Title: Les voix intimes: Premières Poésies
Author: J. B. Caouette
Commentator: Benjamin Sulte
Release date: October 31, 2006 [eBook #19689]
Language: French
Credits: Produced by Rénald Lévesque
Pourquoi une préface de moi, plutôt que d'un autre? Pour la plus simple des raisons: nos écrivains redoutent de signer les premières pages du libre d'un autre. Moi, non pas--et voici comment la chose m'apparaît. Après avoir lu un livre imprimé, vous en faites la post-face, devant vos amis, au cours de la conversation. Après avoir lu un livre manuscrit, je donne mon commentaire au commencement du volume.
Vous pensez, peut-être, qu'une préface doit se composer de l'éloge de l'auteur, et c'est là le sujet de votre timidité, mais moi qui ne paye pas toujours en compliments, je n'ai jamais songé à cet obstacle. Étant libre de mes allures, je remplis le moule aux préfaces de ce que j'ai trouvé dans le livre.
Il y a trente ans, nous nous présentions nous-mêmes au lecteurs, attendu que n'ayant presque pas d'ancêtres littéraires, nous ne savions par quelle voie nous introduire au milieu du public.
Maintenant les jeunes se recommandent à nous: faisons aux autres ce que l'on n'a pu faire pour nous. M. J.-B. Caouette est un débutant que je vous présente parce que ayant fait la connaissance de ses vers, je les trouve de bonne compagnie. Vous pourrez les lire sans vous compromettre. C'est un bon Canadien de plus dans notre cercle, et si, un jour, il nous échappe pour passer à la postérité, vous ne serez ni inquiets sur son compte ni gênés de l'avoir connu. Pour le moment, ce travailleur est au moins estimable; saluons son arrivée sur la scène.
Si je vous disais que M. Caouette se croit un grand homme et que c'est ainsi que je le considère, vous vous moqueriez de nous; c'est pourtant sur ce pied-là que l'on pose ordinairement un écrivain nouveau... à moins qu'on ne l'exécute en le lapidant.
Parmi des vers fort bien tournés il s'en rencontre quelques-uns de tout à fait prosaïques, par exemple:
...l'oeuvre utile et salutaire
Qu'on nomme le défrichement.
Mais il y assez de bonnes pièces pour sauver les Voix Intimes d'un oubli prématuré. Le souffle religieux et national agite noblement un grand nombre de pages, et cela suffirait pour valoir un accueil favorable à leur auteur.
Publier un livre, c'est partir en guerre, s'exposer comme une cible, attraper les rhumatismes de la critique, recevoir des coups de lance, se faire pincer les chaires par des balles qui ricochent sans savoir où elles vont; mais on est rarement tué à ce métier et, le plus souvent, on y gagne de s'aguerrir et d'atteindre les plus hauts grades.
Il y a longtemps que le dicton roule de par le monde: «ce sont toujours les mêmes qui se font tuer»--il n'y a donc pas trop de risques à courir.--En avant les jeunes! C'est à notre tour à vous regarder faire.
BENJAMIN SULTE.
A MA FEMME
Où donc est le bonheur? disais-je.--Infortuné!
Le bonheur, ô mon Dieu, vous me l'avez donné.
VICTOR HUGO
J'ai cherché vainement dans les bruyantes fêtes,
Où l'éclat des plaisirs éblouit tant de têtes,
Ce trésor précieux qu'on nomme le bonheur;
Je l'ai cherché d'abord sur le sol que je foule
En voulant soulever les bravos de la foule,
Et je n'ai recueilli qu'un éphémère honneur!
Pour le trouver, j'ai fait de pénibles voyages,
Franchi les flots amers, parcouru maints villages
Où la vive gaîté faisait battre les coeurs;
Mais, ô fatalité! la sombre nostalgie,
Ce désir violent de revoir la patrie,
Aggravait chaque jour le poids de mes malheurs!
Après avoir vécu sur la plage étrangère,
Sans ressource et craignant la main de la misère,
Je revins au pays avec le fol espoir
De trouver le bonheur en l'amitié sincère
D'hommes que mainte fois j'avais aidés naguère.
Mais les cruels ingrats rougirent de me voir!
Le bonheur!... pour l'avoir j'ai gravi le Parnasse
Sur la cime duquel les disciples d'Horace
Buvaient le doux nectar que leur versaient les dieux;
J'allais toucher au but, quand mon lâche Pégase,
Prenant un ton railleur, me lança cette phrase:
«Halte-là! car tu n'es qu'un intrus en ces lieux...»
Alors je m'écriai, dans ma douleur amère.
Où donc est le bonheur? Serait-ce une chimère
Qui redonne l'espoir à tout être souffrant?
Hélas! je le croyais... Mais dès le jour, ô femme,
Où les sons de ta voix firent vibrer mon âme,
Je goûtai du bonheur le délice enivrant!
Et depuis qu'à nos yeux--aurore fortunée--
S'alluma le divin flambeau de l'hyménée,
Le bonheur, tu le sais, nous souris toujours.
Il nous sourira même au sein de la souffrance,
Parce que nous plaçons toute notre espérance
Dans le Dieu qui bénit et féconde les jours!
Septembre 1886.
A M. BENJAMIN SULTE
Le doux printemps vient de paraître
Sous son manteau de velours vert,
Et déjà l'on voit disparaître
Tous les vestiges de l'hiver.
Son oeil à l'éclat de la braise:
A la chaleur de ses rayons
Naissent lilas, fleur, rose et fraise.
Abeilles d'or et papillons.
Les arbres engourdis naguère
Semblent dresser plus haut le front,
Car la nature, en bonne mère,
Verse la sève dans leur tronc.
Au plus épais de la ramure
Les oiseaux préparent leurs nids,
Sans s'occuper si la pâture
Ou le lin leur seront fournis.
Du sol jaillit plus d'une source
Que la froidure emprisonnait;
Et le ruisseau reprend sa course
A travers clos et jardinet.
Sur le bord de maintes rivières
L'on voit le castor vigilant
Transporter le bois et les pierres
Pour bâtir son gîte étonnant.
La brise, sylphide légère,
Fait la cour à toutes les fleurs,
Puis vole embaumer l'atmosphère
Des plus enivrantes senteurs.
De la cime de nos montagnes
Se précipite le torrent
Qui fertilise nos campagnes
Avec les eaux du Saint-Laurent.
A nos fenêtres, l'hirondelle
S'annonce par des cris joyeux;
Elle revient à tire-d'aile
Charmer les jeunes et les vieux.
Au palais comme à la chaumière,
La porte s'ouvre à deux battants:
Riche et pauvres ont soif de lumière
D'air pur, de parfums odorants.
Parfois l'on quitte sa demeure
Pour aller prendre un gai repas
Sur la pelouse où toute à l'heure,
Bébé fera ses premiers pas.
Plus loin les colons sur leur terre
Travaillent courageusement
A l'oeuvre utile et salutaire
Qu'on nomme le défrichement.
Les uns creusent, les autres sèment
Ou bien coupent les arbres morts;
Ces braves bûchent, chantent, s'aiment
Et dorment la nuit sans remords!
La fillette en robe de bure
Chante et cultive tout le jour;
Le soir venu, sa lèvre pure
Dira peut-être un mot d'amour!...
Oui, l'homme, les oiseaux, les plantes
Et l'onde aux bruits mystérieux
Mêlent leurs voix reconnaissantes
Pour célébrer le Roi des cieux.
Car tout ce qui vit et respire,
Tout ce qui chante, pleure ou croit,
Reconnaît qu'il est sous l'empire
D'un esprit souverain et droit!
Printemps, réveil de la nature,
Oh! sois le bienvenu toujours!
Quand tu parais, la créature
Espère encore des beaux jours!
C'est toi qui donnes à la plaine
Son riche et moelleux vêtement;
C'est toi qui fais germer la graine
D'où sortira notre aliment!
C'est toi qui rends au pulmonaire
La force et souvent la santé;
C'est toi que l'Indien vénère
En recouvrant la liberté!
O printemps, messager Celeste,
Admirable consolateur
Ton éclat seul manifeste
La puissance du Créateur!
4 juin 1887.
A L'HONORABLE JUGE A. B. ROUTHIER.
Stadaconé trônait dans sa majesté vierge
Au-dessus des flots bleus que roulaient sur la berge
Avec un bruissement clair.
A travers les réseaux de la vigne embaumée
L'indigène vivait dans sa hutte enfumée,
Libre comme l'oiseau de l'air.
Sur l'immense plateau couronné de verdure,
Les linotte mêlaient leur gracieux murmure,
Aux suaves rumeurs des eaux.
Rien ne troublait alors l'harmonie enivrante
Que l'onde, les rameaux et la brise odorante
Versaient à la voix des échos.
Maintes fleurs au soleil entr'ouvraient leurs corolles
Où les abeilles d'or, inconstantes et folles,
Cueillaient le miel délicieux.
Stadaconé semblait tressaillir d'allégresse,
Et de chaque taillis un chant rempli d'ivresse
Montait avec l'arôme aux cieux.
Mais soudain des clameurs mystérieuses, vagues,
Ayant l'air de surgir des profondeurs des vagues,
Interrompent ce doux concert;
Un long serpent de feu court à travers l'espace,
Et la voix du canon--à la brise qui passe--
Lance un rugissement d'enfer!
Un sauvage, à ce bruit, de son wigwam se sauve,
Croisant dans la forêt plus d'une bête fauve
Prise d'un fol effarement;
Mais bientôt il s'arrête au bord d'une clairière,
Et sur le fleuve voit une souple voilière
Mouiller l'ancre à l'abri du vent.
Un homme jeune encore, à la vaillante allure,
Portant moustache noire et longue chevelure,
S'élance sur le sable roux.
L'indigène, charmé par le noble visage
De celui qui paraît le chef de l'équipage,
Va se jeter à ses genoux.
Quel est donc l'inconnu qui vient fouler ces grèves
Que l'enfant des forêts--voyant s'enfuir ses rêves--
Dispute aux blancs en souverain?
Sauvage, incline-toi devant ce nouveau père
Qui rendra ton pays civilisé, prospère!
Incline-toi devant Champlain!
Il vient, au nom du roi qui règne sur la France,
Dissiper les erreurs, le vice et l'ignorance
Dans les coeurs naïfs ou pervers,
Fonder en Amérique une humble colonie
De la France éclairant par son vaste génie
Tous les peuples de l'univers!
Levant de l'avenir un coin du voile sombre,
Il voit des ennemis le combattre dans l'ombre
Comme des tigres enragés;
Mais sa foi, ses vertus, son esprit, sa prudence,
Le feront triompher, avec la Providence,
Des ennemis et des dangers.
Après avoir gravi le rocher gigantesque
Et contemplé longtemps le table pittoresque
Qui s'offre à ses regards ravis,
Il regagne les flots du beau fleuve qu'il aime,
Et, tout près de ses bords, il travaille lui-même
A bâtir le premier logis.
Champlain vient de jeter les bases de la ville
Où fleurira bientôt la grande loi civile
A côté de la loi de Dieu.
Il apprend que du Val, un Français malhonnête,
Conspire contre lui: du Val meurt, et sa tête
Sanglante, est mise au bout d'un pieu!
Il est sévère, soit! mais juste et charitable;
Sa bourse, son coeur d'or, son logis et sa table
S'ouvrent à tous les malheureux.
Et les chefs des tribus algonquine et huronne,
Touchés de ses bienfaits, posent une couronne
Sur son front noble et radieux!
Cet humble hommage émeut son âme magnanime
Et l'attache encor plus à la charge sublime
Qu'il tient de son seigneur et roi;
Car puisque dans ces coeurs il a déjà fait naître
Un peu de gratitude, il y fera peut-être
Briller les rayons de la foi.
Il leur enseigne à tous l'art de l'agriculture,
Et, vrai Cincinnatus, commence une culture
Que dieu couronne de succès.
C'est lui qui, le premier, arrache à cette plage
Le secret de donner au blanc comme au sauvage
Le pain, ce levier du progrès!
Mais l'illustre Français ne voit pas tout en rose;
Son front serein naguère est maintenant morose:
Il pleure sur le sort des siens.
Ah! c'est que, par delà les monts et les rivières,
Habite une autre race, aux instincts sanguinaires,
Qui l'outrage et pille ses biens!
C'est la race iroquoise, avide et dominante,
Qui veut anéantir cette ville naissante
Et régner sur tout le pays.
Elle hait les Hurons et les visages pâles
Et caresse l'espoir d'ouïr leur derniers râles
Et de mordre à leurs flancs roussis!
Champlain s'efforce encor d'apaiser les colères
Des Algonquins qu'il a traités comme des frères.
Mais à sa voix nul n'est soumis.
Les Iroquois d'ailleurs--véritables colosses--
S'avancent, l'arme au poing, l'oeil et les traits féroces
Pour attaquer leurs ennemis.
Un chasseur, survenant, confirme la nouvelle
que deux cents Iroquois, pris d'une ardeur nouvelle,
Viennent pour un combat prochain.
«Alors, répond Champlain, puisqu'ils veulent la guerre,
«Et, par orgueil, rougir de leur sang cette terre,
«Ils seront exaucés demain!»
Le soir, notre héros, entouré de ses braves
Qui n'ont jamais connu la honte des entraves,
Marche au devant des Iroquois.
Il les rejoint à l'aube, au milieu de leur danse,
Aux bords du lac Champlain.--Assoiffés de vengeance,
Les Hurons vident leurs carquois.
Le soleil, qui se lève, embrase la ramée
Où se tiennent Champlain et sa modeste armée
Un ennemi vient les voir;
C'est un chef que distingue un panache de plumes,
Et son accoutrement diffère ses costumes
Des autres monstres à l'oeil noir.
Levant son arme, il dit, d'une voix sombre et dure:
«A tous ces gueux il faut ôter la chevelure,
«Et la faire flotter aux vents!»
Champlain, sortant du bois, au premier rang se place,
Et, d'un coup d'arquebuse, en abat trois sur place,
Le chef et ses premiers suivants!
Ce coup fameux inspire aux Iroquois la crainte;
Ils luttent chaudement, mais leur bravoure est feinte:
La frayeur se lit dans leurs yeux!
Ils reculent bientôt en cohorte confuse,
Épouvantés qu'ils sont par les coups d'arquebuse
Que Champlain décharge sur eux!
Voyez-les déguerpir, ces guerriers si terribles
Qui devaient déchirer de leurs ongles horribles
Les cadavres de leurs rivaux!
Ils sont lâches, c'est vrai, mais--tigres indomptables--
Ils voudront assouvir leurs haines implacables
Contre Champlain et ses héros.
Les ans passent. Champlain quitte la colonie
Pour aller demander à la France bénie
Les soldats de la vérité.
Car ce n'est pas, dit-il par la poudre et les balles
Qu'on pourra subjuguer ces bandes cannibales:
Du prêtre il faut la charité!
Il revient au printemps, le coeur rempli de joie,
Avec de fiers colons que la patrie envoie
Escortés de religieux.
A sa charge il pourra se livrer sans relâche,
Laissant aux récollets la grande et sainte tâche
De gagner des âmes aux cieux!
Il fonde, il établit de florissants villages
Où naguère émergeaient des bourgades sauvages
Couvertes d'un maigre gazon;
A la brise aujourd'hui le blé d'or s'y balance,
Promettant au colon la joie et l'abondance
Pour les jours de l'âpre saison.
Il instruit l'ignorant, soulage l'infortune
Fait voir aux ennemis l'horreur de la rancune
Et prêche la fraternité;
Il soutient des combats qui le couvrent de gloire,
Et pose les jalons d'une héroïque histoire
Qu'il lègue à la postérité!
Québec n'est plus ce roc à l'aspect morne et sombre
Où venaient autrefois se reposer à l'ombre
Le chevreuil, la biche et l'élan.
La vigne et le noyer sont tombés sous la hache
La nature a jeté son large et vert panache
Pour se couvrir du drapeau blanc!
L'harmonie et l'amour ne sont plus dans les branches
Où l'oiseau se cachait, mais dans les maisons blanches
Pleines d'enfants frais et mignons.
Là vit de ses sueurs un petit peuple brave
Qui peut déjà répondre à l'Anglais qui le brave:
«J'attends l'effet de vos canons!» [1]
[Note 1: Réponse de Champlain à la sommation de David Kertk, 10 juillet 1628.]
Un peuple de héros à la trempe athlétique,
A l'âme généreuse, au coeur patriotique,
Luttant pour la France et ses droits:
Un peuple qui bénit du prêtre l'influence
Et coule sur ce sol une heureuse existence
A l'ombre sainte de la croix!...
C'est ton oeuvre, Champlain, ô gouverneur illustre!
C'est toi qui fis grandir, en lui donnant ton lustre,
Ce peuple honnête et vigoureux;
C'est toi qui le soutins aux heures de l'épreuve;
C'est toi qui l'attachas aux rives de ce fleuve;
C'est toi qui le rendis heureux!
Un quart de siècle et plus, tu manias sans trêve
La charrue ou l'outil, la parole ou le glaive
Pour assurer son avenir.
Et quand la mort parut au seuil de ta demeure,--
Où le peuple assemblé pleurait ta dernière heure,--
Sans trembler tu la vis venir!
Bien des ans ont passé depuis que ta grande âme
S'est envolée aux cieux, et la patrie acclame
Ton nom toujours retentissant.
Vois--grain de sénevé que tu jetas en terre--
Ces millions de coeurs te proclament leur père
De ce pays libre et puissant!
Ils rêvaient d'ériger sur le haut promontoire
Où ton astre brillant se coucha dans sa gloire,
Un bronze digne de renom;
Et ce rêve aujourd'hui, Champlain, se réalise:
Le peuple de Québec de zèle rivalise
Pour immortaliser ton nom.
ENVOI
On sait que l'éloquence avec la poésie
Vous nourrirent jadis de leur douce ambroisie.
Car votre langue, ô maître! est une lyre d'or
Réveillant même ceux que l'ignorance endort!
Le ciel vous donna l'art de plaire et de convaincre
Et celui de combattre une erreur et la vaincre...
Ah! c'est que votre coeur exhale des accents
Doux comme le cinname et purs comme l'encens!
Vous aimez--quand le peuple, enchanté, vous acclame,
A parler, l'oeil humide, et la fierté dans l'âme,
De ces illustres morts qui furent nos aïeux
Et dont les grands exploits vous rendent orgueilleux;
Alors vous recevrez, j'en ai la confiance,
Avec votre sourire et votre bienveillance,
Ces vers que je redis en l'honneur du chrétien
Que vénère et bénit le peuple canadien!
Avril 1891.
A L'HONORABLE HECTOR FABRE
Nos bardes tour à tour ont chanté la ramure,
La brise, le soleil, et l'oiseau qui murmure
En voltigeant de fleur en fleur;
De notre peuple ils ont célébré l'espérance,
Les qualités, la foi, les vertus, la souffrance,
Le dévoûment et la valeur.
Ils ont, les yeux fixés aux pages de l'Histoire
Redit avec orgueil l'éclatante victoire
De nos soldats à Carillon;
Et moi, le plus obscur du groupe littéraire,
J'ose venir chanter, d'une voix téméraire,
L'honneur d'un autre bataillon.
Ce bataillon figure en nos belles annales;
C'est lui qui défendit nos lois nationales
Conte un farouche potentat;
C'est lui qui détrôna l'infâme oligarchie,
Qui, méprisant nos droits, voulait par tyrannie
Régner et posséder l'état!
Il essuya d'abord outrage sur outrage,
L'exil et la prison; mais, sans perdre courage,
Dans sa lutte il persévéra.
Alors, nos ennemis, plus orgueilleux que braves,
Cessèrent à regret de mettre des entraves,
Et l'oligarchie expira...
Devant ce bataillon qui s'appelle la Presse,
Chapeau bas, Canadiens! Et que chacun lui tresse
Une couronne en ce beau jour! [2]
Car en brisant les fers de notre servitude,
Il s'est acquis des droits à notre gratitude,
A notre estime, à notre amour!
[Note 2: Fête nationale des Canadiens-Français, 24 juin 1888.]
Et depuis lors, veillant comme une sentinelle
A la sécurité de la nef fraternelle
Qui porte les deux nations,
La Presse jetterait le premier cri d'alarme
Si le tyran d'hier osait reprendre l'arme
Pour briser nos traditions!
Jamais ne sonnera cette heure malheureuse
Où notre beau pays, dans une guerre affreuse,
Verrait ses fils s'entrégorger.
Non! car les mêmes voeux de paix et d'espérance
Font battre tous les coeurs de la Nouvelle-France,
Et nul ne songe à se venger!
La Presse canadienne honore notre race;
Elle suit pas à pas la glorieuse trace
Du grand Bédard, son fondateur;
Comme lui sans faiblesse, elle flétrit le vice,
Exalte la vertu, flagelle l'injustice,
Défend l'Église et le pasteur.
Elle inspire le goût de la littérature,
Favorise les arts, surtout l'agriculture,
Cette mère du genre humain.
Toute oeuvre intelligente, honnête, généreuse,
Tout ce qui fait enfin notre existence heureuse,
Porte l'empreinte de sa main!
Devant ce bataillon qui s'appelle la Presse,
Chapeau bas, Canadiens! Et que chacun lui tresse
Une couronne en ce beau jour!
Car en brisant les fers de notre servitude
Il s'est acquis des droits à notre gratitude,
A notre estime, à notre amour!
A M. J-C TACHÉ, OTTAWA
Au pied de sa couche grossière
Le petit pauvre a mis son bas,
En murmurant cette prière:
Bon Jésus, ne m'oubliez pas!
Il ne sait point que la misère
Plane au-dessus de son réduit,
Et que sa malheureuse mère
N'a fait qu'un repas aujourd'hui!
Il ignore donc, à son âge,
Que l'on peut souffrir de la faim,
Et qu'un firmament sans nuage
Peut devenir sombre demain.
Il ne sait qu'une seule chose:
C'est la grande nuit de Noël,
La nuit où l'enfant Jésus rose
Apporte des présents du ciel.
Il s'endort sous des draps de laine,
L'un sur l'autre assez mal cousus;
Mais ces draps valent bien l'haleine
Du boeuf qui soufflait sur Jésus!
Des songes d'or bercent son âme;
Il voit, dans l'ombre qui grandit,
Un esprit aux ailes de flamme,
Voltiger autour de son lit,
Et dans son bas mette un mélange
De fruits vermeils et de bonbons;
Puis le rêveur, d'un geste étrange,
tends les menottes vers ces dons...
Debout, la mère est là qui pleure,
Le coeur brisé par le chagrin,
Car pas d'argent dans la demeure,
Et pas un seul morceau de pain.
Un douloureux transport l'agite;
Son regard se voile un instant;
Son coeur à se rompre palpite,
Et son esprit va délirant:
«Dieu donne au riche l'opulence
Avec la joie et le bonheur;
Au pauvre, il donne l'indigence
Avec l'envie et la douleur!
«Le riche emplit de friandises
Le bas soyeux de son bambin
Et moi je n'ai que des reprises
A faire au bas de l'orphelin...
