève les yeux, de omni scibili.

Qui crève les yeux ne veut pas dire ici qui se montre évidemment: il signifie tout le contraire. V. [Pg 470]

(23) Cela étant bien compris, je crois qu'on s'en tiendra au repos.....

Tout cet article, d'ailleurs obscur, semble fait pour dégoûter des sciences spéculatives. En effet, un bon artiste en haute-lisse, en horlogerie, en arpentage, est plus utile que Platon. V.

(24) La seule comparaison que nous faisons de nous au fini nous fait peine.

Il eût plutôt fallu dire à l'infini. Mais souvenons-nous que ces pensées jetées au hasard étoient des matériaux informes qui ne furent jamais mis en œuvre. V.

(25) Tout le paragraphe XXV.

Cette pensée paroît un sophisme, et la fausseté consiste dans ce mot d'ignorance, qu'on prend en deux sens différents. Celui qui ne sait ni lire, ni écrire, est un ignorant; mais un mathématicien, pour ignorer les principes cachés de la nature, n'est pas au point d'ignorance d'où il étoit parti quand il commença à apprendre à lire. Newton ne savoit pas pourquoi l'homme remue son bras quand il le veut; mais il n'en étoit pas moins savant sur le reste. Celui qui ne sait point l'hébreu, et qui sait le latin, est savant, par comparaison, avec celui qui ne sait que le françois. V.

(26) L'âme est jetée dans le corps pour y faire un séjour de peu de durée.

Pour dire l'âme est jetée, il faudroit être sûr qu'elle est substance, et non qualité. C'est ce que presque personne n'a recherché, et c'est par où il faudroit commencer, en métaphysique, en morale, etc. V.

(27) Mais quand j'y ai regardé de plus près, etc. tout l'alinéa.

Ce mot, ne voir que nous, ne forme aucun sens. Qu'est-ce qu'un homme qui n'agiroit point, et qui est supposé se contempler? Non-seulement je dis que cet homme seroit un imbécille, inutile à la société; mais je dis que cet homme ne peut exister. Car cet homme que contempleroit-il? Son corps, ses pieds, ses mains, ses cinq sens? ou il seroit un idiot, ou bien il feroit usage de tout cela. Resteroit-il à contempler sa faculté de penser? Mais il ne peut contempler cette faculté qu'en l'exerçant. Ou il ne pensera à rien, on bien il pensera [Pg 471] aux idées qui lui sont déjà venues, ou il en composera de nouvelles; or il ne peut avoir d'idées que du dehors. Le voilà donc nécessairement occupé, ou de ses sens, ou de ses idées; le voilà donc hors de soi, ou imbécille. Encore une fois, il est impossible à la nature humaine de rester dans cet engourdissement imaginaire, il est absurde de le penser, il est insensé d'y prétendre. L'homme est né pour l'action, comme le feu tend en haut et la pierre en bas. N'être point occupé, et n'exister pas, c'est la même chose pour l'homme; toute la différence consiste dans les occupations douces ou tumultueuses, dangereuses ou utiles. Job a bien dit: «L'homme est né pour le travail, comme l'oiseau pour voler»; mais l'oiseau, en volant, peut être pris au trébuchet. C.

(28) Un roi qui se voit est un homme plein de misères, et qui les ressent comme un autre.

Toujours le même sophisme. Un roi qui se recueille pour penser est alors très-occupé; mais s'il n'arrêtoit sa pensée que sur soi, en disant à soi-même: je règne, et rien de plus, il seroit un idiot. V.

(29) Les hommes ont un instinct secret, etc. et le reste de l'alinéa.

Cet instinct secret étant le premier principe et le fondement nécessaire de la société, il vient plutôt de la bonté de Dieu, et il est plutôt l'instrument de notre bonheur que le ressentiment de notre misère. Je ne sais pas ce que nos premiers pères faisoient dans le paradis terrestre; mais si chacun d'eux n'avoit pensé qu'à soi, l'existence du genre humain étoit bien hasardée. N'est-il pas absurde de penser qu'ils avoient des sens parfaits, c'est-à-dire, des instruments d'actions parfaits, uniquement pour la contemplation? Et n'est-il pas plaisant que des têtes pensantes puissent imaginer que la paresse est un titre de grandeur, et l'action un rabaissement de notre nature? V.

(30) Lorsque Cynéas disoit à Pyrrhus, etc.

L'exemple de Cynéas est bon dans les satires de Despréaux, mais non dans un livre philosophique. Un roi sage peut être heureux chez lui; et de ce qu'on nous donne Pyrrhus pour fou, cela ne conclut rien pour le reste des hommes. V.

(31) L'homme est si malheureux, qu'il s'ennuieroit, même sans aucune cause étrangère d'ennui, par le propre état de sa condition naturelle.

Ne seroit-il pas aussi vrai de dire que l'homme est si heureux en ce point, et que nous avons tant d'obligation à l'auteur de la nature, qu'il [Pg 472] a attaché l'ennui à l'inaction, afin de nous forcer par là à être utiles au prochain et à nous-mêmes? V.

(32) Le paragraphe V.

La nature ne nous rend pas toujours malheureux. Pascal parle toujours en malade qui veut que le monde entier souffre. V.

(33) Le paragraphe VI.

Cette comparaison assurément n'est pas juste. Des malheureux enchaînés, qu'on égorge l'un après l'autre, sont malheureux non-seulement parce qu'ils souffrent, mais encore parce qu'ils éprouvent ce que les autres hommes ne souffrent pas. Le sort naturel d'un homme n'est, ni d'être enchaîné, ni d'être égorgé; mais tous les hommes sont faits, comme les animaux, les plantes, pour croître, pour vivre un certain temps, pour produire leur semblable, et pour mourir. On peut, dans une satire, montrer l'homme, tant qu'on voudra, du mauvais côté; mais, pour peu qu'on se serve de sa raison on avouera que, de tous les animaux, l'homme est le plus parfait, le plus heureux, et celui qui vit le plus long-temps; car ce qu'on dit des cerfs et des corbeaux n'est qu'une fable: au lieu donc de nous étonner et de nous plaindre du malheur et de la brièveté de la vie, nous devons nous étonner et nous féliciter de notre bonheur et de sa durée. A ne raisonner qu'en philosophe, j'ose dire qu'il y a bien de l'orgueil et de la témérité à prétendre que, par notre nature, nous devons être mieux que nous ne sommes. V.

(34) Nous allons montrer que toutes les opinions du peuple sont très-saines.

Pascal prouve dans cet article que les préjugés du peuple sont fondés sur des raisons, mais non pas que le peuple ait raison de les avoir adoptés. C.

(35) Le plus grand des maux est les guerres civiles. Elles sont sûres, si on veut récompenser le mérite; car tous diroient qu'ils méritent.

Cela mérite explication. Guerre civile, si le prince de Conti dit: J'ai autant de mérite que le grand Condé; si Retz dit: Je vaux mieux que Mazarin; si Beaufort dit: Je l'emporte sur Turenne, et s'il n'y a personne pour les mettre à leur place. Mais quand Louis XIV arrive, et dit: Je ne récompenserai que le mérite; alors plus de guerre civile. V.

(36) Les paragraphes V et VI.

Ces articles ont besoin d'explication, et semblent n'en pas mériter. V. [Pg 473]

(37) Il a quatre laquais, et je n'en ai qu'un; c'est à moi à céder.

Non. Turenne avec un laquais sera respecté par un traitant qui en aura quatre. V.

(38) Nos magistrats ont bien connu ce mystère. Leurs robes rouges, leurs hermines, dont ils s'emmaillottent en chats fourrés, etc.

Les sénateurs romains avoient le laticlave. V.

(39) Les seuls gens de guerre ne se sont pas déguisés de la sorte.

Aujourd'hui c'est tout le contraire, on se moqueroit d'un médecin qui viendroit tâter le pouls et contempler votre chaise percée en soutane. Les officiers de guerre, au contraire, vont partout avec leurs uniformes et leurs épaulettes. V.

(40) Les Suisses s'offensent d'être dits gentilshommes, et prouvent la roture de race pour être jugés dignes de grands emplois.

Pascal étoit mal informé. Il y avoit de son temps, et il y a encore dans le sénat de Berne des gentilshommes aussi anciens que la maison d'Autriche. Ils sont respectés, ils sont dans les charges. Il est vrai qu'ils n'y sont pas par droit de naissance, comme les nobles y sont à Venise. Il faut même à Bâle renoncer à sa noblesse pour entrer dans le sénat. V.

(41) Cet habit, c'est une force; il n'en est pas de même d'un cheval bien enharnaché à l'égard d'un autre.

Bas et indigne de Pascal. V.

(42) Le peuple a des opinions très-saines, par exemple, d'avoir choisi le divertissement et la chasse plutôt que la poésie.

Il semble qu'on ait proposé au peuple de jouer à la boule ou de faire des vers. Non, mais ceux qui ont des organes grossiers cherchent des plaisirs où l'âme n'entre pour rien; ceux qui ont un sentiment plus délicat veulent des plaisirs plus fins: il faut que tout le monde vive. V.

(43) Le port règle ceux qui sont dans le vaisseau; mais où trouverons-nous ce point dans la morale?

Dans cette seule maxime, reçue de toutes les nations: Ne faites pas à autrui ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fît. V. [Pg 474]

(44) Le paragraphe VI.

Un certain peuple a eu une loi par laquelle on faisoit pendre un homme qui avoit bu à la santé d'un certain prince: il eût été juste de ne point boire avec cet homme, mais il étoit un peu dur de le pendre: cela étoit établi, mais cela étoit abominable. V.

(45) Sans doute que l'égalité des biens est juste.

L'égalité des biens n'est pas juste. Il n'est pas juste que, les parts étant faites, des étrangers mercenaires, qui viennent m'aider à faire mes moissons, en recueillent autant que moi. V.

(46) Ne pouvant faire que ce qui est juste fût fort, on a fait que ce qui est fort fût juste.