«Mais je blasphème, ô Dieu! pardonne,
Dit-elle, en tombant à genoux!
Ma pauvre langue déraisonne,
Car c'est toi qui veilles sur nous.
«Sombre ou rose est notre existence:
De ton amour c'est le secret;
A notre âme il faut la souffrance,
Comme à l'or il faut le creuset.»
Minuit sonne. La cloche appelle
Le peuple auprès du saint berceau;
La veuve, à cette voix si belle,
Éprouve un sentiment nouveau.
«Pendant que mon ange sommeille,
Fait-elle, en essuyant ses yeux,
Allons à la crèche vermeille
Adorer l'envoyé des cieux.»
Dans le temple de la prière
Elle pénètre en chancelant,
Car la douleur et la misère
Ont rendu son corps défaillant.
Près d'elle, un homme charitable
qui compte déjà de longs jours,
Devine, à son air lamentable,
Qu'elle végète sans secours.
Il la connaît et la vénère,
Et désirant l'aider un peu
Il sort et vole à la chaumière
De celle qui prie au saint lieu.
Sans effort il ouvre la porte,
La porte fermée au loquet,
Dépose le falot qu'il porte
Et met sur la table un paquet.
Il va sortir, quant la voix fraîche
De l'enfant bredouille tout bas:
«Le bon Jésus sort de la crèche
pour emplir tous les petits bas!»
L'homme, ému par ce songe étrange,
Fuit et revient en quelques bonde
Glisser dans le bas du bel ange
Des pièces d'or et des bonbons...
Il est jour. Le soleil inonde
La chaumière de mille feux.
Soudain, levant sa tête blonde,
L'enfant pousse des cris joyeux.
La mère, à ces tons d'allégresse,
Se lève et croit rêver encor!
L'enfant l'embrasse et la caresse
En lui montrant les pièces d'or.
Sauvés! Sauvés exclame-t-elle!
--Enfant, d'où vient ce trésor-là?
--Mère, la chose est naturelle:
Il vient du bon Jésus, voilà!
Intelligente autant que sage,
La mère devine à l'instant;
Et, décrochant une humble image,
Elle dit en s'agenouillant:
«Enfant, devant cette madone,
Disons, en ce jour solennel:
Oh! bénissez celui qui donne
L'or et les bonbons de Noël!»
27 décembre 1890.
C'était un jour de juin. Sous la verte ramée
L'onde et l'oiseau mêlaient les accords de leurs voix.
Le soleil argentait la pelouse embaumée
Et la brise agitait le grand clavier des bois.
Je contemplais, pensif, l'orgueilleuse nature
Déroulant au regard ses féeriques splendeurs,
Quand, soudain, j'aperçus au fond de la ramure
Un petit chantre ailé volant de fleur en fleur.
Je m'approchai--c'était la gentille hirondelle
Qui saluait l'aurore aux brillantes couleurs;
Joyeuse, elle égrenait sa tendre ritournelle
Dans l'air tout imprégné d'agréables senteurs.
Oh! sois la bienvenue, hirondelle vaillante,
Compagne de la rose, oiseau consolateur!
Lorsque tu viens, petite, une joie éclate
Illumine le front du pauvre moissonneur!
Tu veilles sur le grain, de village en village,
Et sais le protéger contre le moucheron;
Chaque été tu poursuis ta tâche avec courage
En brisant sans pitié l'insecte et l'embryon!
Le riche a ses oiseaux qu'à prix d'or il achète,
Oiseaux bariolés comme les arcs-en-ciel,
Qui soupirent leurs chants, ainsi qu'une fillette,
Pour de légers gâteaux ou des rayons de miel.
L'hirondelle se rit des naïves caresses
Que le riche prodigue à ses oiseaux aimés;
La liberté, voilà sa corbeille d'ivresses!
Elle aime le grand air et les nids parfumés.
Elle habite partout: la terre est sa patrie.
Des rivages du Gange aux bords du Saint-Laurent,
Le laboureur l'accueille avec idolâtrie,
Car cet oiseau, pour lui, c'est plus qu'un conquérant!
Puis quand le morne hiver, cet hôte impitoyable,
Déroule sur nos prés son tapis de frimas;
Quand le nid des amours devient inhabitable,
Elle prend son essor, vers de plus chauds climats.
Poussant son vol altier à travers les empires,
Les fleuves, les déserts, les pics vertigineux,
Elle berce en volant, sur l'aile des zéphires
Ses suaves accords qui montent vers les cieux.
Mais vienne le printemps avec ses nids de mousse,
Son radieux soleil, ses bosquets enchantés,
On la voit aussitôt, comme une amante douce,
Joyeuse, revenir aux lieux qu'elle a quittés.
Puissé-je encor longtemps, ô gentille hirondelle,
Écouter ta romance et tes cris de bonheur!
Ah! reviens sous nos cieux, messagère fidèle,
Mettre un rayon d'espoir dans notre pauvre coeur!
Juin 1878.
Quand la première fleur au champ des morts rayonne,
J'aime à te visiter, ô modeste colonne,
Qui rappelles le nom de mon père chéri;
Devant toi je m'incline en fermant les paupières,
Et mon âme redit de ferventes prières
Pour le chrétien qui dort sous ce gazon fleuri.
Méprisant les honneurs que l'orgueilleux envie,
Sans fiel il traversa le sentier de la vie
En pratiquant toujours la foi de ses aïeux.
Il n'aura pas sa place aux pages de l'histoire,
Mais son nom restera gravé dans la mémoire
Des plus pauvres que lui qu'il aida de son mieux.
Il est là, maintenant, sous quelques pieds de sable,
Cet honnête vieillard, doux, généreux, affable,
Qui ne faillit jamais aux règles de l'honneur.
Chrétiens, qui visitez ce sombre coin de terre,
Où l'oiseau, plein d'émoi, gazouille avec mystère,
Ah! daignez pour mon père implorer le Seigneur!
12 juillet 1883.
Nos aïeux, sur ce sol, avec leur fière épée
Ont écrit ce grand mot: civilisation!
Nous, avec la charrue, achevons l'épopée
Par ce terme viril: colonisation!
La presse, c'est le phare illuminant le monde,
Le phare qui répand sa lumière féconde
Dans les nombreux esprits où l'erreur existait.
Mais la mauvaise presse attaque la morale
Sape l'autorité, provoque le scandale
Et renverserait tout, si Dieu ne l'arrêtait!
De la richesse naît quelquefois l'avarice,
Et le coeur de l'avare est toujours malheureux;
Mais de la pauvreté jamais ne vient ce vice
Voilà pourquoi le pauvre est si souvent joyeux.
Une orpheline, un jour, demandait à sa mère
Pourquoi, soir et matin, elle priait Jésus?
C'est que, répondit-elle, en lui je vois un père
Qui remplace celui que tu n'embrasse plus!
Par un froid de décembre, une tremblante mère
Chez un riche orgueilleux alla tendre la main;
Le riche en blasphémant repoussa sa prière,
Mais l'ange de la mort le foudroya soudain.
Tout bienfaiteur a droit à la reconnaissance;
L'être suprême à qui nous devons l'existence
A les prémices de ce droit.
C'est un devoir auquel chaque bienfait nous lie,
Et l'ingrat est un monstre indigne de la vie,
Un être à l'esprit trop étroit!
Ma politique à moi, voulez-vous la connaître?
--Non, dites-vous?--Alors, ce sera plus tôt fait!
D'ailleurs, je vous dirais qu'elle est encore à naître:
Quoi! cela vous étonne? et pourtant c'est un fait.
O frères, qui vivez loin de notre patrie
Et qui gardez encore avec idolâtrie
Les coutumes, les moeurs et la foi des aïeux,
Soyez bénis! Nos coeurs caressent l'espérance
Qu'un jour vous reviendrez dans la Nouvelle-France
Partager nos travaux et leurs fruits glorieux!
Bébé fait le malin depuis une heure entière,
Et la faible maman ne peut le maîtriser.
Soudain le père arrive et se met en colère,
Mais bébé l'adoucit avec un seul baiser...
Il est des parvenus qui croient, dans leur folie,
Que la toilette et l'or éclipsent le génie,
Et que tous leurs désirs doivent être exaucés.
Erreur! car ici-bas le génie est le maître,
Et quand ces pauvres sots s'efforcent de paraître,
Ils sont pris en pitié par les hommes sensés!
Autrefois, j'ai connu, tout près de cette ville,
Un gamin de neuf ans qui blasphémait déjà.
«Enfant, lui dis-je un jour, cette habitude est vile.
«Monsieur, répondit-il, je fais comme papa!»
Le mot patrie est doux à l'oreille de l'homme;
L'enfant, sans le comprendre, avec amour le nomme;
L'adulte en l'entendant sent palpiter son coeur.
A ce mot nous volons sur le champ de bataille,
Et pour lui nous bravons le fer de la mitraille;
Ce mot veut dire enfin: pays, famille, honneur!
22 octobre 1887.
A M. AMÉDÉE ROBITAILLE
Président général de la société St-Jean-Baptiste.
Quand brille à l'horizon le jour de la patrie,
Les Canadiens-Français, l'âme toute attendrie,
Célèbrent des aïeux les vertus, les exploits;
Et, léguant à l'oubli tout ce qui les divise,
Ils suivent l'étendard qui porte leur devise:
«Nos institutions, notre langue et nos lois!»
Ils marchent, le front haut, sur ce sol où leurs pères
Ont posé les jalons de ces villes prospères
Que le touriste admire aux bords du Saint-Laurent.
Ils s'arrêtent parfois dans leur pèlerinage
Pour saluer le nom d'un noble personnage
Buriné sur l'airain d'un humble monument.
Ils vont se recueillir un instant dans le temple
Sous le tendre regard de Dieu qui les contemple
Et les fait triompher d'ennemis dangereux;
Ils retrempent leur foi--la foi des leurs ancêtres--
Que savent leur transmettre une foule de prêtres
Aussi braves et saints que Brébeuf et Buteux.
Et lorsqu'ils ont offert au ciel un pur hommage,
Ils retournent chacun festoyer sous l'ombrage
Des érables plantés en l'honneur de saint Jean.
O les joyeux refrains que chantent les poitrines
Que de mots répétés par des voix argentines
Et qui mettent la joie au coeur de l'indigent...
Puis, le soir, ils s'en vont sur la place publique
Où d'éloquents tribuns, à la voix sympathique,
Redisent la valeur de ceux qui ne sont plus;
Il sont heureux d'entendre exalter la mémoire
De ces fameux héros dont nous parle l'histoire,
Et jurent d'imiter leurs brillantes vertus!
O Canadiens-Français d'une même croyance,
Vous dont le fier esprit égale la vaillance,
Fêtez avec éclat ce jour!
Portant de Carillon l'immortelle bannière
Allez au champ d'honneur vénérer la poussière
Des guerriers morts pour votre amour!
Juin 1889
A MADAME L. G. V...
Le prêtre est un pont jeté entre le ciel et
la terre. Le jour où il n'y aurait plus
de prêtres, le monde s'abîmerait dans une
immense ruine.
C'était un beau matin. Les cloches de l'église
Mêlaient joyeusement aux accords de la brise
Leurs sons harmonieux;
Le peuple agenouillé dans notre basilique,
Adressait en son coeur une douce supplique
Au Monarque des cieux.
A l'autel se tenaient douze jeunes lévites
Venus pour dire au monde, aux plaisirs illicites
Un éternel adieu;
Leurs lèvres murmuraient d'ineffables prières
Et des larmes d'amour nageaient sous leurs paupières
Quand ils firent le voeu.
Que c'est donc merveilleux cette cérémonie!
Quel cachet de grandeur, de sainte poésie
Ne contient-elle pas?
Et ces fils d'Adam, nés comme nous dans les larmes,
Livreront à satan et ses compagnons d'armes
Des valeureux combats!
Quelle langue pourrait, ô noble et digne femme!
Exprimer le bonheur dont fut pleine votre âme
Au «voeu» de votre enfant?
Ah! vous étiez heureuses au delà de tout rêve,
Car l'évêque sacrait, ô pauvre fille d'Ève,
Le sang de votre sang!
Oui, vous étiez heureuse, ô bonne et tendre mère,
Plus que si des honneurs la couronne éphémère
Eût ceint ce front aimé;
Heureuse jusqu'au point de croire que Dieu même
N'avait jamais offert de plus beau diadème
En son ciel embaumé.
Réjouissez-vous bien, naïve et sainte femme!
Exaltez cet enfant que l'Église proclame
Un dévoué pasteur;
Contemplez son regard où la pureté brille,
Son front calme et serein où la grâce scintille,
Ses traits pleins de douceur!
Vous l'aimiez!... Cependant lorsqu'il vous fit connaître
Que le ciel l'appelait à devenir un prêtre,
L'ami des malheureux,
Alors vous avez dit, avec le saint prophète;
«Que votre volonté, verbe divin soit faite
Ici-bas comme aux cieux!»
Il sera prêtre! Ainsi, joyeux, il abandonne
Les passagers plaisirs auxquels l'homme s'adonne,
Et qui font son malheur;
Il quitte sans regret amis, parents richesses;
Son coeur--brûlant foyer des pures allégresses--
Palpite avec ardeur!
Ses mains que pressiez jadis avec tendresse,
Toucheront désormais, durant la sainte messe,
Le corps, le sang de Dieu;
Ses pieds qu'avec amour vous baisiez dans les langes
Serviront à porter l'auguste pains des anges
Aux mortels, en tout lieu!
Femme, vous n'aurez pas l'orgueil d'être grand'mère,
Mais votre fils unique aura, sur cette terre,
Une postérité:
Elle renfermera le grand, le prolétaire;
Le vieillard et l'enfant le nommeront «mon père»,
L'oeil brillant de fierté.
Il sera prêtre! Aussi que de brebis errantes
Reprendront sous ses soins, heureuses, repentantes,
La route du bercail;
Et que de malheureux, guidés par sa parole,
A son exemple, iront, de l'Équateur au Pôle,
Achever son travail!
Nouveau Vincent de Paul, cet homme charitable
Pressera sur son sein le pauvre misérable,
Abandonné de tous;
Il lui prodiguera les plus grandes tendresses,
Et ce pauvre, touché, contera ses faiblesses
En tombant à genoux!
Puis, lorsque les méchants, le coeur rempli de rage
Maudiront, saliront de leur ignoble outrage
L'apôtre du Seigneur,
Alors cet homme saint sentira dans son âme
Un amour plus ardent, une plus vive flamme
Pour le faible pécheur?
Il est consacré prêtre! Et vous, sa bonne mère,
Vous goûtez ardemment sa parole sincère,
Pleine d'émotion.
Vous assistez tremblante, à la première messe
De ce fils qui vous donne--ô sublime caresse!--
Sa bénédiction...
Femme, allez maintenant à vos oeuvres pieuses,
Et lorsque sonneront les heures douloureuses,
Pensez à votre enfant;
Pensez aux doux bienfaits qu'il sème sur la terre:
Ce souvenir sera le baume salutaire
De votre coeur souffrant
Juin 1879.
Le vieux faubourg Saint-Roch s'incline sur le bord
De l'anse sablonneuse où le Saint-Charles endort
Son flot bleu qui palpite;
C'est là que la vertu romaine vit toujours
Et que sa mâle voix--sa voix des anciens jours--
Parle à des coeurs d'élite!
C'est là que Cartier vint, pour la première fois,
Ennoblir notre sol en y plantant la croix
Sous l'ombrage des hêtres;
C'est là que sont empreints les pas des découvreurs,
C'est là qu'ont abordé nos vaillants laboureurs
Avec nos premiers prêtres!
C'est là d'où sont partis ces humbles conquérants
Qui portaient à travers forêts, monts et torrents
La parole bénie
A l'enfant des déserts que la foi réclamait...
C'est enfin le berceau grandiose où germait
La noble colonie!
J'aime ce vieux faubourg coquet et florissant,
Où le riche à sa table accueille le passant
Qui demande une obole;
Car c'est là que s'exerce avec simplicité
La bienfaisante loi de l'hospitalité
Qui ravit et console!
Oui, je t'aime, ô Saint-Roch! A ton passé rêvant,
Parfois je crois ouïr un poème émouvant
Dans la rumeur de l'onde
Où se mirent les toits de la fière cité
Dont l'immortel Champlain devina la beauté
Qui charme le Vieux-Monde!
Je t'aime! car je sais qu'à l'ombre de la croix
Vaillamment tu luttas pour défendre nos droits
Contre le despotisme;
Et qu'en toi bat le coeur de notre nation;
O boulevard béni de la religion
Et du patriotisme!
Mai 1880.
Haleine du printemps, ô brise parfumée,
Errant de fleur en fleur, de vallon en vallon!
L'amoureux, pour ouïr ta roulade animée,
S'arrache sans regret aux plaisirs du salon.
Il place sur ton aile, aimable messagère,
Ses longs soupirs d'amour, ses rêves de bonheur,
Et tu vas les porter à l'amante sincère
Qui, là-bas, les reçoit dans les plis de son coeur.
Que de fois le poète a redit sur sa lyre
Les gracieux accords qui vibraient dans ta voix,
Et que de fois l'oiseau dans un joyeux délire
S'est mis à les chanter sous les arceaux des bois!
O brise enivre-moi longtemps de ton arôme!
Viens rafraîchir mon âme où germe la douleur!
Passe devant mes yeux comme un léger fantôme,
Et porte jusqu'à Dieu l'écho de mon malheur!
Mai 1882.
Prions pour l'exilé, qui, loin de sa patrie,
Expira sans entendre une parole amie;
Isolé dans sa vie, isolé dans sa mort,
Personne ne viendra donner une prière,
L'aumône d'une larme à la tombe étrangère!
Qui pense à l'inconnu qui sous la terre dort?
OCTAVE CRÉMAZIE.
S'il est un nom qui rime avec la poésie,
C'est celui de l'illustre Octave Crémazie,
Le nom d'un barde bien-aimé;
D'un barde qui creusa, comme le vieil Horace
Dans le champ du génie une profonde trace
Que suivent Fréchette et Lemay.
Bien des fois, secouant sa sombre rêverie,
Il chanta sur son luth l'amour de la patrie
Et les vertus de nos aïeux;
Du prêtre canadien il chanta la science,
La foi, la charité le dévouement immense
Et les triomphes glorieux!
En pleurant il chanta le drapeau de la France,
Ce riche talisman, témoin de la vaillance
De nos soldats à Carillon;
A ce vieux drapeau blanc environné de gloire,
Rappelait à son coeur la plus belle victoire
Qu'eût remportée un bataillon!
Il chanta les vallons tapissés de verdure
Que le ciel a jetés, ainsi qu'une bordure,
Sur les rives du Saint-Laurent;
Il chanta les ruisseaux, les lacs et les rivières
Qui fécondent le sol, et les cimes altières
Où gronde et bondit le torrent.
Il chanta tour à tour le zéphyr, l'hirondelle,
Le site merveilleux de notre citadelle
Et nos modestes monuments.
La foi de nos martyrs inspirait ses mélanges
Qui semblaient aussi doux que les hymnes des anges
Envolés au souffle des vents!
Mais un jour--oubliant la sainte poésie--
Il eut, dans un moment de gêne et de folie,
Une coupable illusion:
Comme l'arbre géant brisé par la tempête,
Le poète courba sa belle et noble tête
Sous la peine du talion...
Bien des ans ont passé depuis cette heure sombre!
Crémazie, en voyant à son étoile une ombre,
A fui le lieu de ses malheurs...
Il a vécu longtemps sur la terre étrangère,
Abandonné de tous, en proie à la misère,
Vidant la coupe des douleurs!
Aujourd'hui... mais silence!... Il sommeille sous terre
Dans un coin de la France, au fond d'un cimetière,
Où nul peut-être ne priera...
L'inexorable mort l'a couché dans la bière
En attendant qu'un jour revienne sa poussière
En ce pays qu'il illustra!
Reçois avec tendresse, ô barde que j'admire,
Ces vers que je redis sur ma craintive lyre,
Et que l'amitié m'inspira!
Puisse les Canadiens dresser à ta mémoire
Sur le roc de Québec un monument de gloire!
Et l'Amérique applaudira!
1er août 1877.
Assise sur un roc où notre espoir se fonde,
Tu mires ta grandeur dans la vague profonde
Du fleuve Saint-Laurent;
Tes vieux créneaux noircis par la poudre et la flamme
Ont l'air de regarder s'envoler la grande âme
De Montcalm expirant!
Aux jours anciens, la voix de la mitraille
Sur tes remparts a retenti souvent;
Et l'étranger sur ta haute muraille
Peut lire encore ce poème éloquent.
Un siècle et plus, les enfants de la France
Ont répandu pour toi leur noble sang,
Mais délaissés par une vile engeance,
Ils t'ont perdue avec le drapeau blanc...
Depuis longtemps l'amour et l'harmonie
Ont remplacé les haines d'autrefois;
Et l'Angleterre avec art s'ingénie
A rendre heureux les rejetons gaulois.
Si dans ton sein la lutte recommence
Entre ces coeurs vibrant à l'unisson,
C'est une lutte où l'esprit, la science
Ont plus de part que l'éclat du canon!
24 juin 1885
[Note 3: Joseph-Orance de Grandbois, né à Saint-Casimir, comté de Portneuf, le 3 mai 1884, devint orphelin de père et de mère à l'âge de deux ans, et fut confié aux révérendes Soeurs de la Charité de Québec, le 17 mars 1886. Le 11 juin de la même année, M. l'abbé H.-R. Casgrain.--qui avait été chargé par le comte A.-H. de Villeneuve, de Paris, France, de lui choisir un petit orphelin canadien-français, qu'il désirait adopter pour son enfant--vint chercher Joseph-Orance qu'il envoya à Paris sous les soins d'une brave femme de Saint-Casimir, nommée Béonie Hardy. Le 8 novembre 1890, l'honorable M. H. Mercier, premier ministre de la province de Québec, présenta à la législature un projet de loi pour permettre à l'heureux orphelin d'ajouter à son nom celui de «de Villeneuve». Aujourd'hui l'enfant est l'unique héritier d'un titre honorable et d'une immense fortune.]
Joseph-Orance avait la beauté pour parure;
De longs et noirs cheveux encadraient sa figure
Pleine de grâce et de candeur.
Un sourire angélique ornait sa bouche rose
Qui déjà soupirait une prière éclose
Dans les plis de son tendre coeur.
A peine deux printemps doraient sa belle tête,
Que la mort lui ravit--ô terrible conquête!--
Famille, appui, félicité!
Mais Dieu prit l'orphelin sous sa puissante égide
Et lui donna pour mère et pour fidèle guide
Une des soeurs de charité.
Les soeurs de charité! quelles femmes divines!
Et qui peut dignement chanter ces héroïnes
Que vivent dans l'humilité?
Pour sauver l'orphelin de l'affreuse indigence,
Former sa foi, son coeur et son intelligence,
Elles épuisent leur santé!
Qu'il fasse chaud ou froid, qu'il vente, pleuve ou grêle,
Elles vont mendier, d'une voix faible et grêle,
Pour l'enfant que prie au saint lieu.
Et l'homme que leur voix attendrit et console,
Leur verse avec bonheur dans la main une obole
Qui réjouit le coeur de Dieu!
Oui, ces soeurs-que la providence
Éprouve et bénit tour à tour--
Accueillirent Joseph-Orance
Avec un vrai transport d'amour.
Et le bel ange oublia vite
Le pauvre toit de ses aïeux,
Puisqu'il avait--outre le gîte--
Trouvé des coeurs affectueux.
Ses yeux rayonnaient d'allégresse;
Ses lèvres gazouillaient toujours;
Ses mains ne donnaient que caresse
A celles qui charmaient ses jours.
Oh! que de chauds baisers sa bouche
Imprimait au front de la soeur,
Qui penchée auprès de sa couche,
Lui parlait du divin Sauveur!
En savourant ce pur langage,
Plus doux que le chant de l'oiseau,
Il croyait voir l'auguste image
De la Vierge sur son berceau!
Et lorsqu'il entendait redire
Le nom si doux de l'Éternel,
Alors on le voyait sourire
Et tourner ses yeux vers le ciel.
Le soir, en fermant sa paupière,
Il bredouillait du fond du coeur
Cette humble et magique prière:
«Veillez toujours sur moi, Seigneur!»
Dans la saison des fleurs de la présente année,
Par une radieuse et chaude matinée,
Un prêtre en cet asile entrait;
Il était le porteur d'un aimable message,
Et la joie éclairant son austère visage
Mieux que sa bouche l'annonçait.
«Mes bonnes soeurs, dit-il, j'arrive de la France,
Et je viens en votre âme adoucir la souffrance
Que le ciel y verse souvent;
Un comte de Paris, pieux et charitable,
Voudrait pour héritier de son titre honorable
Un orphelin intelligent;
«Un orphelin issu d'honnêtes père et mère,
Ayant un doux visage, un noble caractère
Et du goût pour la piété;
Il ferait à l'enfant une heureuse existence
Et lui mettrait en main l'arme de la science
Pour défendre la vérité!
«Je vois dans cet asile un essaim de beaux anges
Dont les ris et les chants--harmonieux mélanges--
Pourraient nous faire rajeunir...
Je laisse à votre esprit le soin patriotique
De choisir l'orphelin que ce grand catholique
Destine au plus bel avenir!»
Joseph-Orance obtint la palme sur le nombre;
Mais son front se couvrit d'un nuage bien sombre
Lorsqu'on le mit dans le secret...
Et la soeur Saint-Vincent, qu'il appelait sa mère,
Ne pouvait voir partir, sans une peine amère,
Cet orphelin qu'elle adorait!
Le petit se cachait dans les plis de sa robe:
Telle contre une fleur l'abeille se dérobe
A l'oeil du ravisseur sournois!
Et la Soeur voulait dire à ce joli rebelle:
«Va donc, ô mon enfant, où le destin t'appelle!»
Mais la douleur glaçait sa voix.
Le prêtre avait prévu les larmes douloureuses
Que verseraient l'enfant et les religieuses
A l'heure triste des adieux;
Aussi, pour les sécher, trouva-t-il des paroles
Pures comme le miel qui tombent des corolles,
Et douces comme un chant des cieux!
Levant de l'avenir un coin du voile rose,
Il peignit à l'enfant le destin grandiose
Que le Seigneur lui réservait.
Les pleurs brillaient encor sous plus d'une paupière,
Mais de tous ces coeurs purs une ardente prière
Vers le vaste ciel s'élevait!
Un mois s'est écoulé depuis l'heure touchante
Où nous étions témoins de la scène émouvante
Que ne peut rendre mon pinceau;
L'orphelin que le prêtre a tiré de l'hospice,
Et qui devait plus tard boire l'amer calice,
Loge à Paris dans un château...
Ses nobles protecteurs, le comte et la comtesse,
Dont l'âme est un foyer d'amour et de tendresse,
Lui prodiguent tous les égards;
Ils l'entourent des soins que permet la fortune,
Afin de dissiper la tristesse importune
Qui trouble parfois ses regards;
Car, ici, dans l'asile où brilla son étoile,
Il a quitté deux soeurs qui suivirent la voile
L'emportant sur le flot moqueur...
Souvent il les appelle au milieu de ses fêtes;
Et la nuit, dans le songe, il brave les tempêtes
Pour les serrer contre son coeur...
Mais la tristesse, un jour, s'enfuira de son âme,
Car elle est, chez l'enfant, semblable à cette flamme
Qui luit et s'efface aussitôt.
Puis une heure viendra--joyeuse et fortunée--
Où l'ange comprendra sa haute destinée,
Et cette heure viendra bientôt!
Que sera-t-il plus tard? mystère!
C'est le secret du Créateur.
Prions pour que ce jeune frère
Soit notre gloire et notre honneur!
15 juillet 1886.
C'est le samedi soir. Au sein d'une chaumière,
Où pénètre le froid, quatre jeunes enfants
Se pressent, tout pâlis, aux genoux de leur mère;
L'âtre n'a plus de feu, la table d'aliments.
«J'ai faim! J'ai froid!» Ces mots, mêlés de pleurs étranges,
Résonnent comme un glas dans ce foyer malsain;
Et la mère répond: «Ne pleurez pas, mes anges,
Votre père bientôt vous donnera du pain...»
Mais l'horloge là-haut sonne déjà dix heures,
Et le père et le pain surtout n'arrivent pas!
La marmaille, apaisée un instant par des leurres,
Saute à faire crouler le parquet sous ses pas...
«J'ai faim! J'ai froid! du feu!» Ce chant de la misère--
Douloureuse clameur--retenti de nouveau.
L'un des jeunes martyrs sollicite sa mère
De réduire en brasier les planches du berceau...
Écoutez! au dehors des voix sourdes murmurent:
Aux malheureux sans doute on vient porter secours.
Prêtez l'oreille encor! mais qu'est-ce? ces voix jurent
Et maudissent le Dieu qui veille sur nos jours!...
Qui donc ose approcher, le blasphème à la bouche,
Du seuil où la misère étend son voile noir?
--Ce sont deux artisans, avinés, l'oeil farouche,
Qui traîne sur le sol un homme affreux à voir.
Et cet homme est le chef de la pauvre famille--
C'est le père annoncé tantôt comme un sauveur!--
Voyez-le, sous les feux de la lune qui brille,
Étendu sur le seuil sans voix et sans vigueur!
La femme ouvre la porte, et, tremblante, s'empresse
Auprès du malheureux dont les traits sont flétris;
Paraissant oublier sa peine et sa détresse,
Elle lui parle même avec un doux souris!
L'ivrogne veut répondre à ces élans sublimes,
Mais de profonds soupirs entrecoupent sa voix.
A leur tour ses enfants, ou plutôt ses victimes
Lui demandent du pain, des vêtements, du bois!
Hélas! pauvres petits, votre prière est vaine!
Vains aussi vos sanglots, vos plaintes, vos douleurs!
Car votre père à mis l'argent de la semaine
Au cabaret... Séchez ces inutiles pleurs!
Que dis-je? oh, non, pleurez! et les nombreuses larmes,
Que votre âme innocente en priant versera,
Toucheront votre père--Employez donc ces armes,
Et la victoire, enfants, un jour vous restera!
Du mauvais artisan cet ivrogne est l'image,
Car l'ivresse affaiblit les coeurs les plus vaillants;
Elle étend sur notre âme un lugubre nuage
Qui lui cache du ciel les horizons brillants;
Elle éloigne l'époux du foyer domestique,
Où longtemps il goûta la joie et le bonheur,
Et lorsqu'il y revient, sombre et mélancolique,
Il porte sur le front le sceau du déshonneur!
Ce homme était jadis un artisan modèle;
On vantait sa sagesse et son habileté;
Au dur labeur jamais il n'était infidèle,
Et c'est là qu'il puisait la force et la santé.
Mais quelle affreuse chute! En moins de trois années,
Il a perdu la foi, l'énergie et l'amour!
Il donne au cabaret le fruit de ses journées,
Pendant qu'à sa demeure on souffre nuit et jour...
Le monde quelquefois repousse avec malice
L'enfant qui, tout en pleurs, lui tend sa maigre main;
«Quoi! te faire l'aumône? encourager le vice
«De ton père, un ivrogne?.... Éloigne-toi, gamin...»
Ce langage est cruel, déraisonnable, impie--
Faire expier au fils le crime des parents!--
Rappelons-nous ces mots du maître de la vie:
«Laissez venir à tous les petits enfants!»
Ah! ne laissons jamais à leur sort misérable,
Ces enfants dont le père est parfois un bandit;
Mais faisons-les plutôt asseoir à notre table
En leur donnant le pain du corps et de l'esprit.
Nos bienfaits trouveront mille échos dans leur âme--
Leur âme si sensible aux élans généreux--
Et, plus tard, la vertu--cette céleste flamme--
Réchauffera leurs coeurs en les rendant heureux.
Du mauvais artisan et de ses habitudes
Il ne leur restera qu'un pâle souvenir.
Joyeux, ils rempliront les tâches les plus rudes,
Sous le regard de Dieu, sans craindre l'avenir!
1er octobre 1889
Pièce traduite de «What is Life?» de Samuel Moore.
Je demandais un jour à l'un de ces vieillards,
Dont la pâle figure et les sombres regards
Accusent la souffrance et l'amère ironie,
S'il pouvait m'expliquer ce simple mot: la vie?
Courbant sa tête blanche, il dit en soupirant:
«La vie est une scène où le pauvre et le grand
Luttent pour obtenir l'honneur et la richesse;
Quelques rayons d'amour, de joie et de tristesse;
Des efforts pour saisir un brillant lendemain;
Une flamme qui luit et disparaît soudain;
Un flot que le torrent caresse, agite, emporte;
Une rose qui naît et bientôt sera morte;
La vie est ce chemin qui commence au berceau,
Et qu'on a parcouru lorsqu'on touche au tombeau!
L'homme croit au bonheur, et depuis son enfance,
Pour l'atteindre, il travaille, use son existence;
Mais au lieu du bonheur il trouve le trépas,
Et devient ce limon qu'on foule sous nos pas...»
Si le néant était le terme de la vie,
Dieu, lui, dis-je, serait un infâme génie.
Comment! nous serions tous destinés à souffrir,
A vivre sans espoir et sans espoir mourir?...
Votre vie est affreuse: elle est la mort de l'âme;
Car l'âme juste espère en Dieu qui la réclame.
Plus ému que content des paroles du vieux--
Paroles qui blessaient mes sentiments pieux--
J'abordai sur la route un homme au doux visage,
Un homme dont l'esprit me parut droit et sage,
Et je lui demandai, d'un ton respectueux,
De résoudre pour moi le problème épineux.
Une lueur d'espoir éclaira sa figure,
Et, s'inclinant, il dit d'une voix mâle et pure:
«La vie est pour connaître et servir le Seigneur,
Recevoir sa doctrine avec joie et douceur,
Imiter les vertus du Christ--divin modèle--
Afin de vivre un jour de sa vie immortelle.
«la vie est un foyer qu'alimente la foi;
Un livre où le Seigneur a buriné sa loi;
Un creuset où notre âme, au feu de la souffrance,
S'épure et sent grandir en elle l'espérance.
Il vit, l'homme qui sait ses crimes pardonnés,
Il entrevoit du ciel les justes couronnés;
En mourant au péché, son âme se délie
Et recouvre aussitôt la véritable vie.
Vivre enfin, ici-bas, c'est souffrir et lutter;
Vivre aussi, c'est le Christ! mourir, c'est triompher!
Notre corps, je le sais, est tiré de la terre,
Et doit, après la mort, redevenir poussière;
Mais l'âme--souffle pur sorti du coeur de Dieu--
Quittera pour toujours ce misérable lieu!»
Ah! s'il faut vivre ainsi, lui dis-je, je veux vivre!
Vivre sous les regards de Celui qui délivre
L'âme de sa prison pour la conduire au port;
Oui, je veux triompher du vice et de la mort!
Juillet 1888.
Pièce traduite de l'anglais.
Quelque soit ton destin, ô ma Nouvelle-Écosse--
Doux nid que le devoir, dans sa rigueur atroce,
M'ordonna de quitter--jusqu'au dernier soupir
Je jure de garder ton tendre souvenir!
A tes monts que l'été couronne de verdure,
A ton sol généreux qui donne sans mesure,
Aux côtes de granit qui te font un rempart,
J'accorde volontiers de mon coeur une part!
Dans tes vieilles forêts--grandes comme un royaume--
Le sapin résineux répand son doux arôme;
Et, défiant toujours l'ouragan furieux,
Le chêne y dresse aussi son front majestueux!
Puis dans tes champs rayonne, à travers la rosée,
Une fleur que ma main à souvent caressée;
Son nom est May flower, l'orgueil de l'Écossais,
Témoin de ses revers et de tous ses succès!
Je n'aurai plus peut-être, un jour, l'heureuse chance
De pouvoir t'admirer, lieu cher de ma naissance!
Mais du moins quand mes yeux verront la May flower,
Ils la contemplerons longtemps avec bonheur...
Adieu, Nouvelle-Écosse, ô ma belle patrie!
Quoique éloigné de toi, je t'aime à la folie!
Si les ans entre nous passent comme les flots,
Mon amour grandira nourri par mes sanglots!
1er mai 1883
POÈTE LAURÉAT DE L'ACADÉMIE FRANÇAISE
Il est de notre peuple et l'orgueil et la gloire
Ce barde dont le nom, au livre de l'Histoire,
Aura sa place à part.
Il quitte ce pays qu'il aime et qu'il admire
Pour aller retremper son génie et sa lyre
A la source de l'art!
Comme l'aigle volant vers la voûte sphérique
Où semble l'attirer la puissance magique
De l'astre aux rayons d'or;
De même vers Paris, le soleil de la France,
L'aigle du Canada, guidé par l'espérance,
Prend son sublime essor!
Il sent que, par l'effort de son intelligence,
Il saura recueillir au champ de la science
Des moissons de lauriers;
Car n'a-t-il pas naguère, affrontant la critique,
Conquis la palme d'or au tournoi poétique
Sur cent esprits altiers?
De notre histoire ouvrant les pages vénérables,
Sur sa lyre il dira les luttes admirables
De nos vaillants aïeux;
Il en composera de suaves poèmes
Que la France lira, mieux que ses oeuvres mêmes,
Des larmes plein les yeux!
La France acclamera la nouvelle épopée
De ce barde qui suit la trace de Coppée
Et de Victor Hugo;
Châteauguay, Carillon et mainte autre victoire,
Pour elle brilleront au temple de Mémoire
Autant que Marengo!
Et la France bientôt, grâce à Louis Fréchette,
Grâce à nos écrivains, prosateur ou poète,
Se souviendra de nous.
Alors elle viendra visiter nos rivages
Où fleurissent ses lois, sa langue et ses usages,
Et nous bénira tous!
22 octobre 1887.
Le sol n'est plus velouté de verdure;
Le vent gémit, et le chantre des bois
Aiguillonné par la faim, la froidure,
Redit ses chants pour la dernière fois.
Les milles fleurs qui doraient la prairie
Ont disparu sous un épais frimas.
Adieu, parfums! Adieu, mousse fleurie
Où nous prenions de si joyeux ébats!
«Oyez! la cloche sonne
Son hymne monotone
Au clocher du saint lieu;
Cette voix gémissante
S'élève, suppliante
Jusqu'au trône de Dieu!
C'est le sanglot d'une âme
Qui soupire et réclame
Dans sa prison de feu.
Eh! bien, qu'une prière
Monte, monte, sincère,
De nos coeurs jusqu'à dieu!»
L'astre du jour, derrière les nuages,
Cache ses feux, La nature est en deuil.
Hier, la neige, aujourd'hui les orages:
Tout se transforme et passe en un clin-d'oeil.
Le moissonneur ne tresse plus les gerbes
Qui ravissaient son coeur reconnaissant;
Le sol est mort. Nos montagnes superbes
Dressent au loin leur faîte jaunissant.
«Oyez! la cloche sonne
Son hymne monotone
Au clocher du saint lieu;
Cette voix gémissante
S'élève, suppliante
Jusqu'au trône de Dieu!
C'est le sanglot d'une âme
Qui soupire et réclame
Dans sa prison de feu.
Eh! bien, qu'une prière
Monte, monte, sincère,
De nos coeurs jusqu'à dieu!»
Durant ce mois de deuil et de tristesse,
Chrétiens, fuyons les frivoles plaisirs;
Pensons aux morts qui soupirent sans cesse
Après le ciel, objets de leurs désirs.
Ah! oui, pensons à l'affreux purgatoire,
Où Dieu peut-être un jour nous conviera,
Car du péché c'est l'urne épuratoire,
Inévitable, où notre âme expiera!
«Oyez! la cloche sonne
Son hymne monotone
Au clocher du saint lieu;
Cette voix gémissante
S'élève, suppliante
Jusqu'au trône de Dieu!
C'est le sanglot d'une âme
Qui soupire et réclame
Dans sa prison de feu.
Eh! bien, qu'une prière
Monte, monte, sincère,
De nos coeurs jusqu'à dieu!»
Entendez-vous ces plaintes déchirantes,
Ces longs appels, ces sanglots douloureux?...
Prions! Prions! Nos prières ardentes
Délivreront des flots de malheureux.
Puis quand la mort, au jour de ses vendanges,
De notre vie aura tranché le cours,
Alors ces saints--devenus nos bons anges--
Nous prêteront leur merveilleux secours!
«Oyez! la cloche sonne
Son hymne monotone
Au clocher du saint lieu;
Cette voix gémissante
S'élève, suppliante
Jusqu'au trône de Dieu!
C'est le sanglot d'une âme
Qui soupire et réclame
Dans sa prison de feu.
Eh! bien, qu'une prière
Monte, monte, sincère,
De nos coeurs jusqu'à dieu!»
1er novembre 1881.
A. M. C. A. GAUVREAU, membre de l'Académie des Muses Santones.
Toute vie est un flot de la mer de douleur.
Leur amertume un jour sera ton ambroisie,
Car l'urne de la gloire et de la poésie,
Ne se remplit que de nos pleurs!
L'autre soir, accoudé sur le bord de ma table,
La cigarette aux dents et la plume à la main,
J'essayais de ravir à ma muse indomptable
Des vers que je voulais risquer le lendemain.
Mais, hélas! la cruelle avec indifférence
Accueillait les soupirs s'exhalant de mon coeur,
Et, malgré mes appels et ma persévérance,
Ne daignait m'accorder qu'un «silence moqueur.»
Alors, en grommelant, je rejetai ma plume
Que j'avais pris la peine, entre vingt, de choisir!
Ma foi, j'aurais troqué mon luth contre l'enclume
Que l'artisan du coin fait vibrer à loisir...
Je vouais à Pluton l'objet de ma tendresse--
La muse qui m'avait tant de fois consolé--
Quand l'on vint me remettre un chant, à mon adresse,
Que votre lyre avait, la veille, modulé.
«Sachons lutter!» Tel est le titre du poème
Où votre âme meurtrie épanche ses douleurs,
Implorant la pitié pour le malheureux même
Dont le fol égoïsme causé vos malheurs!
L'égoïsme a chassé l'ange de l'espérance
Qui berçait votre esprit du rêve le plus beau;
Il ne vous reste plus que l'amère souffrance,
Aussi lourde à porter qu'un marbre de tombeau!
Ah! votre coeur croyait--avec raison sans doute--
Que l'homme parvenu doit être bienfaisant,
Quand le hasard, un soir, plaça sur votre route
Un sot que la fortune a rendu méprisant!
Votre coeur ignorait qu'ici-bas, en grand nombre,
Il est des êtres vils au visage de saint
Qui se cachent parfois, comme un serpent dans l'ombre,
Pour lancer le dard qui perce notre sein...
Comme vous j'ai souffert de la malice humaine;
De vieux amis j'ai vu l'affreuse trahison;
D'illustres vaniteux j'ai mérité la haine,
M'étant permis de rire un peu de leur blason...
Et pour avoir, jadis, proclamé que ma race
Secouerait tôt ou tard l'insupportable affront
De vivre sous le joug, j'ai payé cette audace
De lèse-loyauté... mais je tiens haut le front!
Barde, vous l'avez dit: «Il faut souffrir, pleurer.
La souffrance à tout front doit mettre son empreinte
Et toujours et sans cesse et devra durer
Et pas un n'est exempt de sa fatale étreinte.»
Mais ne désespérons ni de Dieu ni des hommes:
Dieu récompense un jour ceux qui savent lutter,
Et nous, pauvres humains--dieux tombés que nous sommes--
Si nous causons des torts, sachons les racheter!
Avril 1887
Donnez! pour être aimés de Dieu que se fit homme,
Pour que le méchant même en s'inclinant vous nomme,
Pour que votre foyer soit calme et fraternel;
Donnez! afin qu'un jour à votre heure dernière,
Contre tous vos péchés vous ayiez la prière
D'un mendiant puissant au ciel.
VICTOR HUGO.
Qu'il fait froid, ô mon Dieu, dans la pauvre chaumière!
Plus de bois, ni de pain pour les enfants en pleurs!
La mère vers le ciel exhale sa prière,
Et ce parfum de l'âme adoucit ses malheurs!
Après avoir redit le sublime symbole
Et prié le Seigneur de bénir ses enfants,
Elle s'approche deux, et--gracieuse obole--
Leur donne des baisers à défaut d'aliments!...
C'est le premier de l'an. Chez le riche on festonne;
Les bambins, tout joyeux, embrassent leurs parents;
Sur ces candides fronts l'espérance rayonne,
Comme une étoile d'or sur un ciel de printemps!
Un arôme suave embaume la demeure
Des fruits en pyramide et des gâteaux charmants
Trônent sur le cristal en attendant cette heure
Où leur fera la guerre un essaim de gourmands.
Sous ces lambris dorés, le père de famille
Contemple tous les siens d'un oeil plein de douceur;
Dans l'âtre, près de lui, joyeusement pétille
Un bon feu d'où jaillit une ardente chaleur.
Ainsi, dans les palais des riches de ce monde,
L'on voit briller partout la joie et le bonheur;
L'on ne redoute pas la tempête qui gronde
Et glace, en son chemin, le pauvre de terreur...
Il fait froid. Le soleil, sous un épais nuage,
Dérobe les reflets de ses rayons dorés;
Au loin le vent mugit, solennel en sa rage,
Et soulève la neige en tourbillons serrés.
Mais que vois-je, soudain, à travers la tempête?
Ciel! une femme pâle à l'air triste et souffrant!
Ses membres sont glacés; elle avance, s'arrête,
Et presse sur son coeur un jeune et frêle enfant!
Cette femme débile, à la démarche lente,
Qui brave en grelottant de froid impétueux,
A laissé la chaumière, et, comme une âme errante,
S'en va tendre la main aux portes des heureux.