Pascal semble se rapprocher ici des idées de Hobbes, et le plus dévot des philosophes de son siècle est, sur la nature du juste et de l'injuste, du même avis que le plus irréligieux. C.

(47) Tout le paragraphe X.

Selon Platon, les bonnes lois sont celles que les citoyens aiment plus que leur vie; l'art de faire aimer aux hommes les lois de leur patrie étoit, selon lui, le grand art des législateurs. Il y a loin d'un philosophe d'Athènes à un philosophe du faubourg Saint-Jacques. C.

(48) L'extrême esprit est accusé de folie, comme l'extrême défaut.

Ce n'est pas l'extrême esprit, c'est l'extrême vivacité et volubilité de l'esprit qu'on accuse de folie; l'extrême esprit est l'extrême justesse, l'extrême finesse; l'extrême étendue opposée diamétralement à la folie. L'extrême défaut d'esprit est un manque de conception, un vide d'idées; ce n'est point la folie, c'est la stupidité. La folie est un dérangement dans les organes, qui fait voir plusieurs objets trop vite, ou qui arrête l'imagination sur un seul avec trop d'application et de violence. Ce n'est point non plus la médiocrité qui passe pour bonne, c'est l'éloignement des deux vices opposés; c'est ce qu'on appelle juste milieu, et non médiocrité. On ne fait cette remarque, et quelques autres dans ce goût, que pour donner des idées précises. C'est plutôt pour éclaircir que pour contredire. V.

(49) Les belles actions cachées sont les plus estimables. Quand j'en vois quelques-unes dans l'histoire, elles me plaisent fort. Mais enfin elles n'ont pas été tout-à-fait cachées, puisqu'elles ont été sues; ce peu par où elles ont [Pg 475] paru en diminue le mérite, car c'est là le plus beau de les avoir voulu cacher[5].

Voici une action dont la mémoire mérite d'être conservée, et à qui il ne me paroît pas possible qu'on puisse appliquer la réflexion de Pascal.

Le vaisseau que montoit le chevalier de Lordat, étoit prêt à couler à fond à la vue des côtes de France. Il ne savoit pas nager; un soldat, excellent nageur, lui dit de se jeter avec lui dans la mer, de le tenir par la jambe, et qu'il espère le sauver par ce moyen. Après avoir long-temps nagé, les forces du soldat s'épuisent; M. de Lordat s'en aperçoit, l'encourage; mais enfin le soldat lui déclare qu'ils vont périr tous deux.—Et si tu étois seul?—Peut-être pourrois-je encore me sauver. Le chevalier de Lordat lui lâche la jambe, et tombe au fond de la mer. C.

Et comment l'histoire en a-t-elle pu parler, si on ne les a pas sues? V.

(50) Pourquoi faire plutôt quatre espèces de vertus que dix?

On a remarqué, dans un Abrégé de l'Inde et de la guerre misérable que l'avarice de la Compagnie française soutint contre l'avarice anglaise; on a remarqué, dis-je, que les brames peignent la vertu belle et forte avec dix bras, pour résister à dix péchés capitaux. Les missionnaires ont pris la vertu pour le diable. V.

(51) Tout le paragraphe XXXI.

Il est faux que les petits soient moins agités que les grands. Au contraire, leurs désespoirs sont plus vifs, parce qu'ils ont moins de ressources. De cent personnes qui se tuent à Londres et ailleurs, il y en a quatre-vingt-dix-neuf du bas peuple, et à peine une de condition relevée. La comparaison de la roue est ingénieuse et fausse. V.

(52) Tout le paragraphe XXXIII.

Il auroit fallu dire d'être aussi vicieux que lui[6]; cet article est trop trivial, et indigne de Pascal. Il est clair que, si un homme est [Pg 476] plus grand que les autres, ce n'est pas parce que ses pieds sont aussi bas, mais parce que sa tête est plus élevée. V.

(53) Paragraphe XLVII.

L'on s'imagine d'ordinaire qu'Alexandre et César sont sortis de chez eux dans le dessein de conquérir la terre: ce n'est point cela. Alexandre succéda à Philippe dans le généralat de la Grèce, et fut chargé de la juste entreprise de venger les Grecs des injures du roi de Perse; il battit l'ennemi commun, et continua ses conquêtes jusqu'à l'Inde, parce que le royaume de Darius s'étendoit jusqu'à l'Inde: de même que le duc de Marlborough seroit venu jusqu'à Lyon sans le maréchal de Villars. A l'égard de César, il étoit un des premiers de la république: il se brouilla avec Pompée, comme les jansénistes avec les molinistes, et alors ce fut à qui s'extermineroit: une seule bataille, où il n'y eut pas dix mille hommes de tués, décida de tout. Au reste, la pensée de Pascal est peut-être fausse en un sens. Il falloit la maturité de César pour se démêler de tant d'intrigues; et il est peut-être étonnant qu'Alexandre, à son âge, ait renoncé au plaisir pour faire une guerre si pénible. V.

(54) En écrivant ma pensée, elle m'échappe quelquefois, etc.

Les idées de Platon sur la nature de l'homme sont bien plus philosophiques que celles de Pascal. Platon regardoit l'homme comme un être qui naît avec la faculté de recevoir des sensations, d'avoir des idées, de sentir du plaisir et de la douleur; les objets que le hasard lui présente, l'éducation, les lois, le gouvernement, la religion, agissent sur lui, et forment son intelligence, ses opinions, ses passions, ses vertus et ses vices. Il ne seroit rien de ce que nous disons que la nature l'a fait, si tout cela avoit été autrement. Soumettons-le à d'autres agents, et il deviendra ce que nous voudrons qu'il soit, ce qu'il faudroit qu'il fût pour son bonheur, et pour celui de ses semblables; qui osera fixer des termes à ce que l'homme pourroit faire de grand et de beau? Mais ne négligeons rien. C'est l'homme tout entier qu'il faut former, et il ne faut abandonner au hasard, ni aucun instant de sa vie, ni l'effet d'aucun des objets qui peuvent agir sur lui[7]. V. [Pg 477]

(55) Platon et Aristote.... étoient d'honnêtes gens qui rioient comme les autres avec leurs amis.

Cette expression, honnêtes gens, a signifié, dans l'origine, les hommes qui avoient de la probité. Du temps de Pascal, elle signifioit les gens de bonne compagnie; et maintenant ceux qui ont de la naissance ou de l'argent. C.

Non, monsieur, les honnêtes gens sont ceux à la tête desquels vous êtes. V.

(56) Je mets en fait que, si tous les hommes savoient ce qu'ils disent les uns des autres, il n'y auroit pas quatre amis dans le monde.

Dans l'excellente comédie du Plain dealer, l'homme au franc procédé (excellente à la manière angloise), le Plain dealer dit à un personnage: Tu te prétends mon ami; voyons, comment le prouverois-tu?—Ma bourse est à toi,—Et à la première fille venue. Bagatelle.—Je me battrois pour toi.—Et pour un démenti; ce n'est pas là un grand sacrifice.—Je dirai du bien de toi à la face de ceux qui te donneront des ridicules.—Oh! si cela est, tu m'aimes. V.

(57) A mesure qu'on a plus d'esprit, on trouve qu'il y a plus d'hommes originaux. Les gens du commun ne trouvent pas de différence entre les hommes.

Il y a très-peu d'hommes vraiment originaux; presque tous se gouvernent, pensent et sentent par l'influence de la coutume et de l'éducation. Rien n'est si rare qu'un esprit qui marche dans une route nouvelle; mais parmi cette foule d'hommes qui vont de compagnie, chacun a de petites différences dans la démarche, que les vues fines aperçoivent. V.

(58) .... Ils ne savent pas que j'en juge par ma montre.

En ouvrage de goût, en musique, en poésie, en peinture, c'est le goût qui tient lieu de montre; et celui qui n'en juge que par règles, en juge mal. V.

(59) Il y en a qui masquent toute la nature. Il n'y a point de roi parmi eux, mais un auguste monarque; point de Paris, mais une capitale du royaume.

Ceux qui écrivent en beau françois les gazettes pour le profit des propriétaires de ces fermes dans les pays étrangers, ne manquent jamais de dire: «Cette auguste famille entendit vêpres dimanche, et le sermon du révérend père N. Sa majesté joua aux dés en haute personne. On fit l'opération de la fistule à son éminence.» V. [Pg 478]

(60) La dernière chose qu'on trouve en faisant un ouvrage, est de savoir celle qu'il faut mettre la première.

Quelquefois. Mais jamais on n'a commencé ni une histoire, ni une tragédie par la fin, ni aucun travail. Si on ne sait souvent par où commencer, c'est dans un éloge, dans une oraison funèbre, dans un sermon, dans tous ces ouvrages de pur appareil, où il faut parler sans rien dire. V.

(61) Il est difficile de rien obtenir de l'homme que par le plaisir, qui est la monnoie pour laquelle nous donnons tout ce qu'on veut.

Le plaisir n'est pas la monnoie, mais la denrée pour laquelle on donne tant de monnoie qu'on veut. V.

(62) Il (Épictète) veut que l'homme soit humble.

Si Épictète a voulu que l'homme fût humble, vous ne deviez donc pas dire que l'humilité n'a été recommandée que chez nous. V.

(63) Montaigne, né dans un état chrétien, fait profession de la religion catholique.

On vient de faire un livre pour prouver que Montaigne étoit bon chrétien. Selon nos zélés, tout grand homme des siècles passés étoit croyant, tout grand homme vivant est incrédule. Leur première loi est de chercher à nuire; l'intérêt de leur cause ne marche qu'après. C.

(64) Les principales raisons des pyrrhoniens sont que nous n'avons aucune certitude de la vérité des principes....

Les pyrrhoniens absolus ne méritoient pas que Pascal parlât d'eux. V.

(65) N'y ayant point de certitude hors la foi, si l'homme est créé par un Dieu bon, ou par un démon méchant....

La foi est une grâce surnaturelle. C'est combattre et vaincre la raison que Dieu nous a donnée, c'est croire fermement et aveuglément un homme qui ose parler au nom de Dieu, au lieu de recourir soi-même à Dieu. C'est croire ce qu'on ne croit pas. Un philosophe étranger, qui entendit parler de la foi, dit que c'était se mentir à soi-même. Ce n'est pas là de la certitude; c'est de l'anéantissement. C'est le triomphe de la théologie sur la faiblesse humaine. V. [Pg 479]

(66) La raison démontre qu'il n'y a point deux nombres carrés dont l'un soit double de l'autre.

Ce n'est point le raisonnement, c'est l'expérience et le tâtonnement qui démontrent cette singularité et tant d'autres. V.

(67) Tous se plaignent, princes, sujets, etc.

Je sais qu'il est doux de se plaindre; que, de tout temps, on a vanté le passé pour injurier le présent; que chaque peuple a imaginé un âge d'or, d'innocence, de bonne santé, de repos et de plaisir, qui ne subsiste plus. Cependant j'arrive de ma province à Paris; on m'introduit dans une très-belle salle où douze cents personnes écoutent une musique délicieuse: après quoi toute cette assemblée se divise en petites sociétés qui vont faire un très-bon souper, et après ce souper elles ne sont pas absolument mécontentes de la nuit. Je vois tous les beaux-arts en honneur dans cette ville, et les métiers les plus abjects bien récompensés, les infirmités très-soulagées, les accidents prévenus; tout le monde y jouit ou espère jouir, ou travaille pour jouir un jour, et ce dernier partage n'est pas le plus mauvais. Je dis alors à Pascal: Mon grand homme, êtes-vous fou?

Je ne nie pas que la terre n'ait été souvent inondée de malheurs et de crimes, et nous en avons eu notre bonne part. Mais certainement, lorsque Pascal écrivoit, nous n'étions pas si à plaindre. Nous ne sommes pas non plus si misérables aujourd'hui.

Prenons toujours ceci, puisque Dieu nous l'envoie;
    Nous n'aurons pas toujours tels passe-temps. V.

(68) Qu'y a-t-il de plus ridicule et de plus vain que ce que proposent les stoïciens?

La morale des stoïciens étoit fondée sur la nature même, quoiqu'elle semble toujours la combattre. Ces philosophes avoient observé que les passions violentes, l'enthousiasme, la folie même, non-seulement donnent à l'homme la force de supporter la douleur, mais l'y rendoient souvent insensible; et comme il est une foule de douleurs que notre prudence et nos lumières ne peuvent ni prévenir, ni soulager; comme la crainte de la douleur est l'instrument avec lequel les tyrans dégradent l'homme et le rendent misérable, les stoïciens jugèrent, avec raison, que l'on ne pourroit opposer aux maux où nous a soumis la nature un remède à la fois plus utile et plus sûr que d'exciter dans notre âme un enthousiasme durable, qui, s'augmentant en même temps que la douleur, par nos efforts, pour nous roidir contre elle, nous y rendît presque insensibles; cet enthousiasme avoit contre la douleur la même force que le délire, et cependant laissoit à l'âme le libre usage dt toutes ses facultés. Ainsi le stoïcien dit: La douleur [Pg 480] n'est point un mal, et il cessa presque de la sentir. Le même remède s'applique encore, avec plus de succès, aux maux de l'âme, plus cruels que ceux du corps. Celle du sage s'élève si haut, que les opprobres, les injustices, ne peuvent y atteindre. L'amour de l'ordre, porté jusqu'à l'enthousiasme, fut sa seule passion, et la rendit inaccessible à toute autre. Le bonheur du stoïcien consistoit dans le sentiment de la force et de la grandeur de son âme; la foiblesse et le crime étoient donc les seuls maux qui pussent le troubler, et, occupé de se rapprocher des dieux, en faisant du bien aux hommes, il savoit mourir quand il ne lui en restoit plus à faire.

Si donc on peut regarder comme des enthousiastes les sectateurs de cette morale, on ne peut se dispenser de reconnoître dans son inventeur un génie profond et une âme sublime. C.

Il est vrai que c'est le sublime des Petites-Maisons; mais il est bien respectable. V.

(69) Ce désir (de la vérité et du bonheur) nous est laissé, tant pour nous punir que pour nous faire sentir d'où nous sommes tombés.

Comment peut-on dire que le désir du bonheur, ce grand présent de Dieu, ce premier ressort du monde moral, n'est qu'un juste supplice? O éloquence fanatique! V.

(70) Quelle chimère est-ce donc que l'homme?

Vrai discours de malade. V.

(71) Que ceux qui combattent la religion[8] apprennent au moins quelle elle est avant que de la combattre. Si cette religion se vantoit d'avoir une vue claire de Dieu, et de le posséder à découvert et sans voile[9], ce seroit la combattre que de dire qu'on ne voit rien dans le monde qui le montre avec cette évidence. Mais puisqu'elle dit, au contraire, que les hommes sont dans les ténèbres[10] et dans l'éloignement de Dieu....

(72) Toutes nos actions et toutes nos pensées doivent [Pg 481] prendre des routes si différentes, selon qu'il y aura des biens éternels à espérer, ou non, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement, qu'en la réglant par la vue de ce point, qui doit être notre premier objet.

Il ne s'agit pas encore ici de la sublimité et de la sainteté de la religion chrétienne, mais de l'immortalité de l'âme, qui est le fondement de toutes les religions connues, excepté de la juive; je dis excepté de la juive, parce que ce dogme n'est exprimé dans aucun endroit du Pentateuque, qui est le livre de la loi juive; parce que nul auteur juif n'a pu y trouver aucun passage qui désignât ce dogme; parce que, pour établir l'existence reconnue de cette opinion si importante, si fondamentale, il ne suffit pas de la supposer, de l'inférer de quelques mots dont on force le sens naturel: mais il faut qu'elle soit énoncée de la façon la plus positive et la plus claire; parce que, si la petite nation juive avoit eu quelque connoissance de ce grand dogme avant Antiochus Épiphane, il n'est pas à croire que la secte des Sadducéens, rigides observateurs de la loi, eût osé s'élever contre la croyance fondamentale de la loi juive.

Mais qu'importe en quel temps la doctrine de l'immortalité et de la spiritualité de l'âme a été introduite dans le malheureux pays de la Palestine? Qu'importe que Zoroastre aux Perses, Numa aux Romains, Platon aux Grecs, aient enseigné l'existence et la permanence de l'âme? Pascal veut que tout homme, par sa propre raison, résolve ce grand problème. Mais lui-même le peut-il? Locke, le sage Locke, n'a-t-il pas confessé que l'homme ne peut savoir si Dieu ne peut accorder le don de la pensée à tel être qu'il daignera choisir? N'a-t-il pas avoué par là qu'il ne nous est pas plus donné de connoître la nature de notre entendement que de connoître la manière dont notre sang se forme dans nos veines? Jescher a parlé; il suffit.

Quand il est question de l'âme, il faut combattre Épicure, Lucrèce, Pomponace, et ne pas se laisser subjuguer par une faction de théologiens du faubourg Saint-Jacques, jusqu'à couvrir d'un capuce une tête d'Archimède. V.

(73) La mort nous doit mettre dans un état éternel de bonheur ou de malheur, ou d'anéantissement.

Il n'y eut ni malheur éternel, ni anéantissement dans les systèmes des Bracmanes, des Egyptiens, et chez plusieurs sectes grecques. Enfin ce qui parut aux Romains de plus vraisemblable, ce fut cet axiome tant répété dans le sénat et sur le théâtre: «Que devient l'homme après la mort? Ce qu'il étoit avant de naître.» Pascal raisonne ici contre un mauvais Chrétien, contre un Chrétien indifférent qui ne pense point à sa religion, qui s'étourdit sur elle. Mais il [Pg 482] faut parler à tous les hommes, il faut convaincre un Chinois et un Mexicain, un déiste et un athée. J'entends des déistes et des athées qui raisonnent, et qui par conséquent méritent qu'on raisonne avec eux; je n'entends pas des petits-maîtres. V.

(74) Comme je ne sais d'où je viens, aussi ne sais-je ou je vais; je sais seulement qu'en sortant de ce monde, je tombe pour jamais, ou dans le néant, ou dans les mains d'un Dieu irrité, sans savoir à laquelle des deux conditions je dois être éternellement en partage.

Si vous ne savez où vous allez, comment savez-vous que vous tombez infailliblement ou dans le néant, ou dans les mains d'un Dieu irrité? Qui vous a dit que l'Etre suprême peut être irrité? N'est-il pas infiniment plus probable que vous serez entre les mains d'un Dieu bon et miséricordieux? Et ne peut-on pas dire de la nature divine ce que le poète philosophe des Romains en a dit. V.

Ipsa suis pollens opibus, nihil indiga nostrî,
Nec benè promeritis capitur, neque tangitur ira.

Lucr. lib. 2, v. 649.

(75) Un homme dans un cachot, ne sachant si son arrêt est donné, n'ayant plus qu'une heure pour l'apprendre.... il est contre la nature qu'il emploie cette heure-là, non à s'informer si cet arrêt est donné, mais à jouer et à se divertir.

Il semble qu'il manque quelque chose à ce raisonnement de Pascal. Sans doute il est absurde de ne pas employer son temps à la recherche d'une chose qu'on peut connoître, et dont la connoissance nous est d'une importance infinie. Mais un homme qui seroit persuadé que cette connoissance est impossible à acquérir, que l'esprit humain n'a aucun moyen d'y parvenir, peut, sans folie, demeurer dans le doute; il peut y demeurer tranquille, s'il croit qu'un Dieu juste n'a pu faire dépendre l'état futur des hommes de connoissances auxquelles leur esprit ne sauroit atteindre.