Elle franchit le seuil d'une villa gothique
Aux magnifiques arcs aux superbes balcons,
Mais là sa voix rencontre un coeur dur et sceptique
Qui méprise sa plainte et rit de ses haillons...
Le lendemain au soir de ce jour mémorable,
Vers la chaumière allait le bon curé du lieu.
Il frémit en voyant--spectacle épouvantable--
Trois cadavres blottis près de l'âtre sans feu!
Ils étaient morts, la nuit, de peine et de misère,
Pendant que les heureux fêtaient jusqu'au matin...
Mais ne les plaignons pas, car Dieu, ce tendre père,
Les avait conviés à l'éternel festin...
Janvier 1870.
O défenseurs de nos droits politiques,
Fiers rejetons d'un peuple valeureux,
Vous qui dictez les lois patriotiques,
Vivez longtemps, surtout vivez heureux!
Rouges ou bleus--qu'importe la nuance,
N'êtes-vous pas de nos droits les gardiens?--
Or moi je dis avec indépendance:
Soyez bénis de tous les Canadiens!
Soyez bénis par le céleste Père,
Vous, citoyens, qui travaillez toujours
Pour assurer un avenir prospère
Au Canada, mon pays, mes amours!
Votre travail reste sans récompense:
Le monde, hélas! est composé d'ingrats...
Mais la patrie, elle, aime et récompense
Ses braves fils qui lui prêtent leurs bras!
Faites la guerre au sombre fanatisme,
Ce ver hideux qui ronge tant de coeurs;
Luttez aussi contre le népotisme
Qui donne au lâche un titre et des honneurs...
De ses devoirs instruisez la jeunesse
Que Dieu destine aux luttes à venir,
Afin qu'elle ait pour flambeau la sagesse,
Et pour seul rêve un honnête avenir.
Parlez partout l'harmonieux langage
Qu'avec le lait vous puisiez au berceau;
Conservez-le comme un bel héritage:
De notre race il est le noble sceau!
Ah! pratiquez des aïeux la devise
«Vivre en Français et mourir en Chrétien!»
Soyez unis; et que votre âme vise
A rendre heureux le peuple canadien!
A l'ouverture des chambres 1880.
Lorsque la renommée embouche sa trompette
Pour redire aux échos le nom d'un Canadien,
Émule de Taché, de Casgrain, de Fréchette,
Il me semble toujours que ce nom est le tien!
Car déjà, mon ami, les poètes de France,
--Des rivaux fraternels--applaudissent tes chants.
Leur éloge flatteur exprime l'espérance
Que ta muse obtiendra des succès éclatants.
Moi qui prête à ta lyre une oreille attentive,
Qui m'enivre parfois aux flots de l'art divin,
Qui des sons de mon luth quelquefois te ravive,
Je m'unis à ces coeurs pour te serrer la main!
6 juin 1880.
Rose avait dix sept ans; elle était belle et blonde;
Sur son front les rayons de la candeur brillaient;
Les perles de sa bouche enchantaient tout le monde;
Ses cheveux en flots d'or jusqu'à ses pieds roulaient.
Ses lèvres souriaient comme celles d'un ange;
Son oeil d'azur jetant un vif rayonnement;
Sa voix avait parfois une harmonie étrange
Qui me plongeant soudain dans le ravissement!
Quand venait le printemps avec ses nids de mousse,
Ses brises, ses parfums, son soleil radieux,
Nous allions, elle et moi,--réminiscence douce--
Tout pensifs, nous asseoir sur le gazon soyeux.
Et là nous admirions le couchant et l'aurore
Déployant à notre oeil leurs tableaux gracieux;
Et nos coeurs bénissaient l'Artiste que décore
Toute l'immensité de la terre et des cieux.
Aux coupes de l'espoir nous abreuvions notre âme;
Un heureux avenir brillait dans le lointain;
L'Hymen allait bientôt nous verser son dictame,
Mais, hélas! nous comptions sans le cruel destin!
Et maintenant, voyez: elle est là qui repose
Sous la terre où chacun tôt ou tard doit dormir!
Et tout ce qui me reste aujourd'hui de ma Rose,
C'est le parfum que m'a laissé son souvenir...
Avril 1879
A MESSIRE ADOLPHE LÉGARÉ
Drapé dans son manteau de verdure odorante,
En face de Québec, de l'Île de Lévis,
Beauport baigne ses pieds dans l'onde murmurante
Du fleuve dont nos yeux sont sans cesse ravis.
Son temple--vrai bijou que des mains artistiques
Ont orné de tableaux aux riantes couleurs--
Dresse vers le ciel bleu ses deux flèches gothiques
Que souvent le soleil dore de ses lueurs. [4]
[Note 4: Cette église a été incendiée le 24 janvier 1889.]
Depuis douze ou treize ans, au sein de ce village
Ont surgi des villas et quasi des palais
Aux donjons tapissés de fleur et de feuillage,
Où le mortel ennui ne vient s'asseoir jamais.
L'habitant de Beauport est du Breton le type:
Charitable, joyeux, prompt, vif et grand parleur;
Puis en morale il a l'admirable principe
De garder à nos moeurs leur antique splendeur.
Beauport! ce nom figure au livre de la gloire,
Car son sol autrefois a bu le sang des preux;
Laverdière, Garneau, Ferland, dans leur histoire
Parlent de cet endroit en termes chaleureux.
C'est de là que partaient ces bombes meurtrières
Qui jetaient la terreur au milieu des Anglais,
Quand ceux-ci, s'avançant sur leurs longues voilières,
Voulaient ravir Québec au pouvoir des Français.
Parfois on y découvre, en remuant la terre,
Des sabres, des boulets, des débris d'arme à feu;
Et l'on m'a raconté qu'on y trouvait naguère
Des ossements humains, car tout parle en ce lieu.
Ces objets que la rouille a rongés sous la glaise,
Rappellent à nos coeurs les mémorables jours
Où nos pères luttaient contre l'armée anglaise
Pour défendre leurs droits, leurs foyers, leurs amours.
Ce lieu possède encore, en ses riches annales,
Plus d'un illustre nom par les hommes chéri;
C'est là qu'ont vu le jour deux gloires sans rivales:
L'humble Étienne Parent et de Salaberry!
Dès que le printemps brille, et jusques à l'automne,
J'habite sous ton ciel, ô village enchanteur!
De la ville je fuis le fracas monotone,
L'air impur, la poussière et l'ardente chaleur.
Je respire à longs traits les parfums de tes roses
Et les douces senteurs qui s'exhalent des bois;
J'observe les ébats des ailés virtuoses,
Et j'écoute, ravi, leurs gracieuses voix.
Puis le soir je contemple, assis au bord des vagues,
Toute l'immensité de la mer et des cieux;
Parfois je crois ouïr des bruits étranges, vagues:
C'est le flot qui redit ton passé glorieux!
Alors, le coeur ému, je prends mon humble lyre
Et mêle mes accords à ces concerts géants
Qui s'élèvent des bois, de la chute en délire,
Du fleuve, des ruisseaux et des gouffres béants!
20 juillet 1887.
Douze sanglots ont vibré dans l'espace,
--Sont-ce les pleurs du lugubre beffroi?
--C'est l'avenir jetant à l'an qui passe,
Avec mépris, un adieu sombre et froid!
Un nouvel an, constellé de promesses,
Vient de surgir des vastes profondeurs;
Accordons-lui nos plus tendres caresses,
Car il promet d'ineffables bonheurs.
L'an dernier fut désastreux et terrible:
Il a semé partout tant de revers...
Il a changé--ce despote inflexible--
Nos rêves d'or en mille maux divers!
N'en parlons plus! Et saluons l'aurore
Du nouveau jour qui brille à l'horizon;
Que de nos coeurs parte un hymne sonore
Pour acclamer l'hôte de la saison!
Voyez là-bas, dans la pauvre chaumière,
Le malheureux amaigri par la faim:
Du nouvel an, il attend, il espère
Plus de bonheur et le morceau de pain!
Sous les lambris, où la pourpre rayonne,
Le riche aussi formule ses désirs:
«Bel an, dit-il d'un pur éclat couronne
Nos doux banquets, nos fêtes, nos plaisirs!»
Au saint autel, le prêtre vénérable
Pour le pécheur implore le bon Dieu;
Son chant d'amour--cri de joie admirable--
Comme l'encens monte vers le ciel bleu...
.......................................
Dès ce moment, oublions nos rancunes;
A l'ennemi présentons notre main.
Après les jours de noires infortunes,
Dieu nous réserve un heureux lendemain!
A MONSIEUR E. G.... qui vient de perdre sa femme.
Tout est fini! La tombe
Te couvre pour toujours...
Mon pauvre coeur succombe
Sous le fardeau des jours...
Dieu m'a ravi la joie
En t'appelant aux cieux,
Et la douleur déploie
Son voile sur mes yeux!
Du haut du ciel, ô femme
Veille sur nos enfants,
Afin que leur jeune âme
Ressemble au pur encens.
Obtiens-leur l'avantage
D'aimer le doux Jésus,
De suivre sa loi sage,
D'imiter ses vertus
Et lorsque la souffrance
Viendra les visiter,
Donne-leur la vaillance
De bien la supporter.
Oui, fais qu'à ton exemple,
Au jour de la douleur,
Ils aillent dans le temple
Implorer le Seigneur.
Et moi qui suis le père
De ces trois malheureux,
Je serai, je l'espère,
Un modèle pour eux.
Adieu, femme adorée!
Dors sous ce tertre en fleurs
Que mon âme navrée
Féconde de ses pleurs!
15 septembre 1886.
A M. L. O. DAVID.
O peuple canadien, tressaille d'allégresse,
Plonge ton noble coeur dans une sainte ivresse,
Entonne des hymnes d'amour!
Déroule avec orgueil les plis de tes bannières,
Fais retentir partout tes fanfares guerrières,
Car de Saint-Jean c'est le beau jour!
L'astre d'or, ce matin, à l'horizon sans bornes,
S'est levé radieux, posant au front des mornes
Un diadème de rayons;
Le vaste Saint-Laurent roule sa vague pure,
Et les petits oiseaux cachés dans la verdure
Disent leurs plus douces chansons.
La forêt secouant sa crinière brillante,
Jette mille clameurs à la brise odorante;
Le ruisseau, serpentant dans les vallons en fleur
Mêle au concert des bois sa suave harmonie;
L'airain lance aux échos sa mâle symphonie:
Tout sous le soleil chante une hymne au Créateur!
Joignant ta voix aux voix de la nature entière,
Peuple, au pied des autels, courbant la tête altière,
Va chanter et prier ton glorieux patron.
Pour retremper ton coeur aux sources de la gloire,
Étale les feuillets de ta sublime histoire,
De tes fastes dorés rouvre le panthéon!
C'est toi qui, découvrant nos forêts et nos ondes,
Les baptisa d'un nom français,
Et c'est toi que plantas sur ces rives fécondes
Le doux symbole de la paix.
Tu rêvais pour tes fils un avenir prospère
Sur la plage que nous foulons,
Quand, un jour, contre toi la puissante Angleterre
Déchaîna ses gros bataillons.
Tu sentis bouillonner dans tes veines la sève
Vigoureuse de tes aïeux,
Et combattis longtemps sans repos et sans trève,
Mais ne fus pas victorieux.
Et ton heureux vainqueur, pour prix d'une victoire,
Pauvre peuple, te demanda
Tes villes, tes hameaux, et tout le territoire
Qui s'appelle le Canada!...
Alors, abandonné par ta mère la France,
Ou plutôt par son lâche roi,
Tu cédas ce trésor, ayant eu l'assurance
De garder ta langue et ta foi!
Peuple, en ce jour béni de la Saint-Jean-Baptiste,
Démontre avec éclat que dans ton âme existe
L'amour pur de la liberté!
Redis à l'étranger ton histoire héroïque,
Affirme hautement ta constance stoïque
Ta force et ta vitalité!
24 juin 1878.
Le ciel n'a plus d'azur; l'atmosphère est de glace;
La splendeur du soleil pâlit de jour en jour;
Sur l'arbre dépouillé que le frimas enlace,
L'oiseau ne redit plus sa romance d'amour.
La nature a souillé la robe éblouissante
Qui parait les coteaux de ses replis soyeux;
Les fleurs ont disparu; l'abeille vigilante
Ne dore plus nos bois de son miel savoureux.
Les torrents écumeux, grandis par les orages,
Font retentir les airs de lugubres sanglots;
Et, bondissant soudain par dessus les rivages,
Dévastent les moissons de leurs terribles flots.
Quand tu parais, automne, aussitôt la tristesse
Sur notre front serein pose son noir bandeau;
Tu viens ravir aux champs leur brillante jeunesse,
Tu nous donnes des jours sombres comme un tombeau!
Au vieillard que les ans inclinent vers la tombe,
Et qui plonge son coeur aux sources des plaisirs,
Tu dis: «Lève la tête, et vois ce fruit qui tombe,
Ainsi tu tomberas avec tes vains désirs...»
L'automne, de la vie est la fidèle image:
Les jours calmes et doux sont nos jours sans remords;
Les bosquets dénudés rappellent le vieil âge;
La neige et les frimas, le blanc linceul des morts!...
Eh bien! puisque l'automne en souverain commande,
Inclinons tous nos fronts devant sa majesté;
Car sa voix est l'écho de Dieu qui réprimande
Ceux qui ne pensent pas à leur éternité.
Novembre 1883.
Allons, debout! pauvres célibataires,
Vous que la femme abreuve de mépris!
Abandonnez vos gîtes solitaire,
Où l'on ne voit que des chats favoris!
De votre coeur bannissez la souffrance:
Ne soyez plus désormais soucieux;
Et saluez avec joie, espérance,
Le nouvel an qui brille au front des cieux!
Car en ce jour de fête universelle,
La fille d'Ève absout les amoureux;
Sa douce voix attendrit l'infidèle,
Et son regard rend les hommes heureux.
En votre honneur elle fait sa toilette;
Elle embellit de fleurs ses longs cheveux;
A son faux col rayonne l'épinglette
Qu'elle reçut un soir avec vos voeux!
Vite, debout! accourez donc vers elle
Vous que l'ennui torture tous les jours!
Et dites-lui: «Ma tendre demoiselle,
Je pleure encor mes premières amours;
«Je suis cruel, barbare et bien coupable
D'avoir blessé vos nobles sentiments;
Mais mon offense est-elle impardonnable?
Oh! non; alors, reprenez mes serments.»
Mariez-vous! l'Évangile l'ordonne;
C'est un devoir sacré pour le chrétien,
Aux bons époux parfois le Seigneur donne
La paix de l'âme et le pain quotidien.
C'est le souhait, braves célibataires,
Que je formule en ce beau jour de l'an
A l'avenir, soyez moins solitaires;
Rendez des points aux plus jeunes galants!
1er janvier 1883.
Le souvenir c'est tout;
C'est l'âme de la vie.
J'aime souvent, l'oeil perdu dans l'espace,
A remonter l'échelle d'or du temps;
Je vois alors, comme une aube qui passe,
L'éclair serein de mes premiers printemps.
Et j'aperçois la pauvre maisonnette
Où je naquis et coulai d'heureux jours,
Les beaux enfants à la figure honnête
Qui me juraient de m'estimer toujours!
Nous descendions la pente de la vie,
Insoucieux des heures à venir;
Et pensions, dans notre étourderie,
Que le bonheur ne peut jamais fuir!
Hélas! pourtant (penser qui me chagrine)
Dieu moissonna mes amis tour à tour...
Je m'inclinai devant sa loi divine,
Car je compris pour l'enfant son amour.
Huit ans plus tard, je rencontrai vos frères--
Que le hasard sur ma route avait mis--
En entendant leurs paroles sincères,
Je m'écriai: soyons toujours unis!
Leur amitié fut l'écho de la mienne:
Nous étions faits, je crois pour nous aimer!
Et leur gaîté--leur gaîté canadienne--
Sut de tout temps me plaire et me charmer.
Souvent le soir, aux lumières de l'âtre,
Nous prenions part à des festins joyeux,
Où notre esprit, ironique et folâtre,
Faisait la guerre aux sujets sérieux!
Oui, nous fêtions à la bonne franquette,
Comme fêtaient nos aimable aïeux;
Nous nous moquions de l'absurde étiquette
Que le mondain s'impose en certains lieux.
Vous étiez jeune alors, mademoiselle:
L'on vous montrait encor le B-A: ba!
Vous ne rêviez que de poupée et dentelle,
Que ruban rose et succulent baba...
Mais, aujourd'hui, (Dieu, que le monde change!)
Vous n'êtes plus la «p'tite» d'autrefois;
Vous possédez la sagesse d'un ange;
Vous êtes grande et savante à la fois!
Vous avez eu--superbe récompense--
A l'examen une médaille d'or:
C'est le fruit mûr d'une belle semence,
Oh! gardez-la, comme on garde un trésor!
Sur votre front rayonne l'allégresse:
Rendez-en grâce au divin Créateur;
Demandez-lui, pour unique richesse,
D'éterniser en vous tant de bonheur!
25 août 1882.
(Vers écrits sur un album au-dessous d'une pièce signée: N. Legendre.)
Madame, si, comme Legendre,
J'étais un pur littérateur,
Et si j'avais votre voix tendre
Qui charme l'oreille et le coeur,
Je chanterais la Canadienne
Au front rayonnant de candeur,
Je chanterais cette gardienne
De notre foi, de notre honneur.
Mais, hélas! je n'ai qu'une lyre
Peut-être indigne de ce nom
Qui ne saurait jamais redire
Les vertus de cette Ève; oh! non...
Septembre 1885.
Si c'est votre désir, aimable demoiselle,
Que je trace en ce livre un mot vite oublié,
Je dois vous obéir, car, en étant rebelle,
Je manquerais aux lois de la bonne amitié!
Avril 1878.
Autrefois de mon coeur la joie était bannie,
Et j'appelais la mort tant j'étais malheureux!
Mais votre doux regard me rattache à la vie,
Et lorsque je vous vois, je deviens tout joyeux...
Mai 1880.
(IMPROMPTU)
Vous travaillez depuis longtemps, Madame,
Pour ceux que Dieu mit dans la pauvreté
Je vous admire! Ah! retrempez votre âme
Au feu divin de l'humble charité!
A la kermesse des pauvres, à Québec, 1880.
Je connais une chose, à nulle autre pareille,
Qui germe dans le coeur et souvent y réveille
L'amour et la pitié;
Plus douce que le miel, plus belle que la rose,
Plus pure que le lis et que le bébé rose:
C'est la franche amitié.
Mai 1880.
(A mon bienfaiteur et vieil ami, M. Philéas Huot.)
Il offrit à la France et son coeur et sa vie.
En l'an de grâce mil huit cent soixante et quatre,
Dans le froid célibat vivait Pierre Francoeur;
Contre l'amour son âme avait voulu combattre,
Mais à la fin l'amour était resté vainqueur!
Un soir, se promenant sur l'immense terrasse
Qui couronne le front du haut Cap Diamant,
Pierre avait aperçu--vrai type de sa race--
Une blonde fillette au visage charmant.
Il se souvint qu'un jour, quittant la cathédrale,
La jeune fille et lui s'étaient vus en passant;
Il avait même osé lui tendre l'eau lustrale
Qu'elle avait acceptée en le remerciant...
Mais ce soir, elle était au bras de son vieux père,
Comme une belle pêche aux branches du pêcher;
Son coeur avait battu lorsqu'elle avait vu Pierre
Qui semblait du regard vouloir la rechercher.
Le père, en remarquant l'émotion de Rose,
(Car Rose était son nom) avait tout deviné.
«Allons, avait-il dit, pourquoi cet air morose?
Et pourquoi donc ton oeil s'est-il illuminé?
Quoi! tu ne parles plus? tu n'étais pas muette,
Ma petite, tantôt. Tu trembles follement:
Aurais-tu peur? voyons, une bonne fillette
A son père, toujours doit parler franchement.»
Rose voulait parler, mais ses lèvres timides
Ne faisaient qu'exhaler des soupirs douloureux;
Et ses grands yeux d'azur, si doux et si limpides,
Se troublaient et parfois lançaient d'étranges feux.
Le vieillard, en voyant l'embarras de sa fille,
Qu'il n'aurait pas voulu davantage effrayer,
Après avoir jeté sur elle une mantille,
L'avait, le coeur ému, ramenée au foyer.
Pierre était resté là, droit comme une statue,
Regardant s'envoler l'objet de ses amours;
Car il l'aimait déjà, cette belle inconnue,
Et son coeur lui disait qu'il l'aimerait toujours!
Il y rêvait encore, quand l'airain de l'église,
Égrenant dans les airs les notes de minuit,
Le tira de son rêve, et, prompt comme la brise,
Il courut aussitôt vers son humble réduit.
Le lendemain matin, avec la pâle aurore,
Rose s'était levée en proie à la douleur.
Pensive, elle écoutait l'hymne doux et sonore
Que les chantres ailés adressaient au Seigneur.
Puis des larmes voilaient l'éclat de sa prunelle;
Sa bouche murmurait des mots incohérents.
«Je le reverrai donc, ici, soupira-t-elle,
Du moins c'est le désir de mes tendres parents...»
De fait, la veille au soir, à sa fille chérie,
Ce père avait parlé le langage du coeur;
«J'ai deviné l'amour, ou plutôt la folie
qui trouble en ce moment ta joie et ton bonheur.
Ce jeune homme me plaît; il a bonne figure,
Taille robuste, oeil vif et mains d'un travailleur;
Ces dons du corps, souvent, sont d'un superbe augure,
Mais aimer Dieu, ma fille, est un don des meilleurs.
Est-il un bon chrétien? J'en jugerai moi-même,
Oui, car avant longtemps je le rencontrerai;
Si je suis convaincu qu'avec ardeur il t'aime,
Ma parole d'honneur! Je te l'amènerai...»
Le nom de ce vieillard, de ce père excentrique,
Était Jacques Benoit. Il ne redoutait rien;
Il eut versé son sang pour la foi catholique;
Il se glorifiait d'être né Canadien!
Pierre enfin se coucha; mais l'amère insomnie
Jusques au point du jour tortura son cerveau;
Espérant mettre un terme à sa longue agonie,
Dans sa forge, il alla manoeuvrer le marteau.
Il tenait à Saint-Roch une large boutique
Où le bruit de l'enclume aux rires se mêlait.
Le soir, après souper, pour parler politique,
Sous ce toit enfumé souvent l'on s'assemblait.
Pierre, ce matin-là, suait à grosses gouttes,
Lui, le gai forgeron aux bras si vigoureux!
Ah! c'est qu'alors son coeur entretenait des doutes
Sur l'accomplissement de ses projets heureux...
«Pourtant, se disait-il, il faut que je connaisse
Cet ange blond qui fait ma joie et mon tourment;
Je veux mettre à son front, où brille la jeunesse,
Les roses de l'hymen--divin couronnement!»
Cinq jours plus tard, assis sur le seuil de sa porte,
Il respirait du soir l'agréable fraîcheur;
Devant lui défilait la nombreuse cohorte
Des braves ouvriers revenant du labeur.
--Eh! bonjour, Messieu Pierre! exclamait tout le monde,
Car il était connu parmi les travailleurs;
On proclamait sa force une lieue à la ronde:
A lui seul! il avait rossé trois batailleurs...
Mais Pierre, tout-à-coup, s'élança dans la rue
Pour saisir un coursier qui venait au galop,
Trimbalant dans un fiacre une enfant éperdue
Dont la terreur offrait le plus triste tableau.
Notre héros, soudain, au péril de sa vie,
Bondit comme un lion au cou de l'animal
Qui s'élança d'abord avec plus de furie,
Mais se calma bientôt, vaincu par son rival!
Presque aussitôt survint un homme à barbe blanche:
C'était Jacques Benoit, le maître du cheval!...
Dans Pierre il reconnut, à sa figure franche,
Celui que son enfant nommait son idéal!
Prenant du forgeron la main forte et grossière,
Il sa serra longtemps avec effusion:
«Ami, vous êtes brave et d'une race fière,
Car de là-bas j'ai vu votre belle action.
Comment vous exprimer ce qu'éprouve mon âme?
Ajouta le vieillard, visiblement confus;
La gratitude, allez!--cette vivace flamme--
Brûlera dans mon coeur pour ne s'éteindre plus!
Oui, sans vous la fillette, à l'heure où je vous parle,
Serait peut-être morte, oh! j'en frémis d'horreur!
Je vous cherchais... pardon... je cherchais l'ami Charle...
Quand mon fougueux coursier a fui comme un voleur!»
Pierre, d'emblée, avait reconnu le vieux père
De l'ange au front rêveur qui troublait son repos;
Et, surpris de le voir, il regardait la terre
Sans pouvoir seulement bredouiller quelques mots!
Mais bientôt, recouvrant son ferme caractère,
Il dit, en désignant sa modeste maison:
--«Entrez donc sous le toit d'un vieux célibataire!
--Vieux, dites-vous? Ah! Ah! oui, vieux... par la raison!
--Vous êtes trop flatteur; je passe la trentaine
Depuis quatre printemps.
--Ne vous désolez pas,
Car, à trente-quatre ans, la vieillesse est lointaine,
C'est l'âge où l'on ne voit que les fleurs sous ses pas.»
Laissons-les discourir, en prenant le breuvage,
Sur l'étrange incident qui les a réunis,
Et revenons à Rose. Elle veille au ménage,
Y mettant une adresse et des soins infinis.
Ses mains ont tout rangé dans un ordre admirable,
Depuis les objets d'art jusqu'au luisant miroir;
Et par la porte ouverte, on aperçoit la table
sur laquelle est l'humble repas du soir.
Sa mère, vieille femme, arrive de l'église,
Où souvent elle va prier le roi des cieux;
Mais sur son front de suite éclate la surprise
En ne voyant que Rose apparaître à ses yeux.
--«Et ton bon père, enfant?
--Pas de retour encore!
--Pauvre vieux! de ce train il sera bientôt mort!
Car pour trouver celui que ta jeune âme adore,
Il peut mettre à l'envers tout Québec et Beauport...
--«Ciel! que vois-je! fit Rose, en courant vers la porte:
Mon père qui revient avec notre inconnu...
Mais, réprimant alors l'ardeur qui la transporte,
Elle recule et dit: Qu'il soit le bienvenu!»
En effet aussitôt sautèrent de voiture
Pierre et Jacques Benoit, ce vieux Roger-Bontemps.
La gaîté rayonnait sur leur bonne figure,
Mais, hélas! la gaîté ne dura pas longtemps!
Lorsque la jeune fille ouït la voix vibrante
De l'homme qu'elle aimait, son coeur battit bien fort;
Elle rougit, s'émut; et sa lèvre brûlante
Laissa tomber un cri d'ineffable transport!
«Mordienne! qu'as-tu donc, ô mon enfant chérie,
S'écria le vieillard, lui saisissant la main;
Nous t'aimons, tu le sais, avec idolâtrie,
Et voulons du bonheur te tracer le chemin.
Monsieur Pierre Francoeur--que tout le monde approche,
Et que je suis heureux de recevoir chez moi--
Est un noble artisan sans peur et sans reproche,
Qui serait enchanté de vivre sous ta loi;
Il m'a fait cet aveu quand j'étais à sa table,
(Car tu sauras tantôt comment je l'ai connu).
Catholique fervent, honnête et charitable,
Enfant, tel est celui que tu crois inconnu!
Tu pleures à présent! voyons, voyons petite!
Sèche ces vilains pleurs qui rougissent tes yeux;
Prouve à ce beau Monsieur qu'ici la joie habite
Et que notre étiquette est celle des aïeux!
Rose, en effet, pleurait! Ses bienfaisantes larmes,
Comme des diamants jusqu'à ses pieds roulaient;
Cet aimable chagrin faisait briller ses charmes;
Pierre et les deux vieillards, ravis, la contemplaient.
Oui, cette enfant pleurait! mais un chaste délice
Sous ce voile de pleurs alors se déguisait;
Elle avait mis sa lèvre à l'enivrant calice,
Et pleurait le bonheur que son coeur y puisait!
O larmes précieuses,
Douces, silencieuses,
Baume consolateur
Inénarrable joie,
Que du ciel nous envoie
Le divin Créateur!
Des grands yeux bleus de Rose,
Coule, rosée éclose
Du pur et saint amour;
Ah! rafraîchis son âme
Dont la soif te réclame;
Oui, coule en ce beau jour!
Mais Rose, revenant de la folle surprise
Qu'elle avait éprouvée en revoyant Francoeur,
Lui dit:
«Veuillez, Monsieur, excuser ma franchise:
Vous m'avez trop causé de joie et de bonheur!...»
Ce gracieux reproche, au lieu de blesser Pierre,
Alluma dans son âme une lueur d'espoir;
Il répondit:
«Le ciel exauce ma prière,
Puisque l'ai maintenant l'honneur de vous revoir.»
«Bravo! bravissimo! trois fois bravo, mordienne!
Glapit Jacques Benoit, tout fier de ce début;
Merveilleusement dit, ma parole chrétienne!
De ce pas, mes enfants, vous atteindrez le but!
Allons, Monsieur Francoeur, allons, sans gêne, à table!
Nous avons, il est vrai, chez vous fait bon repas;
Mais ma femme et ma fille ont de la dent, que diable!
Et le jeûne ce soir ne leur conviendrait pas!»
Le galant accepta la franche politesse,
Puis, en homme d'usage, il but et mangea peu.
De Rose il admira la beauté, la finesse,
Et la complimenta sur l'exquis pot-au-feu.
Après ce gai repas, on fit de la musique
Dans un petit salon de fleurs tout embaumé;
Rose, en s'accompagnant, chanta plus d'un cantique
Où le nom de Marie était souvent rimé.
Pierre ne chantait pas, lui, selon les principes;
Il en connaissait point l'art des dilettanti;
Il ignorait aussi l'accord des participes,
Mais chanta volontiers plus d'un couplet joli.
Ce soir-là, chez Benoit, on était en liesse;
Les coeurs, jeunes et vieux, vibraient à l'unisson.
Les deux vieillards tout bas, se répétaient sans cesse
Que Rose pour époux aurait un beau garçon!
«Comment le trouves-tu, Rose et toi, bonne vieille?
Demanda le vieillard, quand Pierre fut parti.
Rose joyeuse, dit:
--Vraiment il m'émerveille!
Et sa mère ajouta:
--C'est un fameux parti!...»
Dieu! que les vrais plaisirs sont de courte durée!
Pensait, en cheminant, le jeune homme amoureux;
Je veux garder toujours de ma belle soirée
Dans les plis de mon coeur, le souvenir heureux!
Dans le bourg Sainte-Foye, auprès de la barrière
S'élevait un logis touré de bouleaux;
Sur ses murs crevassés le houblon et le lierre,
Ainsi que des serpents déroulaient leurs anneaux.
C'était un beau soir d'août. Dans un ciel sans nuages,
L'astre du jour lançait sa dernière lueur,
Et les oiseaux mêlaient leurs gracieux ramages
A la voix du Zéphyr volant de fleur en fleur.
L'air était tout rempli de senteurs odorantes
Que le foin, en séchant, exhalait en foison;
Et la gentille abeille, aux ailes transparentes
Buvait avec ivresse aux perles du gazon.
Trois personnes causaient, assises sur un banc;
La fine humeur gauloise animait leur langage
Et l'écho répétait parfois leur rire franc.
Cependant la plus belle, une blonde fillette,
Interrompit soudain son rire harmonieux
Pour aller recevoir, à la bonne franquette,
Deux nouveaux arrivants, l'un jeune et l'autre vieux.
--«Salut à vous, salut! Mademoiselle Rose,
Lui dit en s'inclinant le plus âgé des deux;
Votre teint à toujours l'incarnat de la rose
Et mon ami de vous a droit d'être orgueilleux.»
Pierre à son tour reprit:
--«J'approuve le notaire
Qui sait dire à propos toute la vérité;
Mieux que lui je connais votre doux caractère,
Et j'admire avec lui votre rare beauté.»
--«De grâce, c'est assez! assez! répliqua-t-elle,
Je ne mérite pas tous ces beaux compliments;
Spirituels moqueurs, venez sous la tonnelle
Où nous retrouverons mes excellents parents.»
Ils furent accueillis d'une façon charmante
Par Benoit et sa femme. Et Pierre, ce soir-là,
Vint s'asseoir sans trembler auprès de son amante,
Qui portait à ravir la robe de gala.
Pourquoi tant de gaîté sur toutes ces figures?
Et pourquoi le notaire était-il chez Benoit?
C'est que, par un contrat, deux jeunes créatures,
Allaient en ce beau soir, s'unir devant la loi.
Pierre, depuis trois mois, sur l'océan du Tendre
Confiait son esquif au doux vent de l'espoir;
Car Rose quelquefois osait lui faire entendre
Ces cinq mots consolants:
«Ainsi j'aime à te voir!»
Or, un jour de juillet--il m'en souvient encore--
Pierre chez son amante arrivait tout rêveur.
«Je viens, avait-il dit, ô fille que j'adore,
T'offrir en ce moment et ma vie et mon coeur.
Je veux me marier: la raison me l'ordonne;
Et n'est-ce pas d'ailleurs le devoir d'un chrétien?
A tous les bons époux le Maître du ciel donne
Au foyer l'harmonie et le pain quotidien.
Ne me repousse pas, idole de ma vie,
Toi qui portes au front la suave candeur!
Au banquet de l'hymen le Seigneur nous convie:
O Rose, accepte donc avec moi cet honneur...»
Rose avait reparti:
«J'admire ta franchise
Et les fiers sentiments que tu viens d'exprimer;
Mais, sans voir mes parents auxquels je suis soumise
Je ne puis te répondre: ils pourraient me blâmer.»
Cette soumission et ce hardi langage
Jetèrent notre ami dans le ravissement.
«Tu parles bien, dit-il; je n'ai pas le courage
«De répliquer un mot à ton raisonnement.»
Pierre, le lendemain, rayonnant d'espérance
Et frais comme une fleur, arrivait chez Benoit.
Le bonhomme lui dit:
--«Écoutez ma sentence:
Vous voulez épouser ma fillette?... eh bien, soit!
Dans les premiers jours d'août, amenez M. Fabre,
Ce notaire galant que nous estimons tous;
Il manie encor mieux la plume que le sabre,
Quoiqu'il porte cette arme avec un soin jaloux.
Puis, le contrat passé, nous fixerons la date
De votre mariage. Au pied des saints autels,
Le prêtre célébrant (oh! ce dessein me flatte!)
Sera mon vieux cousin, Messire Désautels.
Nous ferons, n'est-ce pas? une noce tranquille,
Nos aïeux s'amusaient de cette façon-là;
N'allons pas imiter les «noceurs» de la ville,
Je n'ai jamais aimé leur bruit ni leur éclat.»
Pierre, tout ému, dit:
«Mon cher futur beau-père,
Votre sentence est douce, et j'en suis bien heureux.
Je suivrai vos conseils et saurai, je l'espère,
Éviter des «noceurs» les écarts dangereux.»
Maintenant le lecteur sait pourquoi le notaire
Chez le père Benoit accompagnait Francoeur,
L'habile homme de loi montra son savoir-faire
En dressant le contrat sans commettre une erreur.
Au moment solennel où l'épouse future
Prenait la plume d'or pour signer le contrat,
Le notaire, vers elle inclinant sa figure,
Mit un léger baiser sur son front incarnat.
«Vous êtes fin voleur, dit en souriant Rose;
Je ne vous donne point de petit baiser-là!
Quoi! reprit le notaire, il faudra, je suppose,
Pour être pardonné, vous remettre cela?
Comment, vous oseriez?... non, non, riposta-t-elle,
Je préfère excuser plutôt votre larcin;
Vous avez de l'esprit, oh! oui, plein la cervelle,
Mais je n'approuve pas votre hardi dessein!...»
--C'est bien, faisons l'accord, ma bonne demoiselle,
Et, comme la musique est l'accord le meilleur,
Veuillez donc chanter la romance nouvelle
Que vient de publier l'artiste Lavigueur.»
Quand l'acte fut signé, les chansons et le rire
Retentirent longtemps dans ce logis heureux;
Les futurs époux--illusoire délire--
Crurent que leur bonheur valait celui des cieux!...
Par un soleil brillant, un superbe carrosse,
Traîné par deux chevaux, arrêta chez Benoit.
Pierre, charmant à voir sous son habit de noce,
Sauta de la voiture, aussi fier que le roi!
Mais quand il aperçut Rose en toilette blanche
Et le front couronné des fleurs de l'oranger,
Il ne put retenir cette parole franche:
«Le Créateur en toi ne peut rien corriger!
Accepte ces bouquets, cadeau du jeune prêtre,
L'aimable et généreux curé de Charlesbourg;
Il doit, au saint autel, implorer le grand Maître
Pour qu'il daigne bénir notre sincère amour.»
--«Oui, j'accepte ces fleurs, merci du fond de l'âme!
Veuillez assurer l'abbé de mon profond respect;
Puisse de cette vertu la douce et sainte flamme
Produire sur nous deux son salutaire effet...»
Après s'être adressé les compliments d'usage,
Jacque Benoit, Jean Fabre[5] et les futurs époux
Prirent place, joyeux, dans le bel équipage
Pour se rendre à l'église et se mettre aux genoux
de l'abbé Désautels.
[Note 5: M. Jean Fabre, le notaire dont j'ai parlé plus haut, servait de père à Pierre Francoeur, qui avait perdu ses père et mère depuis plusieurs années.]
L'église de Sainte-Foye
Brillait de mille feux, de fleurs et d'ornement.
La foule était nombreuse; une céleste joie
Répandait sur les fronts de vifs rayonnements.
Car le peuple aimait Rose et savait bien que Pierre
Avait le coeur honnête et le bras vigoureux;
Et, de là, concluait qu'une belle carrière,
Après leur mariage, allait s'ouvrir pour eux.
Peindre l'émotion et la joie indicible
Qui firent tressaillir ce couple vertueux
Au moment d'être uni, n'est pas chose possible:
Ils avaient du bonheur plein l'âme et plein les yeux.
O jour de mariage
Incomparable page
Du livre des mortels;
Époque de la vie
Où se fait l'harmonie
Des coeurs près des autels.
Ineffable mystère:
Un ange de la terre
A l'homme vient s'unir;
Et ces deux créatures,
Aux riantes figures,
Ont foi dans l'avenir;
Car devant la Madone
Un apôtre leur donne
Sa bénédiction;
Et, selon sa promesse,
Le roi des cieux s'empresse
De sceller l'union.
Or, avec cette force,
(Primant celle du Corse
Le grand Napoléon)
Ces époux seront braves
Et riront des entraves
Que dresse le démon!
O divin mariage,
Toi le fidèle gage
Du bonheur des époux,
Puissent l'homme et la femme
Imprimer en leur âme
Ton souvenir si doux!
Quatre ans avaient passé depuis le mariage
De Rose et de Francoeur. Nos héros habitaient
Dans le faubourg Saint-Roch, sur le bord du rivage,
Une belle demeure où les amis fêtaient.
Ils ne désiraient rien, la sainte Providence
Leur ayant départi joie et prospérité;
Aussi conservaient-ils de la reconnaissance
Pour le Dieu qui soutient la pauvre humanité.
Deux jolis jumeaux blonds, un garçon, une fille
Étaient venus au monde un soir de février;
Et ces charmants amours--bijoux de la famille--
Égayaient de leurs cris cet aimable foyer.
Ils avaient vingt-deux mois, Pierre-Émile et Corinne.
(Ainsi les appelaient le père et la maman).
Vingt-deux mois! c'est l'âge où la lèvre purpurine
De ces êtres chéris bredouille gentiment!
Qu'il était beau de voir ces figures joyeuses,
Ces fronts où rayonnait la divine candeur,
Ces teints couleur de rose--images gracieuses--
Que n'avait pas ternis le vent de la douleur!
Chaque soir, à genoux près de leur bonne mère,
Par sa bouche inspirée ils parlaient au bon Dieu;
Et, semblable à l'encens, leur naïve prière.
Dans un nimbe brillant montait vers le ciel bleu!
Ils ignoraient que l'homme a des songes moroses,
Que ses yeux quelquefois sont rougis par les pleurs;
Ces anges ne voyaient que joie et rêves roses
Où l'homme trop souvent n'aperçoit que malheurs!...
..................................................
Lorsque Pierre sortait le soir de sa boutique,
Les membres fatigués par le rude labeur,
Les joyeux papillons du foyer domestique
Lui faisaient oublier et fatigue et douleur;
Volant à sa rencontre, ils ouvraient sa figure
De sonores baisers en riant aux éclats;
Il les faisait sauter, rouler sur la verdure
Et savourait longtemps leurs gracieux ébats!
Rose cherchait sans cesse, en femme aimable et bonne,
A prévenir les goûts du maître de son coeur;
Elle y réussissait, grâce à l'humble Madone,
Qu'elle implorait toujours avec grande ferveur,
De notre Canadienne elle était le vrai type:
Taille moyenne, oeil doux et teint plein de fraîcheur;
En morale, elle avait l'admirable principe
De garder à nos moeurs leur antique splendeur.
Son mari! ses enfants!... ah! qui pourrait redire
La tendresse et l'amour qu'elle éprouvait pour eux?
Seuls les anges du ciel sur leur divine lyre
Auraient pu retracer ces sentiments pieux!
Pierre et Rose étaient fiers de se sentir revivre
Dans les doux jumeaux blonds aux yeux intelligents;
Nous leur enseignerons la route qu'il faut suivre
Pour accomplir le bien, disaient ces bons parents.
Mais ce rêve enchanteur, ces projets fort louables
Ne devaient pas avoir leur accomplissement,
Car Dieu, dont les décrets sont tous impénétrables,
Allait anéantir leur rêve en un moment.
Le trois septembre au soir, par un beau clair de lune,
Pierre, la rame en main, refoulait le courant.
L'air était embaumé, mais le sournois Neptune
Agitait quelquefois les flots du Saint-Laurent.
Rose et les chérubins se tenaient près de Pierre,
Assis en cercle, au fond de l'embarcation,
Et contemplaient ravis, l'éclatante lumière
Que l'astre répandait sur la création.
--«Voyez-donc, chers parents, comme la lune est belle,
S'écria Pierre-Émile, en croquant un gâteau.»
Rose reprit:
--«Pourtant, ce n'est qu'une étincelle
Qui s'échappe la nuit du céleste Flambeau!
Mais si vous restez bons, pieux et charitables,
Si vous savez porter des malheurs le fardeau,
Un jour vous quitterez tous nos biens périssables
Pour aller contempler cet astre encor plus beau!»
Pierre, depuis longtemps observait le silence;
Un noir pressentiment faisait battre son coeur;
Il avait beau lutter, se faire violence,
Il restait au pouvoir de l'occulte oppresseur.
Aussi redoutait-il ces bourrasques fréquentes
Qui sont le cauchemar du courageux marin,
Car le vent soulevait des vagues écumantes,
L'air devenait plus lourd, et le ciel moins serein.
Tout à coup un éclair, un éclair grandiose,
Décrivit dans l'espace un long serpent de feu,
Et l'orage éclata. Les deux enfants et Rose,
Affolés de terreur, tremblaient en priant Dieu.
Pierre les rassurait en montrant le rivage
Qu'il s'efforçait d'atteindre avec son vieux canot;
Le vent le repoussait. Sous un épais nuage
La lampe de la nuit se déroba bientôt!
Les malheureux étaient plongés dans les ténèbres
Et ballottés ainsi qu'un fragile roseau.
Le tonnerre aux échos jeta des sons funèbres,
Et la vague lança les promeneurs à l'eau...
Mais Pierre, redoublant aussitôt de courage,
Saisit d'une main Rose et de l'autre un enfant;
Et, vif comme un poisson, il revint à la nage
Sur les flots tourmentés sans cesse par le vent.
Eh! que pourrait-il faire ainsi sans assistance,
N'ayant plus de canot ni la moindre clarté?
Mourir... hélas! oui, car une bonne distance
Le séparait encor de sa chère cité!...
Quoi! mourir à cet âge où la vie est si belle,
Où tout sous le soleil nous parle joie, amours...
Mourir! lorsqu'on possède une épouse modèle
Dont l'esprit, les vertus embellissent nos jours...
Ce lugubre penser hanta l'esprit de Pierre,
Mais il le repoussa de suite avec dédain;
Puis, bravant derechef du fleuve l'onde amère,
Il se mit à jouer du pied et de la main.
Le nageur quelquefois disparaissait dans l'onde,
Entraîné par sa femme et l'un de ses enfants;
N'importe, il n'aurait pas--pour les trésors du monde--
Voulu laisser périr ces deux êtres charmants!
Mais ses forces d'Hercule à la fin s'épuisèrent;
Le Saint-Laurent allait se referment sur eux,
Quand six robustes bras prestement les tirèrent
De ce gouffre, ou plutôt de ce tombeau honteux!
Les sauveurs étaient trois bateliers de Saint-Pierre,
En route pour Québec avec un lot de bois.
Ils avaient aperçu sur le fleuve en colère,
Cet homme que la vague enveloppait parfois.
Ils firent à la hâte un lit de fraîche paille,
Au fond de leur bateau, pour les trois malheureux.
Mais, ô fatalité! le sort, de sa tenaille,
Voulait broyer le coeur du père courageux.
Car, spectacle navrant! c'était deux corps livides,
Deux cadavres que Pierre avait ravis aux flots!
Ils étaient là, gisant sur les grabats humides,
Le visage éclairé par le feu des falots...
Pierre était atterré. Des larmes abondantes
Inondaient sa figure aux traits mâles et beaux;
Debout, pâle, muet, il ressemblait aux plantes
Qui vivent sans chaleur à l'ombre des tombeaux!
Il avait tout perdu dans l'espace d'une heure;
Son adorable femme et ses fiers rejetons;
Il ne lui restait plus que sa sombre demeure
Où les sanglots allaient remplacer les chansons!