Un homme, enfermé dans un cachot, ne sachant pas si son arrêt est donné, mais sûr de son innocence, et comptant sur l'équité de ses juges, n'ayant aucun moyen d'apprendre encore ce que porte son arrêt, pourroit l'attendre tranquillement, et ne seroit alors que raisonnable et ferme. Il faut donc commencer par prouver qu'il n'est pas impossible que l'homme parvienne à quelque connoissance certaine sur la vie future. C. [Pg 483]

(76) Ce sont des personnes qui ont ouï dire que les belles manières du monde consistent à faire ainsi l'emporté.

Cette capucinade n'auroit jamais été répétée par un Pascal, si le fanatisme janséniste n'avoit pas ensorcelé son imagination. Comment n'a-t-il pas vu que les fanatiques de Rome en pouvoient dire autant à ceux qui se moquoient de Numa et d'Égérie? les énergumènes d'Égypte aux esprits sensés qui rioient d'Isis, d'Osiris et d'Horus? le sacristain de tous les pays aux honnêtes gens de tous les pays? V.

(77) Si on leur fait rendre compte des raisons qu'ils ont de douter de la religion, ils diront des choses si foibles et si basses, qu'ils persuaderont plutôt du contraire.

Ce n'est donc pas contre ces insensés méprisables que vous devez disputer; mais contre des philosophes trompés par des arguments séduisants. V.

(78) Qu'ils soient au moins honnêtes gens, s'ils ne peuvent encore être chrétiens.

Il s'agit ici de savoir si l'opinion de l'immortalité de l'âme est vraie, et non pas si elle annonce plus d'esprit, une âme plus élevée que l'opinion contraire; si elle est plus gaie, ou de meilleur air. Il faut croire cette grande vérité, parce qu'elle est prouvée, et non parce que cette croyance excitera les autres hommes à avoir en nous plus de confiance. Cette manière de raisonner ne seroit propre qu'à faire des hypocrites. D'ailleurs il me semble que c'est moins d'après les opinions d'un homme sur la métaphysique, ou la morale, qu'il faut se confier en lui, ou s'en défier, que d'après son caractère; et, s'il est permis de s'exprimer ainsi, d'après sa constitution morale. L'expérience paroît confirmer ce que j'avance ici. Ni Constantin, ni Théodose, ni Mahomet, ni Innocent III, ni Marie d'Angleterre, ni Philippe II, ni Aureng-zeb, ni Jacques Clément, ni Ravaillac, ni Balthazar Gérard, ni les brigands qui dévastèrent l'Amérique, ni les capucins qui conduisoient les troupes piémontoises au dernier massacre des Vaudois, n'ont jamais élevé le moindre doute sur l'immortalité de l'âme. En général même, ce sont les hommes foibles, ignorants et passionnés, qui commettent des crimes: et ces mêmes hommes sont naturellement portés à la superstition. C.

(79) Par les lumières naturelles..... nous sommes incapables de connoître, ni ce qu'il est, ni s'il est.

Il est étrange que Pascal ait cru qu'on pouvoit deviner le péché originel par la raison, et qu'il dise qu'on ne peut connoître par la [Pg 484] raison si Dieu est. C'est apparemment la lecture de cette pensée qui engagea le père Hardouin à mettre Pascal dans sa liste ridicule des athées. Pascal eût manifestement rejeté cette idée, puisqu'il la combat en d'autres endroits. En effet, nous sommes obligés d'admettre des choses que nous ne concevons pas. «J'existe, donc quelque chose existe de toute éternité,» est une proposition évidente: cependant, comprenons-nous l'éternité? C.

(80) Je n'entreprendrai pas ici de prouver par des raisons naturelles, ou l'existence de Dieu, ou la Trinité..... parce que je ne me sentirois pas assez fort....

Encore une fois, est-il possible que ce soit Pascal qui ne se sente pas assez fort pour prouver l'existence de Dieu! V.[11]

(81) C'est une chose admirable que jamais auteur canonique n'a dit: Il n'y a point de vide, donc il y a un Dieu.

Voilà un plaisant argument: Jamais la Bible n'a dit comme Descartes: Tout est plein, donc il y a un Dieu. V.

(82) Ne parier point que Dieu est, c'est parier qu'il n'est pas.

Il est évidemment faut de dire: Ne point parier que Dieu est, c'est parier qu'il n'est pas; car celui qui doute et demande à s'éclaircir, ne parie assurément ni pour, ni contre. D'ailleurs cet article paroît un peu indécent et puéril: cette idée de jeu, de perte et de gain, ne convient point à la gravité du sujet. De plus, l'intérêt que j'ai à croire une chose n'est pas une preuve de l'existence de cette chose. Vous me promettez l'empire du monde, si je crois que vous avez raison. Je souhaite alors de tout mon cœur que vous ayez raison; mais, jusqu'à ce que vous me l'ayez prouvé, je ne puis vous croire. Commencez, pourroit-on dire à Pascal, par convaincre ma raison: j'ai intérêt, sans doute, qu'il y ait un Dieu; mais si dans votre système, Dieu n'est venu que pour si peu de personnes, si le petit nombre des élus est si effrayant, si je ne puis rien du tout par moi-même, dites-moi, je vous prie, quel intérêt j'ai à vous croire. N'ai-je pas un intérêt visible à être [Pg 485] persuadé du contraire? De quel front osez-vous me montrer un bonheur infini, auquel, d'un million d'hommes, un seul à peine a droit d'aspirer! Si vous voulez me convaincre, prenez-vous-y d'une autre façon, et n'allez pas tantôt me parler de jeux de hasard, de pari, de croix et de pile, et tantôt m'effrayer par les épines que vous semez sur le chemin que je veux et que je dois suivre. Votre raisonnement ne serviroit qu'à faire des athées, si la voix de toute la nature ne nous crioit qu'il y a un Dieu avec autant de force que ces subtilités ont de foiblesse. V.

(83) Combien y a-t-il peu de choses démontrées! Les preuves ne convainquent que l'esprit. La coutume fait nos preuves les plus fortes.

Coutume n'est pas ici le mot propre. Ce n'est pas par coutume qu'on croit qu'il fera jour demain. C'est par une extrême probabilité. Ce n'est point par les sens, par le corps, que nous nous attendons à mourir; mais notre raison, sachant que tous les hommes sont morts, nous convainc que nous mourrons aussi. L'éducation, la coutume fait sans doute des musulmans et des chrétiens, comme le dit Pascal. Mais la coutume ne fait pas croire que nous mourrons, comme elle nous fait croire à Mahomet ou à Paul, selon que nous avons été élevés à Constantinople ou à Rome. Ce sont choses fort différentes. V.

(84) Nulle autre religion n'a jamais demandé à Dieu de l'aimer et de le suivre.

Épictète esclave, et Marc-Aurèle empereur, parlent continuellement d'aimer Dieu et de le suivre. V.

(85) Dieu étant caché, toute religion qui ne dit pas que Dieu est caché, n'est pas la véritable.

Pourquoi vouloir toujours que Dieu soit caché? On aimeroit mieux qu'il fût manifeste. V.

(86) Il est impossible d'envisager toutes les preuves de la religion chrétienne, etc. Tout cet alinéa et le suivant.

Heureusement il fut dans les décrets de la divine Providence que Dioclétien protégeât notre sainte religion pendant dix-huit années avant la persécution commencée par Galerius, et qu'ensuite Constancius-le-Pâle, et enfin Constantin, la missent sur le trône. V.

(87) Ils (les philosophes païens) n'ont jamais reconnu pour vertu ce que les chrétiens appellent humilité.

Platon la recommande, Épictète encore davantage. V. [Pg 486]

(88) Que l'on considère cette suite merveilleuse de prophètes qui se sont succédés les uns aux autres pendant deux mille ans, etc.

Mais que l'on considère aussi cette suite ridicule de prétendus prophètes, qui tous annoncent le contraire de Jésus-Christ, selon ces Juifs, qui seuls entendent la langue de ces prophètes. V.

(89) Enfin, que l'on considère la sainteté de cette religion, sa doctrine, qui rend raison de tout, jusqu'aux contrariétés qui se rencontrent dans l'homme....., et qu'on juge, après tout cela, s'il est possible de douter que la religion chrétienne soit la seule véritable, et si jamais aucune autre a rien eu qui en approchât.

Lecteurs sages, remarquez que ce coryphée des jansénistes n'a dit, dans tout ce livre sur la religion chrétienne, que ce qu'ont dit les jésuites. Il l'a dit seulement avec une éloquence plus serrée et plus mâle. Port-royalistes et Ignatiens, tous ont prêché les mêmes dogmes: tous ont crié, croyez aux livres juifs dictés par Dieu même, et détestez le judaïsme. Chantez les prières juives que vous n'entendez point, et croyez que le peuple de Dieu a condamné votre Dieu à mourir à une potence. Croyez que votre Dieu juif, la seconde personne de Dieu, co-éternel avec Dieu le père, est né d'une vierge juive, a été engendré par une troisième personne de Dieu, et qu'il a eu cependant des frères juifs qui n'étoient que des hommes. Croyez, qu'étant mort par le supplice le plus infâme, il a par ce supplice même ôté de dessus la terre tout péché et tout mal, quoique depuis lui et en son nom la terre ait été inondée de plus de crimes et de malheurs que jamais.

Les fanatiques de Port-Royal et les fanatiques jésuites se sont réunis pour prêcher ces dogmes étranges avec le même enthousiasme; et en même temps ils se sont fait une guerre mortelle; ils se sont mutuellement anathématisés avec fureur, jusqu'à ce qu'une de ces deux factions de possédés ait enfin détruit l'autre.

Souvenez-vous, sages lecteurs, des temps mille fois plus horribles de ces énergumènes, nommés papistes et calvinistes, qui prêchoient le fond des mêmes dogmes, et qui se poursuivirent par le fer, par la flamme et par le poison pendant deux cents années, pour quelques mots différemment interprétés. Songez que ce fut en allant à la messe que l'on commit les massacres d'Irlande et de la Saint-Barthélemi; que ce fut après la messe, et pour la messe, qu'on égorgea tant d'innocents, tant de mères, tant d'enfants dans la croisade contre les Albigeois; que les assassins de tant de rois ne les ont assassinés que pour la messe. Ne [Pg 487] vous y trompez pas; les convulsionnaires qui restent encore en feroient tout autant, s'ils avoient pour apôtres les mêmes têtes brûlantes qui mirent le feu à la cervelle de Damiens.