Les bateliers, émus, regardaient en silence
L'éloquente douleur de notre infortuné,
Et suppliaient tout bas la sainte Providence
De consoler ce brave au chagrin destiné.
Mais Pierre, tout à coup, vaincu par la souffrance,
--Ce mal dont les humains doivent subir la loi--
Roula sur le carreau, privé de connaissance,
En s'écriant:
«Seigneur, ayez pitié de moi!»
Trois semaines après cette scène terrible,
Que la plume ne peut fidèlement tracer,
Pierre quittait le lit. Il était impossible,
Pour qui l'avait connu, de le voir sans pleurer,
Ce n'était plus cet homme à la forte encolure,
Au visage serein, aux bras si vigoureux!
Du vieillard il avait déjà l'allure,
La tristesse trônait sur son front anguleux.
Il ne ressentait plus de douleurs corporelles;
Son estomac pouvait recevoir tous les mets,
Mais l'âme, hélas! portait des blessures cruelles
Que les princes de l'art ne guérissent jamais...
C'est en vain qu'il cherchait souvent à se distraire
En lisant les journaux ou quelques bons romans;
L'inexorable sort semblait toujours se plaire
A lui rendre odieux ces doux amusements.
Alors il s'écriait, la voix pleine de larmes:
«Accordez-moi, mon Dieu, la résignation,
Ou faites-moi goûter las douceurs de vos charmes
En daignant m'appeler dans la sainte Sion!»
Enfin Dieu lui donna la force et le courage
De porter des revers le pénible fardeau.
A la forge bientôt il conduisait l'ouvrage
Pendant que trois gaillards manoeuvraient le marteau.
Un illustre défunt qui vit dans la mémoire
Des hommes d'aujourd'hui, le bon curé Charest,
Venait parfois le voir pour lui parler d'histoire
Et surtout des héros que Francoeur admirait.
Le malade écoutait les récits du vieux prêtre,
Récits qui l'enflammaient au suprême degré;
Au seul nom de la France, il sentait tout son être
Tressaillir. Ah! ce nom était pour lui sacré.
Aussi, c'est qu'il l'aimait ce beau pays de France,
--Soleil que les prussiens ne pourront obscurcir!--
C'est là que ses aïeux prirent jadis naissance,
Et c'est là qu'il aurait voulu vivre et mourir!
Or, depuis que la mort de sa faux redoutable
Avait moissonné Rose et ses deux chers enfants,
Il ne nourrissait plus qu'un désir admirable:
Combattre en Canadien contre les allemands!
Il lui fallait partir, car l'eau de notre fleuve
Rappelait à son âme un spectacle navrant:
Toujours il croyait voir--insupportable épreuve--
Les défunts entraînés par l'horrible courant...
Mais un autre motif plus grand que la souffrance
L'engageait à partir pour le sol étranger;
Il se disait souvent:
«Quand on aime la France,
On doit la secourir à l'heure du danger!»
L'été de mil huit cent soixante et dix achève;
L'oiseau commence à fuir vers des climats plus doux;
Le soleil, triste et pâle, à l'horizon se lève;
La ramure secoue au vent ses cheveux roux.
C'est le dimanche au soir. Une foule innombrable
Envahit le forum (place Jacques-Cartier);
On dirait, à la voir, qu'un malheur effroyable
Menace les mortels de l'univers entier.
Que s'est-il donc passé de si grand sous les astres
Pour que sur tous ces fronts éclate le chagrin?
Ah! la France se meurt! déjà quatre désastres:
Weissembourg, Reischofen, Forbach et Spickerin!
Eh! oui, voilà pourquoi l'on pleure et l'on murmure
Dans la ville où grandit l'héroïque valeur;
Quand la France reçoit au coeur une blessure,
Les habitants d'ici tressaillent de douleur!
«Je vole à son secours, s'écrie un patriote,
Et vais au consulat offrir mes faibles mains.
Et si je dois tomber sous le fer du despote,
Je mourrai, sans regret comme les vieux Romains!»
Il part, la tête haute et l'oeil plein de lumière,
Et va chez le consul, qui l'accueille fort bien.
«J'appartiens, Excellence, à la classe ouvrière,
Dit-il, et j'ai l'honneur d'être né Canadien.
Or, j'apprends que la France où naquirent nos pères,
--Belle France que j'aime autant que mon pays!--
Est soumise à cette heure aux troupes meurtrières
Que commandent Von Molke et ses cruels amis!
Eh bien, mille tambours! je vends maison, boutique,
Pour aller me ranger sous son noble drapeau;
Oui, si j'obtiens de vous une pièce authentique,
Je troquerai l'outil contre le chassepot!»
--«Quel est donc votre nom, homme plein de courage?
--Pierre Francoeur, obscur artisan, de Saint-Roch.
--Quoi! c'est à vous qu'un soir le fleuve, dans sa rage,
Ravissait et l'épouse et les enfants en bloc?...
--«Hélas! oui, c'est à moi que le fleuve en colère,--
Ce fleuve au bord duquel j'aimais à respirer--,
A ravi les trois coeur, les plus purs de la terre...
Et depuis cet instant je ne fais que pleurer...
--O le deuil éprouvé des époux et des pères!
Je comprends vos malheurs et sais y compatir;
Vous êtes un héros tel que l'on n'en voit guères,
Et la France de vous n'aura pas à rougir.
Prenez ce sauf-conduit cacheté de mes armes,
Puis rendez vous auprès du gouverneur Trochu;
Devant ce pli les Francs abaisseront leurs armes,
Et par eux vous serez, au besoin, secouru.»
«--Pour vos bontés, merci mille fois, Excellence!
Je serai, je l'espère, un valeureux soldat,
Car je sens dans mon coeur refleurir la vaillance
Que Montcalm a légué aux fils du Canada!»
Le lendemain au soir, à genoux sur la terre
Où dormaient pour toujours Rose et les deux jumeaux,
Pierre parlait tout bas dans ce lieu solitaire,
Mais l'indiscret zéphyr nous apporta ces mots:
Adieu, tombe chérie,
Sombre et muet séjour
Où tous, après la vie
Nous dormirons un jour!
Demeure des trois anges
Que follement j'aimais
Et que les viles fanges
Ne salirent jamais!
Adieu, charmante femme,
Adieu, fruits de son flanc:
A vous, j'offre mon âme,
A la France, mon sang!
Demain, avant l'aurore,
Je quitterai ces lieux;
--Vous reverrai-je encore?
Oui, plus tard, dans les cieux!
Mais, vive inquiétude,
Qui me remplacera?
En cette solitude
Qui vous visitera?
Hélas! sur votre tombe
Que j'arrose de pleurs,
Nul ne viendra quand tombe
Le jour, mettre des fleurs!
Ni faire la prière,
Cette aumône du coeur,
Que le céleste Père
Accueille avec bonheur.
Non, car l'homme se livre
Ici-bas aux plaisirs,
Et n'aspire qu'à vivre
Pour combler ses désirs!
Eh bien, puisque le monde
Ne songe qu'à jouir,
Moi, sur la terre et l'onde
Pour vous je veux souffrir!
Donc, adieu, tendre femme,
Adieu, fruits de son flanc!
A vous, j'offre mon âme,
A la France, mon sang!»
Laissons dormir en paix dans leur sombre retraite
Ces trois infortunés, et rejoignons Francoeur,
Qui, près de Châtillon, à la lutte s'apprête
Sous le commandement d'un général de coeur.
Il a pu parvenir jusque là sans entrave,
Grâce à l'aimable pli du consul québecquois;
Du reste, en le voyant, on devinait un brave
Dans les veines duquel coulait le sang gaulois!
La France tous les jours éprouve les défaites;
Nos vaillants soldats sont par le nombre écrasés;
Et déjà les Prussiens se préparent des fêtes
Dans les riches hameaux qu'ils ont germanisés.
Ils ne respectent rien, ces conquérants d'une heure!
Ils insultent l'enfant, la femme, le vieillard,
Détruisent la moisson et brûlent la demeure
Où vit paisiblement l'honnête montagnard.
Ivres d'or et de sang, ils attaquent les villes
Qu'ils pillent aussitôt et plongent dans le deuil;
Puis, l'esprit ébranlé par leurs succès faciles,
Ils lancent sur Paris un envieux coup d'oeil!
Halte-là! car Paris, le vrai coeur de la France,
Le royaume des arts, l'imprenable cité,
Secoue avec éclat sa folle insouciance
Et veut garder encor son immortalité!
Jules Favre aux Prussiens demande un armistice,
Afin d'examiner leurs nombreux armements:
Mais de Bismark répond:
«Je ne puis, en justice,
L'accorder... Agréez mes meilleurs sentiments!»
Cette froide réponse allume la colère
et l'indignation dans l'âme des Français.
«C'est bien, disent plusieurs, fertilisons la terre,
Les cadavres prussiens nous serviront d'engrais!
Tout Paris se prépare à combattre les reîtres,
Les jeunes et les vieux marchent sous les drapeaux;
On jure de tuer, sans pitié, tous les traîtres
Et de livrer leur chair en pâture aux corbeaux!
Les fusils, les canons, les boulets et la poudre
Sont vite fabriqués et remis aux soldats;
Et, quand sonnera l'heure, aussi prompts que la foudre,
Ces terribles engins feront mille dégâts...
C'est le vingt-deux septembre. Escorté de ses troupes
Le général Ducrot traverse Châtillon;
Les habitants du lieu, qui se tiennent par groupes
Agitent devant lui maint et maint pavillon.
Ducrot s'incline et dit:
«Priez pour nous, mes frères,
Afin que du combat nous sortions triomphants;
Demain nous camperons près des hautes Bruyères
Où les Prussiens encor se montrent turbulents.»
Et quittant à regret ce peuple qu'il estime,
Esclave du devoir, il poursuit son chemin;
Il n'a plus qu'un désir--désir vraiment sublime--
Lutter, et, s'il le faut, mourir le lendemain!
De bonne heure, Ducrot le lendemain arrive
A l'endroit redoutable avec ses bataillons.
«Tenez-vous, leur dit-il, tous sur la défensive,
Car l'ennemi déjà doit charger ses canons.
A peine a-t-il parlé, qu'une balle prussienne
Laboure jusqu'à l'os le flanc de son cheval!
La bête de douleur rugit comme l'hyène
Qui se trouve placée en face d'un rival.
Les ennemis alors sortent de leur cachette
En lançant des obus à travers les bosquets;
Mais Ducrot, sans frayeur, à ses soldats répète:
Laissez-les dépenser leur force et leurs boulets!
Cependant les Prussiens--que ce silence intrigue--
Osent se découvrir aux regards des Français.
Ducrot les voit venir, et, fier de son intrigue,
Jubile en présentant un glorieux succès!
«A l'oeuvre! ordonne-t-il; déplantez-moi ces rustres.
Que l'orgueil a rendu méchants, audacieux!
La France attend de vous les faits les plus illustres,
Allons donc, en avant! ô soldats valeureux!»
Aussitôt des milliers de boulets et de balles
Tombent comme un orage au milieu des Prussiens.
Et l'air redit alors des clameurs infernales
Qui ressemblent aux cris d'une meute de chiens!
Çà et là des blessés étendus en grand nombre
Exhalent leurs douleurs et maudissent le sort,
Puis d'autres effrayés par ce spectacle sombre,
Sous les bois vont se mettre à l'abri de la mort.
Les chevaux, l'oeil en feu, les naseau pleins d'écume,
Affolés de terreur, s'élancent au galop,
Mutilant de leurs fers le cadavre qui fume
Sur le sol détrempé par le sang et par l'eau!
C'est un sauve-qui-peut: le général lui-même,
Espèce de colosse au coeur ambitieux,
Est obligé de fuir; et, dans sa rage extrême,
Maudit, en se sauvant, les Français et les dieux...
Maintenant, grâce au ciel, sur les Hautes-Bruyères,
Le vieux drapeau français déroule au vent ses plis;
Il semble défier les hordes meurtrières
Qui nourrissent l'espoir de bombarder Paris.
Neuf jours ont fui. Ducrot à cheval se promène
En rêvant au plaisir de revoir l'ennemi,
Car il l'attend. Depuis bientôt une semaine
Ce général fameux n'a presque point dormi.
Au détour d'une route, à travers le feuillage,
Il croit voir onduler dans le lointain brumeux
Une mer de soldats: tel on voit un rivage
Mollement s'avancer les flots silencieux.
Tiens! ce sont les enfants de la blonde Allemagne,
Se dit le promeneur, en mettant son lorgnon;
Nous leur ferons danser, ici, dans la montagne,
Un joli moulinet aux accords du canon...
Ils aiment ce jeu-là, si j'en crois ma mémoire,
Eh bien, ces beaux danseurs ne seront pas déçus!
Mais! ils sont très nombreux: la plaine en est toute noire!
Bah! qu'importe leur nombre, ils seront bien reçus!
Sur ce, le général pique au flanc sa monture
Et s'élance au galop vers le champ des soldats.
«--Aux armes! leur dit-il, de sa voix mâle et pure,
Les Allemands sur nous s'avancent à grands pas!
Leur nombre est légion; mais vous êtes des braves
Que ne comptez jamais le nombre des rivaux;
Si vous ne voulez pas devenir leurs esclaves,
Ni même leur livrer vos glorieux drapeaux,
Alors, repoussez-les! N'ayez aucune crainte,
Soldats, d'être vaincus; non luttez vaillamment,
Sous le regard de Dieu, car votre cause est sainte
Et Dieu vous aidera jusqu'au dernier moment!»
Tous les soldats en choeur à cet appel répondent:
--Nous vous suivrons partout, ô noble général!
--Ah! merci, fait Ducrot; vos cris puissants inondent
Mon âme d'allégresse... Attendez le signal!
L'heure succède à l'heure et l'ombre à la lumière;
La nuit sur la nature étend son voile noir.
La lune, au bord du ciel, montrant sa tête altière,
Scintille tout à coup comme un bel ostensoir.
Tout est silencieux. Ducrot et son armée
Attendent, l'arme aux bras, le terrible moment
Où la tourbe prussienne--ivre de renommée--
Viendra le attaquer dans leur retranchement.
Mais le temps passe, et rien ne trouble le silence,
Si ce n'est quelquefois les murmures du vent.
Enfin l'aube paraît et l'horizon immense
Reflète les clartés d'un beau soleil levant.
Les belliqueux Français sont ennuyés d'attendre;
Ils ne redoutent pas leurs ennemis, oh! non!
Car leur unique voeu, maintenant, est d'entendre
La voix de la trompette et de celle du canon.
Néanmoins, imitant du général l'exemple,
Ils offrent au Seigneur les prémices du jour,
Et ce champ de combat se convertit en temple
D'où montent vers le ciel des prières d'amour.
Puis, ce devoir rempli, les cuisiniers préparent,
Avec habileté, le modeste repas.
La marmite est au feu. Tous les soldats s'emparent
De leurs brillants couteaux pour trancher le lard gras.
Bref, le tout est servi. La cloche carillonne
Invitant la milice à manger sans façon.
Le vin ne manque pas. La bonne humeur rayonne
Sur les fronts, et le coeurs vibrent à l'unisson.
Mais, dominant les ris, les tirades joyeuses,
La voix du général fait entendre ces mots:
«Aux armes! j'aperçois les cohortes nombreuses;
Vainquons! car la défaite est le plus grand des maux!»
Les soldats, oubliant le vin et la gamelle
Obéissent de suite à l'ordre de Ducrot,
Qui suit leurs mouvements de sa vive prunelle
En allant et venant sur son coursier au trot.
Les Prussiens, l'air railleur, vers les Français s'avancent,
Mais ceux-ci sont déjà prêts à les recevoir,
Les soldats de Ducrot à leurs ennemis lancent
Un regard dont l'éclair paraît les émouvoir.
Ducrot ordonne alors de commencer la lutte.
Par un feu bien nourri. Le feu gronde aussitôt;
Et, spectacle effrayant, des deux côtés on lutte
Avec un héroïsme où la colère éclot.
Allemands et Français combattent face à face
Et semblent décidés à vaincre ou bien mourir,
Car lorsqu'un soldat tombe, un autre le remplace,
Convaincu qu'à son tour la mort va le saisir!
La mort, sans préférence, enlève aux deux armées
Des hommes de valeur, que dis-je? des héros!
Elle n'a pas d'égard pour leurs jeunes années,
Non! comme les blés mûrs ils tombent sous sa faux!
O mort, cruelle mort! pour assouvir ta haine,
Tu fais couler à flot le sang de tous ces preux;
Tu plonges à la fois dans le deuil et la peine
Des mères au coeur d'or et des enfants heureux!
Ils n'ont plus de soutien, ils n'ont plus d'espérance!
Ah! qui donc désormais leur donnera du pain?
Qui les consolera quand l'amère souffrance
Posera sur leur front sa redoutable main?...
Mais la mort ne dort pas, au contraire elle veille
Et moissonne à son gré les faibles et les forts:
On a beau la prier, elle n'a point d'oreille
Pour écouter nos voix, nos douloureux accords...
Elle épargne à présent les soldats de la Prusse
Et frappe les Français qui luttent vainement;
Ceux-ci vont succomber, quand Ducrot, plein d'astuce,
Sous le dôme d'un bois les place adroitement.
Le pauvre général a la douleur dans l'âme:
Six cents vingt-deux des siens sont au nombre des morts!
Que faire? va-t-il fuir? Non! ce serait infâme,
Et partout le suivrait la honte et le remords...
Mais il devra lutter, hélas! sans espoir même,
Car les Prussiens à peine ont perdu cent soldats.
«N'importe! je mourrai pour la France que j'aime,
Dit-il: un Français meurt, mais il ne se rend pas...»
Il crie à ses héros: «Quittons notre retraite
Et derechef allons au poste de l'honneur:
Impossible pour nous d'éviter la défaite;
Prouvons donc aux Prussiens que nous avons du coeur!»
La résignation brille sur la figure
De ces braves soldats luttant vingt contre cent;
Mais personne ne jette une plainte, un murmure,
Ils ont déjà juré de répandre leur sang!
Le général alors à leur tête se place
En leur disant: «Soldats, imitons nos aïeux;
Lorsque des ennemis s'emparaient d'une place,
Ils les en délogeaient, eh bien, faisons comme eux!»
Sur ce, l'oeil enflammé, le voilà qui s'élance,
Vers la vaste clarière où règnent les Teutons;
Il y parvient bientôt trompant leur vigilance,
Et fait pleuvoir sur eux le fer de ses canons.
Les Allemands, surpris d'une attaque aussi rude,
Ne peuvent tout d'abord riposter à ce feu;
Mais leur général parle, et sa ferme attitude
Leur donne du courage et les rassure un peu.
Puis un combat nouveau, gigantesque, commence;
Ces puissants ennemis ne se ménagent pas.
On dirait, à les voir, qu'ils sont pris de démence,
Tant ils semblent contents s'affronter le trépas.
Balles, boulets, obus tombent comme la grêle;
Une épaisse fumée aveugle les soldats;
Aux plaintes des blessés, la trompette entremêle
Sa larmoyante voix, aussi triste qu'un glas.
Les Français luttent bien. Le bruit de la mitraille,
Loin de les effrayer, augmente leur ardeur;
Ils veulent à tout prix gagner cette bataille
Que renferme pour eux le salut et l'honneur!
Mais, qu'est-ce? entendez-vous les hourras frénétiques
Qu'ils poussent vers le ciel en combattant toujours?
Ils viennent de ravir aux sujets germaniques
Douze ou treize canons aux énormes contours!
Alors les Allemands, le front chargé de rage,
Font mine d'avancer sous le feu des Français,
Mais en vain! car ceux-ci redoublent de courage
Et leur font essuyer un nouvel insuccès!
Ducrot observe tout. Il voit parmi ses braves
Un homme culbuter à lui seul maints Prussiens,
Leur infligeant à tous de ces blessures graves
Que ne peuvent guérir les savants chirurgiens;
Car ceux qui sont tombés sous sa fatale étreinte
Sont là, sans mouvement, sur le terne gazon,
La poitrine brisée et la prunelle éteinte,
Mêlant leur dernier râle à la voix du canon!
Mais ce chanceux tireur que l'héroïsme guide,
Pourra-t-il résister aux coups des ennemis?
Regardez-le: de sang sa tunique est humide;
N'importe! il lutte encore, les membres tout meurtris!
Puis, ô bonheur! il voit que l'ennemi recule;
Il avance à la course avec ses compagnons,
Poursuivant les fuyards les tuant sans scrupule,
Comme on écraserait du pied des moucherons!...
Tout à coup il terrasse un soldat héroïque
Qui vient de dérober aux Français un drapeau;
Il arrache au voleur cette belle relique,
Plus pure à ses regards que le cristal de l'eau!
Quel est donc ce héros à la fière encolure
Que Bellone a chargé des lauriers du vainqueur?
Examinez les traits de sa noble figure,
Et vous reconnaîtrez le forgeron Francoeur!...
Les malheurs ont blanchi ses beaux cheveux d'ébène
Et creusé sur son front un glorieux sillon;
Blessé, mais non soumis, il est semblable au chêne
Qui résiste longtemps aux coups du bûcheron...
Il baise avec amour le drapeau de ses pères,
Après l'avoir pressé tendrement sur son coeur;
Et, sans respect humain, récite des prières
Que sa famille, au ciel doit répéter en choeur!
L'ardeur chez les Prussiens semble un instant renaître,
Car leur mitraille gronde encore avec éclat;
Mais, d'un coup d'oeil, il est aisé de reconnaître
Que c'est le désespoir qui les pousse au combat.
Ducrot veut balayer ces bandes étrangères
Qui croyaient par leur nombre effrayer les Français:
«Braves soldats! chassez ces infâmes vipères
Pour qu'elles n'osent plus nous troubler désormais...»
Pierre alors se redresse et prend sa carabine,
De l'échec de la veille il veut venger l'affront.
Ciel! soudain son bras tremble et sa tête s'incline:
Il vient de recevoir deux balles dans le front!
Il tombe sur le sol, théâtre de sa gloire,
Ce modeste artisan que rien n'intimida,
En murmurant ces mots que je livre à l'Histoire:
Adieu, France chérie! Adieu, beau Canada...
1er février 1887.
A M. LOUIS FRÉCHETTE
Bâtie au pied d'un roc à l'aspect grandiose,
Et que Jacques Cartier appela Mont-Royal
Cette belle cité, que le Pactole arrose,
Attache le progrès à son char triomphal.
Le commerce fleurit où fleurissait la rose,
Car il a détrôné le règne végétal;
La voix de la vapeur--moderne virtuose--
Fait retentir les airs d'un hymne magistral.
Là vit dans l'harmonie un peuple hétérogène
Dont les fils, chaque jour, descendent dans l'arène
Au seul mot d'industrie ou de prospérité.
Ils rêvent d'établir sur ce sol historique
Une ville prospère, heureuse, magnifique,
Et ce beau rêve touche à la réalité!
1er mars 1889.