O Pascal! voilà ce qu'ont produit les querelles interminables sur des dogmes, sur des mystères qui ne pouvoient produire que des querelles. Il n'y a pas un article de foi qui n'ait enfanté une guerre civile.

Pascal a été géomètre et éloquent; la réunion de ces deux grands mérites étoit alors bien rare: mais il n'y joignoit pas la vraie philosophie. L'auteur de l'éloge indique avec adresse ce que j'avance hardiment. Il vient enfin un temps de dire la vérité. V.

(90) Il faut encore que la véritable religion nous rende raison des étonnantes contrariétés qui s'y rencontrent.

Cette manière de raisonner paroît fausse et dangereuse; car la fable de Prométhée et de Pandore, les Androgynes de Platon, les dogmes des anciens Égyptiens, ceux de Zoroastre, rendroient aussi bien raison de ces contrariétés apparentes. La religion chrétienne n'en demeurera pas moins vraie, quand même on n'en tireroit pas ces conclusions ingénieuses, qui ne peuvent servir qu'à faire briller l'esprit. Il est nécessaire, pour qu'une religion soit vraie, qu'elle soit révélée, et point du tout qu'elle rende raison de ces contrariétés prétendues; elle n'est pas plus faite pour vous enseigner la métaphysique que l'astronomie. V.

(91) Sera-ce celle qu'enseignoient les philosophes?

Les philosophes n'ont point enseigné de religion: ce n'est pas leur philosophie qu'il s'agit de combattre. Jamais philosophe ne s'est dit inspiré de Dieu; car dès lors il eût cessé d'être philosophe, et il eût fait le prophète. Il ne s'agit pas de savoir si Jésus-Christ doit l'emporter sur Aristote; il s'agit de prouver que la religion de Jésus-Christ est la véritable, et que celles de Mahomet, de Zoroastre, de Confucius, d'Hermès, et toutes les autres, sont fausses. Il n'est pas vrai que les philosophes nous aient proposé, pour tout bien, un bien qui est en nous. Lisez Platon, Marc-Aurèle, Épictète; ils veulent qu'on aspire à mériter d'être rejoint à la Divinité dont nous sommes émanés. V.

(92) J'ai créé l'homme saint, innocent, parfait...... mais il n'a pu soutenir tant de gloire sans tomber dans la présomption.

Ce furent les premiers bracmanes qui inventèrent le roman théologique de la chute de l'homme, ou plutôt des anges: et cette cosmogonie, [Pg 488] aussi ingénieuse que fabuleuse, a été la source de toutes les fables sacrées qui ont inondé la terre. Les sauvages de l'occident, policés si tard, et après tant de révolutions et après tant de barbaries, n'ont pu en être instruits que dans nos derniers temps. Mais il faut remarquer que vingt nations de l'orient ont copié les anciens bracmanes, avant qu'une de ces mauvaises copies, j'ose dire la plus mauvaise de toutes, soit parvenue jusqu'à nous. V.

(93) Si l'homme n'avoit jamais été corrompu, il jouiroit de la vérité et de la félicité avec assurance. Et si l'homme n'avoit jamais été que corrompu, il n'auroit aucune idée ni de la vérité, ni de la béatitude.

Il est sûr, par la foi et par notre révélation, si au-dessus des lumières des hommes, que nous sommes tombés; mais rien n'est moins manifeste par la raison. Car je voudrais bien savoir si Dieu ne pouvoit pas, sans déroger à sa justice, créer l'homme tel qu'il est aujourd'hui; et ne l'a-t-il pas même créé pour devenir ce qu'il est? L'état présent de l'homme n'est-il pas un bienfait du Créateur? Qui vous a dit que Dieu vous en devoit davantage? Qui vous a dit que votre être exigeoit plus de connoissances et plus de bonheur? Qui vous a dit qu'il en comporte davantage? Vous vous étonnez que Dieu ait fait l'homme si borné, si ignorant, si peu heureux; que ne vous étonnez-vous qu'il ne l'ait pas fait plus borné, plus ignorant, plus malheureux? Vous vous plaignez d'une vie courte et si infortunée; remerciez Dieu de ce qu'elle n'est pas plus courte et plus malheureuse. Quoi donc! selon vous, pour raisonner conséquemment, il faudroit que tous les hommes accusassent la Providence, hors les métaphysiciens qui raisonnent sur le péché originel. V.

(94) Cette duplicité de l'homme est si visible, qu'il y en a qui ont pensé que nous avions deux âmes.

Cette pensée est prise entièrement de Montaigne, ainsi que beaucoup d'autres. Elle se trouve au chapitre de l'inconstance de nos actions. Mais Montaigne s'explique en homme qui doute. Nos diverses volontés ne sont point des contradictions de la nature, et l'homme n'est point un sujet simple; il est composé d'un nombre innombrable d'organes. Si un seul de ces organes est un peu altéré, il est nécessaire qu'il change toutes les impressions du cerveau, et que l'animal ait de nouvelles pensées et de nouvelles volontés. Il est très-vrai que nous sommes, tantôt abattus de tristesse, tantôt enflés de présomption; et cela doit être, quand nous nous trouvons dans des situations opposées. Un animal, que son maître caresse et nourrit, et un autre qu'on égorge lentement et avec adresse, pour en faire une dissection, éprouvent [Pg 489] des sentiments bien contraires. Ainsi faisons-nous; et les différences qui sont en nous sont si peu contradictoires, qu'il seroit contradictoire qu'elles n'existassent pas. Les fous qui ont dit que nous avions deux âmes pouvoient, par la même raison, nous en donner trente et quarante. Car un homme, dans une grande passion, a souvent trente ou quarante idées différentes de la même chose, et doit nécessairement les avoir, selon que cet objet lui paroît sous différentes faces. Cette prétendue duplicité de l'homme est une idée aussi absurde que métaphysique; j'aimerois autant dire que le chien qui mord et qui caresse est double; que la poule, qui a tant soin de ses petits, et qui ensuite les abandonne jusqu'à les méconnoître, est double; que la glace, qui représente des objets différents, est double; que l'arbre, qui est tantôt chargé, tantôt dépouillé de feuilles, est double. J'avoue que l'homme est inconcevable en un sens; mais tout le reste de la nature l'est aussi: et il n'y a pas plus de contradictions apparentes dans l'homme que dans tout le reste. V.

(95) Je vois des multitudes de religions..... mais elles n'ont ni morale qui me puisse plaire, ni preuves capables de m'arrêter.

La morale est partout la même, chez l'empereur Marc-Aurèle, chez l'empereur Julien, chez l'esclave Épictète, que vous-même admirez dans Saint-Louis et dans Bondebar son vainqueur, chez l'empereur de la Chine Kien-Long, et chez le roi de Maroc. V.

(96) Ils (les Juifs) soutiennent qu'il viendra un libérateur pour tous; qu'ils sont au monde pour l'annoncer.

Peut-on s'aveugler à ce point, et être assez fanatique pour ne faire servir son esprit qu'à vouloir aveugler le reste des hommes! Grand Dieu! un reste d'Arabes voleurs, sanguinaires, superstitieux et usuriers, seroit le dépositaire de tes secrets! Cette horde barbare seroit plus ancienne que les sages Chinois, que les bracmanes qui ont enseigné la terre, que les Égyptiens qui l'ont étonnée par leurs immortels monuments! Cette chétive nation seroit digne de nos regards pour avoir conservé quelques fables ridicules et atroces, quelques contes absurdes infiniment au-dessous des fables indiennes et persanes! Et c'est cette horde d'usuriers fanatiques qui vous en impose, ô Pascal! et vous donnez la torture à votre esprit, vous falsifiez l'histoire, et vous faites dire à ce misérable peuple tout le contraire de ce que ses livres ont dit! vous lui imputez tout le contraire de ce qu'il a fait! et cela pour plaire à quelques jansénistes qui ont subjugué votre imagination ardente et perverti votre raison supérieure. V. [Pg 490]

(97) Ce peuple (les Juifs), quoique si étrangement abondant, est sorti d'un seul homme.

Il n'est point étrangement abondant. On a calculé qu'il n'existe pas aujourd'hui six cent mille individus juifs. V.

(98) Ce peuple est le plus ancien qui soit dans la connoissance des hommes.

Certes, ils ne sont pas antérieurs aux Égyptiens, aux Chaldéens, aux Perses, leurs maîtres; aux Indiens, inventeurs de la théologie. On peut faire comme on veut sa généalogie. Ces vanités impertinentes sont aussi méprisables que communes: mais un peuple ose-t-il se dire plus ancien que des peuples qui ont eu des villes et des temples plus de vingt siècles avant lui?

(99) La loi (des Juifs) est tout ensemble la plus ancienne loi du monde, etc.

Il est très-faux que la loi des Juifs soit la plus ancienne, puisque avant Moïse, leur législateur, ils demeuroient en Égypte, le pays de la terre le plus renommé par ses sages lois, selon lesquelles les rois étoient jugés après la mort. Il est très-faux que le nom de loi n'ait été connu qu'après Homère; il parle des lois de Minos dans l'Odyssée. Le mot de loi est dans Hésiode; et quand le nom de loi ne se trouveroit ni dans Hésiode, ni dans Homère, cela ne prouveroit rien. Il y avoit d'anciens royaumes, des rois et des juges: donc il y avoit des lois. Celles des Chinois sont bien antérieures à Moïse.

Il est encore très-faux que les Grecs et les Romains aient pris des lois des Juifs. Ce ne peut être dans les commencements de leurs républiques; car alors ils ne pouvoient connoître les Juifs. Ce ne peut être dans le temps de leur grandeur; car alors ils avoient pour ces barbares un mépris connu de toute la terre. Voyez comme Cicéron les traite, en parlant de la prise de Jérusalem par Pompée. Philon avoue qu'avant la traduction imputée aux Septante, aucune nation n'a connu leurs livres. V.