A M. NAPOLÉON LEGENDRE
Assise sur le haut d'un vaste promontoire
D'où le regard embrasse un féerique tableau,
La ville de Québec semble du territoire
Être la sentinelle ou le porte-drapeau!
Ses vieux murs délabrés, qui faisaient notre gloire,
Tombent de jour en jour sous les coups du marteau;
N'importe! elle progresse, et son nom dans l'histoire
N'en brillera pas moins d'un éclat pur et beau!
Elle a dormi longtemps; la voilà qui se lève!
Un pont traversera, de l'une à l'autre grève,
Le cours majestueux du large Saint-Laurent.
De superbes palais embelliront ses rues;
Des hôtels dresseront leurs dômes dans les nues;
Et l'immortel Champlain aura son monument!
1er mars 1889.
L'autre soir, en ouvrant quelques feuillets de prose
Cachés sous la poussière et jaunis par le temps,
J'en vis rouler à terre une petite rose
Qui me rappela l'heure où j'avais dix-sept ans.
A sa tige pendait un bout de satin rose
Où j'aperçus le nom d'un ange aux traits charmants
Qu'autrefois j'adorai mais, fleur à peine éclose,
La mort vint la cueillir à quatorze printemps...
Je priai ce soir-là--le coeur plein de tristesse--
Pour celle qui dora l'aube de ma jeunesse
Des rayons les plus purs des plaisirs et des ris...
Depuis, un autre amour a germé dans mon âme,
Et je vois tous les jours sa bienfaisante flamme
Illuminer le coeur de mes enfants chéris.
1er juin 1889.
A l'occasion de son mariage.
Au banquet de l'hymen le seigneur te convie;
Accepte avec fierté, jeune homme, cet honneur.
Un ange d'ici-bas te consacre sa vie,
Son amour, ses secrets, ses espoirs de bonheur!
Il faut se marier! C'est bien là ce qu'envie
Tout être raisonnable et doué d'un bon coeur;
Mais, dans ce siècle où l'âme à l'or est asservie,
Trop de femmes, hélas! ne rêvent que grandeur!...
Sois heureux! sois heureux dans ton humble ménage!
Chasse loin les doucis, et que pas un nuage
N'assombrisse un instant le ciel de tes amours!
Dieu te donne aujourd'hui--récompense ineffable--
Une épouse au coeur d'or, intelligente, affable,
Qui fera de ta vie un tissu de beaux jours!
Juillet 1881.
DE LA «MAGICIENNE»
Va sur le Saint-Laurent, ô ma muse chérie,
Offrir un humble hommage aux marins valeureux
Qui viennent sur nos bords, l'âme toute attendrie,
Pour voir ce beau pays fondé par leurs aïeux!
O muse, ne crains pas d'être mal accueillie,
Les Français sont toujours courtois et généreux;
S'ils s'arment quelquefois du dard de l'ironie,
Ce n'est que pour punir les sots, les orgueilleux.
Dis-leur que, sur le sol de la libre Amérique,
Deux millions de coeurs, à la trempe énergique,
Ont promis aux Français un éternel amour;
Et dis-leur que, malgré l'épreuve et la souffrance,
La haine des tyrans et l'oubli de la France,
Ils n'ont voulu trahir leur promesse un seul jour!
1er août 1878.
RÉPONSE
Oh! qu'ils sont beaux ces jours où la sainte espérance
Entonnait dans mon âme un chant plein de douceur!
Mon rêve se brisa, je connus la souffrance
Et pleurai, mais en vain, ces moments de bonheur...
Berthe vivait pour moi; j'avais sa confiance.
D'un amour grandissant nous goûtions la saveur;
Le prêtre allait bientôt bénir notre alliance,
Mais Berthe un soir partit pour un monde meilleur!
Je souffre maintenant--oui, je souffre en silence--
Et pourtant je bénis l'austère Providence
Qui me versa l'absinthe et lui tendit le miel!
Je garderai toujours, mon ami, souvenance
De celle qui dora longtemps mon existence
Et brille désormais dans les splendeurs du ciel!
Avril 1880.
A. M. M. PELLETIER
J'aime à te contempler, ô lac, que la nature
A placé dans un lieu poétique et charmant!
J'aime à voir tes flots noirs refléter la ramure
Des pins que le zéphyr agite mollement!
Et je songe que là, dans leur retraite obscure,
Les Hurons, autrefois, vivaient paisiblement;
Mais sur tes bords mon oeil ne voit plus la figure
D'un seul de ces héros: ils sont morts vaillamment...
Que de fois, ô beau lac, après une victoire,
Les Hurons revenaient, le front chargé de gloire,
Reposer près de toi leur membres tout meurtris;
Et, que de fois aussi, l'humble missionnaire,
Portant pour bouclier la croix, le scapulaire,
Allait y consoler ces malheureux conscrits!
1er août 1880.
Depuis deux ans, poète à l'âme tendre,
Ta lyre d'or a suspendu ses chants.
Souffrirais-tu? Mais l'oiseau fait entendre
Dans la douleur des murmures touchants.
Ton noble coeur doit pouvoir se défendre
Du désespoir et des chagrins cuisants.
Tous nos pensers, tu le sais, doivent tendre
Vers le séjour du Maître des puissants.
Sois courageux! car c'est dans la souffrance
Que nos aïeux retrempaient leur vaillance
Quand ils luttaient pour la foi du chrétien!
Oui, chante encor: ta voix mélodieuse
Fera connaître à la France oublieuse
Les grands exploits du peuple canadien!
8 septembre 1885.
L'autre jour, en passant, je vis dans le vallon
Une harpe au rameau d'un arbre suspendue;
Le soleil lui versait comme des jets de plomb,
Et nul vent ne touchait sa corde détendue.
Un silence de mort pesait sur l'étendue,
Mais soudain un zéphyr, caché dans un buisson,
S'en vint tourbillonner sur la harpe éperdue,
Et l'instrument divin rendit encore un son.
Ami, mon luth gisait, frappé par la souffrance;
Dans son désert brûlant nul souffle d'espérance
Ne caressait mon coeur navré par les chagrins.
Mais hier votre muse, harmonieuse brise,
Effleura de son vol ma lyre qui se brise.
Et je fredonne encor mes modestes refrains!
C...
15 septembre 1885.
A M. PIERRE-GEO. ROY, DU «GLANEUR».
Le givre a disparu. L'oiseau dans la ramée
Exhale vers le ciel ses chants mélodieux;
L'aurore verse à flots sur la rose embaumée
Comme des perles d'or, les charmes de ses yeux.
C'est le printemps vermeil; la brise parfumée
Mêle au bruit du ruisseau son murmure joyeux;
Dans les bosquets en fleurs, l'abeille, ranimée
Bourdonne en butinant le miel délicieux.
O résurrection de la grande nature!
Doux printemps, j'aime à voir ta riante verdure
Dérouler sur le sol son tapis de velours!
Quand tu brilles, le front du malheureux se dresse;
Les coeurs, jeunes ou vieux, tressaillent d'allégresse,
Et d'une même voix célèbrent les beaux jours!
Mai 1891.
Oui, puisqu'il plût à Dieu de te faire poète,
Courage donc, jeune homme, au front plein de fierté!
Et, malgré les clameurs de la foule inquiète,
Redis-nous plus souvent tes chants de piété.
Chante aussi nos forêts, notre rive coquette,
La jeunesse, l'amour et les beaux soirs d'été;
Exalte les grands noms que l'Histoire répète,
Célèbre les aïeux, chante la liberté!
Chante avec les ruisseaux, les oiseaux et la brise.
Rappelle-toi toujours que l'art nous civilise
Et fait naître l'espoir dans tout coeur ulcéré.
Souviens-toi que chacun se doit à sa patrie,
Et que l'homme oubliant son talent, son génie,
Est indigne d'avoir au front ce feu sacré.
W...
Août 1877
Penser avant d'écrire est un principe exprès:
Il est trop d'écrivains qui ne pensent qu'après...
Ayant ces deux beaux vers gravés dans la mémoire,
Je devrais, n'est-ce pas? en faire mon profit;
Mais le désir d'écrire, hélas! parfois me fit
Oublier ce conseil d'un écrivain notoire!
Dis ton mea culpa, car tes vers m'ont fait croire
Que j'étais un poète et même un érudit...
Alors, ai-je besoin de me creuser l'esprit
Avant d'écrire? oh! non--pour d'autres cette histoire...
Soudain je m'aperçois que ma vilaine lyre
Ne rend que des sons creux... Allons, avant d'écrire,
J'aurais dû, mon ami, penser et repenser!
Désormais je mettrai ce précepte en pratique,
Ainsi je serai moins mordu par la critique
Dont la terrible dent ne cherche qu'à blesser!
Août 1877.
Lu à l'amiral par une orpheline des Soeurs de la Charité.
Notre âme a tressailli de joie et d'allégresse,
O pieux amiral, quand notre bon pasteur
Nous a transmis ces mots, doux comme une caresse:
«La France vous envoie un noble visiteur!»
Nous connaissions déjà les vertus, la tendresse
De l'ange dont Veuillot parle en admirateur;[6]
Vous avez hérité de sa grande sagesse,
Puisque votre France est celle du Sacré-Coeur!
Ah! nous l'aimons aussi votre admirable France!
Son nom est buriné dans le coeur de l'enfance
Et brille en lettres d'or sur tous nos monuments.
Par elle nos aïeux se sont couverts de gloire;
Or comment voulez-vous qu'en lisant leur histoire,
Nous n'aimions pas la mère autant que les enfants...
19 août 1891.
[Note 6: Madame de Cuverville, mère de l'amiral.]
A MES PETITS ENFANTS
Rosa mystica.
Il est un nom que tout chrétien vénère
Et qu'il apprend à chérir au berceau,
Un nom qui brille au ciel et sur la terre,
Dans la cité, comme dans le hameau.
Un nom puissant qui calme l'onde amère
Et mène au port le fragile vaisseau,
Nom glorieux que des hommes de guerre,
En lettres d'or, mettent sur leur drapeau!
Et ce grand nom, c'est le vôtre, ô Marie!
Nom que redoute et respecte l'impie
Et que, parfois, il invoque à genoux...
Que votre nom, ô mère virginale!
Soit le dernier que notre bouche exhale
Quand s'ouvrira l'éternité pour nous!
1er mars 1892.
Musique de M. N. Crépault
L'âpre saison déroule sur la terre
Son lourd manteau de neige et de frimas;
Le vent du soir soupire avec mystère
Dans la ramure où brille le verglas.
Il est minuit. Le carillon du temple
Jette aux échos un hymne triomphant,
Et le chrétien, à deux genoux, contemple (bis)
Avec amour un adorable enfant (bis).
[Note 7: Dédié au révérend M.F.-H. Bélanger, curé de St-Roch, Québec.]
Il est plus grand que tous les rois du monde,
Plus radieux que l'astre universel,
Plus éloquent que la foudre qui gronde,
Plus pur et saint que les anges du ciel!
Et cependant, il est né sur la paille;
Son divin corps éprouve des douleurs...
Que l'univers d'allégresse tressaille, (bis)
Car cet enfant rachète nos malheurs! (bis)
Au front du ciel une étoile rayonne,
Guidant les pas des rois les plus puissants
Qui vont offrir--en guise de couronne--
Au nouveau-né l'or, la myrrhe et l'encens!
Allons chrétiens, à l'exemple des Mages,
Nous prosterner devant le Rédempteur!
Adressons-lui nos vertueux hommages (bis)
Et redisons: Gloire au Libérateur! (bis)
Décembre 1887
Sur l'air de: «La Huronne»
Ravissante est la Canadienne
Avec ses yeux pleins de douceur,
Son teint rosé, son port de reine,
Qu'admire le fin connaisseur.
En robe de soie ou d'indienne,
Elle plaît toujours au galant!
Chantons l'aimable Canadienne, (bis)
Amis, dans un joyeux élan! (bis)
Jadis, sur le champ de bataille,
Elle cueillit plus d'un laurier,
Et de nos jours elle travaille
A maintenir l'ordre au foyer;
De notre foi c'est la gardienne,
Le champion ferme et vaillant.
Chantons l'aimable Canadienne, (bis)
Amis, dans un joyeux élan! (bis)
Regardez-là dans une fête
Rire et parler avec chaleur,
Puis souvent faire la conquête
De celui qu'elle a pour causeur!
On la proclame magicienne,
Certes, c'est bien l'équivalent...
Chantons l'aimable Canadienne, (bis)
Amis, dans un joyeux élan! (bis)
Charitable autant que gentille,
Elle visite le réduit
Où le feu rarement pétille,
Où le bonheur jamais ne luit!
Et l'or de cette humble chrétienne
Sèche les pleurs de l'artisan...
Ah! oui, Chantons la Canadienne, (bis)
Amis, dans un joyeux élan! (bis)
Janvier 1881.
Air: «Hiouppe! Hiouppe! sur la rivière, etc.»
Sherbrooke, c'est la ville
Où la franche gaîté
Sur tous les fronts scintille,
L'hiver comme l'été.
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
L'on vante sa largesse,
Son hospitalité,
Sa grande politesse
Et son urbanité.
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
Ses habitants s'amusent
Avec moralité,
Mais jamais ne refusent
De boire une santé!
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
Ils aiment la raquette
Puis savent la porter;
Leur gentille toilette
Fait plus d'un coeur sauter.
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
Ils sont déjà quarante,
A part le comité,
Et compteront soixante
Avant la Trinité!
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
Car toute la jeunesse
Désire raquetter;
Elle comprend l'ivresse
Qu'on éprouve à trotter.
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
Et, bravant la tempête,
Le froid, l'humidité,
Elle dit et répète:
Courir, c'est la santé!
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
Honneur à la raquette
A son ancienneté,
A sa forme coquette,
A son utilité.
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
Ce soulier poétique
Fut jadis inventé,
Sur le sol d'Amérique
Par un homme futé!
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
Il légua son ouvrage
A la postérité,
Qui, depuis d'âge en âge,
L'a toujours imité.
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
O raquette, nos pères
Aiment à te porter;
Ils ne te laissent guères
Qu'un instant pour lutter!
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
Et nos bons missionnaires,
Prêchant la vérité,
Sur raquettes légères
Ont mainte fois monté.
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
Nous sommes de leur race:
C'est là notre fierté!
Comme eux, fendons l'espace
Avec agilité!
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
Que le vieux et le jeune
Exempts d'infirmité,
Se présentent sans gêne
Devant le comité.
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
Nous leur disons d'avance:
Vous serez acceptés.
Car les fils de la France
Par nous sont bien traités!
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Chantant la chansonnette,
Hiouppe! Hiouppe! sur la raquette
Nous ne fatiguons pas!
Musique de M. N. Crépault.
Entendez vous ce glas, sombre harmonie
Qui cause à l'âme un douloureux transport?
C'est le sanglot d'un frère à l'agonie
Qui lutte en vain contre l'avide mort!
Naguère au banquet de la vie
Il renaît place avec honneur,
Et sa figure épanouie
Semblait refléter le bonheur.
Ivre d'amour et d'allégresse,
Il savourait mille désirs,
Quand soudain la mort vengeresse
Vint mettre un terme à ses plaisirs!
En lui dérobant la lumière
La mort lui dit en triomphant:
«Ton corps deviendra la poussière
Que foule le pied du passant!
«Avant que tes lèvres soient closes
Fais entendre ce dernier cri:
Adieu, plaisirs et rêves roses!
Adieu, monde que j'ai chéri!»
Mais une voix enchanteresse
Lui glisse à l'oreille ces mots:
«Je suis la grâce et la tendresse,
Je soulage et guéris les maux.
«Regrette et confesse tes crimes;
Combats Satan avec fierté;
Je donne aux âmes magnanimes
La bienheureuse éternité!»
Ah! chrétiens, prions pour ce frère
Qui nous a dit un triste adieu,
Et croyons que notre prière
Attendrira le coeur de Dieu!
Entendez-vous les sons mélancoliques
Que l'orgue mêle au glas mystérieux
Joignant nos voix à ces voix angéliques,
Pour notre frère intercédons les cieux!
Novembre 1882.
Musique de M. Édouard Vincelette.
Te souvient-il de ces jours éphémères
Où le bonheur dorait notre chemin,
Où nous causions sous les yeux de nos mères,
Coeur près du coeur, et la main dans la main?
En souriant, tu m'appelais ton frères;
Je te nommais avec plaisir ma soeur.
Puis un matin--réminiscence amère--
Tu me laissas en proie à la douleur...
Blanche te souvient-il?
Blanche te souvient-il?
Tu t'envolas vers la rive de France,
En me disant: «Je ne t'oublierai pas;
J'adoucirai ta brûlante souffrance
En t'écrivant quand je serai là-bas!»
Et je suivis des yeux la blanche voile
Qui t'emportait dans le lointain brumeux;
Je priai Dieu d'allumer cette étoile
Qui mène au port le voyageur heureux.
Blanche te souvient-il?
Blanche te souvient-il?
Tu m'avais dit qu'avec les hirondelles
Tu reviendrais pour ne plus me quitter...
Le printemps brille, et les oiseaux fidèles
Sont revenus sous mon toit s'abriter.
Toi seule, hélas! ô ma tendre colombe,
Ne voles pas à mon parterre en fleur;
Le ciel a-t-il ouvert pour toi la tombe,
Ou bien le temps a-t-il fermé ton coeur?...
Blanche te souvient-il?
Blanche te souvient-il?
Juin 1883.
Musique de M. Joseph Vézina.
Nous subissons comme nos pères,
Sans murmurer, le poids du jour;
Mais nous aimons, joyeux compères,
Sur la raquette à faire un tour!
Alors nos coeurs pleins d'allégresse
Vibrent toujours à l'unisson;
Et, sous le froid qui nous caresse,
Nous redisons notre chanson!
O Frontenac, illustre gouverneur,
Notre patron du club de la raquette!
Pour exalter la gloire de ton honneur,
Nous te fêtons à la bonne franquette!
Lorsque le ciel couvre la terre
D'un manteau blanc aux plis moelleux,
Et que la lune, avec mystère,
Dore les champs de mille feux,
Il faut nous voir, quatre par quatre,
Raquette aux pieds, fendre le vent!
Comme les preux qui vont combattre
Nous répétons: En avant!
O Frontenac, illustre gouverneur,
Notre patron du club de la raquette!
Pour exalter la gloire de ton honneur,
Nous te fêtons à la bonne franquette!
Loin de la ville, assis à table
Et près d'un poêle aux flancs rougis.
Nous buvons un vin délectable
Qui nous met gais, mais jamais gris...
Puis, suivant la vieille coutume,
Un amateur sort le violon;
Et nous dansons, en grand costume,
Lancier, quadrille et cotillon!
O Frontenac, illustre gouverneur,
Notre patron du club de la raquette!
Pour exalter la gloire de ton honneur,
Nous te fêtons à la bonne franquette!
Parfois l'aurore aux teints de rose
Vient nous surprendre à sautiller!
Et notre front se fait morose,
Puisqu'il nous faut capituler...
Mais la gaîté--douce compagne--
Renaît soudain quand nous partons,
Car la raquette et le champagne
Nous font chanter sur tous les tons!
O Frontenac, illustre gouverneur,
Notre patron du club de la raquette!
Pour exalter la gloire de ton honneur,
Nous te fêtons à la bonne franquette!
Nous descendons d'un peuple sage
A l'âme fière, aux bras vaillants,
Qui s'illustra par le courage
Et les exploits les plus brillants
Nous conservons son caractère,
--Même en étant sujets loyaux--
Et recueillons sur cette terre
Les nobles fruits de ses travaux!
O Frontenac, illustre gouverneur,
Notre patron du club de la raquette!
Pour exalter la gloire de ton honneur,
Nous te fêtons à la bonne franquette!
Nous saluons tous nos confrères
Des autres clubs de ce pays,
Et leur disons ces mots sincères:
O raquetteurs, soyons unis!
Soyons unis, aux jours de fête,
Dans nos transports et nos désirs!
Marchons ensemble à la conquête
Du vrai bonheur et des plaisirs!
O Frontenac, illustre gouverneur,
Notre patron du club de la raquette!
Pour exalter la gloire de ton honneur,
Nous te fêtons à la bonne franquette!
15 février 1889.
Air: «Faibles mortels».
O noble saint François d'Assise,
Prêtez l'oreille à nos accents:
Nous célébrons avec l'Église
Vos bienfaits toujours renaissants!
Presque au seuil de votre existence,
Vous charmiez le pauvre pécheur
Par votre amour pour le sauveur,
Vos suaves conseils et votre pénitence!
Toujours, ange des cieux, toujours gardez nos coeurs
Contre toute les malices
Et les artifices
Des esprits tentateurs!
Oh! notre âme
Vous proclame
Le plus puissant des divins bienfaiteurs!
A l'âge serein de la vie
Où l'homme se livre aux plaisirs,
Vous renonciez, l'âme ravie,
Au monde avec ses vains désirs.
La charité, divine étoile,
Dans notre âme attisait ses feux;
Et Jésus montait à vos yeux
Sur la mer de douleurs votre esquif à la voile!
Toujours, ange des cieux, toujours gardez nos coeurs
Contre toute les malices
Et les artifices
Des esprits tentateurs!
Oh! notre âme
Vous proclame
Le plus puissant des divins bienfaiteurs!
Il vous disait: «Va par le monde
Prêcher à tous ma sainte loi;
Va combattre le vice immonde,
Fais naître dans les coeurs la foi!»
Nouveau soldat plein de courage,
Vous obéîtes à sa voix,
Prenant pour seule arme sa croix,
Pour unique drapeau sa radieuse image!
Toujours, ange des cieux, toujours gardez nos coeurs
Contre toute les malices
Et les artifices
Des esprits tentateurs!
Oh! notre âme
Vous proclame
Le plus puissant des divins bienfaiteurs!
Vos sermons remplis d'éloquence
Électrisaient les plus méchants;
Vos vertus et votre indulgence
Avaient des charmes séduisants.
Maints sceptiques suivaient vos traces,
Sans songer à se convertir.
Lorsque soudain le repentir
Pénétrait dans leur âme avec des flots de grâces!
Toujours, ange des cieux, toujours gardez nos coeurs
Contre toute les malices
Et les artifices
Des esprits tentateurs!
Oh! notre âme
Vous proclame
Le plus puissant des divins bienfaiteurs!
Puis quand sonna l'heure dernière,
Dieu vous trouva mûr pour le ciel:
Vous aviez bu l'absinthe amère,
Et vous alliez boire le miel...
O saint François, ami de l'ordre,
Mettez la paix en notre coeur
Afin qu'il devienne meilleur,
Et propagez partout votre oeuvre: le Tiers-Ordre!
Toujours, ange des cieux, toujours gardez nos coeurs
Contre toute les malices
Et les artifices
Des esprits tentateurs!
Oh! notre âme
Vous proclame
Le plus puissant des divins bienfaiteurs!
Air: «Elle ne savait pas.» Musique de A. Thomas.
Elle ignora longtemps l'heureuse et fière France
Que nous l'aimions toujours malgré son abandon,
Et que nous conservions--symbole d'espérance--
Son drapeau rayonnant de gloire à Carillon!