(100) C'est une sincérité qui n'a point d'exemple dans le monde, ni sa racine dans la nature.

Cette sincérité a partout des exemples, et n'a sa racine que dans la nature. L'orgueil de chaque Juif est intéressé à croire que ce n'est point sa détestable politique, son ignorance des arts, sa grossièreté, qui l'ont perdu; mais que c'est la colère de Dieu qui le punit: il pense, avec satisfaction, qu'il a fallu des miracles pour l'abattre, et [Pg 491] que sa nation est toujours la bien-aimée du Dieu qui la châtie. Qu'un prédicateur monte en chaire, et dise aux François: «Vous êtes des misérables qui n'avez ni cœur, ni conduite; vous avez été battus à Hochstet et à Ramillies, parce que vous n'avez pas su vous défendre», il se fera lapider. Mais s'il dit: «Vous êtes des catholiques chéris de Dieu; vos péchés infâmes avoient irrité l'Éternel, qui vous livra aux hérétiques à Hochstet et à Ramillies; et quand vous êtes revenus au Seigneur, alors il a béni votre courage à Denain», ces paroles le feront aimer de l'auditoire. V.

(101) La création du monde commençant à s'éloigner, Dieu a pourvu d'un historien contemporain.

Contemporain: ah! V.

(102) Si Moïse eût débité des fables, il n'y eût point eu de Juif qui n'en eût pu reconnoître l'imposture.

Oui, s'il avoit écrit en effet ces fables dans un désert, pour deux ou trois millions d'hommes qui eussent eu des bibliothéques. Mais si quelques lévites avoient écrit ces fables plusieurs siècles après Moïse, comme cela est vraisemblable et vrai!....

De plus, y a-t-il une nation chez laquelle on n'ait pas débité ces fables? V.

(103) Au temps où il écrivoit ces choses, la mémoire en devoit encore être toute récente dans l'esprit de tous les Juifs.

Les Égyptiens, Syriens, Chaldéens, Indiens, n'ont-ils pas donné des siècles de vie à leurs héros, avant que la petite horde juive, leur imitatrice, existât sur la terre? V.

(104) Ce n'est pas de cette sorte que l'Écriture, qui connoît mieux que nous les choses qui sont de Dieu, en parle.

Et qu'est-ce donc que le Cœli enarrant gloriam Dei? V.

(105) Lorsque j'ai considéré d'où vient qu'on ajoute tant de foi à tant d'imposteurs, etc., et tout le reste de ce long paragraphe.

La solution de ce problème est bien aisée. On vit des effets physiques extraordinaires; des fripons les firent passer pour des miracles. On vit des maladies augmenter dans la pleine lune; et des sots crurent que la fièvre étoit plus forte, parce que la lune étoit pleine. Un malade, qui devoit guérir, se trouva mieux le lendemain qu'il eut mangé des [Pg 492] écrevisses; et on conclut que les écrevisses purifioient le sang, parce qu'elles sont rouges étant cuites.

Il me semble que la nature humaine n'a pas besoin du vrai pour tomber dans le faux. On a imputé mille fausses influences à la lune, avant qu'on imaginât le moindre rapport véritable avec le flux de la mer. Le premier homme qui a été malade a cru sans peine le premier charlatan; personne n'a vu de loups garoux ni de sorciers, et beaucoup y ont cru; personne n'a vu de transmutation de métaux, et plusieurs ont été ruinés par la créance de la pierre philosophale; les Romains, les Grecs, les païens, ne croyoient-ils donc aux miracles dont ils étoient inondés que parce qu'ils en avoient vu de véritables? V.

(106) Commencez par plaindre les incrédules; ils sont assez malheureux. Il ne les faudroit injurier qu'en cas que cela servît; mais cela leur nuit.

Et vous les avez injuriés sans cesse. Vous les avez traités comme des jésuites! Et en leur disant tant d'injures, vous convenez que les vrais chrétiens ne peuvent rendre raison de leur religion; que, s'ils la prouvoient, ils ne tiendroient point parole; que leur religion est une sottise; que, si elle est vraie, c'est parce qu'elle est une sottise. O profondeur d'absurdités! V.

(107) A ceux qui ont de la répugnance pour la religion, il faut commencer par leur montrer qu'elle n'est pas contraire à la raison.

Ne voyez-vous pas, ô Pascal! que vous êtes un homme de parti qui cherchez à faire des recrues? V.

(108) De se tromper en croyant vraie la religion chrétienne, il n'y a pas grand'chose à perdre: mais quel malheur de se tromper en la croyant fausse!

Le flamen de Jupiter, les prêtres de Cybèle, ceux d'Isis, en disoient autant. Le muphti, le grand-lama, en disent autant. Il faut donc examiner les pièces du procès. V.

(109) Jamais on ne fait le mal si pleinement et si gaîment que quand on le fait par un faux principe de conscience.

Les crimes, regardés comme tels, font beaucoup moins de mal à l'humanité que cette foule d'actions criminelles qu'on commet sans [Pg 493] remords, parce que l'habitude, ou une fausse conscience, nous les fait regarder comme indifférentes, ou même comme vertueuses.

1o. Combien, depuis Constantin, n'y a-t-il pas eu de princes qui ont cru servir la Divinité en tourmentant, de supplices cruels, ceux de leurs sujets qui l'adoroient sous une forme différente!

Combien n'ont-ils pas cru être obligés de proscrire ceux qui osoient dire leur avis sur ces grands objets, qui intéressent tous les hommes, et dont chaque homme semble avoir le droit de décider pour lui-même!

Combien de législateurs ont privé des droits de citoyen quiconque n'étoit pas d'accord avec eux sur quelques points de leur croyance, et forcé des pères de choisir entre le parjure, et l'inquiétude cruelle de ne laisser à leurs enfants qu'une existence précaire! Et ces lois subsistent! Et les souverains ignorent que chaque mal qu'elles font est un crime pour le prince qui les ordonne, qui en permet l'exécution, ou qui tarde de les détruire!

2o. En ordonnant la guerre, qui n'est pas nécessaire pour la sûreté de son peuple, un prince se rend responsable de tous les maux qu'elle entraîne, et il est coupable d'autant de meurtres que la guerre fait de victimes. Combien cependant de guerres inutiles sont regardées comme justes, et entreprises sans remords, sur de frivoles motifs d'intérêt politique ou de dignité nationale!

3o. C'est un usage reçu en Europe, qu'un gentilhomme vende, à une querelle étrangère, le sang qui appartient à sa patrie; qu'il s'engage à assassiner, en bataille rangée, qui il plaira au prince qui le soudoie; et ce métier est regardé comme honorable.

4o. Tout juge qui décerne une peine de mort, sans y être condamné par une loi expresse, est un assassin. Ni une loi vague, qui permettroit de prononcer même la mort, suivant l'échéance des cas, ni ce qu'on appelle la jurisprudence des arrêts, ne peuvent le justifier: car la permission de tuer un homme n'en donne pas le droit: et c'est mal se justifier d'un meurtre, que de dire qu'on est dans l'habitude d'en commettre.

Tout juge qui décerne une peine capitale pour une action qui ne blesse aucune des lois de la nature; pour une action ou indifférente, ou blâmable, mais qui n'est un crime qu'aux yeux des préjugés; pour une action imaginaire enfin, se rend coupable de meurtre. La loi l'oblige, dit-il, de prononcer ainsi: mais la loi ne l'oblige pas d'être juge, et la nature lui défend d'être absurde et barbare. Il vaut mieux renoncer à la charge de président à mortier qu'à la qualité d'homme.

Nous oserons demander si les juges d'Anne du Bourg, de Dolet, de Morin, de Petit d'Herbé, des bergers de Brie, de Moriceau, de La Chaux, de Lalli, de La Barre, etc., ont été fidèles à ces règles, [Pg 494] dictées par la nature et la raison, qui sont plus anciennes et plus sacrées que les registres olim.

5o. Arracher des hommes de leur pays par la trahison et par la violence, pour les exposer en vente dans des marchés publics, comme des bêtes de somme; s'accoutumer à ne mettre aucune différence entre eux et les animaux; les contraindre au travail, à force de coups; les nourrir non pour qu'ils vivent, mais pour qu'ils rapportent; les abandonner dans la vieillesse ou dans la maladie, lorsque l'on n'espère plus de regagner par leur travail ce qu'il en coûteroit pour les soigner; ne leur permettre d'être pères que pour donner le jour à des enfants destinés aux mêmes misères, devenus comme eux la propriété de leur maître, qui peut les leur arracher et les vendre; que pour voir leurs femmes et leurs filles exposées à toutes les insultes de ces hommes sans humanité comme sans pudeur! Voilà comme nous traitons d'autres hommes; ce seroit une horrible barbarie si ces hommes étoient blancs; mais ils sont noirs, et cela change toutes nos idées. Le trafiquant en Amérique oublie que les nègres sont des hommes; il n'a avec eux aucune relation morale; ils ne sont pour lui qu'un objet de profit: s'il les plaint, s'il évite de leur faire souffrir des maux inutiles, son insolente pitié est celle que nous avons pour les animaux qui nous servent: et tel est l'excès de son mépris stupide pour cette malheureuse espèce, que, revenu en Europe, il s'indigne de les voir vêtus comme des hommes, et placés à côté de lui. Mais je n'ai pas tout dit: en vain les lois, en consacrant cet usage qu'aucune loi positive ne peut rendre légitime, parce qu'il viole les droits de la nature; en vain les lois ont-elles voulu mettre une borne à la cruauté des maîtres; leur ingénieuse barbarie élude toutes les lois. Le colon, renfermé dans sa plantation; seul avec quelques satellites, au milieu de ses noirs, est sûr de n'avoir que des témoins dont la loi rejette le témoignage. Là, juge à la fois et partie, il prodigue en sûreté les tortures et les supplices; le noir qu'il croit coupable est déchiré, tenaillé, jeté vivant dans des fours ardents, aux yeux de ses tristes compagnons, qui, tremblant d'être traités comme complices, n'osent même montrer une stérile pitié.

La jeune Américaine assiste à ces supplices; elle y préside quelquefois; on veut l'accoutumer de bonne heure à entendre sans frémir les hurlements des malheureux; on semble craindre qu'un jour sa pitié ne tente de désarmer le cœur de son époux.

Ces crimes sont publics, la loi les tolère, l'opinion ne les flétrit pas. On ose même en faire l'apologie; sans cela, dit-on, nous ne pourrions avoir de sucre. Eh bien, si on ne peut en avoir qu'à force de crimes, il faut savoir se passer de sucre, il faut renoncer à une denrée souillée du sang de nos frères. Mais qui a dit qu'on ne pouvoit en avoir qu'à ce prix? Quelles tentatives a-t-on faites pour s'en procurer autrement? [Pg 495] Quoi! c'est sur la foi d'un préjugé qu'on ne daigne pas même examiner, que la loi a autorisé cette horrible violation des droits de la nature, et qu'on exerce ou qu'on tolère tranquillement ces barbaries. A peine quelques philosophes ont-ils osé élever, de loin en loin, en faveur de l'humanité, des cris que les gens en place n'ont point entendus, et qu'un monde frivole a bientôt oubliés.

Pourquoi ne pas faire cultiver nos colonies par des blancs? La terre se plaît à être cultivée par des mains libres; et combien de malheureux en Europe qui fatiguent en vain un sol stérile et épuisé, iroient chercher en Amérique une terre féconde et nouvelle! Alors, à ce petit nombre de colons corrompus et barbares, qui ne vivent dans nos colonies que pour avoir de l'or, parce qu'en Europe la considération s'achète avec de l'or, nous verrions succéder un peuple nombreux de citoyens laborieux et honnêtes, qui, regardant les colonies comme leur patrie, sauroient combattre pour les défendre.

Pourquoi ne pas remplir nos îles de ces galériens inutiles, des déserteurs, des voleurs domestiques, des faux-sauniers, qui ont vendu au peuple, à bas prix, une denrée nécessaire, des filles qui ont mieux aimé risquer leur vie que d'avouer leur honte; de tant d'autres condamnés à la mort par des lois que l'excès de leur sévérité rend inutiles? Ces hommes à qui on distribueroit des terres, devenus cultivateurs et propriétaires, perdroient, avec les motifs du crime, la tentation de le commettre. Est-ce qu'en rendant aux nègres les droits de l'homme, ils ne pourroient pas cultiver, comme ouvriers ou comme fermiers, les mêmes terres qu'ils cultivent comme esclaves? Ils peupleroient alors, et l'on ne seroit pas obligé, chaque année, d'aller chercher en Afrique de nouvelles victimes.

Et qu'on ne dise pas qu'en supprimant l'esclavage, le gouvernement violeroit la propriété des colons. Comment l'usage, ou même une loi positive, pourroit-elle jamais donner à un homme un véritable droit de propriété sur le travail, sur la liberté, sur l'être entier d'un autre homme innocent, et qui n'y a point consenti? En déclarant les nègres libres, on n'ôteroit pas au colon sa propriété; on l'empêcheroit de faire un crime, et l'argent qu'on a payé pour un crime n'a jamais donné le droit de le commettre.

On dit que les nègres sont paresseux: veut-on qu'ils trouvent du plaisir à travailler pour leurs tyrans? Ils sont bas, fourbes, traîtres, sans mœurs: eh bien, ils ont tous les vices des esclaves, et c'est la servitude qui les leur a donnés. Rendez-les libres: et plus près que vous de la nature, ils vaudront beaucoup mieux que vous.

Ne pourroit-on pas, si on n'osoit être juste tout-à-fait, changer l'esclavage personnel des nègres en un esclavage de la glèbe, tel que celui sous lequel gémissent encore les habitants d'une partie de l'Europe? L'exécution de ce projet seroit plus aisée. Le sort des nègres [Pg 496] deviendroit plus supportable; et cet ordre politique une fois bien établi, seroit aisément remplacé par une liberté entière; il y auroit servi de degré, il adouciroit ce passage de la servitude à la liberté, qui, sans cela, seroit peut-être trop brusque.

Sait-on si la Sardaigne, et surtout la Sicile, ne sont pas propres à la culture des cannes à sucre, et ne suffiroient point pour l'approvisionnement de l'Europe?

Et si, au lieu d'apprendre aux nègres d'Afrique à vendre leurs frères, nous leur avions appris à cultiver leur sol; si, au lieu de leur apporter nos liqueurs fortes, nos maladies et nos vices, nous leur avions porté nos lumières, nos arts et notre industrie, croit-on que l'Afrique n'eût pas remplacé nos colonies! Compteroit-on pour rien l'avantage d'arracher à la barbarie et à la misère une des quatre parties du monde? Et quand même il n'y auroit pas à gagner pour tous les peuples dans un tel changement, les nations ne devroient-elles pas se lasser de suivre, dans leur conduite, une morale dont le particulier le plus vil rougiroit d'adopter les principes?

6o. Personne n'a jamais douté que ce ne soit un délit grave de ravager un champ cultivé. Au dommage fait au propriétaire se joint la perte réelle d'une denrée nécessaire à la subsistance des hommes. Cependant il y a des pays où les seigneurs ont le droit de faire manger par des bêtes fauves le blé que le paysan a semé; où celui qui tueroit l'animal qui dévaste son champ seroit envoyé aux galères, seroit puni de mort; car on a vu des princes faire moins de cas de la vie d'un homme que du plaisir d'avoir un cerf de plus à faire déchirer par leurs chiens. Dans ces mêmes pays, il y a plus d'hommes employés à veiller à la sûreté du gibier qu'à celle des hommes; souvent il arrive que, pour défendre des lièvres, les gardes tirent sur les paysans; et comme tous les juges sont seigneurs de fiefs, il n'y a point d'exemple qu'aucun de ces meurtres ait été puni. Là, des provinces entières y sont réservées aux plaisirs du souverain. Les propriétaires de ces cantons y sont privés du droit de défendre leur champ par un enclos, ou de l'employer d'une manière pour laquelle cette clôture seroit nécessaire. Il faut que le cultivateur laisse l'herbe qu'il a semée pourrir sur terre jusqu'à ce qu'un garde-chasse ait déclaré que les œufs de perdrix n'ont plus rien à craindre, et qu'il lui est permis de faucher son herbe. Il y a longtemps que ces lois subsistent; il est évident qu'elles sont un attentat contre la propriété, une insulte aux malheureux, qui meurent de faim au milieu d'une campagne que les sangliers et les cerfs ont ravagée. Cependant aucun confesseur du roi ne s'est encore avisé de faire naître à son pénitent le moindre scrupule sur cet objet.

7o. Les impôts sont une portion du revenu de chaque citoyen, destinée à l'utilité publique. Dans toute administration bien réglée, le nécessaire physique de chaque homme doit être exempt de tout [Pg 497] impôt; mais, au contraire le crédit des riches a fait retomber ce fardeau sur les pauvres, dans presque tous les pays où le peuple n'a point de représentant. Ainsi toute portion de l'impôt qui n'est point employée pour le public doit être regardée comme un véritable vol, et comme un vol fait aux pauvres. Ainsi, pour qu'un homme puisse croire avoir droit à cette portion, il faut qu'il puisse se rendre ce témoignage, qu'il fait à l'état un bien au moins équivalent à la somme qu'il reçoit pour salaire, ou plutôt au mal que cette partie de l'impôt fait souffrir au peuple sur qui elle se lève. Cela même ne suffit pas; car l'homme riche doit compte à la nation de l'emploi de son temps et de ses forces; ce n'est même qu'à ce prix qu'il peut lui être permis de jouir d'un superflu sans travail, tandis que d'autres hommes manquent souvent du nécessaire malgré un travail opiniâtre. Il faut donc, pour avoir droit à une part sur le trésor public, que cette part soit employée, par celui qui la reçoit, d'une manière utile à la nation. Si ce principe d'équité naturelle n'avoit pas été étouffé par l'habitude, si l'opinion flétrissoit celui qui s'en écarte, alors les impôts cesseroient d'être un fardeau pénible, le peuple respireroit, le prix de son travail lui appartiendroit tout entier; et l'on ne verroit plus les premiers hommes de chaque pays se dévouer uniquement au métier de corrompre les rois pour s'enrichir de la subsistance du peuple.

8o. Le souverain n'a pas le droit de rien détourner du trésor public, pour satisfaire ou ses fantaisies, ou son orgueil; ce trésor n'est pas à lui, il est au peuple. Une partie du superflu du riche peut sans doute être employée à consoler le chef d'une nation des peines du gouvernement; mais cet emploi du tribut devient criminel, du moment où une partie de l'impôt se lève sur le peuple. Les courtisans parlent sans cesse des dépenses nécessaires à la majesté du trône. J'ignore toutefois si la vue d'un prince uniquement occupé du bonheur de ses peuples, menant une vie simple et frugale, sans gardes, sans appareil, sans courtisans, que quelques sages livrés aux mêmes soins que lui; j'ignore si un tel prince n'offriroit point un spectacle plus attendrissant, plus imposant même que celui de la cour la plus brillante, et par conséquent la plus ruineuse pour la nation qui la paye; mais du moins faut-il avouer qu'il est plus nécessaire à un peuple d'avoir du pain que d'éblouir les étrangers par la triste représentation d'une cour somptueuse. Cette morale devroit être celle de tous les rois. Presque aucun cependant ne l'a connue; et ceux qui ont paru s'en souvenir quelquefois dans leurs discours, l'ont oubliée dans leur conduite.