Le ciel, à travers la tempête,
Guida nos pas vers le succès.
O patrie, en ce jour nous célébrons ta fête!
O saint Jean, protégez (bis) le Canada français!
La France à notre égard n'est plus indifférente:
Elle sait notre histoire et la conte en pleurant!
Souvent le pavillon de sa nef élégante
Flotte comme autrefois sur le beau Saint-Laurent!
Le ciel, à travers la tempête,
Guida nos pas vers le succès.
O patrie, en ce jour nous célébrons ta fête!
O saint Jean, protégez (bis) le Canada français!
Oui, la France revient visiter notre plage
Où coula tant de fois le sang de ses héros;
Elle retrouve ici ses moeurs et son langage,
Et voit que ses neveux lui sont restés loyaux!
Le ciel, à travers la tempête,
Guida nos pas vers le succès.
O patrie, en ce jour nous célébrons ta fête!
O saint Jean, protégez (bis) le Canada français!
24 juin 1880.
Musique de M. R. Lyonnais.
Quel est ce Canadien
Qui passe dans la vie
En prêchant l'harmonie
Et pratiquant le bien?
C'est l'ouvrier,
C'est l'ouvrier!
Reposons-nous, joyeux confrères,
De nos labeurs, de nos efforts.
Amusons-nous comme nos pères,
Soyons unis pour être forts!
En vrais lurons,
Sur tous les tons,
Chantons, chantons!
Qui donc, à dix-huit ans,
Sans crainte entre en ménage,
N'ayant pour tout partage
Que ses deux bras vaillants?
C'est l'ouvrier,
C'est l'ouvrier!
Reposons-nous, joyeux confrères,
De nos labeurs, de nos efforts.
Amusons-nous comme nos pères,
Soyons unis pour être forts!
En vrais lurons,
Sur tous les tons,
Chantons, chantons!
Au temple du Seigneur,
Quel est celui qui prie
Pour sa chère patrie
Avec plus de ferveur?
C'est l'ouvrier,
C'est l'ouvrier!
Reposons-nous, joyeux confrères,
De nos labeurs, de nos efforts.
Amusons-nous comme nos pères,
Soyons unis pour être forts!
En vrais lurons,
Sur tous les tons,
Chantons, chantons!
Qui marche au premier rang,
La tête haute et fière,
Et porte la bannière
Le jour de la Saint-Jean?
C'est l'ouvrier,
C'est l'ouvrier!
Reposons-nous, joyeux confrères,
De nos labeurs, de nos efforts.
Amusons-nous comme nos pères,
Soyons unis pour être forts!
En vrais lurons,
Sur tous les tons,
Chantons, chantons!
Qui supporte toujours
Avec joie et courage
L'humble et pénible ouvrage
Et le fardeau des jours?
C'est l'ouvrier,
C'est l'ouvrier!
Reposons-nous, joyeux confrères,
De nos labeurs, de nos efforts.
Amusons-nous comme nos pères,
Soyons unis pour être forts!
En vrais lurons,
Sur tous les tons,
Chantons, chantons!
Qui a fait le Canada
Si riche et si prospère?
Ce n'est point l'Angleterre
A qui l'on nous céda--
C'est l'ouvrier,
C'est l'ouvrier!
Reposons-nous, joyeux confrères,
De nos labeurs, de nos efforts.
Amusons-nous comme nos pères,
Soyons unis pour être forts!
En vrais lurons,
Sur tous les tons,
Chantons, chantons!
Où donc est la vigueur,
L'espoir et l'allégresse,
L'amour et la tendresse
Et surtout le bonheur?
C'est l'ouvrier,
C'est l'ouvrier!
Reposons-nous, joyeux confrères,
De nos labeurs, de nos efforts.
Amusons-nous comme nos pères,
Soyons unis pour être forts!
En vrais lurons,
Sur tous les tons,
Chantons, chantons!
Septembre 1891.
Nous accourons ici, bien-aimés père et mère,
Avec nos fiers enfants pour fêter ce beau jour
Où le ciel, exauçant notre ardente prière,
Bénit vos cinquante ans de bonheur et d'amour.
Nos coeurs reconnaissants
Débordent d'allégresse,
De voeux et de tendresse
Pour vous, noble parents! (Bis)
Vous auriez pu peut-être acquérir la richesse
Et même les honneurs que rêve l'orgueilleux,
Mais vous avez compris, dans votre humble sagesse,
Que l'honnête labeur rend l'homme plus heureux.
Ah! vive le labeur!
Car l'ouvrier modèle
Est la brebis fidèle
Du céleste Pasteur! (Bis)
Que dire en terminant cette pâle romance
Écrite en votre honneur, vénérables parents!
Puisse, dans sa bonté, la sainte Providence
Vous accorder des jours nombreux et consolants!
Votre lune de miel
Qui désormais scintille
Aux yeux de la famille,
Reluira dans le ciel! (Bis)
Musique de M. Édouard Vincelette.
Quand je vous vois, petite,
Sur moi fixer les yeux,
Alors mon coeur palpite,
Et je me sens heureux.
Mais si j'ose, méchante,
Vous dire un mot d'amour
Vous prenez l'épouvante (bis)
En me criant: bon jour! (bis)
Quand je cause et ricane
Avec un beau minois,
Vous m'engendrez chicane
Et m'appelez: sournois!
Mais si j'entre en colère,
Un instant, contre vous,
Votre bouche profère (bis)
Aussitôt des mots doux! (bis)
Quand je pleure et soupire,
Vous riez aux éclats;
Et quand je ris, c'est pire:
Vous pleurez comme un glas!
Quand je dis: «Je désire
Vous entendre chanter,»
Vous vous mettez à lire (bis)
Ou bien à méditer! (bis).
Je subis ces caprices
Depuis longtemps, hélas!
Mais de vos artifices
Aujourd'hui je suis las.
Moi, je veux une amante
Au coeur noble et pieux:
Vous êtes trop changeante (bis)
Pour rendre un homme heureux! (bis).
20 août 1886.
Air:«Dis-moi soldat, t'en souviens-tu?»
Vous qui coulez une douce existence
Dans cette ville où tant de malheureux
Mangent le pain amer de l'indigence,
En ce beau jour, ah! soyez généreux!
Entendez-vous frapper à votre porte?
Allez ouvrir à l'enfant matinal
Qui, plein d'espoir, fidèlement vous porte,
Avec ses voeux, la chanson du journal.
Il n'est pas grand, néanmoins il est homme
Par le courage et surtout par l'honneur.
En le voyant, l'abonné le surnomme
Le messager de joie et de bonheur.
Mais il est pauvre, et s'en fait une gloire,
Voulant sans doute imiter le Sauveur!
En quelques mots il conte son histoire
Dont le récit émeut tout noble coeur!
Regardez-le: son petit corps frissonne
Sous les baisers de la neige et du vent;
Hélas! il n'a, pour l'hiver et l'automne,
Qu'un mince habit raccommodé souvent!
Malgré le froid, il marche sans relâche
Pour obéir à la voix du devoir;
Et rien ne peut le ravir à sa tâche
Tant qu'il lui reste un souscripteur à voir!
Ah! n'est-il pas (douloureuse pensée)
Le seul appui d'un infirme vieillard,
Qui, sous le toit de sa hutte glacée,
Souffre en levant vers le ciel son regard?...
Et ce vieillard--sublime prolétaire--
Jadis peut-être a vaillamment lutté
Contre les fils de la fière Angleterre
Pour notre langue et notre liberté...
O Canadiens, en ce jour d'allégresse,
Prêtez l'oreille aux soupirs du porteur!
De ses parents soulagez la détresse,
Il vous supplie au nom du Créateur!
Donnez-lui donc cette part du bien-être
Qui sert parfois à votre vanité;
Et dans vos coeurs alors Dieu fera naître
Les purs rayons de sa félicité.
1er de l'an 1887.
Musique de M. N. Crépault
Pourquoi, ma mignonne,
Ne souris-tu pas
Quand ma main couronne
Ton front de lilas?
Tu fais la pleureuse,
C'est folie à toi;
Sois jonc plus joyeuse (bis)
Rose, écoute-moi! (bis)
Lorsque la nature
Se pare de fleurs,
Toute créature
Doit cacher ses pleurs.
Ah! ta bouche chante,
C'est gentil à toi!
Ne sois plus méchante: (bis)
Rose, écoute-moi! (bis).
Depuis deux mois, Rose,
Mon coeur est en feu;
Je t'adore et j'ose
T'en faire l'aveu
Quoi! cela t'offense?
Tu ris de ma foi?
C'est trop d'insolence: (bis)
Rose, écoute-moi! (bis).
Un jour, ma coquette,
Tu désireras
L'amoureux poète
Et ses doux lilas;
Mais d'une autre reine
Il sera le roi,
Et dira sans peine: (bis)
Rose, éloigne-toi! (bis).
12 février 1882.
Musique de M. N. Crépault
J'avais cru que la vie,
Dans ma simple candeur,
N'était qu'une série
De jours pleins de bonheur;
Que les mortels, sur cette terre,
Buvaient le miel de l'amitié,
Et que le riche au prolétaire
Prodiguait l'or et la pitié.
Hélas! hélas! ces rêves roses,
Sous la faux du destin,
Comme les belles roses,
Tombèrent un matin!...
Depuis ce jour, mon âme pleure
Et ne croit plus à la gaîté.
Et le dirais-je? à certaine heure,
Je doute de la vérité!
Sans cesse en proie à la souffrance,
Rien ne me semble beau.
Et la désespérance
Me conduit au tombeau!
Oh! qu'ai-je dit? mon Dieu, pardonne
A ma faiblesse, et ma douleur!
En me plaignant, je déraisonne,
Car n'es-tu pas mon protecteur?
Du ciel écoute ma prière
Qui s'élève vers toi;
Sois toujours ma lumière,
Mon esprit et ma foi!
1er avril 1880.
Musique de M. Joseph Vézina.
Les Canadiens ont pour les fêtes
Un goût qu'ils tiennent des aïeux;
Les charmes des plaisirs honnêtes
Séduisent leurs coeurs généreux.
Ils ont bravé tous les orages
Sans jamais perdre leur fierté,
Et cultivé sur nos rivages
La fleur de l'hospitalité.
Ils fêtent Dieu, reine, patrie,
Par les concert mélodieux,
Pratiquent la galanterie
Envers le sexe gracieux.
Ils chôment les anniversaires
Des jours où leurs braves soldats,
A de terrible adversaires,
Livraient de glorieux combats!
La chicanière politique
Les divise presque au berceau,
Mais le souffle patriotique
Les rassemble sous le drapeau.
Contre l'outrage ou l'injustice,
Ensemble ils s'élèvent la voix
Et s'imposent tout sacrifice
Pour le triomphe de leurs droits.
Ils sont les vrais fils de la France
Par le caractère et le coeur,
Car ou milieu de la souffrance
Ils conservent leur belle humeur!
Oui, toujours gais comme leurs pères,
Mais plus heureux en vérité,
Ils vivent désormais, prospères,
Dans la paix et la liberté!
Septembre 1891.
Asile du poète, ô belle Académie,
Congrès où siège seul le talent reconnu,
Ah! tu daignes offrir, trop généreuse amie,
Dans ton temple un fauteuil à moi, barde inconnu!
Eh! que pourrais-je faire au milieu de confrères
Mûris par la science et le rude labeur,
Imberbe que je suis?--J'oubliais: leurs lumières
Eclaireront la voie de mon esprit rêveur.
Du reste, pour avoir un titre à leur estime
Et le droit précieux de suivre leurs leçons,
Souvent je leur dirai dans le langage intime:
Ma lyre pour la France aura toujours des sons!
Unissant mes accords à ceux de nos poètes,
Sulte, Gingras, Gauvreau, Fréchette et Beauchemin,
En choeur nous chanterons ses brillantes conquêtes,
Sa grandeur, sa richesse et son heureux destin!
Sait-elle assez comment nous l'aimons, cette France?
Ah! nous le lui dirons avec un fier accent.
Nous avons partagé sa gloire et sa souffrance,
Terrassé ses rivaux, lutté vingt contre cent...
Oui, j'accepte, Monsieur, vos offres gracieuses!
Nos muses désormais franchiront l'océan;
Et voyageant ensemble elles diront, joyeuses:
Succès, gloire à Québec! Succès, gloire à Royan!
10 avril 1886.
N'oubliez pas l'héroïque gardienne
De nos berceaux et de notre foyer:
Chantons en choeur la femme canadienne;
Et couronnons sa tête de laurier!
PHILÉAS HUOT.
Le touriste qui foule un instant nos rivages
Autrefois habités par des hordes sauvages,
Craint-il de rencontrer au bord du Saint-Laurent,
Armé d'un long poignard, quelque barbare errant?
Non, car il nous connaît, admire nos victoires,
Aime à venir rêver sur nos fiers promontoires
D'où son regard embrasse un féerique tableau,
Image suspendue entre le ciel et l'eau!
Et lorsqu'il aperçoit la femme canadienne--
Noble coeur, que le ciel nous donna pour gardienne--
Nul autre objet ne peut désormais le ravir,
Et son plus grand bonheur serait de la servir!
Eh bien, nous qui vivons sous l'attrait de ses charmes,
Nous, que sa douce voix console en nos alarmes,
Gravissons le Parnasse où fleurissent les vers,
Et pour elle cueillons mille bouquets divers.
Ne disons pas de mal contre les autres femme,
Elle nous cribleraient de fines épigrammes!
Rimer en leur honneur, tel n'est pas mon désir,
A leurs bardes je laisse aisément ce plaisir...
La femme canadienne: oh! quel nom poétique!
Et comme il fait vibrer l'âme patriotique!
Sulte, Poisson, Fréchette et Legendre ont chanté
Tour à tour sur leur luth ce nom si respecté!
Blonde ou brune, ses yeux brillant d'intelligence
Eclairent sa figure aux traits pleins d'indulgence;
L'incarnat de sa bouche aux roses fait affront
L'éclat de ses cheveux pare son joli front;
En un mot, d'une reine elle a l'air, l'élégance!
Incapable de vivre au sein de l'ignorance--
N'ayant pour cet état que glace et que froideur--
Son esprit au travail se livre avec ardeur,
Tourmente la science, et, durant des années,
Recueille des moissons de choses raisonnées.
Un matin, franchissant la porte du couvent,
Instruite et graduée, elle dit: en avant!
Travaillant derechef sous le toit domestique,
Elle acquiert un art agréable et pratique.
Modestie, ô sublime et trop rare vertu!
Où donc te retrouver? dis-nous, où loges-tu?
Dix mille voix pourraient me répondre, attendries:
Elle est dans tous les coeurs de vos femmes chéries.
Silence, il ne faut pas blesser l'humilité;
Taisons sur ce sujet, même la vérité,
Et que sa modestie envahisse notre âme!
Douce autant que modeste, elle souffre le blâme
Ou parfois le relève avec habileté--
Unissant la finesse à la franche gaîté--
Chasse de nos foyers la folle zizanie
Et fait régner partout la joie et l'harmonie.
C'est pour elle un bonheur d'assister l'indigent,
Hélas! abandonné par le riche souvent.
Au chevet du malade, elle accourt la première,
Ramène l'espérance au seuil de la chaumière,
Inculque dans l'esprit des jeunes et des vieux
Tout principe qui doit rendre l'homme pieux.
Aux kermesse du pauvre, elle dresse la table,
Badine en déployant un courage indomptable;
Le riche avec plaisir lui donne à pleine main;
Et grâce à son bon coeur, le pauvre aura du pain!
Honneur lui soit rendu! car aux jours de souffrance,
Escortant le superbe étendard de la France,
Riante, elle volait toujours au premier rang.
Offrant à son pays son courage et son sang...
Ils ne sont plus ces jours où l'humble Canadienne
Quelquefois ripostait à la balle indienne.
Un autre saint devoir occupe son esprit:
Enseigner à ses fils la loi de Jésus-Christ!
Sa voix--sa douce voix à nulle autre pareille--
Inspire le respect et charme notre oreille;
L'orateur, le poète et le vieil érudit
Ecoutent cette voix que ma muse applaudit...
Pour savoir la raison du respect qu'elles inspire,
Allons consulter ceux qui sont sous son empire,
Et tous nous répondront avec de fiers accents:
Nous savons que son coeur est pur comme l'encens!
Qui de nous oserait contester à cet être
Une telle vertu, la plus grande peut-être?
Il serait, celui-là (j'en appelle au lecteur)
Honni de tous les siens comme un vil imposteur!
Oui, la Canadienne est l'honneur de notre race;
Nous sommes très heureux de marcher sur sa trace.
Or, le vingt-quatre juin, dans le temple avec nous,
Recueillie en son âme, elle prie à genoux.
Après avoir longtemps, pour sa chère patrie,
Imploré les faveurs de la Vierge-Marie,
Triomphante, elle vient voir ses fils, orgueilleux,
Déroulant des combats les drapeaux glorieux!
Elle les suit des yeux, à l'ombre de l'érable.
Sourit à leur bonheur qui semble inénarrable.
Ils sont heureux vraiment ces rejetons gaulois,
Défenseurs, au besoin, du pays de ses lois!
Oh! Dieu, qu'elle est contente et qu'elle est empressée!
L'amour de la patrie enflamme sa pensée!
Elle voudrait pouvoir--bénissant le Seigneur--
S'élancer dans les rangs, marcher avec honneur!
Ah! mais la convenance (arbitre tyrannique
Voulant que l'homme seul, sur ce sol britannique,
Ait droit de s'affirmer à la face des cieux),
Interdit à la femme un rôle aussi pieux.
Tandis que nous faisons ce doux pèlerinage,
Cher au pauvre artisan comme au grand personnage,
Optant pour sa demeure, elle y vole... et bientôt
N'a plus pour la patrie une pensée, un mot!
Non! car elle contemple une enfant caressante:
Une enfant pour son coeur vaut la patrie absente...
L'on exalte partout son hospitalité,
Autant que ses vertus et sa noble beauté;
Car son logis (parfois une humble maisonnette
Abritant une blonde ou gentille brunette),
Ne saurait contenir ceux qui veulent, le soir
Avides de bonheur, à son foyer s'asseoir.
Déesse par la grâce et par la courtoisie--
Ignorant du flatteur la tendre hypocrisie--
Elle sait plaire à tous; même les inconnus
Ne l'approchent jamais sans être bien venus.
Nos ancêtres, comme elle, abhorraient l'étiquette
Et savaient s'amuser à la bonne franquette.
Ils modulaient gaîment et redisaient en choeur
Les modestes refrains qui font battre tout coeur:
Vive la Canadienne,
Vole, mon coeur, vole! etc.
La femme canadienne à pour titre de gloire
Une fécondité que vantera l'histoire:
Immense privilège offert par l'Éternel
A celle qui comprend le devoir maternel.
Utile à son pays, cette mère admirable
Remplit au Canada son rôle incomparable
Avec un héroïsme inflexible, enchanteur,
Inspiré par l'amour divin du Créateur.
Tendre pour ses enfants, mais tendre sans faiblesse--
Désirant éloigner le vice qui les blesse--
Rébecca d'un autre âge, elle veille sur eux,
Et fait naître en leur coeur des germes vigoureux...
Ses enfants ont prouvé déjà qu'ils sont des hommes;
Soldats, prêtres, tribuns, artisans, agronomes,
En mille endroits ils ont--je le dis fièrement--
Défendu notre honneur en luttant vaillamment.
Et de nos jours encore, ils combattent ensemble
Sur un autre théâtre où la foi les rassemble.
Adorant l'Éternel, ils défendent ses droits,
Unissent leurs talents dans des combats adroits.
Touché de leur amour, Dieu les immortalise
En voulant que l'un d'eux soit prince de l'Église...[8]
Louons la Canadienne! exaltons sa beauté.
Sa gloire, ses vertus et son urbanité!
Juin 1889.
[Note 8: Son Éminence le cardinal E.-A. Taschereau.]
C'en est fait maintenant, pareil aux hirondelles,
Partez; qu'un même but vous retrouve fidèles.
Et moi, pourvu qu'en vos combats
De votre foi nul coeur ne doute,
Et qu'une âme en secret écoute
Ce que vous lui direz tout bas...
***
Ah! mes pauvres oiseaux que j'élevais en cage,
Mésanges dont les chants dissipaient ma douleur!
En essaim vous volez vers un riant bocage
Sans savoir que l'aspic se cache sous la fleur...
Pourquoi donc avez-vous ainsi quitté ma chambre
Où le mil et l'amour vous étaient prodigués?
Et votre nid moelleux toujours chaud quand décembre
Saccage la ramure où trônaient vos aînés?
Ivres de liberté, de gloire d'aventure:
Eh! oui, voilà l'appât qui fascine et capture
Si souvent les oiseaux... et même les humains!
1er Avril 1892.
POÉSIES DIVERSES
Sujet: Les Voix intimes.
Préface.
Le bonheur.
Renouveau.
Samuel de Champlain.
Envoi.
La presse canadienne.
La nuit de Noël.
L'hirondelle.
A mon père.
Bouquet de violettes
La St.-Jean-Baptiste.
Le faubourg St-Roch.
Octave Crémazie.
La cité de Champlain.
Un orphelin.
Le mauvais artisan.
Qu'est-ce que la vie?
Adieu à la Nouvelle-Écosse.
Louis Fréchette.
Le mois des morts.
Sachons lutter.
La misère
Aux politiciens.
A mon ami M. W. Chapman.
Elle est morte!
Beauport.
Le jour de l'An.
Élégie.
Au peuple canadien.
L'automne.
Aux célibataires.
Sur l'album de Mlle D. M.
A Madame B., cantatrice.
Sur l'album de Mlle R. D.
Sur l'album de Mlle J. M. F.
Sur l'album de Mme Dr. M. F.
Sur l'album de Mlle A. H. T.
Un héros de 1870.
SONNETS
Montréal.
Québec.
Rose fanée.
A M. E. Aubé, journaliste.
A l'amiral Thomasset.
A M.-C. Beaulieu.
Le lac Beauport.
A M. C.
Réponse.
Le printemps.
A l'auteur.
Réponse.
A l'amiral Cavelier de Cuverville.
Un nom glorieux.
HYMNES, ROMANCES, ET CHANSONNETTES
La crèche de Noël.
La Canadienne.
Aux raquetteurs de Sherbrooke.
Chant d'adieu.
Blanche, te souvient-il?
Chant du club de raquette «Le Frontenac».
Hymne à St-François-d'Assise.
France et Canada.
Chant de l'Ouvrier.
Chanson des noces d'or.
La Capricieuse
La chanson du petit porteur.
Rose, écoute-moi.
Rayons et ombres.
Les Canadiens.
UNE GERBE D'ACROSTICHES
A M. V. Billaud, de l'Académie des Muses Santones.
La femme canadienne.
A mes poésies.
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TYPOGRAPHIE DE L.-J. DEMERS ET FRÈRE
30--Rue de la Fabrique, Québec--30
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