9o. L'usage d'ouvrir les lettres des citoyens, de leur arracher les secrets qu'ils n'ont pas confiés, ne peut être regardé que comme une violation ouverte de la foi publique. Il est clair encore que cette infamie n'a aucune autre utilité que de fournir un aliment à la [Pg 498] curiosité du prince, ou aux petites passions des ministres, et de donner au chef des espions les moyens de nuire à qui il veut auprès du gouvernement. Aucun secret important ne peut se connoître par cette voie, parce que cet espionnage est public, et que, si l'on confie encore quelquefois à la poste des réflexions ou des épigrammes, on n'y livre ni ses projets, ni ses complots. Les espions répandus dans les maisons particulières sont un autre ressort de la police moderne, aussi infâme et aussi inutile. On raconte qu'un ministre de Charles Ier d'Angleterre, Falkland, dédaigna de recourir à aucun de ces vils moyens, que jamais il n'intercepta une lettre, que jamais il n'employa un espion: mais, malheureusement pour l'espèce humaine, cet exemple est unique jusqu'ici, et l'usage contraire, proscrit par la raison, par l'équité, par l'honneur, subsiste presque partout; on l'exerce sans remords, et même sans honte. L'opinion flétrit, à la vérité, les espions subalternes; mais elle s'arrête là, et elle ne dévoue pas à l'opprobre ceux qui les emploient, et qui, calomniant la nation auprès du prince, osent lui faire accroire que ces infâmes abus du pouvoir sont des précautions nécessaires.

J'ai choisi pour exemples des actions qui peuvent influer sur la prospérité publique: et je ne les ai choisies que dans nos mœurs. J'aurais pu étendre cette liste; et si j'avois parcouru l'histoire de toutes les nations, si j'avois voulu m'arrêter sur les actions particulières, cette liste auroit été immense.

Cela prouve, selon moi, que, pour donner aux hommes une morale bien sûre et bien utile, il faut leur inspirer une horreur pour ainsi dire machinale de tout ce qui nuit à leurs semblables; former leur âme de manière que le plaisir de faire du bien soit le premier de tous leurs plaisirs; que le sentiment d'avoir fait leur devoir soit un dédommagement suffisant de tout ce qu'il leur en a pu coûter pour le remplir. Il faut allumer, dans ceux que l'enthousiasme des passions peut égarer, un enthousiasme pour la vertu, capable de les défendre. Alors qu'on laisse à leur raison le soin de juger de ce qui est juste et de ce qui est injuste, et que leur conscience ne se repose pas sur un certain nombre de maximes de morale, adoptées dans le pays où ils naissent; ou sur un code dont une classe d'hommes, jalouse de régner sur les esprits, se soit réservé l'interprétation. C.

On voit bien, dans cette terrible note, que le louant est plus véritablement philosophe que le loué: cet éditeur écrit comme le secrétaire de Marc-Aurèle, et Pascal comme le secrétaire de Port-Royal. L'un semble aimer la rectitude et l'honnêteté pour elles-mêmes, l'autre par esprit de parti. L'un est homme, et veut rendre la nature humaine honorable; l'autre est chrétien, parce qu'il est janséniste. Tous deux ont de l'enthousiasme et embouchent la trompette; l'auteur des notes pour agrandir notre espèce, et Pascal pour l'anéantir [Pg 499] Pascal a peur, et il se sert de toute la force de son esprit pour inspirer sa peur. L'autre s'abandonne à son courage, et le communique. Que puis-je conclure? Que Pascal se portoit mal, et que l'autre se porte bien.

Bonne ou mauvaise santé
Fait notre philosophie. V.

(110) Je crois volontiers les histoires dont les témoins se font égorger.

La difficulté n'est pas seulement de savoir si on croira des témoins qui meurent pour soutenir leur déposition, comme ont fait tant de fanatiques; mais encore si ces témoins sont effectivement morts pour cela, si on a conservé leurs dépositions, s'ils ont habité les pays où on dit qu'ils sont morts; pourquoi Josèphe, né dans le temps de la mort du Christ, Josèphe, ennemi d'Hérode, Josèphe, peu attaché au judaïsme, n'a-t-il pas dit un mot de tout cela? Voilà ce que Pascal eût débrouillé avec succès. V.

(111) Nous naissons injustes; car chacun tend à soi: cela est contre tout ordre.

Cela est selon tout ordre; il est aussi impossible qu'une société puisse se former et subsister sans amour-propre, qu'il seroit impossible de faire des enfants sans concupiscence, de songer à se nourrir sans appétit. C'est l'amour de nous-mêmes qui assiste l'amour des autres; c'est par nos besoins mutuels que nous sommes utiles au genre humain: c'est le fondement de tout commerce; c'est l'éternel lien des hommes; sans lui, il n'y auroit pas eu un art inventé, ni une société de dix personnes formée. C'est cet amour-propre que chaque animal a reçu de la nature, qui nous avertit de respecter celui des autres. La loi dirige cet amour-propre, et la religion le perfectionne. Il est bien vrai que Dieu auroit pu faire des créatures uniquement attentives au bien d'autrui. Dans ce cas, les marchands auroient été aux Indes par charité, le maçon eût scié de la pierre pour faire plaisir à son prochain, etc. Mais Dieu a établi les choses autrement: n'accusons point l'instinct qu'il nous donne, et faisons-en l'usage qu'il commande. V.

(112) Paragraphe LXXVII.

On voit ici l'homme de parti un peu emporté. Si quelque chose peut justifier Louis XIV d'avoir persécuté les jansénistes, c'est assurément ce paragraphe. V.

(113) Si mes Lettres sont condamnées à Rome, ce que j'y condamne est condamné dans le ciel.

Hélas! le ciel, composé d'étoiles et de planètes, dont notre globe [Pg 500] est une partie imperceptible, ne s'est jamais mêlé des querelles d'Arnauld avec la Sorbonne, et de Jansénius avec Molina. V.

(114) S'il ne falloit rien faire que pour le certain, etc.

Vous avez épuisé votre esprit en arguments pour nous prouver que votre religion est certaine, et maintenant vous nous assurez qu'elle n'est pas certaine; et après vous être si étrangement contredit, vous revenez sur vos pas; vous dites qu'on ne peut avancer «qu'il soit possible que la religion chrétienne soit fausse.» Cependant c'est vous-même qui venez de nous dire qu'il est possible qu'elle soit fausse, puisque vous avez déclaré qu'elle est incertaine. V.

(115) Les inventions des hommes, etc.

Je voudrois qu'on examinât quel siècle a été le plus fécond en crimes, et par conséquent en malheurs. L'auteur de la félicité publique a eu cet objet en vue, et a dit des choses bien vraies et bien utiles. V.

(116) Il faut avoir une pensée de derrière, etc.

Sur un autre papier, Pascal avoit écrit: J'aurai aussi mes pensées de derrière la tête. C.

L'auteur de l'Éloge est bien discret, bien retenu, de garder le silence sur ces pensées de derrière. Pascal et Arnauld l'auroient-ils gardé, s'ils avoient trouvé cette maxime dans les papiers d'un jésuite? V.

1: Dans une note à ce sujet, j'ai déjà essayé d'interpréter l'intention de Pascal. J'ajouterai ici que peut-être il n'a voulu qu'imiter le langage des auteurs sacrés, qui, sans prétendre rien décider sur ce point, parlent suivant l'opinion commune des hommes, pour être également entendus de tous. (Note de l'Éditeur.)

2: Il est vrai que dans les mouvements subits des grandes passions, on sent vers la poitrine des convulsions, des défaillances, des agonies, qui ont quelquefois causé la mort; et c'est ce qui fait que presque toute l'antiquité imagina une âme dans la poitrine. Les médecins placèrent les passions dans le foie. Les romanciers ont mis l'amour dans le cœur. V.

3: C'est apparemment dans le paragraphe où M. de V.... s'étonne, avec juste raison, qu'un homme tel que Pascal ait pu dire: «Nous sommes incapables de connoître si Dieu est». Ce ne peut être qu'une inadvertance dans ce grand homme[a].

a: Ce n'est point une inadvertance. Pascal, comme nous l'avons dit, n'écrivoit ses pensées que pour lui. Si Voltaire et Condorcet avoient saisi l'idée du dialogue contenu dans cet article III de la seconde partie, ils n'auroient pas pris le change sur les propositions que l'auteur y met en avant. (Note de l'Éditeur.)

4: Dans un exemplaire de l'édition de Condorcet, je trouve, au lieu de ce non, le mot modeste écrit de la main de d'Alembert. J'indique cette correction qui me semble heureuse. R.

5: Le plus beau seroit de ne songer ni à les montrer, ni à les cacher. C.

6: L'observation de Voltaire s'appliquoit, avec raison, au passage tel qu'on le lit dans l'édition de Condorcet, où il est tronqué; mais elle devient inutile pour la mienne, où ce paragraphe est rectifié, et conforme au manuscrit de Pascal. (Note de l'Éditeur.)

7: Platon n'a point eu ces idées, monsieur, c'est vous qui les avez. Platon fit de nous des androgynes à deux corps, donna des ailes à nos âmes, et les leur ôta. Platon rêva sublimement, comme je ne sais quels autres écrivains ont rêvé bassement. V.

8: Il ne faut pas commencer d'un ton si impérieux. V.

9: Elle seroit bien hardie. V.

10: Voilà une plaisante façon d'enseigner. Suivez-moi, car je marche dans les ténèbres. V.

11: En employant les expressions mêmes de ces deux savants, ne pourroit on pas dire: Il est étrange que Voltaire et Condorcet se soient mépris à ce point sur l'intention de Pascal? Est-il possible que leur méprise n'ait pas été volontaire, puisqu'un peu d'attention leur eût fait lire l'article comme je l'ai présenté dans cette édition. Voyez, au surplus, l'article même et ma note. (L'Éditeur.)

NOTE DU TRANSCRIPTEUR

Les erreurs typographiques suivantes ont été corrigées:

Helas a été remplacé par Hélas
Editeur par Éditeur
dès par des
nombe par nombre
Nai-je par N'ai-je